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Décisions

TPICE, 4e ch., 30 mars 2000, n° T-65/96

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kish Glass & Co. (Ltd)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Pilkington United Kingdom (Ltd)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moura Ramos

Juges :

Mme Tiili, M. Mengozzi

Avocats :

Mes Byrne, Arendt, Medernach, Weitbrecht, Hansen, Loesch, Wolter.

Comm. CE, du 21 févr. 1996

21 février 1996

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (quatrième chambre),

Faits à l'origine du litige

1. Le 17 janvier 1992, Kish Glass & Co Ltd. (ci-après "Kish Glass" ou "requérante"), société de droit irlandais fournisseur de verre, a saisi la Commission d'une plainte au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), dans laquelle elle dénonçait l'abus de position dominante que Pilkington United Kingdom Ltd. (ci-après "Pilkington") et sa filiale allemande, Flabeg GmbH, auraient commis sur le marché irlandais du verre flotté de 4 mm en lui appliquant des conditions différentes de celles offertes à d'autres acheteurs pour des prestations équivalentes et en refusant de lui livrer ce type de verre au-delà d'une certaine limite, la plaçant ainsi dans une situation de concurrence désavantageuse.

2. Le 14 février 1992, la Commission a adressé une demande d'informations à la requérante, conformément à l'article 11 du règlement n° 17, à laquelle elle a répondu le 10 mars 1992.

3. Invitée par la Commission à prendre position sur cette plainte, Pilkington a fait valoir qu'elle n'occupait pas une position dominante sur le marché du verre flotté et qu'elle appliquait un système de remises fondé sur l'importance du client, sur les délais de paiement et sur la quantité achetée.

4. Le 1er juillet 1992, la requérante a soumis à la Commission ses commentaires sur les observations de Pilkington. Elle a maintenu que le système de classification des clients utilisé par Pilkington était discriminatoire et que cette dernière était, avec une part de marché supérieure à 80 %, le premier fournisseur de verre flotté de 4 mm en Irlande, marché géographique pertinent dans l'appréciation de la position dominante qu'elle occuperait.

5. Le 9 juillet 1992, la Commission a répondu à la requérante qu'un système de remises fondé sur un classement des clients par catégories et sur la quantité n'était pas discriminatoire. La requérante a transmis ses observations sur ces affirmations le 10 août 1992.

6. Le 18 novembre 1992, la Commission a adressé à la requérante une lettre au titre de l'article 6 de son règlement n° 99-63-CEE, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"), dans laquelle elle exposait qu'il n'existait pas de fondement suffisant pour donner une suite favorable à sa plainte et l'invitait à fournir d'éventuelles observations complémentaires en vue de sa prise de position définitive. Kish Glass a déféré à cette invitation.

7. A la suite d'une réunion informelle qui s'est tenue le 27 avril 1993, la Commission a informé la requérante, par lettre du 24 juin 1993, que ses observations ne contenaient aucun élément de fait ou de droit de nature à affecter les conclusions contenues dans sa lettre du 18 novembre 1992. Toutefois, la Commission lui a fait part de son intention d'adresser à Pilkington une demande d'informations conformément à l'article 11 du règlement n° 17, et lui a indiqué qu'elle serait informée de la suite de la procédure.

8. Le 3 décembre 1993, la Commission a transmis à la requérante une version non confidentielle de la réponse de Pilkington à cette demande d'informations.

9. Par lettres du 16 février et du 1er mars 1994, Pilkington a exposé à la Commission son point de vue sur la définition du marché géographique concerné et sur la prétendue position dominante qu'elle y occuperait.

10. Par deux lettres datées du 8 mars 1994 adressées à la Commission, Kish Glass a confirmé son point de vue sur la définition du marché géographique pertinent, qui serait le marché irlandais, et sur le prétendu abus de position dominante que Pilkington aurait commis sur le marché spécifique du verre flotté de 4 mm. Elle a également fourni à la Commission des renseignements sur les prix pratiqués par Pilkington sur le marché irlandais.

11. Les 24 et 27 mai 1994, la requérante a soumis à la Commission d'autres éléments, qui établiraient que les frais de transport de l'Europe continentale vers l'Irlande sont beaucoup plus élevés que ceux du Royaume-Uni vers l'Irlande et, qui démontreraient, l'existence d'un marché géographique local.

12. Par lettre du 10 juin 1994, Pilkington a fait connaître à la Commission son désaccord sur les renseignements relatifs aux frais de transport fournis par la requérante.

13. Après avoir recueilli des informations auprès d'autres fabricants de verre de la Communauté, la Commission a adressé à la requérante, le 19 juillet 1995, une seconde lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, dans laquelle elle confirmait que le marché du produit concerné était celui de la vente de verre flotté de toutes épaisseurs aux distributeurs, que le marché géographique pertinent couvrait l'ensemble de la Communauté et que Pilkington n'y occupait pas une position dominante.

14. Le 31 août 1995, la requérante a présenté ses observations sur cette seconde lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, par lesquelles elle contestait à nouveau tant la définition du marché géographique et du marché du produit retenue par la Commission que son appréciation de la position dominante détenue par Pilkington.

15. Entre le 31 octobre et le 3 novembre 1995, la Commission s'est renseignée auprès de huit importateurs de verre établis en Irlande, par téléphone et par télécopie, sur les méthodes d'achat de verre flotté de 4 mm.

16. Le 14 novembre 1995, la Commission a envoyé des demandes d'informations, conformément à l'article 11 du règlement n° 17, à des sociétés opérant sur le marché irlandais, y compris la requérante et Pilkington, aux fins d'obtenir des renseignements sur la quantité de verre flotté de 4 mm vendue en Irlande, sur les épaisseurs du verre vendu et sur les prix de transport vers la zone de Dublin.

17. Le 18 décembre 1995, la Commission a transmis à la requérante cinq réponses de sociétés verrières qui ont été réceptionnées le 22 décembre 1995. Le 7 février 1996, la Commission lui a adressé cinq autres réponses de sociétés verrières, qui lui sont parvenues le 12 février 1996.

18. Par décision du 21 février 1996, la Commission a définitivement rejeté la plainte déposée par Kish Glass (affaire IV-34.193 Kish Glass) (ci-après "décision attaquée"), laquelle est parvenue à la requérante le 1er mars 1996. La Commission y maintient sa position précédente, à savoir que le marché du produit concerné est constitué par la vente de verre flotté de toutes épaisseurs aux distributeurs, que le marché géographique concerné couvre la Communauté considérée dans son ensemble, ou tout au moins la partie nord de la Communauté, et que Pilkington n'y occupe pas une position dominante.

Procédure

19. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 mai 1996, Kish Glass a introduit le présent recours.

20. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 1996, Pilkington a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la partie défenderesse. Par ordonnance du 30 juin 1997, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis cette intervention.

21. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Il a toutefois invité la Commission à répondre à certaines questions écrites, auxquelles la Commission a répondu en date du 22 mars 1999.

22. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 28 avril 1999.

Conclusions des parties

23. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

annuler la décision adoptée par la Commission, le 21 février 1996, dans l'affaire IV-34.193 Kish Glass;

condamner la Commission aux dépens.

24. La défenderesse, soutenue par l'intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

rejeter le recours;

condamner la requérante aux dépens.

En droit

25. Au soutien de son recours, la requérante soulève cinq moyens. Par un premier moyen, qui se subdivise en deux branches, elle fait grief à la Commission, d'une part, d'avoir violé ses droits de la défense et, d'autre part, d'avoir violé le principe de sécurité juridique et commis un détournement de pouvoir. Par son deuxième moyen, elle reproche à la défenderesse d'avoir méconnu les règles de procédure. Son troisième moyen est pris d'une violation des formes substantielles et du principe de sécurité juridique. Par ses quatrième et cinquième moyens, elle fait grief à la Commission d'avoir commis une erreur manifeste d'appréciation dans la détermination, d'une part, du marché du produit pertinent et, d'autre part, du marché géographique.

