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Décisions

CJCE, 5e ch., 16 mars 2000, n° C-395/96 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Compagnie maritime belge transports (SA), Compagnie maritime belge (SA), Dafra-Lines A/S

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Grimaldi, Cobelfret

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Edward

Avocat général :

M. Fennelly

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Sevón, Gulmann, Jann

Avocats :

Mes Waelbroeck, Clough

CJCE n° C-395/96 P

16 mars 2000

LA COUR,

1. Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 10 décembre 1996, Compagnie maritime belge SA (ci-après "CMB") et Compagnie maritime belge transports SA (ci-après "CMBT"), dans l'affaire C-395-96, ainsi que Dafra-Lines A/S (ci-après "Dafra"), dans l'affaire C-396-96, ont, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports ea/Commission (T-24-93 à T-26-93 et T-28-93, Rec. p. II-1201, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l'annulation de la décision 93-82-CEE de la Commission, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-32.448 et IV-32.450 Cewal, Cowac, Ukwal) et de l'article 86 du traité CEE (IV-32.448 et IV-32.450 Cewal) (JO 1993, L 34, p. 20, ci-après la "décision litigieuse").

2. CMB est une société holding du groupe CMB, qui exerce ses activités notamment dans le secteur de l'armement, de la gestion et de l'exploitation des opérations de trafic maritime. Le 7 mai 1991, les services de ligne et intermodaux ont été constitués en une entité juridique distincte, CMBT, avec effet au 1er janvier 1991.

3. CMB est membre de l'Associated Central West Africa Lines (ci-après "Cewal") qui est une conférence maritime dont le secrétariat est à Anvers. Cette conférence regroupe des compagnies maritimes qui assurent un service de ligne régulier entre des ports du Zaïre (qui est devenu depuis lors la République démocratique du Congo) et de l'Angola et ceux de la mer du Nord, à l'exception du Royaume-Uni.

4. Dafra est membre de Cewal et est également, depuis le 1er janvier 1988, membre du groupe CMB.

5. Il résulte de la décision litigieuse :

"Article premier

Les conférences maritimes Cewal, Cowac et Ukwal et leurs entreprises membres, dont la liste figure à l'annexe I, ont enfreint les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE, en prenant des engagements de non-concurrence aux termes desquels elles s'abstiennent en tant qu'armements indépendants (outsiders) d'opérer dans la zone d'activités des deux autres conférences maritimes, en vue de se répartir sur une base géographique le marché du transport maritime de ligne entre l'Europe du Nord et l'Afrique de l'Ouest.

Article 2

En vue d'obtenir l'élimination du principal concurrent indépendant sur le trafic en cause, les entreprises membres de la conférence maritime Cewal ont abusé de leur position dominante conjointe de la manière suivante :

- en participant à la mise en œuvre de l'accord de coopération avec l'Ogefrem et en demandant itérativement par diverses démarches son strict respect,

- en modifiant ses taux de fret en dérogeant aux tarifs en vigueur afin d'offrir des taux identiques ou inférieurs à ceux du principal concurrent indépendant pour des navires partant à la même date ou à des dates voisines (pratique dite des fighting ships/navires de combat)

et

- en établissant des accords de fidélité imposés à 100 % (y compris sur les marchandises vendues franco à bord) allant au-delà des dispositions de l'article 5 point 2 du règlement (CEE) n° 4056-86, avec l'utilisation spécifique décrite dans la présente décision faite des 'listes noires de chargeurs infidèles.

Article 3

Les entreprises destinataires de la présente décision sont tenues de mettre fin à l'infraction constatée à l'article 1er.

Les entreprises membres de la conférence maritime Cewal sont également tenues de mettre fin aux infractions constatées à l'article 2.

Article 4

Les entreprises destinataires de la présente décision sont tenues de s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet identique ou similaire à des accords et pratiques visés par l'article 1er.

Article 5

Il est recommandé aux entreprises membres de la conférence maritime Cewal de mettre les termes de leurs contrats de fidélité en conformité avec l'article 5 point 2 du règlement (CEE) n° 4056-86.

Article 6

Des amendes sont infligées aux entreprises membres de la conférence maritime Cewal en raison des infractions constatées à l'article 2, à l'exception descompagnies maritimes : Compagnie maritime zaïroise (CMZ), Angonave, Portline, et Scandinavian West Africa Lines (Swal).

Ces amendes sont les suivantes :

- Compagnie maritime belge : 9,6 millions (neuf millions six cent mille) écus,

- Dafra Line : 200 000 (deux cent mille) écus,

- Nedlloyd Lijnen BV : 100 000 (cent mille) écus,

- Deutsche Afrika Linien-Woermann Linie : 200 000 (deux cent mille) écus.

Article 7

Les amendes infligées à l'article 6 sont à payer dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision, en écus, au compte de la Commission des Communautés européennes n° 310-0933000-43, banque Bruxelles-Lambert, agence européenne, rond-point Robert Schuman 5, B-1040 Bruxelles.

Le montant de ces amendes porte intérêt de plein droit à compter de l'expiration du délai précité, au taux appliqué par le Fonds européen de coopération monétaire à ses opérations en écus le premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision a été adoptée, majoré de trois points et demi, soit 13,25 %.

Article 8

Les conférences maritimes Cewal, Cowac et Ukwal et leurs entreprises membres, dont la liste figure à l'annexe I, sont destinataires de la présente décision".

6. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 mars 1993, CMB et CMBT ont introduit un recours, inscrit sous le numéro T-24-93, ayant pour objet, à titre principal, l'annulation de la décision litigieuse.

7. Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 19 et 22 mars 1993, Dafra, Deutsche Afrika-Linien GmbH & Co et Nedlloyd Lijnen BV ont chacune formé un recours. Ces recours, qui ont été respectivement inscrits sous les numéros T-25-93, T-26-93 et T-28-93, avaient pour objet, à titre principal, l'annulation de la décision litigieuse.

8. Les requérantes ont invoqué quatre moyens au soutien de leur recours en annulation :

- dans l'affaire T-26-93, la requérante a fait valoir un moyen tiré de vices de procédure ;

- dans les affaires T-24-93, T-25-93 et T-28-93, les requérantes ont soutenu que les pratiques litigieuses n'affectaient pas les échanges intracommunautaires et, dans les affaires T-24-93 et T-25-93, que les marchés concernés ne faisaient pas partie du Marché commun ;

- dans les affaires T-24-93 à T-26-93, les requérantes ont contesté que les pratiques litigieuses aient eu pour objet ou pour effet de fausser la concurrence, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) ;

- dans chacune de ces affaires, les requérantes ont soutenu que les pratiques litigieuses n'étaient pas constitutives d'un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité CEE (devenu article 82 CE).

9. Le Tribunal, tout en réduisant le montant des amendes infligées, a néanmoins rejeté les recours tendant à l'annulation de la décision litigieuse.

10. Seules Dafra, CMB et CMBT ont introduit un pourvoi contre l'arrêt attaqué.

11. Dans le présent pourvoi, Dafra, CMB et CMBT soulèvent trois moyens contre l'arrêt attaqué :

- elles contestent la position dominante collective que les membres de Cewal sont présumés détenir ;

- elles contestent chacune des trois conclusions du Tribunal quant à l'abus de position dominante, concernant respectivement l'accord avec l'Office zaïrois de gestion de fret maritime (ci-après l'"Ogefrem"), les "navires de combat" et les accords de fidélité ;

- elles s'opposent aux amendes infligées.

