CJCE, 27 juin 2000, n° C-404/97
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République portugaise
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Moitinho de Almeida, Edward, Sevón (rapporteur), Schintgen
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer.
Juges :
MM. Kapteyn, Gulmann, Jann, Ragnemalm, Wathelet, Skou
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 2 décembre 1997, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE), un recours visant à faire constater que, en omettant de supprimer et d'exiger, dans les délais impartis, la récupération des aides dont EPAC - Empresa Para a Agroalimentação e Cereais SA (ci-après "EPAC") a indûment bénéficié, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE et de la décision 97-762-CE de la Commission, du 9 juillet 1997, relative aux mesures prises par le Portugal en faveur de EPAC - Empresa Para a Agroalimentação e Cereais, SA (JO L 311, p. 25, ci-après la "décision litigieuse").
2. Ainsi qu'il ressort du préambule de la décision litigieuse, avant l'adhésion de la République portugaise aux Communautés européennes, la commercialisation des céréales dans cet État relevait d'un monopole public géré par EPAC. Après l'adhésion, ce monopole a été progressivement démantelé. À partir de 1991, le marché des céréales a été libéralisé et EPAC transformée en société anonyme à capital public. EPAC est toutefois restée tenue de garantir l'approvisionnement du pays en céréales.
3. EPAC présentait une situation patrimoniale déséquilibrée avec un excès d'actifs fixes et une insuffisance de capitaux propres pour le financement de l'activité courante. En outre, son personnel était trop important et sa situation financière était aggravée par le non-paiement par Silopor, une société de capitaux exclusivement publics constituée par le décret-loi n° 293-A-86 par détachement d'actif, de passif et de capital d'EPAC, du montant de la cession de silos portuaires.
4. À partir du mois d'avril 1996, EPAC a renoncé au paiement de la plupart de ses charges financières, le niveau d'endettement et l'importance de ses charges étant tels qu'il lui était devenu impossible de les assurer par ses propres moyens.
5. Par décision interministérielle du 26 juillet 1996, un plan de rentabilisation économique et d'assainissement financier d'EPAC a été adopté, dans le cadre duquel EPAC a été autorisée à négocier un emprunt à concurrence de 50 milliards de PTE, dont 30 milliards bénéficieraient de la garantie de l'État.
6. Par décision n° 430-96-XIII, du 30 septembre 1996, le ministre des Finances a accordé cette garantie dans le cadre d'un prêt obtenu par EPAC auprès d'un groupe de banques privées dans le but de restructurer le passif bancaire à court terme d'EPAC. Ce prêt a été consenti pour une durée de sept ans à un taux d'intérêt Lisbor 6 mois pour la partie garantie, et Lisbor 6 mois + 1,2 % pour la partie non garantie.
7. Ayant été informée de cette opération par une plainte, la Commission a décidé, par lettre du 27 février 1997 adressée aux autorités portugaises, d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité. Elle a en effet considéré que la garantie d'État ne respectait pas les dispositions de la lettre de la Commission aux États membres SG(89) D 4328, du 5 avril 1989, concernant la subordination des garanties à des obligations spécifiques. Elle a également estimé que les taux d'intérêts des emprunts, sensiblement inférieurs aux taux de référence, comportaient un élément d'aide, étant donné qu'une entreprise en situation financière difficile comme EPAC ne pourrait, dans des circonstances normales de marché, obtenir des prêts à des conditions plus favorables que celles offertes aux opérateurs en situation financière équilibrée. Elle a, par ailleurs, indiqué que le mécanisme de consolidation du passif d'EPAC semblait constituer une aide avec de fortes répercussions en faveur de Silopor. Elle aenfin estimé que la garantie d'État en faveur d'EPAC ne remplissait pas les conditions pour pouvoir être compatible avec le marché commun à la lumière des critères communautaires pour les aides à la restructuration des entreprises en difficulté. Vu l'affectation des échanges et la distorsion de la concurrence qui en résultaient, la Commission a considéré que l'aide tombait sous l'interdiction de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE), sans pouvoir bénéficier d'aucune des dérogations prévues aux paragraphes 2 et 3 de cet article.
8. La Commission a, par cette même lettre, mis la République portugaise en demeure de présenter ses observations et lui a demandé de prendre toutes les mesures nécessaires afin de suspendre, avec effet immédiat, l'effet de la garantie octroyée à EPAC pour toute nouvelle activité commerciale de celle-ci sur le marché des céréales.
