CCE, 23 octobre 2001, n° 2002-344
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Absence de contrôle exhaustif et indépendant des conditions tarifaires et techniques appliquées par La Poste aux entreprises de routage pour l'accès à ses services réservés
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 86, paragraphe 3, après avoir donné l'occasion aux autorités françaises et à La Poste française, respectivement par lettres du 27 octobre 1999 et du 30 novembre 1999, de faire connaître leur point de vue concernant les griefs formulés par la Commission au sujet de la législation postale française en matière de services de préparation du courrier, considérant ce qui suit:
1. FAITS
1.1. Services en cause
(1) La présente décision concerne exclusivement les relations qu'entretient La Poste avec ses partenaires commerciaux que sont les entreprises de routage dans des marchés en amont de sa propre activité principale, les services postaux de base. Ces partenaires commerciaux du secteur du routage peuvent s'analyser à la fois:
- comme des usagers dans la mesure où ils se substituent à des émetteurs de courrier qui leur confient le dépôt de leurs envois auprès de La Poste,
- et comme des fournisseurs de La Poste, dans la mesure où ils exécutent certaines prestations en lieu et place de l'exploitant public, en amont des opérations situées dans le périmètre de son domaine réservé.
Le routage est dans tous les cas une activité de préparation du courrier en amont de la prise en charge de celui-ci par La Poste dans le cadre de ses prestations ressortissant au domaine réservé. La nature même de l'activité de routage implique un recours aux services du domaine réservé. D'un point de vue conceptuel, et bien que, dans la pratique, les prestations soient imbriquées (1) dans un continuum de services souvent assurés par les mêmes entreprises, le terme de routage regroupe deux types d'activités différents (2).
1.1.1. Prestations pour le compte d'émetteurs de courrier
(2) En premier lieu, le routage peut recouvrir une prestation au bénéficie d'un émetteur du courrier. Dans ce cas, l'activité consiste à conditionner des envois (impression, mise sous enveloppe ou film plastique, étiquetage, adressage et affranchissement), à les collecter, à les regrouper, à les trier et à les déposer auprès de bureaux de La Poste.
(3) Ce type d'activités pour le compte de clients émetteurs pourrait être qualifié d'un "service interne de courrier" pour le compte des grandes entreprises (3). Dans la communication de la Commission sur l'application des règles de concurrence au secteur postal et sur l'évaluation de certaines mesures d'État relatives aux secteurs postaux (4), il est observé notamment que "dans les grandes entreprises, les services internes de courrier sont aujourd'hui souvent exploités par des intermédiaires, qui préparent et trient le courrier avant de le transmettre à l'opérateur postal pour distribution finale". Les entreprises de routage exerçant cette activité sont assimilables à des "intermédiaires" indépendants entre les expéditeurs et La Poste. Elles sont seules redevables auprès de cette dernière des affranchissements.
(4) Ces activités pour le compte d'émetteurs de courrier donnent lieu, schématiquement, à deux modes de rémunération généralement combinés:
- une rémunération directe versée pour des prestations de conditionnement du courrier, la fourniture de fichiers d'adresses, etc.,
- une rémunération du rôle d'intermédiation joué par les routeurs, et du bénéfice de l'accès à des tarifs d'affranchissement favorables. Les routeurs ont accès aux contrats produits de La Poste (et notamment au contrat produit dit Postimpact) qui permettent l'accès à des grilles tarifaires favorables (par exemple, 1,68 franc français par pli pour 20 000 envois Postimpact, au lieu de 2,7 francs français pour des envois en nombre Ecoplis). Schématiquement, ils acquittent les affranchissements auprès de La Poste aux tarifs favorables applicables, et se rémunèrent en facturant aux émetteurs un prix supérieur au montant total des affranchissements qu'ils ont effectivement versés à La Poste.
1.1.2. Travaux préparatoires effectués en lieu et place de La Poste
(5) En second lieu, le routage peut recouvrir des prestations réalisées en lieu et place de La Poste. Cette activité consiste en des opérations de préparation du courrier, de conditionnement des envois en sacs postaux respectant certaines normes, en tri par destination plus ou moins affiné, et en dépôt des envois aux bureaux de La Poste, désignés par cette dernière à cette fin. Les entreprises de routage, dans ce schéma, se comportent comme des fournisseurs de La Poste. Celle-ci, en laissant ainsi s'externaliser certains travaux préparatoires, réalise des économies de traitement et des gains d'efficacité (5).
Depuis 1990, La Poste rémunère les routeurs directement par une rémunération au mille, c'est-à-dire en fonction des volumes de dépôts, pour les travaux préparatoires réalisés pour son compte, dans le cadre de contrats dits techniques. La nature de la rémunération varie essentiellement en fonction de critères de qualité des dépôts et de la finesse des tris effectués. Parmi ces contrats techniques, le contrat dit de préparation (6) occupe une place stratégique: à la différence des autres contrats techniques, il permet au prestataire de regrouper des envois de nature différente et de faible volume, et de bénéficier ainsi d'une rémunération de la qualité (alors que les seuils en volumes imposés réservent en principe aux seuls envois identiques importants le bénéfice de la rémunération de la qualité). Il est à noter que seuls peuvent bénéficier des contrats techniques les routeurs également liés à La Poste par un contrat produit, atteignant un certain seuil en volume de plis déposés.
1.2. Entreprises de routage
(6) Dans une acception large (7), le chiffre d'affaires du marché du routage (mesuré par le chiffre d'affaires des intervenants du routage) se serait élevé (8) en 1998 à 6,4 milliards de francs français, ainsi ventilés:
- 3,5 milliards de francs français réalisés par les routeurs proprement dits,
- 2 milliards de francs français réalisés par les laséristes,
- 0,9 milliard de francs français réalisés par les spécialistes du colisage.
Les prestations des routeurs se concentrent principalement sur le conditionnement des envois ainsi que sur la réalisation de travaux préparatoires en lieu et place de La Poste décrits aux points 1.1.1 et 1.1.2. De façon plus marginale, certains routeurs proposent également des prestations d'éditique (voir infra), de location de fichiers d'adresses, la fourniture d'enveloppes, etc. On distingue principalement, selon la dominante de leur activité, les routeurs conditionneurs, les routeurs regroupeurs et les routeurs trieurs.
Les routeurs laséristes sont pour leur part plus spécialisés dans l'éditique, c'est-à-dire l'édition de courrier de gestion à partir de données informatisées pour le compte de grands émetteurs. Ces routeurs laséristes exercent cette activité d'éditique en complément des activités de routage proprement dit (9).
Le colisage est une activité de routage spécifique concernant les paquets, incluant souvent des prestations annexes (gestion des commandes, stockage, etc.). Cette activité et ces entreprises ne sont pas concernées par la présente décision.
Cette typologie sommaire est un reflet simplifié d'une réalité plus complexe. Dans les faits, nombre d'acteurs du routage assurent une gamme plus ou moins étendue et riche de services plus ou moins axés sur certains segments de marché, et intègrent des prestations qui ressortent des trois activités identifiées ci-dessus. On peut donc affiner l'analyse en répartissant les entreprises de routage en un grand nombre de sous-catégories, en fonction des caractéristiques de leur activité et du profil de leur clientèle (10).
(7) Sur le marché du routage en France sont actifs: d'une part des entreprises de routage privées et indépendantes, telles que les membres du SNELPD, qui offrent des prestations de routage à tout émetteur important de courrier, d'autre part La Poste, qui offre des services de routage, soit directement, soit indirectement au travers de certaines filiales.
(8) Les entreprises de routage privées et les laséristes indépendants sont en général de petites ou moyennes entreprises. Le chiffre d'affaires moyen est légèrement supérieur à 15 millions de francs français. Il s'agit cependant d'un secteur assez concentré, les vingt entreprises les plus importantes représentant environ 55 % du chiffre d'affaires total.
(9) La Poste et certaines de ses filiales proposent à leur clientèle professionnelle des prestations qui entrent directement en concurrence avec les services offerts par les entreprises de routage décrites.
(10) La Poste offre ainsi des services d'affranchissement, de conditionnement et de dépôt dans le circuit postal (11), notamment par l'intermédiaire des unités "Carré Pro" déployées dans plus de 400 bureaux de poste. Le chiffre d'affaires des "Carrés Pro", bien que difficilement individualisable, est estimé par La Poste à quelque 227 millions de francs français en 1999 (12).
(11) Les filiales de La Poste actives dans le domaine du routage concerné par la présente décision sont principalement Datapost, Mikros et Dynapost. L'activité de Datapost, entreprise créée en 1994 et spécialisée dans l'éditique, recoupe celle des routeurs laséristes. Datapost propose notamment des prestations d'éditique pure (tri et préparation informatiques de la production, impression) mais aussi de mise sous enveloppe, de conditionnement et de dépôt des envois auprès de La Poste. Cette entreprise compte environ 165 salariés et plus de 250 clients. Son chiffre d'affaires a triplé entre 1996 et 1999, passant de 32 millions de francs français à 107 millions de francs français. Datapost a supporté des pertes d'exploitation élevées au moins jusqu'en 1999. En novembre 2000, La Poste s'est rendue acquéreur (13) de la société Mikros (14), un autre acteur important de l'éditique et du routage. Cette acquisition a été suivie de la création d'un "pôle commun" unissant Mikros et Datapost. La filiale Dynapost intervient pour sa part dans la gestion du courrier interne des entreprises mais réalise également des prestations de collecte, d'affranchissement et de tri (15). Elle compte environ 500 salariés et a réalisé un chiffre d'affaires de 275 millions de francs français en 1999.
(12) La Poste n'a pas contesté qu'elle-même ou les filiales décrites fournissent des prestations de routage (16), que ce soit en qualité de fournisseurs de La Poste ou en qualité d'usagers de son réseau sous monopole (17). Au total, La Poste, tant par ses produits propres que par l'intermédiaire de Datapost et Mikros d'une part, et de Dynapost d'autre part, représenterait au moins 10 % du marché du routage et de l'éditique (18).
(13) Ainsi, les services proposés par les entreprises de routage sont fournis aux émetteurs du courrier en concurrence avec La Poste et ses filiales. Or, compte tenu du monopole postal dont jouit La Poste, les routeurs, en leur double qualité d'usagers du réseau postal et de fournisseurs de services à l'exploitant public, sont nécessairement obligés d'accepter les conditions financières et techniques fixées par La Poste pour la réception du courrier traité par leurs soins. La Poste est en effet un partenaire incontournable pour la bonne fin des prestations offertes par les routeurs à leur clientèle.
1.3. Dispositif législatif et réglementaire applicable
1.3.1. Principes régissant les relations de La Poste avec ses usagers et ses partenaires commerciaux ainsi que leur contrôle
(14) La loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications (19) (ci-après dénommée "la loi de 1990") ainsi que le cahier des charges de La Poste, approuvé par le décret n° 90-1214 du 29 décembre 1990 (20) déterminent les conditions de fourniture des services offerts par l'exploitant public et le régime applicable aux relations qu'elle entretient tant avec ses usagers qu'avec ses partenaires commerciaux.
(15) L'article 25 de la loi de 1990 dispose, de manière générale, que les relations de La Poste avec ses usagers, ses fournisseurs et les tiers "sont régies par le droit commun". L'article 23 du cahier des charges de La Poste confirme que "les relations de La Poste avec les usagers sont régies par des contrats de droit commun".