Sur le moyen tiré de l'existence d'une position dominante collective

Arguments des requérantes

12. Par leur premier moyen, les requérantes contestent le fait que, ayant, aux points 59 à 68 de l'arrêt attaqué, examiné l'existence d'une position dominante collective, le Tribunal a conclu que la Commission avait suffisamment démontré, dans sa décision, que la position des membres de Cewal sur le marché pertinent devait être appréciée collectivement. Les requérantes soulèvent, à cet égard, trois griefs.

13. Par leur premier grief, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en fondant son raisonnement sur des motifs qui ne faisaient pas partie de la décision litigieuse.

14. Selon elles, la Commission a considéré, au point 61 de la décision litigieuse, que la conférence Cewal disposait d'une position dominante et que "Cette position dominante est détenue conjointement par les membres de la conférence Cewal, du fait qu'ils sont liés par l'accord de conférences qui crée des liens économiques très étroits entre eux" (voir, également, point 49 de la décision litigieuse). Or, il ressort du point 67 de l'arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que, au-delà des accords conclus entre les compagnies maritimes et créant la conférence Cewal, il existait entre elles des liens tels qu'elles avaient adopté une ligne d'action uniforme sur le marché. Les requérantes soulignent que le Tribunal n'a pas défini la nature de ces liens.

15. En effet, selon elles, il ne ressortirait pas de la décision litigieuse que la Commission ait considéré que, hormis l'accord de conférence, il existait certains liens économiques entre les membres de Cewal, de sorte que la position de cette dernière sur le marché devait être appréciée collectivement. Ces liens auraient dû être clairement énoncés dans la décision litigieuse et le Tribunal ne saurait être admis à suppléer le raisonnement de la Commission, en extrayant de la décision litigieuse des éléments individuels qui viendraient à l'appui d'une appréciation collective. Il en résulte que la décision litigieuse ne permettrait pas de corroborer la motivation du Tribunal sur ce point.

16. Par leur deuxième grief, les requérantes font valoir que, afin d'établir les liens économiques nécessaires pour justifier l'application de la notion de position dominante collective, le Tribunal a en réalité "recyclé" des pratiques concertées entre les membres de Cewal au sens de l'article 85 du traité. Les requérantes prétendent que cette approche contredit la jurisprudence de la Cour qui a posé comme condition, pour pouvoir conclure à l'existence d'une position dominante collective, que le groupe d'entreprises en cause soit lié par des liens d'une nature autre que de simples pratiques concertées ou accords au sens de l'article 85 du traité.

17. À cet égard, elles se fondent notamment sur le point 65 des conclusions de M. l'avocat général dans l'affaire DIP ea (arrêt du 17 octobre 1995, C-140-94 à C-142-94, Rec. p. I-3257), dans lequel il a reconnu qu'il ne suffit pas, pour établir l'existence de tels liens économiques étroits, d'invoquer le fait que les entreprises concernées participent à ce qui est au fond, en somme, une pratique concertée relevant de l'article 85 du traité.

18. Selon les requérantes, au point 65 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a précisément fondé sa conclusion selon laquelle la position des membres de Cewal sur le marché devait être appréciée collectivement, d'une part, sur l'existence de divers comités auxquels appartenaient les membres de Cewal et, d'autre part, sur le fait que ces membres étaient convenus de mener, à travers certains accords conclus au sein de comités, certaines pratiques jugées abusives par la Commission.

19. Toutefois, le Tribunal n'aurait fourni aucun élément permettant d'expliquer la raison pour laquelle la création de ces comités devait être considérée comme entraînant des liens économiques tels que ceux envisagés dans l'arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, SIV ea/Commission (T-68-89, T-77-89 et T-78-89, Rec. p. II-1403, point 358), duquel il ressort que les entreprises concernées doivent être unies par des liens économiques suffisants.

20. Par leur troisième grief, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en décidant que les pratiques concertées entre les compagnies maritimes membres de Cewal pouvaient être condamnées en tant qu'abus de position dominante collective.

21. Les requérantes estiment que des pratiques concertées entre entreprises qui pourraient potentiellement être considérées comme collectivement dominantes ne devraient pas être "recyclées" en abus de position dominante collective, mais plutôt traitées en vertu des règles applicables aux pratiques concertées. À cet égard, elles font valoir que l'article 86 du traité vise uniquement le comportement unilatéral d'entreprises détenant une position dominante alors que l'article 85 du traité vise le comportement concerté. Sur ce point, elles se réfèrent aux arrêts du 14 juillet 1981, Züchner (172-80, Rec. p. 2021, point 10), et du 5 octobre 1988, Alsatel (247-86, Rec. p. 5987, point 20).

22. En outre, selon les requérantes, il ressort de l'arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85-76, Rec. p. 461, point 39), que l'article 86 du traité s'applique uniquement à un comportement d'entreprises décidé unilatéralement et non à un comportement concerté entre des entreprises indépendantes. D'ailleurs, la Cour aurait jugé, dans l'arrêt du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro (66-86, Rec. p. 803, points 36 et suivants), que l'article 86 du traité ne peut s'appliquer qu'exceptionnellement à un accord entre deux entreprises.

23. Le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit en décidant que ces accords et/ou pratiques concertées pouvaient être considérés comme contraires à l'article 86 du traité bien qu'ils ne fussent pas l'aboutissement d'un comportement unilatéral des membres de Cewal.

24. Les requérantes font également valoir que le Tribunal n'a pas examiné leur moyen à cet égard ou, à tout le moins, que l'arrêt attaqué comporte des déclarations contradictoires.

25. En effet, la qualification correcte des pratiques prétendument abusives serait incertaine. Au point 64 de l'arrêt attaqué, le Tribunal soulignerait, en des termes légèrement contradictoires, que, "par le jeu des relations étroites que les compagnies maritimes entretiennent entre elles au sein d'une conférence maritime, elles sont à même, ensemble, sur le marché pertinent, de mettre en œuvre en commun des pratiques telles qu'elles constituent des comportements unilatéraux. De tels comportements peuvent présenter le caractère d'infractions à l'article 86 [du traité]...". De même, au point 65 de l'arrêt attaqué, le Tribunal relèverait que les membres de Cewal ont eu "la volonté d'adopter ensemble une même ligne d'action sur le marché pour réagir unilatéralement face à une évolution, jugée menaçante, de la situation concurrentielle du marché sur lequel ils sont présents".

26. Selon les requérantes, soit la ligne d'action est concertée, soit elle est unilatérale, mais elle ne saurait être à la fois concertée et unilatérale.

27. Dans ces conditions, l'arrêt attaqué devrait être annulé pour motivation défectueuse.

Appréciation de la Cour

Sur le grief selon lequel le Tribunal aurait fondé son raisonnement sur des motifs qui ne faisaient pas partie de la décision litigieuse

28. Le premier grief résulte d'une interprétation erronée des points 64 à 67 de l'arrêt attaqué.

29. Au point 64, le Tribunal a constaté que l'article 86 du traité était susceptible de s'appliquer aux comportements unilatéraux d'une conférence maritime. Au point 65, il a constaté que, au vu des éléments contenus dans la décision litigieuse, les pratiques reprochées aux membres de Cewal traduisaient la volonté d'adopter ensemble une même ligne d'action sur le marché pour réagir unilatéralement face à une évolution, jugée menaçante, de la situation concurrentielle du marché sur lequel ils sont présents. Le Tribunal a jugé, en conséquence, au point 66, que la Commission avait suffisamment démontré qu'il convenait d'apprécier collectivement la position des membres de Cewal sur le marché pertinent.

30. Au point 67, le Tribunal a répondu à l'argument selon lequel la Commission avait "recyclé" les faits constitutifs d'une infraction à l'article 85 du traité. Ce point n'avait pas, en revanche, pour objet de faire état de liens autres que ceux déjà constatés au point 65.

