CJCE, 5e ch., 10 décembre 1985, n° 240-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Stichting Sigarettenindustrie, Philip Morris Holland BV, Theodorus Niemeyer BV, R. J. Reynolds Tobacco BV, British-American Tobacco Company (Nederland) BV, Sigarettenfabriek Ed. Laurens BV, Turmac Tobacco Company BV
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Everling
Avocat général :
M. Verloren Van Themaat
Juges :
MM. Jolliet, Due, Galmot, Kakouris
Avocats :
Mes Van Lennep, Vogelaar, de Ranitz, Corpeleijn, Brouwer, Bos, Kemmler, Rapp-Jung, Bohlke
1. Par des requêtes distinctes déposées au greffe de la Cour, les 22, 24 et 29 septembre 1982, la Stichting Sigarettenindustrie, Philip Morris Holland BV, Theodorus Niemeyer BV, Reynolds Tobacco BV, British-American Tobacco BV, Sigarettenfabriek Ed. Laurens et Turmac Tobacco ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation d'une décision du 15 juillet 1982 (IV/29.525 et IV/30.000 SSI, JO L 232, p. 1) par laquelle la Commission à constaté qu'ils avaient commis plusieurs infractions à l'article 85 du traité.
2. Par ordonnance du 28 octobre 1982, la Cour a décidé de joindre ces sept affaires aux fins de la procédure et de l'arrêt.
3. Les requérants sont la Stichting Sigarettenindustrie (ci-après la SSI) et certains fabricants néerlandais de tabacs manufacturés, qui en sont membres. La SSI, qui est une fondation de droit néerlandais créée en 1955, regroupe la plupart des fabricants et importateurs de tabacs manufacturés établis aux Pays-Bas. Sa mission est la défense des intérêts communs de ses membres. Le 20 décembre 1976, les membres de la SSI ont conclu un accord-cadre qui prévoit essentiellement que les contractants désignent la SSI comme le seul interlocuteur des pouvoirs publics pour les négociations portant, notamment, sur les prix de vente au consommateur final et les marges commerciales des grossistes et des détaillants. Cet accord-cadre a été notifié à la Commission en septembre 1977. C'est au sein de la SSI qu'ont été adoptés la plupart des accords et pratiques concertées condamnés par la Commission dans la décision susmentionnée.
4. Dans sa décision, la Commission à constaté que les membres de la SSI avaient commis une infraction à l'article 85 du traité en concluant plusieurs accords relatifs aux marges commerciales des grossistes et détaillants en tabacs manufacturés, c'est-à-dire à la part du prix de vente au détail qui revient aux revendeurs.
5. Ainsi, les membres de la SSI ont conclu le 4 décembre 1974 un accord qui prévoit l'octroi aux commerçants spécialisés répondant à certains critères d'une remise annuelle d'un montant fixe pour tout millier de cigarettes acheté auprès d'eux. La prime ainsi versée a été augmentée régulièrement pour être, en 1978, de 0,75 florin par millier de cigarettes. Cet accord a été notifié à la Commission.
6. En outre, les membres de la SSI ont conclu, fin 1979, un accord avec certains grossistes pour fixer la marge bénéficiaire maximale de ces derniers. Un accord similaire a été conclu à la même époque entre les membres de la SSI et une organisation représentative de certains détaillants pour fixer la marge maximale de ceux-ci en cas de livraison directe. Ces deux accords ont été notifiés à la Commission le 27 décembre 1979.
7. Ces accords ont été complétés, à la même époque, par une pratique concertée entre les membres de la SSI relative à l'octroi d'une marge fixe pour les livraisons directes et par des pratiques concertées avec les grossistes pour l'octroi d'une marge maximale pour les livraisons de ceux-ci aux magasins spécialises.
8. Enfin, les effets des accords et pratiques dont la description précède sont renforces par un autre accord conclu par les membres de la SSI le 23 avril 1975. Cet accord, qui détermine les règles de comportement en matière de vente de cigarettes, prévoit qu'aucune remise ne peut être accordée en dehors de celles convenues entre eux par les membres de la SSI.
9. Par ailleurs, les membres de la SSI ont conclu des accords pour augmenter leurs prix de vente au détail à trois reprises : le 1er août 1974, le 7 novembre 1975 et le 1er février 1978. Ces accords, qui ont eu une durée limitée (trois mois), sont intervenus chaque fois au moment même où une autorisation d'augmenter les prix avait été accordée conformément à la législation néerlandaise.
10. La Commission a estimé que tous les accords et pratiques concertées susmentionnés constituaient des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle a aussi refusé d'exempter, au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, l'accord du 4 décembre 1974 sur les remises applicables aux magasins spécialisés et ceux fixant les marges commerciales maximales des grossistes et détaillants, qui lui avaient été notifiés. Enfin, elle a infligé des amendes à tous les requérants, à l'exception de la SSI, pour avoir participé aux différents accords d'augmentation des prix de vente au détail.
11. La SSI et les autres requérants qui ne contestent pas avoir conclu les accords ni s'être livrés aux pratiques concertées décrits ci-dessus, font valoir, à l'appui de leur recours, quatre moyens, à savoir la non- réalisation des conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'existence d'une contradiction interne dans la décision de la Commission, la violation de l'article 15 du règlement n° 17-62 du Conseil du 6 février 1962 (JO 13, p. 204) et, enfin, la violation de l'article 190 du traité en ce que la Commission n'aurait pas suffisamment examiné les arguments des requérants. Les requérants formulent par ailleurs plusieurs griefs au sujet du montant des amendes.
I - Premier moyen : la non-réalisation des conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité
12. Les arguments avancés par les requérants dans ce moyen tendent d'abord à démontrer qu'une véritable concurrence n'étant pas possible aux Pays-Bas dans le secteur des tabacs manufacturés, leurs accords et pratiques concertées n'ont pu avoir ni pour objet ni pour effet de la restreindre. L'impossibilité de la concurrence dans ce secteur résulterait du cadre législatif, des pressions des pouvoirs publics et d'un " multiplicateur élevé " découlant du niveau élevé de l'accise ad valorem. Les requérants font valoir, ensuite, que leurs accords et pratiques concertées n'étaient pas susceptibles d'affecter le commerce entre États membres.
