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Décisions

Conseil Conc., 19 décembre 2001, n° 01-MC-06

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisines et demandes de mesures conservatoires présentées par les sociétés Télé 2 et Cégétel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de M. Lavergne, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, M. Nasse, vice-président, Mmes Flüry-Hérard, Mouillard, MM. Bidaud, Gauron, membres.

Conseil Conc. n° 01-MC-06

19 décembre 2001

Le Conseil de la concurrence (section III A),

Vu la lettre enregistrée le 9 octobre 2001 sous les n° F 1345 et M 288, par laquelle la société Télé 2 a saisi le Conseil de la concurrence de certaines pratiques de la société France Télécom qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires, ainsi que sa lettre complémentaire du 30 octobre 2001 ; Vu la lettre enregistrée le 12 octobre 2001 sous les n° F 1350 et M 289, par laquelle la société Cegetel a saisi le Conseil de la concurrence de certaines pratiques de la société France Télécom qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires ; Vu le livre IV du Code de commerce et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu la décision de secret des affaires n° 01-DSA-13 du 17 octobre 2001 ; Vu la décision de secret des affaires n° 01-DSA-18 du 21 novembre 2001 ; Vu l'avis n° 01-1058 adopté par l'Autorité de régulation des télécommunications le 7 novembre 2001, à la demande du conseil, sur le fondement des dispositions de l'article L. 36-10 du Code des postes et télécommunications ; Vu l'avis n° 01-1084 adopté par l'Autorité de régulation des télécommunications le 14 novembre 2001, à la demande du conseil, sur le fondement des dispositions de l'article L. 36-10 du Code des postes et télécommunications ; Vu les observations présentées par les sociétés Télé 2, Cégétel, France Télécom et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ;

Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Télé 2, Cégétel et France Télécom entendus lors de la séance du 6 décembre 2001 ;

Sur les offres tarifaires et la campagne publicitaire de France Télécom,

Considérant que la société France Télécom propose au public cinq offres commerciales, " Forfait Local ", " MaLigne Locale ", " Ligne Pro Locale ", " Option Plus " et " Ligne Tchatche ", dans le secteur de la téléphonie fixe ; que le " Forfait Local ", offert depuis décembre 1996, consiste en un forfait mensuel de communications locales et d'accès à Internet, utilisables entre 18 h 00 et 8 h 00 en semaine, les week-ends et jours fériés ; que l'offre " MaLigne Locale ", proposée depuis l'automne 2000, permet d'obtenir un abonnement à une ligne analogique combiné à un forfait mensuel de communications locales et d'accès à Internet selon quatre durées prédéterminées, 3 heures, 5 heures, 8 heures ou 20 heures, ainsi qu'un " service Contact " à choisir parmi trois services, le Transfert d'Appel, le Signal d'Appel et la Présentation du Numéro ; que l'offre " Ligne Pro Locale ", comparable à la précédente, à destination des clients professionnels, inclut également l'abonnement à la ligne, un forfait mensuel de communications locales et d'accès à Internet selon cinq durées, 4 heures, 6 heures, 10 heures, 20 heures ou 30 heures, ainsi que des services complémentaires parmi lesquels la parution gratuite dans les Pages Jaunes, la garantie de temps de rétablissement en cas de panne ou les services contacts de France Télécom ; que l'offre " Option Plus ", disponible depuis juin 2001, permet aux clients résidentiels et professionnels, moyennant un abonnement mensuel à l'option, de bénéficier de tarifs spécifiques pour leurs communications de voisinage, longue distance, internationales et à destination des mobiles ; enfin, que l'offre " Ligne Tchatche ", commercialisée depuis octobre 1999, permet aux abonnés d'une ligne téléphonique de disposer d'une seconde ligne moyennant un prix forfaitaire mensuel incluant l'abonnement et un forfait de communications locales de 10 ou 15 heures ; que la société France Télécom a lancé depuis le 13 septembre 2001 une campagne publicitaire sur de nombreux supports, presse écrite, radio, télévision et affichage, associant les avantages des offres tarifaires " MaLigne Locale " et " Option Plus " ainsi que ceux de la " Ligne Pro Locale " et d'" Option Plus " ;

