CA Paris, 1re ch. A, 9 décembre 1992, n° 91-23198
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Michel Swiss (SA)
Défendeur :
Montaigne Diffusion (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Canivet
Conseillers :
MM. Guerrin, Boval
Avoués :
SCP Duboscq Pellerin, SCP Bollet-Baskal
Avocats :
Mes Champetier de Ribes, Hoffman, Gaillard.
La Cour est saisie de l'appel formé par la société Michel Swiss contre un jugement prononcé le 2 octobre 1991 par le Tribunal de commerce de Paris qui, à titre principal, a déclaré licite le contrat de " détaillant agréé pour les produits Lacoste " établi par la société Montaigne Diffusion, dit que la société Michel Swiss n'a pas été victime de refus de vente de la part de cette société et l'a déboutée de ses demandes tout en rejetant celle de son adversaire pour procédure abusive.
Référence faite à cette décision pour l'exposé des faits, de la procédure de première instance et des motifs retenus par les premiers juges, seront rappelés les éléments suivants nécessaires à la solution du litige :
Aux termes d'un contrat conclu avec la société La Chemise Lacoste, la société Montaigne Diffusion est titulaire du droit exclusif de distribuer en France les vêtements de marque Lacoste.
Depuis de nombreuses années, la société Michel Swiss commercialisait lesdits produits dans une boutique ouverte au deuxième étage d'un immeuble situé 16, rue de la Paix à Paris IIe.
Entre les mois de mai et de novembre 1990, dans des conditions de fait contestées, les relations commerciales se sont détériorées puis rompues entre les parties, la société Michel Swiss reprochant à la société Montaigne Diffusion de refuser de lui livrer ou de lui laisser commander les articles de marque Lacoste, cette dernière justifiant finalement son abstention par la mise en place d'un réseau de distribution sélective.
En cet état, sur le fondement de l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la société Michel Swiss a, le 9 novembre 1990, assigné son adversaire devant le Tribunal de commerce de Paris qui par le jugement entrepris a estimé licite et appliqué sans discrimination le contrat de distribution sélective établi par la société Montaigne Diffusion.
Au soutien de son appel, la société Michel Swiss fait valoir en ce qui concerne les circonstances de fait du litige :
- qu'à partir du mois de mai 1990, la société Montaigne Diffusion a refusé de satisfaire ses commandes sans information préalable ni explication, cette attitude étant, selon elle, dictée par la volonté de la société intimée de ne plus laisser ses détaillants pratiquer des prix de vente " discount " à l'égard de la clientèle nationale, ce qu'elle lui reprochait précisément ;
- qu'en dépit de leurs pourparlers, ladite société a persisté dans son refus, n'invoquant que tardivement et à des fins détournées la mise en place d'un réseau de distribution sélective, sans jamais engager à son égard de procédure d'agrément alors qu'elle-même en avait accepté les clauses et qu'elle était en mesure d'y satisfaire ;
- que l'intimée n'a prétendu qu'elle n'en remplissait pas les conditions que postérieurement l'introduction de l'instance en se prévalant d'un constat d'huissier auquel elle a fait procéder le 19 novembre 1990 et d'une " fiche d'évaluation du point de vente " dont elle conteste les appréciations ;
De ses allégations elle déduit :
- que la société Montaigne Diffusion, à l'égard de qui elle se trouve en état de dépendance économique, s'est livrée à son égard à un refus de vente ;
- que ce refus ne peut être justifié par le contrat de distribution sélective invoqué par l'intimée et dont elle conteste la licéité au regard des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en ce qui concerne la clause figurant à l'alinéa g de l'article 3 qui stipule qu'en " aucun cas les ventes " discount " ne devront être pratiquées chez le détaillant agréé " ;
- que la lettre administrative de classement adressée le 20 octobre 1989 par la Commission des communautés européennes à la société La Chemise Lacoste, invoquée par la société Montaigne Diffusion pour prétendre licite le contrat litigieux, n'est qu'un élément de fait, qu'elle est dépourvue d'intérêt et de portée dans le présent débat, qu'elle est enfin provisoire et devra être reconsidérée en fonction de la plainte dont elle a saisi la Commission le 9 septembre 1992 pour dénoncer les conditions du refus d'agrément qui lui est opposé ;
- qu'en rompant, sans explication ni procédure contradictoire d'agrément, des relations commerciales portant, depuis plus de 25 années, sur d'importants chiffres d'affaires et en lui refusant sans justification la qualité de revendeur agréé alors qu'elle répond aux critères de sélection exigés, la société Montaigne Diffusion a mis en œuvre le contrat de distribution sélective de manière discriminatoire ;
En l'état de ses dernières écritures, la société Michel Swiss demande en conséquence à la cour, d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau :
- de constater la nullité de la clause 3, g du contrat litigieux en ce qu'elle prévoit l'interdiction des ventes à prix " discount " ;
- d'ordonner sous astreinte à la société Montaigne Diffusion de régulariser avec elle un contrat de distribution sélective selon le modèle type ;
- de lui interdire sous astreinte de faire obstacle à la passation des commandes à venir ;
- de la condamner à lui payer les sommes de 1.252.160, 00 F en réparation de son préjudice matériel et de 2.691.311,00 F en réparation de son préjudice incorporel augmentées des intérêts au taux légal dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil.