A - les accords et pratiques interdits n'auraient eu ni pour objet ni pour effet de restreindre la concurrence
1. Sur l'influence décisive que le cadre législatif aurait eue sur le comportement des requérants
a) description du cadre législatif
13. Il ressort du dossier que le législateur néerlandais à choisi, en conformité avec là directive 72-464 du Conseil, du 19 décembre 1972, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d'affaires frappant la consommation de tabacs manufacturés (JO L 303, p. 1), de frappér les tabacs manufacturés essentiellement d'une accise ad valorem élevée (calculée en pourcentage du prix maximal de vente) plutôt que d'une accise spécifique (dont le montant est fixé par unité de produit).
14. La perception de ces accises est assurée grâce à des bandelettes que les fabricants ou importateurs achètent auprès de l'administration fiscale. Les fabricants ou importateurs déterminent d'abord le prix de vente au détail de leurs produits, toutes taxes comprises. Ils acquittent ensuite les taxes comprises dans ce prix. Enfin, ils opposent sur leurs produits la bandelette fiscale qui indique le prix de vente au détail.
15. Selon l'article 30 de la loi néerlandaise sur l'accise (Wet op de Accijnzen van Tabaksfabrikanten, Staatsblad 208, ci-après " loi sur l'accise "), il n'est pas permis de vendre les tabacs manufacturés à un prix supérieur ou inférieur à celui indiqué sur la bandelette. De plus, l'article 28 de cette loi sur l'accise prévoit qu'un même tabac manufacturé ne peut être vendu qu'a un seul prix de détail, à moins qu'une distinction ne soit clairement indiquée à l'intérieur d'une marque ou par la marque indiquée sur le paquet de cigarettes. Des possibilités de dérogation existent toutefois.
16. Par ailleurs, dans le cadre de la lutte contre l'inflation et sur la base de la loi sur le prix (Prijzenwet, Staatsblad 135), les pouvoirs publics néerlandais ont depuis 1973 mis en place, sous forme d'un arrêté ministériel adopté chaque année, une réglementation des prix connue sous le nom de " Prijzenbeschikking Goederen en Diensten " (ci-après la " PGD "). Cet arrêté fixe les critères de calcul d'augmentation des prix de vente au détail en cas d'augmentation des coûts ou, à l'inverse, de réduction des prix de vente en cas de diminution des coûts.
17. L'article 2 de la PGD interdit aux producteurs de vendre leurs produits à un prix supérieur à celui auquel ce produit est vendu à une date déterminée (date de référence) augmenté du montant de l'augmentation des coûts de fabrication de ce produit depuis cette date ou, à l'inverse, diminué du montant de la réduction de ces coûts. L'article 3 de la PGD interdit à tout négociant de vendre un bien quelconque à un prix supérieur à son prix d'achat augmenté d'une marge bénéficiaire maximale. Toutefois, un fabricant ou un négociant a toujours la possibilité de dépasser les maxima prévus par la PGD à la condition d'obtenir une autorisation spéciale du ministre des affaires économiques. Les infractions à la PGD sont passibles de sanctions pénales en vertu de la loi du 22 juin 1950 sur les délits économiques (Staatsblad, K 258).
b) Sur l'impossibilité alléguée de la concurrence par les prix de vente au détail
18. Dans leurs différents mémoires, les requérants ont d'abord soutenu que le cadre législatif qui vient d'être décrit empêchait toute concurrence effective au niveau de la fixation des prix de vente au détail.
19. En effet, tant la législation néerlandaise sur l'accise que la PGD ôteraient toute souplesse à la politique de prix des entreprises et empêcheraient de créer des écarts de prix entre concurrents. D'une part, l'article 28 de la loi sur l'accise interdisant de vendre des produits de même marque à des prix différents, tout producteur, avant de modifier le prix de ses produits, devrait écouler tout le stock sur lequel est indiqué l'ancien prix. D'autre part, lorsqu'une autorisation ministérielle d'augmenter le prix a été accordée conformément à la PGD, ce fabricant (ou l'importateur) devrait profiter de cette autorisation. En effet, s'il décidait de maintenir son prix de vente, qui deviendrait ainsi plus bas que celui de ses concurrents, l'article 2 de la PGD ne lui permettrait plus d'augmenter ensuite ses prix sans autorisation ministérielle. Les prix de ce producteur seraient ainsi plafonnés à un niveau moindre que ceux de ses concurrents. De plus, les autorisations d'augmenter les prix qui seraient octroyées par la suite porteraient sur des prix calculés à partir d'une base inférieure.
20. Par ailleurs, selon les requérants, si un fabricant parvenait néanmoins à pratiquer des prix différents de ceux de ses concurrents, un tel comportement ne serait pas rentable pour ce producteur. En effet, le législateur néerlandais aurait choisi de frappér les tabacs manufacturés d'une accise ad valorem dont les taux sont très élevés, ce qui aurait contraint tous les fabricants à réduire au minimum leurs coûts, y compris leurs bénéfices (les requérants qualifient ce phénomène d' " effet de compression "). Dans ces conditions, leur marge de manœuvre serait très réduite. Ils ne pourraient se concurrencer qu'en réduisant davantage encore leurs bénéfices. Cette réduction des bénéfices, qui ne pourrait être que faible, ne pourrait provoquer qu'un léger écart de prix par rapport aux concurrents. Mais ce sacrifice ne serait de toute façon pas rentable en raison de la rigidité de la demande de cigarettes : la diminution du bénéfice ne serait pas compensée par une augmentation plus que proportionnelle des ventes.
21. La Commission admet que l'article 28 de la loi sur l'accise peut créer certains inconvénients pratiqués pour un producteur. Mais elle estime qu'il est excessif de soutenir que cette disposition empêche toute concurrence, ne serait-ce que parce que des possibilités de dérogation existent. La Commission critique aussi l'augmentation des requérants à propos de l'article 2 de la PGD. Pour elle, l'autorisation ministérielle n'est pas liée à un délai. Par conséquent, un fabricant pourrait décider de ne pas porter immédiatement ses prix au maximum autorisé mais les y amener progressivement.
