CJCE, 10 février 2000, n° C-147/97
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Deutsche Post (AG)
Défendeur :
Gesellschaft für Zahlungssysteme (mbH); Citicorp Kartenservice (GmbH)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodriguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Moitinho de Almeida, Sevón, Schintgen
Avocat général :
M. La Pergola
Juges :
MM. Kapteyn (rapporteur), Gulmann, Puissochet, Hirsch, Jann, Ragnemalm, Wathelet
Avocats :
Mes Schroeder, Bechtold, Mailänder, Schnelle
LA COUR,
1. Par deux ordonnances du 25 mars 1997, parvenues à la Cour le 17 avril suivant, l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), cinq questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 5, second alinéa, du traité CE (devenu article 10, second alinéa, CE), 30 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 49 CE), 85, 86 et 90, paragraphes 1 et 2, du traité CE (devenus articles 81 CE, 82 CE et 86, paragraphes 1 et 2, CE).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant, d'une part, la Deutsche Post AG (ci-après la "Deutsche Post") et, d'autre part, la Gesellschaft für Zahlungssysteme mbH (GZS) (ci-après la "GZS") et la Citicorp Kartenservice GmbH (ci-après la "CKG"), au sujet de la distribution du courrier en provenance de l'étranger et faisant l'objet d'un repostage non physique.
Cadre juridique
La convention postale universelle
3. En vertu de la Convention postale universelle, dont la première version date de 1874, les services postaux d'un État contractant ont l'obligation d'acheminement et de distribution aux destinataires concernés des envois internationaux de la poste aux lettres qui leur sont transmis par les services postaux d'autres États contractants et qui sont adressés à des destinataires domiciliés sur le territoire dudit État.
4. Dans les affaires au principal, il s'agit de la Convention postale universelle, telle qu'adoptée le 14 décembre 1989 à Washington (ci-après la "CPU"). En Allemagne, la CPU a été approuvée par le Gesetz zu den Verträgen vom 14. Dezember 1989 des Weltpostvereins (loi relative aux conventions du 14 décembre 1989 de l'Union postale universelle), du 31 août 1992 (BGBl. II, p. 749).
5. À l'origine, les services postaux distribuaient le courrier international sans percevoir de rémunération pour cette tâche. L'un des principes qui constituent le fondement de la CPU était que toute lettre appelant une réponse, les flux de trafic postal entre deux États contractants devaient en conséquence s'équilibrer. Toutefois, lorsqu'il est apparu que les services postaux des divers États devaient traiter des quantités de courrier international très variables, des dispositions spéciales ont été prévues à cet égard à partir de 1924.
6. L'article 25 de la CPU dispose :
"1. Aucun pays membre n'est tenu d'acheminer, ni de distribuer aux destinataires, les envois de la poste aux lettres que des expéditeurs quelconques domiciliés sur son territoire déposent ou font déposer dans un pays étranger, en vue de bénéficier des taxes plus basses qui y sont appliquées. Il en est de même pour les envois de l'espèce déposés en grande quantité, que de tels dépôts soient ou non effectués en vue de bénéficier de taxes plus basses.
2. Le paragraphe 1 s'applique sans distinction soit aux envois préparés dans le pays habité par l'expéditeur et transportés ensuite à travers la frontière, soit aux envois confectionnés dans un pays étranger.
3. L'Administration intéressée a le droit ou de renvoyer les envois à l'origine, ou de les frapper de ses taxes intérieures. Si l'expéditeur refuse de payer ces taxes, elle peut disposer des envois conformément à sa législation intérieure.
4. Aucun pays membre n'est tenu ni d'accepter, ni d'acheminer, ni de distribuer aux destinataires les envois de la poste aux lettres que des expéditeurs quelconques ont déposés ou fait déposer en grande quantité dans un pays autre que celui où ils sont domiciliés. Les Administrations intéressées ont le droit de renvoyer de tels envois à l'origine ou de les rendre aux expéditeurs sans restitution de taxe."