A ces moyens et prétentions, la société Montaigne Diffusion oppose :
- que la société La Chemise Lacoste, dont elle est concessionnaire exclusif pour la France, a notifié à la Commission des communautés européennes les accords visant à constituer un réseau de distribution sélective dans les pays de la CEE afin d'obtenir une attestation négative au regard de l'article 85 paragraphe 1 du traité de Rome, subsidiairement une décision d'exemption par application de son paragraphe 3, cette procédure ayant été clôturée le 20 octobre 1989 par une lettre administrative de classement ;
- que le contrat d'agrément qu'elle propose à ses distributeurs en France, ainsi soumis à l'examen de la Commission et par elle admis, est en conséquence licite au regard du droit communautaire ;
- que les clauses de ce contrat sont également conformes au droit national de la concurrence, notamment en ce qui concerne le paragraphe 3, g, interdisant les ventes " discount " qui, contrairement à ce que soutient l'appelante, ne vise pas à limiter la liberté du détaillant dans la fixation des prix mais à lui imposer des conditions qualitatives de vente compatibles avec l'image de la marque Lacoste ;
- que la mise en œuvre dudit contrat n'exige pas de procédure formelle d'agrément dès lors que le choix des distributeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif qui, comme il a, selon elle, été pratiqué à l'égard de la société Michel Swiss, sont appliqués de manière uniforme et sans discrimination à l'ensemble des candidats ;
- qu'il résulte du constat et de la fiche d'évaluation dressés le 19 novembre 1990 qu'en ce qui concerne l'existence d'une vitrine sur rue, l'accès, l'agencement, l'état d'entretien du magasin, l'environnement et la présentation des produits, le point de vente exploité par la société Michel Swiss ne répondait pas aux critères qualitatifs contractuellement prévus, toutes modifications ultérieures des lieux étant à cet égard sans pertinence ;
- que dès l'année 1989, la société Michel Swiss a été informée de la sélection des revendeurs et des conditions de leur agrément, notamment par la remise, à titre indicatif, du contrat-type que celle-ci a cru devoir signer unilatéralement et dater le 19 février 1990 alors qu'à l'évidence elle n'en remplissait pas les conditions ;
- que dès lors l'appelante ne saurait se plaindre d'un refus de vente, d'autant plus qu'elle a été informée que les livraisons ne cesseraient qu'à compter de l'été 1991 afin de lui permettre de retrouver des sources d'approvisionnement équivalentes ;
- qu'enfin, alors que le contrat d'agrément impose au distributeur une clause d'assortiment, la société Michel Swiss n'a quasiment commandé qu'un seul type d'article et qu'utilisant le nom Lacoste à titre d'enseigne, elle s'est livrée à des pratiques de produit et de marque d'appel.
La société Montaigne Diffusion prie en conséquence la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il rejette les prétentions de la société Michel Swiss mais de l'infirmer en ce qu'il ne fait droit à sa propre demande reconventionnelle et de condamner l'appelante à lui payer une somme de 500.000 F pour procédure abusive.
