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Décisions

Conseil Conc., 15 novembre 1995, n° 95-D-71

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques de la société Sony France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Jean-René Bourhis, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 95-D-71

15 novembre 1995

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu les lettres enregistrées les 27 février 1992 sous le numéro F 485, 26 mars 1992 et 21 avril 1992 sous les numéros F 491, F492 et F 500 par lesquelles les sociétés Jean Chapelle et Concurrence ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société Sony France sur le marché de l'électronique grand public ; Vu la lettre enregistrée le 21 avril 1992 sous le numéro F 501 par laquelle les sociétés Jean Chapelle, Concurrence et Semavem ont saisi le Conseil de la concurrence des pratiques de la société Sony France ; Vu la lettre enregistrée le 21 avril 1992 sous le numéro F 502 par laquelle la société Semavem a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques de la société Sony France ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu l'arrêt de la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique) en date du 12 octobre 1993 confirmant l'arrêt en date du 5 juillet 1991 de la cour d'appel de Paris ; Vu les arrêts des 5 juillet 1991 et 8 juillet 1994 de la cour d'appel de Paris confirmant les décisions n° 90-D-42 et 93-D-19 du Conseil de la concurrence ; Vu les décisions n° 90-D-42 du 6 novembre 1990 et 93-D-19 du 7 juillet 1993 du Conseil de la concurrence relatives à des pratiques commerciales de la société Sony France ; Vu les décisions n° 94-DSA-11, 94-DSA-12 et 94-DSA-13 du 6 décembre 1994 et la décision n° 95-DSA-01 du 15 février 1995 du président du Conseil de la concurrence ; Vu les observations présentées par les sociétés Sony France, Concurrence, Jean Chapelle et Semavem et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant des sociétés Concurrence, Jean Chapelle et Semavem entendus ; Retient les constatations (1) et adopte la décision (2) ci-après exposées :

I. - CONSTATATIONS

Dans sa décision n° 90-D-42 du 6 novembre 1990 susvisée, le Conseil avait examiné des pratiques mises en œuvre par la société Sony France au cours de la période allant du mois de décembre 1986 au mois de septembre 1989. Dans sa décision n° 93-D- 19 du 7 juillet 1993 susvisée, le Conseil avait examiné des pratiques s'étant déroulées au cours de la période du mois d'octobre 1989 au mois de juillet 1990. Les pratiques, dénoncées par les entreprises saisissantes dans leurs différentes saisines, concernent des pratiques commerciales de la société Sony ayant eu lieu au cours d'une période postérieure, courant du mois d'août 1990 au mois d'avril 1992 :

1. Le marché

La société Sony France, ci-après désignée Sony, filiale du groupe mondial Sony Corporation, commercialise des appareils de radio et de télévision ainsi que des matériels appartenant à la catégorie dite de "l'électronique grand public" tels que magnétoscopes, caméscopes, chaînes haute fidélité et platines laser.

Les appareils mis sur le marché par la société Sony jouissent d'une forte notoriété sur le plan mondial. Sur le plan national, les parts de cette entreprise sur les différents secteurs concernés, dont il est admis par les professionnels qu'ils constituent autant de marchés en raison des caractéristiques propres à chaque type de matériels, étaient les suivantes en 1992 :

Les ventes aux "multispécialistes" représentaient, en 1992, 32,8 p. 100 des ventes totales de la société Sony, qui détenait au moment des faits environ 1 500 comptes clients, les ventes à destination des groupements d'achat, des hypermarchés et des revendeurs traditionnels représentant respectivement 26,2 p. 100, 14,8 p. 100 et 13,2 p. 100.

Si la société Sony ne fonde pas son système de distribution sur une sélection fermée de ses revendeurs, elle accorde néanmoins une importance aux services rendus à la clientèle, qui valorisent son image de marque et qu'elle rémunère par des remises ou d'autres avantages aux distributeurs acceptant de rendre lesdits services.