(16) S'agissant plus particulièrement des relations avec les usagers, il appartient à La Poste, aux termes de l'article 23 point 2 de son cahier des charges, de définir "les conditions de fourniture de ses produits et services". Le même article ajoute que "La Poste peut conclure des contrats dont les conditions sont fixées de gré à gré sur la base d'un devis particulier". Dans cette hypothèse, une obligation additionnelle s'impose à La Poste, celle de distinguer les éléments réservés et concurrentiels des services offerts: "Dans ce cas, lorsque La Poste fournit un service comprenant à la fois des prestations sous droits exclusifs et des prestations soumises à la concurrence, le contrat distingue les deux catégories de prestations quant à leur fourniture et à leur facturation."
(17) L'article 22 du même cahier des charges énonce les modalités possibles "d'ouverture du réseau" à des usagers. Ainsi, La Poste peut, soit dans son domaine d'activité, soit en dehors de ce domaine... "ouvrir l'accès de son réseau à ses filiales. Cette mise à disposition se réalise dans le cadre de conventions qui précisent notamment les conditions de rémunération de La Poste; [et] conclure avec d'autres partenaires des accords de distribution ou de prestations de services. Le Ministre chargé des Postes et Télécommunications reçoit communication des conventions conclues."
(18) Les conditions appliquées aux usagers ne sont pas fixées dans le cahier des charges. Les autorités françaises ont cependant attiré l'attention de la Commission (21) sur les dispositions de ce cahier des charges qui établissent des règles générales concernant le degré de liberté laissé à La Poste en matière tarifaire et contractuelle dans ses relations avec ses usagers. Les dispositions évoquées par les autorités françaises permettent de distinguer deux situations.
- Lorsque les services en cause relèvent de domaine exclusif de La Poste, les propositions tarifaires de l'exploitant public sont, d'après l'article 33 point 1 b) du cahier des charges, soumises aux ministres chargé des Postes et Télécommunications et de l'Economie et des finances pour homologation. Pareillement, d'après l'article 4 du même cahier des charges, lorsque La Poste est amenée à conclure des contrats-types avec des usagers dans le cadre de l'exécution des services dont l'exclusivité lui est réservée, ces contrats-types sont soumis à homologation du ministre chargé des Postes et Télécommunications.
- En revanche, La Poste, aux termes de l'article 33 points 1 c) et 2 a) de son cahier des charges, fixe librement les tarifs de ses services offerts en concurrence, qu'ils relèvent du service universel ou non. Ces tarifs sont simplement transmis aux ministres compétents pour information. S'agissant des services soumis à la concurrence qui entrent dans le champ du service universel, le principe général de l'orientation vers les coûts s'applique (22), mais la réglementation française ne précise pas les conséquences qu'emporte ce principe ni les modalités de contrôle de son respect (23).
(19) S'agissant des relations avec des fournisseurs, et notamment sur les conditions de rémunération de ces derniers, le cahier des charges de La Poste ne fixe aucune règle détaillée. L'article 27 de la loi de 1990 se borne pour sa part à établir que "les procédures de conclusion et de contrôle des marchés de chaque exploitant public sont fixées par son conseil d'administration, dans le cadre des dispositions prévues en la matière par le cahier des charges (...)". Cet article ne s'applique donc qu'aux relations contractuelles établies dans le cadre de marchés de fourniture conclus par l'exploitant public.
(20) Compte tenu du dispositif réglementaire décrit ci-dessus et des explications fournies par les autorités françaises, et si l'on applique les distinctions conceptuelles énoncées à la section 1 de la présente décision, le degré de contrôle exercé sur La Poste dans ses relations avec les entreprises de routage est délimité de la manière exposée ci-après.
Quand les routeurs sont assimilables à des usagers du réseau de La Poste, les tarifs applicables aux routeurs pour l'accès au réseau de La Poste sont:
- soit soumis à homologation des ministres compétents lorsque le service en cause relève du monopole [cas des tarifs de la gamme "Postimpact" (24) et des tarifs "lettre" et "Ecopli" (25)],
- soit simplement transmis aux ministres pour information lorsque le service en cause est fourni en concurrence (cas des tarifs de la gamme "catalogues" ou "Coliéco" par exemple).
Quand les routeurs sont assimilables à des fournisseurs de La Poste les tarifs concernés, par exemple la "rémunération au mille", sont simplement communiqués aux ministres pour information (26).
Il apparaît, à la lumière des explications données par les autorités françaises, que dans aucun cas le contrôle ne s'étend aux normes techniques et aux aspects non tarifaires des relations entre La Poste et les entreprises de routage.
(21) Ainsi, la réglementation française charge La Poste de fixer elle-même les conditions contractuelles avec ses partenaires commerciaux au moyen d'instruments juridiques de droit privé. Elle n'encadre cette liberté octroyée à La Poste que dans des cas bien délimités. Le périmètre des contrôles exercés par l'État est restreint, et ne porte en outre que sur des aspects strictement tarifaires.
(22) Dans ces conditions, La Poste est en mesure de fixer elle-même, sans aucun contrôle, toute une série de normes techniques qui ont une incidence décisive sur l'accès des entreprises de routage à son réseau. La Poste fixe ainsi les normes de présentation du courrier et les modalités de dépôt des préparations postales (types de contenants utilisés, volume minimal des dépôts), qui doivent être remplies pour bénéficier de conditions spécifiques. Ces conditions sont publiées sous la forme "d'instructions" au bulletin de La Poste.
(23) La circonstance que les "règles" adoptées par La Poste dans l'exercice de cette faculté soient qualifiées en droit français de "contractuelles" ne change rien au fait que c'est bien La Poste qui en a l'initiative et en arrête la forme définitive. Cette qualification n'a pas non plus d'effet sur l'incidence que ces mesures ont sur l'accès d'entreprises indépendantes de La Poste au réseau postal et aux services réservés, et donc sur les conditions d'exercice de l'activité de routage.
1.3.2. Autorités étatiques en charge du contrôle de La Poste
(24) La réglementation française octroie conjointement au ministre chargé des postes et des télécommunications et au ministre chargé de l'économie et des finances une double mission de définition de la politique de La Poste et de surveillance du respect par La Poste de la réglementation applicable et du respect du droit de la concurrence. Dans les faits, le ministre chargé des postes et télécommunications n'est autre que le ministre chargé de l'économie et des finances (ci-après dénommé "le ministre") (27).
(25) En matière tarifaire, la compétence du ministre résulte des dispositions du cahier des charges de La Poste décrites ci-dessus. Les textes réglementaires relatifs à l'organisation du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie complètent la description des attributions des services placés sous son autorité.
(26) L'article 4 du décret n° 93-1272 du 1er décembre 1993 (28) dispose que la direction générale de l'industrie, des technologies de l'information et des postes (DiGITIP) "élabore la politique du gouvernement dans les domaines des postes et des télécommunications et veille à sa mise en œuvre". Le même article ajoute que la "veille dans les secteurs des postes et télécommunications (...) au respect d'une concurrence loyale entre les différents acteurs économiques". Enfin, cet article indique que la DiGITIP exerce en association avec la direction du trésor la mission de veiller aux actifs détenus par l'État dans La Poste: "Avec la direction du trésor, elle élabore et met en œuvre la politique menée à l'égard de La Poste et des entreprises industrielles de sa compétence dans lesquelles l'État détient une participation" (29).
(27) L'article 6 du décret précité prévoit que, au sein de la DiGITIP, le service des postes et télécommunications "exerce la tutelle de La Poste". L'article 4 de l'arrêté du 2 novembre 1998 portant organisation de la DiGITIP (30) précise pour sa part que, au sein du service des postes et télécommunications, la sous-direction des activités postales "exerce la tutelle sur La Poste". Cette sous-direction, en particulier, "assure la tutelle économique et financière, notamment la préparation du contrat de plan, analyses économiques, adaptation de la comptabilité analytique, offre de service, tarification, qualité de service, relations avec les consommateurs et les partenaires de l'activité postale (...)". D'autre part, au sein du même service des postes, aux termes de l'arrêté précité, la sous-direction de la réglementation et de l'international est chargée "de l'élaboration, du suivi et de la mise en œuvre de la réglementation et de la régulation des activités postales". Ces dispositions permettent de localiser au sein du ministère les compétences d'analyse et d'instruction sur les affaires postales. Le pouvoir de décision appartient pour sa part au ministre, ainsi qu'au directeur général de l'industrie, des technologies de l'information et des postes par délégation permanente de celui-ci (31).
(28) Les autorités françaises ont décrit à la Commission la mise en œuvre pratique de ce dispositif réglementaire. Elles ont à cet égard précisé qu'en matière tarifaire l'exercice de la tutelle implique une intervention conjointe du service des postes et de la direction générale de la concurrence (32). De façon plus générale, en matière de tutelle, elles ont affirmé que le pouvoir de contrôle de l'État n'est pas confié exclusivement aux services de la DiGITIP, mais que la direction du budget et la direction du trésor interviennent également activement. Dans la pratique, l'exercice des fonctions de tutelle dévolues au ministre est donc localisé au sein de la DiGITIP, de la direction du budget, de la direction du trésor et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Ces services placés sous l'autorité hiérarchique d'un même ministre exercent donc à la fois des fonctions de surveillance, et des fonctions de tutelle économique et financière.
(29) Ainsi, il ressort clairement de la réglementation française que le ministre chargé de la surveillance de La Poste a la possibilité d'intervenir dans les orientations de celle-ci au titre de sa mission de tutelle économique et financière (33). En revanche, la réglementation française ne prévoit pas de dispositif institutionnel permettant, par une séparation adéquate des fonctions, d'assurer que les missions de tutelle économique et financière d'une part, de surveillance de La Poste d'autre part, soient exercées en toute indépendance l'une de l'autre.
1.4. Plainte
(30) Le 30 juin 1998, le Syndicat National des Entreprises de Logistiques de Publicité Directe (ci-après SNELPD) a déposé une plainte à l'encontre de l'État français, concernant l'activité de routage de La Poste. Le SNELPD est un syndicat professionnel de droit français qui, par ses statuts, a la charge des intérêts de ses membres, lesquels sont des sociétés de routage. Le SNELPD regroupe soixante- deux entreprises, soit la grande majorité de celles qui sont présentes sur ce marché.
(31) Le plaignant allègue que La Poste accorde des remises à ses clients directs et à ses propres filiales actives dans le routage, alors qu'elles ne sont pas offertes aux routeurs. De plus, la plainte allègue que La Poste fixe des conditions qui, bien que formellement indistinctement applicables, défavoriseraient les concurrents de La Poste et de ses filiales. Selon le plaignant, les conditions telles que les quantités de courrier exigées pour le bénéfice de grilles tarifaires favorables seraient fixées à des niveaux qui excluraient de fait les petits routeurs. Par exemple, le plaignant allègue que le seuil de 3 millions de plis requis pour valablement prétendre au bénéfice des contrats techniques dits de qualité et de présentation (34) avec La Poste ne serait pas fondé sur des allégements de coût pour La Poste, mais serait fixé arbitrairement d'une manière qui limiterait le nombre des routeurs éligibles au dispositif.