Pour un exposé plus complet des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures échangées en cause d'appel, étant précisé que chacune revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que la société Michel Swiss prétend se trouver en état de dépendance économique à l'égard de la société Montaigne Diffusion pour la vente des vêtements de marque Lacoste ; que toutefois elle n'invoque et a fortiori ne démontre l'impossibilité dans laquelle elle serait de recourir à des solutions équivalentes d'approvisionnement en produits de même nature et, dès lors, ne peut fonder ses prétentions sur les dispositions de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 36-2 de l'ordonnance susvisée, auquel se réfère également l'appelante, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits (...) lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10 " ;
Considérant que si les parties sont en désaccord sur la date et les circonstances dans lesquelles la société Montaigne Diffusion a partiellement ou totalement refusé de satisfaire les commandes passées par la société Michel Swiss, il n'est pas contestable qu'à compter du mois de novembre 1990, la première a rompu toutes relations commerciales avec la seconde ;
Considérant que, s'il existe également entre elles une contestation sur les raisons de la rupture et la date à partir de laquelle le fournisseur a invoqué un contrat d'agrément en prétendant que le distributeur n'en remplissait pas les conditions, dans le cadre de l'instance judiciaire introduite par la société Michel Swiss, la société Montaigne Diffusion prétend justifier son refus de vendre les produits litigieux à son adversaire par l'existence d'un contrat de distribution sélective tout à la fois conforme aux dispositions de l'article 85 du Traité instituant la Communauté économique européenne et à celle des articles 7 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant que pour assurer ledit contrat compatible avec les dispositions de l'article 85 du Traité susvisé, la société Montaigne Diffusion se réfère à la lettre administrative de classement que la Commission des Communautés européennes a adressée le 20 octobre 1989 à la société la Chemise Lacoste en réponse à la notification faite par celle-ci, sous le numéro IV/33.246, des " contrats-types de distribution-concessionnaires exclusifs, Boutiques, détaillants agréés et Corners - (destinés) à régir la vente des produits Lacoste dans divers pays, notamment de la CEE " et aux termes de laquelle :
" La Direction générale de la concurrence estime, après examen, que cette affaire, compte tenu ente autre de son contexte factuel, ne saurait justifier de réserves au regard des règles de concurrence communautaire. " ;
Considérant que si l'avis ainsi émis par la Commission ne lie pas formellement la cour, il constitue néanmoins un élément d'appréciation permettant de présumer la validité de l'accord litigieux au regard du droit communautaire dès lors que, à l'évidence, les clauses figurant sous l'article 2 permettent d'opérer le choix des distributeurs en fonction de critères objectifs, de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations et qu'ils sont fixés de manière uniforme ;
Que, ni dans ses conclusions ni dans la lettre de plainte qu'elle a adressée à la Commission le 9 septembre 1992, la société Michel Swiss ne conteste la validité desdites clauses au regard des paragraphes 1 et 3 de l'article 85 du Traité, se bornant à dénoncer la façon arbitraire et discriminatoire avec laquelle la société Montaigne Diffusion les a appliquées à son égard ;
Considérant que par l'effet du principe de primauté du droit communautaire qui vise à écarter toute mesure nationale de nature à compromettre l'effet utile du Traité, la cour ne peut déclarer en tout ou partie nul sur la base du droit français de la concurrence un accord-type estimé, en l'état, conforme aux paragraphes 1 et 3 de l'article 85 du Traité.
