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Décisions

CJCE, 11 janvier 2000, n° C-174/98 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Royaume des Pays-Bas, Gerard van der Wal

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida (rapporteur), Edward, Sevón

Avocat général :

M. Cosmas

Juges :

MM. Kapteyn, Gulmann, Hirsch, Ragnemalm, Wathelet

Avocat :

Me Parret.

Comm. CE, du 8 févr. 1994

8 février 1994

LA COUR,

1. Par requêtes respectivement déposées au greffe de la Cour les 11 et 19 mai 1998, le royaume des Pays-Bas (affaire C-174-98 P) et M. Van der Wal (affaire C-189-98 P) ont, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 19 mars 1998, Van der Wal/Commission (T-83-96, Rec. p. II-545, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté la demande d'annulation de la décision de la Commission du 29 mars 1996 refusant l'accès à certains documents (ci-après la "décision litigieuse").

Le recours devant le Tribunal

2. S'agissant du cadre juridique, le Tribunal a constaté:

"1 Dans l'acte final du traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, les États membres ont incorporé, dans les termes suivants, une déclaration (n° 17) relative au droit d'accès à l'information:

"La Conférence estime que la transparence du processus décisionnel renforce le caractère démocratique des institutions ainsi que la confiance du public envers l'administration. En conséquence, la Conférence recommande que la Commission soumette au Conseil, au plus tard en 1993, un rapport sur des mesures visant à accroître l'accès du public à l'information dont disposent les institutions".

2 À la suite de cette déclaration, la Commission a publié une communication 93-C 156-05 qu'elle a adressée le 5 mai 1993 au Conseil, au Parlement et au Comité économique et social au sujet de l'accès du public aux documents des institutions (JO C 156, p. 5). Le 2 juin 1993, elle a adopté la communication 93-C 166-04 sur la transparence dans la Communauté (JO C 166, p. 4).

3 Dans le cadre de ces étapes préliminaires vers la mise en œuvre du principe de la transparence, le Conseil et la Commission ont, le 6 décembre 1993, approuvé un code de conduite concernant l'accès du public aux documents du Conseil et de la Commission (JO 1993, L 340, p. 41, ci-après 'code de conduite'), visant à fixer les principes régissant l'accès aux documents qu'ils détiennent.

4 Pour assurer la mise en œuvre de cet engagement, la Commission a adopté, le 8 février 1994, sur la base de l'article 162 du traité CE, la décision 94-90-CECA, CE, Euratom, relative à l'accès du public aux documents de la Commission (JO L 46, p. 58, ci-après "décision 94-90"). L'article 1er de cette décision adopte formellement le code de conduite dont le texte est annexé à la décision.

5 Le code de conduite, tel qu'adopté par la Commission, énonce le principe général suivant :

"Le public aura le plus large accès possible aux documents détenus par la Commission et le Conseil."

6 À cette fin, le code de conduite définit le terme "document" comme étant "tout écrit, quel que soit son support, contenant des données existantes, détenu par la Commission ou le Conseil".

7 Après avoir exposé brièvement les principes régissant l'introduction et le traitement de demandes d'accès à des documents, le code de conduite décrit comme suit la procédure à suivre lorsqu'il est envisagé de rejeter une demande d'accès à des documents :

'Dans le cas où les services compétents de l'institution concernée ont l'intention de proposer à cette institution de donner une réponse négative à la demande de l'intéressé, ils informent celui-ci de leur intention, en lui indiquant qu'il dispose d'un délai d'un mois pour formuler une demande confirmative à l'institution tendant à réviser cette position, faute de quoi il sera considéré comme ayant renoncé à sa demande initiale.

Si une telle demande confirmative est présentée et en cas de décision de l'institution concernée de refuser la communication du document, cette décision, qui doit intervenir dans le mois suivant l'introduction de la demande confirmative, est communiquée dans les meilleurs délais et par écrit au demandeur. Elle doit être dûment motivée et indiquer les voies de recours possibles, à savoir les recours juridictionnels et la plainte auprès du médiateur, dans les conditions prévues respectivement aux articles 173 et 138 E du traité instituant la Communauté européenne.'

8 Le code de conduite énumère les circonstances qui peuvent être invoquées par une institution pour justifier le rejet d'une demande d'accès à des documents dans les termes suivants:

'Les institutions refusent l'accès à tout document dont la divulgation pourrait porter atteinte à:

- la protection de l'intérêt public (sécurité publique, relations internationales, stabilité monétaire, procédures juridictionnelles, activités d'inspection et d'enquête),

- la protection de l'individu et de la vie privée,

- la protection du secret en matière commerciale et industrielle,

- la protection des intérêts financiers de la Communauté,

- la protection de la confidentialité demandée par la personne physique ou morale qui a fourni l'information ou requise par la législation de l'État membre qui a fourni l'information.

Elles peuvent aussi le refuser pour assurer la protection de l'intérêt de l'institution relatif au secret de ses délibérations.'

9 En 1993, la Commission a adopté la communication 93-C 39-05 relative à la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l'application des articles 85 et 86 du traité CE (JO C 39, p. 6, ci-après "communication")..."