L'entreprise Jean Chapelle et la société Semavem appartiennent à M. Jean Chapelle dont l'épouse dirige la société Concurrence. M. Jean Chapelle exerce par ailleurs les fonctions de directeur de la société Concurrence. Les trois points de vente des entreprises saisissantes sont classés parmi les revendeurs traditionnels du réseau. Les magasins de l'entreprise personnelle de M. Jean Chapelle et la SA Concurrence se situent respectivement au 130, rue de Rennes à Paris, soit à proximité de l'un des magasins de la FNAC et 19, place de la Madeleine à Paris, soit en face de l'un des magasins à l'enseigne Darty. Alors que les entreprises Concurrence et Jean Chapelle pratiquent le discompte et la vente à emporter, la FNAC et Darty suivent une politique de communication fondée sur la fourniture de services aux consommateurs (service après-vente, édition d'études techniques comparatives...).

La SA Semavem exploitait, quant à elle, un magasin de détail à Valence. L'activité de vente au détail est devenue marginale dans l'activité globale de cette entreprise à partir d'avril 1988. En 1990, l'essentiel des ventes de la Semavem a été effectué au groupement Intermarché, un contrat d'approvisionnement ayant été signé le 27 juin 1990 entre la Semavem et la société Coppa MG chargée d'approvisionner en produits bruns les magasins à enseigne Intermarché. Des divergences sont cependant apparues entre les dirigeants des deux entreprises et il fut mis fin à leur collaboration dans le courant de l'année 1991.

2. Les pratiques en cause

a) Les conditions de vente applicables aux détaillants

Les conditions de vente ont, dans l'ensemble, peu varié par rapport à celles examinées par le Conseil dans sa décision n° 93-D-19 du 7 juillet 1993 susvisée, hormis le barème de remises quantitatives et la clause relative au regroupement des commandes. Ces modifications sont les suivantes :

Jusqu'au 1er avril 1992, les barèmes de la société Sony applicables aux ventes aux détaillants disposaient que "le chiffre d'affaires pris en compte est le chiffre d'affaires de chaque point de facturation ou celui d'un groupement mettant en œuvre une politique commerciale commune sous une enseigne unique".

Le 1er avril 1992, la société Sony a mis en application de nouvelles conditions de vente qui prévoyaient que le chiffre d'affaires pris en considération pour l'octroi de la remise quantitative est celui de "chaque point de facturation, ou pour les entreprises faisant partie d'un groupe de sociétés ou d'un groupement d'entreprises, celui de l'ensemble du groupe ou du groupement auquel elles appartiennent". Les nouvelles conditions précisent que "par groupe de sociétés, on entend : plusieurs entreprises liées entre elles par des liens juridiques, au sens du droit des sociétés, dont l'une d'entre elles possède directement ou indirectement plus de 50 p. 100 du capital de l'ensemble des autres, et qui mettent en œuvre une politique d'achat commune et centralisée vis- à-vis de Sony, par groupement d'entreprises, on entend l'association entre elles d'entreprises indépendantes, qui mettent en œuvre une politique commerciale commune sous une enseigne commerciale unique".

Les conditions de vente de la société Sony entrées en vigueur le 1er avril 1992 prévoyaient l'octroi d'une remise quantitative sur facture calculée en fonction du chiffre d'affaires réalisé par le distributeur (de 12 p. 100 pour un chiffre d'affaires supérieur à 100 000 F à 17 p. 100 pour un chiffre d'affaires supérieur à 80 millions de francs pour les produits "images" et de 12 p. 100 pour un chiffre d'affaires de 50 000 F à 17 p. 100 pour un chiffre d'affaires de 50 millions de francs pour les produits "audio, hifi".

En application de ces dispositions, des groupements de revendeurs indépendants ayant une enseigne commune ont pu bénéficier de l'agrégation du chiffre d'affaires de leurs adhérents pour le calcul de la remise quantitative et disposer ainsi des taux de remise les plus avantageux. Les sociétés Concurrence et Jean Chapelle, qui souhaitaient centraliser leurs commandes et leurs livraisons avec celles de la Semavem se sont vu refuser cette possibilité au motif qu'elles n'avaient pas d'enseigne commune.

La société Sony a par ailleurs continué, conformément à ses barèmes de détail, à accorder une remise aux revendeurs acceptant d'effectuer la démonstration des produits. Le montant de cette remise, au 1er avril 1992, s'élevait à 3 p. 100. Il s'élevait à 5 p. 100 pour les distributeurs assurant la livraison et la mise en service gratuites au domicile du client.

En outre, des remises sont accordées aux entreprises signataires des contrats d'assistance technique (ATC) aux consommateurs. Le montant de ces remises varie en fonction du niveau de service effectué.

