Cass. 1re civ., 29 janvier 1991, n° 89-12.139
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
La Brocherie (sté), Beux (es qualités)
Défendeur :
Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jouhaud
Rapporteur :
M. Grégoire
Avocat général :
M. Sadon
Avocats :
Me Ryziger, SCP Riché, Blondel, Thomas-Raquin.
LA COUR : - Attendu que la société La Brocherie, qui exploite une discothèque, a, pour la période du 1er octobre 1977 au 30 septembre 1978, conclu avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) un contrat général de représentation, mais n'a pas intégralement payé les redevances convenues ; qu'après l'expiration de ce contrat elle a poursuivi sans l'autorisation de la SACEM la diffusion d'œuvres musicales appartenant au répertoire de cette société et des sociétés d'auteurs étrangères qu'elle représente en France ; que l'arrêt attaqué (Rouen, 20 décembre 1988) a fixé la créance de la SACEM en évaluant les dommages-intérêts dus par la société La Brocherie à la somme dont elle serait débitrice si elle avait conclu un nouveau contrat général de représentation ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société La Brocherie fait grief à la cour d'appel d'avoir, en violation de l'article 9 du règlement n° 17 du Conseil de la Communauté européenne, refusé de surseoir à statuer sur la demande de la SACEM, bien que la commission ait engagé une procédure contre celle-ci par application du même règlement et sur le fondement des articles 85 et 86 du Traité de Rome, auxquels la société La Brocherie soutenait que la SACEM avait contrevenu ;
Mais attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a interprété le texte précité en ce sens que la mise en œuvre d'une telle procédure par la commission ne peut dispenser les juridictions nationales de statuer sur l'application des articles 85 et 86 du Traité, et qu'elles ont seulement la faculté de surseoir, si elles l'estiment nécessaire, jusqu'à l'issue de l'action de la commission;
Doù il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche : - Attendu que la société La Brocherie fait encore grief à l'arrêt d'avoir violé les articles 85 et 86 du Traité de Rome en décidant que certaines des pratiques contractuelles reprochées à la SACEM relevaient de l'application de la seule loi française, et cela au motif qu'elles ne concernaient que des ressortissants français et l'exécution de contrats conclus en France, alors que la cour d'appel devait rechercher si ces pratiques étaient de nature à avoir une influence sur le commerce intra-communautaire ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que l'activité de la SACEM, qui s'étend sur l'ensemble, partie substantielle du Marché commun, est soumise aux articles 85 et 86 du Traité de Rome ; qu'elle n'a exclu l'application de ces textes, d'ailleurs identiques aux dispositions de la loi française, qu'en ce qui concerne la prétendue discrimination arbitraire qu'exercerait la SACEM entre les discothèques françaises, mais que ce grief, expressément écarté par l'arrêt, n'étant pas repris par les autres branches du moyen ci-dessous examinées, cette première branche est dépourvu de toute pertinence ;
Sur les deuxième et troisième branches du moyen : - Attendu que la société La Brocherie, pour soutenir la nullité des contrats proposés par la SACEM, invoque dans les termes suivants les décisions de la Cour de justice des Communautés européennes qui ont interprété l'article 86 du Traité de Rome : " Que l'article 86 du Traité de Rome doit être interprété en ce sens qu'une société nationale de gestion de droits d'auteurs se trouvant en position dominante sur une partie substantielle du Marché commun impose des conditions de transaction non équitables, lorsque les redevances qu'elle applique aux discothèques sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres Etats membres ; que le fait, pour une société, de pratiquer des tarifs nettement plus élevés que les sociétés de droits d'auteurs étrangers est une présomption d'abus de puissance dominante, lorsque la société de droits d'auteurs n'est pas en mesure de justifier d'une telle différence en se fondant sur des divergences objectives et pertinentes entre la gestion des droits d'auteurs dans l'Etat membre concerné et celle dans les autres Etats membres, les traditions différentes concernant la protection des droits d'auteur ne pouvant constituer un élément d'appréciation objectif et pertinent non plus que les frais de recouvrement des redevances, qu'en particulier, lorsqu'elles sont le fruit de l'absence de concurrence ; qu'en l'espèce actuelle, en décidant que le fait que les redevances exigées par la SACEM soient très supérieures à celles exigées par les sociétés d'auteurs étrangers, ne permet pas de faire regarder comme non équitable le niveau de rémunération exigée par la SACEM, la légitime protection des droits d'auteurs justifiant que la SACEM cherche à obtenir pour les auteurs une rémunération aussi élevée qu'il est possible, et que les traditions différentes d'autres Etats membres concernant les droits d'auteurs peuvent conduire à apprécier différemment le point d'équilibre entre ces droits et les intérêts des exploitants et que le recouvrement des redevances entraîne d'inévitables frais pour l'organisme qui en a la charge, sans rechercher si la société des droits d'auteurs justifiait de différentes objectives et pertinentes quant à la gestion des droits d'auteurs, et si les frais plus élevés de perception n'étaient pas précisément dus à l'absence de concurrence, la cour d'appel a violé l'article 86 du Traité de Rome ; alors, d'autre part, que lorsqu'une société de droits d'auteurs a des frais de fonctionnement plus élevés que ceux des sociétés homologues et que la proportion du produit des redevances affectée aux frais de perception, d'administration et de répartition plutôt qu'aux titulaires des droits d'auteurs y est considérablement plus élevée que dans les autres états membres, il n'est pas exclu que ce soit précisément le manque de concurrence qui permet d'expliquer la lourdeur de l'appareil administratif de telle sorte que les arguments tirés de l'importance des frais de perception ne constituent pas des faits justificatifs pertinents susceptibles de justifier la perception de redevances sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres Etats membres ; que les exploitants d'une discothèque peuvent se prévaloir de ce que la part des redevances distribuées aux auteurs par une société de gestion de droits d'auteurs d'un Etat membre est inférieure à celle pratiquée par les sociétés de droits d'auteurs des autres Etats membres contre l'irrecevabilité du moyen puisse lui être opposé ; en décidant le contraire la cour d'appel a violé l'article 86 du Traité instituant la CEE et l'article 31 du nouveau Code de procédure civile " ;
Mais attendu qu'il résulte également de ces décisions de la Cour européenne que l'obligation qui pourrait ainsi peser sur la SACEM de justifier l'importance des redevances qu'elle réclame aux discothèques suppose que les contrefacteurs aient préalablement démontré que ces redevances sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres Etats membres du Marché commun, cette différence ne pouvant constituer l'indice d'un abus de position dominante que dans la mesure où la comparaison des niveaux des tarifs aurait été effectuée sur une base homogène ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société La Brocherie ne fondait pas ses allégations sur une étude comparative répondant aux exigences susvisées et qui seule pourrait faire apparaître l'illicéité des contrats proposés par la SACEM ; d'où il suit que la cour d'appel a légalement justifié sa décision sans encourir les griefs du pourvoi ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.