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Décisions

CJCE, 5e ch., 16 novembre 2000, n° C-279/98 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cascades (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. La Pergola

Rapporteur :

M. Wathelet

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

MM. Edward, Jann, Sevón

Avocat :

Me Art.

CJCE n° C-279/98 P

16 novembre 2000

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 juillet 1998, Cascades SA a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 14 mai 1998, Cascades/Commission (T-308-94, Rec. p. II-925, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté le recours dirigé à l'encontre de la décision 94-601-CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-C-33.833 - Carton) (JO L 243, p. 1, ci-après la "décision").

Les faits

2. Par la décision, la Commission a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE).

3. Il ressort de l'arrêt attaqué que cette décision faisait suite aux plaintes informelles déposées, en 1990, par la British Printing Industries Federation, organisation professionnelle représentant la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni, et par la Fédération française du cartonnage, ainsi qu'aux vérifications auxquelles avaient procédé, en avril 1991, sans avertissement préalable, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.

4. Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et à la suite de demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition et a, par lettre du 21 décembre 1992, adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées, qui, toutes, ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement.

5. Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes :

"Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard - the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA (anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:

- dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,

- dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,

- dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

- dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins,

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:

- se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,

- ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

- ont planifié et mis en œuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

- se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

- ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en œuvre desdites augmentations de prix concertées,

- ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

...

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er:

...

ii) Cascades SA, une amende de 16 200 000 écus;

..."

6. Il ressort, en outre, des faits tels qu'énoncés dans l'arrêt attaqué:

"9 Selon la décision, l'infraction s'est déroulée au sein d'un organisme dénommé

"Groupe d'étude de produit Carton" (ci-après "GEP Carton"), composé de plusieurs groupes ou comités.

10 Cet organisme a été doté, au milieu de l'année 1986, d'un "Presidents Working Group" (ci-après "PWG") réunissant des représentants de haut niveau des principaux fournisseurs de carton de la Communauté (environ huit).

11 Le PWG avait notamment pour activités la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix et les capacités. En particulier, il a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en œuvre par les fabricants.

12 Le PWG faisait rapport à la "President Conference" (ci-après "PC") à laquelle participait (plus ou moins régulièrement) la quasi-totalité des directeurs généraux des entreprises concernées. La PC s'est réunie deux fois par an pendant la période en cause.

13 À la fin de l'année 1987 a été créé le "Joint Marketing Committee" (ci-après

"JMC"). Son objet principal consistait, d'une part, à déterminer si, et, dans l'affirmative, comment, des augmentations de prix pouvaient être mises en œuvre et, d'autre part, à définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent en Europe.

14 Enfin, le comité économique (ci-après "COE") débattait, notamment, des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet et faisait rapport sur ses conclusions au JMC ou, jusqu'à la fin de l'année 1987, au prédécesseur du JMC, le Marketing Committee. Le COE était composé de directeurs commerciaux de la plupart des entreprises en cause et se réunissait plusieurs fois par an.

15 Il ressort, en outre, de la décision que la Commission a considéré que les activités du GEP Carton étaient soutenues par un échange d'informations par l'intermédiaire de la société fiduciaire Fides, dont le siège est à Zurich (Suisse). Selon la décision, la plupart des membres du GEP Carton fournissaient à la Fides des rapports périodiques sur les commandes, la production, les ventes et l'utilisation des capacités. Ces rapports étaient traités dans le cadre du système Fides et les données agrégées étaient envoyées aux participants.

16 La requérante Cascades SA (ci-après "Cascades") a été constituée en septembre 1985. Son capital est majoritairement détenu par la société de droit canadien Cascades Paperboard International Inc.

17 Le groupe canadien est entré sur le marché européen du carton en mai 1985, en procédant à la reprise de la société Cartonnerie Maurice Franck (devenue Cascades La Rochette SA, ci-après "Cascades La Rochette"). En mai 1986, Cascades a acquis la cartonnerie de Blendecques (devenue Cascades Blendecques SA, ci-après "Cascades Blendecques").

18 La décision relate que la société de droit belge Van Duffel NV (ci-après "Duffel") et la société de droit suédois Djupafors AB (ci-après "Djupafors"),reprises par la requérante en mars 1989, participaient, avant leur acquisition, à l'entente visée par l'article 1er de la décision. Dès 1989, les deux entreprises ont, toujours selon la décision, reçu une nouvelle raison sociale et ont poursuivi leurs activités en tant que filiales indépendantes au sein du groupe Cascades (point 147 des considérants). Toutefois, en ce qui concerne tant la période antérieure que la période postérieure à leur acquisition par Cascades, la Commission a considéré qu'il convenait d'adresser la décision au groupe Cascades, représenté par la requérante.

19 Enfin, selon la décision, la requérante a participé aux réunions du PWG, du JMC et du COE pendant la période allant du milieu de 1986 jusqu'à avril 1991. Elle a été considérée par la Commission comme l'un des "chefs de file" de l'entente, devant porter une responsabilité particulière.

...

20 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.

21 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 4 novembre 1994, elle a également introduit une demande de sursis à l'exécution des articles 3 et 4 de la décision. Par ordonnance du 17 février 1995, Cascades/Commission (T-308-94 R, Rec. p. II-265), le président du Tribunal a ordonné qu'il fût sursis, sous certaines conditions, à l'obligation, pour la requérante, de constituer en faveur de la Commission une caution bancaire pour éviter le recouvrement immédiat de l'amende infligée par l'article 3 de la décision. Il a également ordonné à la requérante de communiquer à la Commission, dans un délai déterminé, certaines informations particulières."

7. Seize des dix-huit autres entreprises mises en cause ainsi que quatre entreprises finlandaises, membres du groupement professionnel Finnboard et, à ce titre, tenues pour solidairement responsables du paiement de l'amende infligée à celui-ci, ont introduit des recours contre la décision (affaires T-295-94, T-301-94, T-304-94, T-309-94 à T-311-94, T-317-94, T-319-94, T-327-94, T-334-94, T-337-94, T-338-94, T-347-94, T-348-94, T-352-94 et T-354-94, ainsi que affaires jointes T-339-94 à T-342-94).

L'arrêt attaqué

Sur la demande d'annulation de la décision

8. Dès lors que le pourvoi concerne, à l'exception d'un moyen, les motifs de l'arrêt attaqué portant sur la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant, il y a lieu seulement d'indiquer que le Tribunal a rejeté la demande d'annulation de la décision elle-même, en considérant, notamment, comme non fondé le moyen tiré d'une absence d'imputabilité à Cascades du comportement de Duffel et de Djupafors antérieur à l'acquisition de ces entreprises.

9. À cet égard, le Tribunal a jugé:

" 139... Il convient ... en premier lieu, d'examiner la motivation de la décision sur ce point et de vérifier si la Commission a correctement appliqué les critères retenus dans la décision à l'égard de la requérante. En second lieu, sera examiné le bien-fondé de la décision relativement à l'imputation à la requérante du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel antérieur à leur acquisition.

140 Il ressort d'une jurisprudence constante que la motivation d'une décision faisant grief doit permettre l'exercice effectif du contrôle de sa légalité et fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est, ou non, bien fondée. Le caractère suffisant d'une telle motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications. Pour remplir les fonctions précitées, une motivation suffisante doit faire apparaître, d'une manière claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé. Lorsque, comme en l'espèce, une décision d'application des articles 85 ou 86 du traité concerne une pluralité de destinataires et pose un problème d'imputabilité de l'infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l'égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d'entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction (voir, notamment, arrêt AWS Benelux/Commission, précité, point 26).

141 En l'espèce, les points 140 à 146 des considérants de la décision exposent de manière suffisamment claire les critères généraux sur lesquels la Commission s'est fondée pour déterminer les destinataires de ladite décision.

142 Selon le point 143, la Commission a en principe adressé la décision à l'entité mentionnée dans la liste des membres du GEP Carton, sauf :

"1) lorsque plusieurs sociétés d'un même groupe [avaient] participé à l'infraction

ou

2) lorsqu'il [existait] des preuves précises impliquant la société mère dans la participation de la filiale à l'entente, [cas dans lesquels] la décision a été adressée au groupe (représenté par la société mère).

