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Décisions

CCE, 21 décembre 2000, n° 2001-176

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Fourniture, en Italie, de nouveaux services postaux de remise garantie à une date ou à une heure prédéterminées

CCE n° 2001-176

21 décembre 2000

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 86, paragraphe 3, après avoir donné, par lettre du 16 mai 2000, aux autorités italiennes et, par lettre du 30 mai 2000, à l'opérateur postal historique, Poste Italiane SpA, l'occasion de faire connaître leurs points de vue concernant les griefs formulés par la Commission au sujet de l'article 4, paragraphe 4, du décret législatif n° 261 du 22 juillet 1999, considérant ce qui suit :

I. FAITS

A. Mesure nationale concernée

(1) Le 6 août 1999, le décret législatif n° 261 du 22 juillet 1999 (1) (ci-après dénommé le "décret ") est entré en vigueur. L'article 4, paragraphe 1, dudit décret dispose que le secteur réservé à l'opérateur historique, Poste Italiane SpA (ci-après dénommé "PI"), comprend :

"la levée, le transport, le tri et la distribution des envois de correspondance intérieure et transfrontière, que ce soit par courrier accéléré ou non, dont le prix est inférieur à cinq fois le tarif public applicable à un envoi de correspondance du premier échelon de poids de la catégorie normalisée la plus rapide, pour autant que leur poids soit inférieur à 350 grammes."

(2) L'article 4, paragraphe 4, stipule :

" en ce qui concerne la phase de remise, les envois de correspondance visés au paragraphe 1 comprennent ceux qui sont produits par des technologies télématiques."

(3) La remise d'envois de correspondance produits par des technologies "télématiques" fait partie du service dit de "courrier électronique hybride". Le droit exclusif conféré à PI par l'article 4, paragraphe 4, du décret englobe toutes les remises effectuées pour les envois créés par des moyens " télématiques ", qu'elles comportent ou non une valeur ajoutée par rapport au service de distribution traditionnelle et que PI fournisse ou non elle-même le service de remise à valeur ajoutée. Les opérateurs privés sont donc mis dans l'impossibilité de répondre à la demande particulière portant sur des types similaires de remise à valeur ajoutée.

(4) Avant l'entrée en vigueur de l'article 4, paragraphe 4, aucune mesure étatique ne conférait à PI de droits spéciaux ou exclusifs pour l'une quelconque des phases qui composent le service de courrier électronique hybride. Les décrets ministériels n° 333 du 24 juin 1987 (2), n° 269 du 29 mai 1988 (3) et n° 260 du 7 août 1990 (4), qui ont fourni le cadre juridique pour la création du service de courrier électronique hybride de l'opérateur historique, n'incluaient pas dans le secteur réservé la phase de remise dudit service. Sur la base de l'article 2, paragraphe 19, de la loi n° 662 de 1996 (5), tous les services postaux qui n'étaient pas expressément réservés à l'opérateur historique étaient ouverts à la concurrence.

B. Services en cause

(5) PI offre les services postaux universels suivants en Italie :

- poste aux lettres de base. Ce service prévoit un objectif non contraignant en termes de remise de J + 3, de J + 4 et de J + 5 pour respectivement 80%, 90 % et 99 % des envois,

- courrier électronique hybride de base. L'objectif en termes de remise est identique à celui qui régit le service de base de la poste aux lettres,

- courrier recommandé de base. Ce service est régi par le même objectif en termes de remise que le service de base de la poste aux lettres. D'après PI, le service de courrier recommandé en Italie comprend deux tentatives de remise, un système de suivi, la possibilité de changer le destinataire durant le transport et un système de certification électronique des remises effectuées,

- poste aux lettres prioritaire (6). Pour les destinations urbaines, ce service est régi par un objectif de remise non contraignant de J + 1, de J + 2 et de J + 3 pour respectivement 80 %, 90 % et 99 % des envois. En ce qui concerne les destinations rurales, ce même objectif est de J + 2,J + 3 et J + 4 pour respectivement 85 %, 95 % et 99 % des envois. D'après PI, en Italie, le service de courrier prioritaire prévoit les possibilités suivantes : changement de destination ou de destinataire durant le transport et notification d'un changement d'adresse du destinataire ou de l'impossibilité de retrouver la nouvelle adresse.

