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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 21 janvier 2000, n° 99-03421

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministère Public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Conseillers :

M. Selstenperger, Mme Marie

Avocat :

Me Apery

TGI Paris, du 14 avr. 1999

14 avril 1999

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal, par jugement contradictoire a déclaré :

- D Claude coupable d'obstacle au contrôle des agents habilités et des rapporteurs du Conseil de la concurrence, du 26 novembre 1997 au 13 mars 1998, à Pont-Audemer, Paris, infraction prévue par les articles 52, 45 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, l'article L. 141-1 § IV du code de la consommation et réprimée par l'article 52 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986.

- D Christophe coupable d'obstacle au contrôle des agents habilités et des rapporteurs du Conseil de la concurrence, du 26 novembre 1997 au 13 mars 1998, à Pont-Audemer, Paris, infraction prévue par les articles 52, 45 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, l'article L. 141-1 § IV du code de la consommation et réprimée par l'article 52 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986.

Et par application de ces articles, a condamné :

- D Claude à 3 mois d'emprisonnement. Amende délictuelle : 50.000 F.

- D Christophe à amende délictuelle : 10.000 F.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur D Claude, le 21 avril 1999.

Monsieur D Christophe, le 21 avril 1999.

Monsieur le Procureur de la République, le 21 avril 1999 contre Monsieur D Claude, Monsieur Duval Christophe.

Décision :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels des prévenus et du Ministère Public interjetés à l'encontre du jugement entrepris auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention.

Claude D présent et assisté de son conseil, sollicite sa relaxe faisant valoir :

En premier lieu que l'article 52 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne saurait fonder des poursuites à son encontre dans la mesure où elles sont contraires aux dispositions de l'article 14 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques qui garantit le droit à toute personne à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable, et aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui permet à tout accusé, au sens autonome de cet article, de se taire et de ne pas contribuer à sa propre discrimination.

Que le Ministère Public au travers des présentes poursuites entend faire peser sur lui une véritable obligation de coopération, qui non seulement n'est pas prévue par l'ordonnance du 1er décembre 1986, mais qui est également contraire aux dispositions précitées.

Qu'en effet, l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit le droit pour toute personne accusée d'une infraction pénale à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable.

Que si la Convention européenne des droits de l'homme ne contient pas expressément ce principe, la Cour européenne des droits de l'homme a cependant considéré dans l'arrêt Funke que l'article 6 de ladite convention comporte le droit pour tout accusé de se taire et celui de ne point contribuer à sa propre incrimination.

Que la Cour de Justice des Communautés Européennes a considéré dans l'arrêt Hoescht (CJCE, 21 septembre 1989, arrêt Hoescht c/ Commission) que les droits de la défense doivent être respectés dans les procédures administratives susceptibles d'aboutir à des sanctions et qu'il importait d'éviter que ces droits ne puissent être irrémédiablement compromis dans le cadre de procédures d'enquête préalable qui peuvent avoir un caractère déterminant pour l'établissement des preuves du caractère illégal de comportements d'entreprises de nature à engager leur responsabilité.

Que si dans l'arrêt Orkem (CJCE, 18 octobre 1989, arrêt Orkem) concernant une enquête sur l'existence d'accords ou de pratiques concertées contraires à l'article 85 § 1 du Traité CEE, la Cour de Justice des Communautés Européennes a estimé que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne contenait pas le droit de ne pas témoigner contre soi- même et que l'article 14 du Pacte international ne visait que les personnes accusées dans le cadre d'une poursuite judiciaire et était étranger au domaine des enquêtes en droit de la concurrence, elle a cependant jugé en se référant à l'arrêt Hoescht que si certains droits de la défense ne concernent que les procédures contradictoires qui font suite à une communication de griefs, d'autres doivent être respectés dès le stade de l'enquête préalable .

Que la Cour européenne des droits de l'homme estime que l'intérêt public ne saurait justifier l'utilisation de réponses obtenues de force dans une enquête non judiciaire pour incriminer l'accusé au cours d'une instance pénale .

Que la finalité administrative dans le cadre de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est de vérifier si l'entreprise a ou non contrevenu aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur concernant les pratiques anticoncurrentielles et, le cas échéant, de réunir les preuves matérielles de telles pratiques.

Que l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 autorise le ministre chargé de l'économie et des finances à produire devant les juridictions civiles et pénales les procès- verbaux et rapports d'enquête.