Sur le premier moyen, tiré d'une violation des droits de la défense de la requérante et du principe de sécurité juridique, ainsi que d'un détournement de pouvoir

Arguments des parties

26. La requérante fait valoir, en premier lieu, que la Commission ne lui a pas accordé un délai suffisant lui permettant de présenter son point de vue, violant ainsi ses droits de la défense. Elle soutient, en second lieu, que la Commission, en recueillant des informations suivant des modalités non prévues par le règlement n° 17, a commis un détournement de pouvoir et violé le principe de sécurité juridique.

Sur la violation des droits de la défense de la requérante

27. La requérante souligne, d'une part, que la Commission a demandé par lettre du 14 novembre 1995 aux sociétés irlandaises de lui fournir des informations sur la quantité, les dimensions et les épaisseurs du verre flotté vendu sur le marché irlandais et sur les marchés de l'Europe continentale. La requérante a reçu copie des réponses des sociétés irlandaises le 22 décembre 1995 et le 12 février 1996 sur lesquelles est fondée la décision attaquée, adoptée le 21 février 1996. Le contenu des réponses aurait été susceptible d'étayer sa thèse, mais la Commission lui aurait laissé un délai trop court (neuf jours) pour commenter l'ensemble des réponses des sociétés irlandaises, l'empêchant ainsi d'exercer ses droits de la défense.

28. La requérante rappelle, d'autre part, que, dans sa jurisprudence, la Cour de justice a établi que la protection des droits de la défense constitue un principe fondamental qui doit être garanti, même en l'absence de règles spécifiques, dans toute procédure susceptible d'aboutir à une mesure défavorable à une personne. Dans le cadre de la mise en œuvre des droits de la défense, la Commission aurait, d'ailleurs, établi des règles régissant l'accès au dossier tant pour le défendeur que pour le plaignant. En outre, la jurisprudence du Tribunal, tant en matière de concurrence qu'en matière de dumping, a précisé que découle implicitement du droit d'accès au dossier un droit de commenter les pièces le composant.

29. La Commission fait valoir que les documents annexés à la requête démontrent que, au cours de l'instruction de sa plainte, la requérante a eu plusieurs fois l'occasion de lui présenter son point de vue; en particulier, entre l'introduction de la plainte et la lettre qui lui a été envoyée le 19 juillet 1995, la requérante a saisi, à neuf reprises, l'occasion de présenter ses observations. A cet égard, la Commission précise que des copies non confidentielles des réponses de Pilkington et de quatre importateurs irlandais de verre ont été envoyées, le 18 décembre 1995, à la requérante, soit deux mois avant l'adoption de la décision attaquée; deux de ces quatre entreprises figuraient parmi les trois principaux importateurs et les deux autres parmi les plus petits importateurs de verre. De plus, des copies non confidentielles des cinq autres réponses auraient été envoyées à la requérante le 7 février 1996: ces réponses corroboraient les renseignements qu'elle avait obtenus lors de ses enquêtes téléphoniques, effectuées entre le 31 octobre et le 3 novembre 1995, renseignements qui ont été communiqués à la requérante. Cette dernière aurait bénéficié de deux semaines supplémentaires pour présenter ses observations sur les dernières réponses. La requérante aurait été pleinement informée de son droit de faire connaître son point de vue sur les documents versés au dossier, auxquels elle avait accès, il n'était donc pas nécessaire qu'une invitation formelle en ce sens lui soit adressée.

Sur le détournement de pouvoir et la violation du principe de sécurité juridique

30. La requérante relève que, pendant la procédure écrite, la Commission a expliqué que les demandes de renseignements envoyées le 14 novembre 1995 aux entreprises irlandaises ne visaient qu'à obtenir les preuves documentaires des réponses qu'elles avaient déjà données par télécopie et par téléphone. Elle fait valoir que la méthode choisie par la Commission pour obtenir les renseignements dont elle avait besoin, à savoir par téléphone puis par écrit, n'est pas prévue à l'article 11, paragraphes 2 à 6, du règlement n° 17 et, partant, est incompatible avec ces dernières dispositions. La Commission aurait, ainsi, commis un détournement de pouvoir et porté atteinte au principe de sécurité juridique.

31. La Commission estime que l'article 11 du règlement n° 17 n'exclut pas la possibilité d'obtenir des informations oralement, en les faisant suivre par des demandes de renseignements officielles.

Appréciation du Tribunal

Sur la violation des droits de la défense de la requérante

32. Selon une jurisprudence bien établie, le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré même en absence d'une réglementation spécifique. Ce principe exige que l'entreprise intéressée ait été mise en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (voir, notamment, arrêts de la Cour du 14 février 1990, France-Commission, C-301-87, Rec. p. I-307, point 29, du 12 février 1992, Pays-Bas ea-Commission, C-48-90 et C-66-90, Rec. p. I-565, point 37, du 29 juin 1994, Fiskano-Commission, C-135-92, Rec. p. I-2885, points 39 et 40, et du 14 mai 1998, Windpark Groothusen-Commission, C-48-96 P, Rec. p. I-2873, point 47).

33. Toutefois, il convient d'observer que ce principe concerne les droits de la défense de personnes contre lesquelles la Commission dirige son enquête. Or, comme la Cour l'a déjà fait observer, une telle enquête ne constitue pas une procédure contradictoire entre les entreprises intéressées, mais une procédure engagée par la Commission, d'office ou à la suite d'une demande, dans l'exercice de sa mission de veiller au respect des règles de concurrence. Il s'ensuit que les entreprises contre lesquelles la procédure est engagée et celles qui ont introduit une demande au titre de l'article 3 du règlement n° 17, en justifiant d'un intérêt légitime à voir cesser une violation alléguée, ne se trouvent pas dans la même situation procédurale et que ces dernières ne peuvent pas se prévaloir des droits de la défense au sens de la jurisprudence invoquée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds-Commission, 142-84 et 156-84, Rec. p. 4487, point 19, et arrêt du Tribunal du 15 juillet 1994, Matra Hachette-Commission, T-17-93, Rec. p. II-595, point 34).

34. En ce qui concerne le droit d'accès au dossier, étant donné qu'il relève également des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense, le Tribunal a jugé, d'une façon analogue, que le principe du caractère pleinement contradictoire de la procédure administrative devant la Commission dans le domaine des règles de concurrence applicables aux entreprises ne s'impose qu'à l'égard des entreprises susceptibles d'être sanctionnées par une décision de la Commission constatant une infraction aux articles 85 et 86 du traité CE (devenus articles 81 CE et 82 CE), en ce sens que les droits des tiers, tels que consacrés par l'article 19 du règlement n° 17, sont limités au droit d'être associés à la procédure administrative. En particulier, les tiers ne sauraient prétendre disposer d'un droit d'accès au dossier détenu par la Commission dans des conditions identiques à celles auxquelles peuvent prétendre les entreprises poursuivies (arrêt Matra Hachette-Commission, précité, point 34).

35. En ce qui concerne les droits de la requérante en tant que plaignante, le Tribunal rappelle que, en l'espèce, la procédure d'instruction de la plainte s'est étendue sur plus de quatre années et la requérante a eu l'occasion de donner son point de vue à plusieurs reprises. Concernant, en particulier, les cinq dernières réponses dessociétés irlandaises qui ont été communiquées à la requérante, elles ne modifiaient pas les points essentiels faisant l'objet de la procédure, et donc le fait que la Commission n'a laissé à cette dernière que neuf jours, avant l'adoption de la décision attaquée, pour commenter ces réponses ne l'a pas empêchée de faire connaître utilement son point de vue.

