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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 29 mars 1990, n° ECOC9010045X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Antenne 2 (SA), Canal Plus (SA), TF1 (SA)

Défendeur :

Organisme Français de Radiodiffusion et de Télévision, La Cinq (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ezratty

Conseillers :

MM. Culie, Canivet

Avoués :

SCP Duboscq Pellerin, Mes Bolling, Olivier, SCP Gauzère, Lagourgue

Avocats :

Mes Dunaud, Dauzier, Bousquet, Saint-Esteben, Parleani.

Paris, 1re ch., sect. conc., du 15 nov. …

15 novembre 1989

À l'occasion d'une procédure en cours d'instruction devant le Conseil de la concurrence sur la saisine de La Cinq SA qui reproche à l'Organisme Français de Radiodiffusion et de Télévision (OFRT) des pratiques anticoncurrentielles dans la répartition entre ses propres membres, des programmes de l'Eurovision, la Cour, statuant par application de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a par un arrêt du 15 novembre 1989, suspendu, à titre conservatoire, les effets des paragraphes A et B du Titre III du règlement intérieur de l'OFRT.

La société de télévision Canal Plus, la société nationale de télévision Antenne 2 et la société de télévision française TF1 ont successivement formé tierce opposition contre cet arrêt auquel il est renvoyé pour l'exposé des faits et de la procédure initiale.

A l'appui de leurs recours, lesdites sociétés de télévision prétendent :

- que les clauses litigieuses du règlement intérieur de l'OFRT ne s'appliquent qu'aux membres de cette association appartenant aussi à l'Union Européenne de Radiodiffusion (UER), gérante du service Eurovision, alors que si La Cinq a été admise à l'OFRT, sa demande d'adhésion à l'UER n'a pas à ce jour été acceptée,

- que si les statuts de l'UER, tels que récemment modifiés et les conventions subséquentes entre cet organisme et l'OFRT, permettent à La Cinq SA un accès contractuel à l'Eurovision, cette société ne peut y prétendre au même titre que les membres de l'UER et se voir attribuer, sans restrictions, des droits de retransmission qu'elle ne peut acquérir qu'auprès de ceux-ci,

- qu'aux termes du contrat qu'elle a conclu le 1er octobre 1988 avec l'OFRT agissant en la seule qualité de mandataire de ses membres adhérents à l'UER, La Cinq SA ne peut obtenir que des droits de sous-licence, nécessairement assortis de réserves et notamment d'embargos, qui ne lui confèrent aucune parité avec les autres sociétés de télévision membres de l'UER,

- que l'interprétation, faite par La Cinq SA, de la motivation de l'arrêt soumis à recours conduit celle-ci à réclamer l'intégralité de droits dont elle n'est pas titulaire sur des émissions de l'Eurovision déjà réparties entre ses concurrentes et qu'ainsi l'exécution dudit arrêt, telle qu'elle est revendiquée par cette chaîne, en violation du contrat qui la lie à l'OFRT, la conduit à méconnaître les droits propres qu'elles-mêmes ont d'ores et déjà acquis.

Aux termes de cette argumentation, la société TF1 conclut à la réformation de l'arrêt attaqué, en ce que les dispositions dont il suspend les effets sont, en l'état, étrangères à La Cinq SA et qu'elles n'auraient en outre à l'égard de celle-ci qu'un caractère potentiellement discriminatoire, excluant toute atteinte grave et immédiate à ses intérêts.

À défaut de cette complète rétractation, les trois sociétés requérantes demandent que la mesure provisoire soit réformée afin de respecter leurs droits.

Selon une argumentation exactement semblables, l'OFRT soutient les prétentions des trois sociétés opposantes.