143 La requérante admet que la Commission a pu la tenir pour responsable du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel postérieur à leur acquisition, en application du critère selon lequel la décision devait être adressée au groupe, représenté par la société mère, lorsque plusieurs sociétés de ce groupe avaient participé à l'infraction.

144 En ce qui concerne les hypothèses de transfert de sociétés, la Commission a déterminé les destinataires de la décision sur la base des critères énoncés au point 145 des considérants de la décision:

"En application des principes mentionnés ci-dessus, dans les cas où, s'il n'y avait pas eu acquisition, la procédure aurait normalement été adressée à la filiale, celle-ci continue à assumer la responsabilité de son comportement antérieur au transfert. [...]

Par ailleurs, lorsqu'une société mère ou un groupe qui sont eux-mêmes considérés comme parties à l'infraction transfère une filiale vers une autre entreprise, la responsabilité pour la période antérieure à la date du transfert n'est pas assumée par l'acquéreur, mais par le premier groupe.

Dans les deux cas, si la filiale transférée reste membre de l'entente, c'est en fonction des circonstances particulières qu'il sera décidé si la décision relative à cette participation doit être adressée à cette filiale en son nom propre ou à la nouvelle société mère.

145 Le Tribunal estime que cette motivation expose de manière suffisamment claire que le groupe acquéreur d'une société ayant participé à titre individuel à l'infraction doit être destinataire de la décision lorsque plusieurs autres sociétés de ce groupe ont également pris part à l'infraction commise par ladite société.

146 L'affirmation, contenue au point 145, premier alinéa, des considérants, selon laquelle la société transférée 'continue à assumer la responsabilité de son comportement antérieur au transfert ne remet pas en cause le raisonnement de la Commission.

147 Elle ne saurait être comprise comme signifiant que la décision devait être adressée à la société transférée pour ce qui est du comportement antérieur à son transfert. En effet, une lecture d'ensemble des deux premiers alinéas du point 145 des considérants fait apparaître que le premier alinéa vise la question de savoir si la responsabilité du comportement de la société transférée antérieur au transfert continue d'être assumée par cette société ou si cette responsabilité doit être assumée par le groupe cédant.

148 Dès lors, dans l'hypothèse d'une société ayant, avant son transfert, participé à titre individuel à l'infraction, la détermination du destinataire de la décision, à savoir la société transférée ou la nouvelle société mère, dépend des seuls critères énoncés au point 143 des considérants de la décision.

149 Cette interprétation est corroborée par le point 147 des considérants de la décision qui expose la situation individuelle de la requérante. Il est indiqué que, pour ce qui est de la participation à l'infraction de toutes les activités "carton de Cascades", il convient d'adresser la présente décision au groupe Cascades, représenté par Cascades SA (considérant 143).

150 Cette interprétation est conforme au libellé de la communication des griefs.

151 Dans ce document, la Commission a expliqué (p. 91 et 92) que la procédure était adressée, en principe, à l'entité mentionnée dans la liste des membres du GEP Carton, mais qu'elle était toutefois adressée au groupe (représenté par la société mère) notamment lorsque plusieurs sociétés d'un même groupe avaient participé à l'infraction.

152 Quant aux hypothèses de transfert de sociétés, la communication des griefs indique (p. 92):

"[...] lorsqu'une filiale, qui a participé à titre individuel au cartel, est achetée par une autre entreprise, la responsabilité de sa conduite avant le transfert est transférée avec l'acquisition.

153 Cette indication fait clairement apparaître que, dans une situation comme celle du cas d'espèce, la responsabilité du comportement d'une société transférée avant le transfert suit la société transférée. En revanche, l'indication en cause ne prenant pas position sur la question de savoir si la procédure doit être adressée à la société transférée ou à la nouvelle société mère, la réponse à cette question doit nécessairement être apportée conformément aux critères généraux retenus pour déterminer si la société mère doit être tenue pour responsable du comportement de ses filiales.

154 Il ressort donc clairement de la communication des griefs que la procédure était adressée à la requérante également pour ce qui était du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel avant leur acquisition, en application du critère tiré de la participation à l'infraction de plusieurs sociétés d'un même groupe.

155 Par ailleurs, contrairement à ce que la requérante a affirmé dans ses écritures, elle n'a pas soutenu dans sa réponse à la communication des griefs que, en vertu des critères retenus dans celle-ci, la procédure devait être adressée à ses filiales Duffel et Djupafors pour ce qui était de leur comportement infractionnel antérieur à leur acquisition. Elle s'est en réalité bornée, sans contester le bien-fondé des critères généraux retenus par la Commission à l'égard des hypothèses de transfert, à soutenir que les anciennes sociétés mères des deux sociétés en cause étaient impliquées dans la participation à l'infraction de leurs anciennes filiales, de sorte que la procédure aurait dû leur être adressée. Elle n'a cependant pas réitéré cette argumentation dans ses écritures devant le Tribunal.

156 Le point 145 des considérants de la décision devant être interprété à la lumière de l'économie générale de la décision et à celle de la communication des griefs, laquelle est libellée avec suffisamment de clarté (voir, dans le même sens, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73, 55-73, 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, point 230), il doit être conclu, d'une part, que la Commission n'a pas, en adressant la décision à la requérante pour ce qui est du comportement de Djupafors et de Duffel pendant toute la durée de leur participation à l'infraction constatée, fait une application erronée des critères qu'elle s'était imposés à elle-même dans la décision et, d'autre part, qu'elle n'a pas violé l'obligation de motivation prévue par l'article 190 du traité. Il convient d'ajouter que, vu le contenu de la réponse de la requérante à la communication des griefs, la Commission n'était pas tenue d'expliquer plus avant dans la décision les raisons pour lesquelles la requérante devait être considérée comme responsable du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel avant leur acquisition.

157 Enfin, pour ce qui est du bien-fondé de l'imputation à la requérante du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel antérieur à leur acquisition, il suffit de relever qu'il est constant que, à la date de l'acquisition de ces deux sociétés, ces dernières participaient à une infraction à laquelle la requérante prenait également part par le biais des sociétés Cascades La Rochette et Cascades Blendecques.

158 Dans ces conditions, la Commission a pu imputer à la requérante le comportement de Djupafors et de Duffel pour la période précédant et pour la période suivant leur acquisition par la requérante. Il incombait à la requérante, en sa qualité de société mère, de prendre à l'égard de ses filiales toute mesure destinée à empêcher la poursuite de l'infraction dont elle n'ignorait pas l'existence.

159 Au vu de ce qui précède, le présent moyen doit être rejeté."

Sur la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant

10. Concernant la fixation de l'amende, cinq moyens ont été soulevés par la requérante devant le Tribunal. Il s'agit des moyens tirés des effets limités de l'infraction, du caractère excessif du niveau général des amendes, de la violation de l'obligation de motivation, d'une qualification erronée de "chef de file" de la requérante et, enfin, de l'existence de circonstances atténuantes.

11. Compte tenu des moyens invoqués par la requérante à l'appui du pourvoi, seules seront résumées ci-après les parties de l'arrêt attaqué répondant aux griefs tirés, d'une part, des effets limités de l'infraction et du caractère excessif du niveau général des amendes et, d'autre part, de la violation de l'obligation de motivation.

Sur les moyens tirés des effets limités de l'infraction et du caractère excessif du niveau général des amendes

12. La requérante soutenait, en substance, que, compte tenu de la gravité limitée de l'infraction dénoncée, le niveau général des amendes était excessif. Elle faisait valoir, en particulier, que, afin d'apprécier la gravité de l'infraction et de déterminer ainsi le niveau général des amendes, la Commission avait été obligée de prendre en considération les effets concrets de l'infraction sur le marché (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, points 105 à 107).

13. Or, en raison des caractéristiques structurelles et conjoncturelles du marché du carton durant la période en cause, le niveau des prix n'aurait pas été différent de celui qui aurait été atteint en l'absence de toute collusion. La requérante ajoutait que la Commission n'avait pas pris en considération la concurrence exercée par des produits interchangeables, alors que cette concurrence aurait considérablement limité la marge de manœuvre en matière de prix des participants à l'entente.