31. Il en résulte que ce premier grief doit être rejeté comme non fondé.

Sur les griefs concernant le prétendu "recyclage" de pratiques concertées, la possibilité pour des pratiques concertées de constituer un abus de position dominante et la motivation de l'arrêt attaqué à cet égard

32. Les deuxième et troisième griefs, qu'il convient d'examiner ensemble, portent essentiellement sur la question de savoir si la Commission peut, pour constater un abus de position dominante, se fonder uniquement sur des circonstances ou situations de fait qui seraient constitutives d'un accord, d'une décision ou d'une pratique concertée relevant de l'article 85, paragraphe 1, du traité, et donc nuls de plein droit, sauf en cas d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

33.Il ressort des termes mêmes des articles 85, paragraphe 1, sous a), b), d) et e), et 86, sous a) à d), du traité qu'une même pratique peut donner lieu à une infraction aux deux dispositions. L'application concomitante des articles 85 et 86 du traité ne peut donc être exclue a priori.Toutefois, les objectifs respectivement poursuivis par ces deux dispositions doivent être distingués.

34.L'article 85 du traité s'applique aux accords, décisions et pratiques concertées, susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres de manière sensible, sans tenir compte de la position sur le marché des entreprises concernées. En revanche, l'article 86 du traité vise le comportement d'un ou plusieurs opérateurs économiques, lequel consiste dans le fait d'exploiter de façon abusive une situation de puissance économique qui permet à l'opérateur concerné de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs (voir arrêt du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 30).

35. Selon les termes de l'article 86 du traité, une position dominante peut être détenue par plusieurs "entreprises". La Cour a jugé, à maintes reprises, que la notion d'"entreprise" figurant dans le chapitre du traité consacré aux règles de concurrence présuppose l'autonomie économique de l'entité concernée (voir, notamment, arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin, 22-71, Rec. p. 949).

36. Il s'ensuit que l'expression "plusieurs entreprises" figurant à l'article 86 du traité implique qu'une position dominante peut être détenue par deux ou plusieurs entités économiques, juridiquement indépendantes l'une de l'autre, à condition que, du point de vue économique, elles se présentent ou agissent ensemble sur un marché spécifique, comme une entité collective.C'est en ce sens qu'il convient de comprendre l'expression "position dominante collective", qui sera utilisée dans la suite du présent arrêt.

37. Or, la constatation de l'existence d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise concernée, mais signifie seulement qu'il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le Marché commun (voir arrêt Michelin/Commission, précité, point 57).

38. Cette même conclusion s'impose s'agissant des entreprises qui détiennent une position dominante collective. La constatation que deux ou plusieurs entreprises détiennent une position dominante collective doit, en principe, procéder d'une appréciation économique de la position sur le marché pertinent des entreprises concernées, antérieurement à tout examen de la question de savoir si ces entreprises ont exploité de façon abusive leur position sur le marché.

39. Il est donc nécessaire, aux fins d'une analyse au titre de l'article 86 du traité, d'examiner si les entreprises concernées constituent ensemble une entité collective à l'égard de leurs concurrents, de leurs partenaires commerciaux et des consommateurs sur un marché déterminé. Ce n'est que dans le cas d'une réponse positive qu'il conviendrait d'examiner si cette entité collective détient effectivement une position dominante et si celle-ci se comporte de manière abusive.

40. Il y a lieu de relever que, dans l'arrêt attaqué, le Tribunal a pris soin d'examiner séparément ces trois éléments, à savoir la position collective, la position dominante et l'abus d'une telle position.

41. Pour constater l'existence d'une entité collective au sens qui a été précédemment dégagé, il est nécessaire d'examiner les liens ou facteurs de corrélation économiques entre les entreprises concernées (voir, notamment, arrêts du 27 avril 1994, Almelo, C-393-92, Rec. p. I-1477, point 43, et du 31 mars 1998, France ea/Commission, C-68-94 et C-30-95, Rec. p. I-1375, point 221).

42. À cet égard, il y a lieu notamment de vérifier si des liens économiques existent entre les entreprises concernées qui leur permettent d'agir ensemble indépendamment de leurs concurrents, de leurs clients et des consommateurs (voir, à cet égard, arrêt Michelin/Commission, précité).

43. Il y a lieu de relever que la seule circonstance que deux ou plusieurs entreprises soient liées par un accord, par une décision d'associations d'entreprises ou par une pratique concertée, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, ne saurait constituer, en soi, une base suffisante pour une telle constatation.

44. En revanche,un accord, une décision ou une pratique concertée (bénéficiant ou non d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité) peut incontestablement, lorsqu'il est mis en œuvre, avoir pour conséquence que les entreprises concernées se sont liées quant à leur comportement sur un marché déterminé de manière qu'elles se présentent sur ce marché comme une entité collective à l'égard de leurs concurrents, de leurs partenaires commerciaux et des consommateurs.

45. L'existence d'une position dominante collective peut donc résulter de la nature et des termes d'un accord, de la manière de sa mise en œuvre et, partant, des liens ou facteurs de corrélation entre entreprises qui en résultent. Toutefois, l'existence d'un accord ou d'autres liens juridiques n'est pas indispensable à la constatation qu'il existe une position dominante collective, constatation qui pourrait résulter d'autres facteurs de corrélation et dépendrait d'une appréciation économique et, notamment, d'une appréciation de la structure du marché en cause.

46. Selon l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement (CEE) n° 4056-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L 378, p. 4), une conférence maritime est un "groupe d'au moins deux transporteurs exploitants de navires qui assure des services internationaux réguliers pour le transport de marchandises sur une ligne ou des lignes particulières dans des limites géographiques déterminées et qui a conclu un accord ou un arrangement, quelle qu'en soit la nature, dans le cadre duquel ces transporteurs opèrent en appliquant des taux de fret uniformes ou communs et toutes autres conditions de transport concertées pour la fourniture des services réguliers".

47. Il ressort du huitième considérant de ce règlement que de telles conférences "exercent un rôle stabilisateur de nature à garantir des services fiables aux chargeurs ; qu'elles contribuent généralement à assurer une offre de services de transport maritime réguliers, suffisants et efficaces et ceci en prenant en considération les intérêts des usagers dans une mesure équitable ; que ces résultats ne peuvent être obtenus sans la coopération que les compagnies maritimes développent au sein desdites conférences en matière de tarifs et, le cas échéant, d'offre de capacité ou de répartition des tonnages à transporter, voire des recettes ; que, le plus souvent, les conférences restent soumises à une concurrence effective de la part tant des services réguliers hors conférence que, dans certains cas, de services de tramp et d'autres modes de transport ; que la mobilité des flottes, qui caractérise la structure de l'offre dans le secteur des services de transports maritimes, exerce une pression concurrentielle permanente sur les conférences, lesquelles n'ont normalement pas la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services de transport maritime en cause."

48. Il résulte de ces dispositions que, de par sa nature et au regard de ses objectifs, une conférence maritime, telle que définie par le Conseil comme bénéficiaire de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 4056-86, peut être qualifiée d'entité collective qui se présente comme telle sur le marché vis-à-vis tant des utilisateurs que des concurrents. Dans cette perspective, il est logique que le Conseil prévoie, par le règlement n° 4056-86, les dispositions nécessaires pour éviter qu'une conférence maritime produise des effets incompatibles avec l'article 86 du traité (voir, notamment, article 8 dudit règlement).

49. Cela ne préjuge en rien la question de savoir si, dans une situation donnée, une conférence maritime détient une position dominante sur un marché déterminé ou, a fortiori, a exploité cette position de façon abusive. En effet, ainsi qu'il ressort des termes de l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86, c'est par son comportement qu'une conférence détenant une position dominante peut produire des effets incompatibles avec l'article 86 du traité.