22. Par ailleurs, la Commission estime que les arguments économiques des requérants (effet de compression et rigidité de la demande) ne sont pas fondés. En outre, à supposer même démontrée l'existence d'un effet de compression, les accords conclus par les requérants auraient permis d'échapper à ses conséquences puisqu'en augmentant les prix, les requérants auraient aussi augmenté leur marge bénéficiaire.
23. L'argumentation des requérants sur l'impossibilité de concurrence par les prix résultant de la législation néerlandaise ne saurait être retenue.
24. A cet égard, il y à d'abord lieu de constater que la loi sur l'accise n'enlève pas aux producteurs la liberté de fixer leurs prix de vente au détail puisque l'obligation de respecter le prix bandelette, qui résulte de l'article 30 de la loi sur l'accise, ne concerne que les détaillants.
25. En interdisant de vendre sous une même marque des produits à des prix différents, l'article 28 de la loi sur l'accise peut certes créer des difficultés pratiques à un producteur qui désire modifier ses prix de vente. Mais ces difficultés ne sont que temporaires. En outre, cet article 28 n'empêche pas un fabricant qui introduit un nouveau produit de fixer dès le départ un prix différent de ceux de ses concurrents et de créer ainsi un écart de prix qui lui permette d'augmenter sa part de marché.
26. Par ailleurs, à la différence de l'administration belge, dont la pratique a été décrite dans l'arrêt du 29 octobre 1980 (van Landewijck/Commission, 209 à 215 et 218-78, Rec. p. 3125), les pouvoirs publics néerlandais ne limitent pas l'éventail des bandelettes fiscales disponibles pour les fabricants et n'empêchent donc pas ceux-ci de pratiquer des prix avantageux pour les consommateurs.
27. L'analyse de la réglementation néerlandaise en matière de prix, la PGD, n'est pas de nature à modifier cette conclusion. Pour les empêcher de pratiquer des prix trop élevés par rapport à leurs coûts, l'article 2 de la PGD interdit aux producteurs de vendre à un prix supérieur à un maximum. Mais cette réglementation ne leur défend pas d'écouler leurs produits à un prix inférieur à ce maximum.
28. En outre, il ressort des débats devant la Cour qu'un producteur peut décider de ne pas augmenter immédiatement ses prix du montant autorisé. En maintenant ses prix, ce producteur peut concurrencer ainsi les firmes qui, elles, ont décidé d'augmenter les leurs.
29. Il faut donc conclure de ce qui précède que si la législation néerlandaise rend moins souple l'action des fabricants de tabacs manufacturés en ce qui concerne la concurrence par les prix, elle laisse tout de même aux fabricants des possibilités de créer un écart de prix entre leurs produits et ceux de leurs concurrents, soit en diminuant leurs prix, soit en les maintenant au même niveau alors que d'autres les augmentent.
30. C'est également à tort que les requérants invoquent l'effet de compression pour expliquer l'impossibilité de la concurrence par les prix dans le secteur des tabacs manufacturés.
31. Il convient, en effet, de relever d'abord qu'il n'a pas été établi que l'effet de compression, à supposer qu'il existe, aboutissait à réduire les coûts de tous les producteurs de tabacs manufacturés au même niveau. même si chacun de ces producteurs a été contraint de réduire ses propres coûts à un minimum, ce minimum ne correspond pas nécessairement aux coûts minimaux d'un autre producteur. Des lors, un faible écart de coût peut, s'il est répercuté, se traduire, par suite de l'effet multiplicateur dont il sera question ci-après, par une différence amplifiée dans les prix de vente et permettre ainsi la concurrence par les prix.
32. De toute façon, l'effet de compression ne se produit que si la concurrence joue normalement. Chaque producteur est alors contraint de réduire ses coûts, y compris sa marge bénéficiaire, au minimum. Mais, par leurs accords de prix, les requérants ont précisément éliminé toute incertitude sur les prix qui seraient pratiqués par leurs concurrents et ont pu ainsi échapper à l'effet de compression. Qu'il ait été dans l'intérêt des producteurs de se soustraire par un effort collectif aux contraintes que le jeu du marché faisait peser sur chacun d'eux individuellement ne rend pas leurs accords compatibles avec le droit de la concurrence.
c) Sur l'impossibilité d'une concurrence par les marges
33. Les requérants considèrént par ailleurs que la réglementation néerlandaise a supprimé aussi toute possibilité de concurrence en matière de marges à consentir au négoce.
34. Sur ce point, l'augmentation développée par les requérants est tirée de la contradiction qui existerait entre deux normes légales : l'article 3 de la PGD, qui trouve sa base dans la loi sur les prix, et l'article 30 de la loi sur l'accise. En effet, l'article 3 de la PGD obligerait tout détaillant à diminuer son prix de vente si son coût diminue. Lorsqu'un fabricant octroie une plus grande marge bénéficiaire à certains détaillants et diminue ainsi d'autant leur prix d'achat, ces commerçants, en raison de l'article 3 de la PGD, seraient tenus de diminuer leur prix de vente au détail. Les requérants qualifient ce mécanisme d' " effet domino ". Toutefois, cet " effet domino " mettrait les détaillants en contravention avec l'article 30 de la loi sur l'accise, qui leur interdit de vendre les cigarettes à un prix différent de celui indiqué sur la bandelette fiscale. En se concurrençant par les marges, les producteurs obligeraient donc nécessairement les détaillants à enfreindre une disposition légale et seraient complices de cette violation.
35. Pour sa défense, la Commission soutient principalement que la PGD a un fonctionnement particulier dans le secteur des tabacs manufacturés. L'effet domino tel qu'il est décrit par les requérants ne jouerait complètement que dans les secteurs où les détaillants conservent le pouvoir de fixer les prix de vente. Il faudrait s'assurer alors que les avantages qui leur sont consentis sont finalement répercutés dans les prix de vente au détail. Tel serait le rôle de l'effet domino. Par contre, dans le secteur des tabacs manufacturés, les producteurs fixeraient eux-mêmes le prix de vente au détail. Il ne serait plus alors nécessaire d'obliger les détaillants à répercuter les diminutions de coût dont ils bénéficient. Lorsqu'une autorisation ministérielle d'augmenter le prix est donnée, l'augmentation autorisée inclurait la totalité de la marge que ce prix permet d'assurer à l'industrie et au commerce. Mais la répartition de cette marge entre les différents opérateurs économiques pourrait donner lieu à une concurrence entre les producteurs.