Les frais terminaux
7. Les frais terminaux sont les frais qu'une administration postale perçoit d'une autre pour la distribution de ses envois internationaux. La réglementation de ces frais a été introduite, pour la première fois, dans la Convention postale universelle de 1969. Toutefois, cette réglementation n'était pas suffisante pour couvrir les frais des services postaux du pays de destination desdits envois, notamment en raison du fait que, sans l'accord des pays en voie de développement, l'imposition de frais terminaux plus élevés n'était pas possible.
8. En 1987, dans le cadre de la conférence européenne des administrations des Postes et Télécommunications qui s'est tenue à Berne (Suisse), des opérateurs postaux publics de certains États membres de la Communauté européenne et de pays tiers ont conclu un accord pour introduire une nouvelle formule de calcul des tarifs des frais terminaux.
9. Le 13 décembre 1995, seize services postaux, au nombre desquels figuraient tous ceux des États membres de l'Union européenne, sauf l'Espagne, ainsi que ceux de la Norvège et de l'Islande, ont conclu l'"accord Reims I". Cet accord prévoyait une augmentation graduelle des frais terminaux pendant une période de six ans. En 2001, ces frais devraient atteindre un niveau correspondant à 80 % des tarifs postaux intérieurs. En vertu d'une clause résolutoire portant sur l'adhésion du service postal espagnol, cet accord a expiré le 30 septembre 1997.
10. Le 9 juillet 1997, les services postaux de dix États, à savoir le Danemark, l'Allemagne, la Finlande, la France, la Grèce, l'Islande, l'Italie, la Norvège, l'Autriche et l'Espagne, ont signé l'"accord Reims II", entré en vigueur le 1er octobre 1997. Cet accord prévoit une période de transition plus courte. Au terme de cette période, l'article 25 de la CPU ne s'appliquera plus entre les parties contractantes.
Le repostage
11. Il ressort du dossier que, en ce qui concerne les services de repostage, il est habituel de faire une distinction entre le repostage physique et le repostage non physique, encore dénommé "repostage incorporel".
12. Le repostage physique couvre les cas suivants :
- le repostage dit "ABA" : les lettres proviennent de l'État A mais sont postées dans l'État B pour être distribuées dans l'État A ;
- le repostage dit "ABB" : les lettres proviennent de l'État A mais sont postées dans l'État B pour être distribuées dans cet État ;
- le repostage dit "ABC" : les lettres proviennent de l'État A mais sont postées dans l'État B pour être distribuées dans l'État C.
13. Dans le cas du repostage non physique, le contenu des lettres est transmis par voie informatique de l'État A vers l'État B, dans lequel l'information est imprimée pour être distribuée dans les États A, B ou C.
L'affaire C-148-97
Le litige au principal
14. Les activités européennes dans le domaine des cartes de crédit du groupe Citibank sont dirigées par les European Headquarters de la Citibank NA à Bruxelles. Le groupe Citibank possède, dans les différents États membres, des filiales ou des succursales qui opèrent sur le marché des services bancaires, ainsi que le font en Allemagne les sociétés Citibank Privatkunden AG et Diners Club Deutschland GmbH. Parmi les entreprises du groupe Citibank figure également la CKG, établie à Francfort-sur-le-Main. Cette dernière est une entreprise prestataire de services qui s'occupe de la confection et de l'expédition des relevés de compte, des confirmations, des factures et des demandes de paiement ou de facturation à l'intention des clients titulaires de la carte Visa ou d'autres cartes.
15. En 1993, le groupe Citibank a décidé de créer un organisme centralisé pour la confection et l'expédition des relevés de compte et autres décomptes bancaires uniformisés, le Citicorp European Service Center BV (ci-après le "CESC"), établi à Arnhem (Pays-Bas).