36. Dans ces circonstances, on ne saurait prétendre que les droits de la requérante auraient été violés.

Sur le détournement de pouvoir et la violation du principe de sécurité juridique

37. En ce qui concerne l'argument selon lequel la Commission aurait commis un détournement de pouvoir en demandant des renseignements aux sociétés verrières irlandaises par téléphone ou par télécopie, bien que l'article 11 du règlement n° 17 établisse que de telles demandes doivent être faites par écrit, il convient de rappeler au préalable que, selon une jurisprudence constante, constitue un détournement de pouvoir l'adoption, par une institution communautaire, d'un acte dans le but exclusif ou, tout au moins, déterminant d'atteindre des fins autres que celles excipées (voir arrêt de la Cour du 12 novembre 1996, Royaume-Uni-Conseil, C-84-94, Rec. p. I-5755, point 69, et arrêt du Tribunal du 15 janvier 1997, SFEI e.a.-Commission, T-77-95, Rec. p. II-1, point 116).

38. En l'espèce, il convient d'observer, d'une part, que l'article 11 du règlement n° 17 n'empêche pas la Commission d'obtenir des renseignements au moyen de demandes orales en les faisant suivre par des demandes en bonne et due forme et, d'autre part, que la requérante n'a pas fourni la preuve que la collecte orale de ces renseignements poursuivait une fin autre que celle envisagée par ledit article.

39. Il s'ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme non fondé dans son ensemble.

Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation des règles de procédure

Arguments des parties

40. La requérante soutient que la Commission a méconnu les garanties procédurales prévues par le droit communautaire en adressant à Pilkington une demande d'informations non rédigée de manière objective.

41. Au soutien de sa thèse, la requérante fait observer que la Commission a envoyé à Pilkington une demande d'informations, le 14 novembre 1995, le jour même où elle envoyait les demandes de renseignements aux sociétés irlandaises. Selon la demande d'informations de la Commission: "Dans sa réponse, Kish maintient que le verre flotté clair de 4 mm constitue un marché distinct en Irlande [...] Kish maintient en outre que seule Pilkington est en mesure de fournir les dimensions demandées par le marché irlandais. La Commission a examiné ce point et il apparaît peu fondé. Néanmoins, aux fins d'avoir au dossier tous les éléments nécessaires pour rejeter la plainte, il s'est avéré nécessaire de former une nouvelle demande d'informations." En conséquence, la Commission aurait fait savoir à Pilkington que la demande était peu fondée, même si le problème en question n'avait pas encore été examiné, étant donné qu'elle n'avait pas encore reçu les réponses aux questions posées par la lettre du 14 novembre 1995. Il en ressort que la Commission ne pouvait avoir aucune idée de ce qui aurait pu ressortir des demandes d'informations mais a, néanmoins, déclaré à la partie poursuivie qu'elle se proposait de rejeter la plainte, en lui demandant de lui fournir la preuve qui lui permettrait de le faire.

42. La Commission fait observer que l'article 11, paragraphe 3, du règlement n° 17 l'oblige à indiquer le but dans lequel les renseignements sont demandés. Elle aurait su, au moment où ces lettres ont été écrites, que les affirmations de Kish Glass n'étaient probablement pas fondées, parce qu'elle avait déjà recueilli, par téléphone et par télécopie, les réponses des entreprises auxquelles elle allait s'adresser par écrit. Elle aurait donc examiné sérieusement et avec la diligence requise les arguments de Kish Glass, mais avait constaté qu'ils étaient erronés.

43. Selon l'intervenante, pour que le devoir d'impartialité ne soit pas violé, il est essentiel que la Commission, dans le cadre de ses enquêtes, ne préjuge pas la suite à donner à une plainte; cela ne signifie pas que les fonctionnaires de la Commission ne puissent pas se faire une première idée sur les problèmes soulevés par une plainte. Le devoir d'impartialité exigerait que, tout au moins jusqu'à ce que la plaignante ait exercé son droit de présenter des observations en application de l'article 6 du règlement n° 99-63, la Commission reste ouverte à toute discussion de nature à la faire changer d'avis. Cependant, il n'existerait aucun obstacle juridique, lorsque les fonctionnaires de la Commission se sont fait une idée préliminaire, à ce que ceux-ci la communiquent à l'entreprise visée par l'enquête. En l'espèce, la Commission avait déjà communiqué son point de vue à Kish Glass, par sa lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 selon laquelle il n'y avait pas lieu de donner suite à sa plainte. En outre, celle-ci avait déjà eu l'occasion de présenter ses observations sur la position de la Commission. Lorsqu'elle a envoyé la demande d'information en question, la Commission aurait eu déjà une première idée, et la communication de celle-ci à Pilkington ne constituerait pas une violation du principe d'objectivité et d'impartialité.

Appréciation du Tribunal

44. En premier lieu, il convient de rappeler que, aux termes de l'article 11, paragraphe 3, du règlement n° 17, lorsque la Commission adresse une demande de renseignements à une entreprise ou à une association d'entreprises, elle est tenue d'indiquer les bases juridiques et le but de la demande ainsi que les sanctions prévues au cas où un renseignement inexact serait fourni. En conséquence, la Commission était dans l'obligation d'informer Pilkington, dans sa lettre du 14 novembre 1995, des raisons qui la conduisaient à lui demander des renseignements complémentaires.

45. En deuxième lieu, il convient de relever que, selon une jurisprudence bien établie, lorsque la Commission décide de procéder à l'instruction d'une plainte dont elle est saisie, elle doit, sauf motivation dûment circonstanciée, le faire avec le soin, le sérieux et la diligence requis, aux fins d'être en mesure d'apprécier en pleine connaissance de cause les éléments de fait et de droit soumis à son appréciation par les plaignants (arrêt du Tribunal du 29 juin 1993, Asia Motor France ea-Commission, T-7-92, Rec. p. II-669, point 36).

46. Dans le cas d'espèce, il ressort du dossier que l'enquête de la Commission s'est déroulée sur une période de plus de quatre ans, pendant laquelle cette dernière a recueilli les observations d'un nombre significatif d'entreprises du secteur, les a analysées et a donné l'occasion à la plaignante de présenter, à plusieurs reprises, tous les éléments qui pouvaient être pris en considération. La Commission a, ce faisant, accompli toutes ses activités avec le soin, le sérieux et la diligence requis. En se bornant à faire observer que la Commission avait, dans sa lettre du 14 novembre 1995, considéré que sa plainte était "peu fondée" et demandé des informations supplémentaires à Pilkington pour la "rejeter", la requérante n'a pas démontré le contraire.

47. Par conséquent, le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le troisième moyen, tiré d'une violation des formes substantielles et du principe de sécurité juridique

Arguments des parties

48. La requérante soutient que la décision de la Commission est vicié d'un point de vue formel et viole le principe de sécurité juridique.

49. A cet égard, elle affirme que les décisions de rejet des plaintes revêtent habituellement la forme d'une lettre motivée, signée par le membre de la Commission en charge de la concurrence. Dans le cas présent, celui-ci aurait simplement signé une lettre confirmative qui, après avoir résumé la procédure, aurait rejeté la plainte en renvoyant, pour ce qui est de la motivation, à un document séparé. Ce document ne contiendrait aucun élément (telles une signature ou même des initiales) prouvant que le membre de la Commission compétent l'avait visée. Compte tenu de ce procédé inhabituel, elle ne disposerait, alors, d'aucun moyen pour déterminer si le membre de la Commission compétent a vu ou approuvé l'argumentation motivant le rejet de sa plainte. Il s'agirait dont, en l'espèce, d'un problème de forme et non d'un problème de motivation.