50. C'est à la lumière de ces considérations qu'il y a lieu d'examiner le bien-fondé des deuxième et troisième griefs.

51. Il convient d'ores et déjà de constater que les requérantes n'ont contesté, dans leur pourvoi, ni la définition du marché pertinent ni les éléments tendant à démontrer la position dominante de la conférence Cewal sur ce marché (à supposer l'existence d'une position collective établie).

52. Certes, dans la décision litigieuse, section II, sous A, intitulé "Applicabilité de l'article 86 aux conférences maritimes", la Commission s'est contentée de constater, au point 49, que l'article 8 du règlement n° 4056-86 prévoit la possibilité d'abus d'une position dominante de la part des conférences maritimes, que le Tribunal avait cité les conférences maritimes comme exemple des accords entre entités économiquement indépendantes, permettant des liens économiques tels que, de ce fait, elles peuvent détenir ensemble une position dominante par rapport aux autres opérateurs sur le même marché et que l'accord entre les membres de la conférence Cewal constitue un tel accord. Selon le point 50 de ladite décision, le fait que certaines activités de la conférence Cewal soient autorisées par une exemption de groupe n'empêche pas la possibilité d'appliquer l'article 86 du traité à l'encontre des activités de la conférence.

53. Il est vrai que le Tribunal a fait état, au point 65 de l'arrêt attaqué, d'un nombre d'éléments qui, tout en figurant dans la décision litigieuse, n'ont cependant pas été explicitement mentionnés aux points 49 et 50 de ladite décision.

54. Toutefois, il ne s'ensuit pas que le Tribunal doit être censé avoir considéré que, en l'absence des éléments spécifiques qu'il a évoqués au point 65 de l'arrêt attaqué, la Commission n'aurait pas été en droit de constater que la conférence Cewal constituait une entité collective susceptible de détenir une position dominante sur le marché pertinent. Bien au contraire, la motivation figurant au point 65 dudit arrêt est destinée à démontrer, en réponse aux arguments des requérantes, que la mise en œuvre de l'accord Cewal avait pour conséquence que les membres de la conférence se présentaient sur le marché comme une entité collective.

55. Il y a lieu, en outre, de relever que les requérantes n'ont ni contesté l'exactitude des éléments évoqués par le Tribunal au point 65 de l'arrêt attaqué et qui figuraient déjà dans la décision litigieuse ni prétendu qu'elles n'avaient pas été en mesure de faire valoir leur point de vue à cet égard au cours de la procédure administrative.

56. Le bien-fondé d'une appréciation juridique de la Commission, telle que celle figurant aux points 49 et 50 de la décision litigieuse, doit être apprécié à la lumière non seulement des faits et circonstances expressément mentionnés dans la partie d'une décision consacrée à cette appréciation, mais également de tout autre élément incontesté figurant dans cette même décision.

57. Il résulte de ce qui précède que le Tribunal n'a commis aucune erreur de droit en constatant que, en l'espèce, la Commission avait démontré à suffisance de droit que l'accord Cewal, tel qu'il avait été mis en œuvre, permettait d'apprécier collectivement le comportement des membres de la conférence ainsi constituée.

58. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si le comportement des membres d'une conférence maritime doit toujours être apprécié collectivement aux fins de l'application de l'article 86 du traité.

59. Il convient dès lors de rejeter les deuxième et troisième griefs, et donc le premier moyen.

Sur le moyen tiré du prétendu abus de position dominante de Cewal

60. Par leur deuxième moyen, les requérantes soutiennent qu'aucune des trois prétendues infractions retenues contre elles, tant par la Commission que par le Tribunal, ne peut être qualifiée comme telle.

Sur l'abus concernant l'accord de coopération (ci-après l'"accord Ogefrem")

Arguments des requérantes

61. Les requérantes reprochent au Tribunal, tout d'abord, la violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable, ensuite, l'existence d'une contradiction dans la motivation de l'arrêt attaqué et, enfin, le fait que le Tribunal n'ait pas mentionné certains de leurs arguments.

62. Concernant la violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable, les requérantes prétendent que le Tribunal a violé leurs droits, en substituant au grief concernant l'Ogefrem qui figure dans la décision litigieuse un grief nouveau.

63. Selon les requérantes, aux points 63 à 72 et 115 de la décision litigieuse, la Commission leur a reproché, en premier lieu, de ne pas avoir dénoncé les articles 1er à 6 de l'accord Ogefrem et, en second lieu, d'avoir rappelé à l'Ogefrem que l'exclusivité qui leur avait été concédée devait être respectée. Elles soutiennent que le Tribunal a substitué à ce double grief un grief nouveau, tiré du fait qu'elles n'auraient prétendument pas fait un usage raisonnable de leur droit de veto.

64. Selon les requérantes, il existe une différence fondamentale entre le fait de demander à une autorité publique d'agir et celui d'opposer formellement son "veto" à un acte de cette autorité, puisque l'existence d'un droit de veto vise une situation dans laquelle la personne disposant d'un tel droit a un pouvoir de blocage. Les requérantes prétendent n'avoir jamais eu la possibilité de présenter leurs observations concernant ce nouveau grief. En outre, il ne serait corroboré par aucun élément de fait.

65. Les requérantes estiment que ce nouveau grief a permis au Tribunal d'ignorer la double nature du grief porté par la Commission à l'encontre des membres de Cewal.

66. En ce qui concerne le premier grief selon lequel Cewal n'a pas dénoncé les articles 1er à 6 de l'accord Ogefrem, les requérantes constatent que le Tribunal a considéré que l'infraction s'était achevée en septembre 1989. Elles soulignent que, étant donné que l'accord n'a jamais été dénoncé, il peut en être déduit que le Tribunal, contrairement à la Commission, a considéré que l'accord, en tant que tel, ne constituait pas une pratique abusive ou, à tout le moins, qu'il n'a pas examiné si cette partie du grief constituait une pratique abusive. En tout état de cause, les requérantes soutiennent que le Tribunal aurait dû annuler l'amende en ce qui concerne cette pratique abusive.

67. Si, en revanche, le Tribunal avait considéré que les dispositions relatives à l'exclusivité constituaient en tant que telles une pratique abusive, les requérantes estiment qu'il aurait dû répondre aux moyens qu'elles avaient soulevés selon lesquels l'exclusivité leur avait été accordée par la république du Zaïre et constituait donc un acte de puissance publique.

68. Quant au second grief concernant les demandes émanant des membres de Cewal et visant à un strict respect de l'accord Ogefrem, les requérantes soutiennent que la différence entre le fait de demander à une autorité d'agir et celui d'opposer formellement son veto à un acte de cette autorité a permis au Tribunal d'écarter les arguments des requérantes concernant ce grief.

69. À titre subsidiaire, les requérantes estiment que, même si le Tribunal n'a pas modifié le grief de la Commission, il aurait dû répondre aux moyens qu'elles avaient soulevés selon lesquels le simple encouragement à une action gouvernementale ne saurait être qualifié de pratique abusive.

70. Par leur deuxième argument, les requérantes soutiennent que, puisque le Tribunal a considéré que les membres de Cewal n'étaient pas accusés de n'avoir pas dénoncé l'accord Ogefrem ni d'avoir incité un gouvernement à agir, il ne pouvait, sans se contredire, conclure que la Commission avait pu, à juste titre, considérer que les membres de Cewal, en participant activement à la mise en œuvre de l'accord et en demandant itérativement le strict respect de cet accord, avaient violé l'article 86 du traité.

71. Par leur troisième argument, les requérantes soutiennent que le fait qu'elles n'aient pas renoncé à exercer leurs droits exclusifs ne peut constituer un abus aux fins de l'article 86 du traité.