14. La requérante contestait enfin les effets concrets de la collusion sur les parts de marché. Le fait qu'elle ait elle-même acquis, au cours de la période en cause, une part de marché de 6,5 % aurait clairement démontré l'absence de tels effets, même si cette augmentation était due au rachat d'unités de production.

15. À cet égard, le Tribunal a jugé:

"- Sur les effets de l'infraction

172 Selon le point 168, septième tiret, des considérants de la décision, la Commission a déterminé le montant général des amendes en prenant notamment en considération le fait que l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs. Il est constant qu'une telle considération se réfère aux effets sur le marché de l'infraction constatée à l'article 1er de la décision.

173 Aux fins du contrôle de l'appréciation portée par la Commission sur les effets de l'infraction, le Tribunal estime qu'il suffit d'examiner celle portée sur les effets de la collusion sur les prix. En effet, en premier lieu, il ressort de la décision que la constatation relative à la large réussite des objectifs est essentiellement fondée sur les effets de la collusion sur les prix. Si ces effets sont analysés aux points 100 à 102, 115, et 135 à 137 des considérants de la décision, la question de savoir si la collusion sur les parts de marché et celle sur les temps d'arrêt ont eu des effets sur le marché n'y fait, en revanche, l'objet d'aucun examen spécifique.

174 En second lieu, l'examen des effets de la collusion sur les prix permet, en tout état de cause, d'apprécier également si l'objectif de la collusion sur les temps d'arrêt a été atteint, puisque celle-ci visait à éviter que les initiatives concertées en matière de prix soient compromises par un excédent d'offre.

175 En troisième lieu, s'agissant de la collusion sur les parts de marché, la Commission ne soutient pas que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG avaient pour objectif le gel absolu de leurs parts de marché. Selon le point 60, deuxième alinéa, des considérants de la décision, l'accord sur les parts de marché n'était pas figé, mais périodiquement adapté et renégocié. Au vu de cette précision, il ne saurait donc être reproché à la Commission d'avoir estimé que l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs sans avoir spécifiquement examiné dans la décision la réussite de cette collusion sur les parts de marché.

176 S'agissant de la collusion sur les prix, il ressort de la décision, ainsi que la Commission l'a confirmé lors de l'audience, qu'une distinction a été établie entre trois types d'effets. De plus, la Commission s'est fondée sur le fait que les initiatives en matière de prix ont été globalement considérées comme une réussite par les producteurs eux-mêmes.

177 Le premier type d'effets pris en compte par la Commission, et non contesté par la requérante, consiste dans le fait que les augmentations de prix convenues ont été effectivement annoncées aux clients. Les nouveaux prix ont ainsi servi de référence en cas de négociations individuelles des prix de transaction avec les clients (voir, notamment, points 100 et 101, cinquième et sixième alinéas, des considérants de la décision).

178 Le deuxième type d'effets consiste dans le fait que l'évolution des prix de transaction a suivi celle des prix annoncés. À cet égard, la Commission soutient que "les producteurs ne se contentaient pas d'annoncer les augmentations de prix convenues mais, à quelques exceptions près, [qu']ils prenaient également des mesures concrètes pour faire en sorte qu'elles soient effectivement imposées aux clients" (point 101, premier alinéa, des considérants de la décision). Elle admet que les clients ont parfois obtenu des concessions sur la date d'entrée en vigueur des augmentations ou des rabais ou réductions individuelles, notamment en cas de grosse commande, et que "l'augmentation nette perçue en moyenne après déduction des réductions, rabais et autres concessions était donc toujours inférieure au montant total de l'augmentation annoncée" (point 102, dernier alinéa, des considérants). Cependant, se référant à des graphiques contenus dans le rapport [du London Economics (ci-après "rapport LE")], elle affirme qu'il existait, au cours de la période visée par la décision, une 'étroite relation linéaire entre l'évolution des prix annoncés et celle des prix de transaction exprimés en monnaies nationales ou convertis en écus. Elle en conclut: "Les augmentations nettes des prix obtenues suivaient étroitement les augmentations annoncées, fût-ce avec un certain retard. L'auteur du rapport a lui-même reconnu pendant l'audition qu'il en a été ainsi en 1988 et 1989." (Point 115, deuxième alinéa, des considérants).

179 Il doit être admis que, dans l'appréciation de ce deuxième type d'effets, la Commission a pu à bon droit considérer que l'existence d'une relation linéaire entre l'évolution des prix annoncés et celle des prix de transaction constituait la preuve d'un effet produit sur ces derniers par les initiatives en matière de prix, conformément à l'objectif poursuivi par les producteurs. En fait, il est constant que, sur le marché en cause, la pratique de négociations individuelles avec les clients implique que les prix de transaction ne sont, en général, pas identiques aux prix annoncés. Il ne saurait donc être escompté que les augmentations des prix de transaction soient identiques aux augmentations de prix annoncées.

180 En ce qui concerne l'existence même d'une corrélation entre les augmentations de prix annoncées et celles des prix de transaction, la Commission s'est référée à juste titre au rapport LE, celui-ci constituant une analyse de l'évolution des prix du carton pendant la période visée par la décision, fondée sur des données fournies par plusieurs producteurs.

181 Toutefois, ce rapport ne confirme que partiellement, dans le temps, l'existence d'une "étroite relation linéaire". En effet, l'examen de la période de 1987 à 1991 révèle trois sous-périodes distinctes. À cet égard, lors de l'audition devant la Commission, l'auteur du rapport LE a résumé ses conclusions de la manière suivante: "Il n'y a pas de corrélation étroite, même avec un décalage, entre l'augmentation de prix annoncée et les prix du marché, pendant le début de la période considérée, de 1987 à 1988. En revanche, une telle corrélation existe en 1988-1989, puis cette corrélation se détériore pour se comporter de façon plutôt singulière [oddly] sur la période 1990/1991" (procès-verbal de l'audition, p. 28). Il a relevé, en outre, que ces variations dans le temps étaient étroitement liées à des variations de la demande (voir, notamment, procès-verbal de l'audition, p. 20).

182 Ces conclusions orales de l'auteur sont conformes à l'analyse développée dans son rapport, et notamment aux graphiques comparant l'évolution des prix annoncés et l'évolution des prix de transaction (rapport LE, graphiques 10 et 11, p. 29). Force est donc de constater que la Commission n'a que partiellement prouvé l'existence de l'étroite relation linéaire qu'elle invoque.

183 Lors de l'audience, la Commission a indiqué avoir également pris en compte un troisième type d'effets de la collusion sur les prix consistant dans le fait que le niveau des prix de transaction a été supérieur au niveau qui aurait été atteint en l'absence de toute collusion. À cet égard, la Commission, soulignant que les dates et l'ordre des annonces des augmentations de prix avaient été programmés par le PWG, estime dans la décision qu'"il est inconcevable que, dans ces conditions, ces annonces concertées n'aient eu aucun effet sur le niveau réel des prix" (point 136, troisième alinéa, des considérants de la décision). Toutefois, le rapport LE (section 3) a établi un modèle permettant de prévoir le niveau de prix résultant des conditions objectives du marché. Selon ce rapport, le niveau des prix, tels que déterminés par des facteurs économiques objectifs durant la période de 1975 à 1991, aurait évolué, avec des variations négligeables, de manière identique à celui des prix de transaction pratiqués, y compris pendant la période retenue par la décision.

184 Malgré ces conclusions, l'analyse faite dans le rapport ne permet pas de constater que les initiatives concertées en matière de prix n'ont pas permis aux producteurs d'atteindre un niveau des prix de transaction supérieur à celui qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence. À cet égard, comme l'a souligné la Commission lors de l'audience, il est possible que les facteurs pris en compte dans ladite analyse aient été influencés par l'existence de la collusion. Ainsi, la Commission a fait valoir à bon droit que le comportement collusoire a, par exemple, pu limiter l'incitation pour les entreprises à réduire leurs coûts. Or, elle n'a invoqué l'existence d'aucune erreur directe dans l'analyse contenue dans le rapport LE et n'a pas davantage présenté ses propres analyses économiques de l'hypothétique évolution des prix de transaction en l'absence de toute concertation. Dans ces conditions, son affirmation selon laquelle le niveau des prix de transaction aurait été inférieur en l'absence de collusion entre les producteurs ne saurait être entérinée.