50. La Commission fait observer, d'une part, que la décision attaquée ne revêt pas une forme inhabituelle et, d'autre part, qu'elle opère un renvoi exprès à l'annexe contenant les motifs pour lesquels elle a décidé de rejeter la plainte.

Appréciation du Tribunal

51. Il y a lieu de rappeler que la jurisprudence considère que la référence faite dans un acte à un acte distinct doit être examinée au regard de l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) et ne viole pas l'obligation de motivation pesant sur les institutions communautaires. Dans son arrêt du 12 juin 1997, Tiercé Ladbroke-Commission (T-504-93, Rec. p. II-923, point 55), le Tribunal a ainsi jugé qu'une décision de la Commission communiquée à l'auteur de la plainte à l'origine d'une enquête et qui se réfère à une lettre qui lui a été envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 fait apparaître de façon suffisamment claire les raisons pour lesquelles ladite plainte est rejetée et remplit ainsi l'obligation de motivation imposée par l'article 190 du traité. Indépendamment du fait que l'utilisation de cette référence soit qualifiée de problème de motivation ou de forme, cette analyse vaut, a fortiori, lorsque référence est faite à un document annexé à une décision et, partant, contenu dans cette dernière. En outre, la requérante n'a nullement étayé les soupçons selon lesquels le membre de la Commission responsable n'aurait pas eu connaissance de la motivation de l'acte attaqué.

52. La référence susmentionnée est suffisante pour satisfaire aux exigences de sécurité juridique poursuivies par le droit communautaire.

53. Il s'ensuit que le troisième moyen doit également être rejeté comme non fondé.

Sur le quatrième moyen, tiré d'une erreur manifeste d'appréciation dans la définition du marché du produit concerné

Arguments des parties

54. La requérante soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en définissant, au point 19 de la décision attaquée, le marché du produit concerné non comme celui du verre flotté de 4 mm, mais comme celui du verre flotté brut ou grossier de toutes épaisseurs vendu aux distributeurs, en considération de l'identité des acteurs de ce marché, tant du côté de l'offre que du côté de la demande, pour toutes les épaisseurs de verre. Lorsque des produits de dimensions et de types différents ne sont pas interchangeables du point de vue de l'utilisateur, il ne suffirait pas de rechercher si les acteurs du marché sont les mêmes, mais, comme l'a fait la Cour dans son arrêt du 9 novembre 1983, Michelin-Commission (322-81, Rec. p. 3461), il conviendrait également de prendre en considération les conditions de concurrence et la structure de l'offre et de la demande sur le marché.

55. La requérante relève, en ce qui concerne les conditions de concurrence, que, étant donné qu'un pourcentage important du marché est réservé, de fait, à un seul fabricant, les producteurs qui ne vendent pas de feuilles de verre aux dimensions britanniques (2 440 mm x 1 220 mm) ne sont probablement pas compétitifs sur le reste du marché et peuvent ainsi décider de ne pas l'exploiter et de ne pas tenter d'y soutenir la concurrence. Cela aurait une répercussion importante sur les conditions de concurrence sur le reste du marché et serait confirmé par la circonstance que la grande partie du marché (84 %) de verre flotté de 4 mm est détenue par Pilkington. A cet égard, elle souligne que, à sa connaissance, Pilkington est le seul fabricant de verre flotté de 4 mm utilisant des plateaux de certaines dimensions, sur lesquels le verre est refroidi ("lehr-beds"), lui permettant d'adapter le verre aux dimensions britanniques sans gaspillage. Elle croit savoir que les autres producteurs, produisant du verre continental, emploient des "lehr-beds" ne leur permettant de fabriquer que des feuilles au format continental (3 210 mm x 2 250 mm). Enfin, il est vraisemblable que, sur le marché irlandais, deux distributeurs seulement posséderaient l'équipement nécessaire pour réduire les dimensions continentales aux dimensions britanniques et que, de plus, l'un des deux se fournit à hauteur de 30 % chez Pilkington pour ses besoins en dimensions britanniques.

56. Elle soutient, par ailleurs, en ce qui concerne la structure de l'offre, que, comme cela aurait été confirmé par les réponses des sociétés irlandaises, plus de 27 % du verre flotté de 4 mm vendu en Irlande l'est au format britannique. Pilkington occuperait une position de quasi-monopole pour le format en question (95 % des ventes) et, de plus, détient 84 % du marché irlandais du verre flotté de 4 mm. L'offre sur le marché du verre flotté serait affectée en conséquence: à cause de cette structure du marché, les clients achetant des feuilles au format britannique seraient obligés de traiter, pour l'ensemble des formats, avec ce fabricant, qui est à même de répondre à leurs autres besoins en verre flotté de 4 mm.

57. Elle affirme, en outre, que le verre flotté de 4 mm doit être considéré comme le marché du produit concerné, car ce produit ne peut pas être remplacé par du verre flotté d'autres épaisseurs: l'élasticité croisée de la demande de verre flotté de 4 mm et de celle de verre d'autres épaisseurs est égale à zéro; les augmentations de prix du verre flotté de 4 mm n'ont probablement aucun effet sur la demande d'autres produits de verre flotté. A ce sujet, malgré une fluctuation importante du prix du verre flotté de 4 mm en Irlande, la demande des autres produits de verre flotté est restée constante. Il ressortirait tant de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal que des décisions de la Commission [décision 88-138-CEE de la Commission, du 22 décembre 1987, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV-30.787 et 31.488 Eurofix Bauco-Hilti) (JO 1988, L 65, p. 19); décision 92-163-CEE de la Commission, du 24 juillet 1991, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV-31.043 Tetra Pak II) (JO 1992, L 72, p. 1); arrêt de la Cour du 2 mars 1994, Hilti-Commission, C-53-92 P, Rec. p. I-667; arrêts du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti-Commission, T-30-89, Rec. p. II-1439, et du 6 octobre 1994, Tetra Pak-Commission, T-83-91, Rec. p. II-755] qu'il existe un marché du produit concerné lorsque l'élasticité croisée de la demande entre produits qui peuvent être considérés comme interchangeables est faible: il en découlerait qu'un marché de produit est, à plus forte raison, distinct d'un autre lorsque l'élasticité croisée est égale à zéro.

58. Elle ajoute, enfin, que l'on peut déduire du fait que l'un des quatre sites de fabrication de Pilkington est spécialisé dans la production de verre flotté de 4 mm qu'il n'est pas possible de convertir rapidement la production pour d'autres épaisseurs.

59. La Commission soutient que, dans l'arrêt Michelin-Commission, précité, la Cour a constaté que des produits de types et de dimensions différents, qui ne sont pas interchangeables du point de vue de l'utilisateur, peuvent néanmoins être considérés comme faisant partie d'un seul marché lorsqu'ils sont techniquement similaires ou complémentaires et qu'ils sont fournis par l'intermédiaire de revendeurs qui doivent répondre à une demande concernant toute la gamme des produits. Cela s'appliquerait au marché du verre flotté brut, sur lequel les acteurs du côté de l'offre et du côté de la demande sont, au premier stade de la distribution, les mêmes pour toutes les épaisseurs de verre. Elle fait valoir que la requérante n'a pas rapporté la preuve de son affirmation selon laquelle les conditions de concurrence sont affectées lorsque, d'une part, un pourcentage significatif du marché est effectivement détenu par un producteur et, d'autre part, les producteurs qui ne vendent pas de feuilles de verre flotté de 4 mm au format britannique ont peu de chance d'être concurrentiels sur le reste du marché et peuvent décider de ne pas entrer en concurrence sur cette dernière partie du marché.