Enfin, les distributeurs détaillants pouvaient, sous certaines conditions précisées dans un document intitulé "conditions de rémunération des prestations de services", facturer certains services au fabricant. Alors que les conditions de vente Sony applicables en 1990 ne prévoyaient qu'une seule modalité de rémunération de l'exposition des produits Sony, les conditions entrées en vigueur le 1er janvier 1991 puis le 1er avril 1992 prévoyaient deux types d'exposition :

- une exposition dite "spécialisée" correspondant à un niveau élevé de coopération, rémunérée chaque semestre de manière forfaitaire par point de vente, au vu d'une facture établie par le distributeur, en fonction du nombre de produits exposés (de 1 à 5 produits) ;

- une exposition dite "globale" correspondant à un niveau de coopération "de qualité suffisante" rémunérée par ligne de produits (de 1 à 3 produits selon les "lignes de produits"), par trimestre et par point de vente, selon un pourcentage variant de 1 à 3 p. 100, au vu d'une facture émise par le distributeur.

Dans leurs saisines, les sociétés Jean Chapelle, Semavem et Concurrence soutiennent que :

- les nouvelles modalités des conditions de vente relatives au regroupement des commandes sont anticoncurrentielles et que la société Sony aurait fait une application discriminatoire de la clause critiquée ;

- Sony France aurait pu imposer des marges et des prix grâce aux modalités de facturation des services d'exposition par les revendeurs lors de l'octroi de ristournes accordées à l'occasion d'une promotion de téléviseurs ou encore en raison du caractère différé de l'octroi de certaines ristournes qualitatives et quantitatives prévues dans les conditions générales de vente qui stipulaient que "le droit aux ristournes (...) n'est acquis qu'aux revendeurs à jour de leurs paiements à la date de versement des ristournes, et qui auront accepté le contrôle de leurs conditions d'attribution par Sony France" ;

- la société Sony a complété ses conditions de vente, le 1er avril 1991, en exigeant des organismes de centralisation qu'ils pratiquent un "référencement d'un nombre de produits suffisant pour assurer la présence sur les points de vente d'une gamme représentative des produits Sony". En outre, les nouvelles conditions de vente prévoyaient l'unification de la politique commerciale des points de vente et la "coordination des présentations publicitaires". Les sociétés saisissantes allèguent que les nouvelles conditions n'auraient pas été respectées par le groupement de distributeurs Gitem ;

- la société Sony aurait fait une application discriminatoire des conditions d'octroi de la remise d'exposition, de la remise de démonstration et des obligations mises à la charge des distributeurs signataires de contrats de SAV. Les parties saisissantes dénoncent notamment le refus que leur aurait opposé la société Sony de bénéficier de la rémunération de l'exposition en 1990, au moment où la société Semavem intervenait comme intermédiaire du groupement Intermarché. Elles versent, à l'appui de leurs déclarations, un télex adressé à la Semavem par la société Sony, le 31 octobre, dans lequel le fabricant déclarait : "Il n'y a pas de service d'exposition rémunérable puisqu'il (y) a rémunération du service de centralisation". Par ailleurs, dans une lettre adressée le 30 juillet 1990 à la Semavem, la société Sony indiquait, au sujet de l'exposition des produits, que certains magasins pourraient bénéficier de la rémunération "dans des conditions administratives qu'il reste à définir".

b) Les conditions applicables aux grossistes

Le contrat de grossiste de la société Sony applicable au 1er janvier 1991 précisait :

"Article 1er

"Prospection

"Le grossiste s'engage à assurer la prospection effective d'au moins cent détaillants et à assurer un courant d'affaires continu et réel (de l'ordre de 50 000 F/an par détaillant) auprès d'au moins cinquante détaillants dont le CA ne justifie pas de leur part un approvisionnement direct auprès de Sony France.

"Article 2

"Moyens matériels

"Le grossiste s'engage à disposer des moyens matériels suivants :

"- aire de stockage d'une surface minimale de... ;

"- local dans lequel sont exposés les produits Sony (...).

"Article 3

"PLV, catalogues et promotion

"Le grossiste s'engage à assurer le stockage et la redistribution auprès des détaillants des catalogues et PLV (...). "

En contrepartie des engagements pris par le grossiste, la société Sony France s'engageait à lui verser une ristourne de fonction trimestrielle d'un montant de 5 p. 100.