Que la phase d'enquête aboutira éventuellement au prononcé de sanctions en cas de poursuites devant le Conseil de la concurrence (ces sanctions sont de nature pénale au sens autonome que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme attribue à ce texte, (CA Paris 6 mai 1997, arrêt Bouygues) ou devant un tribunal de l'ordre judiciaire.

En second lieu, qu'il ne ressort pas du procès-verbal établi par les inspecteurs de la concurrence que le refus de communiquer oralement les renseignements et justifications demandées soit distinct des autres griefs mentionnés dans la citation et qu'il n'a donc pas à ce titre d'observations spécifiques à formuler distinctes de celles qui vont suivre.

Qu'il lui est reproché d'avoir cherché à limiter l'efficacité de l'intervention du 26 novembre 1997 en exigeant des enquêteurs qu'ils procèdent par questions-réponses, alors que l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'autorise pas les inspecteurs à procéder à un véritable interrogatoire ;

Qu'en effet, en vertu de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les enquêteurs peuvent recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications .

Que littéralement, cette disposition ne donne aucun pouvoir aux enquêteurs de procéder à un interrogatoire ni même d'ailleurs de forcer la personne concernée par les investigations de répondre à des questions posées.

Qu'au contraire, l'utilisation du terme recueillir paraît impliquer que les enquêteurs doivent se contenter de déclarations volontaires.

Qu'en outre, puisque l'ordonnance du 1er décembre 1986 crée des obligations à l'encontre des entreprises, il semble que le texte doive être interprété de façon restrictive et donc que les enquêteurs ne puissent pas procéder à un interrogatoire.

Que de plus, les inspecteurs des services déconcentrés de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes appartiennent au corps administratif et que ces fonctionnaires, dans le cadre de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, n'agissent pas en vertu d'un mandat judiciaire.

Qu'ils ne sont donc pas expressément habilités à procéder à un interrogatoire comme le serait, par exemple, un officier de police judiciaire.

Que l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne prévoit pas de forme particulière pour la rédaction des procès-verbaux.

Que cette ordonnance et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 prévoient deux types différents de procès-verbaux selon la nature de l'enquête.

Que selon l'article 31 du décret susvisé les procès-verbaux prévus dans le cadre de l'enquête dite lourde relatent le déroulement de la visite et consignent les constatation effectuées, l'inventaire des pièces et des documents saisis y est annexé, ces procès-verbaux étant rédigés sur le champ, signés par les enquêteurs, l'occupant des lieux et l'officier de police judiciaire chargé d'assister aux opérations.

Que dans le cadre de l'enquête dite simple, ce qui est le cas de l'espèce, l'article 48 de l'ordonnance a vocation à s'appliquer.

Qu'il résulte de ce texte et de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 que les procès- verbaux sont rédigés dans le plus court délai, qu'ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués et sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations ; qu'en cas de refus de celle-ci, mention en est faite au procès- verbal.

Que la loi et le décret semblent donc laisser une grande marge de liberté aux enquêteurs.

Que certes la Cour d'appel de Paris a déjà eu l'occasion de le constater dans un arrêt du 16 décembre 1994 et a considéré en visant les articles 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 31 du décret du 29 décembre 1986 qu' aucun disposition légale ou réglementaire n'exige la mention dans les procès-verbaux des questions posées aux personnes concernées .

Que toutefois la question n'est pas de savoir si la personne entendue est en droit d'exiger que ces questions soient reproduites dans les procès-verbaux mais de déterminer si les enquêteurs peuvent légitimement s'opposer à la demande qui leur est faite de retranscrire l'intégralité des échanges lors de l'enquête. Ce n'est que dans hypothèse qu'il pourrait y avoir opposition à l'exercice des fonctions des agents.

Qu'il est nécessaire pour permettre aux intéressés de rapporter la preuve des éventuelles irrégularités commises lors de l'enquête de pouvoir démontrer, précisément, les conditions dans lesquelles celle-ci a été conduite.

Qu'il est certain que le respect des droits de la défense entraîne un alourdissement des procédures d'enquête.

Que cette circonstance ne saurait néanmoins en aucun cas caractériser une entrave.

Que la question qui se pose, en vérité, et qui a été portée à la connaissance des services de la concurrence est de savoir si les inspecteurs, qui n'ont pas la qualité d'officier de police judiciaire peuvent procéder à un véritable interrogatoire et que dès lors, il est apparu indispensable que les procès-verbaux établis fassent mention des conditions dans lesquelles les auditions sont intervenues.