Qu'au surplus, si, contrairement à ce que soutient la société Montaigne Diffusion, ladite clause qui prescrit " Qu'en aucun cas les ventes " discount " ne devront être pratiquées chez le détaillant agréé ", peut avoir pour effet de faire obstacle à la libre fixation des prix en interdisant au revendeur une pratique commerciale systématique d'appel à la clientèle par une politique de rabais attractive, elle est en l'espèce raisonnablement justifiée eu égard au but légitime poursuivi par l'intimée d'éviter la présentation sommaire et dépréciatrice, incompatible avec le prestige de la marque et le caractère de haut de gamme des produits qu'elle fournit, qui serait l'inévitable conséquence d'une politique de démarque ostensible et permanente; qu'en outre, hormis l'interdiction de cette forme spécifique de commerce, la liberté de fixation des prix est rappelée au dernier alinéa de l'article 3.A, c) et la possibilité de procéder à des soldes ménagée par l'article 3.6 ;
Que par ailleurs, les passages des lettres datées des 30 août et 18 septembre 1990, adressées par la société Michel Swiss à la société Montaigne Diffusion, prétendant consigner les propos tenus lors de rencontres avec des représentants de cette dernière selon lesquels l'interruption des livraisons et le refus d'agrément seraient motivés par le fait qu'elle offre à sa clientèle des remises sur les prix conseillés, ne suffisent pas à prouver que la société intimée utilise une telle stipulation pour imposer des prix de revente à ses distributeurs alors que le directeur général de ladite société a, par courrier du 20 septembre 1990, clairement démenti une telle interprétation de leurs entretiens ;
Qu'ainsi, ladite clause ne peut être regardée comme nulle par application de l'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle se rapporte à une pratique prohibée par les articles 7 et 8 ;
Qu'enfin sont justifiés, et au demeurant non contestés par l'appelante, les arguments développés par la société Montaigne Diffusion visant à démontrer, en référence à l'article 10, 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'effet de progrès économique, de satisfaction de l'intérêt des consommateurs et l'absence d'élimination substantielle et non indispensable de concurrence, produit ou ménagé par l'instauration d'un système de distribution homogène, n'affectant qu'une infime partie du marché, offrant à la clientèle un supplément de service conforme à la qualité des produits en cause et permettant de les protéger des contrefaçons auxquels ils sont particulièrement exposés ;
Qu'en conséquence le contrat d'agrément proposé par la société Montaigne Diffusion à ses distributeurs est en lui-même, et dans toutes ses clauses, licite tant au regard du droit communautaire que du droit national de la concurrence ;
Considérant que, quant à l'application dudit contrat, la société Montaigne Diffusion soutient que la société Michel Swiss ne peut prétendre à la qualité de détaillant agréé parce que la boutique qu'elle exploite est située en étage, qu'elle est dépourvue de vitrine sur rue, qu'elle est essentiellement consacré à la vente de cadeaux et de parfums, et qu'enfin l'accès aux locaux de vente, leur agencement et leur état d'entretien ne permettent pas une présentation des produits compatibles avec l'image des marques Lacoste ;
Qu'ainsi que le soutient la société Montaigne Diffusion, ces griefs se fondent sur l'application objective et sans discrimination des critères qualitatifs de sélection fixés par l'article 2 du contrat-type lequel stipule que la conclusion du contrat est conditionnée par la localisation du point de vente, son environnement et son agencement, la qualité de l'installation étant notamment appréciée en fonction de la " vitrine et des aménagements intérieurs du magasin, de la longueur de la vitrine, du nombre et de la surface des cabines d'essayage, du type et de la marque des autres produits vendus, de la qualité de la façade, de la décoration des vitrines, de la qualité des revêtements de sol, des murs et plafonds, enfin de l'aspect général " ;
Qu'en effet, si ledit magasin se trouve dans un quartier prestigieux, il est situé au second étage de l'immeuble, est dépourvu de vitrines extérieures et n'est qu'accessoirement consacré à la vente de vêtements;
Que les armoires vitrées accrochées aux murs du hall d'accès à la cour intérieure du bâtiment ne peuvent répondre aux exigences contractuelles précises et essentielles par leur répétition concernant la situation, la dimension, la présentation et la décoration des vitrines ;