9. Par lettre du 21 mars 1997, la République portugaise a fait valoir qu'aucune intervention de l'administration publique n'avait eu lieu dans la négociation des prêts accordés par les banques à EPAC. Par lettre du 8 avril 1997, elle a présenté des observations, résumées aux points 6 à 8 de la décision litigieuse, au sujet des mesures contestées.
10. Le 30 avril 1997, la Commission a adopté la décision 97-433-CE, demandant au gouvernement portugais de suspendre l'aide sous forme de garantie d'État octroyée à l'entreprise EPAC - Empresa Para a Agroalimentação e Cereais, SA (JO L 186 p. 25). Le 7 juillet 1997, deux recours en annulation ont été introduits à l'encontre de cette décision par la République portugaise (C-246-97) et par EPAC (T-204-97).
11. Par lettre du 21 mai 1997, les autorités portugaises, sans faire état d'aucune mesure prise pour cette suspension, ont contesté le caractère d'aide de la garantie octroyée qui ne constituerait pas, selon elles, une aide financière au fonctionnement de l'entreprise et n'aurait donc pas faussé les conditions de concurrence. Par ailleurs, il n'aurait pas été démontré comment et dans quelle mesure l'octroi de cette garantie serait de nature à affecter les échanges commerciaux entre les États membres. Elles ont indiqué à nouveau que l'État n'était pas intervenu dans la négociation des prêts bancaires contractés par EPAC auprès des institutions financières dans le cadre de son activité courante.
12. À la suite des réponses des autorités portugaises, la Commission a décidé de clôturer la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité et a adopté la décision litigieuse dans laquelle elle a constaté que la garantie de l'État en faveur d'EPAC constituait une aide au profit de cette entreprise, puisqu'elle lui avait permis d'obtenir des conditions de prêt plus favorables que celles qu'elle aurait pu obtenir sans cette garantie, compte tenu de sa situation financière difficile [point 13, sous d), de la décision litigieuse]. Elle a également estimé que la garantie d'État en faveur d'EPAC constituait une aide indirecte au profit de Silopor, puisqu'elle permettait à EPAC de ne pas exiger la satisfaction de ses créances sur celle-ci [point 13, sous c), de la décision litigieuse].
13. Ayant relevé, d'une part, que la valeur monétaire des échanges de céréales, en ce qui concerne le Portugal, s'élevait en 1996 à environ 5,8 millions d'écus pour les exportations et 310 millions d'écus pour les importations et, d'autre part, qu'EPAC était un opérateur actif dans le commerce tant intra-communautaire qu'extra-communautaire de céréales, la Commission en a déduit que la garantie octroyée était susceptible d'affecter les échanges entre les États membres et qu'elle faussait ou menaçait de fausser la concurrence (point 11 de la décision litigieuse).
14. Elle a ensuite constaté que les dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 2, du traité n'étaient manifestement pas applicables en l'espèce et qu'il n'existait pas de justification permettant d'établir que les aides en cause remplissaient les conditions requises pour l'application de l'une des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, du traité (point 12 de la décision litigieuse).
15. La Commission a, en particulier, considéré que la garantie ne répondait pas aux critères définis dans les lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté (JO 1994, C 368, p. 12) au motif que "le taux d'intérêt des emprunts obtenus par EPAC est bonifié grâce à la garantie", que "la durée prévue pour l'opération de crédit est de sept ans (dépassant très largement la règle générale établie de six mois)", que, "En outre, il est difficile de justifier qu'une garantie d'État d'une telle dimension financière soit le montant strictement nécessaire à l'exploitation courante de l'entreprise" et que, "Finalement, aucune justification sociale pressante en faveur du maintien de l'activité de l'entreprise n'a été invoquée par le gouvernement portugais pour l'octroi de l'aide ou décelée par la Commission" [point 13, sous b)].
16. C'est dans ces conditions que les articles 1er, 2 et 3 de la décision litigieuse disposent:
"Article premier
Les aides octroyées par le gouvernement portugais à EPAC sont illégales, étant donné qu'elles ont été octroyées en violation des règles de procédure visées à l'article 93 paragraphe 3 du traité. En outre, elles sont incompatibles avec le marché commun au titre de l'article 92 paragraphe 1 du traité et ne répondent pas aux conditions des dérogations prévues aux paragraphes 2 et 3 dudit article.
