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Décisions

CJCE, 14 juillet 1994, n° C-379/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Peralta

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mancini

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Joliet, Schockweiler, Rodríguez Iglesias, Grévisse (rapporteur), Zuleeg, Murray

Avocats :

Mes Conte, Giacomini.

CJCE n° C-379/92

14 juillet 1994

LA COUR,

1 Par ordonnance du 24 septembre 1992, parvenue à la Cour le 19 octobre suivant, le Pretore di Ravenna a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, six questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 3, sous f), 7, 30, 48, 52, 59, 62, 84 et 130 R du traité CEE.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre des poursuites pénales engagées à l'encontre de M. Peralta par les autorités italiennes pour violation de la loi n° 979, du 31 décembre 1982, portant dispositions pour la protection de la mer (GURI n° 16 du 18 janvier 1983, supplément ordinaire, p. 5).

3 Aux termes de l'article 16 de la loi susmentionnée:

"Dans l'étendue des eaux territoriales et des eaux maritimes internes, y compris les ports, il est fait interdiction à tous les navires, sans aucune distinction de nationalité, de déverser en mer, ou de provoquer le déversement en mer d'hydrocarbures ou de mélanges d'hydrocarbures, ainsi que d'autres substances nocives pour le milieu marin, mentionnées à la liste A jointe en annexe à la présente loi.

Il est également fait interdiction aux navires battant pavillon italien de déverser les substances visées à l'alinéa précédent même en dehors des eaux territoriales."

4 Les infractions à ces dispositions sont sanctionnées, dans les conditions prévues par l'article 20 de la même loi, par des amendes de 500 000 LIT à 10 millions de LIT et par des peines d'emprisonnement d'une durée maximale de deux ans. Ces sanctions pénales sont complétées par des sanctions professionnelles. Lorsqu'ils sont de nationalité italienne, les commandants de navires font l'objet d'une suspension professionnelle d'une durée maximale de deux ans. Les commandants de navires d'une autre nationalité sont, quant à eux, interdits de mouillage dans les ports italiens pour une période déterminée par le ministre de la Marine marchande.

5 Le dossier de l'affaire fait apparaître que M. Peralta, de nationalité italienne, est commandant d'un navire-citerne, battant pavillon italien, spécialement équipé pour le transport des substances chimiques. L'armateur du bateau est une société de droit italien.

6 Il est constant qu'à plusieurs reprises au cours du premier trimestre de l'année 1990, M. Peralta a ordonné le déversement en mer des eaux utilisées pour le lavage des citernes précédemment remplies de soude caustique, alors que le navire était situé au-delà des limites de la mer territoriale italienne (dans la plupart des cas dans une zone comprise entre 12 et 24 milles des lignes de base italiennes). Or, la soude caustique est l'une des substances nocives mentionnées à l'annexe A de la loi précitée du 31 décembre 1982.

7 Saisi de l'opposition à la condamnation pénale qui avait été prononcée à l'encontre de M. Peralta, le Pretore di Ravenna a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) Les règles que comportent les articles 16 et 20 de la loi n° 979-82 constituent-elles des restrictions au sens des articles 7, 48, 52 et 59 du traité et, en tant que telles, sont-elles interdites par l'article 62, en ce qu'elles n'apparaissent pas justifiées par des raisons objectives de défense des intérêts publics de l'État concerné ?

2) Au stade actuel de l'évolution du droit communautaire, une législation nationale, telle que celle dont il est question en l'espèce, qui prévoit, en raison de la nationalité des sujets de droit, un traitement incluant notamment des sanctions pénales, qui n'est pas prévu, pour des comportements identiques, pour les autres sujets de droit de l'ordre juridique communautaire, est-elle compatible avec la législation communautaire dont il est fait mention dans la première question ?

Cette législation pénale comportant, entre autres, pour le commandant du navire, la sanction automatique et obligatoire, de nature accessoire, de la suspension temporaire de l'exercice de son activité professionnelle et de travail est-elle compatible avec le principe de proportionnalité garanti par l'ordre juridique communautaire ?

3) Au stade actuel de l'évolution du droit communautaire, ce qu'il est convenu d'appeler la réserve pénale des États peut-elle affecter les libertés fondamentales garanties par le traité, telles que la libre circulation des marchandises et des personnes et, en particulier, les dispositions des articles 16 et 20 de la loi n° 979-82 constituent-elles un obstacle à l'exercice de cette liberté ?

4) Les principes que l'ordre juridique communautaire défend en matière d'environnement, et en particulier le principe de prévention dont il est question aux articles 130 R et suivants du traité, font-ils obstacle à une législation d'un État membre qui, imposant aux navires nationaux une interdiction absolue de déverser dans les eaux maritimes extraterritoriales des hydrocarbures et des substances nocives, a cependant pour effet, en pratique, d'obliger ces navires à recourir à un système alternatif de déversement à tout point de vue inefficace et, en tout cas, contraire aux obligations auxquelles ledit État s'est engagé sur le plan international et qui, pour leur mise en œuvre, font l'objet de mesures communautaires ?

5) Les principes de droit communautaire destinés à garantir qu'entre les prestataires de services maritimes et portuaires de la Communauté se développe une concurrence libre, mais loyale et sans distorsions artificielles, et que la demande de services soit satisfaite en causant des dommages aussi limités que possible à l'environnement et, en particulier, les articles 3, sous f), et 84 du traité CEE font-ils obstacle à une législation nationale, telle que celle des articles 16, (17) et 20 de la loi n° 979-82, qui comporterait des effets de distorsion de la concurrence entre les ports maritimes et les compagnies de navigation de la Communauté, en ce qu'elle impose une interdiction absolue de déverser dans les eaux maritimes extraterritoriales des liquides de lavage des citernes aux seuls navires naviguant sous le pavillon national, nonobstant le fait que ces mêmes navires seraient pourvus des installations de dépollution les plus coûteuses, prescrites par des conventions internationales ratifiées dans le cadre communautaire ?

6) L'article 30 du traité peut-il s'accommoder d'une législation d'un État membre qui, imposant aux seuls navires nationaux, même pourvus des équipements technologiques les plus coûteux prévus par les conventions en la matière, une interdiction absolue de déverser dans les eaux maritimes extranationales des hydrocarbures et des substances nocives, oblige ces navires à recourir à des moyens technologiques particuliers et à utiliser un système alternatif de déversement, inefficace, financièrement onéreux et, en tout cas, contraire aux obligations auxquelles cet État a souscrit sur le plan international et qui font également l'objet de mesures de droit communautaire pour leur mise en œuvre ?

En particulier, les sanctions pénales dont question et les charges financières qui pèsent exclusivement sur la navigation nationale, d'une manière manifestement discriminatoire et tout à fait irrationnelle, peuvent-elles constituer des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation? En effet, non seulement de telles charges ont une incidence sur les importations, mais encore elles engendrent des coûts supplémentaires, grevant le prix des marchandises transportées."

8 Les questions préjudicielles posées visent les règles applicables aux rejets en mer des hydrocarbures et des substances nocives autres que les hydrocarbures. Il est toutefois constant que, dans le litige au principal, seul est en cause le rejet en mer d'eaux de lavage contenant de la soude caustique. Il convient, en conséquence, de limiter la portée des questions posées aux seuls rejets en mer des substances nocives autres que les hydrocarbures.

9 Il résulte de l'ensemble du dossier que le juge national demande en substance à la Cour si le droit communautaire s'oppose à une législation du type de la législation italienne, dans la mesure où elle entrave les activités des entreprises nationales de transport maritime, comme celle qui emploie M. Peralta. Une telle législation pourrait notamment avoir pour effet de retarder, de rendre plus difficiles ou plus onéreuses qu'elles ne le sont pour les navires des autres États membres les opérations de nettoyage des navires citernes qui auraient pu être accomplies en mer dans le respect des conventions internationales pertinentes auxquelles l'Italie a souscrit.

10 Par ses questions, le juge national envisage plusieurs aspects de ces entraves et aborde les reproches qui pourraient être faits à la législation italienne:

- la méconnaissance de "conventions internationales ratifiées dans le droit communautaire";

- la violation de l'article 7 du traité en raison de discriminations selon la nationalité;

- l'introduction par la législation italienne de restrictions qui seraient contraires aux articles 3, sous f), 30, 48, 52, 59, 62 du traité et, en particulier, à la libre circulation des services en matière de transports maritimes;

- la violation de l'article 130 R du traité.

Sur le droit communautaire applicable à la date des faits incriminés dans le litige au principal

11 Le litige au principal porte sur l'application d'une législation italienne qui concerne les navires et la navigation maritime. Dans la deuxième partie du traité, les transports font l'objet d'un titre spécial, le titre IV.

12 Sous ce titre IV, l'article 84 dispose, dans son paragraphe 2, que le Conseil pourra décider si des dispositions appropriées pourront être prises pour la navigation maritime. En vertu de l'article 61 du traité, ces dispositions particulières concernent notamment la "libre circulation des services".

13 Sur le fondement de l'article 84, paragraphe 2, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 4055-86, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1). Ce règlement est entré en vigueur le 1er janvier 1987. Il était donc applicable à la date des faits litigieux.

14 Toutefois, les dispositions de cet article 84 n'écartent pas l'application du traité à la matière des transports, et les transports maritimes restent, au même titre que les autres modes de transports, soumis aux règles générales du traité (voir arrêt du 4 avril 1974, Commission/France, 167-73, Rec. p. 359, points 31 et 32).

Sur le respect des conventions internationales relatives au rejet en mer des substances nocives

15 Bien que l'ordonnance de renvoi ne le précise pas, il résulte du dossier de l'affaire que le juge national interroge la Cour sur la compatibilité de la législation italienne avec la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires, dite "convention Marpol" (Recueil des traités des Nations unies, volume 1341, n° 22484). Il paraît considérer que cette convention produit des effets dans l'ordre juridique communautaire.

16 Dans la mesure où la Cour est interrogée sur la compatibilité de la législation italienne avec la convention Marpol, il suffit de constater que la Communauté n'est pas partie à cette dernière. En outre, il n'apparaît pas qu'en vertu du traité CEE, la Communauté ait assumé les compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d'application de cette convention, ni que, par conséquent, les dispositions de celle-ci aient pour effet de lier la Communauté (voir arrêt du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a., 21-72, 22-72, 23-72 et 24-72, Rec. p. 1219, point 18).

17 Il n'appartient donc pas à la Cour de se prononcer sur la compatibilité d'une disposition nationale prise par un État membre avec une convention telle que la convention Marpol.

Sur l'article 7 du traité

18 Il convient de rappeler que l'article 7 du traité CEE (article 6 du traité CE), qui consacre le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, n'a vocation à s'appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (voir arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C-179-90, Rec. p. I-5889, point 11). C'est donc au regard des règles spécifiques, concrétisant ce principe, qu'il convient d'examiner si une législation, du type de celle en cause dans l'affaire au principal, est compatible avec le traité.

Sur l'article 3, sous f), du traité

19 La juridiction nationale se demande si les principes du droit communautaire destinés à garantir une concurrence non faussée ne font pas obstacle à une législation nationale du type de la législation italienne litigieuse. Selon elle, cette législation introduirait des distorsions de concurrence entre les ports et les armateurs de la Communauté.

20 Les règles de concurrence du traité et, en particulier, les articles 85 à 90 s'appliquent au secteur des transports (voir arrêts du 30 avril 1986, Asjes e.a., 209-84, 210-84, 211-84, 212-84 et 213-84, Rec. p. 1425, point 45, et du 17 novembre 1993, Reiff, C-185-91, Rec. p. I-5801, point 12). Il en est notamment ainsi dans le domaine du transport maritime [voir en particulier règlement (CEE) n° 4056-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes, JO L 378, p. 4].

21 Il convient de rappeler que, pour l'interprétation des articles 3, sous f), 5, deuxième alinéa, et 85 du traité, l'article 85, pris en lui-même, concerne uniquement le comportement des entreprises et ne vise pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des États membres. Il résulte cependant d'une jurisprudence constante que l'article 85, lu en combinaison avec l'article 5 du traité, impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. Tel est le cas, en vertu de cette même jurisprudence, lorsqu'un État membre soit impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'article 85 ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention en matière économique(voir arrêts du 21 septembre 1988, Van Eycke, 267-86, Rec. p. 4769, point 16, et du 17 novembre 1993, Meng, C-2-91, Rec. p. I-5751, point 14).

22 Ces dispositions ne sauraient, en revanche, être opposées à une législation du type de la législation italienne. Celle-ci n'impose ni ne favorise des comportements anticoncurrentiels, puisque l'interdiction qu'elle édicte se suffit à elle-même. Elle ne renforce pas non plus les effets d'une entente préexistante(voir, en ce sens, arrêt Meng, précité, points 15 et 19).

Sur l'article 30 du traité

23 La juridiction nationale s'interroge sur la compatibilité de la législation italienne avec l'article 30, dans la mesure où elle impose aux navires italiens des équipements coûteux. Elle se demande s'il n'en résulterait pas un renchérissement des importations de produits chimiques en Italie, et donc une entrave interdite par cet article.

24 Il suffit sur ce point de constater qu'une législation du type de la législation litigieuse ne fait aucune distinction selon l'origine des substances transportées, qu'elle n'a pas pour objet de régir les échanges de marchandises avec les autres États membres et que les effets restrictifs qu'elle pourrait produire sur la libre circulation des marchandises sont trop aléatoires et trop indirects pour que l'obligation qu'elle édicte puisse être regardée comme étant de nature à entraver le commerce entre les États membres (voir arrêts du 7 mars 1990, Krantz, C-69-88, Rec. p. I-583, point 11, et du 13 octobre 1993, CMC Motorradcenter, C-93-92, Rec. p. I-5009, point 12).

25 L'article 30 ne s'oppose donc pas à une législation du type de la législation nationale litigieuse.

Sur l'article 48 du traité

26 La juridiction de renvoi s'interroge sur la compatibilité avec l'article 48 d'un régime de sanctions tel que celui défini par la législation italienne litigieuse, qui, en prévoyant la suspension du titre professionnel des capitaines italiens qui méconnaissent l'interdiction des rejets en mer des substances nocives, punirait plus sévèrement les capitaines italiens que les capitaines d'une autre nationalité.

27 Conformément à une jurisprudence constante, les dispositions du traité en matière de libre circulation des travailleurs ne peuvent pas être appliquées à une situation purement interne à un État membre. En particulier, le seul fait que, en vertu de la législation d'un État membre, un travailleur étranger bénéficierait d'une situation plus favorable que celle d'un ressortissant de cet État membre n'est pas de nature à faire bénéficier ce ressortissant des règles communautaires concernant la libre circulation des travailleurs, si tous les éléments qui caractérisent sa situation se cantonnent à l'intérieur du seul État membre dont il est ressortissant (voir, en ce sens, arrêts du 15 janvier 1986, Hurd, 44-84, Rec. p. 29, points 55 et 56, et du 28 janvier 1992, Steen, C-332-90, Rec. p. I-341, points 5, 9 et 10).

28 D'après les éléments versés au dossier, M. Peralta est de nationalité italienne, est employé par un armateur italien et commande un navire battant pavillon italien. Il se trouve donc dans une situation purement interne et ne peut pas invoquer l'article 48.

29 Il suit de là que l'article 48 ne s'oppose pas à une législation du type de la législation italienne, qui prévoit que les capitaines italiens ayant méconnu l'interdiction qu'elle édicte font l'objet d'une suspension de leur titre professionnel.

Sur l'article 52 du traité

30 L'ordonnance de renvoi ne permet pas de savoir pour quels motifs la juridiction nationale s'interroge sur la relation de la loi litigieuse avec l'article 52 du traité. Il convient, à défaut, de relever que, selon M. Peralta, cette loi priverait les entreprises italiennes de transport maritime exploitant des navires battant pavillon italien de la possibilité de s'installer dans un autre État membre et les contraindrait au cabotage dans les eaux territoriales italiennes. En effet, leurs navires ne pourraient pas trouver, dans les ports des autres États membres, les installations de traitement des eaux de lavage nécessaires pour leur permettre d'appliquer la législation italienne.

31 Si, selon leur libellé, les dispositions du traité garantissant la liberté d'établissement visent notamment à assurer le bénéfice du traitement national dans l'État membre d'accueil, elles s'opposent également à ce que l'État d'origine entrave l'établissement dans un autre État membre d'un de ses ressortissants ou d'une société constituée en conformité de sa législation et répondant, par ailleurs, à la définition de l'article 58. En effet, les droits garantis par l'article 52 et suivants seraient vidés de leur substance si l'État d'origine pouvait interdire aux entreprises de partir en vue de s'établir dans un autre État membre (voir arrêt du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust, 81-87, Rec. p. 5483, point 16).

32 Toutefois, une législation telle que la législation italienne ne comporte aucune disposition qui puisse faire obstacle à l'établissement des transporteurs italiens dans un autre État membre que l'Italie.

33 Il convient encore de rappeler que, d'après l'arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C-221-89, Rec. p. I-3905, point 23), les conditions posées à l'immatriculation des bateaux ne doivent pas faire obstacle à la liberté d'établissement. Mais une législation du type de celle qui est en cause ne concerne pas l'immatriculation des navires.

34 Sans doute, en l'absence d'harmonisation communautaire, un État membre peut-il, directement ou indirectement, imposer des règles techniques, qui lui sont propres et qui ne se retrouvent pas nécessairement dans les autres États membres, à des entreprises de transport maritime qui, comme celle qui emploie M. Peralta, sont établies sur son territoire et qui exploitent des bateaux battant son pavillon. Mais les difficultés qui pourraient en résulter pour ces entreprises n'affectent pas la liberté d'établissement au sens de l'article 52 du traité. En effet, ces difficultés ne seraient pas, dans leur principe, d'une autre nature que celles qui peuvent avoir leur origine dans des disparités entre les législations nationales, portant, par exemple, sur les coûts du travail, des charges sociales ou sur le régime fiscal.

35 L'article 52 ne s'oppose donc pas à une législation telle que la législation italienne.

Sur l'article 59 du traité

36 Le juge national interroge la Cour sur une situation dans laquelle un capitaine italien, chargé, par un prestataire de nationalité italienne, de diriger un navire battant pavillon italien, invoque la méconnaissance par l'Italie, c'est-à-dire par l'État membre d'établissement du prestataire, de la liberté des prestations de services de transport maritime.

En ce qui concerne l'invocabilité de la liberté des prestations de services de transport maritime

37 Ainsi que la Cour l'a précisé au point 13 du présent arrêt, le règlement n° 4055-86 était applicable à la date des faits litigieux.

38 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, de ce règlement:

"La libre prestation des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers est applicable aux ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire des services."

39 D'une part, il ressort du libellé même de cet article qu'il s'applique à des transports maritimes entre États membres du type de ceux en cause dans l'affaire au principal. Il définit les bénéficiaires de la libre prestation des services de transport maritime dans des termes qui sont substantiellement les mêmes que ceux de l'article 59 du traité.

40 D'autre part, dans un arrêt du 17 mai 1994, Corsica Ferries Italia (C-18-93, non encore publié au Recueil, point 30), la Cour a dit pour droit que la libre prestation des services de transport maritime entre États membres peut être invoquée par une entreprise à l'égard de l'État où elle est établie, dès lors que les services sont fournis à des destinataires établis dans un autre État membre.

41 Il convient, d'ailleurs, d'observer que la Cour a jugé que l'article 59 du traité avait pour objet d'éliminer les restrictions à la libre prestation des services offerts par des personnes non établies dans l'État sur le territoire duquel la prestation devait être fournie, et que les dispositions de l'article 59 devaient, en conséquence, s'appliquer dans tous les cas où un prestataire de services offre des services sur le territoire d'un État membre autre que celui dans lequel il est établi (voir arrêt du 26 février 1991, Commission/France, C-154-89, Rec. p. I-659, points 9 et 10).

42 Dans ces conditions, dès lors que le navire qu'il dirige exécute des livraisons à destination d'autres États membres, M. Peralta peut invoquer à l'encontre de l'Italie une prétendue méconnaissance de la liberté de prestation des services de transport maritime reconnue par le droit communautaire.

En ce qui concerne l'existence d'une discrimination entre les navires en raison du pavillon

43 En vertu de l'article 9 du règlement n° 4055-86, qui rappelle le principe énoncé à l'article 7 du traité, l'exigence minimale qui s'impose à une législation telle que celle en cause dans le litige au principal est qu'elle n'opère pas de discrimination selon la nationalité entre les prestataires de services de transport maritime.

44 Sur ce point, une législation de ce type répond à l'exigence de non-discrimination en ce qui concerne le régime applicable aux navires se trouvant dans la mer territoriale et les eaux intérieures italiennes. Tous les navires, quels que soient leur pavillon et la nationalité des entreprises qui les exploitent, sont soumis à l'interdiction de rejeter des substances nocives.

45 Au-delà des limites de la mer territoriale, la législation italienne distingue entre les navires étrangers et les navires battant pavillon national, qui sont seuls soumis à l'interdiction de rejeter des substances nocives.

46 Il résulte des réponses faites par le gouvernement italien et par la Commission à une question posée par la Cour que l'Italie n'a pas institué de zone économique exclusive en mer Méditerranée. Dès lors, conformément aux règles du droit international public, elle ne peut exercer sa juridiction, au-delà des limites de la mer territoriale, que sur les navires battant son pavillon.

47 Il en découle que la différence de traitement opérée par une législation telle que la législation litigieuse entre les navires battant pavillon italien et les navires ne battant pas pavillon italien, au détriment des seuls navires italiens, ne constitue pas une discrimination interdite par le traité, puisque la législation italienne ne peut pas s'appliquer en haute mer aux bateaux ne battant pas pavillon italien. Il ne saurait être fait grief à la législation d'un État membre de n'appréhender que les navires sur lesquels cet État est en droit d'exercer sa compétence, au-delà des limites territoriales de sa juridiction.

48 En outre, comme la Cour l'a rappelé dans l'arrêt du 14 juillet 1981, Oebel (155-80, Rec. p. 1993, point 9), on ne saurait considérer comme contraire au principe de non-discrimination l'application d'une législation nationale en raison de la seule circonstance que d'autres États membres appliqueraient des dispositions moins rigoureuses (voir, également, arrêt du 13 février 1969, Wilhelm e.a., 14-68, Rec. p. 1, point 13).

En ce qui concerne l'existence de restrictions à la libre prestation des services de transport maritime

49 Le juge national fait état de restrictions apportées par la législation italienne à la libre prestation des services de transports maritimes à destination des autres États membres, même dans l'hypothèse où cette législation ne pourrait pas être tenue pour discriminatoire.

50 Il doit être souligné que l'entrave à l'exportation qu'invoque M. Peralta ne résulte pas de la législation d'un État membre sur le territoire duquel est exécutée une prestation de transport mais de la législation de l'État membre où l'entreprise a fait immatriculer le navire que dirige l'intéressé et où elle est établie, c'est-à-dire l'Italie. La situation de cette entreprise vis-à-vis de son propre État membre d'établissement ne saurait donc être assimilée à celle d'une entreprise de transport maritime, établie dans un autre État membre que l'Italie, qui opérerait à titre temporaire dans ce dernier État et qui devrait, de ce fait, satisfaire simultanément aux prescriptions imposées par la législation de l'État membre dont son navire bat pavillon et à celles de la législation italienne.

51 Or, une législation du type de la législation italienne, qui interdit le rejet de substances chimiques nocives en mer, s'applique objectivement à tous les navires sans distinction, qu'ils effectuent des transports internes à l'Italie ou des transports à destination des autres États membres. Elle ne prévoit pas un service différent pour les produits exportés et pour les produits commercialisés en Italie. Elle n'assure pas d'avantage particulier au marché intérieur italien, aux transports italiens ou aux produits italiens.

52 M. Peralta se plaint au contraire des avantages indirects dont bénéficient les transporteurs des autres États membres qui ne sont pas soumis, selon les mêmes modalités, à l'interdiction de rejet en mer de résidus de soude caustique. Mais, en l'absence d'harmonisation des législations des États membres en ce domaine, ces restrictions ne sont que la conséquence de la réglementation nationale du pays d'établissement à laquelle l'agent économique demeure soumis.

53 Il résulte de ce qui précède que le règlement nº 4055-86, précité, ne s'oppose pas aux dispositions en litige d'une législation comme la législation italienne relative au rejet en mer par la marine marchande de substances nocives.

54 En conséquence, la référence faite par la juridiction nationale à l'article 62, auquel renvoie l'article 1er, paragraphe 3, du règlement, n'appelle pas de réponse distincte. En effet, l'article 62, qui a un caractère complémentaire par rapport à l'article 59, ne saurait interdire des restrictions qui ne relèvent pas du domaine d'application de ce dernier article (voir arrêt du 4 octobre 1991, Society for the Protection of Unborn Children Ireland, C-159-90, Rec. p. I-4685, point 29).

Sur l'article 130 R du traité

55 La juridiction nationale se demande, enfin, si les articles 130 R et suivants font obstacle à une législation du type de la législation litigieuse, qui a pour effet d'imposer aux navires italiens de recourir à un système alternatif de traitement des eaux usées, selon elle, inefficace et contraire aux obligations internationales que l'Italie a souscrites.

56 Sur ce point, il convient, d'une part, de rappeler que, comme la Cour l'a affirmé au point 17 ci-dessus, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la compatibilité d'une disposition nationale prise par un État membre avec une convention telle que la convention Marpol. Il ne lui appartient pas non plus d'interpréter l'article 130 R en fonction d'une convention internationale qui ne lie pas la Communauté et à laquelle, au demeurant, tous les États membres ne sont pas parties.

57 D'autre part, l'article 130 R se borne à définir les objectifs généraux de la Communauté en matière d'environnement. Le soin de décider de l'action à entreprendre est confié au Conseil par l'article 130 S. L'article 130 T précise, au surplus, que les mesures de protection arrêtées en commun en vertu de l'article 130 S ne font pas obstacle au maintien et à l'établissement, par chaque État membre, des mesures de protection renforcées compatibles avec le traité.

58 L'article 130 R ne s'oppose donc pas à une législation telle que celle en cause dans le litige au principal.

59 Dès lors, il y a lieu de répondre à la juridiction nationale que les articles 3, sous f), 7, 30, 48, 52, 59, 62, 84 et 130 R du traité, le règlement n° 4055-86, ne s'opposent pas à ce que la législation d'un État membre interdise à tous les navires, sans aucune distinction de pavillon, le rejet de substances chimiques nocives dans ses eaux territoriales et dans ses eaux intérieures, à ce qu'elle impose la même interdiction en haute mer aux seuls navires battant le pavillon national et, enfin, à ce que, en cas d'infraction, elle sanctionne, par la suspension de leur titre professionnel, les capitaines de navires, ressortissants de cet État membre.

Sur les dépens

60 Les frais exposés par le gouvernement italien et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant sur les questions à elle soumises par le Pretore di Ravenna, par ordonnance du 24 septembre 1992, dit pour droit : Les articles 3, sous f), 7, 30, 48, 52, 59, 62, 84 et 130 R du traité (CEE), le règlement (CEE) n° 4055-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers, ne s'opposent pas à ce que la législation d'un État membre interdise à tous les navires, sans aucune distinction de pavillon, le rejet de substances chimiques nocives dans ses eaux territoriales et dans ses eaux intérieures, à ce qu'elle impose la même interdiction en haute mer aux seuls navires battant le pavillon national et, enfin, à ce que, en cas d'infraction, elle sanctionne, par la suspension de leur titre professionnel, les capitaines de navires, ressortissants de cet État membre.