CCE, 27 octobre 1982, n° 82-756
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Fédération nationale de l'industrie de la chaussure de France
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 14 et 15, après avoir pris connaissance de la lettre adressée le 14 mai 1982 par la Fédération nationale de l'industrie de la chaussure de France afin de faire connaître son point de vue au sujet des griefs communiqués par la Commission le 14 avril 1982, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17, vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli conformément à l'article 10 du règlement n° 17 le 23 septembre 1982, considérant ce qui suit:
I
1. En date du 4 mars 1982, le directeur général de la concurrence a donné un mandat écrit à deux fonctionnaires de la direction de l'inspection afin d'effectuer auprès de la Fédération nationale de l'industrie de la chaussure de France (dénommée ci-après FNICF), à Paris, une vérification conformément aux dispositions de l'article 14 du règlement n° 17 du Conseil.
Ladite vérification a été effectuée les 9 et 10 mars 1982 au siège de cette fédération en présence de plusieurs de ses dirigeants, et notamment du délégué général de la FNICF et de l'un de ses conseillers, ainsi que d'un représentant des autorités françaises.
L'objet essentiel de cette vérification était de recueillir des informations concernant la mise en œuvre des mesures françaises de valorisation du secteur de la chaussure et du cuir en vue d'apprécier si, et dans quelle mesure, la FNICF a souscrit au nom de ses adhérents des engagements éventuels de limitation des importations ou d'autres restrictions au sens des dispositions de l'article 85 du traité CEE.
2. Après avoir présenté le mandat de vérification, l'inspecteur a attiré l'attention des dirigeants de la Fédération sur les dispositions des articles 14 et 15 du règlement n° 17 relatives aux pouvoirs de la Commission en matière de vérification, et notamment sur les dispositions de l'article 15 paragraphe 1 figurant sur le texte du mandat et aux termes duquel la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d'entreprises qui se soumettent aux vérifications mais qui, de propos délibéré ou par négligeance, présentent de façon incomplète les livres et autres documents professionnels requis.
Les responsables de la Fédération, dûment invités, ont déclaré accepter la vérification et toutes les obligations qui pourraient en découler pour la FNICF.
3. Le 9 mars 1982, le fonctionnaire de la Commission a requis pour contrôle au sens de l'article 14 paragraphe 1 sous a) du règlement n° 17:
1) la correspondance et les comptes rendus ou notes internes de réunion avec d'autres associations professionnelles de la chaussure de France ou de certains pays membres de la Communauté;
2) les comptes rendus ou procès-verbaux des réunions des organes de direction de la Fédération, à savoir, d'une part, le conseil fédéral auquel participent les représentants des syndicats régionaux et des groupement spécialisés, membres de la Fédération, ainsi que les représentants des fabricants adhérents individuels et, d'autre part, le bureau du conseil fédéral présidé par un directoire de trois personnes.
La présentation de cette documentation a été requise pour la période comprise entre le 1er janvier 1981 et le jour de la vérification.
En réponse à cette demande, les responsables de la FNICF ont soumis divers dossiers relatifs aux correspondances et comptes rendus de réunions avec les autres organisations professionnelles de la chaussure mais, en revanche, aucun document relatif aux comptes rendus ou procès-verbaux des réunions du conseil fédéral de la FNICF et du bureau de ce conseil fédéral depuis le 1er janvier 1981 n'a été présenté.
Par ailleurs, le délégué général de la FNICF a précisé que les trois dernières réunions du conseil fédéral avaient eu lieu en octobre 1981, décembre 1981 et le 24 février 1982 et que ces réunions avaient donné lieu à rédaction de procès-verbaux, confirmant au surplus que ces documents existaient au moment précis de la vérification au siège de la FNICF.
4. Dans une déclaration écrite, enregistrée par procès-verbal du 10 mars 1982, le délégué général de
la FNICF a confirmé " qu'il a été rendu compte oralement aux instances fédérales de l'accord de bonne volonté intervenu le 25 novembre ".
Cet " accord de bonne volonté " du 25 novembre 1981, expressément cité par le délégué général de la FNICF, constituait précisément l'une des modalités de la préparation et de la mise en œuvre des mesures françaises de valorisation du secteur de la chaussure et du cuir mentionnées dans le texte du mandat de vérification.
Ladite vérification avait donc pour objet essentiel de recueillir toutes les informations relatives à cet accord dans la mesure où il est susceptible de comporter les dispositions spécifiques tendant à accroître les ventes de chaussures françaises sur le marché intérieur et pouvant conduire à une limitation des importations de ces produits en France.