Article 2
1. Le Portugal est tenu de supprimer les aides visées à l'article 1er dans un délai de quinze jours à compter de la date de la notification de la présente décision.
2. Dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la présente décision, le Portugal prend les mesures nécessaires afin de récupérer, par voie de recouvrement, les aides visées à l'article 1er.
3. Le recouvrement se fera conformément aux procédures prévues par la législation portugaise, les intérêts commençant à courir à la date à laquelle les aides ont été versées. Le taux d'intérêt qui doit être appliqué est le taux de référence utilisé pour le calcul de l'équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale.
Article 3
1. Le Portugal tient la Commission constamment informée des mesures adoptées pour se conformer à la présente décision. La première communication sera faite au plus tard un mois après la notification de la présente décision.
2. Au plus tard deux mois après l'expiration du délai prévu à l'article 2 paragraphe 2, le Portugal communique à la Commission les informations qui permettent à celle-ci de vérifier, sans enquête supplémentaire, que l'obligation de récupération a été accomplie."
17. La République portugaise et EPAC ont, par requêtes déposées respectivement au greffe de la Cour le 23 septembre 1997 (C-330-97) et au greffe du Tribunal le 14 octobre 1997 (T-270-97), introduit deux recours en annulation contre la décision litigieuse.
18. Par deux ordonnances du 15 décembre 1998, la Cour a décidé de suspendre la procédure dans les affaires C-246-97 et C-330-97 jusqu'au prononcé des arrêts du Tribunal dans les affaires T-204-97 et T-270-97.
19. Estimant que, malgré l'écoulement des délais prescrits, la République portugaise ne s'était pas conformée à la décision litigieuse et qu'elle n'avait pas fait valoir d'impossibilité absolue de s'y conformer ni d'autres difficultés relatives à son exécution, la Commission a introduit le présent recours.
20. La Commission indique tout d'abord que, même si la République portugaise considérait la décision litigieuse illégale et avait introduit un recours en annulation à son encontre, elle était tenue de s'y conformer dans les délais impartis. En effet, conformément à l'article 189, quatrième alinéa, du traité CE (devenu article 249, quatrième alinéa, CE), une décision de la Commission reste obligatoire en tous ses éléments pour l'État destinataire jusqu'à la décision contraire de la Cour.
21. Elle estime ensuite que le seul argument qu'un État membre peut faire valoir pour ne pas exécuter une décision de la Commission ordonnant la suppression et la récupération d'aides d'État déclarées incompatibles avec le traité est celui tiré de l'impossibilité absolue d'exécution. Or, la République portugaise n'aurait, en l'espèce, invoqué aucune impossibilité de ce type.
22. En réponse à l'argument soulevé par le gouvernement portugais, tiré de la nécessité d'une décision du Supremo Tribunal Administrativo déclarant la nullité de la décision n° 430-96-XIII, précitée, la Commission souligne encore qu'il est constant qu'un État membre ne peut invoquer des règles, pratiques ou situations de son ordre juridique national pour justifier le non-respect des obligations et des délais fixés par le droit communautaire (arrêt du 21 février 1990, Commission/Belgique, C-74-89, Rec. p. I-491, publication sommaire).
23. Elle rappelle par ailleurs que, en cas de difficultés imprévues, elle-même et l'État membre concerné doivent, conformément au devoir de coopération loyale résultant de l'article 5 du traité CE (devenu article 10 CE) collaborer de bonne foi pour surmonter les difficultés rencontrées. Or, en l'espèce, la République portugaise n'a, selon la Commission, ni tenté d'exécuter la décision litigieuse, ni tenté d'établir l'existence de difficultés imprévues ou imprévisibles liées à son exécution, ni discuté des modalités de son exécution, mais elle s'est contentée d'introduire deux recours en annulation à l'encontre de la décision 97-433 et de la décision litigieuse.
24. Le gouvernement portugais souligne tout d'abord que, compte tenu des conditions dans lesquelles la garantie a été octroyée aux créanciers d'EPAC, celle-ci ne pouvait constituer une aide d'État au sens de l'article 92 du traité.
25. S'il admet que, lorsqu'un recours est pendant contre une décision attaquée, le non-respect de cette dernière pourrait constituer une violation du droit communautaire, il soutient que tel n'est pas le cas en l'espèce, car il se trouvait dans l'impossibilité absolue d'exécuter la décision litigieuse.
26. À cet égard, il affirme, en premier lieu, que la décision litigieuse comporte certaines contradictions rendant son exécution matériellement impossible.
27. Le gouvernement portugais relève tout d'abord que, tandis que, dans la motivation de la décision litigieuse, la Commission fait référence à une seule mesure constitutive d'une aide d'État, à savoir la garantie donnée par la République portugaise aux créanciers d'EPAC, les articles 1er et 2 font référence à des aides, en employant la forme plurielle.
28. Il fait ensuite valoir que la portée des injonctions indiquées à l'article 2 de la décision litigieuse de supprimer et de récupérer les aides est incompréhensible, compte tenu de la motivation de cette décision et du fait que la Commission admet que la garantie consentie au profit d'EPAC n'impliquait aucun versement ni aucun transfert direct ou indirect à EPAC de ressources d'État. Dès lors, la République portugaise affirme ne pas comprendre en quoi pourrait consister la récupération de la garantie.
29. Le gouvernement portugais soutient, en second lieu, que l'exécution de la décision litigieuse est également juridiquement impossible.
30. À cet égard, il souligne tout d'abord qu'il ne peut unilatéralement retirer la garantie accordée par voie contractuelle. En effet, le retrait unilatéral de cette garantie conduirait les banques créancières non seulement à exiger le paiement immédiat par EPAC de l'intégralité de sa dette, ce qui entraînerait la faillite d'EPAC, mais également à mettre en cause la responsabilité de l'État.
31. Ce gouvernement considère encore que le retrait unilatéral voulu par la Commission constituerait une violation du principe de proportionnalité au motif que la suppression de la garantie porterait gravement atteinte à la concurrence en éliminant du marché le principal opérateur portugais qui détient environ 30 % de parts de marché.
32. Il affirme également que la suppression de la garantie ne peut résulter que d'un accord avec les banques créancières d'EPAC, ce qui serait manifestement exclu puisque ces banques ne consentiraient pas, faute de garantie suffisante, à renoncer à une garantie qui a déterminé leur volonté de contracter, ou d'une décision judiciaire annulant l'acte d'octroi par l'État. La République portugaise indique à cet égard qu'elle a introduit un recours devant le Supremo Tribunal Administrativo visant à obtenir l'annulation de la décision n° 430-96-XIII, précitée. Elle précise que, si celui-ci n'a pas encore statué, c'est en raison de l'existence du recours en annulation pendant devant la Cour dans l'affaire C-330-97.
33. Enfin, le gouvernement portugais prétend avoir tenté de trouver avec la Commission une solution acceptable pour chacune des parties, et ce conformément à l'obligation de coopération loyale qui pèse sur elles en vertu de l'article 5 du traité. Il indique, notamment, avoir informé la Commission, par lettre du 10 décembre 1997, du retrait d'EPAC des adjudications d'importations de céréales.
34. À titre liminaire, il convient de rappeler que le système des voies de recours établi par le traité distingue les recours visés aux articles 169 et 170 du traité CE (devenus articles 226 et 227 CE), qui tendent à faire constater qu'un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent, et les recours visés aux articles 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE) et 175 du traité CE (devenu article 232 CE), qui tendent à faire contrôler la légalité des actes ou des abstentions des institutions communautaires. Ces voies de recours poursuivent des objectifs distincts et sont soumises à des modalités différentes. Un État membre ne saurait donc utilement, en l'absence d'une disposition du traité l'y autorisant expressément, invoquer l'illégalité d'une décision dont il est destinataire comme moyen de défense à l'encontre d'un recours en manquement fondé sur l'inexécution de cette décision(arrêts du 30 juin 1988, Commission/Grèce, 226-87, Rec. p. 3611, point 14, et du 27 octobre 1992, Commission/Allemagne, C-74-91, Rec. p. I-5437, point 10).
35. Il ne pourrait en être autrement que si l'acte en cause était affecté de vices particulièrement graves et évidents, au point de pouvoir être qualifié d'acte inexistant (arrêts du 30 juin 1988, Commission/Grèce, précité, point 16, et du 27 octobre 1992, Commission/Allemagne, précité, point 11).