(32) En outre, selon le plaignant, La Poste est moins rigoureuse dans le contrôle de l'application des conditions de dépôt des envois pour ses filiales que pour les concurrentes de celles-ci. Selon le plaignant, des normes qui ne sont intrinsèquement discriminatoires seraient appliquées de manière discriminatoire par La Poste. Dans ce contexte, la plainte cite de nombreux exemples de cas où les filiales de La Poste n'avaient pas respecté des règles de quantités à déposer, de format, de présentation, d'horaires, de lieux de dépôt et de nature du message exigé, mais où elles ont tout de même reçu les remises tarifaires.
(33) Selon le plaignant, de telles pratiques s'inscriraient dans une stratégie d'éviction ou, à tout le moins, de limitation de la concurrence. Il attire notamment l'attention sur un document de La Poste intitulé "challenge Dynatop" (35), selon lequel "...le développement de prestations amont ... doit permettre d'éviter l'installation de concurrents et même favoriser le développement de nos parts de marché aussi bien pour les produits d'affranchissements que pour les produits stratégiques". Il cite en outre, s'agissant plus spécifiquement du secteur de l'éditique, une étude sur les grands émetteurs de courrier pour le compte de La Poste, réalisée peu avant la création de la filiale Datapost (36). Selon cette étude, "il s'agit d'organiser une pénétration rapide et massive du marché". D'après le plaignant, des documents de cette nature démontreraient que l'objectif de La Poste est bien de favoriser ses propres filiales et ses propres activités dans le domaine du routage et de l'éditique.
(34) Enfin, le plaignant allègue que, du fait du monopole détenu par La Poste sur le marché en aval, celle-ci peut unilatéralement imposer les termes des contrats qui l'unissent à ses usagers et à ses partenaires économiques tels que les routeurs. Selon le plaignant, La Poste fixe d'une manière unilatérale les normes de présentation du courrier et les modalités de dépôt des préparations postales (types de contenants utilisés, volume minimal des dépôts), qui sont publiées sous la forme "d'instructions" au bulletin de La Poste.
(35) Selon la plainte, La Poste détient donc, en vertu du déséquilibre du pouvoir économique créé par la réglementation française, la faculté d'imposer des règles à ses concurrents et de réglementer leur activité, même sans disposer d'un pouvoir réglementaire selon le droit interne. En conclusion, le plaignant estime que l'État français a enfreint le droit communautaire et plus particulièrement:
1) les articles 86 et 82 combinés du traité CE, d'une part, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation autorisant La Poste (exploitant public investi par la loi du monopole postal) à fixer elle-même les conditions d'accès des entreprises de routage à son réseau de services réservés, alors même qu'elle est active dans le secteur du routage et, d'autre part, en octroyant à La Poste des droits exclusifs dont le simple exercice est susceptible d'entraîner un abus de position dominante;
2) les articles 86, 10 et 82 combinés du traité CE, d'autre part, en s'abstenant d'intervenir pour mettre fin aux abus de position dominante effectivement commis par La Poste sur le marché du routage.
(36) Le plaignant a demandé à la Commission d'enjoindre à l'État français:
1) de garantir l'accès des entreprises de routage au réseau de La Poste dans des conditions conformes au principe d'égalité entre opérateurs économiques, et
2) de conférer à une autorité indépendante de La Poste le pouvoir de réglementer les conditions d'accès des entreprises de routage au réseau de La Poste et de conférer à cette autorité indépendante le pouvoir d'application et de contrôle de cette réglementation ou, à défaut, de faire en sorte que La Poste ne puisse rendre, directement ou indirectement, des services de routage.
(37) En parallèle, le plaignant a saisi, le 25 février 1998, le conseil français de la concurrence d'une plainte dirigée contre La Poste pour violation de l'article 8 de l'ordonnance française n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence et de l'article 82 du traité CE. Cette plainte dirigée contre La Poste dénonce des pratiques de subventions croisées de La Poste vers ses filiales de routage, d'orientation et de détournement de clientèle, d'offres groupées et de prix éloignés du marché, de prix et conditions discriminatoires, de prix prédateurs et d'extension abusive de position dominante. Une copie de cette plainte était jointe à la plainte déposée auprès de la Commission.
(38) Par courrier du 25 septembre 1998, la Commission a communiqué aux autorités françaises le texte de la plainte reçue du SNELPD. Elle a également transmis ce texte à La Poste, par courrier du 26 octobre 1998.
1.5. Observations du gouvernement français et de l'entreprise concernée
(39) Les autorités françaises ont répondu à la transmission précitée par courrier du 26 novembre 1998. Elles rappellent tout d'abord le cadre réglementaire applicable. S'agissant des relations entre La Poste et son administration de tutelle, elles estiment que le principe de séparation structurelle des fonctions de régulateur et d'opérateur existe depuis le 1er janvier 1991, date de la création de La Poste en tant qu'entité autonome. Les autorités françaises affirment qu'aucune délégation de pouvoir réglementaire n'a été conférée à La Poste par l'État français et que le plaignant ne peut invoquer le cahier des charges de La Poste pour justifier une telle délégation (37). Les autorités françaises précisent que La Poste aurait seulement élaboré des contrats-type et que la nature de ces contrats ne leur confère aucun caractère réglementaire (38).
(40) Dans sa réponse du 18 décembre 1998, La Poste, pour sa part, conteste tout d'abord certaines affirmations factuelles contenues dans la plainte (39). Elle conteste ensuite qu'elle puisse être considérée comme une autorité de réglementation parce que ses tarifs (et en l'occurrence les ristournes accordées) sont soumis à l'appréciation de son autorité de tutelle lorsqu'ils relèvent du domaine sous monopole (40). La Poste fait valoir également que le contrat de partenariat entre La Poste et les routeurs en vigueur au moment du dépôt de la plainte prévoyait une procédure de reconnaissance de la "qualité de routeur premier de publicité correspondance messagerie". Cette qualité était un préalable nécessaire pour obtenir un contrat technique (41). Or La Poste précise que ce n'est pas elle-même qui attribuait cette qualité de manière unilatérale, mais une commission paritaire, composée de trois représentants des routeurs et d'une personnalité indépendante, et que les filiales de La Poste étaient également passées devant cette commission. La Poste affirme par ailleurs que le SNELPD n'a produit aucun document qui serait de nature à justifier la plainte qu'il a déposée. Elle ajoute que le plaignant semble confondre l'octroi du monopole légal à La Poste avec l'octroi d'un pouvoir réglementaire (42) et que c'est en réalité bien l'existence du monopole légal que contesterait le plaignant. En outre, selon elle, le plaignant opère une confusion entre position dominante et abus de celle-ci, et ne démontre en aucune façon la réalisation matérielle de l'abus. Sans remettre directement en cause l'existence d'un conflit d'intérêt dans son chef alléguée par le plaignant, La Poste considère néanmoins, pour finir, que le simple fait pour elle de rendre des prestations sur le marché du routage n'est pas en lui-même constitutif d'un abus de position dominante (43).
(41) Par lettre du 27 octobre 1999, la Commission a invité les autorités françaises à faire parvenir leurs commentaires sur l'éventuelle incompatibilité des dispositions du cadre législatif et réglementaire français avec le droit communautaire. À cet égard la Commission a émis des réserves quant à l'absence d'une autorité de régulation véritablement indépendante qui disposerait des pouvoirs de contrôler les relations contractuelles entre La Poste et les entreprises de routage. Selon la Commission, l'absence d'une telle autorité indépendante risquait de porter préjudice à l'activité des entreprises de routage. En effet, selon la Commission, La Poste disposait de la faculté de fixer librement les conditions d'accès à son réseau alors même qu'elle était directement ou indirectement active sur le secteur du routage. En outre, l'autorité étatique chargée du contrôle de La Poste n'était pas distincte de celle qui assurait la définition de sa politique générale ce qui soulevait une question de neutralité.
(42) Cette lettre de mise en demeure annonçait d'autre part que, si l'interprétation de la Commission se révélait exacte, la Commission pourrait adopter une décision sur la base de l'article 86, paragraphe 3, du traité. Une copie de la lettre de mise en demeure a été transmise à La Poste le 30 novembre 1999.
(43) Par courrier du 4 février 2000, les autorités françaises ont fait parvenir leurs observations. Dans ce courrier, les autorités françaises contestaient certains éléments de la lettre précitée. Elles faisaient observer que l'interprétation faite par la Commission de l'exigence d'indépendance du mode de régulation de La Poste semblait aller au-delà des dispositions du droit communautaire sectoriel applicable aux questions postales (44). Dans leur réponse, les autorités françaises décrivaient en outre le rôle du ministre dans la surveillance de La Poste et la nature de la tutelle exercée par ses services. À cet égard, elles faisaient savoir que, selon elles, les services du ministre n'effectuaient aucune intervention dans la gestion courante de l'établissement ou dans sa politique commerciale. Au contraire, selon les autorités françaises, le rôle du ministre en matière de tutelle "concerne essentiellement le respect des missions de service public et le secteur social, notamment en ce qui concerne l'unité des personnels". Les autorités françaises détaillaient en outre la consistance du contrat de plan et le rôle du commissaire du gouvernement siégeant au sein du conseil d'administration de l'exploitant public. Elles précisaient les modalités de contrôle des décisions tarifaires de La Poste telles que définies par le cahier des charges de La Poste. Les autorités françaises annonçaient enfin des mesures réglementaires "de nature à rassurer la Commission", notamment l'institution d'un médiateur du service universel postal et l'intensification de la surveillance exercée sur les contrats conclus par La Poste.
(44) Par lettre du 16 février 2000, La Poste a pour sa part répondu quant au fond aux questions soulevées par la Commission. Elle a joint à sa réponse une étude d'un consultant relative aux relations entre La Poste et les routeurs (45). Cette étude a notamment pour but de démontrer que La Poste, pour des raisons économiques et financières, n'aurait pas objectivement intérêt à mettre en difficultés les entreprises de routage. En outre, elle retrace l'historique des relations entre La Poste et les entreprises du secteur, expliquant que l'apparent durcissement de certaines clauses dans les contrats conclus en 1999 par rapport au régime antérieur procédait d'une volonté de La Poste de remédier à des imperfections du dispositif établi en 1995 que les entreprises de routage auraient exploitées à leur profit.
(45) Le 9 mars 2001, la Commission a adressé une nouvelle lettre à la République française dans le double but de clarifier l'état d'avancement des mesures annoncées en février 2000, et de porter à la connaissance des autorités françaises des éléments factuels fournis par les plaignants à la fin de l'année 2000, notamment sur la fragilisation économique des entreprises de routage qui serait résultée de certains changements opérés par La Poste dans le régime des contrats techniques et des contrats produits.
(46) Les autorités françaises ont répondu par lettre du 17 juillet 2001. Dans leur courrier, elles commentent les éléments de fait soulevés par la Commission. Elles exposent, en outre, les raisons qui ont empêché l'aboutissement du dispositif envisagé au début de l'année 2000 et joignent à leur réponse un projet de décret portant création d'un médiateur postal qui serait d'après elles de nature à résoudre les difficultés mises en évidence par la Commission. Elles informent par ailleurs la Commission que le conseil supérieur des postes et télécommunications a été saisi pour avis du projet de texte le 21 juin 2001, et expriment l'espoir que le médiateur puisse voir le jour et ses équipes se constituer avant le début de l'année 2002.