60. Elle rétorque, concernant les affirmations de la requérante sur la structure de l'offre selon lesquelles une position de quasi-monopole sur la partie du marché du verre flotté vendu en dimensions britanniques confère à Pilkington un avantage insurmontable sur l'ensemble du marché, que le verre d'une certaine épaisseur vendu dans des dimensions données peut être remplacé par du verre de même épaisseur vendu en d'autres dimensions, étant donné que tous les grossistes sont en mesure de découper des formats plus grands pour obtenir le format requis par les transformateurs et les utilisateurs finaux. Le verre flotté en dimensions britanniques serait utilisé exactement aux mêmes fins économiques que le verre flotté en dimensions continentales.

61. Elle relève, enfin, que la requérante n'a fourni aucune preuve à l'appui de son affirmation selon laquelle le comportement du marché du verre flotté de 4 mm en Irlande, en raison de sa prétendue spécificité, est indépendant de celui des marchés d'autres épaisseurs de verre. En réalité, la production du verre serait presque identique techniquement pour toutes les épaisseurs, et la ligne de production pourrait être rapidement adaptée, sans coûts excessifs, pour passer d'une épaisseur à une autre.

Appréciation du Tribunal

62. Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, aux fins de l'examen de la position, éventuellement dominante, d'une entreprise sur un marché déterminé, les possibilités de concurrence doivent être appréciées dans le cadre du marché regroupant l'ensemble des produits qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d'autres produits (voir, notamment, arrêts de la Cour du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31-80, Rec. p. 3775, point 25, et Michelin-Commission, précité, point 37). Par ailleurs, selon la même jurisprudence (arrêt Michelin-Commission, précité, point 44), l'absence d'interchangeabilité entre différents types et dimensions d'un produit du point de vue des besoins spécifiques de l'utilisateur ne permet pas de considérer que, pour chacun de ces types et de ces dimensions, il existe un marché distinct aux fins de l'appréciation de l'existence d'une position dominante. En outre, étant donné que la détermination du marché en cause sert à évaluer si l'entreprise concernée a la possibilité de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective et de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs, on ne saurait, à cette fin, se limiter à l'examen des seules caractéristiques objectives des produits en cause, mais il convient également de prendre en considération les conditions de concurrence et la structure de la demande et de l'offre sur le marché (arrêt Michelin-Commission, précité, point 37).

63. En l'espèce, le Tribunal doit examiner si les conditions de concurrence et la structure de l'offre sur le marché du verre flotté empêchaient que la Commission, en se fondant sur l'arrêt Michelin-Commission, précité, puisse affirmer que, même si le verre de différentes épaisseurs n'est pas interchangeable pour les utilisateurs finaux, le marché du produit concerné doit être considéré comme celui du verre flotté brut de toutes épaisseurs, puisque les distributeurs doivent répondre à une demande couvrant l'entière gamme de produits.

64. A titre préliminaire, le Tribunal rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante que, si la juridiction communautaire exerce, de manière générale, un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d'application des règles de concurrence se trouvent ou non réunies, le contrôle qu'elle exerce sur les appréciations économiques complexes portées par la Commission doit, toutefois, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir.

65. La requérante soutient que le fait que les producteurs continentaux ne produisent pas du verre aux dimensions britanniques les empêche de concurrencer efficacement Pilkington. A cet égard, il y a lieu d'observer que la Commission a, au point 15 de la décision attaquée, examiné cette question et abouti à une conclusion opposée à celle de la requérante. Sur la base des renseignements fournis par neuf importateurs irlandais, elle a relevé que les grossistes n'avaient pas une nette préférence pour le format continental, et ce dans la mesure où ils sont capables de couper sans trop de gaspillage le verre au format continental pour en obtenir au format britannique. Pendant la procédure devant le Tribunal, la requérante s'est, à cet égard, limitée à affirmer que, à sa connaissance, Pilkington était le seul fabricant de verre flotté de 4 mm en mesure d'adapter le verre aux dimensions britanniques sans gaspillage, qu'elle croyait savoir que les autres producteurs employaient des "lehr beds" leur permettant de fabriquer uniquement des feuilles de formats différents et qu'il était vraisemblable que les grossistes n'étaient pas en mesure de couper sans gaspillage les feuilles continentales. Or, non seulement la requérante n'offre aucune preuve à l'appui de sa thèse, mais elle ne fournit aucun élément de nature à infirmer l'appréciation portée en l'espèce par la Commission, fondée sur des renseignements recueillis directement auprès des opérateurs sur le marché.

66. La requérante fait également valoir, en substance, que, en considération de la position de quasi-monopole de Pilkington dans le secteur du verre au format britannique de 4 mm, cette dernière entretient des relations commerciales privilégiées avec les importateurs de verre. En outre, elle soutient que le verre de 4 mm ne peut pas être remplacé par le verre flotté d'autres épaisseurs.

67. A cet égard, il y a lieu de relever que la requérante n'a pas démontré que l'éventuelle préférence des importateurs pour les produits de Pilkington n'était pas la manifestation de leur intérêt économique ou de l'exercice, par ces derniers, de leur liberté contractuelle. En conséquence, une telle préférence ne saurait être interprétée comme un indice d'une altération de la structure de l'offre dans le marché. Il convient de constater, ensuite, qu'il ressort des données figurant dans les réponses des sociétés irlandaises, non contestées par la requérante, que les ventes en Irlande de verre flotté de 4 mm au format britannique représentent environ 27 % du marché. Or, même en admettant que Pilkington détient une position de quasi-monopole dans le secteur du verre de 4 mm au format britannique, ce pourcentage n'est manifestement pas suffisant, en soi, pour affirmer, comme le fait la requérante, que la plus grande partie des achats de verre flotté de 4 mm en Irlande est conditionnée par Pilkington. En effet, environ 73 % de la demande de ce produit est constituée par des achats de verre au format continental, qui ne peuvent pas être influencés par Pilkington.

68. Enfin, au point 18 de la décision attaquée, la Commission a exposé que la production de verre de 4 mm est, du point de vue technique, virtuellement identique à la production de verre d'autres épaisseurs et que les fabricants de verre peuvent convertir rapidement leur production sans coûts excessifs. A cet égard, il doit être observé que la circonstance que l'un des quatre sites de production de Pilkington soit spécialisé dans la fabrication d'un certain type de verre ne signifie pas que les processus techniques de fabrication du verre soient différents et ne démontre pas qu'un opérateur économique ne disposant que d'un seul site de production n'est pas en mesure de convertir rapidement sa production, de sorte que l'argument que la requérante tire de l'absence d'élasticité de l'offre de verre du 4 mm et de verre d'autres épaisseurs ne saurait, pas plus, être accueilli.

69. Le Tribunal estime, dès lors, que la requérante n'a pas démontré que la position de la Commission exprimée au point 19 de la décision attaquée, selon laquelle le marché du produit concerné est celui du verre de toutes épaisseurs, était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Il s'ensuit que cet argument ne peut pas être retenu par le Tribunal.

70. Le quatrième moyen doit, par conséquent, être rejeté comme non fondé.

Sur le cinquième moyen, tiré d'une erreur manifeste d'appréciation du marché géographique

Arguments de la requérante

71. La requérante souligne que, bien que la Commission admette que certaines caractéristiques du marché du verre flotté en Irlande différencient celui-ci du marché de l'Europe continentale (à savoir l'absence d'installations de production et le fait que tout le verre flotté est transporté par mer), elle a, au point 23 de la décision attaquée, considéré que l'analyse des coûts de transport et du niveau des prix du verre dans les différentes parties de la Communauté conduisait à la conclusion que le marché géographique concerné était la Communauté, ou la partie nord de la Communauté. La Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle aurait dû considérer que le marché géographique concerné était l'Irlande, ou l'Irlande et le Royaume-Uni.