185 Il s'ensuit que l'existence de ce troisième type d'effets de la collusion sur les prix n'est pas prouvée.

186 Les constatations qui précèdent ne sont en rien modifiées par l'appréciation subjective des producteurs sur laquelle la Commission s'est fondée pour considérer que l'entente avait largement réussi à atteindre ses objectifs. Sur ce point, la Commission s'est reportée à une liste de documents qu'elle a fournie lors de l'audience. Or, à supposer même qu'elle ait pu fonder son appréciation de l'éventuelle réussite des initiatives en matière de prix sur des documents faisant état des sentiments subjectifs de certains producteurs, force est de constater que plusieurs entreprises, dont la requérante, ont à juste titre fait référence à l'audience à de nombreux autres documents du dossier faisant état des problèmes rencontrés par les producteurs dans la mise en œuvre des augmentations de prix convenues. Dans ces conditions, la référence faite par la Commission aux déclarations des producteurs eux-mêmes n'est pas suffisante pour conclure que l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs.

187 Au vu des considérations qui précèdent, les effets de l'infraction relevés par la Commission ne sont que partiellement prouvés. Le Tribunal analysera la portée de cette conclusion dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en matière d'amendes, lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée en l'espèce (voir ci-après point 194).

- Sur le niveau général des amendes

188 Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises ayant commis, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité des amendes de 1 000 écus au moins et de 1 000 000 écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. Le montant de l'amende est déterminé en considération à la fois de la gravité de l'infraction et de sa durée. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137-95 P, Rec. p. I-1611, point 54).

189 En l'espèce, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte de la durée de l'infraction (point 167 des considérants de la décision), ainsi que des considérations suivantes (point 168 des considérants):

- la collusion en matière de fixation des prix et la répartition des marchés constituent en soi des restrictions graves de la concurrence,

- l'entente couvrait quasiment tout le territoire de la Communauté,

- le marché communautaire du carton est un secteur économique important qui totalise chaque année quelque 2,5 milliards d'écus,

- les entreprises participant à l'infraction couvrent pratiquement tout le marché,

- l'entente a fonctionné sous la forme d'un système de réunions périodiques institutionnalisées ayant pour objet de réguler dans le détail le marché du carton dans la Communauté,

- des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres, etc.),

- l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs.

190 De plus, le Tribunal rappelle qu'il ressort d'une réponse de la Commission à une question écrite du Tribunal que des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les "chefs de file" de l'entente et aux autres entreprises.

191 Il y a lieu de souligner, en premier lieu, que, dans son appréciation du niveau général des amendes, la Commission est fondée à tenir compte du fait que des infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence sont encore relativement fréquentes et que, partant, il lui est loisible d'élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif. Par conséquent, le fait que la Commission a appliqué dans le passé des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau, dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela s'avère nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence (voir, notamment, arrêts précités Musique Diffusion française e.a./Commission, points 105 à 108, et ICI/Commission, point 385).

192 En second lieu, la Commission a soutenu à bon droit que, en raison des circonstances propres à l'espèce, aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le niveau général des amendes retenu dans la présente décision et ceux retenus dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, en particulier dans la décision Polypropylène, considérée par la Commission elle-même comme la plus comparable à celle du cas d'espèce. En effet, contrairement à l'affaire à l'origine de la décision Polypropylène, aucune circonstance atténuante générale n'a été prise en compte en l'espèce pour déterminer le niveau général des amendes. En outre, l'adoption de mesures visant à dissimuler l'existence de la collusion démontre que les entreprises concernées ont été pleinement conscientes de l'illégalité de leur comportement. Partant, la Commission a pu prendre en compte ces mesures lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction, car elles constituaient un aspect particulièrement grave de l'infraction de nature à la caractériser par rapport aux infractions antérieurement constatées par la Commission.

193 En troisième lieu, il convient de souligner la longue durée et le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité qui a été commise malgré l'avertissement qu'aurait dû constituer la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, et notamment la décision Polypropylène.

194 Sur la base de ces éléments, il convient de considérer que les critères repris au point 168 des considérants de la décision justifient le niveau général des amendes fixé par la Commission. Le Tribunal a certes déjà constaté que les effets de la collusion sur les prix retenus par la Commission pour la détermination du niveau général des amendes ne sont que partiellement prouvés. Toutefois, à la lumière des considérations qui précèdent, cette conclusion ne saurait affecter sensiblement l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée. À cet égard, le fait que les entreprises ont effectivement annoncé les augmentations de prix convenues et que les prix ainsi annoncés ont servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels suffit, en soi, pour constater que la collusion sur les prix a eu tant pour objet que pour effet une grave restriction de la concurrence. Partant, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal considère que les constatations opérées au sujet des effets de l'infraction ne justifient aucune réduction du niveau général des amendes fixé par la Commission.

195 Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter les moyens tirés des effets limités de l'infraction et du caractère excessif du niveau général des amendes."

Sur le moyen tiré de la violation de l'obligation de motivation

16. La requérante faisait grief, en substance, à la Commission d'avoir insuffisamment motivé la décision en ce qu'elle la qualifiait de "chef de file" de l'entente et ne fournissait pas d'indications précises sur le pourcentage du chiffre d'affaires utilisé afin de fixer le montant de l'amende infligée à chaque entreprise.

17. Sur la motivation quant à la détermination des amendes individuelles, le Tribunal a considéré:

"208 Il ressort d'une jurisprudence constante que l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49-95, Rec. p. II-1799, point 51).

209 Pour ce qui est d'une décision infligeant, comme en l'espèce, des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).

210 De plus, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation, et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150-89, Rec. p. II-1165, point 59).

211 Dans la décision, les critères pris en compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes individuelles figurent, respectivement, aux points 168 et 169 des considérants. En outre, pour ce qui est des amendes individuelles, la Commission explique au point 170 des considérants que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG ont, en principe, été considérées comme des "chefs de file" de l'entente, alors que les autres entreprises ont été considérées comme des "membres ordinaires" de celle-ci. Enfin, aux points 171 et 172 des considérants, elle indique que les montants des amendes infligées à Rena et à Stora doivent être considérablement réduits pour tenir compte de leur coopération active avec la Commission et que huit autres entreprises peuvent également bénéficier d'une réduction dans une proportion moindre, du fait qu'elles n'ont pas, dans leurs réponses à la communication des griefs, nié les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs.

212 Dans ses écritures devant le Tribunal ainsi que dans sa réponse à une question écrite de celui-ci, la Commission a expliqué que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990. Des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % de ce chiffre d'affaires individuel ont ainsi été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les "chefs de file" de l'entente et aux autres entreprises. Enfin, la Commission a tenu compte de l'éventuelle attitude coopérative de certaines entreprises au cours de la procédure devant elle. Deux entreprises ont bénéficié à ce titre d'une réduction des deux tiers du montant de leurs amendes, tandis que d'autres entreprises ont bénéficié d'une réduction d'un tiers.

213 Il ressort, par ailleurs, d'un tableau fourni par la Commission et contenant des indications quant à la fixation du montant de chacune des amendes individuelles que, si celles-ci n'ont pas été déterminées en appliquant de manière strictement mathématique les seules données chiffrées susmentionnées, lesdites données ont cependant été systématiquement prises en compte aux fins du calcul des amendes.

214 Or, la décision ne précise pas que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990. De plus, les taux de base appliqués de 9 et de 7,5 % pour calculer les amendes infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme des "chefs de file" et à celles considérées comme des 'membres ordinaires ne figurent pas dans la décision. N'y figurent pas davantage les taux des réductions accordées à Rena et à Stora, d'une part, et à huit autres entreprises, d'autre part.

215 En l'espèce, il y a lieu de considérer, en premier lieu, que, interprétés à la lumière de l'exposé détaillé, dans la décision, des allégations factuelles formulées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les points 169 à 172 des considérants de celle-ci contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause (voir, dans le même sens, arrêt Petrofina/Commission, précité, point 264).

216 Dans ce contexte, il convient de relever que, aux termes du point 170, premier alinéa, des considérants de la décision, les "chefs de file", c'est-à-dire les principaux fabricants de carton ayant pris part aux réunions du PWG (Cascades; Finnboard; [Mayr-Melnhof]; MoDo; Sarrió et Stora) doivent porter une responsabilité particulière, car ce sont manifestement eux qui ont pris les principales décisions et qui ont été les moteurs de l'entente.

217 De plus, la décision décrit amplement le rôle central du PWG dans l'entente (notamment, points 36 à 38 et points 130 à 132 des considérants).

218 Il apparaît ainsi que la décision contient une motivation suffisante des raisons pour lesquelles la requérante a été considérée par la Commission comme un 'chef de file. Par ailleurs, la Commission déclare avoir tenu compte du fait que Weig ne semble pas avoir joué un rôle aussi important dans l'entente que les autres producteurs (point 170, troisième alinéa, des considérants), ce qui constitue une motivation suffisante de la raison pour laquelle la requérante et Weig n'ont pas été traitées de manière identique lors de la détermination du montant de leurs amendes.

219 En second lieu, lorsque le montant de chaque amende est, comme en l'espèce, déterminé sur la base de la prise en compte systématique de certaines données précises, l'indication, dans la décision, de chacun de ces facteurs permettrait aux entreprises de mieux apprécier, d'une part, si la Commission a commis des erreurs lors de la fixation du montant de l'amende individuelle et, d'autre part, si le montant de chaque amende individuelle est justifié par rapport aux critères généraux appliqués. En l'espèce, l'indication dans la décision des facteurs en cause, soit le chiffre d'affaires de référence, l'année de référence, les taux de base retenus et les taux de réduction du montant des amendes, n'aurait comporté aucune divulgation implicite du chiffre d'affaires précis des entreprises destinataires de la décision, divulgation qui aurait pu constituer une violation de l'article 214 du traité. En effet, le montant final de chaque amende individuelle ne résulte pas, comme la Commission l'a elle-même souligné, d'une application strictement mathématique desdits facteurs.

220 La Commission a d'ailleurs reconnu, lors de l'audience, que rien ne l'aurait empêchée d'indiquer, dans la décision, les facteurs qui avaient été pris systématiquement en compte et qui avaient été divulgués pendant une conférence de presse tenue le jour même de l'adoption de cette décision. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et que des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances particulières, être prises en compte (voir arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61-89, Rec. p. II-1931, point 131, et, dans le même sens, arrêt Hilti/Commission, précité, point 136).

221 Malgré ces constatations, il doit être relevé que la motivation relative à la fixation du montant des amendes contenue aux points 167 à 172 des considérants de la décision est, au moins, aussi détaillée que celles contenues dans les décisions antérieures de la Commission portant sur des infractions similaires. Or, bien que le moyen tiré d'un vice de motivation soit d'ordre public, aucune critique n'avait, au moment de l'adoption de la décision, été soulevée par le juge communautaire quant à la pratique suivie par la Commission en matière de motivation des amendes infligées. Ce n'est que dans l'arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission (T-148-89, Rec. p. II-1063, point 142), et dans deux autres arrêts rendus le même jour, Société métallurgique de Normandie/Commission (T-147-89, Rec. p. II-1057, publication sommaire) et Société des treillis et panneaux soudés/Commission (T-151-89, Rec. p. II-1191, publication sommaire), que le Tribunal a, pour la première fois, souligné qu'il est souhaitable que les entreprises puissent connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur est infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission.

222 Il s'ensuit que lorsqu'elle constate, dans une décision, une infraction aux règles de la concurrence et inflige des amendes aux entreprises ayant participé à celle-ci la Commission doit, si elle a systématiquement pris en compte certains éléments de base pour fixer le montant des amendes, indiquer ces éléments dans le corps de la décision afin de permettre aux destinataires de celle-ci de vérifier le bien-fondé du niveau de l'amende et d'apprécier l'existence d'une éventuelle discrimination.

223 Dans les circonstances particulières relevées au point 221 ci-dessus, et compte tenu du fait que la Commission s'est montrée disposée à fournir, lors de la procédure contentieuse, tout renseignement pertinent relatif au mode de calcul des amendes, l'absence de motivation spécifique dans la décision sur le mode de calcul des amendes ne doit pas, en l'espèce, être considérée comme constitutive d'une violation de l'obligation de motivation justifiant l'annulation totale ou partielle des amendes infligées.

224 Par conséquent, le présent moyen ne saurait être reconnu."

18. C'est dans ces conditions que le Tribunal a rejeté le recours.

Le pourvoi

19. À l'appui de son pourvoi, la requérante invoque trois moyens.

20. En premier lieu, la requérante considère que la motivation de l'arrêt attaqué est entachée d'une contradiction en ce que le Tribunal n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations relatives à l'insuffisance de motivation de la décision quant à la détermination du niveau général des amendes.

21. En second lieu, elle prétend que le Tribunal a interprété de façon erronée la notion d'"effets de l'infraction sur le marché" et, en tout état de cause, a violé le principe de proportionnalité en ne réduisant pas le niveau de l'amende imposée par la Commission alors même qu'il a constaté que la Commission n'avait pas prouvé la totalité des effets retenus par elle pour la détermination du niveau général des amendes.

22. En troisième lieu, la requérante fait valoir que le Tribunal a violé le principe de non-discrimination en ce qu'il a approuvé les critères eux-mêmes discriminatoires retenus par la Commission quant à l'imputabilité du comportement d'entreprises cédées au cours de l'infraction.

Sur le premier moyen

23. Par son premier moyen, la requérante fait grief au Tribunal d'avoir commis une erreur de droit en s'abstenant d'annuler la décision alors qu'il avait constaté, aux points 214, 219 et 220 de l'arrêt attaqué, que sa motivation était insuffisante eu égard aux exigences posées par l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), dès lors que la Commission avait omis de faire apparaître dans la décision les éléments de calcul qu'elle avait systématiquement pris en compte pour fixer le montant des amendes.

24. La requérante ajoute que de telles données devaient, selon une jurisprudence constante rappelée par le Tribunal au point 220 de l'arrêt attaqué, figurer dans le corps même de la décision sans que des explications postérieures fournies par la Commission à la presse ou lors de la procédure devant le Tribunal pussent, sauf circonstances particulières, être prises en compte. Or, le Tribunal a précisément constaté, au même point 220, que la Commission avait reconnu, lors de l'audience, que rien ne l'aurait empêchée d'indiquer les éléments en cause dans la décision. Le Tribunal ne pouvait, dans ces conditions, tenir compte du fait "que la Commission s'était montrée disposée à fournir, lors de la procédure contentieuse, tout renseignement pertinent relatif au mode de calcul des amendes" (point 223 de l'arrêt attaqué).

25. En outre, selon la requérante, une motivation a posteriori ne permet ni aux entreprises ni au juge communautaire de s'assurer que les critères exposés par la Commission lors de la procédure contentieuse correspondent réellement aux éléments retenus lors du calcul initial de l'amende. Rien ne garantirait, en effet, que ces éléments aient été pris en compte au moment de l'adoption de la décision par le collège des commissaires, lequel demeure la seule instance compétente pour prendre et motiver une décision.

26. La requérante fait également grief au Tribunal d'avoir limité dans le temps l'interprétation qu'il a donnée, en matière de fixation des amendes, des exigences de l'article 190 du traité dans ses arrêts Tréfilunion/Commission, Société métallurgique de Normandie/Commission et Société des treillis et panneaux soudés/Commission, précités (ci-après les "arrêts treillis soudés"), rappelés au point 221 de l'arrêt attaqué, alors que la Cour a toujours jugé que l'interprétation qu'elle donne d'une règle de droit communautaire éclaire et précise la signification et la portée de cette règle telle qu'elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le début, sauf décision contraire figurant dans l'arrêt interprétatif.

27. Selon la Commission, le Tribunal a considéré, au point 215 de l'arrêt attaqué, que les points 169 à 172 des motifs de la décision contenaient "une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause". Le fait que le Tribunal a assorti cette constatation de considérations sur l'opportunité pour la Commission d'inclure d'autres informations dans le texte de ses décisions, au-delà de l'obligation stricte de motivation, ne constituerait en rien une contradiction, comme le prétend la requérante.

28. Les points 219 à 222 de l'arrêt attaqué seraient, selon la Commission, superfétatoires, en ce qu'ils rappellent les conséquences des arrêts treillis soudés. La Commission estime, au demeurant, que la lecture que fait la requérante de ces arrêts est erronée. Dans ces arrêts, le Tribunal aurait, comme dans l'arrêt attaqué, exprimé le souhait d'une plus grande transparence quant à la méthode de calcul suivie. Ce faisant, le Tribunal n'aurait pas érigé le défaut de transparence en défaut de motivation de la décision. Tout au plus, la position du Tribunal découlerait-elle du principe de bonne administration, en ce sens que les destinataires de décisions ne devraient pas avoir à engager une procédure devant le Tribunal pour connaître tous les détails de la méthode de calcul utilisée par la Commission. De telles considérations ne sauraient cependant constituer en elles-mêmes un motif d'annulation de la décision.

29. Enfin, la Commission observe que la portée ainsi dégagée des arrêts treillis soudés a été récemment confirmée par le Tribunal. Selon ce dernier, les précisions qu'il est souhaitable que la Commission communique au destinataire ne doivent pas être considérées comme une motivation supplémentaire et a posteriori de la décision, mais uniquement comme "la traduction chiffrée des critères énoncés dans la Décision lorsque ceux-ci sont susceptibles d'être quantifiés" (voir arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, dans les affaires dites des "poutrelles", NMH Stahlwerke/Commission (T-134-94, Rec. p. II-239); Eurofer/Commission (T-136-94, Rec. p. II-263); Arbed/Commission (T-137-94, Rec. p. II-303); Cockerill-Sambre/Commission (T-138-94, Rec. p. II-333); Thyssen Stahl/Commission (T-141-94, Rec. p. II-347); Krupp Hoesch/Commission (T-147-94, Rec. p. II- 603); Preussag/Commission (T-148-94, Rec. p. II-613); British Steel/Commission (T-151-94, Rec. p. II-629); Aristrain/Commission (T-156-94, Rec. p. II-645), et Ensidesa/Commission (T-157-94, Rec. p. II-707); et, plus particulièrement, arrêt Thyssen Stahl/Commission, précité, point 610).

30. Il importe, d'abord, d'exposer les différentes étapes du raisonnement tenu par le Tribunal en réponse au moyen tiré de la violation de l'obligation de motivation concernant le calcul des amendes.

31. Le Tribunal a tout d'abord rappelé, au point 208 de l'arrêt attaqué, la jurisprudence constante selon laquelle l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, notamment, outre la jurisprudence citée par le Tribunal, arrêt du 15 avril 1997, Irish Farmers Association e.a., C-22-94, Rec. p. I-1809, point 39).

32. Le Tribunal a ensuite précisé, au point 209 de l'arrêt attaqué, que, s'agissant d'une décision infligeant, comme en l'espèce, des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions dépend d'un grand nombre d'éléments tels que les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).

33. À cet égard, le Tribunal a considéré, au point 215 de l'arrêt attaqué, "que, interprétés à la lumière de l'exposé détaillé, dans la décision, des allégations factuelles formulées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les points 169 à 172 des considérants de celle-ci contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause (voir, dans le même sens, arrêt Petrofina/Commission, précité, point 264)".

34. Le Tribunal a ajouté, au point 218 de l'arrêt attaqué, que "la décision contient une motivation suffisante des raisons pour lesquelles la requérante a été considérée par la Commission comme un "chef de file".

35. Toutefois, aux points 219 à 223 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a atténué, non sans ambiguïté, la portée des affirmations contenues aux points 215 et 218.

36. En effet, il ressort des points 219 et 220 de l'arrêt attaqué que la décision ne comporte pas l'indication de données précises prises en compte systématiquement par la Commission pour fixer le montant des amendes, qu'elle était pourtant en mesure de divulguer et qui auraient permis aux entreprises de mieux apprécier si la Commission avait commis des erreurs lors de la fixation du montant de l'amende individuelle et si ce montant était justifié par rapport aux critères généraux appliqués. Le Tribunal a ajouté, au point 221 de l'arrêt attaqué, que, selon ses arrêts treillis soudés, il est souhaitable que les entreprises puissent connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur est infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission.

37. Il a enfin conclu, au point 223 de l'arrêt attaqué, à une "absence de motivation spécifique dans la décision sur le mode de calcul des amendes", qui était justifiée par les circonstances particulières de l'espèce, à savoir la divulgation des éléments de calcul lors de la procédure contentieuse et le caractère novateur de l'interprétation de l'article 190 du traité contenue dans les arrêts treillis soudés.

38. Avant d'examiner, au regard des arguments avancés par la requérante, le bien-fondé des appréciations du Tribunal concernant les conséquences sur le respect de l'obligation de motivation qui pourraient découler de la divulgation des éléments de calcul lors de la procédure contentieuse et du caractère novateur des arrêts treillis soudés, il convient de vérifier si le respect de l'obligation de motivation, prévue à l'article 190 du traité, exigeait de la Commission qu'elle fasse figurer dans la décision, en sus des éléments d'appréciation lui ayant permis de déterminer la gravité et la durée de l'infraction, un exposé plus détaillé du mode de calcul des amendes.

39. À cet égard, il y a lieu de souligner que, s'agissant des recours dirigés contre les décisions de la Commission infligeant des amendes à des entreprises pour violation des règles de concurrence, le Tribunal est compétent à un double titre.

40. D'une part, il est chargé de contrôler leur légalité, au titre de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE). Dans ce cadre, il doit notamment contrôler le respect de l'obligation de motivation, prévue à l'article 190 du traité, dont la violation rend la décision annulable.

41. D'autre part, le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par les articles 172 du traité CE (devenu article 229 CE) et 17 du règlement n° 17, le caractère approprié du montant des amendes. Cette dernière appréciation peut justifier la production et la prise en considération d'éléments complémentaires d'information dont la mention dans la décision n'est pas comme telle requise en vertu de l'obligation de motivation prévue à l'article 190 du traité.

42. En ce qui concerne le contrôle du respect de l'obligation de motivation, il convient de rappeler que l'article 15, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 17 prévoit que, "Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci".

43. Dans ces conditions, au regard de la jurisprudence mentionnée aux points 208 et 209 de l'arrêt attaqué, les exigences de la formalité substantielle que constitue l'obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d'appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l'infraction. En l'absence de tels éléments, la décision serait viciée pour défaut de motivation.

44. Or, le Tribunal a jugé à bon droit, au point 215 de l'arrêt attaqué, que la Commission avait satisfait à ces exigences. Il convient, en effet, de constater, ainsi que l'a fait le Tribunal, que les points 167 à 172 des motifs de la décision énoncent les critères utilisés par la Commission pour calculer les amendes. Ainsi, le point 167 concerne notamment la durée de l'infraction; il contient également, ainsi que le point 168, les considérations sur lesquelles la Commission s'est fondée pour apprécier la gravité de l'infraction et le montant général des amendes; le point 169 comporte les éléments pris en compte par la Commission pour déterminer l'amende à infliger à chaque entreprise; le point 170 désigne les entreprises devant être considérées comme les "chefs de file" de l'entente, portant une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises; enfin, les points 171 et 172 tirent les conséquences sur le montant des amendes de la coopération de différents fabricants avec la Commission lors de ses vérifications en vue de l'établissement des faits ou en réponse à la communication des griefs.

45. La circonstance que des informations plus précises, telles que les chiffres d'affaires réalisés par les entreprises ou les taux de réduction retenus par la Commission, ont été communiquées ultérieurement, lors d'une conférence de presse ou au cours de la procédure contentieuse, n'est pas de nature à remettre en cause la constatation contenue au point 215 de l'arrêt attaqué. En effet, des précisions apportées par l'auteur d'une décision attaquée, complétant une motivation déjà en elle- même suffisante, ne relèvent pas à proprement parler du respect de l'obligation de motivation, même si elles peuvent être utiles au contrôle interne des motifs de la décision, exercé par le juge communautaire, en ce qu'elles permettent à l'institution d'expliciter les raisons qui sont à la base de sa décision.

