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Décisions

CJCE, 11 octobre 1983, n° 210-81

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Schmidt

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Willi Studer Revox Gmbh

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mertens de Wilmars

Présidents de chambre :

MM. Koopmans, Bahlmann, Galmot

Juges :

MM. Pescatore, Mackenzie Stuart, O'Keeffe, Bosco, Due, Rapp-Jung, Schon.

Comm. CE, du 11 mai 1981

11 mai 1981

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 juillet 1981, M. Schmidt, agissant sous la dénomination Demo-Studio Schmitt à Wiesbaden (république fédérale d'Allemagne), a introduit, en vertu de l'article 173 alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de l'acte en date du 11 mai 1981, concernant une procédure d'application des articles 85, paragraphe 1 et 86 du traité CEE, par lequel la Commission, exprimant sa " position définitive ", a fait savoir au requérant qu'elle estimait qu'il n'y avait pas lieu d'accueillir sa plainte visant à faire constater des infractions aux règles de la concurrence énoncées aux articles 85 et 86 du traité CEE de la part de la société Revox, à la suite d'un refus d'agrément comme revendeur spécialisé et d'un refus de livraison de marchandises qui lui ont été opposés par cette dernière.

2 La société Revox diffuse sur le territoire communautaire les produits audiovisuels de la société Revox International, dont le siège est situé à Regensdorf bei Zurich (Confédération helvétique). Elle distribue, d'une part, des produits Revox dits " de série A ", dont la livraison n'est soumise à aucune condition particulière et, d'autre part, des produits Revox dits " de série B "; ces derniers sont distribués selon un système de distribution sélective reposant sur le choix des concessionnaires de la marque en fonction de critères qualitatifs objectifs, tels que la qualité de la présentation et l'accessibilité du local ou du rayon de vente aux heures usuellement ouvrables, la compétence des vendeurs et la capacité à réaliser la réception des appareils, à conseiller la clientèle et à assurer un service après-vente. Ce système de distribution est dénommé " clauses de concession CEE ".

3 Le requérant, employé comme constructeur dans une fabrique de machines, a décidé, au cours de l'année 1975, de créer, à titre accessoire de son activité salariée, un commerce dans le secteur de l'électronique de loisir. A cette fin, il a soumis son projet à la société Revox et il a ouvert à Wiesbaden un magasin sous la dénomination " Demo-Studio Schmidt ", accessible au public le samedi matin et, les autres jours ouvrables, de 16 à 18 heures. Les livraisons de matériel Revox non soumis aux conditions de distribution sélective ont alors été assurées ; toutefois, il est vite apparu à M. Schmidt qu'il ne pourrait couvrir ses frais commerciaux qu'en assurant la vente des produits Revox de la " série B ", soumis aux conditions de distribution sélective .

4 Après de nombreux pourparlers avec la société Revox, le requérant s'est vu informer par cette dernière, le 19 septembre 1977, qu'il n'aurait pas accès aux " clauses de concession CEE " avec, pour conséquence, l'impossibilité de distribuer les produits de " la série B " ; cette décision lui a été confirmée, en dernier lieu, par une lettre du 27 décembre 1979. Ces refus étaient motivés par la circonstance que le studio-demo Schmidt ne satisfaisait pas aux critères qualitatifs imposés par la marque Revox à ses distributeurs, notamment à la condition relative à l'accessibilité du local de vente aux heures usuelles d'ouverture.

5 C'est dans ces conditions que le requérant a saisi la Commission, le 7 juin 1980, de la plainte précitée, qui tendait expressément à ce que la société Revox fut contrainte de lui livrer les produits de la " serie B ".

6 Par lettre du 18 septembre 1980, la Commission, conformément à l'article 6 du règlement n° 99-63 de la Commission du 25 juillet 1963 (JO du 20.8.1963, p. 2268), a informé le requérant de son intention, en état de l'instruction du dossier, de ne pas donner suite à sa plainte et lui a demandé de prendre position sur cette appréciation dans un délai d'un mois.