2. APPRÉCIATION JURIDIQUE
(47) L'article 86, paragraphe 1, du traité dispose que les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité, notamment aux règles relatives à la concurrence. Cette disposition du traité interdit aux États membres de mettre, par des mesures législatives, réglementaires ou administratives, les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs dans une situation dans laquelle ces entreprises ne pourraient pas se placer elles-mêmes par des comportements autonomes sans violer l'article 82 (46). Lorsque la Commission identifie des mesures étatiques édictées ou maintenues en violation de l'article 86, paragraphe 1, en liaison avec l'article 82, l'article 86, paragraphe 3, du traité l'autorise à adresser les décisions appropriées aux États membres.
2.1. Entreprise concernée
(48) La Poste est une entreprise publique au sens de l'article 86, paragraphe 1, du traité. En effet, d'une part, elle est un établissement public et, d'autre part, elle dispose d'un monopole légal sur certains services postaux(déterminé par l'article L. 2, deuxième alinéa, du Code des postes et des télécommunications, ci-après dénommé le "service postal de base").
(49) La poste française est un établissement public à caractère industriel et commercial institué par la loi n° 90-658 du 9 juillet 1990 (47) (ci-après dénommée la "loi de 1990"). Elle a reçu du législateur la qualification d'exploitant autonome de droit public, catégorie juridique sui generis. Elle est dotée de la personnalité morale et est indépendante juridiquement de l'État. Elle est cependant placée sous la tutelle du ministre chargé des postes et des télécommunications (48). La Poste a pour objet d'assurer le service public du courrier intérieur et international. L'ensemble de son capital est issu du transfert des biens de l'État auparavant confiés à l'administration des postes et télécommunications.
(50) La loi prévoit que la politique générale de La Poste est définie et conduite par son conseil d'administration "dans le cadre des orientations fixées par le gouvernement" (49). Le directeur du conseil d'administration de La Poste et la majorité des membres de ce conseil sont nommés par décret. De plus, un commissaire du gouvernement exprime avec voix consultative le point de vue du gouvernement au sein du conseil d'administration et a notamment la faculté d'obtenir la convocation du conseil. L'entreprise La Poste est donc une entreprise publique au sens de l'article 86, paragraphe 1, du traité.
(51) Par ailleurs, certains des actes de La Poste doivent être homologués ou approuvés par le ministre en charge de la poste et des télécommunications et par le ministre de l'économie: tel est notamment le cas pour la fixation des tarifs pour les services offerts dans le cadre du monopole postal et pour la création de filiales ou la prise de participations par La Poste au-delà d'un certain seuil.
(52) En outre, La Poste a pour objet d'assurer le service public du courrier intérieur et international. À ce titre, elle dispose du monopole postal en vertu de l'article L. 2, deuxième alinéa, du Code des postes et télécommunications. Ce monopole ne s'étend pas aux services de routage. L'article L. 2, deuxième alinéa, du Code des postes et télécommunications, qui réserve à La Poste le transport des lettres ainsi que des paquets et papiers n'excédant pas le poids de 350 grammes, institue au profit de cette dernière des droits exclusifs au sens de l'article 86, paragraphe 1, du traité.
2.2. Mesures étatiques en cause
(53) Le dispositif réglementaire applicable a été décrit en détail. La présente décision vise l'article 25 de la loi de 1990 ainsi que les articles 22, 23 et 33 du cahier des charges de La Poste, qui d'une part établissent le degré de liberté octroyé à La Poste dans la définition des conditions d'accès à son réseau et ses relations avec ses usagers, et d'autre part fixent les modalités et les limites de l'intervention du ministre dans le contrôle des décisions tarifaires de La Poste. Elle vise également les articles 4 et 6 du décret n° 93-1272 modifié et l'article 4 de l'arrêté du 2 novembre 1998 précité, qui indiquent la répartition des compétences de réglementation, de contrôle et de tutelle économique et financière en matière postale au sein du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
2.3. Marchés en cause
2.3.1. Marché du routage ou marché des services "amont"
(54) Le marché concerné par les mesures étatiques en cause est celui des prestations de routage portant sur des envois postaux à partir du territoire français. Les services de routage décrits au point 1.2 constituent un marché en amont des services formant le domaine réservé de La Poste. Ces services constituent un ensemble de prestations qui s'insèrent, dans le processus de traitement des envois postaux, entre la définition d'un message par l'émetteur de courrier et la prise en charge de l'envoi postal par La Poste dans le cadre des services réservés.
(55) Concrètement, il s'agit d'un ensemble d'opérations qui s'effectuent en amont de la levée, c'est-à-dire qui précèdent l'entrée de l'envoi de correspondance dans la partie du réseau postal exécutant les opérations ressortant du domaine réservé (50). En aucune manière les activités des routeurs en matière de collecte et de tri avant dépôt aux points d'accès du réseau postal n'empiètent sur le domaine réservé de La Poste.
(56) Par souci de simplicité, on peut qualifier l'ensemble de ces services comme des prestations "amont".
2.3.2. Marché du service postal de base ou marché des services "aval", domaine réservé de La Poste
(57) La Poste dispose du monopole postal en vertu de l'article L. 2, deuxième alinéa, du Code des postes et télécommunications (51). Le périmètre du monopole englobe "les services nationaux et transfrontières d'envois de correspondance, que ce soit par courrier accéléré ou non, y compris le publipostage, d'un poids inférieur à 350 grammes et dont le prix est inférieur à cinq fois le tarif applicable à un envoi de correspondance du premier échelon de poids de la catégorie normalisée la plus rapide", ainsi que "le service des envois recommandés dont l'utilisation est prescrite par un texte légal ou réglementaire".
(58) Ce monopole ne s'étend pas à la préparation du courrier antérieure au transport et à la distribution proprement dits, à savoir le conditionnement, la collecte et le tri du courrier remis à La Poste. La prestation de services de routage peut donc être effectuée par d'autres entreprises que La Poste. Toutefois, dans l'immense majorité des cas (52), elle suppose l'accès aux services pertinents du monopole postal afin que le courrier pris en charge par les routeurs puisse être acheminé et distribué et la bonne fin des prestations requises par les émetteurs de courrier ainsi assurée.
(59) Ce marché du service postal de base sous monopole de La Poste doit donc, dans le contexte de la présente décision, être considéré comme un marché connexe situé en aval du marché décrit.
2.4. Position dominante
(60) Selon une jurisprudence constante, une entreprise détentrice d'un monopole légal sur une partie substantielle du marché commun peut être considérée comme occupant une position dominante au sens de l'article 82 du traité CE (53). Le territoire d'un État membre est susceptible de constituer une partie substantielle du marché commun (54).
(61) Il résulte de ce qui précède que La Poste détient une position dominante au sens de l'article 82 du traité (55) du fait de son monopole légal sur le service postal de base précité.
2.5. Infractions aux règles de concurrence
2.5.1. Conflit d'intérêt dans le chef de La Poste
(62) L'article 86, paragraphe 1, du traité dispose que les États membres, en ce qui concerne les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité, notamment à celles qui sont prévues aux articles 12 et 81 à 89.
(63) La Cour de justice des Communautés européennes a reconnu à cet égard qu'une mesure par laquelle un État membre confie à une entreprise présente sur un marché le pouvoir de fixer des règles auxquelles ses concurrents devront se conformer, a pour résultat de fausser la concurrence et de violer le principe d'égalité des chances entre les différents opérateurs économiques (56). Le pouvoir économique qui est conféré au détenteur du droit exclusif sur les autres entreprises actives sur les marchés en amont donne lieu à un conflit d'intérêts. La Poste est conduite à favoriser directement ou indirectement ses propres filiales au détriment de ses concurrents sur le marché en amont. Ces comportements induisent des abus au sens de l'article 82.
(64) Ainsi dans l'arrêt rendu le 13 décembre 1991 dans l'affaire C-18-88, GB-Inno- BM (57), la Cour a établi que le conflit d'intérêts est un abus en soi. Dans cette affaire, la Cour a été amenée à se prononcer sur une réglementation conférant à l'opérateur de téléphonie dominant, qui commercialisait également des appareils téléphoniques, le droit d'agréer les appareils téléphoniques de ses concurrents. La Cour a indiqué qu'"un système de concurrence tel que celui prévu par le traité ne peut être garanti que si l'égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée. Confier à une entreprise qui commercialise des appareils terminaux la tâche de formaliser des spécifications et d'agréer ces appareils revient à lui conférer le pouvoir de déterminer, à son gré, quels appareils sont susceptibles d'être raccordés au réseau public et lui octroyer ainsi un avantage évident sur ses concurrents (...)" (58).
(65) En réponse à l'argumentation de la RTT, la Cour a en outre indiqué (59) que le fait que la RTT ne se soit pas effectivement livrée à des abus ne pouvait être invoqué pour justifier la réglementation en question.
(66) Le raisonnement de la Cour dans l'arrêt GB-Inno-BM est applicable dans le cas d'espèce. La Poste détient le monopole du transport du courrier et des colis d'un poids n'excédant pas 350 grammes. Elle constitue à ce titre un partenaire obligé pour les entreprises du secteur du routage qui doivent faire appel à ses services réservés. Elle est donc en position d'imposer aux routeurs ces clauses contractuelles contenant des conditions tarifaires et des normes techniques unilatéralement définies par ses soins malgré les apparences, dans certains cas, d'une concentration avec les partenaires concernés. En particulier, les normes techniques qui conditionnent l'accès aux tarifs spéciaux sont régies par des "instructions", établies par La Poste, qui sont insérées dans le bulletin officiel de La Poste.
(67) La Poste a évoqué (60) le caractère paritaire de l'attribution du label "qualité de routeur premier de publicité correspondance messagerie" qui conditionnait depuis 1994 l'accès aux contrats techniques de La Poste, pour démontrer que dans la pratique elle n'était pas en mesure de déterminer arbitrairement les conditions d'accès à son réseau. La Commission observe que cette procédure de reconnaissance de label n'est pas de nature à résoudre le conflit d'intérêts identifié dans le cas d'espèce. En effet, l'abus visé ne réside pas dans un quelconque refus d'accès, mais dans la détermination des conditions financières et techniques offertes aux entreprises de routage (61).
(68) Les autorités françaises maintiennent pour leur part que La Poste fait l'objet d'un contrôle de la part de l'État, qui viendrait tempérer sa liberté en matière contractuelle et tarifaire. S'agissant des modalités de contrôle des contrats, conditions techniques et tarifs établis par le détenteur du monopole postal, elles rappellent que certaines décisions tarifaires de La Poste font l'objet d'un examen et d'une homologation par le ministre.
(69) La Commission observe cependant que, en réalité, la liberté contractuelle laissée à La Poste est loin d'être complètement encadrée par un contrôle ex ante ou ex post du ministre. Ainsi, en ce qui concerne les prestations et les tarifs visés par la présente décision, le périmètre d'intervention possible du ministre est en fait restreint et l'intensité des contrôles très variable. Compte tenu des éléments de réglementation visés par la présente décision et des explications fournies par les autorités françaises (62), on doit dans la pratique distinguer trois situations pour les contrats et tarifs qui intéressent les routeurs, selon qu'ils s'analysent comme usagers du réseau de La Poste ou comme fournisseurs de celle-ci. Premièrement, les tarifs des "contrats produits" sont homologués par le ministre, dans la mesure où ils concernent des prestations relevant du domaine réservé au monopole postal, comme Postimpact (63). Deuxièmement, en revanche, les contrats pour lesquels les routeurs s'analysent comme des fournisseurs, en particulier les "contrats techniques", demeurent en dehors de tout contrôle par le ministre, car ils portent sur des prestations n'entrant pas dans le champ du monopole postal. Troisièmement, enfin, les normes et conditions techniques et plus généralement les composantes non tarifaires des offres contractuelles de La Poste, qui présentent pour les entreprises de routage autant d'éléments clés dans leurs conditions d'exploitation, ne font pas l'objet d'un contrôle, que les prestations en cause aient ou non trait au domaine réservé de La Poste (64).
(70) La Commission estime que, lorsque l'État français n'autorise qu'une seule entreprise à fournir les services postaux réservés, et qu'il laisse l'entreprise en question définir ses relations techniques et tarifaires avec des partenaires commerciaux tributaires de prestations relevant du domaine réservé en l'absence de contrôle exhaustif du champ de ces relations, cette entreprise est placée dans une situation de conflit d'intérêts du fait qu'elle devient le partenaire exclusif de ses propres concurrents sur des marchés en amont de son domaine réservé. La Poste détient en effet, en vertu du déséquilibre du pouvoir économique créé par la réglementation française, un pouvoir d'imposer de facto des règles à ses concurrents et de réglementer leur activité, même sans disposer d'un pouvoir réglementaire selon le droit interne (65). Or, La Poste est également présente directement et par l'intermédiaire de filiales sur le marché du routage. Cette présence sur le marché du routage a pour conséquence de créer dans son chef un conflit d'intérêts, La Poste étant conduite par ce cumul à favoriser directement ou indirectement ses propres filiales et incitée à abuser de sa position dominante.
(71) Dans leur réponse à la lettre de mise en demeure de la Commission, les autorités françaises n'ont pas contesté l'analyse faite par la Commission d'une situation de conflit d'intérêts dans le chef de La Poste. Elles ont en revanche annoncé des mesures propres à mettre un terme aux préoccupations manifestées à cet égard par la Commission.
(72) Ainsi, par une lettre du 17 juillet 2001, les autorités françaises ont transmis à la Commission pour information un projet de décret (66) portant création d'un médiateur du service universel postal (ci-après dénommé "le médiateur"), dont elles promettent "une mise en place rapide". Bien que ce projet n'ait pas encore été transcrit dans l'ordonnancement juridique français à la date de la présente décision, il importe d'examiner la nature des solutions envisagées par les autorités françaises.
(73) Selon celles-ci, la création du médiateur se traduirait par un approfondissement des contrôles exercés sur La Poste dans le domaine qui fait l'objet de la présente décision. Le décret prévoirait ainsi explicitement la possibilité d'intervention de ce médiateur dans la mise au point initiale, les modifications ultérieures et l'application des contrats-types liant La Poste à des organisations représentatives de catégories homogènes de professionnels, à la demande de l'une des parties ou par le ministre. Le médiateur se prononcerait non seulement sur les aspects strictement tarifaires, mais aussi sur "le caractère adapté et proportionnel des contraintes techniques" imposées par les contrats, et de façon plus générale sur les obligations respectives des cocontractants. À l'issue d'une procédure contradictoire, le médiateur émettrait un avis motivé transmis au ministre et aux parties intéressées, qu'il aurait la faculté de publier.
(74) Par rapport au cas d'espèce et à la situation réglementaire présente, ce projet de décret permettrait plusieurs avancées significatives. En premier lieu, il créerait pour les routeurs un droit de recours à l'encontre les conditions techniques et tarifaires établies par La Poste. En second lieu, il admettrait la possibilité de tels recours après la mise en œuvre des contrats en cause, et donc un examen ex post de ceux-ci et de leur application, alors que dans le dispositif actuel le pouvoir d'intervention d'une autorité publique dans les relations entre La Poste et les routeurs se borne à une homologation ex ante. Troisièmement, le projet de décret étendrait explicitement aux composantes non tarifaires de ces contrats la portée des contrôles exercés sur La Poste.
(75) Toutefois, dans sa rédaction soumise à la Commission, le projet de médiateur du service universel postal ne répond que partiellement aux préoccupations formulées précédemment. L'instruction d'une affaire par le médiateur n'a de véritable intérêt pour la partie requérante que si elle est suivie d'une décision par une entité distincte des parties. Or, ce projet ne dote aucune autorité distincte de La Poste d'un tel pouvoir de décision ou d'injonction excédant celui, limité (67), actuellement dévolu à l'autorité de contrôle étatique par le cadre réglementaire existant. Dès lors, dans la pratique, une interprétation combinée des dispositions du projet de médiateur et de la réglementation existante amènerait à distinguer trois situations possibles, qui conditionneraient l'effectivité du droit de saisine reconnu aux partenaires commerciaux de La Poste et la portée des contrôles exercés:
1) soit la saisine du médiateur s'effectuerait ex ante, avant homologation ministérielle, et porterait sur des prestations relevant du domaine réservé de La Poste (68);
2) soit la saisine du médiateur s'effectuerait ex ante, avant l'entrée en application du contrat en cause, mais concernerait des prestations qui ne relèvent pas du domaine réservé de La Poste (69);
3) soit, enfin, la saisine du médiateur interviendrait ex post, après l'entrée en vigueur du contrat en cause, et porterait indifféremment sur des prestations relevant du domaine réservé ou du domaine non réservé de La Poste (70).
Dans le premier cas, s'agissant de tarifs et de contrats soumis à homologation ministérielle, le projet de médiateur représenterait une avancée par rapport à l'existant, puisqu'il permettrait un recours auprès du médiateur par une partie requérante assortie d'une prise de décision à l'issue de la procédure. Dans le second cas et le troisième cas, au contraire, les routeurs auraient certes la faculté de saisir le médiateur, mais la procédure s'interromprait avec la formulation d'un avis par celui-ci, rien ne donnant compétence à une autorité de l'État pour trancher un différend entre La Poste et les routeurs au sujet de prestations ne relevant pas du domaine des droits exclusifs de La Poste ou survenant après l'homologation (71). De la sorte, en cas de litige entre La Poste et les routeurs dans l'établissement ou la modification des contrats techniques (72), quand bien même le médiateur serait saisi, aucune garantie ne serait offerte sur la bonne fin de la procédure et la prise de décision finale par une entité distincte de La Poste (73).
(76) Dans ces conditions, et compte tenu de la lacune du dispositif envisagé décrite au considérant 75, le projet des autorités françaises ne suffirait pas à obvier au risque de conflit d'intérêts dans le chef de l'exploitant public rencontré dans le cas d'espèce.
2.5.2. Défaut de neutralité dans le contrôle exercé par le ministre sur La Poste
(77) Une réglementation qui ne prévoit pas une autorité de contrôle indépendante présentant des garanties de neutralité suffisantes par rapport à une entreprise publique placée dans une situation de conflit d'intérêts enfreint les dispositions de l'article 86, paragraphe 1, du traité, en liaison avec son article 82. Plus précisément, l'absence d'une autorité présentant de telles garanties conduit à des infractions à l'article 82 du traité lorsque l'État ne contrôle pas d'une manière efficace le comportement de l'opérateur historique bénéficiant d'un droit exclusif sur des marchés situés en amont, qui ne sont pas couverts par le droit exclusif, et sur lesquels le bénéficiaire du droit exclusif est lui-même présent.
(78) Lorsqu'une entreprise publique se trouve confrontée à un risque de situation de conflit d'intérêts, il appartient en effet à l'État d'assurer qu'un système de contrôle efficace soit assuré de sorte que l'égalité des chances entre opérateurs soit rétablie. Tel est l'aboutissement du raisonnement de la Cour dans l'arrêt GB-Inno-BM: "le maintien d'une concurrence effective exige que la formalisation des spécifications techniques, le contrôle de leur application et l'agrément soient effectués par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens ou des services concurrents" (74).
(79) La Commission a confirmé l'application de ce principe au secteur postal. Elle en a déduit la nécessité pour les États membres de confier le contrôle des opérateurs postaux à une autorité qui soit indépendante de l'opérateur public ou doté de droits spéciaux ou exclusifs et de tout organisme lié à celui-ci. Elle a notamment indiqué que les États membres ne pouvaient confier ce contrôle à l'opérateur postal lui- même "ou à un organisme qui est lié (juridiquement, administrativement ou structurellement) à cet opérateur" (75).
(80) Dans sa lettre du 27 octobre 1999, la Commission avait fait remarquer que la fonction de surveillance, d'une part, et la fonction d'orientation de la politique de La Poste en tant qu'entreprise publique, d'autre part, sont assurées au sein du même ministère. Elle en déduisait l'existence d'un conflit d'intérêt au sein de ce ministère (76).
(81) Dans leur réponse du 7 février 2000, les autorités françaises ont apporté un certain nombre de précisions sur la nature des liens liant le ministre et La Poste, et sur la contenu de la fonction de tutelle et de contrôle tarifaire. Selon les autorités françaises, le pouvoir de tutelle et le contrat de plan impliquent la fixation à l'exploitant public d'objectifs généraux, qui ne se traduiraient pas par une intervention du ministère dans la politique commerciale de La Poste, et encore moins dans une prise de position quelconque à l'égard de la profession des routeurs. À l'issue de leur exposé, les autorités françaises concluent que la réglementation française assure une séparation adéquate des fonctions de réglementation et d'exploitation de l'activité postale. Le ministre et ses services seraient, selon les autorités françaises, séparés juridiquement, fonctionnellement et structurellement de La Poste.
(82) La Commission prend acte de ces explications mais ne peut souscrire entièrement à une telle analyse. Quelle que soit la réalité du degré de séparation invoqué par les autorités françaises, celle-ci ne fournirait pas, dans le dispositif actuel, la garantie d'une neutralité indiscutable dans l'exercice du contrôle des relations de l'exploitant public avec les entreprises de routage. Les autorités françaises rappellent d'ailleurs elles-même que, dans la définition des objectifs fixés à La Poste, "la direction du budget et la direction du trésor chargée de gérer les actifs de l'État interviennent (...) activement" (77). La même autorité de l'État qui assure le contrôle de la Poste est donc ainsi clairement chargée de veiller à sa rentabilité et à sa santé financière. La circonstance que ces compétences soient localisées simultanément dans plusieurs directions d'une administration soumise au même ministre n'est nullement suffisante pour démontrer l'indépendance du contrôle exercé. En outre, au sein de la DiGITIP elle-même, le service des postes est investi à la fois d'une mission de régulation et d'une mission de tutelle économique et financière (78). Dès lors, l'exercice de la tutelle du ministre sur La Poste, et notamment le contrôle de ses contrats et de ses tarifs, est susceptible d'être influencé par des considérations d'intérêt financier de l'État éloignées des préoccupations d'équité qui devraient prévaloir dans le contrôle des relations entre La Poste et ses usagers et partenaires commerciaux. Ainsi, il est clair qu'en l'état actuel de la réglementation française le ministre ne peut être considéré comme une autorité présentant à l'égard de La Poste des garanties suffisantes d'indépendance pour exercer un contrôle efficace.
(83) Au vu du cadre réglementaire existant, la Commission constate que la séparation entre les fonctions de tutelle économique et financière et de régulation telles que décrites par les autorités françaises n'est pas de nature à offrir des garanties de neutralité et d'indépendance suffisantes dans la surveillance des relations entre La Poste et les entreprises de routage. Dans ces conditions, l'autorité publique, placée elle-même dans une situation de conflit d'intérêts, n'est pas en mesure d'exercer sur La Poste un contrôle efficace assurant la neutralisation du conflit d'intérêts identifié précédemment dans le chef de l'opérateur postal public.
(84) Dans leur lettre du 17 juillet 2001, les autorités françaises affirment que, dans un proche avenir, l'installation aux côtés du ministre d'un médiateur permettrait de résoudre la question de la neutralité du contrôle. Le décret prévoirait en effet pour le médiateur certaines solutions visant à garantir son indépendance. Nommé par décret sur proposition du ministre parmi une liste triple proposée par le président de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, le médiateur serait nommé de façon irrévocable pour cinq ans non renouvelables et disposerait de moyens et de crédits budgétaires propres, sans être en outre soumis à l'autorité hiérarchique des services du ministère. La compétence décisionnelle (notamment en matière d'homologation) serait certes retenue par le ministre, le médiateur ne disposant que d'un pouvoir consultatif. Mais les avis du médiateur seraient motivés et rendus publics, de sorte qu'il serait difficile pour le ministre de s'éloigner sans motivation objective de la décision recommandée par le médiateur.
(85) La Commission prend acte de l'existence de ce projet, qui, en plaçant auprès du ministre un médiateur doté de certains pouvoirs d'investigation, de moyens et de plusieurs garanties d'indépendance statutaire, traduit un souci de créer certaines conditions de neutralité, de transparence et d'efficacité dans l'exercice des contrôles par l'autorité de tutelle sur la matière qui fait l'objet de la présente décision. À cet égard, la faculté de publier des avis motivés peut prendre un relief particulier dans la résolution des litiges et des difficultés tels que ceux relatés par le plaignant dans le cas d'espèce. Cette faculté semble de nature, en ce qui concerne le problème spécifique faisant l'objet de la plainte, à neutraliser le biais qui pourrait influencer une décision discrétionnaire du ministre.
(86) La solution du conflit d'intérêts au sein de l'autorité chargée du contrôle et de la régulation du secteur postal supposerait cependant une indépendance complète du médiateur à l'égard de l'opérateur postal public. Or, à cet égard, la Commission observe que, dans son économie actuelle, le projet ne prévoit pas de disposition assurant une prise de distance suffisante du médiateur et de ses collaborateurs par rapport à l'opérateur postal public (79). Dans ces conditions, l'institution du médiateur pourrait se révéler insuffisante pour assurer une indépendance satisfaisante de l'autorité chargée du contrôle, en dépit des pouvoirs qui lui seraient conférés par le décret envisagé.
2.5.3. Traduction possible du conflit d'intérêts dans le comportement de La Poste
(87) La situation de conflit d'intérêts constitue un abus en soi. Il n'est pas nécessaire d'attendre que l'entreprise en question commette effectivement un abus pour que l'infraction puisse être constatée. Il suffit en effet que l'entreprise soit mise, du fait de la réglementation elle-même, dans une situation qui l'amène à commettre un abus dès lors qu'elle y trouve un intérêt. La création et le maintien du double conflit d'intérêts décrit précédemment doit donc être considérée comme étant, en elle- même, contraire à l'article 86, paragraphe 1, lu en combinaison avec l'article 82 du traité, même en l'absence d'abus manifestes(80).
(88) Il n'est pas inutile, cependant, d'entrer plus en détail dans la nature des comportements contraires à l'article 82 auxquels La Poste pourrait se livrer ou aurait pu être tentée de se prêter du fait du double conflit d'intérêts décrit plus haut.
(89) En premier lieu, La Poste a la faculté d'imposer à ses partenaires du secteur du routage des conditions techniques et financières éloignées de la référence économique pertinente. La Poste pourrait fixer des conditions techniques et tarifaires qui, bien que formellement indistinctement applicables, défavoriseraient en fait les concurrents de La Poste et de ses filiales. Rien n'assure, par exemple, que les conditions de seuil en volume définies par La Poste pour l'accès à certains types de contrats techniques, ou bien la rémunération "au mille" consentie aux entreprises de routage pour les travaux de préparation et de tri, reposent sur des fondements reflétant des données économiques et techniques indiscutables (économies de traitement pour La Poste, économies d'échelle, valeur ajoutée réalisée, etc.). Le risque existe, au contraire, que La Poste utilise sa position de partenaire incontournable pour conduire à sa guise les négociations conduisant à l'établissement de ces contrats. Dès lors, il est possible que les conditions fixées par La Poste, bien que non discriminatoires en apparence, aient pour conséquence de mettre en difficulté les entreprises concurrentes dans le domaine du routage ou certaines catégories d'entre elles.
(90) Certaines décisions techniques et tarifaires prises par La Poste en juillet 1999 illustrent la marge de manœuvre dont dispose l'exploitant public, et ses effets potentiels sur les conditions dans lesquelles opèrent les entreprises de routage. Sans qu'il lui soit nécessaire de se prononcer sur l'adéquation, l'équité et la justification des seuils établis par La Poste, la Commission se borne à observer, par exemple, que le relèvement soudain et significatif (81) intervenu alors du seuil en volume de dépôt annuel de plis ouvrant aux routeurs l'accès au contrat de préparation a exclu de ce type de contrat (82) environ la moitié (83) des routeurs qui en bénéficiaient auparavant, bouleversant ainsi leurs conditions d'exploitation. Or, cette décision était sans effet sur les conditions d'exploitation des filiales de La Poste concernées qui, pour leur part, demeuraient de toute façon au delà du seuil critique, compte tenu de leur dimension et de leur volume d'activité.
(91) De la même façon, s'agissant de la rémunération "au mille" consentie aux routeurs pour certains travaux de préparation et de tri, La Poste a modifié en juillet 1999 les termes applicables, provoquant une baisse de 16 % des versements aux routeurs. Sans doute cette diminution a-t-elle été finalement compensée par La Poste, en fin d'année, par l'attribution aux routeurs d'une "bonification exceptionnelle". Mais l'initiative de la diminution de juillet 1999, tout comme celle de la compensation en fin d'année, démontrent l'ampleur de la marge d'appréciation laissée à l'opérateur public dans la détermination des conditions financières de l'accès à son réseau. Or, la rémunération "au mille" est loin d'être neutre dans l'équilibre économique des entreprises de routage, dont les marges sont traditionnellement faibles. Selon le plaignant, cette rémunération s'élèverait à environ 9 % de leur chiffre d'affaires. Cela signifie que, en faisant varier (en guise d'exemple basé sur les observations de 1999) de 16 % cette rémunération, La Poste est ainsi en mesure de décider d'influer sur 1,5 % du chiffre d'affaires des routeurs. Ce chiffre est lui-même à comparer avec les conclusions de l'étude réalisée par GBC pour le compte de La Poste, selon lesquelles les marges nettes des routeurs oscillent entre 0 % et 2 % (84). De ce fait, par le seul jeu des variations des conditions d'accès au réseau imposées par La Poste, les entreprises de routage sont susceptibles de voir leur rentabilité se dégrader de manière significative. Elles se trouvent donc dans une position de vulnérabilité particulière et structurelle à l'égard de l'opérateur public. Or, ni La Poste ni ses filiales actives dans le secteur du routage, qui disposent d'autres sources de revenus et de l'adossement à un groupe important (85), ne se trouvent dans une telle situation de dépendance financière.
(92) En second lieu, dans l'application des normes techniques auxquelles il est fait allusion précédemment, La Poste peut également être tentée de faire preuve à l'égard de ses propres filiales et des gros émetteurs de courrier avec lesquels elle traite directement, d'une moindre rigueur qu'à l'égard des entreprises de routage concurrentes. La Poste appliquerait en quelque sorte de manière discriminatoire des normes qui, en elles-mêmes, ne comportent pas d'élément de discrimination. Le plaignant a cité des exemples de cas où les filiales de La Poste n'avaient pas respecté des règles de quantités, de format, de présentation, d'horaires et de lieux de dépôt, ou les règles concernant la nature du message, mais où elles ont tout de même bénéficié de ristournes contractuelles et de l'accès aux tarifs de faveur. Cette situation avait d'ailleurs été identifiée par la direction générale de La Poste (86).
(93) Quels que soient les facteurs et les responsabilités à l'origine des comportements imputés à La Poste (87), leur simple existence ou même leur probabilité est bien la preuve du caractère défectueux des contrôles exercés sur la définition par celle-ci de ses normes techniques et conditions tarifaires aussi bien que de leur application.
2.6. Applicabilité de l'article 86, paragraphe 2
(94) Selon l'article 86, paragraphe 2, du traité, les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont soumises aux règles de concurrence du traité, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie.
(95) Les autorités françaises ne se sont pas prévalu des dispositions de l'article 86, paragraphe 2. En tout état de cause, on ne saurait démontrer que la suppression des situations de conflit d'intérêts ni que l'élimination des pratiques potentiellement discriminatoires de La Poste qui en sont le corollaire seraient de nature à mettre en péril l'accomplissement des missions de service d'intérêt économique général confiées à l'opérateur postal public.
2.7. Effet sur les échanges entre États membres
(96) Les mesures étatiques exposées ci-dessus sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. En effet, les envois confiés aux routeurs peuvent émaner de sociétés établies dans d'autres États de la Communauté dont les activités transfrontalières peuvent ainsi être affectées par la distorsion de la concurrence, comme pourraient l'être celles de routeurs établis dans d'autres États membres que la France et qui voudraient s'y établir ou y rendre leurs services (88).
(97) En conclusion,La Poste dispose d'un monopole sur le service postal de base et constitue à ce titre un partenaire incontournable des routeurs, actifs sur un marché situé en amont du service postal de base, sur lequel La Poste et certaines de ses filiales sont également présentes. Or, la réglementation française laisse à La Poste la faculté de fixer les conditions tarifaires et techniques applicables aux entreprises de routage pour l'accès à ses services réservés. Ces conditions et leurs modalités de mise en œuvre ne sont soumises qu'à des contrôles partiels, assortis de pouvoirs de décision restreints. En outre, l'autorité publique qui exerce ces contrôles ne présente pas des garanties d'indépendance et de neutralité suffisantes par rapport à la Poste. Dans ces conditions, le gouvernement français a laissé subsister un état de fait mettant La Poste dans une situation qui l'amène à commettre des abus, sous la forme de discriminations à l'encontre de ses concurrentes dans le secteur du routage.
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
L'article 25 de la loi française n° 90-568 du 2 juillet 1990 et les articles 22, 23 et 33 du cahier des charges de La Poste ainsi que les articles 4 et 6 du décret n° 93-1272 du 1er décembre 1993 modifié et l'arrêté du 2 novembre 1998 portant organisation de la DiGITIP sont contraires à l'article 86, paragraphe 1, du traité CE, lu en combinaison avec l'article 82 dudit traité, dans la mesure où ces dispositions ne permettent qu'un contrôle limité du caractère non discriminatoire des conditions tarifaires et techniques appliquées par La Poste aux entreprises de routage, et dans la mesure où ce contrôle partiel est exercé de surcroît par une autorité publique insuffisamment indépendante et neutre par rapport à La Poste.
Article 2
La France informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu'elle aura prises pour mettre fin aux infractions constatées à l'article 1er.
Article 3
La République française est destinataire de la présente décision.
(1) Les autorités françaises évoquent, dans leur note à la Commission du 4 février 2000, p. 1, "l'imbrication réelle entre les différentes fonctions nécessaires à un traitement rapide et performant du courrier de masse".
(2) Note des autorités françaises du 4 février 2000, p. 1, et courrier de La Poste du 18 décembre 1998, p. 2; voir également l'analyse des relations contractuelles entre La Poste et les routeurs, Tera Consultants, 2 février 2000, p. 9, rapport transmis à la Commission par La Poste.
(3) Sur cette notion, voir le livre vert sur le développement du marché unique des services postaux, glossaire p. 386 [COM(91) 476 final du 11 juin 1992]: les routeurs y sont qualifiés d'"intermédiaires".
(4) JO C 39 du 6.2.1998, p. 2, point 1 et point 2.5.
(5) Ce type de relation ne saurait toutefois recevoir la qualification de relation de sous-traitance. En effet, La Poste n'est nullement donneur d'ordre, les dépôts d'envois postaux restant à l'initiative des routeurs.
(6) Il existe en outre deux autres contrats techniques: le contrat de qualité, pour lequel est rémunérée la qualité du travail sur un certain nombre de critères (exactitude des dates de dépôt, taux de plis en bonne direction, respect du remplissage des contenants, etc.); le contrat de présentation, qui rémunère la qualité, à l'instar du précédent, mais aussi le niveau de finesse du tri.
(7) Dans une acception plus étroite reprise dans l'analyse des relations contractuelles entre La Poste et les routeurs (rapport précité), le chiffre d'affaires du marché du routage se serait élevé à 4,8 milliards de francs français en 1998. Ce chiffrage a pour inconvénient d'ignorer complètement les flux de courrier de gestion, dont une partie est assurée par les routeurs (infra).
(8) Source: Routeurs ou prestataires de services - synthèse de l'étude réalisée par le cabinet GBC à la demande de La Poste, juin 2000.
(9) Ces routeurs laséristes, qui ont en fait intégré à leur activité de routage traditionnelle une activité de traitement de messages à partir de données informatiques, ne doivent pas être confondus avec les laséristes au sens strict, qui n'exercent pas d'activité de routage. D'après le plaignant, les routeurs laséristes assurent environ un tiers de la totalité des flux de courrier de gestion confiés à des prestataires sépcialisés, les laséristes "purs" représentant le solde.
(10) Dans son étude précitée pour le compte de La Poste, le cabinet GBC, consultant en études et conseil en marketing informatique, distingue parmi les routeurs: les regroupeurs, qui n'effectuent que des travaux de tri et de préparation pour le compte de La Poste; les intégrateurs, qui offrent une gamme de prestations plus ou moins étendues dans la chaîne du marketing direct, depuis les études de marketing jusqu'à la gestion des envois; les routeurs conditionneurs filiales des grandes entreprises de vente par correspondance; les conditionneurs spécialisés, qui ont développé leurs compétences dans des métiers connexes du routage (brochage, façonnage, collage, adressage, mise sous pli ou sous film); les routeurs généralistes nationaux ou locaux; les routeurs laséristes; les routeurs à dominante colis.
(11) Tel, par exemple, le service Mailev@ lancé pendant l'année 2000, assurant une gamme de prestations depuis l'impression de documents et d'enveloppes jusqu'à leur remise dans le réseau postal.
(12) Déclaration lors d'une réunion entre La Poste et la direction générale de la concurrence de la Commission à Bruxelles le 17 janvier 2000.
(13) Par l'intermédiaire de sa holding Sofipost, à hauteur de 50 %, et conjointement avec Steria et la société italienne Postel (41 %).
(14) Mikros employait 250 collaborateurs en 1999 et a réalisé un chiffre d'affaires de 170 millions de francs français au cours de cet exercice. Cette société propose une série de prestations allant du formattage de documents à la mise sous pli et au conditionnement des envois.
(15) À telle enseigne que Dynapost s'est vue attribuer en 1998 par La Poste le label "qualité routeur premier". Ce label créé en 1994 mais supprimé en 1999 caractérisait les routeurs satisfaisant certains critères de qualité et donnait accès au bénéfice de conditions techniques et tarifaires particulières, notamment à une rémunération versée par La Poste en contrepartie du cautionnement des affranchissements.
(16) En particulier, dans son courrier du 18 décembre 1998, comportant ses observations sur le contenu de la plainte, La Poste conteste seulement l'existence d'un "lien direct" entre l'activité du routage et, d'une part, son service "contrat kiosque", d'autre part, les activités de sa filiale "Médiapost". La présente décision ne reprend pas ces deux activités dans la description de la présence du groupe La Poste sur le marché du routage.
(17) Premier considérant de la présente décision.
(18) Le chiffre d'affaires des services de La Poste et des filiales concernées a au total avoisiné 800 millions de francs français en 1999. Ce montant est à comparer avec les évaluations du marché du routage comprises entre 4,8 et 6,4 milliards de francs français évoquées précédemment.
(19) Loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications (JORF du 8 juillet 1990).
(20) Décret n° 90-1214 du 29 décembre 1990 relatif au cahier des charges de La Poste et au Code des postes et télécommunications (JORF du 30 décembre 1990, p. 16578), modifié par le décret n° 93-775 du 26 mars 1993 (JORF du 30 mars 1993, p. 5718), par le décret n° 96-1022 du 27 novembre 1996 (JORF du 29 novembre 1996, p. 17336) et par le décret n° 2001-122 du 8 février 2001 (JORF du 10 février 2001, p. 2203).
(21) Note des autorités françaises du 4 février 2000, points 2.12 et 2.1.4, et notification du 23 février 2001 du décret n° 2001-122 du 8 février 2001 modifiant le cahier des charges de La Poste.
(22) Aux termes de l'article 33 point 1 a) du cahier des charges de La Poste dans sa rédaction issue du décret du 8 février 2001 précité, "les tarifs des services faisant partie de la prestation de service universel aux usagers doivent tenir compte des coûts".
(23) Dans leur lettre à la Commission du 17 juillet 2001, section 2.1.1, p. 9, les autorités françaises assimilent les prestations de tri à des prestations relevant du service universel: "L'activité de tri est donc bien une activité qui relève du service universel (...)"
(24) Les produits de la gamme Postimpact concernent essentiellement les objets de publipostage et représentent une part prédominante de l'activité des routeurs.
(25) Ces tarifs, en ce qui concerne les routeurs, ne s'appliquent qu'aux flux de courrier de gestion, et représentent donc une importance moindre que les produits de la gamme Postimpact.
(26) D'après les autorités françaises (même référence que dans la note 26 de bas de page), "le routage, dans sa dimension 'tri' peut être analysé comme une activité qui entre dans le service universel (...)". Toutefois, les autorités françaises ne soutiennent pas qu'en l'espèce la rémunération des services en cause fasse l'objet d'un contrôle d'orientation sur les coûts.
(27) Aux termes de l'article 1er du décret n° 97-710 du 11 juin 1997 relatif aux attributions du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, celui-ci est "compétent pour (...) la politique des postes et télécommunications". Le secrétaire d'État à l'industrie n'exerce les attributions du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie relatives aux postes que par délégation du ministre auprès duquel il est placé (article 1er du décret n° 2000-306 du 7 avril 2000 relatif aux attributions déléguées au secrétaire d'État à l'industrie). Les services de la DiGITIP sont d'autre part clairement soumis à l'autorité du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en vertu de l'article 2-II du décret de 1997 précité.
(28) Décret n° 93-1272 du 1er décembre 1993 relatif à l'organisation de l'administration centrale du ministère de l'industrie, des postes et télécommunications et du commerce extérieur (JORF du 2 décembre 1993) dans sa rédaction issue du décret n° 98-879 du 2 novembre 1998 (JORF n° 255 du 3 novembre 1998, p. 16576).
(29) Dans leur note à la Commission du 4 février 2000, p. 5 et 6, les autorités françaises soulignent le rôle joué, au sein du ministère, par la direction du trésor dans la gestion des actifs de l'État actionnaire. L'article 4 de l'arrêté du 3 novembre 1998 organisant en bureaux la direction du trésor (JORF n° 255 du 3 novembre 1998, p. 16595) confie effectivement au bureau D5 du service des participations de cette direction l'examen des "questions de financement des autres entreprises dans lesquelles l'État détient une participation, notamment (...) La Poste" et charge ce même bureau "des relations entre ces entreprises et l'État actionnaire, et des opérations affectant leur capital".
(30) JORF n° 255 du 3 novembre 1998, p. 16583.
(31) Décret du 18 novembre 1998, JORF n° 269 du 20 novembre 1998, p. 17524. Le chef du service des postes, qui a autorité sur les deux sous-directions évoquées ci-dessus, est pour sa part habilité à signer, au nom du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, tous actes, arrêtés et décisions ou conventions concernant les affaires postales, mais seulement en cas d'empêchement ou d'absence du directeur général (décret du 19 avril 2000 portant délégation de signature, JORF n° 95 du 21 avril 2000).
(32) Note des autorités françaises du 4 février 2000, p. 6, paragraphe 5.
(33) On rappelle que, de l'aveu même des autorités françaises, cette fonction de tutelle implique une mission de valorisation des actifs et participations de l'État (note précitée des autorités françaises du 4 février 2000, p. 6, paragraphe 3).
(34) Un des contrats techniques décrits ci-dessus, qui permet le regroupement.
(35) Cette plaquette adressée aux délégués commerciaux de La Poste visait au développement de Dynapost.
(36) Étude qualitative des grands émetteurs de courrier et de leur réaction face à l'offre de courrier hybride de La Poste, 20 janvier 1993, annexée à la plainte du SNELPD auprès du conseil de la concurrence.
(37) Point 1.4 de la réponse précitée des autorités françaises.
(38) Point 2.1 de la réponse précitée des autorités françaises.
(39) Notamment l'assimilation faite par les plaignants de son service "kiosque" à une prestation de routage, et la mise en cause de sa filiale Médiapost, dont l'activité consisterait en développement de systèmes informatiques, notamment pour l'adressage et le ciblage, mais ne serait nullement en concurrence avec les sociétés de routage.
(40) Point I A) de la réponse précitée de La Poste.
(41) Voir section 1.1.2.
(42) Page 6 de la réponse précitée.
(43) Page 8 du courrier précité.
(44) Les autorités françaises affirmaient que l'équilibre juridique et institutionnel français était conforme à l'esprit de l'article 22 de la directive postale (directive 97-67- CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service). Cet argument n'est pas discuté plus avant dans le cadre de la présente décision, la Commission ayant eu l'occasion d'appeler l'attention des autorités françaises sur une éventuelle incompatibilité du dispositif réglementaire et institutionnel existant avec l'article 22 de la directive postale, dans le cadre d'une procédure distincte de celle-ci, par lettre du 3 août 2000.
(45) Analyse des relations contractuelles entre La Poste et les routeurs, rapport précité.
(46) Voir l'affaire C-18-88 Régie des télégraphes et des téléphones contre GB-Inno, Recueil 1991, p. I-5941, point 20 et affaire C-320-91 Corbeau, Recueil 1993, p. I- 2533, point 12.
(47) Loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, JORF du 8 juillet 1990, p. 8069, modifiée en dernier lieu par l'article 126 de la loi de finances pour 1999 du 30 décembre 1998, JORF du 31 décembre 1998, p. 20050.
(48) Article 1er de la loi de 1990.
(49) Article 10 de la loi de 1990.
(50) Selon l'article 7, paragraphe 1, de la directive 97-67-CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité de service, la "levée" constitue la première étape des services susceptibles d'être réservés au prestataire du service universel. Cette opération est définie, à l'article 2, point 4, comme "l'opération consistant à collecter les envois postaux déposés aux points d'accès". Ces points d'accès sont eux définis par l'article 2, point 3, de la directive, comme étant "les installations physiques, notamment les boîtes aux lettres mises à la disposition du public, soit sur la voie publique, soit dans les locaux du prestataire du service universel, où les envois postaux peuvent être confiés par des clients au réseau postal public".
(51) Dans sa rédaction issue de l'article 19.I de la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, JORF du 29 juin 1999, p. 9515.
(52) Il s'agit naturellement des cas dans lesquels les envois postaux en cause se situent en deçà des limites de poids et de prix fixées par la réglementation française. Selon l'étude GBC réalisée pour le compte de La Poste citée précédemment, p. 3, note 7, "20 à 30 % des objets conditionnés par les routeurs ne sont pas distribués par La Poste", car ils échappent au monopole postal.
(53) Voir notamment l'arrêt du 23 avril 1991, affaire C-41-90, Höfner/Macrotron, Recueil 1991, p. I-1979, point 28; arrêt du 18 juillet 1991, affaire C-260-89, ERT, Recueil 1991, p. I-2925, point 31; arrêt du 19 mai 1993, affaire C-320-91, procédure pénale/Paul Corbeau, Recueil 1993, p. I-2538, point 9; arrêt du 10 décembre 1991, affaire C-179-90, Merci convenzionali porto di Genova SpA/Siderurgica Gabrielli SpA, Recueil 1991, p. I-5889, point 14; arrêt du 17 juillet 1997, affaire C-242-95, GT- Link A/S c. De Danske Statsbaner (DSB), Recueil 1997, p. I-4453, point 35; arrêt du 12 février 1998, affaire C-163-96, Procédure pénale/Silvano Raso e.a., Recueil 1998, p. I-533, point 25.
(54) Arrêt du 9 novembre 1983, affaire 322-81, NV Nederlandsche Banden-Industrie- Michelin/Commission, Recueil 1983, p. 3461, point 28; arrêt du 5 octobre 1994, affaire C-323-93, Société civile agricole du centre d'insémination de la Crespelle/Coopérative d'élevage et d'insémination artificielle du département de la Mayenne, Recueil 1994, p. I-5077 point 17; arrêt du 26 novembre 1998, affaire C-7- 97, Oscar Bronner GmbH & Co. KG/Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag GmbH & Co. KG e.a., Recueil 1998, p. I-7791, point 36.
(55) Communication sur l'application des règles de concurrence au secteur postal et sur l'évaluation de certaines mesures d'État relatives aux secteurs postaux, JO C 39 du 6.2.1998, p. 7, point 2.6.
(56) Arrêt du 13 décembre 1991, affaire C-18-88, RTT/GB-Inno-BM, Recueil 1991, p. I-5941, points 24 et 25; arrêt du 19 mars 1991, affaire C-202-88, République française/Commission, Recueil 1991, p. I-1223, point 51; arrêt du 27 octobre 1993, affaire jointes C-46-90 et C-93-91, Procureur du Roi/Lagauche e.a., Recueil 1993, p. I-5284, point 44.
(57) Recueil 1991, p. I-5941, point 25 des motifs.
(58) Recueil 1991, p. I-5941, points 25 et 26 des motifs.
(59) Points 23 et 24 des motifs.
(60) Lettre du 18 décembre 1998 citée en section 1.5.
(61) De façon subsidiaire, il convient de relever que cette procédure n'a plus cours depuis 1999.
(62) Section 1.3.1.
(63) Dans la pratique, il semble que le contrôle exercé sur la gamme Postimpact porte essentiellement sur le niveau absolu des tarifs, et non pas sur la pertinence des seuils en volume qui ouvrent l'accès aux différents niveaux de cette grille tarifaire.
(64) Les tarifs "catalogue", qui intéressent également l'activité des membres du SNELPD, ne sont également soumis au ministre que pour information, puisqu'ils concernent des envois postaux qui ne sont pas des envois de correspondance inclus dans le périmètre des droits exclusifs de La Poste. Les modalités de contrôle de ces tarifs ne sont toutefois pas visées par la présente décision, puisque La Poste n'est pas un partenaire incontournable des routeurs pour le transport, l'acheminement et la distribution de ces envois postaux.
(65) Considérant 23.
(66) Ce projet fait lui même suite à un avant-projet de décret modifiant le cahier des charges de la poste qui avait été transmis en février 2001, et qui était resté sans lendemain.
(67) On rappelle qu'il s'agit d'un pouvoir de contrôle ex ante portant sur les aspects tarifaires des offres commerciales (et notamment les contrats-types) de La Poste relatives à l'accès à ses services réservés. Le projet présenté à la Commission ne modifie pas le périmètre actuel des offres commerciales soumises à contrôle. Bien qu'il assimile explicitement les contrats négociés avec des catégories homogènes de professionnels à des contrats-types, il ne modifie pas le dispositif actuel qui soumet à un contrôle ex ante les seuls contrats-types portant sur des services relevant du domaine réservé.
(68) Dans cette configuration, les routeurs s'analysent comme des usagers du réseau postal.
(69) Dans cette configuration, les routeurs s'analysent cette fois comme des fournisseurs de La Poste.
(70) Ce cas recouvre indifféremment des situations où les routeurs apparaissent comme des fournisseurs de La Poste ou des usagers de son réseau.
(71) À cet égard, le projet de décret présenté en juillet 2001 est en retrait pas rapport à l'annonce des autorités françaises dans leur réponse du 4 février 2000. Les autorités françaises déclaraient alors expressément que dans le dispositif à venir, les contrats-types (sans distinction de leur objet) "ser[aient] soumis à l'approbation du ministre" et incluaient les contrats techniques sous le vocable de "contrat-type" (note du 4 février 2000, point 2.2.1).
(72) Lesquels portent sur des prestations de travaux préparatoires et de tri tombant pour partie dans le périmètre du service universel de La Poste, mais ne relevant nullement du domaine réservé de celle-ci.
(73) En revanche, pour les contrats produits relevant du service universel (exemple: Postimpact), dans l'économie du projet de décret, il est garanti que l'avis du médiateur est nécessairement suivi d'une décision par l'autorité de tutelle.
(74) Arrêt du 27 octobre 1993, affaire C-69-91, Procédure pénale/Decoster, Recueil 1993, p. I-5373, point 19.
(75) Point 6.4 de la communication citée en note 55 de bas de page.
(76) Lettre de la Commission du 27 octobre 1999, p. 9.
(77) Note des autorités françaises du 4 février 2000, p. 6, paragraphe 3. Dans la même note, p. 5, paragraphe 3, il est également affirmé que "la direction du budget et la direction du trésor chargée de gérer les actifs de l'État interviennent également, chacune pour ce qui les concerne, et dans la limite des rôles qui leur sont dévolus".
(78) Dans l'affaire Decoster précitée (points 16, 17 et 22), la Cour a estimé que des directions différentes d'un même ministère ne sauraient être considérées comme indépendantes l'une de l'autre au sens des articles 82 et 86 du traité. À plus forte raison, la confusion à l'intérieur de mêmes directions relevant d'une autorité ministérielle identique de missions de surveillance et de gestion des actifs de l'État ne permet pas l'exercice de ces missions respectives en toute indépendance l'une de l'autre.
(79) D'après la note des autorités françaises du 17 juillet 2001, au point 1.2.1, "le médiateur ainsi que ses collaborateurs directs relèvent expressément des dispositions législatives et réglementaires restreignant et soumettant à un contrôle de régularité les possibilités d'emplois dans les entreprises privées à l'issue de leurs fonctions". Les autorités françaises font probablement allusion au Décret n° 95-168 du 17 février 1995 relatif à l'exercice d'activités privées par des fonctionnaires placés en disponibilité ou ayant cessé définitivement leurs fonctions (JORF n° 43 du 19 février 1995, p. 2717), mais ce décret ne vise pas l'exercice d'une activité dans une entreprise publique. Dès lors, rien ne semble envisagé quant à la possibilité pour le médiateur ou ses collaborateurs de rejoindre La Poste à l'issue de leurs fonctions, ce qui pourrait altérer leur neutralité dans l'exercice de leur activité.
(80) Arrêt du 13 décembre 1991, affaire C-18-88, RTT GB-Inno-BM, Recueil 1991, p. I-5941, points 23 et 24; affaire C-163-96, Procédure pénale/Silvano Raso e.a., Recueil 1998, p. I-533, points 27 et 31.
(81) De 6 millions à 30 millions de plis.
(82) Ce type de contrat est considéré par les routeurs comme le plus intéressant de la gamme de contrats techniques, en ce qu'il permet les regroupements de prospections.
(83) On dénombrait seulement 27 contrats de préparation fin 1999 contre 58 antérieurement aux décisions décrites ci-dessus.
(84) Routeurs ou prestataires de services - synthèse de l'étude réalisée par le cabinet GBC à la demande de La Poste - juin 2000, Page 2, on lit: "Si on exclut de l'analyse financière les routeurs VPCistes qui tirent le mieux leur épingle du jeu, les marges d'exploitation des autres segments de routeurs fluctuaient en 1998 entre 2 et 4 % et les marges nettes entre 0 et 2 %."
(85) La situation déficitaire importante de Datapost pendant plusieurs exercices successifs témoigne d'ailleurs de la réalité de cet avantage.
(86) Un courrier aux directeurs départementaux émanant du directeur du courrier de La Poste daté du 17 septembre 1999 témoigne de la connaissance de ces dysfonctionnements: "Les divers audits menés récemment sur les conditions d'exploitation et de facturation des prestations connexes au service du courrier (collecte et remise, affranchissement pour compte de tiers, mises sous pli, adressages) ont clairement fait apparaître des incohérences entre les directives nationales et locales se traduisant par une certaine hétérogénéité dans les modalités d'exploitation voire même de tarification. Cette situation fait courir à La Poste des risques majeurs au regard du droit de la concurrence (...)".
(87) Certains agissements décrits par le SNELPD dans sa plainte de 1998, notamment les discriminations exercées, semblent avoir eu pour origine des initiatives de certains directeurs départementaux de La Poste dans l'objectif d'optimiser les volumes. Le courrier précité du 17 septembre 1999 avait justement pour objet de discipliner ces pratiques.
(88) Arrêt du 1er février 1978, affaire 19-77, Miller Jean Lion et Cie SA/Commission, Recueil 1978, p. 131, point 15 et le point 48 des conclusions de M. l'avocat général Jacobs avant l'arrêt du 23 avril 1991, affaire C-41-90, Höfner/Macrotron, Recueil 1991, p. I-1979.