La Cinq SA conclut tout d'abord à l'irrecevabilité des tierces oppositions en faisant valoir :

- que cette voie de recours exceptionnelle est incompatible avec le contentieux spécifique de l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- que n'étant pas admise contre les décisions du Conseil de la concurrence qui, au sens de l'article 585 du NCPC ne peuvent être regardées comme des jugements, la tierce opposition n'est pas recevable contre les arrêts de la Cour statuant sur les recours formés contre celles-ci,

- qu'elle est implicitement exclue par l'ordonnance susvisée,

- que les requérantes ne peuvent être considérées comme des tiers par rapport à l'arrêt critiqué, en raison d'une part du mandat social qu'elles ont conféré aux dirigeants de l'OFRT, d'autre part de l'identité des intérêts défendus par cet organisme dans la précédente instance avec ceux qu'elles invoquent au soutien de leurs tierces oppositions.

Il est encore exposé par La Cinq SA :

- que, contrairement à ce qu'elles affirment, les sociétés opposantes ne tenant leur droit sur les émissions provenant de l'UER que de l'OFRT, elles ne peuvent justifier d'aucun intérêt distinct de ceux de cet organisme,

- qu'elles n'expriment aucun grief contre le dispositif de la décision attaquée,

- qu'elles ne peuvent enfin légitimement exercer une voie de recours qui ne vise qu'à leur permettre de perpétuer des pratiques contraires à l'ordre public économique.

En développant des moyens identiques également repris par le Ministère Public, le Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget conclut à titre principal à l'irrecevabilité des tierces oppositions.

Il estime, à titre subsidiaire, que l'arrêt critiqué ne fait pas grief aux sociétés requérantes et que son dispositif étant indivisible et de surcroît fondé en fait comme en droit, il n'y a pas lieu de la réformer ou de rétracter cette décision.

À la fin de non recevoir qui leur est opposée, les sociétés Canal Plus, Antenne 2 et TF1 répliquent que la tierce opposition n'est pas exclue de la procédure spécialement applicable aux pratiques anticoncurrentielles, qu'elles n'ont pas été représentées par l'OFRT dans la précédente instance et enfin, par les moyens ci-dessus exposés, qu'elles ont un intérêt propre à demander la rétractation de l'arrêt attaqué ;

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que la tierce opposition est une voie de rétractation ou de réformation ouverte aux tiers intéressés qui n'ont pas été parties ou représentés à l'instance lorsque le jugement qu'ils attaquent préjudicie à leurs droits;

Considérant que les arrêts rendus par la Cour d'appel de Paris, par application des articles 12 et 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sont des jugements aux termes de l'article 585 du NCPC ; qu'ils sont en conséquence passibles de tierce opposition si la loi n'en dispose pas autrement ;

Considérant que cette règle générale de procédure n'est pas expressément écartée par l'ordonnance susvisée et qu'elle n'est pas incompatible avec le caractère spécifique et contentieux relatif à la mise en œuvre de ce texte ;

Considérant que le litige soumis à la Cour opposait La Cinq SA à l'OFRT à propos des effets de certaines clauses de son règlement intérieur avantageant d'autres chaînes affiliées à la même association ; qu'en raison de cet antagonisme entre ses membres, l'OFRT ne peut être réputée avoir représenté certains d'entre deux contre d'autres et que par conséquent, le moyen selon lequel les sociétés de télévision requérantes n'auraient pas la qualité de tiers à l'égard de la décision qu'elles attaquent doit être rejeté ;

Mais considérant que, tout en réservant expressément les droits contractuellement acquis des trois sociétés requérantes, l'arrêt attaqué se borne à suspendre, pour l'avenir, les effets des paragraphes A et B du titre III du règlement intérieur de l'OFRT en ce qu'ils introduisent, entre les adhérents à cette association, une discrimination relativement à la répartition de programmes à négocier de l'Eurovision, l'entreprise en cause, qu'à cet égard, les sociétés opposantes ne justifient d'aucun intérêt direct et personnel distinct de ceux qui ont été défendus par l'OFRT et qu'au demeurant, elles ne font valoir aucun moyen qui n'ait déjà été invoqué par cette association et examiné par l'arrêt contre lequel elles sont en conséquence irrecevables à former tierce opposition ;

Par ces motifs, déclare la société de télévision Canal Plus, la société nationale de télévision en couleur Antenne 2 et la société de télévision française TF1 irrecevables en leurs tierces oppositions contre l'arrêt prononcé par cette Cour le 15 novembre 1989 ; Les condamne aux dépens.