Que les constatations effectuées le 19 novembre 1990 montrent que les produits vendus dans le magasin sont essentiellement des parfums, que les lieux manquent de netteté, que les articles de marque Lacoste sont exposés dans la boutique cadeaux et que leur présentation est peu mise en valeur (étant notamment empilés dans un meuble à étagères à côté de vêtements de marque différente) ;
Que si les travaux d'entretien réalisés depuis lors ont amélioré les accès à la boutique, ils ne permettent toutefois pas de revenir sur l'appréciation négative des conditions contractuelles de l'agrément ;
Qu'enfin le jugement attaqué relève, par des motifs pertinents que la Cour reprend en tant que de besoin, qu'il n'est nullement démontré que la société Montaigne Diffusion ait fait une application moins contraignante des clauses du contrat au bénéfice d'autres distributeurs ;
Qu'en conséquence, à la date où la Cour statue, la société Michel Swiss ne répond pas aux critères qualitatifs fixés au contrat-type proposés et appliqués sans discrimination par la société Montaigne Diffusion pour la distribution des produits de marque Lacoste et il ne peut ordonné à cette société ni de conclure avec elle ledit contrat ni de lui vendre les produits litigieux ;
Mais considérant que passant d'un système libre à un système de distribution contrôlée, la société Montaigne Diffusion ne pouvait refuser à ses anciens revendeurs la fourniture des produits en cause qu'après avoir porté à leur connaissance les conditions qualitatives auxquelles elle entendait désormais les soumettre en leur laissant un délai suffisant pour leur permettre de s'y conformer ;
Qu'en particulier, bien que la Commission n'ait pas cru nécessaire d'assortir l'accord type établi par la société La Chemise Lacoste d'une procédure formelle d'agrément pour l'estimer compatible avec le droit communautaire de la concurrence, la société Montaigne Diffusion avait l'obligation d'informer ses détaillants habituels des critères qualitatifs de sélection retenus en précisant, le cas échéant, en quoi ils n'y satisfaisaient pas ;
Considérant qu'il résulte au contraire des documents produits, qu'alors que les commandes de la société Michel Swiss ont été, partiellement au moins, inexécutées à partir du premier semestre de 1990, celle-ci n'a été informée que le 30 août 1990 de l'organisation d'un réseau de distribution sélective et des critères de choix des détaillants qu'elle a aussitôt acceptés mais qu'elle n'a été expressément avisée qu'elle n'en remplissait pas les conditions et des raisons pour lesquelles la qualité de son point de vente était estimée insuffisante que postérieurement à l'introduction de l'instance par les conclusions signifiées par son adversaire le 11 mars 1991 ;
Que l'appelante prouve en effet, par les correspondances et états récapitulatifs qu'elle produit, qu'à partir du premier trimestre de l'année 1990 ses commandes ont été soit totalement soit partiellement inexécutées dans des conditions que ne peuvent complètement expliquer les mouvements sociaux auxquels la production de la société Montaigne Diffusion a été confrontée ;
Qu'alors que depuis le mois de juin 1990, la société Michel Swiss revendiquait, par ses appels téléphoniques répétés, ses courriers et les interventions de son avocat, l'exécution de ses commandes, il apparaît d'une attestation délivrée par Patrick Maire du Poset, représentant de la société Montaigne Diffusion, que ce n'est que le 30 août 1990 que celui-ci a verbalement informé l'appelante " de la mise en place progressive d'un réseau de distribution " et qu'à la demande insistante de son interlocuteur il lui " a laissé un contrat vierge afin de lui permettre de l'examiner " ; qu'à l'encontre de cette attestation qu'elle produit elle-même, la société intimée ne peut se prévaloir de la date du 14 février 1990, apposée sur le contrat par le représentant de la société Michel Swiss afin de réserver ses droits à partir de cette époque, pour affirmer que l'appelante connaissait la modification du système de distribution depuis l'année 1989 ;
Que ce contrat lui ayant été retourné signé le 5 septembre par la société Michel Swiss qui déclarait en accepter les clauses, la société Montaigne Diffusion n'a jamais discuté avec son distributeur les conditions de son agrément ni expressément fait connaître à celui-ci sa décision et les raisons de son refus de contracter ; qu'elle lui écrivait en effet le 20 septembre 1990 " nous examinerons avec l'ensemble de nos services si votre candidature peut être agréée ", le 27 septembre " si vous acceptez de remplir les conditions prévues à notre contrat nous serons très heureux de réexaminer votre candidature " ; qu'encore, par requête datée du 16 novembre 1990, elle sollicitait du président du Tribunal de grande instance de Paris la désignation d'un huissier de justice afin de " vérifier si les caractéristiques du magasin de la société Michel Swiss ... [étaient] en relation avec les critères objectifs de sélectivité en vigueur dans le réseau des points de vente détaillants agréés Lacoste " et que ce n'est que le 19 novembre qu'elle a fait établir par ledit huissier de justice en même temps que le constat la fiche d'évaluation du point de vente ;