72. Elle développe, en substance, trois griefs contre la définition du marché géographique retenue dans la décision attaquée.

Sur le premier grief

73. Le critère que la Commission aurait appliqué pour définir le marché géographique concerné ne serait pas conforme à celui défini par la Cour dans son arrêt du 14 février 1978, United Brands-Commission (27-76, Rec. p. 207). En effet, au lieu de déterminer le marché du verre en prenant simplement en considération les coûtsde transport vers l'Irlande, elle aurait dû déterminer la zone dans laquelle d'autres conditions objectives de concurrence du produit en cause sont similaires pour tous les opérateurs économiques: l'application de ce critère aurait dû la conduire à conclure que le marché géographique pertinent était l'Irlande (ou l'Irlande et le Royaume-Uni). La détermination de l'Irlande comme marché géographique pertinent trouverait un appui dans le fait que, dans ce pays, les exportateurs du continent n'ont aucun poids concurrentiel en ce qui concerne les ventes du verre flotté de 4 mm, puisque leur part de marché cumulée est d'environ 16 % alors que celle de Pilkington est de 84 %.

Sur le deuxième grief

74. La Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en constatant que deux producteurs du nord de l'Europe avaient des frais de transport à destination de l'Irlande supérieurs d'environ 7 à 8 % à ceux de Pilkington, tandis qu'un producteur de cette partie de l'Europe supportait des coûts moins élevés que ceux de Pilkington pour un même transport. Il résulterait, à cet égard, d'une analyse contenue dans la lettre qu'elle a adressée à la Commission le 24 mai 1994 que les coûts de transport maritime et terrestre, vers l'Irlande, des producteurs continentaux sont en réalité beaucoup plus élevés que ceux de Pilkington : le verre fabriqué par un producteur continental aurait une plus grande distance à parcourir par route et par bateau et ne bénéficierait pas de remises importantes sur le transport routier et maritime dont Pilkington pourrait bénéficier.

75. A cet égard, l'approche conduisant à cette analyse serait conforme à celle suivie par la Commission dans certaines de ces décisions [décision 94-359-CE de la Commission, du 21 décembre 1993, déclarant la compatibilité avec le marché commun d'une concentration (affaire n° IV-M358 Pilkington-Techint-SIV)(JO 1994, L 158, p. 24, ci-après "décision Pilkington-Techint-SIV), dans laquelle il a été considéré que le verre flotté brut est un produit volumineux et lourd, dont le transport sur de longues distances est coûteux); décision 89-93-CEE de la Commission, du 7 décembre 1988, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (IV-31.906 Verre plat) (JO 1989, L 33, p. 44, ci-après "décision Verre plat"), dans laquelle la situation géographique des installations de production a été considérée comme un facteur vital en ce qui concerne le transport du verre plat); décision 89-22-CEE de la Commission, du 5 décembre 1988, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (IV-31.900 BPB Industries PLC) (JO 1989, L 10, p. 50, ci-après "décision BPB"), dans laquelle il a été considéré comme impossible, en raison des frais de transport et des avantages qu'apporte l'installation des usines de production à proximité des marchés, d'approvisionner dans des conditions de rentabilité les marchés britanniques ou irlandais à partir de l'étranger sur une grande échelle et sur de longues périodes].

76. De plus, l'importance des coûts de transport dans la détermination du marché géographique concerné serait confirmée par les réponses des sociétés irlandaises, dont il découle que les sociétés verrières établies dans la région de Dublin (proche de l'usine de Pilkington) ou de localités facilement accessibles par route depuis Dublin (ville de Galway) s'approvisionnent presque intégralement chez Pilkington (98 %), tandis que les sociétés plus éloignées (établies dans les villes de Tipperary, Limerick et Wexford) achètent chez celle-ci des quantités de verre inférieures (respectivement 77 %, 62 % et 66 %).

Sur le troisième grief

77. Une analyse des prix fob (prix franco de bord) et caf (coût, assurance et fret) du verre flotté de 4 mm en provenance du Royaume-Uni vers les autres Etats membres, de 1990 à 1992, démontre que le marché irlandais ne présente pas de caractéristiques communes aux autres marchés européens et qu'il constitue un marché autonome; selon cette analyse, la moyenne des prix caf, pour la période considérée, vers l'Irlande, était de 470 écus par tonne; vers les pays de l'Europe du Nord (Allemagne, Pays-Bas, Belgique et Luxembourg), elle variait entre 500 et 540 écus par tonne et, vers les pays de l'Europe du Sud (France, Italie, Portugal, Espagne et Grèce), elle variait entre 330 et 430 écus par tonne; d'autre part, la moyenne des prix fob, pour la période considérée, vers l'Irlande, était de 370 écus par tonne, vers les pays de l'Europe du Nord, elle variait entre 300 et 330 écus par tonne et, vers les pays de l'Europe du Sud, elle variait entre 300 et 370 écus par tonne.

Arguments de la Commission

Sur le premier grief

78. La Commission nie ne pas avoir appliqué le critère défini par la Cour dans son arrêt United Brands-Commission, précité, et rappelle que, au point 24 de la décision attaquée, elle a soutenu que la zone par rapport à laquelle doit être déterminée l'existence d'une position dominante est celle où "les conditions objectives de concurrence du produit en cause doivent être similaires pour tous les opérateurs économiques" : sur la base de ce critère, elle a constaté que les coûts de transport n'isolaient pas l'Irlande du marché continental.

Sur le deuxième grief

79. Elle maintient que les conclusions tirées de son analyse sur les coûts de transport sont correctes; sur la base des informations fournies en réponse à ses lettres fondées sur l'article 11 du règlement n° 17 par les producteurs concernés elle a constaté que les coûts d'un producteur de l'Europe du Nord étaient légèrement inférieurs à ceux de Pilkington tandis que deux autres producteurs devaient supporter des coûts, exprimés en proportion de la valeur du chargement, qui ne dépassaient que de 7 à 8 %, tout au plus, ceux de Pilkington. Elle a même constaté que les producteurs de l'Europe du Sud devaient supporter des coûts sensiblement supérieurs à la valeur du chargement. En tenant compte du fait que le surcoût toléré par un fabricant pour le transport jusqu'aux limites de son marché national était de l'ordre de 10 % de la valeur du produit, elle a conclu que les coûts de transport vers l'Irlande des producteurs de l'Europe du Nord s'inscrivaient dans les limites de ce qu'ils toléraient sur leurs marchés nationaux. En outre, constatant que la requérante n'a produit aucun élément permettant d'établir que les renseignements obtenus en réponse à la lettre envoyée à un certain nombre d'entreprises neutres, au titre de l'article 11 du règlement n° 17, étaient erronés, elle déclare ne pas être convaincue de la non-fiabilité des renseignements qui lui sont parvenus.

Sur le troisième grief

80. La Commission rappelle que les informations sur les prix, sur la base desquels elle a adopté la décision attaquée, ont été recueillis directement auprès des producteurs, tandis que les chiffres indiqués par la requérante étaient contestables: au cours de son enquête, elle a obtenu une ventilation détaillée des prix de Pilkington et ceux-ci étaient sans rapport avec les prix présentés par la requérante. Pour la période 1990-1992, le prix moyen pratiqué par Pilkington en Irlande serait très proche de celui pratiqué dans chacun des pays d'Europe du Nord. Elle ajoute que les prix fob et caf, utilisés par la requérante, ne représentent pas un indice fiable; le terme fob se réfère aux prix du produit chargé à bord et n'inclut aucun frais de transport ultérieur, tandis que le verre flotté est vendu sur la base d'un prix "rendu", dans lequel le coût de transport est supporté par le producteur. Les chiffres caf n'indiquent pas des prix réels du marché, puisqu'ils ne tiennent pas compte des rabais consentis.