46. Certes, la Commission ne saurait, par le recours exclusif et mécanique à des formules arithmétiques, se priver de son pouvoir d'appréciation. Toutefois, il lui est loisible d'assortir sa décision d'une motivation allant au-delà des exigences rappelées au point 43 du présent arrêt, entre autres en indiquant les éléments chiffrés qui ont guidé, notamment quant à l'effet dissuasif recherché, l'exercice de son pouvoir d'appréciation dans la fixation des amendes infligées à l'encontre de plusieurs entreprises ayant participé, avec une intensité variable, à l'infraction.

47. En effet, il peut être souhaitable que la Commission use de cette faculté pour permettre aux entreprises de connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur est infligée. De façon plus générale, cela peut servir la transparence de l'action administrative et faciliter l'exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction, qui doit lui permettre d'apprécier, au-delà de la légalité de la décision attaquée, le caractère approprié de l'amende infligée. Cependant, cette faculté, comme l'a souligné la Commission, n'est pas de nature à modifier l'étendue des exigences découlant de l'obligation de motivation.

48. En conséquence, le Tribunal ne pouvait, sans violer la portée de l'article 190 du traité, considérer, au point 222 de l'arrêt attaqué, que "la Commission doit, si elle a systématiquement pris en compte certains éléments de base pour fixer le montant des amendes, indiquer ces éléments dans le corps de la décision". De même, il ne pouvait, sans se contredire dans les motifs, après avoir constaté, au point 215 de l'arrêt attaqué, que la décision comportait une "indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause", faire état, au point 223 de l'arrêt attaqué, de "l'absence de motivation spécifique dans la décision sur le mode de calcul des amendes".

49. Toutefois, l'erreur de droit ainsi commise par le Tribunal n'est pas de nature à entraîner l'annulation de l'arrêt attaqué dès lors que, compte tenu de ce qui précède, le Tribunal a valablement rejeté, nonobstant les points 219 à 223 de l'arrêt attaqué, le moyen tiré de la violation de l'obligation de motivation concernant le calcul des amendes.

50. Dès lors qu'il n'incombait pas à la Commission, au titre de l'obligation de motivation, d'indiquer dans sa décision les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul des amendes, il n'y a pas lieu d'examiner les différents griefs formulés par la requérante et qui reposent sur cette prémisse erronée.

51. Il y a lieu, en conséquence, de rejeter le premier moyen.

Sur le deuxième moyen

52. Par son deuxième moyen, la requérante fait grief au Tribunal d'avoir interprété de façon erronée la notion d'"effet de l'infraction sur le marché" dont il a tenu compte pour la détermination du montant de l'amende. Il aurait ainsi confondu cette notion qui est pertinente pour apprécier la gravité d'une infraction, conformément à l'article 15 du règlement n° 17, avec le concept d'effet restrictif de la concurrence d'un accord entre entreprises, critère d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité (voir point 194 de l'arrêt attaqué).

53. En l'occurrence, sur les trois effets de la collusion pris en considération par le Tribunal (voir points 176 et suivants de l'arrêt attaqué: le fait que les augmentations de prix convenues auraient été annoncées aux clients; le fait que l'évolution des prix de transaction aurait suivi celle des prix annoncés aux clients, et le fait que le niveau des prix de transaction aurait été différent de celui qui aurait prévalu en l'absence de collusion), seul le troisième devrait être pris en considération afin de déterminer la gravité de l'infraction. Les deux autres concerneraient seulement la mise en œuvre de la collusion en ce qu'ils démontreraient que, au-delà de l'élaboration des termes d'un accord sur les prix, les entreprises ont effectivement mis en pratique la concertation, sans pour autant établir l'existence de l'impact réel de l'accord sur les prix ou sur les autres conditions concurrentielles du marché.

54. La requérante ajoute, à titre subsidiaire, que le Tribunal a violé le principe de proportionnalité en maintenant le niveau de l'amende infligée tout en constatant que la Commission n'avait pas rapporté la preuve que l'infraction avait eu un effet sur les prix du carton.

55. La Commission indique, à titre liminaire, qu'il n'appartient pas à la Cour, lorsqu'elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d'un pourvoi, de substituer son appréciation à celle du Tribunal sur le montant des amendes, sous peine d'empiéter sur l'exercice de sa compétence de pleine juridiction (voir arrêt du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C-219-95 P, Rec. p. I-4411, point 31).

56. Elle estime que le Tribunal n'a pas confondu, au point 194 de l'arrêt attaqué, l'effet restrictif de concurrence, critère de qualification d'une pratique prohibée par l'article 85, paragraphe 1, du traité, et l'impact de cette pratique sur le marché, l'un des multiples critères pouvant être pris en considération dans l'appréciation de la gravité de l'infraction, ce qui relève précisément de sa compétence de pleine juridiction. À cet égard, le Tribunal a estimé que la gravité de l'infraction demeurait sensiblement égale, en l'espèce, même en l'absence de preuve de son incidence sur les prix de transaction.

57. Admettre la thèse de la requérante reviendrait, selon la Commission, à reconnaître l'obligation pour le Tribunal de réduire le montant de l'amende lorsque la Commission n'a pas réussi à prouver l'un ou l'autre des éléments sur lesquels elle a fondé son appréciation de la gravité et à limiter le pouvoir d'appréciation du Tribunal en matière de sanction par celle de la Commission, ce qui serait la négation même de la compétence de pleine juridiction.

58. Il ressort de l'arrêt attaqué que le Tribunal a d'abord rappelé, au point 188, les pouvoirs de la Commission au titre de l'article 15 du règlement n° 17, l'obligation de prendre en considération, pour la détermination du montant de l'amende, à la fois la gravité de l'infraction et la durée de celle-ci, ainsi que la jurisprudence de la Cour selon laquelle la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).

59. Le Tribunal a ensuite énuméré, au point 189 de l'arrêt attaqué, les considérations contenues dans la décision concernant la gravité de l'infraction, sur lesquelles il a, enfin, exercé son contrôle juridictionnel.

60. À cet égard, le Tribunal a jugé que la Commission était fondée à élever le niveau général des amendes par rapport à sa pratique décisionnelle antérieure, afin de renforcer leur effet dissuasif (point 191 de l'arrêt attaqué) et de tenir compte de l'adoption par les entreprises concernées de mesures visant à dissimuler l'existence de la collusion, ce qui constitue "un aspect particulièrement grave de l'infraction de nature à la caractériser par rapport aux infractions antérieurement constatées" (point 192 de l'arrêt attaqué). Le Tribunal a également souligné la longue durée et le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité (point 193 de l'arrêt attaqué).

61. Le Tribunal a enfin conclu, au point 194 de l'arrêt attaqué, que, à la lumière des considérations qui précèdent, le fait que la Commission n'avait que partiellement prouvé les effets de la collusion sur les prix ne pouvait "affecter sensiblement l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée". Il a observé, à cet égard, que "le fait que les entreprises ont effectivement annoncé les augmentations de prix convenues et que les prix ainsi annoncés ont servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels suffit, en soi, pour constater que la collusion sur les prix a eu tant pour objet que pour effet une grave restriction de la concurrence".

62. Il découle de ce qui précède que, loin de confondre le concept de l'effet restrictif de concurrence d'une entente et son impact sur le marché, le Tribunal a estimé, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, que ses constatations en ce qui concerne les effets de l'infraction n'étaient pas de nature à modifier l'appréciation de la gravité de celle-ci, telle qu'effectuée par la Commission elle- même, ou plus exactement à diminuer la gravité de ladite infraction ainsi mesurée. Le Tribunal a considéré, au regard des circonstances particulières de l'espèce et du contexte dans lequel l'infraction s'est déroulée, tels que pris en compte par la décision et rappelés aux points 56 et 57 du présent arrêt, ainsi que de la portée dissuasive des amendes infligées - autant d'éléments pouvant intervenir, conformément à la jurisprudence de la Cour, dans l'appréciation de la gravité de l'infraction (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 106; ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54, et arrêt Ferriere Nord/Commission, précité, point 33) -, qu'il n'y avait pas lieu de réduire le niveau de l'amende.

63. Il y a lieu, en conséquence, de rejeter comme non fondé le deuxième moyen.

Sur le troisième moyen

64. Par son troisième moyen, la requérante fait grief au Tribunal d'avoir violé le principe de non- discrimination en approuvant les critères retenus par la Commission concernant l'imputabilité des agissements d'entreprises acquises au cours de la période d'infraction.