36. Cette constatation s'impose également dans le cadre d'un recours en manquement fondé sur l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité.
37. À cet égard, force est de constater que, si le gouvernement portugais a contesté la qualification d'aide de la garantie octroyée à EPAC en se fondant sur un certain nombre de données factuelles, il n'a en revanche invoqué aucun vice de nature à mettre en cause l'existence même de l'acte.
38. Il y a lieu ensuite de rappeler qu'il résulte d'une jurisprudence constante que la suppression d'une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité et que cette conséquence ne saurait dépendre de la forme dans laquelle l'aide a été octroyée (voir, notamment, arrêt du 10 juin 1993, Commission/Grèce, C-183-91, Rec. p. I-3131, point 16).
39. La Cour a également jugé que le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l'article 93, paragraphe 2, du traité est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision (arrêt du 4 avril 1995, Commission/Italie, C-348-93, Rec. p. I-673, point 16).
40. Toutefois, un État membre qui, lors de l'exécution d'une décision de la Commission en matière d'aides d'État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de difficultés non envisagées par la Commission doit soumettre ces problèmes à l'appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l'État membre doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l'article 5 du traité, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité, et notamment de celles relatives aux aides (voir, notamment, arrêt du 2 février 1989, Commission/Allemagne, 94-87, Rec. p. 175, point 9).
41. En ce qui concerne la prétendue impossibilité matérielle d'exécuter la décision en raison de l'incompréhensibilité de son dispositif, soulevée par le gouvernement portugais, il convient de rappeler que le dispositif d'un acte est indissociable de sa motivation, en sorte qu'il doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, C-355-95 P, Rec. p. I-2549, point 21).
42. Dès lors, il convient tout d'abord de vérifier si, comme le prétend le gouvernement portugais, l'utilisation du pluriel au lieu du singulier dans le dispositif de la décision litigieuse était, compte tenu de la motivation retenue, incompréhensible, et donc de nature à rendre impossible l'exécution de ladite décision.
43. À cet égard, il convient de relever que la décision litigieuse porte effectivement sur la garantie accordée par la République portugaise par la décision n° 430-96-XIII, précitée. Certes, le dispositif de la décision litigieuse fait référence aux aides octroyées à EPAC; toutefois, cette imprécision terminologique n'est pas de nature à rendre la décision litigieuse incompréhensible et à en empêcher son exécution, dès lors que la mesure nationale contestée est clairement identifiée dans ladite décision. Il était par ailleurs loisible au gouvernement portugais, si cela s'avérait nécessaire, d'interroger à cet égard la Commission dès réception de la décision litigieuse.
44. S'agissant du caractère prétendument incompréhensible des injonctions visées à l'article 2 de la décision litigieuse au motif qu'il n'y aurait pas eu de transfert de ressources, il convient tout d'abord de rappeler qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que la notion d'aide est plus générale que celle de subvention, parce qu'elle comprend non seulement des prestations positives telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d'une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C-387-92, Rec. p. I-877, point 13, et du 19 mai 1999, Italie/Commission, C-6-97, Rec. p. I-2981, point 16).
45. Il s'ensuit que, sans préjuger de la légalité de l'aide qui sera examinée dans le cadre du recours en annulation, il suffit de rappeler que, pour qu'une mesure constitue une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, il n'est pas nécessaire qu'il y ait transfert de ressources de la part de l'État au bénéficiaire.
46. Par ailleurs, ainsi que la Cour l'a rappelé au point 38 du présent arrêt, l'obligation de supprimer une aide illégale par voie de récupération ne saurait dépendre de la forme dans laquelle elle a été octroyée.
47. Il y a lieu ensuite de relever que la motivation de la décision litigieuse permet d'identifier avec précision les aides considérées illégales et devant être supprimées, à savoir la garantie de l'État octroyée par la décision n° 430-96-XIII, précitée.
48. L'avantage financier devant être récupéré est défini au point 15, cinquième alinéa, de la décision comme étant "représenté par la différence entre le coût financier de marché d'emprunts bancaires (représenté par le taux de référence) et le coût financier effectivement payé par EPAC dans le cadre de l'opération financière (tenant compte du coût de la garantie)", calculé sur une périodicité semestrielle.