Au demeurant, les inspecteurs ont attiré l'attention de la FNICF sur un document dont la Commission a pris connaissance au cours d'une vérification précédente effectuée auprès d'une autre organisation professionnelle française dont les dirigeants ont confirmé qu'il avait été effectivement mis en discussion au cours de la réunion du 25 novembre 1981 évoquée par le délégué général de la FNICF.
Ce document non signé, sans titre ni en-tête, comporte trois volets, A, B et C, relatifs aux accords à souscrire par les organisations professionnelles de la distribution, la FNICF et les pouvoirs publics, en vue de limiter les importations selon des pourcentages d'augmentation des achats sur le marché intérieur variant de 10 à 25 % selon les cas.
La connaissance exacte des conditions dans lesquelles ce document a été soumis à discussion au sein des instances dirigeantes de la FNICF, conseil fédéral et directoire du conseil fédéral et, le cas échéant, préparé au cours de réunions précédentes des mêmes instances, des décisions éventuellement arrêtées à ce sujet, des instructions éventuellement données aux membres et adhérents divers de la Fédération, était l'un des objectifs essentiels de la vérification.
5. Le 10 mars 1982, les inspecteurs ont renouvelé par procès-verbal leur demande de présentation des documents suivants:
1) correspondance, notes internes et comptes rendus de réunions avec différentes autres organisations professionnelles depuis le 1er janvier 1981;
2) procès-verbaux ou comptes rendus de réunions du conseil fédéral de la FNICF et du bureau de ce conseil fédéral depuis le 1er janvier 1981.
La réponse écrite du délégué général de la FNICF, enregistrée sur le même procès-verbal, indique que les documents repris sous le point 1 " ont été remis à l'enquêteur ", mais que " les documents visés sous le point 2 sont des documents confidentiels traitant de l'ensemble des problèmes de la Fédération, débordant par conséquent très largement le mandat de l'enquêteur et que, dans ces conditions, il doit obtenir l'accord du bureau de la Fédération avant de les communiquer ".
Les inspecteurs ont immédiatement porté sur le procès-verbal une mention selon laquelle " La FNICF avait présenté une documentation incomplète au sens de l'article 15 paragraphe 1 sous c) du règlement n° 17 ".
II
6. Dans sa réponse écrite du 14 mai 1982 à l'exposé des griefs retenus par la Commission, la FNICF a fait valoir les arguments suivants:
1) déroulement de l'enquête: la FNICF admet que l'inspecteur a appelé son attention dès le début de la vérification sur les dispositions des articles 14 et 15 du règlement n° 17, mais lui reproche de ne l'avoir formellement informée qu'à l'issue de l'entretien qu'elle était en droit de refuser ladite vérification;
2) document de travail de la réunion du 25 novembre 1981: s'agissant d'un simple document de travail, la FNICF ne l'a pas conservé; au surplus, en raison de son origine, l'enquêteur n'aurait pas dû en requérir la présentation à la Fédération;
3) communication des procès-verbaux du conseil fédéral de la FNICF: la Fédération considère que le fait de remonter au 1er janvier 1981 apparaît comme inutile, que les documents sont confidentiels, traitant de toutes sortes de questions n'ayant aucun rapport avec l'objet de l'enquête et que, au surplus, ultérieurement, le bureau de la Fédération a pris position dans le même sens, estimant qu'il s'agissait d'un excès de pouvoir;
4) proposition d'audition en application de l'article 7 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission (1) la FNICF, considérant qu'une telle audition ne lui paraîtrait en tout état de cause utile que dans la mesure où elle aurait la possibilité de s'exprimer sur le fond et pas seulement sur des problèmes de procédure, ne juge pas utile de demander son audition au cours d'une réunion que la Commission convoquerait spécialement à cet effet.
III
7. Aux termes de l'article 14 du règlement n° 17, dans l'accomplissement des tâches qui lui sont assignées par l'article 89 du traité CEE, la Commission peut procéder à toutes les vérifications nécessaires auprès des entreprises et, à cet effet, les agents mandatés par la Commission sont investis des pouvoirs décrits à l'article 14 paragraphe 1 dudit règlement, dont celui de contrôler les livres et autres documents professionnels, de prendre copie ou extrait de ces documents et d'accéder à tous les locaux de l'entreprise.
Aux termes de l'article 14 paragraphe 2 du même règlement, les agents mandatés par la Commission pour ces vérifications exercent leurs pouvoirs sur production d'un mandat écrit qui indique l'objet et le but de la vérification, ainsi que la sanction prévue à l'article 15 paragraphe 1 sous c) dudit règlement au cas où les livres ou autres documents professionnels requis seraient présentés de façon incomplète.
Aux termes de l'article 15 paragraphe 1 du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises des amendes d'un montant de cent à cinq mille unités de compte lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles présentent de façon incomplète, lors des vérifications effectuées au titre de l'article 14, les livres ou autres documents professionnels requis.
La FNICF ne conteste nullement que, dès le début de l'entretien, l'inspecteur a attiré son attention sur le contenu des articles 14 et 15 du règlement n° 17 et que, en conséquence, la Fédération a accepté de se soumettre à la vérification et à toutes les obligations qui en découlaient au titre de ces dispositions réglementaires.
Dès lors, l'argument selon lequel la FNICF n'aurait été informée qu'à la fin de l'entretien du droit de refuser de se soumettre à une vérification que la Commission n'a pas ordonnée par voie de décision selon les dispositions de l'article 14 paragraphe 3 est en contradiction avec la reconnaissance par les responsables de cette fédération que leur attention a été attirée en temps utile sur l'ensemble des articles 14 et 15 de ce même règlement, alors même que ces dirigeants admettent dans la lettre du 14 mai 1982 qu'il n'y avait aucune raison de refuser une telle vérification.
8. La demande de présentation des procès-verbaux du conseil fédéral et des autres instances dirigeantes de la FNICF était conforme à l'objet du mandat de vérification délivré aux inspecteurs.
Ces documents constituent des documents professionnels au sens de l'article 14 paragraphe 1 sous a) du règlement n° 17; il n'a pas été contesté que ces documents existaient au siège de la Fédération au moment de la vérification.
Il n'appartient nullement aux entreprises ou associations d'entreprises soumises à vérification de juger du bien-fondé de la demande de présentation des documents ou du caractère utile de la période pour laquelle ceux-ci sont requis et, au surplus, les entreprises ou associations d'entreprises ne peuvent invoquer le caractère confidentiel desdits documents que dans le cadre des dispositions de l'article 20 du règlement n° 17.
Les responsables des entreprises ou associations d'entreprises n'ont pas à opérer un choix entre les documents qu'ils estiment en rapport avec l'objet de l'enquête et ceux qu'ils considèrent comme en dehors de cet objet. Il appartient en effet, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (voir arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 18 mai 1982 rendu dans l'affaire 155-79: AM & S Limited/Commission des Communautés européennes), aux agents mandatés par la Commission de requérir les livres et autres documents professionnels nécessaires à l'accomplissement de leur mission et de choisir parmi ceux-ci les documents dont ils prennent copie dans le cadre défini par l'objet de la vérification.
9. En présentant aux inspecteurs de la Commission, lors d'une vérification effectuée au titre de l'article 14 du règlement n° 17, une documentation manifestement incomplète, la FNICF a commis de propos délibéré une infraction aux dispositions de l'article 15 paragraphe 1 sous c) du règlement n° 17 et elle ne pouvait ignorer l'étendue des pouvoirs de la Commission en matière de vérification.
Les conditions de l'application de l'article 15 paragraphe 1 sont dès lors remplies.
10. L'infraction dont la fédération intéressée est responsable revêt un caractère de gravité certain dans la mesure où la non-présentation des documents requis a rendu d'autant plus difficile la tâche de la Commission de veiller au respect des règles de concurrence du traité et, au surplus, la FNICF a fait savoir dans sa lettre du 14 mai 1982 que le bureau de la Fédération a, ultérieurement à la vérification, maintenu une position identique, accentuant ainsi le caractère délibéré de l'infraction.
Il y a lieu en conséquence d'infliger une amende en tenant compte de la gravité de l'infraction commise par la FNICF,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
La présentation de documentation incomplète lors de la vérification des 9 et 10 mars 1982 effectuée par la Commission sur la base de l'article 14 du règlement n° 17, qui a été relevée à la charge de la Fédération nationale de l'industrie de la chaussure de France, constitue une infraction aux dispositions de l'article 15 paragraphe 1 sous c) dudit règlement.
Article 2
La Commission inflige à la Fédération nationale de l'industrie de la chaussure de France une amende de cinq mille unités de compte soit trente-trois mille deux cent cinquante-deux francs français, quatre-vingt-cinq centimes (33 252,85). Ce montant doit être versé dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification de la présente décision à la fédéra tion intéressée au compte suivant de la Commission des Communautés européennes: n° 5 770 006 5 de la banque Société générale à Paris.
Article 3
La présente décision est destinée à la Fédération nationale de l'industrie de la chaussure de France (FNICF), 55, avenue Kléber, F-75784 Paris.
La présente décision forme titre exécutoire, conformément à l'article 192 du traité.
(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204/62.
(1) JO n° 127 du 20. 8. 1963, p. 2268/63