Appréciation de la Cour

72. Il y a lieu, d'abord, d'examiner si le Tribunal a substitué au grief concernant l'Ogefrem figurant dans la décision litigieuse un nouveau grief tiré du fait que les requérantes n'auraient prétendument pas fait un usage raisonnable de leur droit de veto.

73. Il ressort de l'article 2 de la décision litigieuse que la Commission a considéré que les entreprises membres de la conférence maritime Cewal avaient abusé de leur position dominante conjointe en participant à la mise en œuvre de l'accord Ogefrem et en demandant itérativement par diverses démarches son strict respect.

74. Au point 109 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que la Commission avait pu, à juste titre, considérer que les membres de Cewal, en participant activement à la mise en œuvre de l'accord Ogefrem et en demandant itérativement le strict respect de cet accord, dans le cadre d'un plan destiné à évincer l'unique armateur indépendant dont l'accès au marché avait été autorisé par l'Ogefrem, avaient enfreint l'article 86 du traité.

75. Bien que le Tribunal ait mentionné, au point 108 de l'arrêt attaqué, l'usage du droit de veto, cette référence ne peut renvoyer qu'à la possibilité donnée à Cewal par l'accord Ogefrem de refuser d'approuver des dérogations à l'exclusivité qui lui était accordée. Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 58 de ses conclusions, cette référence est sans incidence sur la qualification de l'abus, qui consiste, selon tant le Tribunal que la Commission, dans l'insistance avec laquelle Cewal a réclamé le strict respect de son droit exclusif.

76. En effet, la référence au droit de veto ne vise pas à décrire un abus, mais plutôt à répondre à l'argumentation développée par les requérantes selon laquelle leur comportement leur avait été imposé par les autorités zaïroises.

77. Quant aux autres arguments présentés sur ce point, étant donné que ni la Commission ni le Tribunal n'a considéré que l'accord Ogefrem constituait une violation de l'article 86 du traité, le Tribunal pouvait conclure que la violation s'était achevée au mois de septembre 1989, même si cet accord en lui-même était toujours en vigueur.

78. Le Tribunal n'a pas non plus considéré que l'exclusivité accordée par l'accord Ogefrem constituait en elle-même un abus. Il n'était donc pas obligé d'examiner les arguments des requérantes selon lesquels l'octroi d'une telle exclusivité aurait constitué un acte de puissance publique.

79. Il convient dès lors de se demander si le Tribunal aurait dû considérer les arguments des requérantes selon lesquels le simple encouragement à une action gouvernementale ne pouvait être qualifié de pratique abusive.

80. Il ressort des points 104 et 105 de l'arrêt attaqué que l'article 1er, premier alinéa, de l'accord Ogefrem prévoyait une exclusivité au profit des membres de Cewal, pour l'ensemble des marchandises à transporter dans le cadre du champ d'action de la conférence. Le second alinéa de cet article prévoyait expressément la possibilité de dérogations avec l'accord des deux parties. L'Ogefrem a unilatéralement accordé son agrément à un armateur indépendant, en principe à hauteur de 2 % de l'ensemble du trafic zaïrois, mais dont la part a progressé par la suite. Les membres de Cewal ont alors entrepris des démarches auprès de l'Ogefrem afin d'obtenir que Grimaldi et Cobelfret (ci-après "G & C") soient écartées du marché. Ils ont notamment rappelé à l'Ogefrem ses obligations et ont demandé leur strict respect.

81. À cet égard, il y a lieu, d'une part, d'examiner si le fait que les requérantes ont, dans le cadre d'un accord conclu avec les autorités zaïroises, insisté sur le respect des termes de cet accord peut être assimilé à un simple encouragement à une action gouvernementale. Dans l'affirmative, il convient, d'autre part, de s'assurer qu'un tel encouragement peut constituer en soi un comportement abusif.

82. Or, il existe incontestablement une différence entre une demande faite à une autorité publique de respecter une obligation contractuelle spécifique et une simple incitation ou "encouragement" de l'autorité à agir. En effet, dans le dernier cas, il s'agit d'une simple tentative d'influencer l'autorité concernée dans l'exercice de la marge d'appréciation qui lui appartient. En revanche, une demande de respecter une obligation contractuelle spécifique a pour objet de faire valoir des droits juridiques que l'autorité concernée serait, par hypothèse, tenue de respecter.

83. Il en résulte que le fait que les requérantes ont insisté sur le respect des termes de l'accord Ogefrem ne peut pas être assimilé à une simple incitation des autorités zaïroises à une action gouvernementale. Il n'est donc pas nécessaire de considérer si, et dans quelles circonstances, une simple incitation d'un gouvernement à agir peut constituer un comportement abusif au sens de l'article 86 du traité.

84. Ainsi qu'il a été indiqué, le Tribunal et la Commission ont considéré que l'abus consistait dans le fait que Cewal avait réclamé avec insistance auprès des autorités zaïroises le strict respect de son droit exclusif.

85. À cet égard, il y a lieu de rappeler que l'existence d'une position dominante signifie qu'il incombe à l'entreprise dominante ou aux entreprises dominantes, indépendamment des causes ayant entraîné une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par leur comportement à une concurrence effective et non faussée dans le Marché commun (arrêt Michelin/Commission, précité, point 57).

86. Or, il est constant, en l'espèce, que Cewal a essayé de se prévaloir d'une exclusivité contractuelle prévue dans l'accord Ogefrem afin d'évincer le seul concurrent du marché. Un tel comportement n'était nullement exigé par cet accord, étant donné que, en vertu de son article 1er, second alinéa, il est expressément prévu la possibilité d'accorder des dérogations, en sorte que les exigences de l'article 86 du traité pouvaient être respectées.

87. Il s'ensuit que le deuxième argument doit être rejeté et que le troisième, selon lequel il aurait été reproché aux requérantes de ne pas avoir renoncé à leurs droits exclusifs, est dénué de toute pertinence.

88. Il résulte de ce qui précède que les premier, deuxième et troisième arguments soutenus par les requérantes à l'appui de leur moyen concernant l'accord Ogefrem doivent être rejetés.

Sur l'abus concernant la pratique dite des "navires de combat" ("fighting ships")

Arguments des requérantes

89. Les requérantes soutiennent, en premier lieu, que le Tribunal n'a pas répondu à leur moyen selon lequel la définition par la Commission de la pratique abusive, qui leur était reprochée, a été modifiée par rapport à la communication des griefs, en sorte que la décision litigieuse aurait dû être annulée pour violation des droits de la défense.

90. Selon les requérantes, sur la base de la communication des griefs et de la décision litigieuse, elles ont supposé que la pratique abusive qui leur était reprochée impliquait l'amarrage d'un navire à côté du navire "outsider", l'offre simultanée de taux inférieurs à ceux pratiqués par l'outsider et la répartition des pertes subies par les navires de combat entre les membres de la conférence. Les requérantes ont en outre supposé que l'existence de pertes impliquait l'adoption de prix prédatoires par opposition à la pratique normale consistant à s'aligner sur les tarifs d'un concurrent afin de lui faire loyalement la concurrence.

91. Dans sa défense devant le Tribunal, la Commission a indiqué que la condition qu'un appareillage soit délibérément programmé pour coïncider avec celui du navire du concurrent n'était pas essentielle. Elle a également indiqué que la condition que les tarifs appliqués soient inférieurs à ceux du concurrent ne constituait pas non plus une caractéristique essentielle de la pratique dite des "navires de combat". En outre, la Commission a fait valoir que ce n'était pas indispensable, dans le cas d'une conférence en position dominante, que les taux de fret appliqués entraînent des pertes d'exploitation pour les compagnies membres d'une conférence.

92. Enfin, la Commission a contesté la pertinence de la notion des prix prédatoires.

93. Les requérantes soutiennent que c'est uniquement à ce stade de la procédure qu'elles ont réalisé que la Commission avait changé sa définition de la pratique abusive qui leur était reprochée. C'est la raison pour laquelle, dans leur réplique, elles ont souligné que, si la décision litigieuse devait être interprétée comme ayant été fondée sur cette nouvelle définition, elle a condamné les membres de Cewal pour une pratique qui ne leur était pas reprochée dans la communication des griefs. Partant, cette décision aurait dû être annulée pour violation des droits de la défense et de l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE).

94. Selon les requérantes, le Tribunal, après avoir examiné certains extraits de la décision litigieuse, a conclu qu'elle était fondée sur la même définition que celle avancée par la Commission dans sa défense. Toutefois, il n'a pas examiné le moyen selon lequel ladite décision aurait dû, dans ce cas, être annulée pour violation des droits de la défense des requérantes. Ces dernières prétendent donc que l'arrêt attaqué devrait être annulé.

95. En second lieu, les requérantes font valoir que l'arrêt attaqué devrait être annulé pour interprétation erronée de la décision litigieuse. Selon elles, le Tribunal a conclu à tort que ladite décision était fondée sur une nouvelle définition de la pratique prétendument abusive. À cet égard, les requérantes indiquent que la Commission elle-même, dans son vingt-deuxième Rapport sur la politique de concurrence de 1992, a donné une interprétation différente de la décision litigieuse, en soulignant que la pratique dite des "navires de combat", pour laquelle les membres de Cewal ont été condamnés, comprenait les trois éléments exigés dans la communication des griefs. Les requérantes soutiennent que, en procédant à une interprétation erronée de ladite décision, le Tribunal a lui même modifié la nature du grief porté à leur encontre, en violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable.

96. En troisième lieu, les requérantes soutiennent que la pratique abusive nouvellement définie ne peut pas être qualifiée comme telle. À cet égard, elles font valoir qu'il est constant que les entreprises jouissant d'une position dominante ont le droit de réagir à la concurrence provenant d'entreprises concurrentes. Elles considèrent que le Tribunal a commis une erreur de droit en refusant de reconnaître qu'une entreprise dominante peut, en réaction à la concurrence sur le prix exercée par une nouvelle entreprise souhaitant pénétrer son marché, concevoir un plan visant à éliminer cette entreprise en pratiquant des réductions de prix sélectives, du moment que les prix qu'elle offre ne sont pas abusifs, au sens défini par la Cour dans l'arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C-62-86, Rec. p. I-3359).

97. Les requérantes estiment, en outre, que tant la Commission que le Tribunal ont omis de démontrer que les conditions requises pour qu'il y ait pratique de prix prédatoires étaient réunies en l'espèce. Selon elles, la Cour, dans l'arrêt AKZO/Commission, précité, a fixé des critères stricts en vertu desquels les prix dits "prédatoires" pouvaient être considérés comme un abus de position dominante en vertu de l'article 86 du traité. Ces critères exigent la fixation de prix inférieurs aux coûts de revient. En l'espèce, étant donné que les prix pratiqués par les membres de Cewal n'étaient pas inférieurs aux coûts, ces derniers ne pouvaient pas être accusés d'avoir appliqué des prix prédatoires. Le seul fait que cette concurrence par les prix a été menée dans le but d'évincer un concurrent du marché ne peut pas rendre une concurrence légitime illégale.

98. Si ces griefs devaient être rejetés, les requérantes considèrent, en tout état de cause, que la définition de la pratique abusive est nouvelle, en sorte qu'aucune amende ne pourrait leur être infligée.

Appréciation de la Cour

99. Quant au premier grief selon lequel le Tribunal n'aurait pas répondu au moyen soulevé au stade de la réplique, il ressort de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal que la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

100. Le moyen soulevé par les requérantes n'était recevable devant le Tribunal que si la prétendue différence entre la communication des griefs et la décision litigieuse était apparue au cours de la procédure engagée devant cette juridiction.

101. À cet égard, il ressort du point 23 de la communication des griefs qu'il était reproché aux requérantes d'avoir déterminé des prix de combat fixés en commun qui dérogeaient au tarif normalement pratiqué par Cewal et qui étaient déterminés non pas en fonction de "critères économiques (c'est-à-dire en rapport avec les coûts) mais uniquement de façon à être inférieurs aux prix annoncés par G & C, les pertes résultant de ce système de fixation des prix étant partagées entre les membres de Cewal". À la page 20 de cette communication, la Commission a ajouté qu'"Un tel comportement (fixation de prix prédatoires) en vue d'éliminer un concurrent du marché" constitue un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité.

102. L'article 2 de la décision litigieuse constate que les requérantes ont abusé de leur position dominante en modifiant leurs taux de fret en dérogeant aux tarifs en vigueur afin d'offrir des prix identiques ou inférieurs à ceux du principal concurrent indépendant pour des navires partant à la même date ou à des dates voisines. Au point 73 de la décision litigieuse, la Commission a expliqué que la diminution des revenus résultant de ce système de fixation des prix par rapport au tarif conférentiel était prise en charge par tous les membres de la conférence Cewal. Au point 74, la Commission a en outre expliqué que, du fait de la fréquence des départs des navires membres de la conférence Cewal, celle-ci pouvait désigner des navires de combat sans porter atteinte aux horaires prévus.

103. Force est de reconnaître, prima facie, qu'il existe une différence entre la définition de l'exploitation abusive telle que figurant dans la communication des griefs et celle mentionnée dans la décision litigieuse. En effet, la première fait référence à des prix inférieurs aux prix annoncés par G & C et à des pertes, tandis que la seconde fait référence à des prix inférieurs ou égaux aux prix annoncés par G & C, ainsi qu'à une diminution de revenus.

104. Toutefois, cette différence ressort d'une simple comparaison des termes mêmes des deux documents et aurait dû être évidente lors de la communication de la décision litigieuse. Il ne saurait être prétendu qu'il s'agit ici d'un élément de droit ou de fait qui s'est révélé pendant la procédure devant le Tribunal.

105. Il convient donc de déterminer si le Tribunal était tenu de statuer sur ce moyen, invoqué pour la première fois au stade de la réplique.

106. À cet égard, il est vrai que le Tribunal doit, en principe, répondre aux arguments présentés dans le cadre d'une procédure et motiver une décision portant sur l'irrecevabilité d'une demande afin que la Cour puisse, dans le cadre d'un pourvoi, exercer son contrôle juridictionnel (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 1998, Conseil/De Nil et Impens, C-259-96, Rec. p. I-2915, point 32).

107. Il ne saurait toutefois être exigé du Tribunal, chaque fois qu'une partie invoque, au cours de la procédure, un moyen nouveau qui ne répond manifestement pas aux exigences de l'article 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure, soit qu'il explique dans son arrêt les raisons pour lesquelles ce moyen est irrecevable, soit qu'il l'examine au fond.

108. En tout état de cause, le fait que le Tribunal n'a pas expressément statué sur la recevabilité de ce moyen n'a pas affecté la situation des requérantes, l'irrecevabilité du moyen étant évidente.

109. En ce qui concerne le deuxième grief des requérantes sur l'interprétation faite par le Tribunal de la décision litigieuse, il y a lieu de rappeler que, dans sa défense, la Commission a indiqué qu'il n'était pas nécessaire qu'un navire de combat soit un navire spécialement affrété, que les prix soient inférieurs à ceux du concurrent ou que l'opération ait pour résultat des pertes effectives.

110. Ainsi que le Tribunal l'a constaté, il n'existe pas, à cet égard, de différences entre la décision litigieuse et le mémoire en défense. En effet, loin d'introduire une nouvelle définition de l'abus concernant les navires de combat par rapport à ladite décision, le mémoire en défense est conforme à celle-ci, en sorte que ce grief doit être rejeté comme non fondé.

111. Le troisième grief des requérantes porte sur la question de savoir si le comportement prétendument abusif, tel que défini dans la décision litigieuse et le mémoire en défense, peut être qualifié de tel.

112. Il est de jurisprudence constante que l'énumération des pratiques abusives, contenue à l'article 86 du traité, n'épuise pas les modes d'exploitation abusive de position dominante interdits par le traité (arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6-72, Rec. p. 215, point 26).

113. Il est d'ailleurs constant que, dans certaines circonstances, le fait, pour une entreprise en position dominante, de renforcer cette position au point que le degré de domination ainsi atteint entrave substantiellement la concurrence est susceptible de constituer un abus(arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, précité, point 26).

114. En outre, le champ d'application matériel de la responsabilité particulière pesant sur une entreprise dominante doit être apprécié au regard des circonstances spécifiques de chaque cas d'espèce, démontrant un affaiblissement de la concurrence (arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C-333-94, Rec. p. I-5951, point 24).

115. Or, le marché des transports maritimes est un secteur très spécialisé. C'est en raison du caractère spécifique de ce marché que le Conseil a mis en place, par le règlement n° 4056-86, un régime de concurrence différent de celui qui s'applique à d'autres secteurs économiques. En effet, l'autorisation accordée aux conférences maritimes, pour une période illimitée, de se concerter sur la fixation des prix pour la partie maritime de transports revêt un caractère exceptionnel eu égard aux réglementations applicables ainsi qu'à la politique de la concurrence.

116. Il ressort du huitième considérant du règlement n° 4056-86 que l'autorisation de fixation des prix a été accordée aux conférences maritimes en raison de leur rôle stabilisateur et de leur contribution à assurer une offre de services de transport maritime réguliers, suffisants et efficaces. Il peut en résulter que, au cas où une seule conférence maritime occupe une position dominante sur un marché spécifique, il serait peu avantageux pour l'utilisateur de ces services de recourir à un concurrent indépendant, sauf si ce dernier pouvait offrir des prix plus intéressants que ceux de la conférence maritime.

117. Il s'ensuit que, lorsqu'une conférence maritime en position dominante procède à une baisse sélective des prix afin de les aligner, d'une façon ciblée, sur ceux d'un concurrent, elle en profite à un double titre. D'une part, elle élimine le principal, voire le seul, moyen de concurrence ouvert à l'entreprise concurrente. D'autre part, elle peut continuer à demander aux utilisateurs des prix supérieurs pour les services qui ne sont pas menacés par cette concurrence.

118. Il n'est pas nécessaire, en l'espèce, de prendre position, d'une manière générale, sur les circonstances dans lesquelles une conférence maritime peut légitimement adopter, au cas par cas, des prix inférieurs à ceux du tarif qu'elle a annoncé afin de faire face à un concurrent qui offre des prix plus intéressants ni de s'interroger sur la portée exacte de l'expression "taux de fret uniformes ou communs" figurant à l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056-86.

119. Il suffit de rappeler qu'il s'agit, en l'occurrence, du comportement d'une conférence détenant plus de 90 % de parts du marché en cause et n'ayant qu'un seul concurrent. Les requérantes n'ont d'ailleurs jamais sérieusement contesté, mais ont au demeurant reconnu à l'audience, que l'objet du comportement reproché était d'évincer G & C du marché.

120. Il y a donc lieu de considérer que le Tribunal n'a commis aucune erreur de droit en constatant que les griefs de la Commission selon lesquels la pratique dite des "navires de combat", telle que pratiquée à l'encontre de G & C, constituait un abus de position dominante étaient justifiés. Il convient en outre de relever qu'il ne s'agit nullement en l'espèce d'une nouvelle définition d'une pratique abusive.

121. Il y a donc lieu de rejeter comme irrecevables ou non fondés les griefs concernant les navires de combat.

Sur l'abus concernant les contrats de fidélité

Arguments des requérantes

122. Il est fait grief à Cewal d'avoir établi des accords de fidélité imposés à 100 % (y compris sur les marchandises vendues franco à bord) allant au-delà des dispositions de l'article 5, point 2, du règlement n° 4056-86, avec utilisation des "listes noires" de chargeurs infidèles. À cet égard, les requérantes soutiennent quatre arguments.

123. En premier lieu, elles prétendent que l'article 5, point 2, du règlement n° 4056-86 autorise des rabais de fidélité sauf s'ils sont "imposés" par une entreprise dominante. Elles considèrent à cet égard que le Tribunal n'a pas correctement interprété cette disposition. En effet, le Tribunal aurait considéré qu'un accord de fidélité pouvait être considéré comme étant "imposé" unilatéralement lorsque la conférence maritime se trouve en position dominante, comme dans le cas d'espèce.

124. En second lieu, les requérantes estiment que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant, au point 184 de l'arrêt attaqué, que le fait que les contrats de fidélité incluaient les ventes fob imposait au vendeur une obligation de fidélité alors même qu'il n'a pas la responsabilité d'expédier les marchandises. À cet égard, elles soulignent que le règlement n° 4056-86 exempte les contrats de fidélité à 100 %. L'article 5, point 2, de ce dernier devrait donc être interprété comme exemptant également les contrats de fidélité couvrant les ventes fob.

125. En troisième lieu, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant, au point 185 de l'arrêt attaqué, que l'établissement de "listes noires" ne pouvait être considéré comme exempté par le règlement n° 4056-86. Sur ce point, elles font valoir qu'un système de ristournes applicable aux chargeurs s'adressant exclusivement aux membres d'une conférence ne pourrait fonctionner dans la pratique en l'absence d'une liste de "chargeurs infidèles" ou d'un système équivalent pour consigner les noms de ceux ayant utilisé les services d'un concurrent. Les requérantes estiment que l'usage de telles listes doit nécessairement être exempté par le règlement n° 4056-86.

126. En quatrième lieu, les requérantes indiquent que, à supposer même que le Tribunal ait à juste titre estimé que, dans le cas d'entreprises en position dominante, tout contrat de fidélité doit être considéré comme étant "imposé" au sens de l'article 5, point 2, sous b), i), il aurait néanmoins violé les articles 7 et 8, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86. En effet, la seule conséquence d'un manquement aux obligations découlant de l'article 5 serait que Cewal n'avait pas satisfait à une obligation dont est assortie l'exemption et non à une condition d'octroi même de l'exemption.

127. La pertinence de cette distinction serait que, lorsqu'une condition n'est pas remplie, l'exemption, par ce fait même, ne s'applique pas ou ne s'applique plus, alors que le non-respect d'une obligation peut uniquement avoir pour conséquence le retrait, sans effet rétroactif, de l'exemption.

128. Selon les requérantes, le bénéfice de l'exemption ne leur avait jamais été retiré. L'existence d'une procédure formelle visant le retrait de l'exemption impliquerait qu'aucune amende ne peut être infligée pour un comportement couvert par une exemption de groupe avant le moment du retrait. Une fois l'exemption retirée par la Commission, celle-ci pourrait, à ce stade, prendre, en application de l'article 10 du règlement n° 4056-86, toutes les mesures appropriées pour faire cesser les infractions à l'article 86 du traité. De telles mesures ne pourraient toutefois pas comprendre l'imposition d'une amende, puisque l'objectif de l'amende est de sanctionner un comportement passé.