Qu'il s'ensuit qu'avant de lui faire signifier ses conclusions le 11 mars 1991, la société Montaigne Diffusion n'a pas expressément fait connaître à la société Michel Swiss, qui avait jusqu'alors et en quantité importante distribué les produits de marque Lacoste, qu'elle ne remplissait pas les nouvelles conditions qualitatives contractuellement imposées aux revendeurs ; que dès lors, elle ne peut prétendre qu'avant cette date son refus de livrer était justifié par les dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant que la promesse faite par la société Montaigne Diffusion dans sa lettre du 27 septembre 1990 de " faire son possible pour livrer le solde de la commande d'été " de la société Michel Swiss et de " s'efforcer d'honorer au mieux [sa] commande d'hiver " ne peut contredire la réalité prouvée selon laquelle depuis le début du printemps de l'année 1990 les commandes de cette dernière n'ont pas été régulièrement satisfaites ;
Considérant qu'in fine de ses conclusions du 12 mai 1992, la société Montaigne Diffusion prétend justifier son refus de vente par la mauvaise foi avec laquelle auraient été faites les commandes de la société Michel Swiss à qui elle reproche l'utilisation des articles litigieux pour des pratiques de produit et de marque d'appel ; qu'elle ne prouve cependant pas en quoi le fait par la société Michel Swiss de réaliser une proportion importante de son chiffre d'affaires avec les chemisettes Lacoste, produit dominant de la marque, à une époque où leurs relations commerciales n'imposaient obligation d'assortiment, serait dommageable ni en quoi serait fautive l'apposition de l'enseigne Lacoste sur la façade de l'immeuble où étaient effectivement vendus des produits de cette marque ;
Considérant que les documents fournis par la société Michel Swiss ne suffisent pas à évaluer à titre provisoire, l'importance et les conséquences dommageables des refus de vente qui lui ont été opposés par la société Montaigne Diffusion jusqu'au 11 mars 1991 ; qu'il échet d'ordonner sur ce point une expertise aux fins et selon les modalités précisés au dispositif du présent arrêt ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Michel Swiss les frais non compris dans les dépens par elle exposés à l'occasion de la présente instance ;
Par ces motifs : confirme le jugement entrepris en ce qu'il a, d'une part, déclaré licite le contrat de détaillant agréé des produits de marque Lacoste proposé par la société Montaigne Diffusion et, d'autre part, rejeté la demande reconventionnellement de cette société ; l'infirme pour le surplus et statuant à nouveau : Déboute la société Michel Swiss de ses demandes à faire ordonner à la société Montaigne Diffusion de signer avec elle son contrat-type de distribution sélective et à ne mettre aucun obstacle à la passation de ses commandes à venir ; déclare la société Montaigne Diffusion responsable du préjudice causé à la société Michel Swiss par le refus non justifié de satisfaire à ses demandes de produits jusqu'au 11 mars 1991 ; désigne en qualité d'expert M. Robert Gandur, avec pour mission de : - Déterminer l'importance des refus de vente opposés par la société Montaigne Diffusion à la société Michel Swiss au cours de l'année 1990 et jusqu'au 11 mars 1991 ; - dire si, pour partie et dans quelles proportions, l'inexécution des commandes a été la conséquence de troubles sociaux constitutifs de force majeure qui auraient affecté la production de la société Montaigne Diffusion ; - donner un avis sur le montant des préjudices de toutes natures causés par les refus de ventes imputables à la société Montaigne Diffusion ; dit que l'expert devra donner son avis avant le 30 juin 1993 ; fixe à la somme de 20.000 F le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert que la société Michel Swiss devra consigner au greffe de la Cour avant le 15 janvier 1993 et dit qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque ; désigne M. Guy Canivet, Président, pour suivre les opérations d'expertise et statuer sur tout incident ; condamne la société Montaigne Diffusion à payer à la société Michel Swiss une somme de 40.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; rejette toutes autres demandes; Condamne la société Montaigne Diffusion aux entiers dépens de permière instance et d'appel et admet sur sa demande la SCP Dubosc-Pellerin au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.