Appréciation du Tribunal

Sur le premier grief

81. Dans son arrêt United Brands-Commission, précité, la Cour a affirmé que les possibilités de concurrence au regard de l'article 86 du traité doivent être examinées en fonction des caractéristiques du produit en cause et par référence à une zone géographique définie dans laquelle il est commercialisé et où les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes pour pouvoir apprécier le jeu de la puissance économique de l'entreprise intéressée (point 11).Par ailleurs, dans le même arrêt, la Cour a, pour vérifier si, dans le cas d'espèce, les conditions de concurrence étaient suffisamment homogènes, principalement fait référence aux coûts de transport, estimant que, lorsque ces coûts ne forment pas d'obstacle à la distribution des produits, ils sont, notamment, des facteurs unificateurs du marché en cause (arrêt United Brands-Commission, précité, points 55 et 56).

82. Il s'ensuit que, en l'espèce, la détermination du marché géographique concerné, en considération, notamment, des coûts de transport du verre des producteurs continentaux, est justifiée. Il y a lieu de relever, en outre, que, afin de déterminer les conditions de concurrence dans les marchés européens, la Commission n'a, dans la décision attaquée, pas seulement examiné les coûts susmentionnés, mais a également vérifié que le volume exporté par les producteurs continentaux en Irlande avait été, entre 1988 et 1994, d'environ un tiers du volume du verre flotté demandé dans ce pays, que les différences des prix du verre pratiqués en Irlande et dans cinq autres pays européens par les cinq principaux producteurs continentaux n'indiquaient pas l'existence de marchés séparés et que l'existence de barrières à l'entrée sur le marché irlandais, de nature technique ou normative, pouvait être exclue. Il convient, enfin, de relever que, si la requérante conteste la correcte application des critères découlant de l'arrêt United Brands-Commission, précité, elle n'indique pas comment il conviendrait de les appliquer, pour, au contraire, délimiter elle-même le marché géographique en considération de l'incidence des prix du transport sur les conditions de concurrence.

83. Il résulte de ce qui précède que le premier grief doit être rejeté.

Sur le deuxième grief

84. Pour ce qui est du grief concernant l'exactitude de l'analyse des coûts de transport effectuée par la Commission, il y a lieu de relever qu'elle tient compte des informations fournies par les opérateurs du secteur à l'occasion de l'investigation concernant la concentration Pilkington-Techint-SIV et de la décision prise à la suite de cette investigation. Dans cette décision, la Commission a fait observer que : 1) environ 80 à 90 % de la production de verre d'une usine est vendue dans un rayon de 500 km; cette distance est parfois dépassée et peut aller jusqu'à 1 000 km, au-delà desquels le coût de transport devient prohibitif, c'est-à-dire non concurrentiel ; 2) une entreprise productrice de verre se trouve en concurrence, sur son aire de livraison naturelle d'un rayon de 500 km, avec les autres entreprises dont les aires de livraison chevauchent la sienne ; 3) étant donné que chacune de ces dernières a son propre ultérieur rayon de livraison, la concurrence d'une entreprise par rapport à celles se trouvant dans son rayon tend à s'étendre aux aires de livraison naturelle de celles-ci ; 4) en conséquence, il est approprié de considérer la Communauté dans son ensemble comme le marché géographique de référence.

85. Il convient de vérifier, tout d'abord, que l'argumentation développée par la Commission dans la décision attaquée pour définir le marché géographique concerné n'est pas contradictoire; il est, en effet, apparu au cours de l'audience que, dans plusieurs points de la décision attaquée, la Commission opérait un renvoi à sa décision Pilkington-Techint-SIV, dont le point 16 semble manquer de cohérence avec le point 33 de la décision attaquée. A cet égard, il convient de rappeler qu'une contradiction dans la motivation d'une décision constitue une violation de l'obligation qui découle de l'article 190 du traité, de nature à affecter la validité de l'acte en cause s'il est établi que, en raison de cette contradiction, le destinataire de l'acte n'est pas en mesure de connaître les motifs réels de la décision, en tout ou en partie, et que, de ce fait, le dispositif de l'acte est, en tout ou en partie, dépourvu de tout support juridique (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 24 janvier 1995, Tremblay ea-Commission, T-5-93, Rec. p. II-185, point 42).

86. Au point 16 des considérants de la décision Pilkington-Techint-SIV, la Commission affirme que le verre flotté brut est un produit lourd et volumineux, "cher à transporter sur de grandes distances (ainsi, à titre d'exemple, le coût de transport par camion représente 7,5 à 10 % du prix de vente sur une distance de 500 km)". Au point 33 de la décision attaquée, la Commission affirme que les coûts de transport vers la fin de son aire naturelle de livraison ("domestic market") dépassent approximativement de 10 % de la valeur du produit ceux soutenus dans la proximité de l'usine.

87. Après examen attentif de ces deux décisions, il doit être observé que, premièrement, la décision attaquée fait renvoi à la décision Pilkington-Techint-SIV sans se référer spécifiquement aux pourcentages mentionnés entre parenthèses au point 16 des considérants de celle-ci, deuxièmement, les pourcentages mentionnés audit point 16 des considérants y sont indiqués à titre d'illustration et leur importance est absorbée par les conclusions auxquelles la Commission parvient dans la même décision, en exacte correspondance avec celles auxquelles elle est parvenue dans la décision attaquée, en constatant qu'il semble approprié de considérer la Communauté dans son ensemble comme marché géographique de référence et, troisièmement, la véritable motivation de la détermination du marché géographique de référence contenue dans la décision Pilkington-Techint-SIV se trouve au point 16 de ses considérants, deuxième alinéa, où il est précisé que "compte tenu de la dispersion des différentes usines et du fait que les aires de livraison naturelles se chevauchent souvent, de telle sorte que les effets peuvent se transmettre d'une cercle à l'autre, il semble approprié de considérer la Communauté dans son ensemble comme le marché géographique de référence".

88. Il convient d'observer que la Commission ne se contredit nullement en ce que, d'une part, elle a délimité, dans sa décision Pilkington-Techint-SIV, le marché géographique de référence en se fondant, pour l'essentiel, sur la notion d'aire géographique naturelle de livraison pour une installation de production de verre flotté donnée, représentée par des cercles concentriques dont le rayon est déterminé par le coût relatif du transport, et, d'autre part, elle est parvenue à la même délimitation dans la décision attaquée, après avoir constaté que les coûts de transport admissibles pour un producteur dans l'aire naturelle de livraison de son usine dépassent ceux qu'il supporte dans l'aire de proximité de ladite usine de, approximativement, 10 % de la valeur du produit. Les notions d'aire de livraison naturelle et d'aire de proximité de l'usine, à partir desquelles la Commission a considéré que les coûts de transport ne dépassaient pas 10%, sont, en effet, cohérentes. Les deux concepts font en sorte que l'on arrive à déterminer le marché géographique de référence pour une entreprise sur la base du coût de transport en mesurant celui-ci à partir non de son usine, mais d'une série de points se trouvant à l'extrémité d'un cercle ou d'une série de cercles se trouvant autour d'elle et déterminant son aire de livraison naturelle ou l'aire se trouvant par rapport à elle dans une situation de proximité.

89. Il s'ensuit que, contrairement à ce qui paraît ressortir de l'audience, la décision attaquée n'est pas entachée de contradiction en ce que son point 33 se réfère à la décision Pilkington-Techint-SIV.

