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Décisions

CJCE, 5e ch., 29 janvier 1985, n° 231-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cullet, Chambre syndicale des réparateurs automobiles et détaillants de produits pétroliers

Défendeur :

Sodinord (SA), Sodirev

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Avocat général :

M. Verloren Van Themaat

Juges :

MM. Kakouris, Everling, Galmot, Joliet

Avocats :

Mes Farme, Amadio, Simon.

CJCE n° 231-83

29 janvier 1985

LA COUR

1. Par ordonnance de référé du 1er août 1983, parvenue à la Cour le 11 octobre 1983, le président du Tribunal de commerce de Toulouse a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de différentes dispositions du droit communautaire, et notamment des articles 3, sous f), et 5 du traité CEE, en vue d'être mis en mesure d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire d'une réglementation nationale imposant pour les carburants un prix minimal à la vente au consommateur.

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Henri Cullet, exploitant d'une station d'essence à Toulouse, ainsi que la Chambre syndicale des réparateurs automobiles et détaillants de produits pétroliers à Toulouse aux sociétés SA Sodinord et SA Sodirev (ci-après " Sodinord " et " Sodirev"), qui exploitent à Toulouse et à Saint-Orens-de-Gameville, sous la denomination " Centre Leclerc " selon le nom du groupe auquel elles adhèrent, des supermarchés comportant des stations d'essence. Ce litige porte sur le respect du prix minimal de vente au consommateur de carburants (essence, supercarburant et gasoil) fixé par les autorités françaises.

3. Il existe en France, d'une part, un régime de distribution des produits pétroliers, basé sur la loi du 30 mars 1928 relative au régime d'importation du pétrole, et, d'autre part, un système de fixation des prix de vente aux stades de gros et de la vente au consommateur, instauré par l'ordonnance 45-1483 du 30 juin 1945 et les arrêtés n° 82-10 A, 82-11 A, 82-12 A et 82-13 A du 29 avril 1982.

4. En vertu du régime de distribution, tel qu'il a été aménagé avec l'accord de la Commission dans le cadre de l'article 37 du traité CEE, l'importation et l'achat auprès de raffineries françaises de produits pétroliers en vue de la mise à la consommation exigent une autorisation spéciale de l'État, appelée autorisation A 3. Chaque détenteur d'une autorisation A 3 est tenu de s'approvisionner à 80 % sur le marché français ou communautaire, par des contrats à moyen terme conclus avec des raffineurs français ou communautaires ; pour les 20 % restants, il peut s'approvisionner librement, notamment sur le marché " spot ".

5. Le prix de vente des produits pétroliers au stade de gros, appelé " prix de reprise ", est en principe librement déterminé par chaque raffineur ou importateur détenteur d'une autorisation A 3. Ceux-ci doivent déposer au moins une fois par mois un barème de leurs prix de reprise auprès des autorités compétentes, barème par rapport auquel des rabais peuvent être accordés. Le prix de reprise ne peut cependant pas être supérieur à un " prix plafond ", fixé mensuellement par les autorités compétentes. En pratique, les barèmes des prix de reprise sont généralement égaux à ce prix plafond. Pour la fixation du prix plafond, les autorités compétentes prennent en considération, d'une part, le prix de revient des raffineries françaises, calculé en tenant compte du prix du pétrole brut, des taux du dollar et des coûts du fret maritime et du raffinage, évalués forfaitairement sur la base d'éléments statistiques, et, d'autre part, les cours constatés sur les marchés européens. La réglementation prévoit que dans la mesure où les cours européens ne s'écartent pas de plus de 8 % en hausse ou en baisse du prix de revient des raffineries françaises, ce sont les cours européens qui sont déterminants pour le prix plafond ; si, par contre, les cours européens sortent dudit " tunnel " constitué par l'écart de 8 % par rapport au prix de revient des raffineries françaises, c'est ce dernier prix qui est l'élément déterminant du prix plafond.

6. Les prix de vente au consommateur sont limités tant vers le haut que vers le bas. Vers le haut, le " prix limite de vente au détail ", lequel varie selon le détaillant en fonction du prix de reprise de son fournisseur, résulte de la somme du prix de reprise, des frais et marges commerciales prévues ainsi que des taxes et redevances. Vers le haut, le " prix minimal " est fixé mensuellement pour chaque canton en appliquant une réduction, qui était à l'époque de neuf centimes par litre d'essence et de dix centimes par litre de supercarburant, au prix limite de vente résultant de la moyenne des barèmes de prix de reprise des raffineurs français au cours du mois précédent. Lorsque le calcul du prix limite de vente d'un distributeur donne un résultat inférieur au prix minimal, le prix limite de vente est porté au niveau du prix minimal.

7. Il ressort du dossier que le groupe Leclerc auquel appartiennent Sodinord et Sodirev est titulaire d'une autorisation A 3. Ce groupe a la réputation de pratiquer, dans ses magasins dénommés " Centres Leclerc ", une politique commerciale de bas prix pour différentes sortes de marchandises. En 1983, il a décidé d'étendre cette politique commerciale à la vente au détail des carburants. Tout comme d'autres Centres Leclerc, les sociétés Sodinord et Sodirev ont donc vendu des carburants à des prix inférieurs aux prix minimaux fixés par les autorités compétentes en conformité avec la réglementation susmentionnée.

8. Sodinord et Sodirev ont alors été assignées devant le président du Tribunal de commerce de Toulouse par un concurrent qui faisait valoir que cette pratique de prix plus bas que le prix minimal était illicite et déloyale et lui créait des préjudices, et qui demandait par conséquent de l'interdire sous peine d'astreinte. Sodinord et Sodirev se sont défendues en faisant valoir que la réglementation sur le prix de vente des carburants est contraire aux articles 3, sous f), 85 et 86 du traité et ne saurait être justifiée au regard des articles 30 et 36 du traité.

9. Le président du Tribunal de commerce de Toulouse a estimé nécessaire pour la solution de ce litige de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

" Les articles 3, sous f), et 5 du traité du 25 mars 1957 ayant institué la CEE doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils interdisent l'institution dans un État membre, par voie législative ou réglementaire, de prix minimaux imposés à la vente au consommateur, à la pompe, de carburants (essence, supercarburant et gasoil), système qui oblige tout détaillant ressortissant de l'un quelconque des États de la Communauté à se conformer au prix minimal fixé ? "

10. L'article 3, sous f), du traité, auquel cette question fait référence fait partie des principes généraux du marché commun qui sont appliqués en combinaison avec les chapitres respectifs du traité destinés à mettre en œuvre ces principes. Cette disposition prévoit " l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun ", objectif général explicité notamment par les règles de concurrence du chapitre 1 du titre I de la troisième partie du traité. L'article 5, alinéa 2, du traité, quant à lui, exige que les États membres " s'abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts ... du traité ". La question posée par la juridiction nationale, au regard de la compatibilité avec ces dispositions d'une législation du type de celle décrite ci-dessus, vise donc à savoir si celle-ci est conforme aux principes et buts du traité et aux dispositions du traité qui les mettent plus spécifiquement en œuvre.

11. Il convient d'observer que les articles 2 et 3 du traité visent la création d'un marché où les marchandises circulent librement dans des conditions de concurrence non faussées. Cet objectif est assuré notamment tant par les articles 30 et suivants concernant l'interdiction des restrictions au commerce intracommunautaire que par les articles 85 et suivants concernant les règles de concurrence qu'il convient d'examiner en premier lieu.

Sur l'application des articles 3, sous f), 5 et 85 du traité

12. Selon Sodinord et Sodirev, en vertu des articles 3, sous f), et 5 du traité CEE, les principes des articles 85 et 86 sont applicables à une réglementation étatique comme celle de l'espèce. L'article 85 interdirait de fixer de façon directe ou indirecte le prix de vente ou d'autres conditions des transactions commerciales et il ne serait pas admis d'éliminer l'effet utile des règles du droit communautaire qui visent à assurer un régime de concurrence non faussée dans le marché commun.

13. Les gouvernements français, italien et hellénique font valoir que les articles 3, sous f), et 5 du traité font partie des principes généraux du traité et ne peuvent être compris qu'en liaison avec d'autres dispositions du traité qui en définissent les conditions et les modalités de mise en œuvre. A cet égard, les articles 85 et 86 ne sauraient être pris en considération pour apprécier une réglementation étatique de prix car ces articles ne concerneraient que les comportements d'entreprises.

14. Selon la Commission, ce n'est qu'exceptionnellement que des mesures étatiques peuvent être considérées comme contraires à l'obligation découlant de l'article 5 du traité de ne pas éliminer l'effet utile des règles de concurrence établies par les articles 85 et 86. Il en serait ainsi d'une réglementation étatique qui favoriserait ou faciliterait un comportement infractionnel de la part des entreprises ou aurait pour objet spécifique de permettre à celles-ci de se soustraire aux règles de concurrence. Tel ne serait cependant pas le cas en l'espèce.

15. Conformément à l'objectif énoncé à l'article 3, sous f), du traité, sont incompatibles avec le marché commun et interdits, en vertu de l'article 85, paragraphe 1, tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction. Cette disposition vise donc des accords, décisions et pratiques concertées anticoncurrentiels de plusieurs entreprises, sous réserve des dérogations accordées par la Commission en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

16. Il est vrai que ces règles concernent le comportement des entreprises et non pas des mesures législatives ou réglementaires des États membres. Cependant, comme la Cour l'a déjà jugé récemment dans son arrêt du 10 janvier 1985 (Leclerc, 229-83, Recueil 1985, p. 1), ceux-ci sont néanmoins tenus, en vertu de l'article 5, alinéa 2, du traité, de ne pas porter préjudice par leur législation nationale à l'application pleine et uniforme du droit communautaire et à l'effet des actes d'exécution de celui-ci, et de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptible d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises(voir en outre les arrêts du 13 février 1969, Walt Wilhelm et autres, 14-68, Recueil p. 1, et du 16 novembre 1977, Inno/Atab, 13-77, Recueil p. 2115).

17. Toutefois, une réglementation du type de celle litigieuse en l'espèce ne vise pas à imposer la conclusion d'accords entre fournisseurs et détaillants ou d'autres comportements tels que prévus à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle confie, au contraire, la responsabilité de fixer les prix aux autorités publiques qui se basent à cet effet sur une série d'éléments de différente nature. Le seul fait que parmi ces éléments pris en considération pour la fixation du prix de vente au détail figurent les prix de reprises fixés par les fournisseurs, lesquels sont d'ailleurs limités vers le haut par le prix plafond fixé par les autorités compétentes, ne prive pas une réglementation comme celle litigieuse en l'espèce de son caractère étatique et n'est pas susceptible d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises.

18. Il s'ensuit que l'article 5, en combinaison avec les articles 3, sous f), et 85 du traité, n'interdit pas aux États membres de régler la fixation des prix de vente au détail d'une marchandise de la manière prévue par la réglementation litigieuse au principal.Il reste à apprécier une telle réglementation au regard des dispositions du traité concernant la libre circulation des marchandises.

Sur l'application des articles 30 et 36 du traité

19. Sodinord et Sodirev estiment que la formule de fixation des prix minimaux prévue par la réglementation litigieuse a pour effet de faire barrage à la concurrence des marchandises en provenance d'autres États membres lorsque les prix de revient de celles-ci sont inférieurs de plus de 8 % à ceux du raffinage français en neutralisant l'avantage concurrentiel de coûts moins élevés des importateurs. Elle serait donc constitutive d'une entrave aux importations interdite par l'article 30 du traité.

20. En outre, le système litigieux de fixation des prix permettrait aux autorités nationales des manipulations consistant à sous-évaluer artificiellement les prix de revient, empêchant ainsi les importateurs de s'engager sur un marché qui est traditionnellement dans les mains des raffineurs français, en les empêchant, le cas échéant, d'écouler leurs produits à des prix rentables. Cet effet serait encore renforcé par l'obligation, pour les détenteurs d'autorisations A 3, de s'approvisionner à 80 % par des contrats à moyen terme. Un tel système aurait donc pour effet, contrairement à l'article 30, de cloisonner le marché national.

21. Le gouvernement français, soutenu par les gouvernements italien et hellénique, estime qu'une réglementation des prix comme celle de l'espèce n'a pas d'effet sur les importations en provenance d'autres États membres. Elle aurait pour but d'harmoniser l'approvisionnement de l'ensemble du territoire national en carburants en assurant à tous les revendeurs des marges commerciales suffisantes. Les prix à l'importation étant libres, un opérateur étranger ayant des prix de revient plus favorables que les prix pratiqués en France, verrait sa pénétration sur le marché facilitée car il serait libre de répercuter cet avantage sur les détaillants. C'est ainsi que les importations en France de produits pétroliers auraient augmenté sous l'application de ce régime. Il en résulterait que l'article 30 ne saurait être interprété comme s'opposant à un tel régime de fixation des prix.

22. La Commission observe qu'une réglementation fixant un prix minimal est susceptible de défavoriser l'écoulement des produits importés dans la mesure où ce prix empêche que le prix de revient inférieur des produits importés soit répercuté sur le prix de vente au consommateur. Une réglementation comme celle litigieuse constituerait donc une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation dans la mesure où elle aboutirait à fixer le prix des produits en fonction du prix de revient des produits nationaux, neutralisant ainsi un éventuel avantage concurrentiel des produits importés.

23. Il y a lieu de rappeler tout d'abord que l'interdiction établie par l'article 30, des mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative vise, selon une jurisprudence constante de la Cour, toute mesure susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les importations entre États membres. S'agissant d'appliquer ces principes à des régimes étatiques de réglementation des prix, la Cour a itérativement constaté que de tels régimes, indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés, ne constituent pas en eux-mêmes des mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative, mais peuvent produire un tel effet lorsque les prix se situent à un niveau tel que les produits importés seraient défavorisés par rapport aux produits nationaux identiques, soit parce qu'ils ne pourraient pas être écoulés profitablement dans les conditions fixées, soit parce que l'avantage concurrentiel résultant de prix de revient inférieurs serait neutralisé (voir arrêts du 26 novembre 1976, Tasca, 65-75, Recueil p. 291 ; du 24 janvier 1978, Van Tiggele, 82-77, Recueil p. 25 ; du 6 novembre 1979, Danis, 16 à 20-79, Recueil p. 3327 ; du 29 novembre 1983, Roussel Laboratoria, 181-82, Recueil 1983, p. 3849).

24. L'argument de Sodinord et Sodirev selon lequel la formule de fixation du prix limite de vente au détail entraîne, en raison de sous-évaluations artificielles, un cloisonnement du marché en empêchant les raffineurs étrangers d'écouler leurs produits à des prix rentables, ne doit pas être examiné dans le cadre de la présente affaire. En effet, la fixation d'un prix maximal pour la vente au détail, de même que d'ailleurs les limitations d'approvisionnement imposées aux détenteurs d'autorisations A 3, n'a pas été évoquée par le Tribunal de commerce de Toulouse, le litige au principal portant uniquement sur le non-respect du prix minimal pour la vente au détail de carburants.

25. S'agissant de la fixation du prix minimal, il convient de rappeler que la Cour a précisé, dans son arrêt précité du 24 janvier 1978 (Van Tiggele, 82-77), qu'une disposition nationale qui fixe une marge bénéficiaire minimale applicable indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés ne saurait produire des effets préjudiciables à l'écoulement des seuls produits importés. Par contre, il en va autrement en ce qui concerne le prix minimal fixé à un montant déterminé qui, tout en s'appliquant indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, est susceptible de défavoriser l'écoulement de ces derniers dans la mesure où il empêche que leur prix de revient inférieur ne se répercute sur le prix de vente au consommateur.

26. Ainsi qu'il résulte des explications données ci-dessus, le prix minimal pour la vente au détail est déterminé en pratique, dans le cadre du système litigieux en l'espèce, à partir du prix de reprise lequel doit respecter le prix plafond fixé par les autorités nationales. Même si chaque importateur est libre de fixer son barème de prix de reprise plus bas que ce prix plafond, le fait que le prix minimal est calculé à partir de la moyenne des prix de reprises pratiqués par les raffineurs nationaux empêche les importateurs de bénéficier d'une position concurrentielle éventuellement plus avantageuse due à un prix de revient plus bas. Certes, on ne saurait critiquer qu'un État membre utilise, pour la fixation du prix d'un produit homogène dont l'origine est difficilement décernable dès qu'il se trouve sur le marché, des critères généraux. Il est toutefois nécessaire pour éviter tout effet défavorable quant à l'écoulement sur le marché des produits importés que ces critères prennent dûment en considération les prix de reprise de tous les opérateurs économiques quelle que soit l'origine de la marchandise.

27. Cet effet défavorable pour les produits importés d'un système tel que celui litigieux est encore renforcé par la méthode de calcul du prix plafond qui limite vers le haut le prix de reprise et qui est, selon les explications fournies à la Cour, normalement adopté par les raffineurs nationaux en tant que prix de reprise. En effet, si en règle générale le prix plafond est calculé sur la base aussi bien des prix de revient des raffineries françaises que des cours des carburants constatés sur les marchés européens, ce sont les seuls prix de revient des raffineries nationales qui sont déterminants lorsque les cours européens s'écartent de plus de 8 % en baisse de ces derniers. Il s'ensuit que, lorsque l'avantage concurrentiel des produits importés dépasse ce seuil, leur prix de revient plus avantageux n'est plus pris en considération pour la fixation du prix plafond. Une telle formule défavorise encore l'écoulement des produits importés en les privant de leur avantage concurrentiel auprès du consommateur dès que ce seuil de 8 % est dépassé.

28. Cet effet défavorable d'un prix minimal pour l'écoulement des produits importés dont le prix de revient est inférieur à celui des produits nationaux ne saurait être contesté en invoquant le fait que les prix à l'importation sont libres et que les importateurs peuvent donc accorder aux détaillants une marge bénéficiaire plus importante afin de les inciter à s'approvisionner en carburants importés. A cet égard, il convient de relever que la structure des réseaux de distribution s'oppose à ce que les carburants importés puissent pleinement bénéficier d'un tel avantage étant donné qu'un nombre important de détaillants n'ont pas la possibilité de changer librement de fournisseur. Dans une telle situation, le prix au niveau de la vente au détail constitue, pour des produits homogènes comme les carburants, l'élément essentiel de concurrence. Un prix minimal comme celui de l'espèce peut, par conséquent, gêner la pénétration accrue des produits importés sur le marché national lorsque leur prix de revient est plus favorable. Une éventuelle augmentation des importations sous l'application d'un tel système, comme le gouvernement français l'a invoquée, ne saurait, dans ces conditions, suffire à démontrer l'absence d'un effet défavorable d'un prix minimal pour l'écoulement des produits importés.

29. Il résulte de ce qui précède qu'un système national de fixation d'un prix minimal pour la vente au détail des carburants selon lequel ce prix est déterminé à partir des seuls prix de reprise des raffineries nationales et ces prix de reprise sont liés au prix plafond calculé sur la base des seuls prix de revient des raffineries nationales dans l'hypothèse où les cours européens de carburants s'écartent de plus de 8 % de ces derniers, défavorise les produits importés en les privant de la possibilité de tirer des avantages concurrentiels auprès du consommateur d'un prix de revient plus favorable.

30. Afin de justifier la réglementation litigieuse au principal, le gouvernement français a encore invoqué les exigences impératives de la défense des intérêts des consommateurs. A son avis, une concurrence ruineuse sur le prix des carburants pourrait entraîner une disparition d'un grand nombre de stations-service et donc un approvisionnement insuffisant de l'ensemble du territoire national.

31. A cet égard, il y a lieu d'observer qu'une réglementation nationale obligeant les détaillants à respecter certains prix pour la vente au détail, qui défavorise l'écoulement des produits importés sur le marché, ne peut être justifiée que pour les motifs prévus à l'article 36 du traité.

32. Aux fins de l'application de l'article 36, le gouvernement français a invoqué les troubles à l'ordre public et à la sécurité publique provoqués par des réactions violentes auxquelles on devrait s'attendre de la part des détaillants touchés par une concurrence illimitée.

33. A cet égard, il suffit de constater que le gouvernement français n'a pas démontré qu'une modification de la réglementation en cause conformément aux principes développés ci-dessus aurait sur l'ordre public et sur la sécurité publique des conséquences auxquelles il ne pourrait faire face grâce aux moyens dont il dispose.

34. Il y a donc lieu de répondre à la question posée par le Tribunal de commerce de Toulouse :

- que les articles 3, sous f), 5, 85 et 86 ne s'opposent pas à une réglementation nationale prévoyant la fixation par les autorités nationales d'un prix minimal pour la vente au détail des carburants ;

- et que l'article 30 s'oppose à une telle réglementation lorsque le prix minimal est déterminé à partir des seuls prix de reprise des raffineries nationales et que ces prix de reprise sont liés au prix plafond calculé sur la base des seuls prix de revient des raffineries nationales dans l'hypothèse où les cours européens de carburants s'écartent de plus de 8 % de ces derniers.

Sur les dépens

35. Les frais exposés par les gouvernements français, italien et hellénique ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le président du Tribunal de commerce de Toulouse, par ordonnance du 1er août 1983, dit pour droit :

1) les articles 3, sous f), 5, 85 et 86 du traité CEE ne s'opposent pas à une réglementation nationale prévoyant la fixation par les autorités nationales d'un prix minimal pour la vente au détail des carburants.

2) l'article 30 du traité CEE s'oppose à une telle réglementation lorsque le prix minimal est déterminé à partir des seuls prix de reprise des raffineries nationales et que ces prix de reprise sont liés au prix plafond calculé sur la base des seuls prix de revient des raffineries nationales dans l'hypothèse où les cours européens de carburants s'écartent de plus de 8 % de ces derniers.