36. L'argumentation des requérants ne peut être suivie. En effet, en concluant différents accords pour fixer la marge commerciale des grossistes et des détaillants et pour accorder une remise spéciale à certains d'entre eux, les membres de la SSI ont fait collectivement ce qu'ils soutiennent qu'ils ne pouvaient faire individuellement. Le caractère collectif de leur action n'aurait pas empêché que les bénéficiaires de ces accords auraient dû être sanctionnés, si la législation néerlandaise avait la portée que les requérants lui attribuent. Tel ne peut être le cas puisqu'il n'a pas été prouvé qu'un seul grossiste ou détaillant ait été condamné aux Pays-Bas pour n'avoir pas transféré aux consommateurs un avantage qui lui avait été consenti par les membres de la SSI.
37. La Commission à d'ailleurs expliqué de manière convaincante en quoi la PGD a un fonctionnement particulier dans le secteur des tabacs manufacturés. Il ressort de ces explications que l'effet domino ne joue que dans les secteurs où chacun des opérateurs économiques est libre de fixer son prix de vente, ce qui n'est pas le cas pour les tabacs manufacturés en raison de l'obligation que la loi sur l'accise impose aux détaillants de respecter le prix bandelette qui a été fixé par le producteur ou l'importateur.
2. Sur les pressions qui auraient été exercées par les pouvoirs publics
38. Les requérants soutiennent aussi que les pouvoirs publics néerlandais ont, à diverses reprises, influencé de façon décisive la formation des prix de vente et des marges. L'intervention des pouvoirs publics s'expliquerait par leur souci, d'une part, d'obtenir un rendement élevé de l'accise et, d'autre part, d'assurer un revenu stable à certains commerçants. Dans le cadre de cette concertation, les pouvoirs publics auraient, parfois, menacé de prendre des " mesures ", selon leurs propres termes, si les membres de la SSI n'adaptaient pas leur comportement aux objectifs qu'ils avaient tracés.
39. Pour la Commission, les documents produits par les requérants ne démontrent pas que les accords litigieux ont été conclus avec l'approbation ou à l'instigation de l'administration néerlandaise. Le gouvernement néerlandais à d'ailleurs nié énergiquement que cela ait été le cas dans sa réponse à une demande qui lui a été adressée par la Commission.
40. Il n'est pas nécessaire d'examiner ici dans quelle mesure une pression ou une incitation des pouvoirs publics peut avoir pour effet de faire échapper des accords conclus par des entreprises à l'application de l'article 85 du traité. Il à certes été établi que les pouvoirs publics néerlandais ont mené avec les entreprises intéressées différentes concertations au Cours desquelles ils ont tracé certains objectifs qu'ils souhaitaient voir atteints. Toutefois, il n'a pas été prouvé que les pouvoirs publics avaient indiqué que ces objectifs devaient être réalises par la conclusion des accords anticoncurrentiels condamnés par la décision attaquée.
3. Sur la distorsion de la concurrence qu'entraînerait un multiplicateur élevé
41. Un des requérants, Laurens, souligne que, dans l'arrêt du 29 octobre 1980 (van Landewijck/Commission, précité), la Cour aurait admis que les accises ad valorem ont un effet multiplicateur sur le prix de vente au détail. Par cet effet multiplicateur, qui serait particulièrement élevé aux Pays-Bas, toute modification dans les coûts, y compris la marge bénéficiaire, qu'un producteur décide de répercuter se traduirait de manière amplifiée dans le prix de vente au détail. Pour Laurens, l'existence de cet effet multiplicateur créerait des distorsions dans la concurrence au niveau des prix de vente aux consommateurs et des marges accordées aux revendeurs, car le rapport normal entre les prestations offertes aux consommateurs et le prix de vente des produits serait fortement déséquilibré.
42. La Commission admet qu'il y a un effet multiplicateur pour les tabacs manufacturés aux Pays-Bas, mais elle souligne qu'il renforce la concurrence parce qu'il amplifie toute diminution de coûts que le producteur répercute et permet ainsi à celui-ci de pratiquer des prix nettement plus bas que ceux de ses concurrents.
43. Il convient d'abord de remarquer que, ainsi que la Cour l'a déjà reconnu dans son arrêt du 29 octobre 1980 (van Landewijck/Commission, précité), l'effet multiplicateur joue, en principe, tant pour une modification à la hausse des coûts que pour une modification à la baisse. En raison de l'effet multiplicateur, le producteur qui est le seul à prendre l'initiative de répercuter une diminution de coûts ou de ne pas répercuter une augmentation de coûts est en mesure de pratiquer des prix de vente qui reflètent de manière amplifiée son avantage.
44. Dans ces conditions, l'effet multiplicateur, loin de restreindre la concurrence par les prix, est de nature à la renforcer, et ce d'autant plus qu'aux Pays-Bas cet effet joue sans restriction dans le sens de la baisse. En effet, le législateur néerlandais, à la différence du législateur belge à l'époque de l'affaire van Landewijck, n'a pas décidé d'imposer une accise minimale élevée qui aurait pu garantir ses revenus fiscaux et limiter l'effet multiplicateur en cas de baisse des coûts.
45. Par ailleurs, ainsi que la Cour l'a relevé dans l'arrêt du 29 octobre 1980 (van Landewijck/Commission, précité), l'effet multiplicateur ne joue pas lorsque, à l'intérieur d'un prix de vente donné, un fabricant ou importateur augmente individuellement la part de ce prix de vente qui revient aux grossistes et détaillants. Dans cette mesure, la concurrence par les marges est possible sans que l'effet multiplicateur crée une quelconque distorsion.
B - Les accords interdits n'auraient pas affecté le commerce entre États membres
46. Les requérants estiment que leurs accords n'ont pas affecté le commerce entre les États membres, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En effet, tout d'abord, les tabacs manufacturés, dès qu'une bandelette fiscale y a été apposée, ne pourraient plus être exportés dans un autre État membre. Par ailleurs, les tabacs manufacturés qui n'ont pas encore été pourvus de bandelettes fiscales feraient certes l'objet d'échanges entre entreprises d'un même groupe. Mais, comme dans ce cas ils n'auraient pas encore été mis dans le commerce dans un État membre, les accords les concernant ne seraient pas susceptibles d'affecter le commerce entre États membres.
47. Pour la Commission, l'article 85 du traité n'exige pas que le commerce entre États membres soit restreint mais seulement que l'altération de concurrence soit susceptible d'affecter ce commerce, sinon directement, du moins effectivement ou potentiellement. Or, les parties aux accords et pratiques litigieux occuperaient 90 % du marché néerlandais et interviendraient pour une part importante dans les importations entre les États membres. Dans ces conditions, et à la lumière des points 170 à 172 de l'arrêt du 29 octobre 1980 (van Landewijck/Commission, précité), il parait difficile à la Commission d'affirmer que la condition d'affectation du commerce entre États membres n'est pas remplie.
48. Ainsi que la Cour l'à constaté dans son arrêt du 30 juin 1966 (société Technique Minière, 56-65, Rec. p. 337), pour qu'un accord soit susceptible d'affecter le commerce entre les États membres, " l'accord dont il s'agit doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle sur les Courants d'échanges entre États membres. Dès lors, pour rechercher si un contrat relève du champ d'application de l'article 85, il convient de savoir s'il est en mesure notamment de cloisonner le marché de certains produits entre les États membres et de rendre ainsi plus difficile l'interpénétration économique voulue par le traité ". Il convient de souligner que l'effet de cloisonnement des marchés n'est qu'un exemple d'influence sur le commerce entre États membres visée par l'article 85, paragraphe 1, du traité.
49. Par conséquent, même en absence de cloisonnement des marchés, des accords de prix entre entreprises établies dans un État membre et ne couvrant que le marché de cet État touchent les échanges entre États membres au sens de l'article 85 du traité, dès lors qu'ils portent, ne serait-ce que pour partie, sur un produit provenant d'un autre État membre et alors même que les participants auraient obtenu le produit auprès d'une société de leur groupe.
50. Il en va de même d'accords portant sur les marges commerciales à accorder aux revendeurs. Ainsi que la Cour l'a souligné dans son arrêt du 29 octobre 1980 (van Landewijck/Commission, précité), par un accord de ce genre, les requérants réduisent encore sensiblement l'incitation pour les intermédiaires de favoriser, en contrepartie d'avantages pécuniaires individuels, la vente de certains produits, et notamment des produits importés, par rapport à d'autres.
51. C'est donc à juste titre que la Commission à constaté que les accords et pratiques visés dans sa décision étaient susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Le premier moyen doit donc être rejeté.
II - Deuxième moyen : existence d'une contradiction interne dans la décision de la Commission
52. Un des requérants, British American Tobacco, estime qu'il y à contradiction entre l'article 6 de la décision attaquée, qui interdit à la SSI toute concertation avec les pouvoirs publics, et les articles 1er et 4 de cette même décision, qui laisseraient intactes les dispositions de l'accord- cadre de 1976 concernant cette concertation.
53. La Commission, pour sa part, estime qu'elle n'a pas interdit la concertation entre la SSI et l'administration pour autant que cette concertation soit préparée en réunissant de manière neutre et confidentielle les informations nécessaires, que les résultats en soient communiqués de manière objective et qu'elle ne débouche pas sur la conclusion d'accords anticoncurrentiels.
54. L'article 6 de la décision attaquée enfonce qu' " interdiction est faite aux entreprises et associations d'entreprises mentionnées à l'article 7 de se concerter collectivement à l'avenir en matière d'augmentation des prix des cigarettes et d'adaptation des marges pour la distribution des cigarettes aux Pays-Bas ".
55. Là lecture de cet article montre que la Commission a interdit aux entreprises intéressées de se concerter en matière de prix ou de marges. Il résulte des motifs de la décision qu'une telle concertation entre entreprises est contraire à l'article 85 du traité.
56. Par contre, rien dans cet article n'empêche la concertation entre les entreprises intéressées et l'administration néerlandaise, pour autant que cette concertation ne donne pas lieu à des agissements contraires à l'article 85 du traité. Pour ce motif, le moyen indique par British American Tobacco doit être rejeté.
III - Troisième moyen : violation de l'article 15 du règlement n° 17-62 du Conseil
57. Ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, la Commission a infligé des amendes aux entreprises qui avaient pris part aux accords de prix contraires à l'article 85 du traité.
58. Les requérants à qui ces amendes ont été infligées les contestent en invoquant plusieurs arguments. Ils n'auraient agi ni de propos délibéré ni par négligence. L'accord de 1978 sur les prix aurait été implicitement notifié. Des amendes ne pouvaient être infligées en raison d'accords couverts par l'article 4, paragraphe 2, point 1, du règlement n° 17-62 du Conseil. La Commission aurait enfreint les principes de traitement et d'équité. Enfin, l'article 85, paragraphe 3, du traité aurait été violé par la Commission.
A - Absence de propos délibéré ou de négligence
59. A titre préliminaire, certains requérants rappellent qu'une infraction à l'article 85 du traité ne peut donner lieu au prononcé d'amendes que si l'on établit la présence d'un " propos délibéré " ou d'une " négligence " dans le chef des participants à l'accord. Or, en l'espèce, la Commission n'aurait prouvé ni le propos délibéré ni la négligence.
60. Au contraire, selon les requérants, il faudrait appliquer, dans cette affaire, un principe de droit pénal selon lequel une erreur de droit exclut toute responsabilité. Les requérants invoquent plusieurs motifs à leur erreur. En premier lieu, ils rappellent que la portée des règles de concurrence n'était pas claire en ce qui concerne les tabacs manufacturés puisque la décision 78-670 de la Commission du 20 juillet 1978 (JO L 224, p. 29) dans l'affaire van Landewijck est postérieure à leurs accords. En second lieu, un des requérants, Reynolds, signale qu'il n'a pas participé à la concertation avec l'administration néerlandaise. Il n'aurait adhéré aux accords litigieux qu'en raison de sà conviction que les pouvoirs publics considéraient ces accords comme nécessaires et que ceux-ci échappaient à toute critique.
61. La Commission rappelle qu'elle n'a infligé d'amendes aux requérants qu'en raison de leur participation aux accords de prix. Or, il s'agit d'une des infractions les plus graves au droit de la concurrence que la Commission a toujours sanctionnée sans être censurée sur ce point par la Cour. Dans sa décision, au point 167, la Commission aurait motivé en détail l'existence d'au moins une négligence dans le chef des requérants.
62. En ce qui concerne l'argumentation des requérants, la Commission estime tout d'abord qu'il serait clair que les accords de prix sont contraires à l'article 85 du traité. Il suffirait à cet égard de lire le texte même du traité. Ces accords auraient d'ailleurs été condamnés dès le début ainsi qu'il est apparu dès le premier rapport sur la concurrence (premier rapport sur la politique de concurrence, joint au cinquième rapport général sur l'activité des Communautés, 1972, p. 25). Enfin, ce ne serait pas la concertation avec les pouvoirs publics qui serait en cause ici, mais les actes anticoncurrentiels accomplis par les requérants.
63. Aux termes de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17-62 du Conseil (précité), " la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes lorsque, de propos délibéré ou par négligence, ces entreprises commettent une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité... ".
64. Il est apparu au Cours de la présente procédure que la Commission avait fixé le montant des amendes en estimant que les infractions commises par les requérants avaient été commises par négligence.
65. En l'espèce, les membres de la SSI ne pouvaient ignorer qu'en concluant des accords d'augmentation des prix, ils restreignaient la concurrence. Ils ne pouvaient ignorer non plus que ces accords devaient être considérés comme susceptibles d'affecter le commerce entre les États membres, étant donné qu'ils couvraient l'ensemble d'un marché national et avaient trait à des produits importés d'un État membre. Dans ces conditions, c'est à juste titre que la Commission a estimé que les requérants avaient agi au moins par négligence.
66. Cette conclusion vaut aussi pour Reynolds, qui a pénétré plus tardivement sur le marché néerlandais mais a été partie aux trois accords sur les prix conclus au sein de la SSI. Reynolds n'à d'ailleurs pas soutenu qu'il avait subi des pressions quelconques pour aligner son comportement sur celui des entreprises déjà établies sur ce marché. Dans ces conditions, il faut conclure qu'il a adopté en toute liberté des comportements contraires à l'article 85 du traité et qu'en conséquence il a au moins agi par négligence.
B - La notification de l'accord-cadre SSI de 1976 vaudrait notification de l'accord de 1978 sur les prix
67. Les requérants soutiennent qu'ils ont cru de bonne foi que la notification de l'accord-cadre SSI de 1976 valait celle de l'accord de 1978 sur les prix qui n'en aurait été que la mise en œuvre.
68. Selon la Commission, l'accord-cadre concerne la concertation entre le secteur des tabacs manufacturés et l'administration, alors que l'accord sur les prix est une concertation entre les producteurs eux-mêmes. La Commission ne comprend pas dès lors comment la notification de l'un aurait pu valoir celle de l'autre.
69. L'argument des requérants ne saurait être retenu. En effet, l'accord- cadre qui organisait la concertation entre l'administration néerlandaise et les fabricants de tabacs manufacturés ne faisait pas apparaître que cette concertation pouvait avoir pour objet la conclusion d'accords anticoncurrentiels. Il n'à d'ailleurs pas été établi au Cours de la présente procédure que les concertations effectivement menées avec les pouvoirs publics avaient eu cet objet. La notification de l'accord-cadre ne peut, dans ces conditions, valoir notification d'un accord anticoncurrentiel comme l'accord sur les prix conclu en 1978.
C - La Commission ne pouvait infliger des amendes en raison d'accords couverts par l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17-62 du Conseil
70. Les requérants soulignent qu'ils étaient tous établis dans le même État membre et que leurs accords de prix ne concernaient ni les importations ni les exportations. Ils en déduisent qu'en vertu de l'article 4, paragraphe 2, point 1, du règlement n° 17-62 du Conseil (précité), ils n'étaient pas tenus de les notifier et que la Commission ne pouvait pas leur infliger des amendes en raison de ces accords. La distinction faite à l'article 4 précité entre les accords qui doivent être notifiés et ceux qui ne doivent pas l'être n'aurait en effet pas de sens si des amendes pouvaient être infligées pour les accords couverts par l'article 4, paragraphe 2, point 1, du règlement n° 17-62.
71. La Commission estime tout d'abord que les accords en cause dans la présente affaire n'étaient sans doute pas couverts par l'article 4, paragraphe 2, point 1, du règlement n° 17-62. En effet, ils auraient été conclus par des firmes approvisionnant approximativement 90 % du marché néerlandais des tabacs manufacturés. De plus, ces accords porteraient sur des produits importés. Par ailleurs, même si l'on était en présence d'accords couverts par l'article 4, paragraphe 2, cela ne signifierait pas automatiquement que des amendes ne pourraient pas être infligées. L'article 15, paragraphe 5, sous a), du règlement n° 17-62 du Conseil (précité) ne s'appliquerait que lorsqu'il s'agit d'une restriction minime au jeu de la concurrence.
72. L'article 4 du règlement n° 17-62 du Conseil (précité) dispose, dans son paragraphe 1, qu'une décision d'exemption en faveur d'un accord visé par l'article 85, paragraphe 1, du traité ne peut être prise que lorsque l'accord a été notifié à la Commission. Il précise, dans son paragraphe 2, que cette règle ne vaut pas pour les accords auxquels ne participent que des entreprises ressortissant d'un seul État membre pourvu que ces accords ne concernent ni l'importation ni l'exportation entre les États membres. Il prévoit enfin que ces derniers accords peuvent être notifiés à la Commission.
73. L'argumentation des requérants revient en substance à dire que l'interdiction d'infliger des amendes prévue par l'article 15, paragraphe 5, sous a), du règlement n° 17-62 s'applique également dans le cas d'accords couverts par l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17-62 qui n'ont pas été notifiés.
74. A cet égard, il convient de relever d'abord que cette interdiction n'est prévue expressément que dans le cas d'accords effectivement notifiés, sans qu'il soit fait de distinction selon que ces accords tombaient sous le régime général institué par l'article 4, paragraphe 1, ou relevaient du régime particulier prévu par l'article 4, paragraphe 2.
75. Il faut observer ensuite que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la distinction entre accords régis par l'article 4, paragraphe 1, et accords visés par l'article 4, paragraphe 2, conserve une portée, même si, en l'absence de notification, les entreprises peuvent se voir infliger des amendes pour leur participation à des accords couverts par l'article 4, paragraphe 2. La distinction présente en effet un double intérêt sur le plan procédural. D'une part, dans le cas d'accords visés par l'article 4, paragraphe 2, la Commission doit vérifier d'office la réalisation des conditions de l'article 85, paragraphe 3, alors même qu'elle découvrirait ces accords à la suite d'une procédure engagée sur sa propre initiative : au contraire, l'exemption d'accords soumis à l'article 4, paragraphe 1, est subordonnée à leur notification préalable. D'autre part, dans le cas d'accords couverts par l'article 4, paragraphe 2, la Commission peut, aux termes de l'article 6, paragraphe 2, donner à sa décision d'exemption un effet rétroactif illimité : pour les accords soumis à l'article 4, paragraphe 1, la décision d'exemption ne peut, selon l'article 6, paragraphe 1, in fine, rétroagir au-dela de la date de la notification.
76. Il convient de souligner enfin que la faculté de notifier les accords couverts par l'article 4, paragraphe 2, doit se voir également reconnaître un effet utile, ce qui ne peut être le cas que si les entreprises qui l'exercent obtiennent des avantages en contrepartie. Indépendamment du fait que les intéressés peuvent ainsi obtenir une certitude sur la possibilité d'obtenir une exemption, sans avoir à attendre qu'une procédure d'office soit ouverte à leur égard, cet avantage ne peut consister qu'à se mettre à l'abri d'amendes en profitant de l'interdiction faite à la Commission par l'article 15, paragraphe 5, sous a), du règlement n° 17-62. Il est d'ailleurs compréhensible que le législateur communautaire ait voulu réserver cet avantage aux entreprises qui ont notifié leurs accords, car, en les révélant ainsi, elles prennent le risque de devoir y mettre fin et réduisent par ailleurs d'autant les taches d'investigation de la Commission.
77. Il y à lieu de conclure pour ces raisons que l'interdiction d'infliger des amendes prévue par l'article 15, paragraphe 5, sous a), du règlement n° 17-62 ne joue que pour des accords effectivement notifiés.
78. Il en résulte que, même si les accords en cause étaient couverts par l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17-62 du Conseil, la Commission pouvait infliger des amendes aux requérants qui y ont pris part, dès lors que ces accords n'avaient pas été notifiés.
D - Violation des principes d'égalité de traitement et d'équité
79. En premier lieu, les requérants estiment qu'il y a rupture de l'égalité en ce qu'ils ont subi une différence de traitement par rapport aux entreprises en cause dans l'affaire van Landewijck. En effet, dans celle- ci, bien que les infractions fussent graves, aucune amende n'avait été infligée.
80. C'est à juste titre que la Commission considèré que le reproche des requérants n'est pas fondé. Les amendes infligées dans la présente affaire l'ont été en raison des accords de prix conclus par les requérants. Les accords en cause dans l'arrêt du 29 octobre 1980 (van Landewijck/Commission, précité) n'impliquaient pas une augmentation des prix de vente aux consommateurs finals mais portaient seulement sur la part revenant aux revendeurs dans des prix de vente fixés par chaque fabricant ou chaque importateur de manière autonome.
81. En second lieu, les requérants dénoncent comme inéquitable le fait d'infliger systématiquement des amendes dans le cas d'accords de prix, alors que l'article 85 n'établit aucune distinction entre les différents types d'accords.
82. Il y à lieu de souligner que, de cette absence de distinction, il ne résulte pas que toutes les infractions aient la même gravité. Les ententes qui empêchent l'approvisionnement des utilisateurs aux prix les plus avantageux revêtent une gravite particulière qui justifie que la Commission fasse un strict usage de son pouvoir de sanction.
E - La prétendue violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité
83. Trois requérants estiment que, loin d'infliger des amendes en raison des accords sur les prix, la Commission aurait du exempter ces accords au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Ainsi, Reynolds soutient que ces accords ont eu pour objet de protéger la structure du réseau de distribution, et ont donc profité aux consommateurs. Laurens, pour sa part, considèré qu'une exemption doit être accordée aussi longtemps que les distorsions dues aux législations nationales ne sont pas éliminées. Enfin, pour Turmac, l'article 85, paragraphe 3, est suffisamment souple pour être appliqué à un secteur aussi particulier que celui des tabacs manufacturés.
84. Pour la Commission, l'argumentation de Reynolds doit être écartée au vu de l'arrêt du 29 octobre 1980 (van Landewijck/Commission, précité) où la Cour a déjà déclaré que " le nombre d'intermédiaires et de marques ne constitue pas nécessairement le critère essentiel d'une amélioration de la distribution au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité ". Pour le surplus, la Commission estime qu'il s'agit seulement de savoir si la concurrence par les prix restait possible en matière de tabacs manufacturés aux Pays-Bas.
85. Il suffit de relever à cet égard que, ainsi que la Commission l'a indiqué à juste titre dans sa décision, l'exemption, même si elle avait pu être octroyée d'office, aurait du être refusée au motif que les accords sur les prix profitaient exclusivement aux fabricants et importateurs et ne procuraient aucun avantage aux utilisateurs.
IV - Quatrième moyen : la prétendue violation de l'article 190 du traité CEE, en ce que la Commission n'a pas examiné suffisamment les arguments des requérants
86. Selon les requérantes, la Commission aurait ignoré leurs arguments à tous les stades de la procédure. Aucun de ces arguments n'apparaîtrait dans la décision.
87. Pour la Commission, il n'est pas nécessaire qu'elle reprenne dans sa décision tous les arguments invoqués par les parties.
88. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de motiver ses décisions en mentionnant les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l'ont amenée à prendre sa décision, il n'est pas exigé qu'elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par chaque intéressé au Cours de la procédure administrative. Par conséquent, le quatrième moyen doit être rejeté aussi.