Qu'au surplus, les enquêteurs ont reproduit, selon leur interprétation et compréhension les réponses qu'il a formulées et ce sous forme de déclarations.

Que cette façon de faire qui peut conduire à une dénaturation des propos, n'est donc pas satisfaisante.

Qu'en restreignant les échanges de correspondances entre les sociétés du groupe PBM et les enquêteurs, il n'a eu que le souci d'éviter l'usage par ceux-ci de la ligne commerciale du télécopieur afin de s'assurer de la réception des documents (l'entreprise reçoit plusieurs centaines de télécopies par jour et les risques de perte sont importants), de la chronologie des transmissions et du déroulement de la procédure, et surtout de la confidentialité des transmissions.

Que, sur l'utilisation des manœuvres pour tenter de différer les interventions des enquêteurs prévues les 9 et 10 décembre 1997, il a été d'une part évoqué les difficultés que le conseil du concluant aurait à être disponible le 10 décembre 1997 pour le cas où sa présence apparaîtrait nécessaire et d'autre part demandé l'objet précis des interventions des enquêteurs, mais qu'on ne peut pas simultanément lui reprocher un manque de coopération et lui faire grief, par ailleurs, de solliciter par avance les informations nécessaires à la préparation des interventions des enquêteurs.

Qu'en lui reprochant d'avoir refusé de communiquer aux enquêteurs des photocopies des factures des sociétés du groupe PBM au motif qu'une des employées était absente, bien que les effectifs des sociétés Normandie Béton et PBM soient respectivement 35 personnes pour l'une et 66 personnes pour l'autre, les inspecteurs de la concurrence paraissent considérer que le travail demandé pouvait être aisément réalisé, alors qu'il s'agit d'un travail qui aurait, compte tenu du nombre de factures à photocopier, occupé un salarié pendant plusieurs années.

Qu'aucune critique ne peut lui être faite en ce qui concerne l'heure de fin de son audition et qu'il convient de rappeler que les enquêteurs n'ont pas la qualité d'officier de police judiciaire et ne disposent dont pas de la faculté de placer des personnes en garde à vue.

Que rien ne permet, contrairement à ce que soutient le ministère public, de considérer qu'il détenait les informations statistiques et commerciales concernant les sociétés du groupe PBM demandées.

Que c'est en réalité le contraire, ayant pu simplement à partir du document statistiques établi par la FIB (Fédération des Industries du Béton) constater quel était le chiffre d'affaires escaliers déclaré par les fabricants français et déterminer, sans disposer d'informations particulières, que le groupe PBM réalisait la moitié de ce chiffre d'affaires.

Que sur le refus de se présenter à la convocation du 13 mars 1998 dans les locaux de la Direction nationale des enquêtes de concurrence à Paris, il faut savoir que les enquêteurs avaient simplement demandé au concluant de venir chercher un procès-verbal et qu'il a estimé inutile d'effectuer 300 km pour ce seul motif.

Que ce comportement n'en en rien fait obstacle au déroulement de l'enquête et là encore il faut savoir que le procès-verbal en question lui a été adressé tout simplement par la voie postale.

Christophe D présent et assisté de son conseil, sollicite par voie de conclusions sa relaxe faisant valoir les mêmes moyens que Claude D.

Le Ministre de l'économie et des finances, représenté à l'audience par Christophe Deruche, dûment mandaté, demande voie de conclusions la confirmation des peines prononcées par le tribunal, faisant valoir :

En premier lieu que le procès-verbal du 13 mars 1998, très détaillé, relate un cumul de comportements qui témoignent d'une stratégie d'opposition aux investigations des enquêteurs de la DNEC par des manœuvres dilatoires, empêchant les enquêteurs de recueillir les renseignements et justifications nécessaires à leur enquête, effectuée dans le strict respect de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; notamment,

pour ce qui concerne Claude D :

1- En refusant de communiquer les renseignements et justifications demandés au motif que le mode de consignation des déclarations au procès-verbal ne lui convenait pas.

2- En exigeant la transcription des questions dans les procès-verbaux, en particulier lors de l'intervention du 26 novembre 1997.

3- En restreignant les échanges de correspondances avec les enquêteurs aux seuls lettres recommandées avec accusé de réception.

4- En mettant en œuvre des manœuvres afin de différer les interventions des 9 et 10 novembre 1997.

5- En refusant de communiquer les copies des factures demandées.

6- En entravant le bon déroulement de l'audition du 8 janvier 1998, ne permettant pas aux enquêteurs de recueillir les informations statistiques et commerciales demandées.

7- En réitérant ce refus, malgré plusieurs demandes.

pour ce qui concerne M. Christophe D :

1- En refusant tout échange avec les enquêteurs à l'exception de la lettre recommandée avec accusé de réception.

2- En refusant la communication des copies des factures demandées et l'accès des enquêteurs à l'appareil de photocopie.

Que la stratégie dilatoire adoptée par MM. D et D a atteint son objectif, les enquêteur n'ayant pu recueillir par prise de copie manuscrite, que le contenu d'une année de facturation nécessitant trois journées d'investigations consacrées à cette seule tâche et cela pour une seule entreprise du groupe.

Que les informations utiles en matière de prix et de parts de marchés n'ont pu donc être recueillies, ainsi que les renseignements et justifications relatives aux documents saisis dans les entreprises.

Que ces faits sont établis par le tribunal, celui-ci constatant qu'ils constituent un ensemble de manœuvres dilatoires tendant à empêcher la poursuite des investigations et manifestent . l'établissement d'une stratégie systématique d'obstruction. .

En second lieu que les éléments réunis par les enquêteurs pour l'instruction de ce dossier ont été néanmoins considérés comme suffisants pour que le ministre de l'économie saisisse le Conseil de la concurrence.

Que les mis en cause pourraient donc être amenés à invoquer la réalité de cette saisine pour faire reconnaître que le délit n'est pas constitué, les enquêteurs n'ayant pas été contraints, malgré ces différentes manœuvres, à ne pas donner suite à leur enquête.

Que l'impossibilité de recueillir des informations économiques relatives aux sociétés gérées par Claude D, imputables aux comportements d'obstruction des mis en cause, n'a pas permis d'évaluer la responsabilité de ce groupe d'entreprises dans les pratiques anticoncurrentielles relevées, alors que ces informations relatives aux prix pratiqués, chiffres d'affaires réalisés et parts de marché sur la période considérée, sont indispensables pour que le Conseil de la concurrence se prononce sur la gravité du dommage causé à l'économie du secteur et puisse infliger des sanctions adaptées (article 13 de l'ordonnance précitée joint aux présentes).

Que compte tenu du montant élevé des sanctions pécuniaires généralement encourues devant le Conseil, il apparaît que c'est de façon délibérée que Claude D et Christophe D ont procédé, afin d'en éviter la charge.

Rappel des faits :

Dans le cadre des dispositions prévues par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le premier vice-Président du Tribunal de grande instance d'Évry constatait, par ordonnance du 21 août 1997, qu'existaient des présomptions suffisantes sur le marché des éléments préfabriqués en béton à l'encontre des sociétés NB SARL, PBM SARL et P 68 SARL au regard des qualifications prévues à l'article 7 point 2 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence selon lequel sont prohibées les actions concertées visant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché et à l'article 7 point 4 de la même ordonnance, selon lequel sont prohibées les actions concertées visant à se répartir les marchés.

En conséquence, il autorisait Gérard Sorrentino, chef de service régional, chef de la Direction nationale des enquêtes de consommation à :

Procéder ou faire procéder à la visite des sièges des sociétés NBP et PBM dans les locaux même s'ils sont communes aux entreprises P 68, P 31, P 26, MS, S, S, sises route de Rouen, Manneville-sur-Risles à Pontaudemer (27500) et à la saisie de tous documents appartenant aux sociétés NB, P 68 et PBM nécessaires pour apporter la preuve que les pratiques présumées entraient dans le champ de celle prohibées par les points 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 (.) procéder ou faire procéder dans les locaux des entreprises ci-après désignées à l'ensemble des visites et saisies de tous documents nécessaires pour apporter la preuve des pratiques entrant dans le champ de celles prohibées par les points 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans le secteur des éléments préfabriqués en béton dans la mesure où elles ont été énoncées et présumées par notre ordonnance (.) société P 68 SARL rue d'Ensisheim 68310 Wittelsheim.

En application de cette ordonnance les locaux des sièges des sociétés NB, PBM, P 68, P 31 et P 26 étaient visités par les enquêteurs de la Direction nationale des enquêtes de consommation le 16 septembre 1997. Lors de cette opération, des documents étaient saisis concernant les sociétés NB et PBM dont Claude D est le gérant.

Par lettre recommandée avec accusé de réception les enquêteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes invitaient Claude D à se présenter le 26 novembre 1997 à 10 heures dans les locaux de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à Evreux afin de poursuivre l'enquête administrative concernant le secteur des éléments préfabriqués en béton.

Le même jour ils invitaient S L et G L, commerciaux de la société NB, à se présenter dans les mêmes locaux le 26 novembre 1997 à 14 heures et à 16 heures.

Par télécopie du 14 novembre 1997 adressée à Claude D ils précisaient les informations nécessaires pour l'audition prévue le 26 novembre 1997, informations commerciales et statistiques devant permettre d'apprécier l'existence de pratiques visées à l'article 7 points 2 et 4 de l'ordonnance n° 86.1243.

Claude D était informé qu'il devrait préparer un certain nombre de pièces, à savoir :

- la liste de tous les marchés traités par les sociétés de ce groupe depuis 1993,

- la liste de tous les marchés pour lesquels les sociétés du groupe ont été sous-traitantes en matière de préfabrication d'escaliers depuis 1993,

- la liste de l'ensemble des clients des sociétés du groupe NB depuis 1993,

- un descriptif de votre outil de production (liste de vos moules, capacité de production journalière de vis usines,...),

- les statistiques de vente en volume depuis 1993 concernant les escaliers VD et monoblocs.

Ces informations concerneront dans un premier temps l'Île-de-France (...).

Claude D se présentait le 26 novembre 1997 à 10 h 40 accompagné de son conseil. Il faisait une première déclaration préalable concernant l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie du premier vice-président du Tribunal de grande instance d'Evry , puis une deuxième retraçant l'historique du groupe PBM, il insistait enfin pour que figurent au procès-verbal les questions des enquêteurs.

Ceux-ci lui faisaient observer, dans un premier temps, qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoyait cette forme pour les procès-verbaux prévus par l'article 46 de l'ordonnance n° 86-1243, puis, dans un deuxième temps, contactaient téléphoniquement le chef de la Direction nationale des enquêtes de consommation qui confirmait cette position à Claude D et à son conseil en se référant à un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 décembre 1994.

Après lecture de ses déclarations, Claude D mentionnait sur le procès-verbal que ses déclarations n'avaient pas été recueillies mais qu'il avait répondu à des questions posées .

Il communiquait des copies de documents qui ne correspondaient pas à la demande formulée par les enquêteurs le 14 novembre 1997.

Par télécopie du 27 novembre 1997 Claude D écrivait aux enquêteurs afin de fixer une prochaine intervention dans les locaux de la société NB, en précisant que son avocat serait libre le 10 décembre 1997. Il leur demandait de confirmer la date d'intervention par lettre recommandée avec accusé de réception, en précisant que cette forme devait désormais être adoptée pour toutes leurs demandes.

Par télécopie du 1er décembre 1997 les enquêteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes confirmaient à Claude D leur intervention les 9 et 10 décembre dans les locaux du groupe PBM à Pont-Audemer et demandaient que leur soit communiqué à cette date copie de certains documents, conformément à l'article 47 de l'ordonnance n° 86-1243 ; Ces documents listés très précisément, concernaient en particulier les factures de vente depuis 1993 pour les départements de la région parisienne et le tarif du groupe PBM communiqué aux sociétés MSA, le Béton Mécanique et Béton Moderne 1993.

Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue à la Direction nationale des enquêtes de consommation le 4 décembre 1997 Christophe D, directeur général de la société NB, indiquait que le conseil de Claude D serait libre le 10 décembre 1997 ; il ajoutait qu'il refusait désormais toute correspondance sous forme de fax et n'accepterait que des courriers recommandés.

Par lettre avec accusé de réception du 3 décembre 1997, les inspecteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes confirmaient à Claude D leur intervention dans les locaux de la société NB les 9 et 10 décembre 1997.

Par lettre avec accusé de réception reçue à la Direction nationale des enquêtes de consommation le 5 décembre, Claude D indiquait qu'il désirait des précisions sur l'objet de l'enquête, qu'il serait absent le 9 décembre et qu'il était trop tard pour assurer la présence de son avocat le 10 décembre.

Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue par le destinataire le 6 décembre 1997, un inspecteur principal à la Direction nationale des enquêtes de consommation rappelait à Claude D que l'objet de l'enquête était précisé dans le fax du 1er décembre, dont copie lui était jointe et lui confirmait les interventions prévues les 9 et 10 décembre.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 décembre 1997, reçue par la Direction nationale des enquêtes de consommation le 9 décembre, Claude D, sous la signature de Christophe D, affirmait ne pas avoir reçu le fax du 1er décembre et indiquait ne pas pouvoir réaliser les copies des factures demandées car la personne pouvant effectuer ces travaux était en congé de maternité, précisant que ces travaux ne pourraient être faits qu'à son retour de congé et qu'il lui paraissait de ce fait difficile de recevoir les enquêteurs dans ses locaux où il ne leur serait remis que le tarif demandé.

Le 9 décembre 1997 les enquêteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes se présentaient à 10 h 15 dans les locaux de la société NB où Christophe D refusait qu'ils prennent photocopie des factures du groupe NBM et leur interdisait de passer des appels téléphoniques depuis ses locaux.

Les enquêteurs, rejoints par Claude D vers 15 heures, prenaient copie manuscrite de documents extraits de la boîte à archives PBM factures clients 04.1993 au 07.1994 A à C .

Le 10 décembre 1997 à 8 h 35 les enquêteurs se présentaient à nouveau dans les locaux de la société NB, Christophe D maintenant son refus de leur permettre de photocopier des factures, les enquêteurs poursuivaient la copie manuscrite des factures jusqu'à 19 h 20.

L'intervention prévue pour les 9 et 10 décembre, n'ayant pas permis de prendre copie de la totalité des factures, devaient être prolongée le 11 décembre.

Le 11 décembre 1997 les enquêteurs se présentaient à 8 h 30 dans les locaux de la société NB, Christophe D leur confirmait son refus d'accès à la photocopieuse, ajoutant qu'il ne voulait plus de contact par téléphone ou par télécopie avec leurs services et exigeant que la communication entre eux se fasse uniquement par courrier recommandé avec accusé de réception.

Les copies manuscrites effectuées au cours des interventions des 9, 10 et 11 décembre 1997 n'avaient permis aux enquêteurs de recueillir que des informations relatives aux ventes de la société PBM du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1994 ; les informations encore nécessaires à la poursuite de l'enquête concernaient les sociétés NB et P 68 pour les années 1993 à 1997 et la société PBM pour les années 1993, 1995, 1996 et 1997.

Pour obtenir ces informations les enquêteurs de la Direction générale des la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes convoquaient Claude D par lettre recommandée avec accusé de réception pour le 8 janvier 1998 à 17 heures et l'invitaient à réunir tous les éléments en sa possession afin qu'il puisse leur fournir les renseignements dont ils avaient besoin, à savoir :

1) le nombre et le type d'escaliers facturés mois pas mois par les sociétés PBM, NB, P 68, P 31, P 26 ; Cette demande s'étendant sur les années 1993, 1994, 1995, 1996, 1997 pour les société PBM, NB, P 68, P 31, P 26 ; sur les années 1993, 1995, 1996, 1997 pour la société PBM ;

2) le niveau des prix facturés pour chaque escalier identifié précédemment pour les années 1993, 1994, 1995, 1996, 1997 pour les sociétés PBM, NB, P 68, P 31, P 26.

3) la production mensuelle en tonne et en m3 correspondant aux ventes d'escaliers précédemment identifiés pour les sociétés PBM, NB, P 68, P 31, P 26 et ce pour les années 1993, 1994, 1995, 1996, 1997.

4) le chiffre d'affaires mensuel des ventes d'escaliers pour les sociétés PBM, NB, P 68, P 31, P 26 et ce pour les années 1993, 1994, 1995, 1996, 1997.

Par lettre recommandées avec accusé de réception datée du 6 janvier 1998 et reçue à la Direction nationale des enquêtes de consommation le 8 janvier 1998, Claude D leur répondait :

1) que ce travail ne pourrait être fait que manuellement et demandera plusieurs mois,

2) qu'il n'y a pas de prix régulier et cela demandera également un travail manuel très long,

3) qu'il est impossible de répondre l'ordinateur n'étant pas programmé en ce sens,

4) le travail ne pourra être fait que manuellement, l'ordinateur n'étant pas programmé en ce sens ;

Le conseil de Claude D précisait dans une télécopie transmise le 8 janvier 1998 que l'audition de son client ne pourrait pas se poursuivre après 20 heures.

Claude D se présentait le 8 janvier 1998 à 17 h, assisté de son conseil dans les locaux de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes et déclarait dès son arrivée :

J'ai reçu pendant mes vacances votre lettre du 19 décembre 1997 me demandant des précisions en matière de facturation d'escaliers par les différentes unités de production du groupe PBM. Je ne veux aucune explication orale. Je veux que vous répondiez à ma lettre du 6 janvier 1998 avec recommandé avec accusé de réception et que vous explicitiez vos questions. Si vous ne répondez pas à mon courrier, je ne ferai rien. Si vous ne notez pas questions sur le procès-verbal, je ne vous donnerai pas les réponses .

Les enquêteurs lui proposaient alors d'indiquer que ses déclarations pourraient porter sur les points présentés dans leur courrier du 19 décembre 1997.

Claude D déclarait alors qu'il refusait de répondre autrement que sous la forme d'un questionnaire comportant des question et des réponses, dont la transcription devrait figurer dans son intégralité dans le procès-verbal et ne voulait apporter lors de son audition les renseignements et justifications demandés par courrier du 19 décembre 1997.

Il maintenait cette position après que les enquêteurs lui aient donné lecture d'un extrait de la décision du Conseil de la concurrence du 29 novembre 1994 dans le secteur de la production et de la commercialisation du veau, où il est affirmé qu'il est constant que les procès-verbaux ne doivent pas à peine de nullité comporter la transcription des questions posées par l'enquêteur dont il n'est pas apporté le moindre commencement de preuve qu'elles auraient revêtu un caractère déloyal , et d'un extrait de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 19 décembre 1994 qui affirme qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'exige la mention dans les procès- verbaux des questions posées aux personnes concernées.

Les enquêteurs de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont conclu de ces faits que Claude D et Christophe D avaient mis en œuvre une stratégie ayant pour objet d'entraver l'instruction du dossier, par une lecture restrictive et erronée de l'article 47 de l'ordonnance n° 86-1243 en refusant la communication des informations nécessaires à cette instruction ; ils relevaient donc une infraction à l'article 52 e ladite ordonnance par procès-verbal clôturé le 27 février 1998 et invitaient Claude D et Christophe D, par lettre recommandée avec accusé de réception de cette date, à signer le procès- verbal le 13 mars 1998 à 14 heures dans les locaux de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.

Claude D et Christophe D ne se présentaient pas le 13 mars 1998.

Sur ce :

Considérant que si toute personne accusée d'une infraction pénale a le droit de ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable, ce principe n'interdit aux enquêteurs de la direction nationale de la concurrence ni d'entendre la personne soupçonnée de pratiques anticoncurrentielles ni de lui demander de fournir des renseignements factuels dès lors que celle-ci est informée de l'objet de l'enquête et que la recherche des preuves est entreprise avec loyauté.

Considérant que par conséquent les prévenus ne sont pas fondés à invoquer l'incompatibilité des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 avec les dispositions du pacte international relatif aux droits civils et politiques et les dispositions de la convention européenne des droits de l'homme ;

Considérant que les enquêteurs avaient informé les prévenus de l'objet de leur examen de leur situation de l'entreprise au regard du droit de la concurrence et leur avaient demandé de fournir un certain nombre de documents précis et en rapport avec cet objet, laissant aux intéressés la possibilité de les discuter et de se faire assister de leur conseil ;

Considérant que les enquêteurs tiraient de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 la possibilité de demander des explications aux prévenus et que les demandes d'explications ne pouvaient être assimilées à un interrogatoire, celles-ci ne tendant pas directement à l'établissement de l'éventuelle infraction ;

Qu'ainsi les droits de la défense n'étaient pas compromis et qu'aucune violation de l'article 14-3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'en revanche le comportement des prévenus pris dans son ensemble manifestait une certaine volonté d'entraver l'enquête de la Direction nationale des enquêtes de concurrence ;

Que dans ces conditions les premiers juges ont retenu à juste titre les prévenus dans les liens de la prévention et que le jugement doit être confirmé sur la déclaration de culpabilité ;

Que toutefois il leur sera fait une application différente de la loi pénale.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels des prévenus et du Ministère Public, Confirme sur la déclaration de culpabilité le jugement déféré, Condamne D Claude à la peine de 50.000 F d'amende, D Christophe à la peine de 20.000 F d'amende.