16. Jusqu'au 30 juin 1995, le traitement informatique était effectué au centre de calcul de la CKG à Francfort-sur-le-Main. Les données traitées relatives aux clients titulaires d'une carte Visa étaient d'abord transmises, par voie informatique, au CESC, afin que celui-ci établisse les extraits ou les confirmations de compte, les décomptes et les invitations à payer ou à compensation. Le CESC procédait ensuite à l'impression sur des imprimés standardisés, lesquels étaient alors mis sous enveloppe aux fins d'envoi et affranchis à cet effet. Ces envois étaient enfin remis à la PTT Post BV (Poste néerlandaise, ci-après la "PTT Post") d'Arnhem aux fins d'acheminement. Cette dernière transmettait les envois à la Deutsche Post, afin que celle-ci les distribue aux destinataires établis en Allemagne.
17. Outre la CKG, d'autres entreprises et des réseaux de succursales du groupe Citibank en France, en Belgique, en Espagne, au Portugal et en Grèce sont connectés à l'installation centrale de réception, de traitement, d'impression des données et d'envoi par la poste du CESC. Celui-ci emploie actuellement vingt-deux personnes pour réaliser les envois de la poste aux lettres vers des destinataires domiciliés dans les États membres de l'Union européenne.
18. Il ressort du dossier que, depuis le 1er juillet 1995, les données ne sont plus traitées dans les établissements du groupe Citibank installés dans différents États mais de manière centrale, pour le monde entier, par les ordinateurs du centre de traitement informatique du groupe Citibank à Sioux Falls (Dakota-du-Sud, États-Unis). Les justificatifs relatifs aux cartes de crédit sont d'abord présentés par les entreprises contractantes à la CKG, laquelle saisit les données de l'entreprise expéditrice, celles du montant de l'utilisation de la carte et celles du client. Ces données sont ensuite transmises par satellite au centre de traitement de Sioux Falls. Ce dernier effectue alors le traitement ultérieur des données, par l'attribution au compte du client de la bonification et de la charge qui lui correspondent. Les données ainsi créées sont enfin envoyées par satellite au CESC, qui les imprime et les expédie.
19. Pour les envois de la poste aux lettres vers des destinataires domiciliés en Allemagne, la PTT Post perçoit, aux Pays-Bas, la taxe habituelle pour des envois internationaux, soit un montant d'environ 0,55 DEM. Elle paie à la Deutsche Post les frais terminaux, qui étaient, à la date des faits au principal, de 0,37 à 0,40 DEM pour une lettre.
20. En application des articles 25, paragraphe 3, de la CPU et 9 du Postgesetz (loi sur le service des postes), la Deutsche Post a réclamé, pour chacune des lettres de la CKG distribuée en Allemagne, le montant des taxes intérieures, soit 1 DEM par lettre. Pour la période du 24 février au 9 juillet 1995, la Deutsche Post a demandé le paiement d'une somme de 3 668 916 DEM, laquelle correspond aux envois de la poste aux lettres portant comme mention de l'expéditeur "Citicorp European Service Center, P.O. Box 5411, 6802 EK Arnhem, The Netherlands" ou "Citicorp European Service Center BV, P.O. Box 5200, 7570 GE Oldenzaal, The Netherlands", envois qui sont parvenus au bureau de poste compétent pour le dépôt du courrier en provenance des Pays-Bas.
21. La CKG ayant refusé d'acquitter la somme demandée, l'affaire a été portée devant le Landgericht Frankfurt am Main. Par jugement du 8 mai 1996, ce dernier a rejeté la demande de la Deutsche Post au motif que celle-ci ne pouvait pas inférer un droit contractuel de l'article 25, paragraphe 3, de la CPU, cette disposition constituant un fondement uniquement pour la réclamation de taxes supplémentaires dans le cadre d'un rapport d'utilisation relevant du droit public. En outre, il a considéré que l'impression des lettres aux Pays-Bas ne constituait pas la "confection" d'un envoi au sens de l'article 25 de la CPU. En effet, dans le cadre du Marché intérieur communautaire, il ne serait pas déterminant que l'impression et la mise sous pli des lettres soient transférées à l'étranger.