49. La décision litigieuse précise encore, en son point 15, sixième alinéa, que les intérêts doivent commencer à courir à partir de la date d'octroi des aides illégales en cause et que le taux d'intérêt qui doit être appliqué est le taux de référence utilisé pour le calcul de l'équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale.
50. Il résulte de cet examen que les termes de la décision litigieuse sont clairs, aisément compréhensibles, et que la République portugaise ne pouvait se méprendre ni quant à leur sens ni quant à leur portée.
51. S'agissant de la prétendue impossibilité juridique d'exécuter la décision litigieuse, le gouvernement portugais a affirmé, à propos de la suppression de la garantie, qu'un accord avec les banques créancières d'EPAC était manifestement exclu puisque celles-ci n'y consentiraient pas, faute de garantie, sans toutefois faire état d'aucune tentative de négociation avec ces dernières.
52. Or, il résulte d'une jurisprudence constante que la crainte de difficultés internes, même insurmontables, ne saurait justifier qu'un État membre ne respecte pas les obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 7 décembre 1995, Commission/France, C-52-95, Rec. p. I-4443, point 38; du 9 décembre 1997, Commission/France, C-265-95, Rec. p. I-6959, point 55, et du 29 janvier 1998, Commission/Italie, C-280-95, Rec. p. I-259, point 16).
53. Quant aux raisons qui rendraient impossible un retrait unilatéral de la garantie, il y a lieu de rappeler que les difficultés financières auxquelles des entreprises bénéficiaires d'une aide illégale pourraient se voir confrontées à la suite de sa suppression ne constituent pas un cas d'impossibilité absolue d'exécution de la décision de la Commission constatant l'incompatibilité de cette aide avec le Marché commun et ordonnant qu'elle soit restituée(arrêt du 7 juin 1988, Commission/Grèce, 63-87, Rec. p. 2875, point 14). Cette constatation s'impose également s'agissant du risque prétendument encouru par la République portugaise de voir sa responsabilité engagée, et ce pour les raisons mentionnées au point 52 du présent arrêt.
54. Dans la mesure où il met en cause le principe même de la suppression de la garantie posé par la décision litigieuse, l'argument tiré de la violation du principe de proportionnalité doit également être écarté dans le cadre du présent recours en manquement.
55. S'agissant de la nécessité d'attendre la décision du Supremo Tribunal Administrativo annulant la décision n° 430-96-XIII, précitée, alors que cette juridiction serait elle-même dans l'attente de l'issue du recours en annulation pendant devant la Cour contre la décision litigieuse, il y a lieu de rappeler que, si, en l'absence de dispositions communautaires portant sur la procédure de récupération des aides illégalement accordées, cette récupération doit avoir lieu, en principe, selon les dispositions pertinentes du droit national, ces dispositions doivent toutefois être appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible la récupération exigée par le droit communautaire et en prenant pleinement en considération l'intérêt de la Communauté (voir, notamment, arrêt du 2 février 1989, Commission/Allemagne, précité, point 12).
56. En tout état de cause, en réponse aux questions écrites qui lui avaient été adressées, le gouvernement portugais a reconnu qu'un arrêt du Supremo Tribunal Administrativo déclarant la nullité de la décision n° 430-96-XIII, précitée, n'était pas nécessaire pour récupérer l'avantage financier visé à la décision litigieuse.
57. Il convient par ailleurs de rappeler à cet égard que la décision litigieuse jouit d'une présomption de légalité et que, en dépit de l'existence du recours en annulation, elle demeure obligatoire dans tous ses éléments pour la République portugaise.
58. Enfin, pour ce qui concerne le retrait d'EPAC des adjudications de céréales, il suffit de constater que la Commission n'a été informée qu'en décembre 1997, soit après que les délais prévus à l'article 2 de la décision litigieuse eurent expiré et que le présent recours en manquement fut introduit.
59. Compte tenu de ce qui précède, il convient de constater que, en ne se conformant pas à la décision litigieuse, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.
Sur les dépens
60. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1. En ne se conformant pas à la décision 97-762-CE de la Commission, du 9 juillet 1997, relative aux mesures prises par le Portugal en faveur de EPAC - Empresa Para a Agroalimentação e Cereais, SA, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE.
2. La République portugaise est condamnée aux dépens.