90. La requérante, pour sa part, ne conteste pas, en eux-mêmes, les critères que la Commission a utilisés pour définir l'aire de livraison naturelle ("domestic market"), sur la base desquels a été fondée la décision attaquée. En reprochant à la Commission une erreur manifeste d'appréciation en ce qui concerne la détermination du marché géographique concerné, elle ne conteste que la fiabilité des réponses des producteurs de verre sur lesquelles se fonde ladite appréciation.

91. Le Tribunal rappelle, à cet égard, que les entreprises tierces interrogées conformément à l'article 11 du règlement n° 17 peuvent se voir sanctionnées en cas de renseignements inexacts, de sorte qu'il ne saurait, en principe, être considéré qu'elle ne fournissent pas des indications précises et fiables, sauf à rapporter la preuve contraire. La requérante ne peut prétendre dénier toute valeur aux données fournies dans ces réponses en se référant simplement à l'analyse des coûts de transport qu'elle avait proposée pendant la procédure administrative, dans sa lettre du 24 mai 1994, et qui n'a pas été acceptée par la Commission dans la décision attaquée.

92. En effet, dans sa lettre du 24 mai 1994, la requérante se réfère au rapport demandé par Dublin Port and Doks Board à la Dublin City University Business School (ci-après "Dublin Port Report") sur les coûts de transport dans le port de Dublin. En ce qui concerne les avantages sur les coûts de transport, dont jouirait Pilkington, la requérante se fonde sur des données ne se reférant pas spécifiquement à Pilkington mais simplement ramenées à la présumée activité commerciale de celle-ci. Par exemple, à la page 4 de sa lettre, elle affirme: "[Pilkington] n'est pas tenue d'avoir recours à des navires particuliers et navigue, par conséquent, sur ceux qui offrent les moindres coûts. Les livres du port de Dublin (pages 172-173) indiquent que des rabais de 15 % à 18 % peuvent être consentis en fonction du volume ou des unités garanties. Etant donné que Pilkington importe de grandes quantités de verre à destination du marché irlandais (et possède des bureaux à Dublin), elle est en mesure d'obtenir les rabais les plus intéressants. Par ailleurs, le rabais de 18 % est accordé pour les transports de jour tandis que celui de 15 % constitue le maximum pour les transports de nuit. En raison de la proximité de Liverpool, Pilkington a la possibilité de bénéficier du meilleur rabais, c'est-à-dire celui de 18 %. Enfin, Kish estime que Pilkington peut envoyer jusqu'à environ 40 unités par semaine et bénéficie d'un statut de client privilégié en payant les tarifs les plus bas, notamment si l'espace est réservé en bloc." D'ailleurs, la requérante, dans cette lettre, n'a pas cité de chiffres précis concernant le coûts des transports continentaux, et, toujours à la page 4 de cette lettre, elle indique: "Les livres du port de Dublin ne font pas apparaître le pourcentage des 20 conteneurs ouverts existants, mais il est certainement très faible puisque seules deux lignes maritimes proposent ce type particulier de transport [...]"

93. L'argument que la requérante tire de l'importance des coûts de transport, qui ressortirait des réponses des sociétés verrières irlandaises, n'est pas suffisant pour établir que le marché géographique concerné est constitué par le seul territoire irlandais. Le fait que les sociétés verrières établies dans la région de Dublin et à Galway s'approvisionnent pour la quasi-totalité de leur besoin chez Pilkington indique seulement que, en considération des coûts de transport, cette dernière a un avantage compétitif dans l'aire géographique proche de son usine, mais un tel avantage doit être considéré comme commun à la plus grande part des marchés. En outre, comme la requérante elle-même le relève, de nombreuses autres sociétés irlandaises achètent des quantités significatives de verre chez les producteurs continentaux. A cet égard, il importe de constater que la société établie à Limerick, qui, par rapport à Dublin, est située à une distance analogue à celle de Galway, n'achète chez Pilkington que 62 % de ses besoins en verre. Il est donc évident que les données relatives aux importations de verre, tirées des réponses des sociétés irlandaises, ne permettent pas de déduire, comme le fait la requérante, que le marché irlandais est distinct de celui de l'Europe du Nord.

94. Enfin, le Tribunal constate que l'argumentation de la requérante ne trouve aucun soutien dans les décisions qu'elle invoque. Ainsi, et en premier lieu, s'il découle du point 77 des considérants de la décision Verre plat que le coût de transport du verre est un facteur très important pour la commercialisation au-delà des frontières nationales et que la partie de la production destinée à l'exportation est limitée par rapport aux quantités destinées au marché intérieur, cela n'implique pas que l'analyse des coûts effectuée dans la décision attaquée soit erronée. En second lieu, la situation du marché du placoplâtre, dans l'affaire ayant donné lieu à la décision BPB, était tout à fait différente de celle du marché du verre flotté. En effet, dans la décision en question il apparaît que, à la différence du présent cas d'espèce, la société BPB Industries, accusée d'abus de position dominante, possédait une usine en Irlande approvisionnant le marché national et une usine en Grande-Bretagne qui n'exportait pas en Irlande. A cet égard, la Commission avait relevé que les prix de l'usine située en Grande-Bretagne n'étaient pas concurrentiels par rapport à ceux de l'Irlande (voir point 21 des considérants de la décision BPB). La Commission avait conclu que la Grande-Bretagne et l'Irlande constituaient le marché géographique concerné, étant donné que ces pays étaient "les seules régions de la Communauté où BPB [était] à la fois seul producteur et [détenait] une position de quasi-monopole pour la fourniture du placoplâtre" (point 24 des considérants de la décision BPB). Elle a donc déterminé le marché géographique en fonction de facteurs tout à fait différents de ceux invoqués par la requérante dans le cas présent.

95. Il découle de ce qui précède que le deuxième grief doit être rejeté.

Sur le troisième grief

96. Concernant l'analyse des différences de prix fob et caf du verre flotté de 4 mm en provenance du Royaume-Uni et vendus dans les autres pays de la Communauté, le Tribunal estime qu'une telle analyse n'est pas de nature à infirmer les conclusions que la Commission en a tirées dans la décision attaquée.

97. En ce qui concerne les prix fob, il convient de relever que, comme l'a souligné la Commission, ils correspondent au prix du produit chargé à bord et n'incluent pas les frais de transport ultérieurs qui sont, dans ce type de marché, normalement supportés par les producteurs; en conséquence, ces prix ne sauraient être considérés comme donnant des indications adéquates sur les prix réels du marché.

98. En revanche, le prix caf, qui comprend les coûts de production, d'assurance et de tout type de transport, peut être pris en compte pour déterminer les prix réels du marché. Toutefois, il importe de relever que les données présentées par la requérante ne sont pas de nature à étayer la thèse de cette dernière, selon laquelle le marché géographique concerné serait l'Irlande. En effet, il ressort de ces données que l'écart entre la moyenne des prix pratiqués en Irlande et la moyenne des prix pratiqués aux Pays-Bas (470-500 ; 30 écus par tonne) est inférieur à celui existant entre la moyenne des prix pratiqués aux Pays-Bas et la moyenne des prix pratiqués en Allemagne, en Belgique ou au Luxembourg (500-540 ; 40 écus par tonne). A la simple considération d'un tel argument, on devrait parvenir à la conclusion que l'Irlande appartient au même marché géographique que celui auquel appartiennent les Pays-Bas, et non, comme le soutient la requérante, que l'Irlande constitue un marché séparé du reste de l'Europe du Nord.

99. Il découle de ce qui précède que ce troisième grief doit être rejeté.

100. Il s'ensuit également que le cinquième moyen doit être rejeté comme non fondé.

101. Le recours doit, par conséquent, être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

102. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens et la défenderesse ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens.