CJCE, 12 septembre 2000, n° C-180/98
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pavlov, van der Schaaf, Kooyman, Weber, Slappendel
Défendeur :
Stichting Pensioenfonds Medische Specialisten
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Edward, Sevón, Schintgen
Rapporteur :
M. Moitinho de Almeida
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
MM. Kapteyn, Gulmann, Puissochet, Wathelet
Avocats :
Mes Pijnacker Hordijk, van Nispen.
LA COUR,
1. Par cinq ordonnances du 8 mai 1998, parvenues à la Cour le 15 mai suivant, le Kantongerecht te Nijmegen a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 85, 86 et 90 du traité CE (devenus articles 81 CE, 82 CE et 86 CE).
2. Ces questions ont été posées dans le cadre de cinq litiges opposant des médecins spécialistes, MM. Pavlov, Van der Schaaf, Kooyman, Weber et Slappendel (ci-après "M. Pavlov e.a."), à la Stichting Pensioenfonds Medische Specialisten (Fonds de pension des médecins spécialistes, ci-après le "Fonds") à propos du refus de M. Pavlov e.a. d'acquitter leurs cotisations au Fonds, au motif, notamment, que l'affiliation obligatoire à celui-ci, en vertu de laquelle lesdites cotisations leur sont réclamées, serait contraire aux articles 85, 86 et 90 du traité.
La législation nationale
3. Le système de pension néerlandais est fondé sur trois piliers.
4. Le premier est constitué par une pension de base légale, accordée par l'État conformément à l'Algemene Ouderdomswet (loi instituant un régime général de pension de vieillesse) et à l'Algemene Nabestaandenwet (loi sur l'assurance généralisée des survivants). Ce régime légal obligatoire donne droit, à l'ensemble de la population, à une pension d'un montant réduit, indépendant du salaire effectivement perçu auparavant et calculé sur la base du salaire minimal légal.
5. Le deuxième pilier comprend les pensions complémentaires, fournies en relation avec une activité professionnelle, salariée ou indépendante, qui complètent, dans la majorité des cas, la pension de base. Ces pensions complémentaires sont généralement gérées dans le cadre de régimes collectifs s'appliquant à un secteur de l'économie, à une profession ou aux travailleurs d'une entreprise par des fonds de pension auxquels l'affiliation a été rendue obligatoire, notamment, comme dans les affaires au principal, en vertu de la Wet van 29 juni 1972 betreffende verplichte deelneming in een beroepspensioenregeling (loi néerlandaise du 29 juin 1972 sur l'affiliation obligatoire à un régime professionnel de pension, ci-après la "BprW").
6. Le troisième pilier est constitué par les contrats individuels d'assurance pension ou d'assurance vie qui peuvent être conclus sur une base volontaire.
7. Selon l'article 1er, paragraphe 1, sous b), de la BprW, un professionnel est une personne physique exerçant, dans un secteur professionnel déterminé, la profession correspondant à ce secteur professionnel.
8. L'article 2, paragraphe 1, de la BprW prévoit que le ministre des Affaires sociales et de l'Emploi peut, à la demande d'une ou plusieurs organisations professionnelles qu'il estime suffisamment représentatives de la branche professionnelle concernée, rendre obligatoire l'affiliation à un régime professionnel de pension, institué par des membres de la profession, pour tous les membres de ladite profession ou pour certaines catégories de membres de celle-ci. La demande adressée au ministre par une organisation professionnelle doit avoir été préalablement publiée et les tiers intéressés peuvent faire connaître leur opinion. Avant de prendre sa décision, le ministre peut entendre le Sociaal-Economische Raad (Conseil économique et social) et la Verzekeringskamer (chambre des assurances).
9. Selon l'article 2, paragraphe 2, de la BprW, un régime professionnel de pension peut se constituer selon l'une des trois modalités suivantes:
a) la constitution d'un fonds professionnel de pension, qui agit comme organe d'exécution unique de ce régime;
b) l'obligation, pour les professionnels concernés, de réaliser le régime professionnel de pension au moyen de contrats d'assurance individuels à conclure, selon le libre choix du participant, avec le fonds professionnel de pension mentionné sous a), pour autant que le régime professionnel de pension en donne la possibilité, ou avec un assureur, titulaire de la licence exigée;
c) un régime de pension dont une partie répond à la forme décrite sous a), et l'autre partie à celle décrite sous b).
10. L'article 2, paragraphe 3, de la BprW précise que, pour qu'une organisation professionnelle puisse demander que l'affiliation au régime professionnel de pension qu'elle a institué soit rendue obligatoire, cette organisation doit créer une personne morale intervenant
a) soit en qualité de fonds de pension, mettant en œuvre le régime de pension,
b) soit en qualité d'organe de surveillance, veillant à ce que les professionnels concernés respectent l'obligation de s'assurer eux-mêmes conformément à l'article 2, paragraphe 2, sous b), de la BprW,
c) soit, pour partie, en qualité de fonds de pension et, pour partie, en qualité d'organe de surveillance.
11. Conformément à l'article 2, paragraphe 4, de la BprW, le caractère obligatoire du régime entraîne l'obligation, pour ceux auxquels il s'applique, de respecter les dispositions prises à leur égard par les statuts et règlements de la personne morale.
12. L'article 2, paragraphe 6, de la BprW confère au ministre compétent la faculté de supprimer l'affiliation obligatoire. L'article 2, paragraphe 7, précise que l'affiliation obligatoire est supprimée si des modifications sont apportées à l'assise financière ou aux statuts et aux règlements de la personne morale, à moins que le ministre n'ait déclaré qu'il n'avait pas d'objections à formuler à l'encontre de ces modifications. Avant de prendre sa décision, le ministre peut entendre le Conseil économique et social et la chambre des assurances.
13. L'article 5, paragraphe 1, de la BprW prévoit que le ministre ne fait pas droit à la requête visant l'affiliation obligatoire si un certain nombre de conditions ne sont pas réunies. Ainsi, les membres de la profession doivent avoir été mis au courant de l'intention de l'organisation professionnelle de solliciter une décision rendant l'affiliation obligatoire, le régime doit disposer d'une assise financière dont la solidité est établie par une note actuarielle motivée et les statuts et règlements du fonds de pension doivent répondre aux prescriptions énoncées dans la BprW et garantir suffisamment les intérêts des affiliés et des autres personnes intéressées.
14. L'article 8, paragraphe 1, de la BprW précise que les statuts et règlements relatifs à la personne morale comportent des dispositions portant, notamment, sur la définition de la profession à laquelle le régime de pension s'applique, sur la gestion de la personne morale, sur les droits et obligations des affiliés ainsi que sur l'attitude à adopter en ce qui concerne les personnes ayant des réserves d'ordre moral à l'égard de toute forme d'assurance.
15. Selon l'article 8, paragraphe 2, de la BprW, un certain nombre de points supplémentaires doivent figurer dans les statuts et règlements de la personne morale intervenant en qualité de fonds de pension gérant le régime de pension. Ces points concernent, notamment, la composition des revenus et les placements du fonds.
16. L'article 8, paragraphe 3, de la BprW habilite le ministre compétent à édicter des directives portant sur les points énumérés dans les deux premiers paragraphes. Le ministre a ainsi adopté des directives concernant l'attitude à adopter à l'égard des personnes ayant des réserves d'ordre moral à l'encontre de l'assurance. Ces personnes peuvent être dispensées de l'affiliation à un régime professionnel de pension si elles sont en mesure de démontrer qu'elles n'ont recours à aucune forme d'assurance.
17. Les articles 9 et 10 de la BprW déterminent les modalités selon lesquelles un fonds professionnel de pension doit gérer les fonds récoltés. Selon l'article 9, le fonds de pension doit, en principe, transférer ou réassurer les risques liés aux obligations de pension en concluant des contrats avec des compagnies d'assurances. Toutefois, conformément à l'article 10 de la BprW, un fonds peut, à titre exceptionnel, gérer et placer lui-même, à ses propres risques, les capitaux récoltés s'il a présenté aux autorités de surveillance un plan de gestion et une note actuarielle expliquant la manière dont il se propose de gérer le risque financier et actuariel. En outre, ledit plan doit être approuvé par la chambre des assurances.
18. L'article 12 de la BprW ajoute que le bilan d'un fonds qui assure sa propre gestion doit montrer que ses avoirs sont suffisants pour couvrir les obligations de pension qu'il a contractées. Conformément aux articles 9, paragraphes 2 et 3, et 10, paragraphe 2, de la BprW, le fonds professionnel de pension est tenu de présenter, à intervalles réguliers, à la chambre des assurances des rapports reflétant complètement sa situation financière et montrant qu'il respecte les prescriptions légales. La chambre des assurances exerce sa mission de surveillance sur le fonds en se fondant sur lesdits rapports.
19. L'article 26 de BprW précise que, dans des cas individuels particuliers, le ministre des Affaires sociales et de l'Emploi peut accorder une dérogation à certaines dispositions de la BprW. Il peut, notamment, dispenser de l'affiliation obligatoire, pour une période déterminée ou indéterminée, de manière inconditionnelle ou en soumettant cette dispense à des conditions.
20. Il ressort de la réponse du gouvernement néerlandais aux questions écrites de la Cour que le ministre ne peut dispenser de l'obligation d'affiliation que dans des situations spécifiques, dans lesquelles une application systématique de la BprW conduirait à un préjudice disproportionné à l'égard d'intérêts individuels, sans que des dispositions soient prévues par le fonds concerné pour éviter de telles conséquences. La faculté pour le ministre d'accorder une dispense n'a pas pour objet d'offrir une voie de recours à l'encontre d'une décision du fonds refusant une dispense d'affiliation obligatoire.
21. En vertu de l'article 27 de la BprW, le fait de ne pas satisfaire à l'obligation d'affiliation constitue un acte punissable.
22. L'article 31 de la BprW ajoute que le fonds professionnel de pension peut émettre des injonctions contraignantes aux fins de recouvrement des cotisations impayées.
23. Selon l'exposé des motifs du projet de loi devenu la BprW, le "régime collectif" visé par celle-ci a pour objectif de rendre possible "l'adaptation du revenu des retraités à l'accroissement du niveau général des revenus" ainsi que "la contribution des membres de la profession plus jeunes, par le biais d'un système de péréquation des cotisations ou de variantes de ce système, aux charges plus élevées des prestations en faveur des membres de la profession plus âgés" et de "prévoir l'octroi de droits à pension pour des années antérieures à l'entrée en vigueur du régime". Ces objectifs ne pourraient être atteints que par l'intermédiaire d'un régime commun "pour autant que, en principe, toutes les personnes relevant du secteur professionnel en cause soient concernées".
24. Lors des discussions parlementaires de la BprW, le gouvernement néerlandais a indiqué que:
"la gestion des fonds sectoriels de pension vise à réaliser le meilleur régime de pension possible, d'un point de vue social, pour le groupe total des participants (jeunes et vieux). Les soussignés ne peuvent pas s'imaginer qu'il pourrait en aller autrement en ce qui concerne les fonds professionnels de pension. Tout comme un fonds sectoriel de pension, un fonds professionnel de pension ne sera pas constitué comme une entreprise commerciale, mais plutôt comme une entreprise à but social qui fonctionnera le mieux possible pour ses affiliés dans leur relation sociale réciproque. Les aspects commerciaux peuvent difficilement en être le principe à cet égard.
Dans cette mesure, l'importance des cotisations des professionnels ne devra pas être déterminée par la question de savoir s'ils pourraient peut-être trouver mieux et moins cher sur le marché, mais sera plutôt déterminée par la mesure de la solidarité dans la branche professionnelle concernée.
...
Dans un projet de loi-cadre comme celui dont il s'agit en l'occurrence, l'intérêt des professionnels en tant que groupe doit pouvoir être respecté. Cela implique l'obligation, pour, en principe, tous les professionnels du secteur concerné, de s'affilier au fonds de pension. Si, dans des cas particuliers, cet impératif amenait à constater que cette obligation ne correspond pas à l'intérêt individuel d'un ou plusieurs professionnels du secteur, il conviendrait en principe de l'accepter : en effet, toute règle de groupe apporte une restriction à une liberté individuelle."
Les statuts et le règlement de pension du Fonds
25. Le secteur professionnel des médecins spécialistes, représenté par la Landelijke Specialisten Vereniging der Koninklijke Nederlandsche Maatschappij tot bevordering der Geneeskunst (Association nationale des spécialistes de la société royale néerlandaise de promotion de la médecine, ci-après la "LSV"), a, en 1973, instauré un régime professionnel de pension, lequel est régi par des statuts et par un règlement de pension.
26. Conformément auxdits statuts, le Fonds a été créé sous la forme d'une fondation. Celui-ci est une personne morale, au sens de l'article 2, paragraphe 3, sous c), de la BprW, qui intervient pour partie en qualité d'assureur à son propre compte et pour partie en qualité d'organe de surveillance chargé de veiller à ce que les membres de la profession s'assurent eux-mêmes à titre individuel.
27. Par arrêté ministériel du 18 juin 1973 (Nederlandse Staatscourant 1973, p. 121), pris au titre de l'article 2, paragraphe 1, de la BprW, l'affiliation au régime a été rendue obligatoire à la demande de la LSV. À partir du 31 janvier 1997, l'Order van Medische Specialisten (Ordre des médecins spécialistes, ci-après l'"OMS") s'est substitué à la LSV en tant qu'organisation professionnelle représentative. Quelque 8 000 des 15 000 médecins spécialistes indépendants ou salariés des Pays-Bas sont membres de l'OMS.
28. L'article 1er, paragraphe 1, du règlement de pension du Fonds prévoit l'affiliation au régime de tout médecin spécialiste, inscrit au registre des médecins spécialistes reconnus conformément aux règles internes de la Koninklijke Nederlandse Maatschappij tot bevordering der Geneeskunst, qui réside aux Pays-Bas, exerce dans cet État membre la profession de médecin spécialiste et n'a pas encore atteint l'âge de 65 ans.
29. L'article 1er, paragraphe 2, dudit règlement donne à certaines catégories de médecins spécialistes la possibilité de demander à être dispensés de l'affiliation. Tel est le cas du médecin spécialiste qui:
- selon les prévisions, au cours d'une année civile, exercera sa profession exclusivement à titre salarié et auquel, de ce fait, s'applique, en sa qualité de médecin spécialiste,
a) un régime de pension dont les modalités sont établies en vertu d'une autre loi que la Pensioen- en spaarfondsenwet (loi sur les caisses d'épargne et de retraite), la Wet houdende vaststelling van een regeling betreffende verplichte deelneming in een bedrijfspensioenfonds (loi établissant les règles relatives à l'affiliation obligatoire à un fonds sectoriel de pension, ci-après la "BPW") et la BprW ou par une mesure d'administration générale;
b) un régime de pension auquel l'affiliation est rendue obligatoire en vertu de la BPW;
c) un régime de pension différent de celui dont il est question en l'espèce, auquel l'affiliation est obligatoire en vertu de la BprW;
d) un régime de pension adopté par l'employeur avant le 6 mai 1972 et qui est au moins équivalent au régime professionnel de pension précité;
- perçoit, en raison de l'exercice de son activité professionnelle à titre non salarié, des revenus inférieurs à un certain montant.