Considérant que la société Télé 2 a saisi le Conseil de la concurrence le 9 octobre 2001 de diverses pratiques de couplage exercées par la société France Télécom au moyen de ses offres tarifaires " MaLigne Locale ", " Ligne Pro locale ", " Option Plus " et " Ligne Tchatche " ; qu'elle estime que la présentation couplée par France Télécom, à l'occasion d'une campagne publicitaire programmée pour durer jusqu'à la fin de l'année 2001, des services " MaLigne Locale " et " Option Plus ", ainsi que des services " Ligne Pro locale " et " Option Plus ", constitueraient des abus de position dominante ; qu'il en serait de même des prix pratiqués sur les offres " MaLigne Locale " pour les forfaits de 3 heures, 5 heures et 8 heures, ainsi que sur les offres " Ligne Pro Locale ", qui seraient selon elle prédateurs, et des tarifs de l'offre " MaLigne Locale " qu'elle dénonce comme étant des prix abusivement bas ; qu'elle estime, par ailleurs, anticoncurrentiel le couplage par France Télécom de l'abonnement téléphonique et d'un forfait de communications locales dans ses offres " MaLigne Locale ", " Ligne Pro Locale " et " Ligne Tchatche ", ainsi que le couplage, dans les formules " Forfait local ", " MaLigne Locale " et " Ligne Pro Locale ", de communications locales et de communications à destination de numéros permettant d'accéder à Internet ; que la société Télé 2 a dénoncé au conseil, le 30 octobre 2001, de nouvelles pratiques de France Télécom qu'elle estime anticoncurrentielles et consistant à présenter aux abonnés la souscription aux offres tarifaires " MaLigne Locale " et " Option Plus " comme entraînant obligatoirement la résiliation de leur présélection auprès d'un opérateur alternatif ;

Considérant que la société Cegetel a saisi le conseil le 12 octobre 2001 de pratiques de couplage effectuées par France Télécom au moyen de ses offres tarifaires " Forfait Local ", " MaLigne Locale ", " Ligne Tchatche " et " Ligne Pro Locale " ; qu'elle dénonce le caractère anticoncurrentiel de la promotion simultanée par France Télécom, lors d'une campagne publicitaire, de ses offres tarifaires " MaLigne Locale " et " Option Plus " ; qu'elle prétend également que le couplage de services en concurrence, les communications locales, et de prestations en quasi-monopole, l'abonnement téléphonique et/ou l'accès aux numéros Internet de type 0860 et 0836, dans les offres " Forfait Local ", " Ligne Tchatche ", " MaLigne Locale " et " Ligne Pro Locale ", constitue un abus de position dominante ; qu'elle soutient, enfin, que France Télécom pratique des prix prédateurs pour les forfaits de 3 heures, 5 heures et 8 heures de l'offre tarifaire " MaLigne Locale " ;

Sur la jonction,

Considérant que la saisine de la société Télé 2, enregistrée sous les n° F 1345 et M 288, et la saisine de la société Cegetel, enregistrée sous les n° F 1350 et M 289, sont dirigées contre les mêmes pratiques, émanant de la même entreprise, et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule et même décision ;

Sur la procédure,

Considérant que la société France Télécom fait valoir que l'avis rendu le 14 novembre 2001 par l'ART, à la demande du conseil, sur la saisine de la société Cegetel ne lui a été communiqué que le 19 novembre 2001, alors qu'elle devait remettre ses observations pour le 21 novembre 2001 ; qu'elle fait valoir aussi que la société Télé 2 a déposé au Conseil de la concurrence, le 27 novembre 2001, des pièces complémentaires alors que le délai qui lui était imparti, était expiré ; qu'il en a été de même pour la société Cegetel qui a déposé des pièces les 26 et 30 novembre 2001 ;

Mais considérant qu'aucune disposition du Code de commerce et du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 n'impose de délais pour la mise en état de procédures de mesures conservatoires qui se caractérisent par l'urgence mais dont l'instruction doit permettre, dans un temps nécessairement restreint, de réunir le plus d'éléments possible sur le bien fondé de la demande ; que lorsque le président du conseil, usant de la faculté qu'il tient de l'article 15 du décret précité, décide, pour une meilleure organisation du débat, de fixer des délais aux parties, le dépôt de pièces après l'expiration du temps imparti ne saurait justifier, sur ce seul fondement, leur rejet de la procédure dès lors que la partie adverse a bénéficié d'un temps suffisant pour assurer sa défense au regard des pièces ainsi produites ; qu'en l'espèce, la société France Télécom a déclaré en séance qu'elle acceptait que les pièces déposées par la société Télé 2 le 27 novembre et par la société Cegetel les 26 et 30 novembre figurent au dossier ;