V - Les griefs relatifs au montant des amendes
89. Le montant des amendes infligées est le suivant : 350 000 écus pour la British American Tobacco ; 425 000 chus pour la Sigarettenfabriek Ed. Laurens BV ; 100 000 écus pour Theodorus Niemeyer BV ; 125 000 écus pour Philip Morris Holland BV ; 150 000 écus pour R. J. Reynolds Tobacco BV et 325 000 écus pour Turmac Tobacco co. Bv.
90. Tous les requérants font valoir que, si la Cour devait maintenir les amendes, elle devrait, pour fixer leur montant, prendre en considération un certain nombre d'éléments, à savoir la durée des accords (seulement trois mois pour les accords de prix), le fait que les requérants ont cru de bonne foi que la notification de l'accord-cadre SSI valait notification de l'accord de 1978 sur les prix et le caractère national des accords. En outre, la Cour devrait tenir compte des effets du cadre législatif et du rôle joué par les pouvoirs publics.
91. Pour la Commission, les requérants étaient certainement conscients de ce que leurs accords éliminaient tant la concurrence par les marges que celle par les prix de vente au détail. D'ailleurs, ils ne nieraient pas avoir conclu ces accords en connaissance de cause, mais soutiendraient seulement qu'aucune concurrence efficace n'était possible sur le marché en cause. Les conditions de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17- 62 seraient dès lors remplies.
92. Il convient d'observer en premier lieu que, l'accord de prix de 1978 ne constituant en rien la mise en œuvre de l'accord-cadre SSI de 1976, les requérants ne sauraient faire valoir qu'ils ont cru de bonne foi que la notification de l'accord couvrait l'accord de prix.
93. En deuxième lieu, le caractère national des accords de prix ne peut pas non plus être considéré comme une circonstance atténuante dès lors que ces accords étaient susceptibles d'affecter le commerce entre les États membres.
94. En troisième lieu, àsupposer même qu'une incitation des pouvoirs publics puisse constituer une circonstance atténuante, il suffit de constater qu'en l'espèce ceux-ci n'ont pas incité à la conclusion des accords anticoncurrentiels condamnés par la Commission.
95. En quatrième lieu, il ressort du point 167 de la décision attaquée que la Commission a pris en considération la durée des infractions. Tout en reconnaissant que les accords de prix avaient eu une durée assez brève, la Commission a souligné à juste titre qu'ils étaient précisément intervenus pendant la période durant laquelle la concurrence de prix était possible. Des lors, leur brève durée ne peut être considérée comme une circonstance atténuante.
96. Enfin, quant au cadre législatif, la Commission a indiqué qu'il restreignait dans une certaine mesure la liberté d'action des parties sans toutefois la supprimer et elle en a tenu compte lors de la fixation du montant des amendes. Il n'y a pas lieu de modifier son appréciation sur ce point.
97. Certains requérants font aussi valoir des circonstances atténuantes particulières. Ainsi, Philip Morris Holland et British American Tobacco signalent qu'ils se sont efforcés d'adapter la structure de la SSI de manière à rendre celle-ci conforme au droit de la concurrence. Ce serait grâce à leurs efforts que l'accord-cadre de 1976 aurait pu être signé et notifié à la Commission. Niemeyer, pour sa part, souligne que sa part de marché aux Pays-Bas a fortement diminué ces dernières années. Enfin, Reynolds soutient qu'ayant pénétré plus tard sur le marché néerlandais, il à cru de bonne foi qu'il pouvait participer licitement aux accords existant dans le secteur du tabac.
98. L'argumentation de Philip Morris Holland et de British American Tobacco ne saurait être retenue. En effet, une amende leur a été infligée non pas en raison de leur participation à l'accord-cadre SSI, mais parce qu'ils ont pris part aux accords de prix de 1974, 1975 et 1978. Dans ces conditions, il est sans pertinence qu'ils se soient efforcés de rendre la structure de la SSI conforme au droit de la concurrence.
99. Ensuite, contrairement à ce que soutient le requérant Niemeyer, la Commission a pris en considération la part du marché des différentes firmes. Il ressort en effet du dossier que le montant de chaque amende constitue un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé en 1981 par chaque entreprise sanctionnée. Or, le chiffre d'affaires reflète la part du marché détenue par chaque entreprise au moment de la décision de la Commission. Par conséquent, la Commission a déjà tenu compte d'une éventuelle diminution de la part de marché détenue par Niemeyer qui serait intervenue entre la conclusion des accords et l'adoption de la décision.
100. Enfin, il y à lieu de relever qu'au Cours de la procédure devant la Cour, la Commission a admis que, du fait de son entrée tardive sur le marché néerlandais, Reynolds avait eu un rôle moins actif que les autres requérants. Il ressort toutefois des explications que la Commission a fournies à la Cour que l'amende a été fixée en fonction d'un même pourcentage du chiffre d'affaires pour tous les requérants, ce qui ne tient pas compte du rôle moins actif joue par Reynolds. Dans ces conditions, il y à lieu de ramener l'amende infligée à Reynolds de 150 000 à 100 000 écus, soit 260 884 florin.
101. Il résulte de l'ensemble des considérations exposées ci-dessus que les recours de la Stichting Sigarettenindustrie, Philip Morris Holland BV, Theodorus Niemeyer BV, British-American Tobacco BV, Sigarettenfabriek Ed. Laurens et Turmac Tobacco doivent être rejetés dans leur totalité et que le recours de Reynolds doit être accueilli en tant qu'il tend à la réduction de l'amende, et rejeté pour le surplus.
Sur les dépens
102. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, alinéa 1, du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours de Reynolds ayant été partiellement accueilli, chaque partie supporterà ses propres dépens en ce qui concerne le recours n° 261-82. Pour les autres recours, les requérants ayant succombé dans tous leurs moyens, il y à lieu de les condamner solidairement aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
déclare et arrête :
1) l'amende infligée à Reynolds est ramenée de 150 000 à 100 000 écus, soit 260 884 florin.
2) le surplus du recours de Reynolds est rejeté.
3) les autres recours sont rejetés.
4) en ce qui concerne le recours n° 261-82, chaque partie supporterà ses propres dépens.
5) pour les autres recours, les requérants sont condamnés solidairement aux dépens.