30. Dans leurs réponses aux questions écrites de la Cour, le gouvernement néerlandais et le Fonds ont indiqué que ce dernier est lié par les conditions énoncées à l'article 1er, paragraphe 2, du règlement de pension. Dans ces conditions, les dispenses d'affiliation ne peuvent, en principe, être accordées pour des motifs autres que ceux énoncés audit article.
31. S'agissant du rapport entre les pouvoirs respectifs du ministre compétent au titre de l'article 26 de la BprW et ceux du Fonds au titre de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement de pension, leur permettant d'accorder des dispenses de l'affiliation obligatoire à des médecins spécialistes, le gouvernement néerlandais a précisé, en réponse à une question écrite de la Cour, que le pouvoir du ministre en matière de dispense revêt un caractère subsidiaire par rapport au pouvoir ou à l'obligation du Fonds à cet égard. Le ministre n'a la faculté d'intervenir que dans les cas où le Fonds n'est pas habilité à accorder une telle dispense.
32. L'article 44 du règlement de pension dispose que la direction du Fonds a le droit, dans certains cas particuliers, d'accorder des dérogations au règlement de pension en faveur de certains affiliés, pourvu que la dérogation accordée ne porte pas préjudice aux droits d'autrui. Selon une réponse du Fonds à une question écrite de la Cour, l'article 44 du règlement de pension constitue une clause d'exception qui vise les situations particulièrement inéquitables. Cet article permettrait d'accorder des dispenses spécifiques dans des cas particuliers, notamment lorsqu'un affilié constitue des droits à pension pendant une période très courte.
33. Le gouvernement néerlandais a indiqué en réponse à une question écrite de la Cour que, bien que le Fonds ait été constitué sous la forme d'une fondation de droit privé, ses décisions en matière d'affiliation obligatoire et de dispense sont susceptibles d'être contestées par les voies de recours du contentieux administratif. Lesdites décisions peuvent donc faire l'objet d'une réclamation adressée au ministre compétent, puis d'un recours introduit devant les juridictions administratives.
Le régime de pension des médecins spécialistes
34. Le régime de pension des médecins spécialistes prévoit:
a) une pension de vieillesse versée à partir du 65e anniversaire des affiliés;
b) une pension de survie, de veuve ou de veuf, s'élevant en principe à 70 % de la pension de vieillesse constituée pendant la durée du mariage, qui sera versée au conjoint de l'affilié décédé;
c) une pension d'orphelin s'élevant à 14 % (28 % pour un orphelin de père et mère) du montant de la pension de vieillesse, qui sera versée aux enfants de l'affilié décédé jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de 18 ans, avec prolongement possible jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de 27 ans;
d) un mécanisme d'indexation liant les pensions à l'augmentation générale du niveau des revenus;
e) des droits de pension rétroactifs relatifs à des périodes antérieures à l'existence du Fonds;
f) en cas d'incapacité d'exercice de la profession, pour cause d'invalidité, la prise en charge du versement des cotisations en vue de continuer la constitution de la pension;
g) des prestations de survie complémentaires pour les veuves, les veufs et les orphelins d'affiliés décédés pendant leur affiliation, avant d'avoir atteint l'âge de 65 ans. Plus l'affilié décède jeune, plus le montant de ces prestations complémentaires est élevé.
35. Le régime de pension comprend deux volets. Le premier volet, dénommé "pension de référence", comprend la pension de vieillesse, la pension de survie de veuve ou de veuf ainsi que la pension d'orphelin, selon leur valeur nominale, c'est-à-dire sans adaptation des prestations de pension à l'augmentation générale des revenus. En ce qui concerne la pension de référence, la profession de médecins spécialistes a opté pour la forme prévue à l'article 2, paragraphe 2, sous b), de la BprW, c'est-à-dire que les membres de la profession sont tenus de constituer leur pension de référence en concluant un contrat d'assurance individuel avec le Fonds ou avec une compagnie d'assurances dûment autorisée. Tous les cinq ans, les affiliés peuvent revoir leur choix. Le Fonds veille à ce que les membres respectent leur obligation d'assurance.
36. Une compagnie d'assurances couvrant l'assurance de la pension de référence est tenue de conclure un accord avec le Fonds. Sous divers aspects, le Fonds agit en qualité d'intermédiaire entre les médecins spécialistes et l'assureur; ainsi, le Fonds perçoit les cotisations pour la pension de référence et les reverse ensuite à l'assureur. Le Fonds et la compagnie d'assurances fixent les primes respectives pour la pension de référence, sur une base actuarielle. Les primes dues varient selon l'âge, le sexe et les revenus de l'affilié, les frais administratifs du Fonds ou de l'assureur, ainsi que le rendement des placements effectués par le Fonds ou l'assureur.
37. Le second volet du régime de pension comprend le mécanisme d'indexation, les droits à pension rétroactifs, la continuation de la constitution de la pension en dispense de versement des cotisations en cas d'invalidité et les prestations complémentaires pour les survivants. Le mécanisme d'indexation permet, grâce à un coefficient d'adaptation fixé sur une base annuelle, de moduler les pensions et les droits à pension en fonction de l'accroissement des revenus. En ce qui concerne ce second volet, la profession a opté pour la forme prévue à l'article 2, paragraphe 2, sous a), de la BprW, c'est-à-dire que le Fonds administre ces éléments et ils ne peuvent pas être confiés à une compagnie d'assurances privée.
38. Les éléments faisant partie du second volet sont financés, à l'exception des prestations complémentaires pour les survivants, par des cotisations calculées sur une base actuarielle. Toutefois, aucune cotisation n'est pour l'instant portée au compte des affiliés en ce qui concerne les droits à pension rétroactifs, les réserves étant suffisantes pour assurer ces droits. Quant aux prestations complémentaires pour les survivants, elles sont financées par une cotisation annuelle moyenne.
39. Le régime n'opère pas de sélection des risques par voie de questionnaires ou d'examens médicaux.
40. Le Fonds est un organisme à but non lucratif. Ses bénéfices sont attribués aux bénéficiaires des pensions et aux affiliés sous la forme d'une majoration de leurs droits à pension.
41. Le 31 décembre 1997, le Fonds comptait 5 951 affiliés, 1 063 anciens affiliés et 4 220 personnes bénéficiant de versements de pension. Cette dernière catégorie comprenait 1 238 veuves ou veufs, 185 orphelins et 2 797 personnes bénéficiaires d'une pension de vieillesse. À la fin de l'année 1997, le capital investi du Fonds s'élevait à 6 600 millions de NLG.
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
42. Les requérants au principal, M. Pavlov e.a., sont cinq médecins spécialistes exerçant leur profession dans un hôpital de Nimègue. Ils ne contestent pas qu'ils étaient obligés de s'affilier au Fonds jusqu'à la fin de l'année 1995.
43. Depuis le 1er janvier 1996, M. Pavlov e.a. considèrent qu'ils doivent être dispensés de l'affiliation au Fonds en vertu de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement du Fonds. Ils soutiennent que, depuis cette date, ils exercent leur activité professionnelle à titre de salariés et sont dès lors obligatoirement soumis au Bedrijfspensioenfonds voor de Gezondheid, Geestelijke en Maatschappelijke Belangen (Fonds sectoriel de pension pour la santé ainsi que les secteurs du bien-être psychologique et social). M. Pavlov e.a. ont par conséquent cessé de verser leurs cotisations au Fonds.
44. Le Fonds conteste que M. Pavlov e.a. exercent leur profession sous les liens d'un contrat d'emploi et leur a adressé des injonctions de payer portant sur les arriérés de primes.
45. M. Pavlov e.a. ont formé opposition à ces injonctions devant le Kantongerecht te Nijmegen. Par jugements interlocutoires du 13 février 1998, ce dernier a décidé que, eu égard à la nature de leur relation contractuelle avec l'hôpital, M. Pavlov e.a. ne pouvaient pas invoquer la dispense prévue à l'article 1er, paragraphe 2, du règlement du Fonds.
46. Au cours de la procédure, M. Pavlov e.a. ont soutenu que l'affiliation obligatoire était contraire à différentes dispositions du traité CE.
47. La juridiction de renvoi relève que le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) a déjà, par arrêt du 22 octobre 1993, soumis à la Cour la question de la compatibilité de l'affiliation obligatoire à un fonds professionnel de pension, mais que celle-ci n'a pas répondu à cette question dans l'arrêt du 14 décembre 1995, Van Schijndel et Van Veen (C-430-93 et C-431-93, Rec. p. I-4705).
48. C'est dans ces conditions que le Kantongerecht te Nijmegen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) À la lumière de l'esprit de la Wet betreffende verplichte deelneming in een beroepspensioenregeling [BprW] ... un fonds professionnel de pension auquel tous les membres d'une profession ou une ou plusieurs catégories déterminées d'entre eux sont tenus d'adhérer en vertu et en application de la [BprW], avec les effets juridiques ... qu'y attache cette loi, doit-il être considéré comme une entreprise au sens des articles 85, 86 ou 90 du traité instituant la Communauté économique européenne?
2) Dans l'affirmative, le fait de rendre obligatoire l'affiliation au fonds professionnel de pension des médecins spécialistes ... constitue-t-il une mesure édictée par un État membre qui supprime l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises, ou n'est-ce le cas que dans certaines circonstances et, dans cette dernière hypothèse, lesquelles?
3) S'il convient de répondre à la dernière question par la négative, d'autres circonstances peuvent-elles alors rendre l'obligation d'affiliation contraire aux dispositions de l'article 90 et, dans l'affirmative, lesquelles?"
49. Par ordonnance du 17 juin 1998, le président de la Cour a décidé de joindre les affaires C-180-98 à C-184-98 aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt.
Sur la recevabilité
50. Le gouvernement hellénique met en doute la recevabilité des questions posées en raison de l'absence, dans les ordonnances de renvoi, d'une définition suffisamment précise du cadre factuel et réglementaire des litiges au principal. Ce gouvernement fait valoir que, à défaut d'une description, par la juridiction de renvoi, des aspects juridiques et économiques du fonctionnement du régime de pension complémentaire en cause au principal, il ne saurait prendre utilement position sur lesdites questions compte tenu, en particulier, de la complexité des facteurs d'ordre juridique et factuel intervenant dans le domaine du droit de la concurrence.
51. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Ces exigences valent tout particulièrement dans certains domaines, comme celui de la concurrence, qui sont caractérisés par des situations de fait et de droit complexes (voir, notamment, arrêts du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C-320-90 à C-322-90, Rec. p. I- 393, points 6 et 7; du 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech, C-284-95, Rec. p. I-4301, points 69 et 70, et Bettati, C- 341-95, Rec. p. I-4355, points 67 et 68; ainsi que du 21 septembre 1999, Albany, C-67-96, Rec. p. I-5751, point 39, et Brentjens', C-115-97 à C-117-97, Rec. p. I-6025, point 38).
52. Les informations fournies dans les décisions de renvoi ne doivent pas seulement permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais également donner aux gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de la disposition précitée, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées (voir, notamment, ordonnances du 30 avril 1998, Testa et Modesti, C-128-97 et C-137-97, Rec. p. I-2181, point 6, et du 11 mai 1999, Anssens, C-325-98, Rec. p. I-2969, point 8, ainsi que arrêts précités Albany, point 40, et Brentjens', point 39).
53. À cet égard, il ressort des observations présentées conformément à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice, par les gouvernements des États membres et par les autres parties intéressées, ainsi que des observations présentées par le gouvernement hellénique lui-même pour le cas où la Cour jugerait les questions posées par la juridiction de renvoi recevables, que les informations contenues dans les ordonnances de renvoi leur ont permis de prendre utilement position sur les questions posées à la Cour.
54. En outre, même si le gouvernement hellénique a pu, en l'espèce, considérer que les informations fournies par le juge de renvoi ne lui permettaient pas de prendre position sur certains aspects des questions posées à la Cour, il importe de souligner que ces informations ont été complétées par les éléments résultant du dossier transmis par la juridiction nationale, des observations écrites et des réponses aux questions de la Cour. L'ensemble de ces éléments, repris dans le rapport d'audience, a été porté à la connaissance des gouvernements des États membres et des autres parties intéressées en vue de l'audience au cours de laquelle ils ont pu, le cas échéant, compléter leurs observations (voir arrêts précités Albany, point 43, et Brentjens', point 42).
55. Dès lors, il convient de constater que les informations fournies par le juge de renvoi, complétées pour autant que de besoin par les éléments cités au point précédent, donne à la Cour une connaissance suffisante du cadre factuel et réglementaire des litiges au principal pour qu'elle puisse interpréter les règles communautaires de concurrence au regard de la situation faisant l'objet de ces litiges.
56. Il s'ensuit que les questions posées sont recevables.
Sur la deuxième question
57. Par sa deuxième question, qu'il convient d'examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 5 du traité CE (devenu article 10 CE) et 85 du traité s'opposent à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande d'une organisation représentative des membres d'une profession libérale, l'affiliation à un fonds professionnel de pension.
58. Afin de répondre à la deuxième question, il y a lieu d'examiner d'emblée si la décision prise par une organisation représentative des membres d'une profession libérale d'instaurer, pour les membres de cette profession, un fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire et de demander aux pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation à ce fonds de tous les membres de cette profession est contraire à l'article 85 du traité.
59. Il convient de rappeler tout d'abord que l'article 85, paragraphe 1, du traité interdit tout accord entre entreprises, décision d'association d'entreprises ou pratiques concertées susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun. L'importance de cette règle a conduit les auteurs du traité à prévoir expressément, à l'article 85, paragraphe 2, de celui-ci, que les accords et décisions interdits en vertu de cette disposition sont nuls de plein droit.
60. Il importe de relever ensuite que, dans les arrêts Brentjens', précité, et du 21 septembre 1999, Drijvende Bokken (C-219-97, Rec. p. I-6121), la Cour a dit pour droit que la décision prise par les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs d'un secteur déterminé, dans le cadre d'une convention collective, d'instaurer, dans ce secteur, un seul fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire et de demander aux pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation à ce fonds pour tous les travailleurs de ce secteur ne relève pas de l'article 85 du traité.
61. Le Fonds, le gouvernement néerlandais et la Commission, cette dernière toutefois à titre subsidiaire, font valoir qu'il n'y a pas de différence significative entre la réglementation nationale relative aux régimes sectoriels de pension en cause dans les arrêts précités Albany, Brentjens' ainsi que Drijvende Bokken et celle relative aux régimes professionnels de pension en cause dans les affaires au principal. Les raisons pour lesquelles la Cour a, dans les arrêts précités, jugé que la décision des organisations représentatives des employeurs et des travailleurs d'instaurer un fonds sectoriel de pension et de demander aux pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation à ce fonds ne relève pas de l'article 85 du traité justifieraient également qu'une décision similaire émanant, comme dans les affaires en cause au principal, des membres d'une profession libérale n'entre pas davantage dans le champ d'application de l'article 85 du traité, même si les membres de cette profession n'agissent pas dans le cadre d'une convention collective.
62. Selon le Fonds, le gouvernement néerlandais et la Commission, plusieurs éléments mentionnés dans la motivation des arrêts cités au point précédent seraient également applicables aux affaires en cause au principal.
63. En premier lieu, la mise en place d'un régime de pension complémentaire obligatoire pour tous les membres d'une profession libérale serait conforme à l'article 3, sous g) et i), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous g) et j), CE], aux termes duquel l'action de la Communauté comporte non seulement un "régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché intérieur", mais également "une politique dans le domaine social", et à l'article 2 du traité CE (devenu, après modification, article 2 CE) selon lequel la Communauté a pour mission, notamment, "de promouvoir un développement harmonieux et équilibré des activités économiques" et "un niveau d'emploi et de protection sociale élevé".
64. En deuxième lieu, le régime professionnel de pension complémentaire en cause au principal aurait été mis en place à la demande d'une organisation représentative des membres de la profession concernée, à la suite d'une négociation collective.
65. En troisième lieu, la décision de l'organisation représentative des membres d'une profession déterminée d'instaurer un tel régime de pension complémentaire et de demander que ce régime soit rendu obligatoire poursuivrait le même objectif social que l'accord en cause dans les arrêts précités Albany, Brentjens' et Drijvende Bokken, à savoir garantir un certain niveau de pension à tous les membres d'une profession.
66. L'importance de la fonction sociale dévolue aux pensions complémentaires aurait été récemment reconnue par l'adoption, par le législateur communautaire, de la directive 98-49-CE du Conseil, du 29 juin 1998, relative à la sauvegarde des droits à pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 209, p. 46), laquelle n'opérerait aucune distinction entre les pensions des travailleurs salariés et celles des travailleurs non salariés.
67. Il y a lieu de rappeler que, aux points 64, 61 et 51 respectivement des arrêts précités Albany, Brentjens' et Drijvende Bokken, la Cour a jugé que les accords conclus dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux destinés à améliorer les conditions d'emploi et de travail doivent être considérés, en raison de leur nature et de leur objet, comme ne relevant pas de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
68. Une telle exclusion du champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité ne saurait être étendue à un accord qui, tel que celui en cause au principal, vise certes à garantir un certain niveau de pension à tous les membres d'une profession et, partant, à améliorer l'une des conditions de travail de ces membres, à savoir leur rémunération, mais n'a pas été conclu dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux.
69. Il convient de souligner à cet égard que le traité ne prévoit aucune disposition encourageant, à l'instar des articles 118 et 118 B du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) ainsi que 1er et 4 de l'accord sur la politique sociale (JO 1992, C 191, p. 91), les membres de professions libérales à conclure des accords collectifs en vue d'améliorer les conditions d'emploi et de travail et envisageant que, à la demande des membres de ces professions, de tels accords soient rendus obligatoires par les pouvoirs publics pour tous les membres desdites professions.
70. Dans de telles conditions, l'article 85, paragraphe 1, du traité doit être interprété en ce sens que la décision des membres d'une profession libérale d'instaurer un fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire et de demander aux pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation à ce fonds de tous les membres de cette profession n'est pas soustraite, en raison de sa nature et de son objet, au champ d'application de ladite disposition.
71. Il convient dès lors de vérifier si les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité sont réunies et, en premier lieu, si l'organisation représentative en cause au principal, la LSV, constitue une association d'entreprises.
72. À cet égard, il importe de relever que, à la date à laquelle la LSV a demandé aux pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation au Fonds, cette organisation était uniquement composée de médecins spécialistes indépendants.
73. Dans ces conditions, il y a lieu d'examiner, d'une part, si lesdits médecins spécialistes constituent des entreprises au sens des articles 85, 86 et 90 du traité.
74. Selon une jurisprudence constante, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir, notamment, arrêts du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41-90, Rec. p. I-1979, point 21; du 17 février 1993, Poucet et Pistre, C-159-91 et C-160-91, Rec. p. I-637, point 17; du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d'assurance e.a., C-244-94, Rec. p. I-4013, point 14, ainsi que arrêts précités Albany, point 77, Brentjens', point 77, et Drijvende Bokken, point 67).
75. À cet égard, il ressort d'une jurisprudence également constante que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (arrêts du 16 juin 1987, Commission/Italie, 118-85, Rec. p. 2599, point 7, et du 18 juin 1998, Commission/Italie, C-35/96, Rec. p. I- 3851, point 36).
76. Dans les affaires au principal, les médecins spécialistes membres de la LSV fournissent, en leur qualité d'opérateurs économiques indépendants, des services sur un marché, celui des services médicaux spécialisés. Ces médecins reçoivent de leurs patients une rémunération pour les services qu'ils leur prodiguent et assument les risques financiers afférents à l'exercice de leur activité.
77. Dans ces conditions, les médecins spécialistes indépendants membres de la LSV exercent une activité économique et, partant, constituent des entreprises au sens des articles 85, 86 et 90 du traité, sans que la nature complexe et technique des services qu'ils fournissent et la circonstance que l'exercice de leur profession est réglementé soient de nature à modifier une telle conclusion(voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 1998, Commission/Italie, précité, points 37 et 38).
78. Toutefois, la Commission fait valoir que, lorsqu'ils contribuent à leur propre régime de pension complémentaire, les médecins spécialistes n'agissent pas en tant qu'entreprises au sens du droit communautaire de la concurrence. Le médecin spécialiste qui constitue une pension complémentaire pour lui-même agirait en tant que consommateur final et la décision qu'il prendrait dans ce cadre serait étrangère au champ d'application des règles de concurrence. Une telle décision pourrait être assimilée à une décision de placement sur les marchés financiers ou à une décision d'achat d'un logement de vacances.
79. Il importe de relever à cet égard que le fait, pour un médecin spécialiste indépendant, de cotiser à un régime professionnel de pension complémentaire est étroitement lié à l'exercice de son activité professionnelle. L'affiliation d'un médecin spécialiste à un tel régime trouve son origine dans l'exercice de la profession.Le régime professionnel de pension complémentaire en cause au principal, applicable à tous les membres de la profession, permet à ceux-ci de répartir une partie de leurs revenus professionnels afin de s'assurer et, dans certaines conditions, d'assurer à leurs conjoint et enfants survivants, un certain niveau de revenus après la cessation de leurs activités professionnelles.
80. Le fait, pour chaque médecin spécialiste indépendant, de cotiser au même régime professionnel de pension complémentaire est d'autant plus lié à l'exercice de son activité professionnelle que ce régime se caractérise par un degré élevé de solidarité entre tous les médecins, lequel se manifeste par, notamment, l'indépendance des cotisations par rapport au risque, l'obligation d'accepter tous les membres de la profession sans examen médical préalable, la prise en charge du versement des cotisations en vue de poursuivre la constitution de la pension en cas d'invalidité, l'octroi de droits à pension rétroactifs aux affiliés qui exerçaient déjà la profession à la date de l'entrée en vigueur du régime ainsi que par l'indexation du montant des pensions afin de maintenir leur valeur.
81. Dans ces conditions, les médecins spécialistes ne sauraient être considérés comme agissant en tant que consommateurs finals lorsqu'ils contribuent à leur propre régime de pension complémentaire.
82. Il y a donc lieu de conclure que, lorsqu'ils ont, au sein de la LSV, décidé de contribuer conjointement à un seul fonds professionnel de pension, les médecins spécialistes agissaient en tant qu'entreprises au sens des articles 85, 86 et 90 du traité.
83. Dans ces conditions, il convient d'examiner, d'autre part, si la LSV doit être considérée comme une association d'entreprises au sens des dispositions précitées.
84. Le Fonds fait valoir qu'il serait discriminatoire de qualifier la LSV d'association d'entreprises par rapport à d'autres organisations professionnelles, telles que l'Ordre néerlandais des avocats, qui sont régies par un statut de droit public et qui disposent, à ce titre, de compétences réglementaires.
85. Il suffit de rappeler à cet égard que le statut de droit public d'une organisation professionnelle ne fait pas obstacle à l'application de l'article 85 du traité. Selon ses propres termes, cette disposition s'applique à des accords entre entreprises et à des décisions d'associations d'entreprises. Dès lors, le cadre juridique dans lequel est prise une décision d'association ainsi que la qualification juridique donnée à ce cadre par l'ordre juridique national sont sans incidence sur l'applicabilité des règles communautaires de la concurrence et notamment de l'article 85 du traité (arrêts du 30 janvier 1985, Clair, 123-83, Rec. p. 391, point 17, et du 18 juin 1998, Commission/Italie, précité, point 40).
86. En outre, contrairement à ce que fait valoir le Fonds, le fait que la LSV a pour mission principale de défendre les intérêts des médecins spécialistes, et notamment leurs revenus, au nombre desquels figurent les pensions complémentaires, dans le cadre des négociations avec les autorités publiques relatives au coût des services médicaux, n'est pas non plus de nature à exclure cette organisation professionnelle du champ d'application de l'article 85 du traité.
87. Certes, une décision d'un organisme disposant de pouvoirs réglementaires dans un secteur déterminé peut ne pas relever de l'article 85 du traité lorsque cet organisme est composé d'une majorité de représentants de la puissance publique et qu'il prend ladite décision dans le respect d'un certain nombre de critères d'intérêt public (arrêts du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto, C-96-94, Rec. p. I-2883, points 23 à 25, et du 18 juin 1998, Commission/Italie, précité, points 41 à 44).
88. Toutefois, tel n'est pas le cas dans les affaires au principal. En effet, à la date à laquelle la LSV a décidé d'instaurer le Fonds et de demander aux pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation à ce dernier, cette organisation était uniquement composée de médecins spécialistes indépendants dont elle défendait les intérêts économiques.
89. Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la LSV doit être considérée comme une association d'entreprises au sens des articles 85, 86 et 90 du traité.
90. Il convient dès lors d'examiner, en deuxième lieu, si la décision des membres d'une profession libérale d'instaurer un fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire et de demander aux pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation à ce fonds de tous les membres de cette profession a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.
91. Selon une jurisprudence constante, l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité à un cas d'espèce concret exige que les critères de cette disposition soient définis en tenant compte du contexte économique dans lequel opèrent les entreprises, des produits ou services visés par les décisions desdites entreprises et de la structure et des conditions réelles de fonctionnement du marché concerné (arrêt du 12 décembre 1995, Oude Luttikhuis e.a., C-399-93, Rec. p. I-4515, point 10).
92. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la décision susmentionnée implique que tous les membres d'une profession libérale constituent aux mêmes conditions et auprès d'un seul organisme leur pension complémentaire, à l'exception de la pension de référence, laquelle peut être librement souscrite auprès d'une compagnie d'assurances dûment autorisée.
93. Force est donc de constater qu'une telle décision, qui harmonise en partie les coûts et les prestations de pensions complémentaires des médecins spécialistes, restreint la concurrence en ce qui concerne un facteur de coût des services médicaux spécialisés. Cette décision a en effet pour conséquence que lesdits médecins ne se font pas mutuellement concurrence pour obtenir une assurance moins onéreuse pour cette partie de leur pension.
94. Toutefois, ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général aux points 138 à 143 de ses conclusions, les effets restrictifs d'une telle décision sur le marché des services médicaux spécialisés sont limités.
95. En effet, la décision litigieuse ne produit d'effets restrictifs qu'à l'égard d'un seul facteur de coût des services offerts par les médecins spécialistes indépendants, à savoir le régime de pension complémentaire, lequel est peu important comparativement à d'autres facteurs, tels que les honoraires médicaux ou le prix des équipements médicaux. Le coût du régime de pension complémentaire n'exerce qu'une influence marginale et indirecte sur le coût final des services offerts par les médecins spécialistes indépendants.
96. En outre, il convient de relever que la mise en œuvre d'un régime de pension complémentaire géré par un seul fonds permet aux médecins spécialistes indépendants de répartir les risques assurés, tout en réalisant des économies d'échelle dans la gestion des cotisations et du versement des pensions ainsi que dans les modalités de placement des actifs.
97. Il résulte de ce qui précède que la décision des membres d'une profession libérale d'instaurer un fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire ne restreint pas sensiblement le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.
98. Quant à la demande, faite aux pouvoirs publics par une organisation représentative des membres d'une profession libérale de rendre obligatoire l'affiliation au fonds professionnel de pension qu'elle a institué, il importe de souligner qu'une telle demande s'inscrit dans le cadre d'un régime identique à celui existant dans plusieurs droits nationaux, qui concerne l'exercice du pouvoir réglementaire dans le domaine social. Un tel régime est destiné à promouvoir la constitution de pensions complémentaires relevant du deuxième pilier et comporte un nombre de sauvegardes dont le ministre est tenu d'assurer le respect, en sorte que la demande formulée par les membres d'une profession libérale ne saurait constituer une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
99. Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la décision des membres d'une profession libérale d'instaurer un fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire et de demander aux pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation à ce fonds de tous les membres de cette profession n'est pas contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité.
100. Dès lors, pour les mêmes raisons, la décision de l'État membre concerné de rendre l'affiliation à un tel fonds obligatoire pour tous les membres de la profession n'est pas non plus contraire aux articles 5 et 85 du traité.
101. Il convient dès lors de répondre à la deuxième question que les articles 5 et 85 du traité ne s'opposent pas à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande d'une organisation représentative des membres d'une profession libérale, l'affiliation à un fonds professionnel de pension.
Sur la première question
102. Par sa première question, qu'il convient d'examiner en deuxième lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire, instauré par une organisation représentative des membres d'une profession libérale et auquel l'affiliation a été rendue obligatoire par les pouvoirs publics pour tous les membres de cette profession, est une entreprise au sens des articles 85, 86 et 90 du traité.
103. Selon le Fonds et les gouvernements ayant présenté des observations en application de l'article 20 du statut CE de la Cour de justice, un tel fonds ne constitue pas une entreprise au sens des articles 85, 86 et 90 du traité. À cet égard, ils rappellent les diverses caractéristiques du fonds professionnel de pension et du régime de pension complémentaire qu'il gère.
104. En premier lieu, l'affiliation obligatoire de tous les membres d'une profession libérale à un régime de pension complémentaire ou, à tout le moins, au volet le plus important d'un tel régime aurait une fonction sociale essentielle dans le système de pension applicable aux Pays-Bas, en raison du montant extrêmement réduit de la pension légale, calculé sur la base du salaire minimal légal. Dès lors qu'un régime de pension complémentaire aurait été établi par les membres d'une telle profession et que l'affiliation à ce régime aurait été rendue obligatoire par les pouvoirs publics, celui-ci constituerait un élément du système néerlandais de protection sociale et le fonds professionnel de pension chargé de sa gestion devrait être considéré comme concourant à la gestion du service public de la sécurité sociale.
105. En deuxième lieu, le fonds professionnel de pension n'aurait pas un but lucratif. Les frais de gestion d'un tel fonds seraient inférieurs à ceux des compagnies d'assurance vie et les bénéfices qu'il réalise seraient redistribués aux assurés sous la forme d'une majoration de leurs droits à pension. L'organisation professionnelle à l'initiative de laquelle un tel fonds a été institué exercerait un contrôle direct sur l'exécution du régime de pension en nommant et en révoquant les membres des organes de gestion de ce fonds. En outre, la gestion de celui-ci serait placée sous le contrôle des pouvoirs publics, en l'occurrence, celui de la chambre des assurances.
106. En troisième lieu, le fonds professionnel de pension fonctionnerait sur la base du principe de solidarité. Cette solidarité se manifesterait par l'obligation d'accepter tous les membres de la profession concernée sans examen médical préalable, par la prise en charge du versement des cotisations en vue de poursuivre la constitution de la pension en cas d'invalidité, par l'octroi de droits à pension rétroactifs aux affiliés qui exerçaient déjà la profession à la date de l'entrée en vigueur du régime ainsi que par l'indexation du montant des pensions afin de maintenir leur valeur. Le principe de solidarité résulterait également du fait que le montant de la cotisation perçue par le fonds est indépendant de l'âge auquel l'affilié a commencé à exercer la profession et de son état de santé à la date de son affiliation. Une telle solidarité rendrait indispensable l'affiliation obligatoire de tous les membres de ladite profession au régime de pension complémentaire. À défaut, l'absence de participation des "bons" risques aurait un effet de spirale négatif qui mettrait en péril l'équilibre financier du régime.
107. Compte tenu de ce qui précède, le Fonds et les gouvernements intervenants soutiennent que ce dernier constitue un organisme chargé de la gestion d'un régime de sécurité sociale, à l'instar des organismes dont il est question dans l'arrêt Poucet et Pistre, précité, et contrairement à l'organisme en cause dans l'arrêt Fédération française des sociétés d'assurance e.a., précité, lequel a été considéré comme une entreprise au sens des articles 85, 86 et 90 du traité.
108. Ainsi qu'il a été rappelé au point 74 du présent arrêt, dans le contexte du droit communautaire de la concurrence, la Cour a jugé que la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement.
109. En outre, au point 19 de l'arrêt Poucet et Pistre, précité, la Cour a jugé qu'étaient exclus de cette notion les organismes chargés de la gestion de certains régimes obligatoires de sécurité sociale, fondés sur un principe de solidarité. Tout d'abord, dans le régime d'assurance maladie et maternité du système qui lui était soumis, les prestations étaient en effet identiques pour tous les bénéficiaires, même si les cotisations étaient proportionnelles aux revenus; ensuite, s'agissant du régime d'assurance vieillesse, le financement des pensions de retraite était assuré par les travailleurs en activité; en outre, les droits à pension, fixés par la loi, n'étaient pas proportionnels aux cotisations versées dans le régime d'assurance vieillesse; enfin, les régimes excédentaires participaient au financement des régimes qui avaient des difficultés financières structurelles. Cette solidarité impliquait nécessairement que les différents régimes fussent gérés par un organisme unique et que l'affiliation à ces régimes présentât un caractère obligatoire.
110. En revanche, dans l'arrêt Fédération française des sociétés d'assurance e.a., précité, la Cour a dit pour droit qu'un organisme à but non lucratif, gérant un régime d'assurance vieillesse destiné à compléter un régime de base obligatoire, institué par la loi à titre facultatif et fonctionnant selon le principe de la capitalisation, était une entreprise au sens des articles 85, 86 et 90 du traité. L'affiliation facultative, l'application du principe de capitalisation et le fait que les prestations dépendaient uniquement du montant des cotisations versées par les bénéficiaires ainsi que des résultats financiers des investissements effectués par l'organisme gestionnaire impliquaient que cet organisme exerçait une activité économique en concurrence avec les compagnies d'assurance vie. Ni la poursuite d'une finalité à caractère social, ni l'absence de but lucratif, ni les exigences de solidarité, ni les autres règles relatives notamment aux restrictions auxquelles l'organisme gestionnaire était soumis dans la réalisation de ses investissements n'enlevaient à l'activité exercée par l'organisme gestionnaire sa nature économique.
111. En se fondant sur l'arrêt Fédération française des sociétés d'assurance e.a., précité, la Cour a dit pour droit, dans les arrêts précités Albany, Brentjens' et Drijvende Bokken, qu'un fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire, instauré par une convention collective conclue entre les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs d'un secteur déterminé et auquel l'affiliation a été rendue obligatoire par les pouvoirs publics pour tous les travailleurs de ce secteur, est une entreprise au sens des articles 85 et suivants du traité.
112. La Cour, pour parvenir à une telle conclusion, a constaté que le fonds sectoriel de pension en cause dans les arrêts cités au point précédent déterminait lui-même le montant des cotisations et des prestations, qu'il fonctionnait selon le principe de la capitalisation et que, dès lors, contrairement aux prestations fournies par les organismes chargés de la gestion des régimes obligatoires de sécurité sociale auxquels se réfère l'arrêt Poucet et Pistre, précité, le montant des prestations fournies par le fonds dépendait des résultats financiers des placements qu'il effectuait et pour lesquels il était soumis, à l'instar d'une compagnie d'assurances, au contrôle de la chambre des assurances. En outre, le fait que le fonds sectoriel de pension avait, dans certaines circonstances, l'obligation ou la faculté de dispenser des entreprises de l'affiliation impliquait que ce fonds exerçait une activité économique en concurrence avec les compagnies d'assurances (voir arrêts précités Albany, points 81 à 84, Brentjens', points 81 à 84, et Drijvende Bokken, points 71 à 74).
113. Tel est également le cas du fonds professionnel de pension en cause au principal.
114. En effet, le Fonds détermine lui-même le montant des cotisations et des prestations et fonctionne selon le principe de la capitalisation. Dès lors, le montant des prestations fournies par le Fonds dépend des résultats financiers des placements qu'il effectue et pour lesquels il est soumis, à l'instar d'une compagnie d'assurances, au contrôle de la chambre des assurances.
115. Il résulte de ces caractéristiques, auxquelles s'ajoutent en outre, d'une part, le fait que les médecins spécialistes peuvent choisir de constituer leur pension de référence auprès du Fonds ou auprès d'une compagnie d'assurances dûment autorisée et, d'autre part, le pouvoir de ce dernier d'accorder, à certaines catégories de médecins spécialistes, une dispense d'affiliation en ce qui concerne les autres éléments du régime de pension, que le Fonds exerce une activité économique en concurrence avec les compagnies d'assurances.
116. Il y a donc lieu de conclure qu'un organisme tel que le Fonds constitue une entreprise au sens des articles 85, 86 et 90 du traité.
117. L'absence de but lucratif ainsi que les éléments de solidarité invoqués par le Fonds et les gouvernements intervenants ne suffisent pas à enlever au Fonds sa qualité d'entreprise au sens des règles du traité relatives à la concurrence(voir arrêts précités Albany, point 85; Brentjens', point 85, et Drijvende Bokken, point 75).
118. Certes, la poursuite d'une finalité sociale, les éléments de solidarité susmentionnés ainsi que les restrictions ou contrôles relatifs aux investissements réalisés par le Fonds sont susceptibles de rendre le service fourni par ce dernier moins compétitif que le service comparable fourni par les compagnies d'assurances. Si de telles contraintes n'empêchent pas de considérer l'activité exercée par le Fonds comme une activité économique, elles pourraient justifier le droit exclusif d'un tel organisme de gérer un régime de pension complémentaire (voir arrêts précités Albany, point 86; Brentjens', point 86, et Drijvende Bokken, point 76).
119. Il convient dès lors de répondre à la première question qu'un fonds de pension, tel que celui en cause au principal, qui détermine lui-même le montant des cotisations et des prestations et fonctionne selon le principe de la capitalisation, qui a été chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire, instauré par une organisation représentative des membres d'une profession libérale, et auquel l'affiliation a été rendue obligatoire par les pouvoirs publics pour tous les membres de cette profession, est une entreprise au sens des articles 85, 86 et 90 du traité.
Sur la troisième question
120. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 86 et 90 du traité s'opposent à ce que les pouvoirs publics confèrent à un fonds de pension le droit exclusif de gérer le régime de pension complémentaire des membres d'une profession libérale.
121. Il résulte de la réponse apportée à la première question que, en ce qui concerne la constitution de la pension de référence, le Fonds constitue une entreprise au sens des articles 85, 86 et 90 du traité et qu'il opère en concurrence avec les compagnies d'assurances. Pour cette partie du régime de pension complémentaire, le Fonds ne détient dès lors aucun droit exclusif au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité.
122. En revanche, la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation au Fonds en ce qui concerne le second volet du régime de pension, lequel comprend le mécanisme d'indexation, les droits à pension rétroactifs, la continuation de la constitution de la pension en cas d'invalidité et les prestations complémentaires pour les survivants, implique nécessairement l'octroi au Fonds du droit exclusif de recouvrer et de gérer les cotisations versées en vue de la constitution des droits précités. Un tel fonds doit dès lors être considéré comme une entreprise investie par les pouvoirs publics de droits exclusifs au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité.
123. Dans ces conditions, il convient d'examiner si le Fonds détient une position dominante sur une partie substantielle du Marché commun.
124. Le Fonds et le gouvernement néerlandais font valoir à cet égard que le Fonds ne détient aucune position dominante au sens de l'article 86 du traité. Le marché des pensions complémentaires des médecins spécialistes indépendants établis aux Pays-Bas ne constituerait pas un marché de services distinct de celui de l'ensemble des pensions complémentaires dans cet État membre.
125. Il suffit de constater à cet égard, ainsi que l'a relevé à juste titre la Commission, que l'octroi au Fonds du droit exclusif de gérer le second volet du régime professionnel de pension complémentaire des médecins spécialistes établis aux Pays-Bas a pour conséquence que ceux-ci n'ont pas la possibilité de constituer cette partie de leur régime de pension auprès d'un autre assureur.
126. Le Fonds détient dès lors un monopole légal de fourniture de certains services en matière d'assurance dans un secteur professionnel d'un État membre et, partant, sur une partie substantielle du marché commun. Il doit, à ce titre, être considéré comme occupant une position dominante au sens de l'article 86 du traité (voir arrêts du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C-179-90, Rec. p. I-5889, point 14, et du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM, C-18-88, Rec. p. I-5941, point 17).
127. Il importe toutefois d'ajouter que le simple fait de créer une position dominante par l'octroi de droits exclusifs au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité n'est pas, en tant que tel, incompatible avec l'article 86 de celui-ci. Un État membre n'enfreint les interdictions édictées par ces deux dispositions que lorsque l'entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits exclusifs qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus (arrêts Höfner et Elser, précité, point 29; du 18 juin 1991, ERT, C-260-89, Rec. p. I-2925, point 37; Merci convenzionali porto di Genova, précité, points 16 et 17; du 5 octobre 1994, Centre d'insémination de la Crespelle, C-323-93, Rec. p. I-5077, point 18, et du 12 février 1998, Raso e.a., C-163-96, Rec. p. I-533, point 27). Ainsi qu'il résulte du point 31 de l'arrêt Höfner et Elser, précité, une telle pratique abusive contraire à l'article 90, paragraphe 1, du traité existe, notamment, lorsqu'un État membre confère à une entreprise un droit exclusif d'exercer certaines activités et crée une situation dans laquelle cette entreprise n'est manifestement pas en mesure de satisfaire la demande que présente le marché pour ce genre d'activités.
128. Or, il ne ressort pas du dossier transmis par la juridiction nationale ni des observations écrites ou orales présentées par le Fonds, par les gouvernements qui sont intervenus à la procédure et par la Commission que le Fonds serait, par le simple exercice du droit exclusif qui lui a été conféré, amené à exploiter sa position dominante de façon abusive ou que les prestations de pension offertes par le Fonds ne correspondraient pas aux besoins des médecins spécialistes.
129. Il y a lieu de relever à cet égard que M. Pavlov e.a. n'avaient pas manifesté le souhait de constituer leur pension complémentaire auprès d'une compagnie d'assurances; ils prétendaient relever non du Fonds, mais d'un autre fonds professionnel de pension, auquel l'affiliation avait également été rendue obligatoire.
130. Il convient dès lors de répondre à la troisième question que les articles 86 et 90 du traité ne s'opposent pas à ce que les pouvoirs publics confèrent à un fonds de pension le droit exclusif de gérer le régime de pension complémentaire des membres d'une profession libérale.
Sur les dépens
131. Les frais exposés par les gouvernements néerlandais, hellénique et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par le Kantongerecht te Nijmegen, par ordonnances du 8 mai 1998, dit pour droit:
1) Les articles 5 et 85 du traité CE (devenus articles 10 CE et 81 CE) ne s'opposent pas à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande d'une organisation représentative des membres d'une profession libérale, l'affiliation à un fonds professionnel de pension.
2) Un fonds de pension, tel que celui en cause au principal, qui détermine lui-même le montant des cotisations et des prestations et fonctionne selon le principe de la capitalisation, qui a été chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire, instauré par une organisation représentative des membres d'une profession libérale, et auquel l'affiliation a été rendue obligatoire par les pouvoirs publics pour tous les membres de cette profession, est une entreprise au sens des articles 85 du traité, 86 et 90 du traité CE (devenus articles 82 CE et 86 CE).
3) Les articles 86 et 90 du traité ne s'opposent pas à ce que les pouvoirs publics confèrent à un fonds de pension le droit exclusif de gérer le régime de pension complémentaire des membres d'une profession libérale.