Les questions préjudicielles
22. Le 20 juin 1996, la Deutsche Post a interjeté appel dudit jugement devant l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) Faut-il interpréter l'article 90 du traité CE en ce sens qu'une loi d'approbation portant sur les conventions de l'Union postale universelle du 14 décembre 1989, dans la mesure où elle accorde au service postal de l'État membre A le droit d'exiger des taxes intérieures pour la distribution d'envois de la poste aux lettres déposés dans l'État membre B ou de refuser la distribution en l'absence de paiement des taxes intérieures lorsque le contenu des courriers est établi par une entreprise de l'État membre A et communiqué par voie informatique à une entreprise ayant son siège dans l'État membre B en vue de l'impression, de la confection et du dépôt des envois auprès du service postal dans cet État, constitue une mesure étatique, par laquelle, en violation de l'article 90, paragraphe 1, du traité CE, a été édictée une mesure contraire aux règles de l'article 86 du traité CE, ne relevant pas de l'exception prévue à l'article 90, paragraphe 2, du traité CE ?
2) Faut-il interpréter les articles 30 et suivants, ainsi que les articles 59 et suivants du traité CE en ce sens que le droit du service postal de l'État membre A de réclamer des taxes intérieures pour la distribution à des destinataires domiciliés dans l'État membre A d'envois de la poste aux lettres déposés dans l'État membre B ou de refuser la distribution en l'absence de paiement des taxes intérieures est contraire à la garantie de la libre circulation des marchandises lorsque le contenu des courriers est établi par une entreprise dans l'État membre A et communiqué par voie informatique à une entreprise ayant son siège dans l'État membre B en vue de l'impression, de la confection et du dépôt des envois auprès du service postal de cet État ?
3) Dans l'hypothèse où la réponse aux questions précédentes révélerait une violation du droit communautaire au seul motif que le service postal de l'État membre A perçoit ou peut, par le refus de distribution, obtenir de force des taxes intérieures en sus des taxes postales versées dans l'État membre B ou en sus des frais terminaux perçus conformément à la Convention postale universelle et/ou à l'accord CEPT :
Faut-il interpréter l'article 5, deuxième alinéa, du traité CE en ce sens qu'une loi d'approbation de l'État membre A portant sur les conventions de l'Union postale universelle du 14 décembre 1989 est inapplicable dans sa totalité ou seulement dans la mesure où le versement de taxes intérieures en sus des frais postaux versés dans l'État membre B et/ou en sus des frais terminaux perçus conformément à la Convention postale universelle ou àl'accord CEPT est réclamé ou peut, par le refus de distribution, être obtenu de force ?
4) La réponse aux questions préjudicielles 1 à 3 est-elle différente lorsque l'entreprise ayant son siège dans l'État membre B, chargée de l'impression, de la confection et du dépôt des envois auprès du service postal dans cet État est liée au même groupe que l'entreprise de l'État membre A, laquelle détermine le contenu de la communication ?
5) La réponse aux questions préjudicielles 1 à 3 dépend-elle du fait que l'entreprise ayant son siège dans l'État membre B, chargée de l'impression, de la confection et du dépôt des envois auprès du service postal dans cet État, travaille uniquement pour l'entreprise qui détermine le contenu de la communication, dans l'État membre A, ou travaille aussi pour plusieurs autres donneurs d'ouvrages similaires ?"
L'affaire C-147-97
Le litige au principal
23. La GZS, dont les associés sont des établissements de crédit qui émettent la carte de crédit Eurocard, est l'opérateur le plus important en ce qui concerne le chiffre d'affaires réalisé par les cartes de crédit Eurocard en Allemagne. Dans le cadre de son activité de traitement de données, la GZS établit, pour les titulaires de ladite carte et pour les entreprises partenaires, des décomptes mensuels qui sont expédiés par la poste.
24. Dans un premier temps, la GZS se chargeait de l'impression, de la mise sous enveloppe des décomptes et du dépôt des lettres auprès de la Deutsche Post en vue de leur distribution. Depuis l'été 1995, la GZS transmet par voie informatique les données nécessaires à son partenaire contractuel danois pour l'établissement des décomptes. C'est là que les décomptes sont établis, imprimés, mis sous enveloppe et, ensuite, déposés à la poste danoise. Celle-ci les transmet à la Deutsche Post en vue de leur acheminement ultérieur en Allemagne et de leur distribution aux destinataires domiciliés sur le territoire de cet État membre. Pour les envois de la poste aux lettres à ces destinataires, le service postal danois encaisse la taxe exigée au Danemark pour les envois internationaux, laquelle est inférieure au tarif intérieur en vigueur en Allemagne. Il paie à la Deutsche Post les frais terminaux, qui, à la date des faits au principal, s'élevaient à 0,36 DEM par lettre.
25. En application des articles 25, paragraphe 3, de la CPU et 9 du Postgesetz, la Deutsche Post a réclamé à la GZS le paiement d'une somme de 623 984 DEM. Cette dernière ayant refusé d'acquitter la somme demandée, l'affaire a été portée devant le Landgericht Frankfurt am Main, lequel a rejeté la demande par les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 21 du présent arrêt.
Les questions préjudicielles
26. Le 8 septembre 1996, la Deutsche Post a interjeté appel dudit jugement devant l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour trois questions préjudicielles dont le libellé est identique à celui des trois premières questions dans l'affaire C-148-97.
27. Par ordonnance du 8 juillet 1997, le Président de la Cour a décidé de joindre les affaires aux fins de la procédure écrite et orale et de l'arrêt.
28. À titre liminaire, il y a lieu de constater que l'article 25, paragraphe 1, de la CPU distingue deux cas dans lesquels les services postaux des États contractants ne sont obligés ni d'acheminer ni de distribuer aux destinataires les envois de la poste aux lettres que des expéditeurs quelconques, domiciliés sur le territoire d'un État contractant, déposent ou font déposer dans un autre État contractant. Dans le cas visé à l'article 25, paragraphe 1, première phrase, il s'agit des lettres déposées dans un autre État contractant en vue de bénéficier des taxes plus basses qui y sont appliquées. Selon l'article 25, paragraphe 1, seconde phrase, il s'agit des dépôts en grande quantité, que ceux-ci soient effectués ou non en vue de bénéficier de taxes plus basses.
29. En vertu de l'article 25, paragraphe 2, de la CPU, le paragraphe 1 de cette disposition s'applique sans distinction soit aux envois préparés dans l'État contractant dans lequel est domicilié l'expéditeur et transportés ensuite vers un autre État contractant, soit aux envois confectionnés dans ce dernier État.
30. Aux termes de l'article 25, paragraphe 3, de la CPU, les services postaux ont le droit, dans les cas visés au paragraphe 1 de cette disposition, soit de renvoyer les envois à l'origine, soit de les frapper de leurs taxes intérieures.
31. Il ressort du dossier de l'affaire C-148-97 que le CESC imprime et expédie, à partir des Pays-Bas vers des destinataires domiciliés dans les États membres de l'Union européenne, environ quarante-deux millions d'envois de la poste par an qui sont établis sur la base des données traitées par la CKG et transmises par voie télématique. Selon le dossier de l'affaire C-147-97, la GZS transmet par la même voie à son partenaire contractuel danois les données correspondant à environ sept millions de titulaires de cartes de crédit en vue de leur envoi par la poste danoise.
32. Il ressort également des dossiers et des ordonnances de renvoi que, en application de l'article 25, paragraphe 3, de la CPU, la législation nationale habilite la Deutsche Post à réclamer le montant de la taxe intérieure pour chacune des lettres expédiées par la CKG et la GZS qu'elle distribuait en Allemagne.
33. Il en résulte enfin que, pour répondre aux questions posées, il n'y a pas lieu de prendre en considération le fait spécifique que, en l'espèce, le contenu des courriers a été communiqué par voie informatique (repostage non physique).
34. Il s'ensuit que les questions préjudicielles portent sur le cas prévu à l'article 25, paragraphe 1, seconde phrase, de la CPU, lu en combinaison avec le paragraphe 2 de cette disposition, à savoir le dépôt auprès des services postaux d'autres États membres d'envois de la poste en grande quantité préparés ou confectionnés dans ces derniers États. Partant, pour donner une réponse utile à la solution des litiges au principal, il n'y a pas lieu d'examiner si la CKG et la GZS déposent leurs envois de la poste auprès des services postaux d'autres États membres en vue de bénéficier des taxes plus basses qui y sont appliquées.
35. S'agissant de l'interprétation de l'article 30 du traité, demandée par la juridiction de renvoi, il suffit de relever que cette disposition ne s'applique pas dans les affaires au principal. En effet, les envois internationaux de la poste aux lettres s'analysent comme une prestation transfrontière du service postal universel, lequel comporte, pour les services postaux de l'État contractant de destination, l'obligation d'acheminement et de distribution desdits envois.
36. Compte tenu des considérations qui précèdent, les trois premières questions doivent être comprises en ce sens que la juridiction nationale demande, en substance, si l'exercice par une entité telle que la Deutsche Post du droit prévu à l'article 25, paragraphe 3, de la CPU, dans les cas visés aux paragraphes 1, seconde phrase, et 2 de cette disposition, de frapper de ses taxes intérieures les envois déposés en grande quantité auprès des services postaux d'un État membre autre que celui dont relève cette entité est contraire à l'article 90 du traité, lu en combinaison avec ses articles 86 et 59.
37. Pour répondre à cette question, telle que reformulée, il convient de relever d'abord qu'une entité, telle que la Deutsche Post, à laquelle a été accordée l'exclusivité en ce qui concerne la collecte, le transport et la distribution du courrier, doit être considérée comme une entreprise investie par l'État membre concerné de droits exclusifs, au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité(arrêt du 19 mai 1993, Corbeau, C-320-91, Rec. p. I-2533, point 8).
38. Il convient de rappeler ensuite que, selon une jurisprudence constante, une entreprise qui bénéficie d'un monopole légal sur une partie substantielle du Marché commun peut être considérée comme occupant une position dominante au sens de l'article 86 du traité (voir arrêts du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C-179-90, Rec. p. I-5889, point 14 ; du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM, C-18-88, Rec. p. I-5941, point 17, et Corbeau, précité, point 9).
39. La Cour a eu l'occasion de préciser à cet égard que, si le simple fait, pour un État membre, de créer une position dominante par l'octroi de droits exclusifs n'est pas en tant que tel incompatible avec l'article 86, il n'en demeure pas moins que le traité impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d'éliminer l'effet utile de cette disposition (voir arrêts du 18 juin 1991, ERT, C-260-89, Rec. p. I-2925, point 35, et Corbeau, précité, point 11).
40. C'est ainsi que l'article 90, paragraphe 1, du traité prévoit que les États membres, en ce qui concerne les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire notamment aux règles du traité en matière de concurrence (voir arrêt Corbeau, précité, point 12).
41. Cette disposition doit être lue en combinaison avec celle du paragraphe 2 du même article qui prévoit que les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont soumises aux règles du traité dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie.
42. Il importe de relever enfin que la CPU part de l'hypothèse d'un marché d'envois de la poste aux lettres dans lequel les services postaux des différents États contractants de l'Union postale universelle ne se trouvent pas en concurrence.
43. Dans ce contexte, la CPU a pour objet de mettre en place des règles assurant l'acheminement et la distribution des envois internationaux à des destinataires domiciliés sur le territoire d'un État contractant et transmis par les services postaux d'autres États contractants. En effet, un des principes fondamentaux de la CPU, énoncé à l'article 1er de celle-ci, est l'obligation de l'administration des postes de l'État contractant de destination d'acheminer et de distribuer le courrier international aux destinataires domiciliés sur son territoire, en utilisant à cette fin les moyens les plus rapides de sa poste aux lettres. À cet égard, les États qui ont adopté la Convention de l'Union postale universelle constituent un territoire postal unique, dans lequel la liberté de transit des envois internationaux réciproques est, en principe, garantie.
44. L'accomplissement des obligations découlant de la CPU constitue donc en tant que telle, pour les services postaux des États membres, un service d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.
45. En l'espèce, la gestion de ce service est, en vertu de la législation allemande, attribuée à la Deutsche Post.
46. Ainsi qu'il a été rappelé au point 5 du présent arrêt, à l'origine, les services postaux distribuaient le courrier international sans percevoir de rémunération pour cette tâche. Toutefois, lorsqu'il est apparu que, fréquemment, les flux de trafic postal entre deux États contractants ne s'équilibraient pas, de sorte que les services postaux des différents États contractants devaient traiter des quantités de courrier international très variables, des dispositions spécifiques ont été prévues à cet égard, parmi lesquelles figure l'article 25 de la CPU.
47. Aux termes de l'article 25, paragraphe 3, de la CPU, les services postaux des États contractants ont notamment le droit, dans les cas visés aux paragraphes 1 et 2 de cette disposition, de frapper les envois de leurs taxes intérieures.
48. L'attribution à une entité telle que la Deutsche Post du droit de traiter, dans de tels cas, les envois internationaux comme du courrier intérieur crée une situation dans laquelle cette entité peut être amenée, au détriment des utilisateurs des services postaux, à exploiter d'une façon abusive sa position dominante qui résulte du droit exclusif qui lui a été conféré d'acheminer et de distribuer ces envois aux destinataires concernés.
49. Dans ces conditions, il convient donc d'examiner dans quelle mesure l'exercice d'un tel droit est nécessaire pour permettre à une telle entité d'accomplir sa mission d'intérêt général en vertu des obligations découlant de la CPU et, en particulier, de bénéficier de conditions économiquement acceptables.
50. À cet égard, il y a lieu de constater que l'obligation d'une entité telle que la Deutsche Post d'acheminer et de distribuer aux destinataires domiciliés sur le territoire allemand des envois déposés en grande quantité auprès des services postaux d'autres États membres par des expéditeurs domiciliés sur ledit territoire, sans que soit prévue pour cette entité la possibilité d'obtenir la compensation financière de tous les frais entraînés par ladite obligation, serait de nature à mettre en danger l'accomplissement, dans des conditions économiquement équilibrées, de cette mission d'intérêt général.
51. En effet, les services postaux d'un État membre ne sauraient supporter en même temps les frais que comporte l'accomplissement du service d'intérêt économique général d'acheminement et de distribution des envois internationaux qui leur incombe en vertu des stipulations de la CPU et les pertes de revenu générées par le fait que les envois en grande quantité ne sont plus déposés auprès des services postaux de l'État membre sur le territoire duquel sont domiciliés les destinataires, mais auprès de ceux d'autres États membres.
52. Dans un tel cas, le traitement du courrier transfrontière comme du courrier intérieur et, par conséquent, l'imposition des taxes intérieures doivent être considérés comme des mesures justifiées aux fins de l'accomplissement, dans des conditions économiquement équilibrées, de la mission d'intérêt général confiée à la Deutsche Post par la CPU.
53. Il en irait autrement si les frais terminaux pour le courrier transfrontière intracommunautaire entrant étaient fixés par des accords entre les services postaux concernés en fonction des coûts réels de traitement et de distribution de ce courrier, tels que prévus à l'article 13 de la directive 97-67-CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service (JO 1998, L 15, p. 14).
54. L'article 90, paragraphe 2, du traité justifie donc, en l'absence d'un accord entre les services postaux des États membres concernés fixant des frais terminaux en fonction des coûts réels de traitement et de distribution du courrier transfrontière entrant, que la législation d'un État membre confère à ses services postaux le droit de frapper les envois de leurs taxes intérieures dans le cas où des expéditeurs domiciliés dans cet État déposent ou font déposer des envois en grande quantité auprès des services postaux d'un autre État membre aux fins de les expédier vers le premier État membre.
55. Il en résulte que, à supposer même que l'article 25, paragraphe 3, de la CPU puisse être considéré, eu égard à ses effets lorsqu'il est mis en œuvre par une entité telle que la Deutsche Post, comme de nature à constituer une entrave à la libre circulation des services, l'article 90 du traité ne s'opposerait pas non plus à une telle disposition.
56. En revanche, dans la mesure où une partie des frais d'acheminement et de distribution est compensée par le paiement de frais terminaux par les services postaux d'autres États membres, l'accomplissement des obligations découlant de la CPU par une entité telle que la Deutsche Post ne nécessite pas que les envois déposés en grande quantité auprès desdits services soient frappés des taxes intérieures au taux plein.
57. À cet égard, il y a lieu de rappeler qu'une entité telle que la Deutsche Post, qui bénéficie d'un monopole légal sur une partie substantielle du Marché commun, peut être considérée comme occupant une position dominante au sens de l'article 86 du traité.
58. Dès lors, l'exercice du droit, par une telle entité, de réclamer le montant intégral des taxes intérieures, sans tenir compte de la compensation entre les frais relatifs à l'acheminement et à la distribution d'envois déposés en grande quantité auprès des services postaux d'un État membre autre que celui dans lequel sont domiciliés tant les expéditeurs que les destinataires de ces envois et les frais terminaux payés par lesdits services, peut être considéré comme un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité.
59. En effet, afin d'éviter l'exercice par une entité telle que la Deutsche Post du droit, prévu à l'article 25, paragraphe 3, de la CPU, de renvoyer les envois à l'origine, les expéditeurs de ceux-ci n'ont pas d'autre possibilité que d'acquitter le montant intégral des taxes intérieures.
60. Ainsi que la Cour l'a relevé concernant un refus de vente par une entreprise occupant une position dominante au sens de l'article 86 du traité, un tel comportement serait contraire à l'objectif énoncé à l'article 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 3, sous g), CE], explicité par l'article 86, notamment sous b) et c) (arrêt du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27-76, Rec. p. 207, point 183).
61. Il résulte de tout ce qui précède que, en l'absence d'un accord entre les services postaux des États membres concernés fixant des frais terminaux en fonction des coûts réels de traitement et de distribution du courrier transfrontalier entrant, l'exercice par une entité telle que la Deutsche Post du droit prévu à l'article 25, paragraphe 3, de la CPU, dans sa version adoptée le 14 décembre 1989, dans les cas visés aux paragraphes 1, seconde phrase, et 2 de cette disposition, de frapper de ses taxes intérieures les envois déposés en grande quantité auprès des services postaux d'un État membre autre que celui dont relève cette entité n'est pas contraire à l'article 90 du traité, lu en combinaison avec les articles 86 et 59 de celui-ci. En revanche, l'exercice d'un tel droit est contraire à l'article 90, paragraphe 1, du traité, lu en combinaison avec son article 86, dans la mesure où il implique qu'une telle entité peut réclamer l'intégralité des taxes intérieures applicables dans l'État membre dont elle relève sans déduire les frais terminaux versés par lesdits services postaux et correspondant aux envois susmentionnés.
62. Compte tenu de la réponse aux trois premières questions, il n'est pas nécessaire de répondre aux autres questions préjudicielles.
Sur les dépens
63. Les frais exposés par les gouvernements danois, hellénique, français, italien, néerlandais, autrichien et finlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main, par ordonnances du 25 mars 1997, dit pour droit :
En l'absence d'un accord entre les services postaux des États membres concernés fixant des frais terminaux en fonction des coûts réels de traitement et de distribution du courrier transfrontalier entrant, l'exercice par une entité telle que la Deutsche Post AG du droit prévu à l'article 25, paragraphe 3, de la convention postale universelle, dans sa version adoptée le 14 décembre 1989, dans les cas visés aux paragraphes 1, seconde phrase, et 2 de cette disposition, de frapper de ses taxes intérieures les envois déposés en grande quantité auprès des services postaux d'un État membre autre que celui dont relève cette entité n'est pas contraire à l'article 90 du traité CE (devenu article 86 CE), lu en combinaison avec les articles 86 du traité CE (devenu article 82 CE) et 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE). En revanche, l'exercice d'un tel droit est contraire à l'article 90, paragraphe 1, du traité, lu en combinaison avec son article 86, dans la mesure où il implique qu'une telle entité peut réclamer l'intégralité des taxes intérieures applicables dans l'État membre dont elle relève sans déduire les frais terminaux versés par lesdits services postaux et correspondant aux envois susmentionnés.