Le barème de remises quantitatives grossistes au 1er janvier 1991 était identique à celui applicable aux revendeurs détaillants (remises de 12 à 17 p. 100 contre 11 à 19 p. 100 en 1989 et 1990). Une remise sur facture de 5 p. 100 était en outre accordée aux grossistes qui entretenaient "une force de vente technico-commerciale suffisante pour visiter les détaillants sur la totalité de leur zone de chalandise et comprenant au moins deux personnes affectées à cette fonction". Les grossistes qui respectaient la "charte d'accueil au consommateur" (démonstration gratuite des produits) percevaient, dans les mêmes conditions que les détaillants, la remise de 3 p. 100 prévue à cet effet. En outre, une ristourne supplémentaire de 3 p. 100 était accordée aux grossistes qui respectaient les conditions d'interventions techniques "telles que définies par le contrat d'assistance technique au consommateur". Enfin, le grossiste signataire d'un contrat d'assistance technique au revendeur, comparable au contrat d'assistance technique au consommateur, percevait une ristourne du même ordre que celle accordée aux détaillants rendant le même type de services (contrats A, B, C. B et DS 8 : ristourne de 2 à 8 p. 100).

Il n'est pas contesté par les parties que les grossistes percevaient, en 1991, un avantage supplémentaire de l'ordre de 3 à 5 p. 100 en 1991 par rapport aux détaillants supposés rendre des services de même niveau, l'écart se trouvant réduit de 1 p. 100 pour les détaillants bénéficiant d'un organisme centralisateur répondant aux conditions fixées par Sony France.

Le contrat de grossiste susmentionné a été supprimé par la société Sony le 1er février 1994,

Selon les sociétés saisissantes, le régime applicable aux grossistes permettait à "certains revendeurs Sony clients des grossistes d'échapper aux contraintes quantitatives et qualitatives auxquelles sont soumis les revendeurs achetant directement chez Sony France". En outre, la société Sony aurait fait une application discriminatoire du contrat de grossiste.

II. - A LA LUMIERE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Considérant que les saisines susvisées se rapportent au même marché, portent sur la même période et concernent des questions communes ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur les demandes des sociétés saisissantes visant à ce que des griefs supplémentaires soient notifiés à la société Sony :

Sur l'allégation selon laquelle la société Sony aurait imposé des marges et des prix de revente aux distributeurs :

Considérant que les sociétés Jean Chapelle et Concurrence soutiennent que certains avantages consentis aux distributeurs de manière différée par la société Sony aboutiraient à imposer des prix de revente dans la mesure où l'octroi de ces avantages est subordonné par le fabricant à la réalisation d'engagements pris par le distributeur, les services de démonstration et d'exposition ainsi que la programmation des commandes ;

Mais considérant que la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique), se prononçant sur le système de remises qualitatives et quantitatives octroyées par la société Sony examiné par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 90-D-42 du 6 novembre 1990 puis par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 5 juillet 1991, a considéré, dans son arrêt du 12 octobre 1993 susvisé que l'"octroi de ristournes ou de remises différées n'est pas restrictif de concurrence lorsque le principe et le montant de ces avantages en sont acquis de manière certaine et que tous les distributeurs peuvent, sans aléas ni restrictions, en répercuter le montant dans leurs prix de vente" ; que le système de remises et ristournes différées octroyées par la société Sony n'ayant pas varié dans son principe par rapport au système précédemment en vigueur, il n'y a donc pas lieu de notifier un grief supplémentaire de ce chef ;

Sur les nouvelles modalités d'octroi de la remise de centralisation à compter du 1er janvier 1991.

Considérant que les parties saisissantes font valoir que les conditions d'octroi de la remise de centralisation octroyée aux organismes de centralisation par la société Sony à compter du 1er janvier 1991 imposeraient aux revendeurs bénéficiant de cet avantage de présenter des produits de la marque Sony dans chacun de leurs points de vente ; que, selon ces entreprises, le montant des achats effectués par le groupement Gitem auprès de la société Sony permettrait d'établir que ce groupement, qui percevait la remise de 1 p. 100, ne respecterait pas les conditions fixées par le fabricant ;

Considérant qu'il ne ressort pas des conditions de vente de la société Sony, qui imposent un référencement par la centrale "d'un nombre de produits suffisant pour assurer la présence sur les points de vente d'une gamme représentative des produits Sony", que cette clause oblige l'ensemble des points de vente à disposer, à tout moment, d'une gamme de produits commercialisés par la société Sony ; que l'allégation selon laquelle les achats effectués par le Gitem ne permettait pas à ce groupement de distributeurs de remplir les conditions exigées par la société Sony pour bénéficier de la remise de centralisation n'est pas de nature à fonder un grief ; que, par suite, il n'y a pas lieu de notifier un grief complémentaire de ce chef ;

Sur l'application discriminatoire de clause relative à l'octroi de la remise de démonstration :

Considérant que les conditions de vente de la société Sony applicables aux revendeurs détaillants en 1990 stipulaient qu'une remise était accordée "aux distributeurs qui assurent à la demande des clients la démonstration effective et l'essai des produits" ; que les conditions de vente applicables en 1991 et 1992 prévoyaient l'attribution de la remise aux distributeurs effectuant une "démonstration gratuite des produits avant la vente" ;

Considérant que les sociétés saisissantes dénoncent la pratique consistant, de la part de la société Sony, à opposer à la société Semavem une application stricte de ladite clause, subordonnant notamment l'octroi de la remise de démonstration à la fourniture de la liste des magasins à enseigne Intermarché qui s'engageaient à effectuer la démonstration ; que, selon ces entreprises, cette même exigence, qui n'aurait pas été formulée à l'égard de distributeurs concurrents, s'analyserait comme une discrimination susceptible d'être visée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que, selon un article de la revue Libre Service Actualités (LSA n° 1220 du 30 août 1990), le responsable du groupement ITM, qui s'approvisionnait par l'intermédiaire de la Semavem, a déclaré : "Nous vendons aujourd'hui quarante-cinq produits de grandes marques à emporter dans les cartons avec la garantie industrielle, un point c'est tout" ; qu'en outre, dans une publicité effectuée dans le quotidien Le Parisien, le 1er février 1991, au sujet des produits de marque Sony, le groupement Intermarché indiquait : "Pas de démonstration inutile, pas de présentoirs luxueux, pas de stock démesuré, pas de livraison, la garantie légale" ; qu'il était, dans ces conditions, légitime que la société Sony s'assure auprès de l'organisme de centralisation, que le service rémunéré soit effectué par les détaillants ; que la Semavem déclare d'ailleurs, dans ses observations en réponse au rapport, qu'elle "ne reproche pas le principe des demandes garanties" ; que, s'agissant des autres distributeurs, aucun élément du dossier ne permet d'établir que la société Sony aurait eu des motifs identiques de leur demander les mêmes garanties ; que, contrairement à ce que soutient la Semavem, le groupement Intermarché, groupement de magasins franchisés appartenant à la grande distribution, ne pouvait être assimilé à la Camif, société spécialisée dans la vente par correspondance de produits non alimentaires, au sujet de laquelle le Conseil de la concurrence avait considéré, dans sa décision n° 93- D-19 du 7 juillet 1993 susvisée, que la société Sony avait mis fin durant la période antérieure à juillet 1990, au régime discriminatoire qui était jusque-là réservé "à la seule société Camif" ; que les pratiques commerciales de plusieurs fabricants de matériel électronique "grand public" à l'égard de la Camif et relatives à la période visée par la présente décision font par ailleurs l'objet d'une instruction distincte, dans le cadre d'une saisine des mêmes sociétés sous le numéro F 451 ; que la société Sony figurant parmi les fabricants concernés, il n'y avait donc pas lieu de notifier des griefs dans le cadre de la présente procédure ;

Sur les conditions d'octroi des remises de service après-vente par la société Sony :

Considérant que des remises étaient accordées par la société Sony aux revendeurs signataires des contrats d'assistance technique aux consommateurs (ATC) qui mettaient à la charge des distributeurs l'obligation de disposer de moyens humains et matériels, variables selon les niveaux de contrats, dans chacun des points de vente ; que les sociétés saisissantes soutiennent que la société Sony aurait fait une application discriminatoire de ces remises en les accordant à des distributeurs concurrents, sans qu'elle se soit assurée que ces entreprises rendaient lesdits services alors que, dans le même temps, elle exigeait de la Semavem la communication de la liste des points de vente appartenant au groupement Intermarché effectuant le service après-vente ; que cette pratique constituerait donc une pratique visée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que, par une circulaire interne au groupement Intermarché, datée du 4 septembre 1990 et versée au dossier par les parties saisissantes en annexe à leurs observations au rapport, ce groupement demandait à ses adhérents de "recenser (...) les stations de dépannage" afin de savoir si elles étaient agréées ou, le cas échéant, de "les faire agréer par les grandes marques concernées" ; qu'il ressort par ailleurs explicitement d'une circulaire adressée par ledit groupement à ses adhérents et versée au dossier par la Semavem qu'"en cas de problème", le client "devra s'adresser directement à une station-service et non pas revenir à l'Intermarché" ; que la même circulaire préconisait qu'en cas de panne sous garantie constructeur "le client porte l'appareil à la station-service qui lui aura été indiquée" ; que, d'ailleurs, dès le 25 octobre 1990, la société Sony attirait l'attention des responsables du groupement ITM Entreprises, au sujet du service après-vente, sur "la nécessité de mettre en place des moyens propres comme le prévoient nos contrats et non de déléguer vos obligations à un tiers" ; qu'il s'ensuit que les entreprises du groupement Intermarché approvisionné par la Semavem ne pouvaient prétendre au versement d'une remise pour assistance aux consommateurs par la société Sony, laquelle faisait de l'accueil des consommateurs dans les points de vente, et non auprès de tiers, le critère objectif déterminant de l'octroi desdites remises qualitatives ; qu'il ne saurait, dans ces conditions, être reproché à la société Sony, fondée à préserver l'image de marque de ses produits, d'exiger des adhérents au groupement Intermarché qu'ils prennent l'engagement d'accueillir eux-mêmes les consommateurs dans leurs points de vente afin d'y faire procéder aux réparations nécessaires ; que c'est donc à bon droit que des griefs complémentaires n'ont pas été notifiés de ce chef ;

Sur la demande des sociétés Jean Chapelle, Semavem et Concurrence visant à ce que soient notifiés des griefs supplémentaires au sujet de l'application discriminatoire des conditions de vente par la société Sony,

Considérant que les sociétés saisissantes demandent que des griefs complémentaires soient notifiés au sujet de l'application discriminatoire qu'aurait fait la société Sony de ses conditions de vente ; que, toutefois, s'agissant des périodes antérieures, déjà examinées par le Conseil de la concurrence, elles admettent que l'application des clauses n'a pas à faire l'objet d'un nouvel examen ;

Considérant que, dans ses décisions n° 90-D-42 et 93-D-19 susvisées, le Conseil avait estimé que la société Sony avait fait une application discriminatoire de ses conditions de vente au profit de groupes appartenant à la grande distribution ainsi qu'à la CAMIF, entreprise de vente par correspondance ; que le Conseil avait sanctionné, en application des articles 7 et 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'application discriminatoire, par la société Sony, de ses conditions de vente ; que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu pour le Conseil d'examiner à nouveau les conditions d'application des conditions de vente de la société Sony pour la période considérée ; que, s'agissant des faits dénoncés pour la période postérieure à celle sur laquelle le Conseil s'est déjà prononcé, l'instruction n'a pas établi l'existence de discriminations susceptibles de relever des dispositions du titre III de l'ordonnance ; qu'il n'y a donc pas lieu de notifier des griefs complémentaires de ce chef dans le cadre de la présente procédure ;

Sur les pratiques ayant fait l'objet de griefs :

Sur la coexistence dans les conditions de vente de la société Sony, d'un régime spécifique aux grossistes et d'un régime applicable aux revendeurs détaillants :

Considérant que le contrat de grossiste Sony en vigueur au moment des faits ne contenait aucune clause relative à la détermination des prix de revente aux détaillants ; que les sociétés saisissantes soutiennent que le contrat de grossiste pouvait permettre à des détaillants ne réalisant pas de services aux consommateurs de s'approvisionner auprès des grossistes et de bénéficier de conditions plus avantageuses que des détaillants plus importants rendant des services, lesquels auraient été contraints par le fabricant de s'approvisionner directement auprès de lui et auraient pu, de ce fait, être victimes d'une discrimination anticoncurrentielle ;

Considérant, ainsi que l'a admis la société Sony, qu'il n'est pas exclu que des distributeurs réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 50 000 F dans la vente de matériel haute fidélité et s'approvisionnant par l'intermédiaire du réseau de grossistes aient pu obtenir de ces grossistes des conditions plus favorables que celles qu'obtenaient certains détaillants réalisant un courant d'affaires plus important et approvisionnés directement par le fabricant ;

Mais considérant que le représentant de la société Sony a confirmé en séance que si les détaillants ne réalisant pas un courant d'affaires annuel supérieur à 50 000 F dans les ventes de matériel haute fidélité de marque Sony devaient s'approvisionner par l'intermédiaire de grossistes, en revanche, rien n'interdisait aux détaillants réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 50 000 F de s'approvisionner par l'intermédiaire des mêmes grossistes ; que si le représentant des sociétés Jean Chapelle, Semavem et Concurrence a mis en doute cette déclaration, il n'a pas apporté d'éléments de nature à la contredire ; qu'ainsi les revendeurs détaillants réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 50 000 F dans ce secteur pouvaient soit s'approvisionner directement auprès de la société Sony, soit s'approvisionner auprès d'un grossiste et bénéficier ainsi des conditions proposées par ce dernier ; que, dès lors, il n'est pas établi que ces revendeurs auraient été victimes de discriminations anticoncurrentielles ;

Sur l'octroi de la rémunération de l'exposition des produits Sony aux sociétés saisissantes :

Considérant qu'il ressort des conditions de vente de la société Sony applicables en 1990, 1991 et 1992 que cette entreprise acceptait de rémunérer les revendeurs qui procédaient à l'exposition des produits, au vu d'une facture établie par lesdits revendeurs ; que, s'agissant des groupements d'entreprises, un responsable de la société Sony avait déclaré, le 13 juillet 1990, que, outre la remise de centralisation, ceux-ci "bénéficient de la rémunération pour l'exposition des produits" et que notamment le groupement de commerçants indépendants Gitem bénéficiait de ces avantages ;

Considérant que, répondant à une question posée par la presse en octobre 1990, le responsable du groupement Intermarché déclarait, au sujet des services que pourraient être amenés à rendre les magasins à enseigne Logimarché, que l'"initiative sera laissée à chacun" ; que ces déclarations n'ayant pas été démenties, il avait, dès lors, paru nécessaire à Sony d'exiger des engagements de la part des responsables de magasins concernés ;

Considérant ainsi que le fait valoir la société Sony dans ses observations écrites, les parties saisissantes ne produisent aucune facture relative au service d'exposition, ce qui tend bien à établir que le service n'a pas été rendu ; que, par ailleurs, les engagements des exploitants de magasins à enseigne Logimarché informant la Semavem de leur "décision d'exposer les produits Sony" n'ont été pris qu'au cours du mois de janvier 1991, après un rappel adressé à la Semavem par la société Sony et peu de temps avant la rupture des relations commerciales entre la société Semavem et le groupement Intermarché ; qu'il n'est donc pas établi, au vu des éléments versés au dossier, que la société Sony ait refusé d'accorder la possibilité aux magasins Intermarché de facturer le service d'exposition et que l'exigence formulée par la société Sony à l'égard de la société Semavem au sujet des magasins du groupement Intermarché avait pour objet ou ait pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; que les discussions intervenues dans le milieu de l'année 1990 entre les parties au sujet de la rémunération du service d'exposition de matériel Sony dans les magasins adhérents au groupement Intermarché revêtent le caractère d'un litige purement commercial, d'ailleurs porté devant la juridiction commerciale compétente ;

Sur les nouvelles conditions exigées des groupes de sociétés ou des groupements de distributeurs pour l'octroi des remises quantitatives :

Considérant que la société Sony a continué, postérieurement à la décision n° 90-D-42 du 6 novembre 1990 susvisée, de permettre aux groupes composés d'entreprises juridiquement indépendantes qui mettaient en œuvre "une politique commerciale commune sous une enseigne unique" d'agréger leurs chiffres d'affaires pour le calcul des remises quantitatives ; qu'à partir du 1er avril 1992, elle a également étendu le bénéfice de cette possibilité aux entreprises "liées entre elles au sens du droit des sociétés, dont l'une d'entre elles possède directement ou indirectement plus de 50 p. 100 du capital de l'ensemble des autres, et qui mettent en œuvre une politique d'achat commune et centralisée vis-à-vis de Sony" ;

Considérant que la société Sony justifie l'extension de la possibilité d'agrégation des chiffres d'affaires pris en compte pour le calcul des remises quantitatives par le fait que, dans les groupes de sociétés, "la nécessité d'une politique d'achat commune, qui implique un interlocuteur unique, réduit le nombre des démarches et permet d'optimiser la politique commerciale et la stratégie marketing" ; que, de ce fait, le fabricant trouverait une contrepartie à l'avantage financier accordé aux groupes d'entreprises ayant entre elles des relations de mère à filiale, comparable à celui qu'elle obtient des groupements de sociétés mettant en œuvre une politique commerciale commune sous une enseigne unique ;

Mais considérant, d'une part, que la nouvelle disposition introduite par la société Sony dans ses conditions de vente ne faisait pas explicitement obligation aux groupes d'entreprises désirant bénéficier de l'agrégation de leur chiffre d'affaires pour le calcul des remises quantitatives de désigner un interlocuteur unique pour leurs achats auprès de la société Sony et, d'autre part, qu'à supposer que la clause ait tacitement impliqué la désignation d'un interlocuteur unique, il n'est pas établi que des entreprises sans lien juridique et financier, désireuses de mener une politique d'achat commune et centralisée vis-à-vis d'un fournisseur, ne soient pas en mesure de désigner un interlocuteur unique et d'offrir à la société Sony les mêmes avantages que ceux justifiant l'octroi de la possibilité d'agrégation des chiffres d'affaires ;

Considérant que la société Sony soutient par ailleurs que l'extension de la possibilité d'agréger les chiffres d'affaires aux sociétés mères et filiales serait également justifiée par le fait que l'appartenance d'un ensemble d'entreprises clientes à un groupe financier réduirait considérablement le risque financier du fournisseur ; que cependant, la solidarité de groupe alléguée par la société Sony est loin d'être généralisée et n'existe, comme elle l'indique dans ses observations qu'à l'"état de tendance" ; qu'en outre, aucun engagement de garantie financière ne figure dans la clause introduite en 1992 de telle sorte que des groupes ne pratiquant pas la solidarité financière étaient susceptible d'en bénéficier ; qu'enfin l'éventuel avantage associé à l'appartenance de plusieurs entreprises clientes à un même groupe pratiquant la solidarité financière est acquis pour le fournisseur même si les entreprises en cause, n'ont pas une politique d'achat centralisée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'extension de la possibilité d'agréger les chiffres d'affaires introduite dans les conditions de vente de la société Sony à compter du 1er avril 1992 était manifestement discriminatoire dans la mesure où elle pouvait permettre à la société Sony de traiter différemment des groupes de détaillants lui offrant le même service ; qu'émanant d'un fabricant qui, s'il avait une position comparativement faible en ce qui concerne les ventes de magnétoscopes, détenait des parts de marché variant de 10 à 36 p. 100 pour les autres types de produits d'électronique grand public, cette clause a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché et est visée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence "peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 10 millions de francs. Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique et l'insertion de sa décision dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou de directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée" ;

Considérant que pour apprécier la gravité de la distorsion de concurrence associée à la modification, à partir du 1er avril 1992, des conditions de vente de la société Sony étendant la possibilité d'agrégation du chiffre d'affaires pour le calcul des remises quantitatives à certains groupes d'entreprises, il y a lieu de tenir compte, d'une part, de la place occupée par la société Sony sur les marchés de l'électronique grand public et, d'autre part, du fait que selon ses déclarations, cette entreprise a appliqué cette clause depuis le 1er avril 1992;

Considérant que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Sony France au cours de l'exercice clos le 31 mars 1995 s'est élevé à 4 188 260 966 F ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et d'infliger une sanction pécuniaire de 200 000 F à la société Sony France,

Décide :

Article 1er : Il est enjoint à la société Sony France, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, de modifier ou de supprimer la clause de ses conditions de vente relative à l'octroi des remises quantitatives aux groupes et groupements de sociétés.

Article 2 : Il est infligé une sanction pécuniaire de 200 000 F à la société Sony France.