65. La Commission conteste la recevabilité du moyen. Elle relève que la requérante connaissait, dès l'adoption de la décision, les éléments qui l'ont amenée à soulever ce moyen devant la Cour. Or, si elle estimait qu'une discrimination existait entre plusieurs entreprises ayant participé à l'infraction, elle aurait dû soulever ce moyen dès sa requête en première instance. Le troisième moyen serait donc un moyen nouveau dont la production serait interdite en vertu de l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable aux pourvois en vertu de l'article 118 du même règlement.

66. La requérante objecte que, si ce moyen n'a pas été invoqué devant le Tribunal, ce serait en raison du caractère particulièrement confus des critères retenus par la Commission, dont la portée exacte n'a pu être précisée qu'au cours de la procédure contentieuse.

67. La position de la Commission ne saurait être accueillie à cet égard. Force est de constater, ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général aux points 20 et 40 de ses conclusions, que la requérante a invoqué devant le Tribunal un moyen tiré de "l'absence d'imputabilité, à Cascades, du comportement de Duffel et Djupafors antérieur à l'acquisition de ces entreprises", dans le cadre duquel s'inscrit indubitablement le troisième moyen soulevé devant la Cour. Celui-ci ne constitue donc pas un moyen nouveau dont la production serait interdite dans le cadre d'un pourvoi.

68. Sur le fond, la requérante fait valoir que, selon le point 145 des motifs de la décision, la responsabilité du comportement d'une filiale antérieurement à la cession peut être imputée soit à la filiale elle-même si elle a participé à l'infraction à titre individuel, soit au groupe cédant si ce dernier a participé à l'infraction. En outre, selon le point 143 des motifs de la décision, à supposer que la filiale ait violé le droit communautaire à titre individuel et que le groupe cessionnaire lui-même ait participé à l'infraction, la Commission pourrait attribuer à ce groupe cessionnaire la charge du paiement de l'amende au titre du comportement de la filiale antérieurement à son acquisition.

69. La requérante en conclut qu'un groupe cessionnaire d'une filiale ayant participé à l'infraction pourra se voir traiter de deux manières radicalement différentes selon que le cédant a ou non participé à l'infraction, circonstance sur laquelle le cessionnaire n'aurait pourtant eu aucune emprise. Ainsi, ce dernier assumera la charge du paiement de l'amende au titre du comportement de la filiale avant le transfert si le groupe cédant n'a pas participé à l'infraction; dans le cas contraire, il ne sera pas responsable du comportement de la filiale et ne devra donc pas s'acquitter du paiement de l'amende. L'application de ces critères conduirait à une discrimination patente entre deux cessionnaires.

70. La requérante constate que, en application des critères susvisés, le Tribunal l'a tenue pour responsable du comportement de ses deux filiales Duffel et Djupafors antérieurement à leur acquisition, alors que, dans l'affaire T-347-94, la société Mayr-Melnhof Kartongesellschaft mbH (ci-après "Mayr-Melnhof") n'a pas été jugée responsable du comportement de sa filiale Mayr-Melnhof Eerbeek BV (ci-après "Eerbeek") pour la période précédant son acquisition, la responsabilité de ce comportement ayant été imputée à la société NV Koninklijke KNP BT (ci-après "KNP"), le groupe cédant qui avait participé à l'infraction (voir arrêt du 14 mai 1998, Mayr- Melnhof/Commission, Rec. p. II-1751, points 400 à 405).

71. La requérante demande donc à la Cour d'annuler l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a tenue pour responsable du comportement de ses filiales Duffel et Djupafors antérieurement à leur acquisition et, si elle considérait l'affaire comme pouvant être jugée en l'état, d'annuler la décision sur le même fondement.

72. La Commission fait valoir que les critères exposés dans la décision et confirmés par le Tribunal se limitent à appliquer au cas d'espèce les principes dégagés par la jurisprudence en matière d'imputabilité d'une infraction au sein de groupes d'entreprises.

73. Dans le cas de la requérante, comme dans celui de Mayr-Melnhof (à propos de la filiale Deisswil), la Commission affirme avoir appliqué ces principes en attribuant à la maison mère la responsabilité du comportement de ses filiales, aussi bien avant qu'après l'achat. Ce n'est que dans le cas d'Eerbeek, filiale à l'origine de Mayr-Melnhof et ensuite de KNP, que la Commission a partagé la responsabilité entre les deux maisons mères, toutes deux participantes à l'infraction.

74. À cet égard, il convient de relever que le Tribunal a constaté, au point 148 de l'arrêt attaqué, que, "dans l'hypothèse d'une société ayant, avant son transfert, participé à titre individuel à l'infraction, la détermination du destinataire de la décision, à savoir la société transférée ou la nouvelle société mère, dépend des seuls critères énoncés au point 143 des considérants de la décision".

75. Il ressort du point 143 des motifs de la décision que, en ce qui concerne les "actes de sociétés censées être des filiales autonomes, la Commission a, en principe, considéré l'entité citée dans la liste des membres du GEP Carton comme l'entreprise à laquelle la présente décision doit être adressée, sauf dans les cas suivants:

1) lorsque plusieurs sociétés d'un même groupe ont participé à l'infraction

ou

2) lorsqu'il existe des preuves précises impliquant la société mère dans la participation de la filiale à l'entente, la décision a été adressée au groupe (représenté par la société mère)".

76. En l'occurrence, le Tribunal a constaté, au point 157 de l'arrêt attaqué, que, à la date de l'acquisition de Djupafors et de Duffel, "ces dernières participaient à une infraction à laquelle la requérante prenait également part par le biais des sociétés Cascades La Rochette et Cascades Blendecques" et conclu, au point 158:

"Dans ces conditions, la Commission a pu imputer à la requérante le comportement de Djupafors et de Duffel pour la période précédant et pour la période suivant leur acquisition par la requérante. Il incombait à la requérante, en sa qualité de société mère, de prendre à l'égard de ses filiales toute mesure destinée à empêcher la poursuite de l'infraction dont elle n'ignorait pas l'existence."

77. S'il est exact que la requérante devait être tenue pour responsable du comportement des deux filiales en cause, à compter de leur acquisition, il n'était pas établi qu'elle pouvait valablement se voir imputer leur comportement infractionnel antérieur.

78. En effet, il incombe, en principe, à la personne physique ou morale qui dirigeait l'entreprise concernée au moment où l'infraction a été commise de répondre de celle-ci, même si, au jour de l'adoption de la décision constatant l'infraction, l'exploitation de l'entreprise a été placée sous la responsabilité d'une autre personne.

79. En l'occurrence, il ressort de l'arrêt attaqué que Djupafors et Duffel ont participé à titre indépendant à l'infraction du milieu de l'année 1986 jusqu'à leur acquisition par la requérante, en mars 1989 (voir point 18 de l'arrêt attaqué). En outre, ces sociétés n'ont pas été purement et simplement absorbées par la requérante, mais elles ont poursuivi leurs activités en tant que filiales de cette dernière. Elles doivent, en conséquence, répondre elles-mêmes de leur comportement infractionnel antérieur à leur acquisition par la requérante sans que celle-ci puisse en être tenue pour responsable.

80. Il y a lieu, en conséquence, de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en tenant la requérante pour responsable des infractions commises par les sociétés Duffel et Djupafors antérieurement à leur acquisition et d'annuler, pour ce motif, l'arrêt attaqué.

81. Selon l'article 54, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé, soit renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue.

82. En l'absence d'indication dans le dossier sur la part qu'a représentée, dans la fixation de l'amende, la participation, à titre individuel, de Duffel et de Djupafors à l'entente, du milieu de l'année 1986 jusqu'à leur acquisition par la requérante en mars 1989, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le Tribunal afin qu'il apprécie le montant de l'amende, compte tenu de ce qui précède, et de réserver la question des dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

déclare et arrête :

1) L'arrêt du Tribunal de première instance du 14 mai 1998, Cascades/Commission (T-308-94), est annulé dans la mesure où il impute à Cascades SA la responsabilité des infractions commises par Van Duffel NV et Djupafors AB pendant la période allant du milieu de l'année 1986 au mois de février 1989 inclus.

2) Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

3) L'affaire est renvoyée devant le Tribunal de première instance.

4) Les dépens sont réservés.