7 Par lettre du 12 octobre 1980, le requérant a confirmé le maintien de sa plainte, en précisant qu'il ne contestait pas la régularité des clauses de concession CEE de la société Revox, mais qu'il demandait, au contraire, à en bénéficier .

8 Par lettre motivée du 11 mai 1981, la Commission a communiqué au requérant sa " prise de position définitive " dans cette affaire. Cette prise de position définitive est motivée essentiellement, d'une part, par la circonstance que, de l'avis de la Commission, il n'existe aucun élément permettant de conclure que Revox, en refusant d'approvisionner l'intéressé, aurait exploité de façon abusive une position dominante au sens de l'article 86 du traité CEE et, d'autre part, par la constatation que le magasin de M. Schmidt ne satisfait pas à la condition d'ouverture aux heures usuelles posée par le système de distribution sélective pratiqué par Revox et que, par suite, l'attitude de Revox à son égard ne constitue pas une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

9 C'est dans ces conditions que le requérant a saisi la Cour du présent recours qui tend, d'une part, à l'annulation de la communication de la Commission du 11 mai 1981 et, d'autre part, à ce qu'il soit imposé à la Commission de prendre à nouveau position sur la plainte dont elle a été saisie, compte tenu du sens du présent arrêt.

Sur la recevabilité

10 Aux termes de l'article 3 du règlement n° 17, relatif a la cessation des infractions : " 1. Si la Commission constate, sur demande ou d'office, une infraction aux dispositions de l'article 85 ou de l'article 86 du traité, elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d'entreprises interessées à mettre fin à l'infraction constatée.

2. Sont habilités à présenter une demande à cet effet : ...

b) les personnes physiques ou morales qui font valoir un intérêt légitime ".

11 Bien que la plainte formelle introduite par le requérant, le 7 juin 1980, tendait à ce qu'il fut enjoint à la société Revox de l'approvisionner immédiatement, elle doit être interprétée, ainsi que l'a d'ailleurs fait la Commission lors de la phase précontentieuse et ainsi qu'il ressort de l'analyse des mémoires déposés devant la Cour, comme une demande tendant à ce que la Commission constate une infraction aux dispositions des articles 85 et 86 du traité, conformément à l'article 3, paragraphes 1 et 2, lettre b), du règlement n° 17 et impose à la société Revox, par voie de décision, de mettre fin à l'infraction constatée.

12 La Commission ne conteste pas que sa prise de position sur la plainte du requérant constitue bien un acte susceptible d'être déféré à la Cour par la voie de recours en annulation, des lors qu'un tel " avis " ou " communication " est définitif.

13 Toutefois, la Commission précise qu'elle s'en remet à la Cour pour apprécier l'existence réelle de l'intérêt à agir du requérant, compte tenu notamment de ce que, de l'avis de la Commission, il n'entrerait pas, dans la compétence que lui attribue l'article 85, de contraindre une société à agréer un commercent en qualité de distributeur spécialisé ou à lui livrer des produits.

14 Ainsi que l'a jugé la Cour dans son arrêt du 25 octobre 1977, Métro/Commission (26-76, Recueil p. 1875), " il est de l'intérêt à la fois d'une bonne justice et d'une exacte application des articles 85 et 86 que les personnes physiques ou morales qui sont, en vertu de l'article 3, paragraphe 2, lettre b), du règlement n° 17, habilitées à demander à la Commission de constater une infraction auxdits articles 85 et 86, puissent, s'il n'est pas fait droit, en tout ou en partie, à leur demande, disposer d'une voie de recours destinée à protéger leurs intérêts légitimes ".

15 La Cour constate que le refus d'admission comme concessionnaire des produits Revox, qui a été opposé à M. Schmidt et qui a été regardé par ce dernier comme constitutif d'une infraction aux articles 85 et 86 du traité, pouvait être de nature à affecter ses intérêts légitimes. De plus, et ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 6 mars 1974 (Istituto Chemioterapico Italiano SpA, 6 et 7-73, Recueil p. 223) et dans son ordonnance du 17 janvier 1980 (Camera Care Ltd, 792-79 R, Recueil p. 119), la Commission, dans le cas où elle aurait constaté de la part d'un producteur une attitude constitutive d'une infraction aux articles 85 et 86, aurait eu le pouvoir d'enjoindre à l'entreprise en cause de prendre toutes mesures de nature à mettre fin à l'infraction.

16 Il y a donc lieu de conclure que le recours est recevable.

Au fond

17 Le requérant ne conteste pas la compatibilité avec le droit communautaire du système de distribution sélective de la société Revox. En revanche, il fait valoir que ce système lui a été appliqué de manière discriminatoire et que le comportement de la société Revox serait constitutif d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, et éventuellement à l'article 86 du traité. A l'appui de ce moyen, il soutient essentiellement qu'il satisfaisait à toutes les conditions posées par les clauses de concession CEE de Revox, notamment celle relative à l'accessibilité du local commercial aux heures d'ouverture usuelles.

18 La Commission répond tout d'abord que la société Revox n'a pas procédé à une application discriminatoire de son système de distribution sélective au détriment de M. Schmidt, dès lors, notamment, que ce dernier n'a jamais satisfait à la condition essentielle relative aux heures d'ouverture. Il n'existerait donc, en l'espèce, aucune infraction à l'article 85, paragraphe 1, qu'elle aurait pu sanctionner. En outre, la Commission souligne que ce ne serait que dans l'hypothèse ou la société Revox exploiterait de façon abusive une position dominante au sens de l'article 86 du traité qu'elle aurait compétence pour prendre des décisions imposant à la société Revox de respecter l'égalité de traitement entre les opérateurs économiques du marche en cause. Mais elle remarque qu'aucune infraction à l'article 86 du traité ne peut être reprochée à la société Revox.

19 S'agissant de la violation alléguée des règles de concurrence du traité, la Cour estime que la Commission, saisie de la plainte du requérant, avait à examiner les faits mis en avant par ce dernier pour apprécier si l'application faite par la société Revox de son système de distribution sélective n'était pas de nature à fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et à affecter le commerce entre états membres.

20 En ce qui concerne la prétendue infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, il apparaît que la constatation faite par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle le commerce de M. Schmidt ne satisfait pas aux " clauses de la concession CEE " de Revox, qui exigent que le commerce soit accessible aux heures d'ouverture usuelles, ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation. Par ailleurs, rien dans le dossier ne laisse supposer que Revox, en refusant de conclure un contrat avec M. Schmidt tant qu'il n'avait pas satisfait aux conditions des " clauses de concession CEE ", avait d'autre but que celui, légitime, de s'assurer que le studio demo Schmidt satisfaisait aux critères qualitatifs imposes par Revox à tous ses distributeurs. La Commission a donc pu en déduire à bon droit que M. Schmidt n'avait été victime d'aucune application discriminatoire du système de distribution sélective de Revox susceptible de constituer une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

21 S'agissant de la violation alléguée de l'article 86 du traité, la Cour estime qu'il ressort des pièces du dossier que la Commission s'est livrée à une exacte appréciation des faits de la cause en évaluant à environ 1 % la part dont dispose la société Revox sur le marché en cause et en déduisant que cette part ne peut être regardée comme constitutive d'une position dominante. C'est dès lors à bon droit, alors surtout que n'avait été relevée aucune application discriminatoire du système de distribution sélective, que la Commission en a conclu qu'il n'existe pas d'éléments permettant de penser que la société Revox exploite de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci au sens de l'article 86 du traité.

22 Il résulte de ce qui précède que la plainte de M. Schmidt ne comporte aucun élément de nature à faire croire que l'application au requérant, par Revox, des règles de son système de distribution porterait atteinte aux règles de concurrence de la communauté et que la Commission aurait manqué au devoir de vigilance que lui imposent le traité et le règlement n° 17. Le recours doit, dès lors, être rejeté.

Sur les dépens

23 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante qui a appuyé la partie défenderesse.

Par ces motifs,

LA COUR, déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) Le requérant est condamne aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.