(6) Les opérateurs privés ont commencé à proposer aux entreprises un ensemble de nouveaux services d'externalisation du courrier. Ces services comprennent la production, la préparation, le transport et la remise d'envois pour lesquels le facteur temps est crucial. Les services d'externalisation les plus perfectionnés assurent la collecte, le tri et le transport des données par voie électronique, tandis que la remise, après impression, s'effectue sous forme physique. Les services de courrier électronique hybride organisent le processus de production de manière à réduire la nécessité de transporter physiquement le message, avant son impression et sa remise au destinataire. Cet ensemble de services d'externalisation augmente la rapidité et la fiabilité lors de la phase de remise grâce à la fourniture de deux prestations clés :

- remise garantie à une date prédéterminée ou

- remise garantie à une heure prédéterminée.

(7) Le paiement du service de remise à une date ou à une heure prédéterminées est subordonné à l'exécution de cette remise soit à la date prédéterminée soit à l'heure prédéterminée. Le fournisseur s'engage à ce que le service de remise garantie à une date ou à une heure prédéterminées soit assuré au moins sur la totalité du territoire d'une région d'Italie.

(8) Parmi les variantes par rapport à ces deux prestations clés, il faut mentionner les suivantes : 1) un service qui prévoit la remise à une date ou une heure prédéterminées selon une séquence demandée par le client ; 2) la remise à une date prédéterminée à une ou plusieurs autres destinations, si la remise à la première destination ne peut se faire. Certaines prestations supplémentaires sont généralement associées à la remise à une date ou à une heure prédéterminées : 1) le suivi pendant l'ensemble de la transmission électronique et de la remise physique ; 2) la confirmation, par voie électronique, de l'aboutissement de la remise à la date ou à l'heure prédéterminées ; 3) l'enregistrement électronique de ces confirmations de remise ; 4) l'avertissement, par voie électronique, en cas d'échec de remise ; 5) des efforts pour localiser le client à sa nouvelle adresse ; 6) l'établissement et la mise à jour continue de listes d'adresses propres au client. Dans certains cas, le service offre la vérification de la réponse des destinataires (encaissement à la réception d'avis d'échéance de primes d'assurance, par exemple).

(9) Les banques, les compagnies d'assurance ou d'autres entreprises exigent d'avoir la garantie, pour un certain nombre d'envois sensibles au facteur temps, que ceux-ci seront remis à une date ou à une heure prédéterminées. Ces envois concernent notamment des documents adressés afin de respecter un délai légal, des avis d'échéances de paiement (concernant une série d'instruments financiers tels que les effets de change, les billets à ordre ou les lettres de crédit), des offres de souscription limitées dans le temps portant sur un ensemble de produits et de services financiers ou d'assurance, des relevés de compte de dernière minute, des avis d'échéance de primes d'assurance et des offres promotionnelles à durée limitée proposées à l'occasion du lancement de nouveaux produits. Les envois sensibles au facteur temps perdent la totalité de leur valeur une fois que le délai de réponse légal a expiré, que la période de souscription correspondante s'est écoulée ou que l'événement en question a eu lieu. En conséquence, les clients doivent avoir l'assurance que l'envoi sensible au facteur temps est remis exactement à la date prédéterminée ou à l'heure prédéterminée.

(10) En Italie, les opérateurs privés ont mis en place l'infrastructure nécessaire pour fournir les services d'externalisation du courrier électronique hybride sur une grande partie du territoire national. A l'heure actuelle, l'infrastructure de distribution couvre plusieurs régions et 40 % environ du territoire italien. Dès que la masse critique sera atteinte, cette infrastructure sera étendue à l'ensemble du territoire national. Le réseau de distribution de l'opérateur historique n'offre pas les prestations de remise garantie à une date ou à une heure prédéterminées. La raison en est que les services de distribution fournis par l'opérateur historique n'atteignent pas le niveau de qualité de service requis.

C. Procédure

(11) Le 16 mai 2000, la Commission a ouvert une procédure d'infraction contre l'Italie pour violation de l'article 86 en liaison avec l'article 82 du traité CE et a invité le gouvernement italien à lui communiquer, dans un délai de deux mois à compter de la réception de la lettre de mise en demeure, soit les mesures qu'il entend adopter pour mettre fin aux infractions, soit ses observations sur les questions soulevées dans ladite lettre de mise en demeure. Le gouvernement italien a présenté ses observations le 26 juillet 2000. PI, qui avait été invitée, le 30 mai 2000, à communiquer ses observations, a répondu le 14 juillet 2000. Avant d'engager la procédure, la Commission a organisé plusieurs réunions avec le gouvernement italien et PI afin d'examiner les problèmes posés par l'article 4, paragraphe 4, du décret. Des réunions auxquelles ont participé le gouvernement italien et PI se sont notamment déroulées le 23 février et le 28 mars 2000 respectivement. Une réunion supplémentaire a eu lieu en présence de PI uniquement le 13 mars 2000. Les griefs formulés dans la lettre de mise en demeure ont été débattus lors d'une réunion ultérieure, le 11 septembre 2000, à laquelle ont participé conjointement le gouvernement italien et PI. Une autre réunion a eu lieu avec le gouvernement italien le 23 octobre 2000. Une réunion distincte a été organisée avec des représentants de PI le 11 octobre 2000. A la demande de l'opérateur historique, la Commission a prorogé, à maintes reprises, le délai pour le dépôt des observations concernant sa lettre de mise en demeure. Elle a ainsi accordé à PI la possibilité de présenter des observations complémentaires, qui ont été reçues les 28 et 30 octobre 2000 respectivement. PI a présenté le 15 novembre 2000 une nouvelle expertise juridique.

Il. APPRÉCIATION JURIDIQUE

Article 86

(12) L'article 86, paragraphe 1, du traité dispose que les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité, notamment aux règles relatives à la concurrence. PI est une entreprise publique au sens de l'article 86, paragraphe 1, car elle est détenue à 100 % par l'État italien. En outre, l'État a accordé à PI des droits exclusifs sur la base de l'article 4 du décret.

(13) L'article 86, paragraphe 1, du traité interdit aux États membres de mettre, par des mesures législatives, réglementaires ou administratives, les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs dans une situation dans laquelle ces entreprises ne pourraient pas se placer elles-mêmes par des comportements autonomes sans violer l'article 82 (7). En conséquence, lorsque la Commission recense une mesure étatique, qui est édictée ou maintenue en violation de l'article 86, paragraphe 1, en liaison avec l'article 82, l'article 86, paragraphe 3, l'autorise à adresser " les décisions appropriées aux États membres ".

(14) Il découle du libellé de l'article 86, paragraphe 3, du traité et de l'économie de l'ensemble des dispositions de cet article que la Commission peut prendre toutes les mesures qu'elle estime nécessaires pour garantir l'application des règles de concurrence (8). La Commission jouit d'un pouvoir de discrétion pour apprécier l'opportunité d'agir contre un État membre sur le fondement de l'article 226 ou de l'article 86, paragraphe 3, du traité (9). En conséquence, si la Commission le juge nécessaire pour garantir l'application des règles de concurrence, elle peut agir sur la base de l'article 86, paragraphe 3, au lieu de l'article 226(10). Le gouvernement italien ne peut donc faire valoir que l'action engagée par la Commission concernant l'article 4, paragraphe 4, aurait dû se fonder sur l'article 226 uniquement et que cette procédure est une Lex specialis par rapport à la procédure prévue par l'article 86, paragraphe 3.

(15) En outre, les procédures engagées en vertu de l'article 86, paragraphe 3, du traité garantissent pleinement les droits de la défense des États membres (11). Les procédures sont ouvertes par l'envoi d'une lettre de mise en demeure à l'État membre concerné, qui a la possibilité de présenter son point de vue dans un délai de deux mois. La Commission n'est autorisée à arrêter la décision prévue à l'article 86, paragraphe 3, qu'après avoir examiné les observations présentées par les États membres dans ce délai(12). De plus, sans qu'elle ne soit nullement tenue juridiquement de le faire, la Commission a, dans la présente affaire, prolongé à maintes reprises ce délai de deux mois afin de donner, tant à PI qu'au gouvernement italien, des occasions supplémentaires de faire connaître leurs arguments. Enfin, la légalité de la décision de la Commission est soumise au contrôle des juridictions communautaires. Le contrôle de toutes les mesures prises par la Commission en application de l'article 86, paragraphe 3, par les juridictions communautaires, garantit l'équilibre entre les institutions. Contrairement à l'avis du gouvernement italien, les procédures en vertu de l'article 86, paragraphe 3, ne faussent pas l'équilibre institutionnel entre les États membres, le Conseil et la Commission.

A. Marchés en cause

(16) Les marchés en cause dans la présente affaire sont au nombre de deux : 1) les remises non traditionnelles, c'est-à-dire les remises garanties à une date ou à une heure prédéterminées dont il est question ci-dessus et 2) les remises traditionnelles, qui sont régies par des objectifs en termes de délai mais ne fournissent aucune certitude ni garantie quant à la date ou à l'heure exactes de la remise.

(17) Les remises garanties à une date ou à une heure prédéterminées diffèrent des remises traditionnelles par : 1) leurs caractéristiques et 2) les besoins auxquels elles répondent :

1) la remise traditionnelle n'offre aucune garantie en ce qui concerne le jour ou l'heure auxquels l'envoi de correspondance est livré (13). Elle est régie par des objectifs généraux en termes de délai qui ne spécifient jamais le jour ni l'heure exacts de la remise. Le service de remise traditionnelle n'offre aucune garantie quant à la date ou à l'heure précises auxquelles l'envoi est livré ;

2) le service de remise traditionnelle n'est pas à même de répondre à la demande de remise garantie à une date ou à une heure prédéterminées décrite ci-dessus. Les deux services ne sont pas interchangeables. Comme il est indiqué plus haut, la remise à une date ou à une heure prédéterminées répond à une demande particulière de la clientèle d'affaires qui, pour un certain nombre d'envois de correspondance pour lesquels le facteur temps est crucial, exige que la remise soit effectuée à une date ou à une heure précises. Le service de remise traditionnelle répond, pour sa part, à la demande générale du public. Il s'adresse à une clientèle pour laquelle le jour ou l'heure exacts auxquels l'envoi est livré importent peu (14).

(18) Comme la remise à une date ou à une heure prédéterminées implique des prestations différentes et satisfait des besoins différents, PI ne peut prétendre que ce service ne représente qu'une simple " évolution" ou " adaptation " du service de remise traditionnelle (15). En outre, contrairement à ce que soutient le gouvernement italien, le critère de la plate-forme" sur laquelle le courrier est produit n'a pas été utilisé pour définir le marché. La distinction entre remise traditionnelle et remise à une date ou à une heure prédéterminées est opérée sur la base des caractéristiques qui différencient ces deux services et des besoins différents auxquels ils répondent et elle est donc sans rapport avec la question de savoir si le courrier a été collecté et transporté physiquement ou électroniquement. C'est donc à tort que le gouvernement italien et PI font valoir que la définition du marché en cause donnée par la Commission se fonde sur le mode de production du courrier.

(19) Selon PI, il n'existerait pas de demande réelle pour des services de remise à date ou heure prédéterminées (16). Toutefois, les opérateurs privés ont mis en place l'infrastructure nécessaire pour fournir les services du courrier électronique hybride avec remise à une date ou à une heure prédéterminées. Cela démontre que ces opérateurs considèrent qu'il y a une clientèle pour des services de remise à une date ou à une heure prédéterminées. En outre, le fait que les banques et les compagnies d'assurance puissent attacher plus d'importance au facteur prix qu'au facteur temps pour leurs envois consistant en lettres types (17) n'affecte en rien le fait qu'elles sont sensibles au facteur temps pour les envois spécifiques mentionnés ci-dessus.

(20) Enfin, la remise à une date ou à une heure prédéterminées se différencie également de la remise " sur rendez-vous " que PI déclare offrir dans le cadre de son service " Postacelere " (18). PI décrit ce service comme une remise ad hoc d'envois particuliers, en dehors de la tournée régulière du facteur (19). Selon PI, une fois que l'envoi est arrivé au centre de distribution, le facteur prend contact avec le destinataire pour convenir d'une date et d'une heure de remise (20). Il apparaît que ce service diffère fondamentalement du service de remise garantie à une date ou à une heure prédéterminées à plusieurs égards :

- le postier ne fixe un rendez-vous qu'une fois que l'envoi est arrivé au centre de distribution. La remise ad hoc est sans incidence sur le fait que le service est régi, comme pour les autres services de PI indiqués ci-dessus, par des objectifs en termes de délai de remise et non par une garantie de remise à la date ou à l'heure prédéterminées. Un régime ne fixant que des objectifs non contraignants pour le délai de remise diffère fondamentalement d'une garantie que l'envoi sera remis à une date ou une heure prédéterminées (21)

- le paiement du service " Postacelere " n'est pas subordonné à l'accomplissement de la remise à une date ou à une heure précises. Aucun service de remise traditionnelle en Europe, y compris en Italie, ne subordonne le paiement à l'accomplissement de la remise à une date ou à une heure prédéterminées.

(21) A la lumière de ce qui précède, les services de remise non traditionnelle se singularisent par la remise à une date ou à une heure prédéterminées, qui fait l'objet d'une garantie contractuelle. Ils constituent un marché distinct du service de remise traditionnelle, qui ne prévoit pas la remise à une date ou à une heure prédéterminées et ne fournit aucune garantie en ce sens. Compte tenu de cette différence marquée entre les services non traditionnels et les services traditionnels, PI ne peut prétendre que les opérateurs privés offrent la remise à une date ou à une heure prédéterminées comme un "camouflage" pour fournir des services traditionnels (22).

B. Dimension géographique des marchés en cause

(22) Le marché géographique en cause est constitué par l'Italie. Le monopole général sur la poste aux lettres, y compris sur la phase de remise du service de courrier électronique hybride réservée par l'article 4, paragraphe 4, du décret de 1999, couvre l'ensemble du territoire italien.

C. Position dominante

(23) L'article 4 du décret confère à l'opérateur postal public un droit exclusif couvrant l'ensemble du territoire italien. Le bénéficiaire de ce droit détient par conséquent une position dominante en ce qui concerne le service couvert par l'exclusivité. Selon la jurisprudence de la Cour, une entreprise qui bénéficie d'un monopole légal sur un marché donné peut être considérée comme occupant une position dominante sur ce marché au sens de l'article 82 du traité (23). En outre, le territoire d'un État membre auquel ce monopole s'étend est susceptible de constituer une partie substantielle du Marché commun (24).

D. Abus de positin dominante

(24) Selon la Cour, il y a abus au sens de l'article 82 lorsque, sans que cela soit objectivement nécessaire, une entreprise bénéficiant d'une position dominante sur un marché donné se réserve d'autres activités sur des marchés voisins, mais séparés (25), alors que ces activités pourraient également être exercées par une autre entreprise dans le cadre de ses activités sur ce marché voisin mais séparé (26).

(25) En ce qui concerne l'application combinée des articles 86 et 82 du traité, la Cour a estimé que l'extension, par voie de mesure étatique, d'un monopole à un marché voisin et concurrentiel, sans justification objective, est prohibée comme telle par l'article 82 en relation à l'article 86, paragraphe 1 (27).

(26) PI déclare qu'elle n'offre, pour l'instant, pas de services de remise à date ou à heure prédéterminées (28). Toutefois, une mesure étatique qui réserve un marché voisin mais distinct contrevient à l'article 86, paragraphe 1, en liaison avec l'article 82, que le gestionnaire public soit ou non déjà opérationnel sur ce marché distinct :

- dans la mesure où l'extension du domaine réservé pour y inclure les services de remise à une date ou à une heure prédéterminée, amène PI à offrir des services de remise à une date ou à une heure prédéterminées, l'article 4, paragraphe 4, risque d'étendre sa position dominante à ce marché voisin mais distinct,

- dans la mesure où PI n'offre pas des services de remise à une date ou à une heure prédéterminées, l'article 4, paragraphe 4, amène ledit opérateur, par le simple exercice de son droit exclusif, à restreindre la fourniture du service en question, les opérateurs privés étant empêchés de satisfaire la demande de remise garantie à une date ou à une heure prédéterminées(29).

(27) La question de savoir si la phase de remise du service de courrier électronique hybride était ou non ouverte à la concurrence avant l'entrée en vigueur de l'article 4, paragraphe 4, n'entre pas non plus en ligne de compte. Même si cette phase était réservée avant l'entrée en vigueur de ladite disposition, ce qui n'est pas confirmé par la réglementation italienne pertinente susvisée, l'article 4, paragraphe 4, serait néanmoins contraire à l'article 86 en liaison avec l'article 82, étant donné que l'article 86, paragraphe 1, interdit également le maintien d'une mesure étatique contraire à l'article 82.

(28) En ce qui concerne l'argument du gouvernement italien que l'extension du monopole est objectivement justifié en vue de la sauvegarde de l'équilibre financier de PI, référence est faite aux paragraphes relatifs à l'article 86, paragraphe 2, mentionné ci-dessous.

E. Effet sur le commerce entre États membres

(29) La responsabilité d'un État membre n'est engagée en vertu de l'article 86, paragraphe 1, et de l'article 82 du traité que lorsque l'abus est susceptible d'affecter le commerce entre États membres. Un tel effet existe en l'espèce étant donné que l'exclusion de la concurrence sur un marché distinct et séparé du secteur réservé empêche les entreprises établies dans d'autres États membres, qui ont une expérience considérable dans l'offre de remise à date ou à heure prédéterminées, d'étendre leur activité à l'Italie.

F. Article 86, paragraphe 2, du traité

(30) Conformément à l'article 86, paragraphe 2, du traité, les règles du traité, et en particulier les règles de concurrence, s'appliquent à l'opérateur postal historique chargé d'un service d'intérêt économique général, à moins que leur application ne fasse obstacle à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui lui a été impartie. Il incombe à l'État membre de prouver que l'application des règles de concurrence produirait un tel effet. Pour les raisons suivantes, le gouvernement italien et PI ne peuvent prétendre : 1) ni que la concurrence en ce qui concerne la remise garantie à date ou heure prédéterminées compromettrait l'équilibre financier de PI (30), ni 2) que l'ouverture du service en question à des opérateurs privés reviendrait à "écrémer" les revenus de l'opérateur public (31) :

- d'abord, comme il est indiqué ci-dessus, PI n'offre pour l'instant pas de remise garantie à une date ou à une heure prédéterminées parmi ses services postaux (32). PI ne pâtirait par conséquent d'aucun manque à gagner sur ce marché. De plus, afin d'être en mesure d'offrir des services de remise à une date ou à une heure prédéterminées, PI devrait réorganiser complètement ses activités de tri et de remise. Cela rend l'entrée de PI sur ce marché peu probable à court et à moyen terme. De toute façon, les recettes supplémentaires que PI pourrait réaliser en offrant des services hautement spécialisés resteraient marginales par rapport à son déficit,

- ensuite, la remise à date ou à heure prédéterminées répond à une demande très particulière qui ne concerne que des envois de correspondance pour lesquels le facteur temps est crucial. La remise de ces envois constitue un nouveau service qui génère un accroissement du volume total de correspondance. Pour cette raison, les envois pour lesquels le facteur temps est crucial ne remplacent ni ne détournent une partie de la demande d'envois traditionnels (réservés). Par conséquent, ces services ne diminueront ni le volume ni les recettes obtenues par PI dans le secteur réservé,

- enfin, l'infrastructure de distribution des opérateurs privés couvre déjà le territoire de plusieurs régions d'Italie, atteignant un taux cumulé de couverture à l'échelle nationale de 40 %. On ne peut donc pas considérer que le service qu'ils offrent se limite aux routes postales urbaines rentables et laisse à PI les routes rurales qui ne le sont pas.

III. CONCLUSION

(31) A la lumière de ce qui précède, la Commission considère que l'Italie, en excluant la concurrence pour la phase de remise à une date ou à une heure prédéterminées du service de courrier électronique hybride, enfreint l'article 86, paragraphe 1, en liaison avec l'article 82 du traité. Étant donné qu'aucun État membre excepté l'Italie n'a adopté une disposition similaire à l'article 4, paragraphe 4, du décret, qui réserve expressément la phase de remise du service de courrier électronique hybride, quelles que soient les prestations offertes dans cette phase, la Commission doit adopter une décision concernant seulement l'Italie,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

La réglementation italienne du secteur postal, et en particulier l'article 4, paragraphe 4, du décret législatif n° 261 du 22 juillet 1999, est contraire à l'article 86, paragraphe 1, en liaison avec l'article 82, du traité, dans la mesure où elle exclut la concurrence pour la phase de remise à une date ou à une heure prédéterminées du service de courrier électronique hybride.

L'Italie est tenue de mettre fin à cette infraction en annulant les droits exclusifs accordés aux Poste Italiane SpA en ce qui concerne la phase de remise à une date ou à une heure prédéterminées du service de courrier électronique hybride.

Article 2

L'Italie s'abstiendra à l'avenir d'accorder des droits exclusifs portant sur la phase de remise à une date ou à une heure prédéterminées du service de courrier électronique hybride.

Article 3

L'Italie informe la Commission dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision des mesures prises pour mettre fin à l'infraction visée à l'article 1er.

Article 4

La République italienne est destinataire de la présente décision.

(1) Decreto Legislativo del 22 luglio 1999, n° 261, Gazzetta ufficiale della Repubblica italiana, serie generale, n° 182.

(2) Gazetta ufficiale della Repubblica italiana du 8 août 1987, n° 184.

(3) Gazetta ufficiale deIIa Repubblica italiana du 15 juillet 1988, n° 165.

(4) Gazetta uffidale della Repubblica italiana du 18 septembre 1990, n° 218.

(5) Loi du 23 décembre 1996, n° 62, Gazzetta ufficiale della Repubblica italiana du 28 décembre 1996, n° 303.

(6) Le service de courrier prioritaire a été instauré par un décret ministériel du 24 mai 1999 Gazzetta ufftcisle della Repubblica italiana du 3 juin 1999, n°128.

(7) Voir l'affaire C-18-88 : Régie des télégraphes et des téléphones contre GB-Inno, Recueil 1991, p. 1-5941, point 20 et affaire C-320-91, Corbeau, Recueil 1993, p. 1-2533, point 12.

(8) Affaire T-266-97, Vlaamse Televisie Maatschappij Ny, point 75.

(9) Conclusions de l'avocat général Mischo, présentées le 19 octobre 2000 dans l'affaire C-163- 99 : République du Portugal contre Commission, point 46. Voir également l'affaire C-202-88 : France contre Commission, Recueil 1991, p. 1-1223.

(10) Affaires jointes C-48-90 et C-66-90 : Pays-Bas contre Commission, Recueil 1992, p. 1-627, points 33 à 35.

(11) Affaires jointes C-48-90 et C-66-90 : Pays-Bas contre Commission, Recueil 1992, p. 1-627, points 33 à 35 et point 37.

(12) Affaires jointes C-48-90 et C-66-90 : Pays-Bas contre Commission, Recueil 1992, p. 1-627, points 33 à 35 et point 37.

(13) Le service de remise traditionnelle n'offre pas non plus les variantes susmentionnées de ces deux garanties essentielles, à savoir : 1) un service qui prévoit la remise à une date ou à une heure prédéterminées selon un programme établi par le client : 2) la remise à une date prédéterminée à une ou plusieurs autres destinations, si la remise à la destination initiale ne peut aboutir. Comme ces prestations sont des variantes des deux garanties essentielles, c'est-à-dire la remise à une date ou à une heure prédéterminées, leur présence, en plus de ces dernières, n'est pas une condition nécessaire pour distinguer les services non traditionnels des services traditionnels.

(14) La remise à une date ou à une heure prédéterminées se différencie aussi du service traditionnel par des prestations telles que : 1) le suivi pendant l'ensemble de la transmission électronique et de remise physique ; 2) la confirmation par voie électronique, de l'aboutissement de la remise à la date ou à l'heure prédéterminées ; 3) l'enregistrement électronique de ces concfirmation de remise ; 4) l'avertissement,par voie électronique en cas d'échec de remise ; 5) des efforts pour localiser le client à sa nouvelle adresse ; 6) l'établissement et mise à jour continue de listes d'aresses propres au client. Dans certains cas, le service offre la vérification de la réponse des destinataires (encaissement à réception d'un avis d'échéance pour les primes d'assurance, par exemple). Si ces prestations supplémentaires sont gnralement associées à la remise à une date et à une heure prédéterminées, leur présence n'est pas uen condition nécessaire pour distinguer les service non traditionnels des services traditionnels.

(15) Voir les observations de Poste Italiane du 15 novembre 2000, p. 7.

(16) Annexe 2 des observations de Poste Italiane du 11 octobre 2000, p. 2.

(17) Annexe 2 des observations de Poste Italiane du 11 octobre 2000, p. 2.

(18) Annexe 3 des observations de Poste ltaliane du 11 octobre 2000, et p. 4, note 1 de bas de page, des observations de Poste Italiane du 28 octobre 2000.

(19) Annexe 3 des observations de Poste ltaliane du 11 octobre 2000, p. 3. Poste Italiane déclare elle-même que ce service n'est pas " universel "

(20) Annexe I des observations de Poste Italiane du 28 octobre 2000, p. 4.

(21) Le gouvernement italien déclare lui-même que les services postaux sont, par nature, axés sur des objectifs en termes de remise et non sur des garanties contractuelles. Aucune banque ne serait intéressée par un service de remise garantie à une date ou à une heure prédéterminées.

(22) Voir annexe 2 des observations de Poste Italiane du 11 octobre 2000, p. 1.

(23) Voir l'affaire C-320-91, Corbeau, Recueil 1993, p. 1-2533, point 9.

(24) Voir les affaires C-41-90, Höfner, Recueil 1991, p. 1-1979, point 28, et C-260-89 ERT, Recueil 1991, p. 1-2925, point 31.

(25) Voir l'affaire C-320-91, Corbeau, Recueil 1993, p. 1-2533, point 19.

(26) Voir l'affaire 311-84, CBEM, Recueil 1985, p. 3261.

(27) Voir l'affaire C-18-88 : Régie des télégraphes et des téléphones contre GB-Inno, Recueil 1991, p. 1-5941, point 24.

(28) Dans ses observations du Il octobre 2000 PI demande s'il y a une demande réelle pour les services de remise à une date ou à une heure prédéterminées. Selon PI les banques et les compagnies d'assurance s'intéressent plutôt aux prix des remises qu'à leurs caractéristiques (annexe 2 des observations du 11 octobre, p. I et 2). De plus, a l'annexe 3 de ces observations PI a fourni une description de tous ses services postaux (réservés et non réserves) qui ne mentionne pas des services de remise à une date ou à une heure prédéterminées.

(29) Voir l'affaire C-41-90, Höfner, Recueil 1991, p. 1-1979, point 31.

(30) Voir les observations du gouvernement italien du 26 juillet 2000, p. 19-21. Voir également les observations de la Poste italienne du 14 juillet, p. 92-99, voir aussi les observations de la Poste italienne du 11 octobre 2000, p. 1 et 2 et les observations de la Poste italienne du 15 novembre 2000, p. 23.

(31) Voir les observations du gouvernement italien du 26 juillet 2000, p. 11. Voir également les observations de la Poste Italienne du 11 octobre 2000, point C, p. 3, et point F, p. 4, ainsi que les observations de la Poste italienne du 14 juillet, points 95 et 96.

(32) Voir la description de tous les services postaux (réservés et non réservés) de pi, à l'annexe 3 des observations du 11 octobre 2000.