Appréciation de la Cour

129. Par ces quatre griefs, les requérantes prétendent, d'une part, que l'allégation d'une infraction à l'article 86 du traité ne saurait se fonder sur une pratique qui fait l'objet d'une disposition spécifique (article 5, point 2) du règlement n° 4056-86 octroyant une exemption. D'autre part, et en tout état de cause, avant que la Commission puisse procéder à la constatation d'une infraction à l'article 86 du traité, elle devrait retirer aux entreprises concernées le bénéfice de l'exemption de groupe.

130. Cette argumentation est fondée sur une lecture erronée des textes et une méconnaissance de leur économie. En effet, ainsi qu'il a été mentionné au point 33 du présent arrêt, l'applicabilité à un accord de l'article 85 du traité ne préjuge pas l'applicabilité de l'article 86 du traité aux comportements des parties à ce même accord, dès lors que les conditions d'application de chaque disposition sont remplies. Plus spécifiquement, l'octroi d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, ne préjuge pas l'application de l'article 86 du traité (voir, en ce sens,arrêt du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C-310-93, Rec. p. I-865, point 11).

131. Le fait que des opérateurs soumis à une concurrence effective aient une pratique autorisée n'implique donc pas que l'adoption de cette même pratique par une entreprise en position dominante ne puisse jamais constituer un abus de cette position.

132. En effet, l'analyse du comportement d'une entreprise en position dominante doit tenir compte du fait que la possession d'une part de marché extrêmement importante met l'entreprise qui la détient pendant une période d'une certaine durée dans une situation de force qui fait d'elle un partenaire obligatoire pour ses partenaires commerciaux (arrêt Hoffman-La Roche/Commission, précité, point 41).

133. S'agissant, plus particulièrement, de l'"imposition" de contrats de fidélité expression utilisée à l'article 5, point 2, sous b), i), du règlement n° 4056-86, une entreprise dominante peut, en pratique, "imposer" à l'utilisateur de ses services un contrat de fidélité sans qu'il soit nécessaire pour elle d'insister explicitement sur la constitution d'un tel contrat comme condition d'accès à ses services.

134. Par conséquent, il n'aurait pas été pertinent, aux fins de l'analyse du comportement de Cewal au titre de l'article 86 du traité, de décider des conditions qui devaient être remplies pour que, dans le cas d'une conférence soumise à une concurrence normale, des accords de fidélité puissent être qualifiés d'"imposés" au sens de l'article 5, point 2, sous b), i), du règlement n° 4056-86.

135. Quant au quatrième grief, il convient de relever que l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 4056-86 prévoit expressément que l'exploitation abusive d'une position dominante est interdite sans qu'aucune décision préalable soit requise à cet effet. Ainsi que M. l'avocat général l'a constaté au point 164 de ses conclusions, cette formule sans équivoque est en parfaite harmonie avec les principes concernant l'effectivité de l'article 86 du traité et l'impossibilité d'une exemption. En effet, il est de jurisprudence constante que l'abus d'une position dominante n'est susceptible d'aucune exemption, de quelque façon que ce soit (voir arrêt Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, précité, point 32).

136. Il s'ensuit que l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86, selon lequel la Commission peut retirer le bénéfice de l'exemption de groupe lorsqu'elle constate, dans un cas particulier, que le comportement des conférences, bénéficiant de l'exemption prévue à l'article 3 dudit règlement, produit des effets incompatibles avec l'article 86 du traité, n'impose et ne pourrait imposer une restriction au pouvoir que la Commission dispose d'infliger des amendes pour violation de l'article 86 du traité.

137. Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré des amendes

Arguments des requérantes

138. Les requérantes soutiennent tout d'abord que le Tribunal a commis une erreur de droit en acceptant tous les facteurs que la Commission a pris en compte pour déterminer le montant des amendes infligées.

139. Par leur second grief, elles prétendent que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant que la Commission était en droit de leur infliger des amendes individuelles alors que, dans la communication des griefs, la Commission menaçait d'infliger des amendes à Cewal et non pas à l'un de ses membres.

140. Par ailleurs, le fait que les amendes ont été infligées non à Cewal mais à certains de ses membres constituerait une violation de leurs droits procéduraux fondamentaux. En effet, le montant de l'amende devait être calculé sur le chiffre d'affaires de Cewal et non sur celui de ses membres. En outre, il aurait appartenu aux membres de Cewal de décider de la méthode de répartition de la charge de l'amende, ne fût-ce qu'en fonction de leur part dans la conférence, alors que les amendes ont été infligées à concurrence de 95 % à CMB.

Appréciation de la Cour

141. Il convient tout d'abord d'examiner le second grief.

142. Selon une jurisprudence constante, la communication des griefs doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. La garantie procédurale essentielle que constitue la communication des griefs est une application d'un principe fondamental du droit communautaire qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française ea/Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, points 10 et 14).

143. Il s'ensuit que la Commission est tenue de préciser sans équivoque, dans la communication des griefs, les personnes qui seront susceptibles de se voir infliger des amendes.

144. Force est de constater qu'une communication des griefs qui se contente d'identifier comme auteur d'une infraction une entité collective, telle que Cewal, ne permet pas aux sociétés constituant cette collectivité d'être suffisamment informées que des amendes leur seront imposées à titre individuel si l'infraction devait être constatée. Contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal, l'absence de personnalité juridique de Cewal n'est pas pertinente à cet égard.

145. De même, une communication de griefs ainsi libellée ne suffit pas pour mettre en garde les sociétés concernées que le montant des amendes infligées sera fixé parrapport à une appréciation de la participation de chaque société au comportement constitutif de la prétendue infraction.

146. Il s'ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant que la Commission était en droit d'infliger aux membres de Cewal des amendes individuelles, fixées par rapport à une appréciation de leur participation au comportement litigieux, alors que la communication des griefs n'était adressée qu'à Cewal.

147. Au vu de ce qui précède, il convient de déclarer fondé ce dernier moyen et, partant, d'annuler l'arrêt attaqué confirmant la décision litigieuse, dans la mesure où il concerne les amendes infligées aux requérantes.

148. Aux termes de l'article 54, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé, soit renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue. Le dossier étant suffisamment complet pour permettre à la Cour de statuer définitivement elle-même, il n'y a pas lieu de renvoyer l'affaire devant le Tribunal.

149. Il s'ensuit que les articles 6 et 7 de la décision litigieuse doivent être annulés en ce qui concerne les amendes infligées aux requérantes.

150. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner les autres griefs invoqués par les requérantes à l'appui de ce moyen.

Sur les dépens

151. Aux termes de l'article 122, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Aux termes de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

152. Le pourvoi n'étant fondé que sur le moyen concernant les amendes, CMB, CMBT et Dafra supporteront leurs propres dépens, trois quarts des dépens de la Commission et l'intégralité de ceux de G & C.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1. L'arrêt du Tribunal de première instance du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports ea/Commission (T-24-93 à T-26-93 et T-28-93), est annulé en ce qu'il a confirmé les amendes infligées à Compagnie maritime belge transports SA, Compagnie maritime belge SA et Dafra-Lines A/S.

2. Les articles 6 et 7 de la décision 93-82-CEE de la Commission, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-32.448 et IV-32.450 : Cewal, Cowac, Ukwal) et de l'article 86 du traité CEE (IV-32.448 et IV-32.450 : Cewal), sont annulés en ce qui concerne Compagnie maritime belge transports SA, Compagnie maritime belge SA et Dafra-Lines A/S.

3. Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

4. Compagnie maritime belge transports SA, Compagnie maritime belge SA et Dafra-Lines A/S supporteront leurs propres dépens, trois quarts de ceux de la Commission des Communautés européennes et l'intégralité de ceux de Grimaldi et Cobelfret.