Sur la recevabilité de la saisine au fond de la société Cegetel,

Considérant que la société France Télécom conteste l'intérêt à agir de la société Cegetel ; qu'elle fait valoir que la saisine met en cause l'application des dispositions de la décision de l'ART n° 01-691 du 18 juillet 2001 précisant les conditions et les délais de mise en œuvre de la sélection du transporteur pour les appels locaux internes aux zones locales de tri ; que cette décision prévoit, notamment, que les opérateurs doivent demander, avant le 15 novembre 2001, la suppression du tri des appels locaux pour que celle-ci puisse être mise en œuvre avant le 31 décembre 2001 ; que la société Cegetel se présenterait au conseil comme un opérateur ayant demandé à France Télécom la suppression du tri des appels locaux, aux fins de pouvoir lancer une offre de sélection intégrée, dès le 1er janvier 2002 ; que, néanmoins, parmi les douze demandes d'opérateurs reçues par France Télécom, aucune d'entre elles n'émanerait de la société Cegetel ; que, seule la société Télécom Développement, filiale commune de la société Cegetel et de la SNCF, aurait fait une demande en ce sens ; que, dès lors, ce serait la société Télécom Développement qui aurait intérêt à agir ;

Mais considérant que la société Cegetel exerce des activités d'opérateur de réseaux et services de télécommunications et propose à ses clients des services de téléphonie fixe ; qu'elle met en cause dans sa saisine certaines pratiques de France Télécom liées à des promotions et des offres tarifaires à destination du public dans ce secteur et justifie, par conséquent, d'un intérêt à agir ; qu'ainsi, le moyen n'est, en tout état de cause, pas fondé ;

Sur les pratiques dénoncées,

Considérant, en premier lieu, que la société France Télécom soutient que les offres tarifaires "Forfait local ", " Ligne Tchatche ", " MaLigne Locale " et " Ligne Pro Locale " ont fait l'objet d'un avis favorable de l'ART et ont été homologuées par le ministre de l'Economie ; que le fait qu'elles soient commercialisées depuis longtemps exclut l'existence de tout objet anticoncurrentiel et que l'ART n'a pas remis en cause la structure de ces offres tarifaires lors de la mise en œuvre de l'extension de la sélection du transporteur aux appels locaux ; que, néanmoins, elle annonce avoir soumis à l'avis de l'ART et à l'homologation du ministre de l'Economie des décisions tarifaires portant sur de nouvelles offres, supprimant le couplage entre l'abonnement et les services complémentaires, d'une part, et les communications locales et longue distance, d'autre part ; qu'elle demande au conseil de prendre acte de ces engagements ;

Mais considérant que les offres tarifaires, " Ligne Tchatche ", " MaLigne Locale " et " Ligne Pro Locale " comportent un couplage entre, d'une part, l'abonnement téléphonique offert par France Télécom en situation de quasi-monopole tant que l'ouverture de la boucle locale à la concurrence n'est pas encore effective, ainsi que des services complémentaires et, d'autre part, les communications locales, qui seront offertes en concurrence lors de la suppression de la zone locale de tri à compter du 1er janvier 2002 ; qu'il y a lieu de prendre en compte également le fait que les offres " Forfait local ", " MaLigne Locale " et " Ligne Pro Locale " associent au sein d'un même forfait des communications locales et des communications à destination des numéros permettant l'accès à Internet ; que si, comme le relève l'ART, les mécanismes d'interconnexion indirecte applicables aux numéros d'accès à Internet ont permis le développement d'une offre diversifiée pour les clients finaux qui contractent avec les fournisseurs d'accès sans connaître l'opérateur de transport choisi par ces derniers, ce qui est le cas pour les numéros non géographiques dits " gratuits pour l'appelant ", il n'en est pas de même, en revanche, pour les numéros d'accès dits " payants pour l'appelant " de type 0860 et de certains numéros de type 0836 qui, à ce jour, ne peuvent techniquement faire l'objet d'une présélection ; que cette offre, qui continue aujourd'hui d'être proposée seulement par France Télécom, représente 25 % environ du trafic Internet, qui est lui-même en forte croissance ;

Considérant qu'à plusieurs reprises, et notamment dans son avis n° 00-A-26 du 15 février 2001, le Conseil de la concurrence a estimé qu'une pratique de couplage entre des produits ou des services offerts en monopole et des produits ou des services offerts en concurrence, pouvait constituer une atteinte à la concurrence ; que s'agissant de ces offres qui couplent les communications locales, d'une part, et l'abonnement ou les communications à Internet, d'autre part, s'il est vrai que la circonstance qu'elles ont été instituées bien avant l'ouverture effective à la concurrence des communications locales au 1er janvier 2002 établit qu'elles n'avaient pas, à l'époque, d'objet anticoncurrentiel, la poursuite de leur commercialisation dans la période qui précède immédiatement cette ouverture, au moyen d'une campagne publicitaire d'une grande ampleur à compter du 14 septembre 2001 peut avoir pour effet de dissuader les clients de s'intéresser aux nouvelles offres qui pourraient être faites par les concurrents pour les communications locales et donc de freiner leur pénétration dans ce secteur, dès lors qu'ils ne sont pas actuellement en mesure de proposer une offre comparable ; qu'on ne peut affirmer que l'existence, au profit des clients de France Télécom d'une faculté de résiliation des engagements souscrits, suffise à contrebalancer les effets que ces offres particulièrement attractives, notamment par leur simplicité, sont susceptibles d'exercer sur le marché ; qu'enfin, l'engagement de soumettre à l'homologation de nouvelles décisions tarifaires découplant l'abonnement et les services complémentaires, d'une part, et les communications locales, d'autre part, n'aura d'effet que pour l'avenir et reste sans incidence sur les offres en cours ;

Considérant, en deuxième lieu, que la société France Télécom fait valoir qu'il n'existerait pas de couplage publicitaire des offres " MaLigne Locale " et " Option Plus ", d'une part, " Ligne Pro Locale " et " Option Plus ", d'autre part ; qu'il s'agirait, en réalité, de " deux offres complémentaires mais bien distinctes " ;

Mais considérant que l'offre " MaLigne Locale " et " Option Plus " est présentée dans une brochure publicitaire éditée par France Télécom comme le " Duo gagnant (...) c'est tout simple : vous disposez de MaLigne Locale pour vos communications locales, à laquelle vous associez Option Plus pour bénéficier de prix très compétitifs sur toutes les autres destinations " ; que le synopsis de la publicité télévisée mentionne : " MaLigne Locale et Option Plus, 25 centimes la minute en national " ; qu'enfin, les affiches présentent : " Le plus simple et le meilleur de France Télécom c'est MaLigne Locale et Option Plus " ; que, par ailleurs, l'offre " Ligne Pro Locale " et " Option Plus " est présentée dans une publicité parue dans la presse quotidienne comme : " Ligne Pro Locale et Option Plus, une solution simple et économique pour votre téléphone " ; que, par ailleurs, l'ART indique, dans son avis n° 01-1058 susvisé, que : " France Télécom a reçu l'aval des pouvoirs publics sur deux offres en elles-mêmes licites dans le contexte dans lequel elles ont été présentées, et postérieurement procède à leur commercialisation de manière couplée ; ce faisant, France Télécom s'autorise à commercialiser une offre globale dont elle n'ignore pas qu'elle aurait été refusée par les pouvoirs publics si elle avait été soumise dans ces conditions à la procédure d'homologation " ; qu'il résulte de ces éléments que la société France Télécom a entendu lier ses deux offres tarifaires " MaLigne Locale " et " Option Plus ", d'une part, et ses offres " Ligne Pro Locale " et " Option Plus ", d'autre part, associant ainsi une offre d'abonnement, de communication locale et de communication longue distance, ce qu'à cette date elle était la seule à pouvoir faire ;

Considérant, en troisième lieu, que la société France Télécom conteste que ses offres " MaLigne Locale " puissent nuire au lancement d'offres intégrées par ses concurrents, aux motifs que seul un nombre extrêmement limité d'entre eux souhaiterait proposer à leurs clients à la fois des communications locales et des communications longue distance et que la grande majorité des opérateurs n'opterait pas pour l'extension de la sélection aux appels locaux ;

Mais considérant que France Télécom fait état de douze demandes d'opérateurs ayant d'ores et déjà demandé à France Télécom la suppression du tri des appels locaux sur une trentaine d'opérateurs ; qu'il ne peut être exclu que les pratiques dénoncées soient susceptibles de faire renoncer certains d'entre eux à proposer également au public des offres globales à leurs clients ; qu'il y a aussi lieu de rappeler que l'ART dans son avis du 23 mars 2001 a relevé à propos de l'offre " MaLigne Locale " que " les comptes d'exploitation prévisionnels relatifs aux contrats 3 heures, 5 heures et 8 heures ne sont pas équilibrés, même sans tenir compte de l'effet de la promotion " ;

Considérant, enfin, que la société France Télécom conteste le caractère anticoncurrentiel du mandat écrit de résiliation d'un éventuel choix antérieur de présélection auprès d'un autre opérateur, dont elle accompagne ses offres de souscription à " Option plus " ; qu'elle soutient qu'il ne peut lui être interdit de réserver certaines offres tarifaires aux clients dont l'acheminement des appels est présélectionné sur son réseau et donc d'en interdire l'accès à la sélection appel par appel par le préfixe " 8 " ; qu'elle fait, de plus, valoir qu'un client intéressé par l'offre " Option Plus " n'aurait aucun intérêt à utiliser cette offre appel par appel, celle-ci étant liée à un volume de communications significatif ;

Mais considérant que, s'il n'est pas illégitime de la part d'un opérateur de téléphone de réserver une proposition commerciale particulièrement intéressante aux clients qui s'engagent à lui confier une grande partie ou l'intégralité de leur trafic, il n'est pas exclu qu'une telle proposition, appuyée par une campagne publicitaire importante à un moment clé du processus de l'ouverture des marchés des télécommunications à la concurrence, puisse avoir pour objet et pour effet de dissuader les clients d'exercer la liberté de choix accrue qui est sur le point de leur être offerte, compte tenu notamment, de ce qu'en vertu de la décision n° 01 691 du 16 juillet 2001 de l'ART, la présélection s'effectue non par segment de marché mais globalement ; que, sur le plan technique, un abonné ayant choisi la présélection chez un opérateur concurrent de France Télécom peut toujours faire acheminer certains de ses appels par l'opérateur historique grâce à la sélection appel par appel via le préfixe " 8 " ; que le fait que France Télécom ait prévu l'inaccessibilité de l'offre " Option Plus " par le préfixe " 8 " ne paraît pas avoir n'a donc d'autre justification que celle de recouvrer la clientèle des abonnés ayant choisi la présélection chez un opérateur concurrent ; qu'à cet égard, l'ART indique, dans son avis n° 01-1084 du 14 novembre 2001, que : " en imposant de fait à ses clients de résilier la présélection d'un concurrent pour être en mesure de bénéficier de certains tarifs, France Télécom contrevient à son obligation (réglementaire), dès lors qu'il existe un moyen technique, le préfixe 8 qui lui a été attribué (...) et qu'elle se doit de rendre accessible à cet effet " ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments, qu'en l'état actuel du dossier et sous réserve de l'instruction au fond, il ne peut être exclu que le couplage de prestations en monopole et en concurrence dans les offres tarifaires " Forfait local ", " Ligne Tchatche ", " MaLigne Locale " et " Ligne Pro Locale ", ainsi que le couplage publicitaire des offres " MaLigne Locale " et " Option Plus ", d'une part, " Ligne Pro Locale " et " Option Plus ", d'autre part, constituent, dans un contexte de suppression du tri des appels locaux, des pratiques par lesquelles l'opérateur historique abuse de la position dominante qu'il ne conteste pas occuper pour la fourniture de l'abonnement à la ligne téléphonique et pour la fourniture au public de communications locales ainsi que pour les numéros d'accès à Internet dits payants pour l'appelant ; qu'il n'est pas exclu que les prix pratiqués sur certaines offres " MaLigne Locale " présentent un caractère anticoncurrentiel ; que ces pratiques pourraient avoir pour objet et pour effet de ralentir l'ouverture à la concurrence du marché des communications locales tout en faussant le jeu de la concurrence à l'égard des opérateurs longue distance, ceux-ci n'étant pas en mesure de proposer de telles offres ; qu'ainsi, elles pourraient entrer dans le champ d'application des dispositions du livre IV du Code de commerce et de l'article 82 du Traité de Rome ;

Sur les demandes de mesures conservatoires,

Considérant que la société Télé 2 fait valoir que les pratiques de France Télécom, consistant en des prix prédateurs et des prix abusivement bas et en une campagne publicitaire couplant plusieurs offres tarifaires de France Télécom, portent une atteinte grave et immédiate au secteur de la téléphonie fixe en France en provoquant un effet d'éviction et qu'elles empêchent les autres opérateurs de téléphonie fixe d'offrir au public des communications locales dans des conditions concurrentielles, ce qui préjudicierait à l'ensemble des consommateurs ; que la présentation couplée d'offres de communications locales et de communications de longue distance par France Télécom, opérateur historique, crée un trouble particulier à l'ordre public économique en contournant l'interdiction qui lui a été faite par l'ART, le conseil et le ministre chargé de l'Economie de proposer des forfaits tarifaires combinant des services sous monopole et des services ouverts à la concurrence ; que l'intérêt de la société Télé 2 serait lésé, l'ouverture à la concurrence des communications locales devant lui permettre d'augmenter fortement son chiffre d'affaires mensuel par client et d'équilibrer ainsi sa situation financière, alors que sa présence sur le marché est d'autant plus souhaitable qu'elle est " l'un des rares opérateurs pouvant permettre une ouverture effective, large et rapide de la concurrence " ; qu'elle soutient encore, dans sa saisine complémentaire, que France Télécom fait croire à ses abonnés que la souscription des offres " MaLigne Locale " et " Option Plus " exige la résiliation de toute présélection antérieure auprès d'un opérateur concurrent ;

Considérant que la société Télé 2 demande, en conséquence, au conseil d'enjoindre à France Télécom, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce :

en premier lieu, de suspendre l'ensemble de la campagne publicitaire litigieuse et, plus généralement, de lui interdire de promouvoir ensemble, sous quelque forme que ce soit, des offres de téléphonie fixe locale et de longue distance ;

en deuxième lieu, de cesser immédiatement la commercialisation de ses offres tarifaires " MaLigne Locale ", " Ligne Pro Locale " et " Ligne Tchatche ", jusqu'à ce qu'un nouveau tarif soit fixé sur avis conforme du Conseil de la concurrence ;

en troisième lieu et pour revenir à l'état antérieur nécessaire au choix des abonnés, d'enjoindre à France Télécom de résilier immédiatement l'ensemble des contrats conclus avec ses abonnés portant sur les offres tarifaires " MaLigne Locale ", " Ligne Pro Locale " et " Ligne Tchatche " ;

en quatrième lieu, de résilier l'ensemble des contrats souscrits après le 14 septembre 2001, date de lancement de la campagne publicitaire couplant les offres " MaLigne Locale " et " Option Plus " ;

en cinquième lieu, de cesser immédiatement de présenter, quel qu'en soit le support, les offres précitées comme étant incompatibles avec la présélection d'un opérateur alternatif que les abonnés ont pu souscrire ;

en sixième lieu, de ne plus adresser à ses abonnés des " mandats " l'autorisant à résilier au nom de ces derniers la présélection qu'ils ont préalablement souscrite auprès d'un opérateur alternatif ;

Considérant que la société Cegetel fait valoir, de son côté, que les pratiques de France Télécom s'inscrivent dans la perspective d'une nouvelle étape de l'ouverture à la concurrence des marchés des télécommunications, aussi importante que celle du 1er janvier 1998, puisque les communications locales seront ouvertes à la sélection et à la présélection au 1er janvier 2002 ; qu'un quart des clients résidentiels de la société Cegetel, dont la moitié ont opté pour la présélection, sont actuellement détenteurs de forfaits de France Télécom pour les communications locales et qu'au 1er janvier 2002, la société Cegetel ne sera pas en mesure de leur proposer d'offre alternative à celle de France Télécom, alliant abonnement et communications locales ; que ces pratiques freinent également le jeu de la concurrence en matière de fourniture de communications longue distance ; que, de ce fait, l'atteinte à la concurrence serait multiple, non seulement sur le secteur intéressé, mais également en ce qui concerne l'intérêt des consommateurs ;

Considérant que la société Cegetel demande, en conséquence, au conseil d'enjoindre à France Télécom, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce :

en premier lieu, de suspendre immédiatement la commercialisation de ses offres tarifaires " Forfait Local ", " MaLigne Locale ", " Ligne Pro Locale " et " Ligne Tchatche " jusqu'à ce que les opérateurs concurrents soient en mesure de commercialiser effectivement et dans des conditions techniques et économiques viables, des offres de même nature ;

en deuxième lieu, de découpler immédiatement, y compris pour les contrats en cours d'exécution, les offres tarifaires " Forfait Local ", " MaLigne Locale ", " Ligne Pro Locale " et " Ligne Tchatche ", en dissociant les services ou France Télécom opère en monopole de fait (l'abonnement téléphonique, les services " confort " et l'accès à Internet), des services en concurrence (les communications locales) et plus précisément, d'une part, d'exclure l'abonnement à la ligne téléphonique des offres tarifaires " MaLigne Locale ", " Ligne Pro Locale " et " Ligne Tchatche ", d'autre part, d'exclure les services " confort " des offres " MaLigne Locale " et " Ligne Pro Locale " et, enfin, d'exclure les communications Internet des heures de communications comprises dans les offres " Forfait Local ", " MaLigne Locale " et " Ligne Pro Locale " jusqu'à ce qu'un nouveau tarif soit fixé sur avis conforme du Conseil de la concurrence ;

en troisième lieu, de suspendre immédiatement la campagne de publicité couplée et en particulier de cesser d'inciter les clients ayant choisi la présélection d'opérateurs concurrents, à renoncer à cette présélection ;

Considérant qu'aux termes de l'article 464-1 du Code de commerce, les mesures conservatoires " ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante " ; que les mesures susceptibles d'être prises à ce titre " doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence "; que la mise en œuvre de ce texte suppose, soit la constatation de faits constitutifs de troubles illicites auxquels il conviendrait de mettre fin sans tarder, soit que les faits dénoncés et visés par l'instruction dans la saisine au fond soient suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l'atteinte relevée ;

Considérant, qu'ainsi que le relève l'ART, l'ouverture à la concurrence de la téléphonie fixe a pris son essor à compter de la mise en place de la sélection du transporteur au début de l'année 1998 ; qu'en effet, la possibilité pour les opérateurs de fournir leurs propres services téléphoniques repose sur la fourniture par France Télécom d'une offre dite d'interconnexion directe permettant l'acheminement des communications du client raccordé au réseau de France Télécom jusqu'à un point d'entrée du réseau de l'opérateur ; que par une première décision n° 97-345 en date du 17 novembre 1997, l'ART a défini le département comme étant la zone au-delà de laquelle les appels sont pris en charge par le transporteur sélectionné par le client, les appels à l'intérieur du département étant acheminés par l'opérateur de boucle locale, soit, dans la quasi-totalité des cas, par France Télécom ; que par une seconde décision n° 99-1077 en date du 8 décembre 1999, l'ART a choisi de limiter à un seul le nombre d'opérateurs pouvant être présélectionné sur une ligne donnée, les clients conservant la possibilité de recourir à d'autres opérateurs dans le cadre de la sélection appel par appel ; que la présélection du transporteur (appel par appel ou par présélection) a été étendue aux appels émis depuis le réseau fixe à destination des mobiles, à compter du 1er novembre 2000 ; qu'enfin, en vertu de la décision n° 01-691 de l'ART du 18 juillet 2001, qui a été homologuée par le secrétaire d'Etat à l'Industrie, le 27 septembre 2001, l'opérateur qui le souhaite, pourra, à partir du 1er janvier 2002, acheminer les appels des clients qui l'auront présélectionné également à l'intérieur du département ; que cette décision a donc aussi ouvert à la concurrence les communications locales dans le secteur de la téléphonie fixe ; que ces communications locales doivent être distinguées de l'accès au réseau sur lequel l'établissement d'une concurrence effective suppose la mise en œuvre d'autres dispositifs permettant aux opérateurs de disposer d' un lien direct avec le client final ; que, selon l'ART, " ces dispositifs existent en théorie (dégroupage de la boucle locale notamment) mais n'ont pas conduit à ce stade à la fourniture d'offres alternatives d'ampleur significative " ; que la date du 1er janvier 2002, ainsi que la période qui précède ou qui suit cette date, représentent donc un moment important dans le processus d'ouverture du secteur de la téléphonie fixe à la concurrence ; que cette situation implique, notamment, que l'opérateur dominant, dont les communications locales représentent 65 % des communications téléphoniques des réseaux fixes, n'adopte pas des comportements de nature à faire obstacle à cette ouverture du marché et à la concurrence par les mérites qui doit s'y dérouler ; que,dans ces circonstances, des pratiques susceptibles de ralentir l'ouverture à la concurrence du marché des communications locales, tout en faussant le jeu de la concurrence entre les opérateurs longue distance, portent une atteinte grave et immédiate au secteur concerné, aux entreprises victimes des pratiques et aux consommateurs;

Considérant que la société France Télécom conteste la nécessité de prendre des mesures d'urgence, dès lors qu'elle s'est engagée à découpler, dans ses offres, l'abonnement et les services complémentaires qui y sont attachés et à soumettre à l'homologation, dans les meilleurs délais, les décisions tarifaires qu'elle prendra à cet effet, ce qui permettra, de plus, à l'ART d'exercer son contrôle sur le niveau des tarifs proposés, et dans la mesure où la campagne publicitaire mise en cause a pris fin le 19 novembre 2001 pour les grands médias ; qu'en ce qui concerne les mesures conservatoires demandées, elle fait valoir que la demande visant à supprimer le couplage dans les contrats en cours serait disproportionnée compte tenu des contraintes et des modalités de mise en œuvre d'un tel processus ;

Mais considérant que l'engagement de France Télécom ne vise qu'à soumettre à l'homologation, au plus tard le 1er décembre 2001, des décisions tarifaires destinées à remplacer ultérieurement les offres comportant des couplages de prestations ; qu'il ne s'applique que pour l'avenir et est sans incidence sur les offres tarifaires en cours ; que selon les données qui ont été fournies par les parties en séance et qui ne sont pas contestées, au 14 septembre 2001, date du début de la campagne publicitaire associant " MaLigne Locale " et " Option Plus ", 1 million de clients environ avaient souscrit l'offre " MaLigne Locale " (cf. communiqué de France Télécom) ; qu' à la date du 26 novembre, ils étaient 1 630 000, ce qui permet de se rendre compte de l'impact de cette campagne publicitaire ; que si la société France Télécom a communiqué au conseil le calendrier de la campagne publicitaire à destination du grand public (du 14 septembre au 15 octobre pour la télévision, du 17 septembre au 18 novembre pour la presse, du 19 septembre au 25 septembre pour l'affichage et du 19 septembre au 23 octobre pour la radio), il subsiste des opérations de marketing direct présentant les offres " MaLigne Locale " et " Option Plus " comme une offre globale, ainsi que des dépliants et des affichages publicitaires dans les agence France Télécom ; que, par ailleurs, France Télécom ne prend aucun engagement quant à une renonciation à une éventuelle reprise de cette campagne ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les pratiques dénoncées permettent à France Télécom de prendre une avance décisive sur ses concurrents en proposant aux consommateurs des offres couplées combinant un abonnement à la ligne téléphonique, un accès au numéros Internet payants pour l'appelant, des services complémentaires, des communications locales et longue distance ; que ces pratiques, qui présentent le risque que la concurrence soit durablement faussée dans un contexte de suppression du tri des appels locaux à compter du 1er janvier 2002, revêtent un caractère de gravité et d'immédiateté de nature à porter atteinte au secteur intéressé et à l'intérêt des consommateurs, qui justifie le prononcé de mesures conservatoires ;

DÉCIDE

Article 1er. - Les saisines F 1345 et M 288 de la société Télé 2 et F 1350 et M 289 de la société Cégétel sont jointes.

Article 2. - Il est enjoint à la société France Télécom de suspendre sur tous supports, y compris par des procédés de " marketing direct ", l'ensemble de la campagne publicitaire lancée à compter du 14 septembre 2001 et relative à la présentation combinée des offres " MaLigne Locale " et " Option Plus ", ainsi que " Ligne Pro Locale " et " Option Plus ", et de s'abstenir de toute autre campagne publicitaire, quel qu'en soit le support, destinée à promouvoir ces offres.

Article 3. - Il est enjoint à la société France Télécom :

de suspendre la commercialisation des offres " Forfait local ", " MaLigne Locale ", " Ligne Pro Locale " et " Ligne Tchatche " auprès de nouveaux abonnés, tant que ces offres couplent des prestations offertes en concurrence et des prestations maintenues en monopole, comme la fourniture de l'abonnement à la ligne téléphonique ou l'accès aux numéros Internet payants pour l'appelant de type 0860 et certains numéros de type 0836 ;

pour l'avenir, de modifier ses offres tarifaires afin de séparer ces différentes catégories de prestations, aucune offre groupant des prestations ouvertes à la concurrence et des prestations offertes en monopole ne pouvant être proposée jusqu'à la mise en place effective des conditions de concurrence permettant aux opérateurs tiers de proposer, s'ils le souhaitent, des offres alternatives ;

pour les contrats en cours, de proposer à ses clients, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision, de nouvelles offres découplées. Ces nouvelles propositions doivent être accompagnées d'une information sur la situation nouvelle crée par la décision de l'Autorité de régulation des télécommunications n° 01-691 du 18 juillet 2001, homologuée par le secrétaire d'Etat à l'Industrie le 27 septembre 2001 ouvrant à compter du 1er janvier 2002 les communications locales à la sélection des transporteurs ainsi que sur l'obligation dans laquelle se trouve France Télécom de ne pas proposer, au sein d'une même offre, des prestations en concurrence, ce qui est désormais le cas des communications locales, et des prestations en quasi-monopole, ce qui est toujours le cas de l'abonnement, de l'accès aux numéros Internet payants pour l'appelant de type 0860 et de certains numéros de type 0836 ;

Article 4. - Il est enjoint à la société France Télécom de suspendre la pratique consistant à présenter " Option Plus " comme incompatible avec la présélection des opérateurs alternatifs, et d'informer, avant le 31 janvier 2002, tous les clients ayant souscrit à cette offre, de ce qu'elle n'est pas incompatible avec la présélection d'opérateurs alternatifs.