3. S'agissant des faits, il résulte de l'arrêt attaqué:

"10 Le XXIVe Rapport sur la politique de concurrence (1994) (ci-après "XXIVe Rapport") fait état de ce que la Commission a reçu de juridictions nationales un certain nombre de questions...

11 Par lettre du 23 janvier 1996, le requérant, en tant qu'avocat et membre d'une firme qui traité des affaires soulevant des questions de concurrence au niveau communautaire, a demandé des copies de certaines des lettres de réponse de la Commission à ces questions, à savoir:

1) la lettre du directeur général de la direction générale Concurrence (DG IV) du 2 août 1993 adressée à l'Oberlandesgericht de Düsseldorf concernant la compatibilité d'un accord de distribution avec le règlement (CEE) n° 1983-83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords de distribution exclusive (JO L 173, p. 1, ci-après "règlement n° 1983-83");

2) la lettre de M. Van Miert, membre de la Commission, du 13 septembre 1994 adressée au Tribunal d'instance de St Brieuc, concernant l'interprétation du règlement n° 26 du Conseil, du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles (JO 1962, 30, p. 993, ci-après "règlement n° 26");

3) la lettre de la Commission, envoyée au premier trimestre de 1995, à la Cour d'appel de Paris, qui l'avait invitée à donner son avis sur des stipulations contractuelles concernant les objectifs de vente de concessionnaires de véhicules automobiles au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité et du règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L 15, p. 16, ci-après "règlement n° 123-85").

12 Par lettre du 23 février 1996, le directeur général de la DG IV a rejeté la demande du requérant, au motif que la divulgation des lettres demandées serait préjudiciable à la 'protection de l'intérêt public (procédures juridictionnelles)'. Il a expliqué:

"[...] Lorsque la Commission répond à des questions qui lui ont été posées par des tribunaux nationaux saisis d'une affaire aux fins de résoudre un litige, la Commission intervient à titre d''amicus curiae'. Elle est supposée faire preuve d'une certaine réserve et cela non seulement en ce qui concerne l'acceptation de la manière dont les questions transmises lui sont adressées, mais également en ce qui concerne l'utilisation par la Commission des réponses auxdites questions.

Une fois les réponses envoyées, je considère qu'elles font partie intégrante de la procédure et qu'elles se trouvent aux mains de la juridiction qui a posé la question. Les éléments, tant juridiques qu'objectifs, contenus dans les réponses, doivent [...] s'analyser dans le cadre de la procédure en cours, comme une partie du dossier de la juridiction nationale. Les réponses ont été transmises par la Commission à la juridiction nationale et la question de la publication et/ou de la mise à disposition de ces informations à des tiers relève avant tout de la compétence de la juridiction nationale à laquelle cette réponse s'adresse.

[...]"

13 Le directeur général a aussi invoqué la nécessité d'entretenir une relation de confiance entre, d'une part, le pouvoir exécutif de la Communauté et, d'autre part, les autorités judiciaires nationales des États membres. De telles considérations, valables dans tous les cas, devaient d'autant plus s'appliquer en l'espèce que les affaires sur lesquelles la Commission a été interrogée n'avaient pas encore fait l'objet d'un jugement définitif.

14 Par lettre du 29 février 1996, le requérant a adressé une demande confirmative au secrétariat général de la Commission, en faisant valoir, notamment, qu'il ne voyait pas comment le déroulement des procédures nationales pouvait être compromis si des tiers prenaient connaissance des informations de nature non confidentielle que la Commission avait fournies à la juridiction nationale dans le cadre de l'application du droit communautaire de la concurrence.

15 Par lettre du 29 mars 1996 (ci-après 'décision litigieuse'), le secrétaire général de la Commission a confirmé la décision de la DG IV 'pour le motif que la divulgation des réponses pourrait porter atteinte à la protection de l'intérêt public, et plus précisément à la bonne administration de la justice'. Il a poursuivi en ces termes:

"[...] la divulgation des réponses demandées, qui consistent en analyses juridiques, risquerait en effet d'entraver les relations et la nécessaire coopération entre la Commission et les juridictions nationales. Il est évident qu'un tribunal qui a posé une question à la Commission, qui plus est relative à une affaire pendante, n'apprécierait pas que la réponse qui lui a été communiquée soit divulguée.

[...]"

16 Le secrétaire général a ajouté que la procédure en l'espèce était très différente de la procédure visée à l'article 177 du traité, à laquelle le requérant avait fait référence lors de sa demande confirmative."

4. C'est dans ce cadre que M. Van der Wal a introduit, le 29 mai 1996, un recours visant à l'annulation de la décision litigieuse, lui refusant l'accès aux lettres précédemment mentionnées.

5. Par ordonnance du 9 décembre 1996, le Tribunal a admis le gouvernement néerlandais à intervenir à l'appui des conclusions de M. Van der Wal.

Le pourvoi

6. Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours. Le gouvernement néerlandais et M. Van der Wal ont chacun introduit un pourvoi, fondé, respectivement, sur les moyens suivants:

- violation de la décision 94-90 et des dispositions combinées des articles 33 et 44 du statut CE de la Cour de justice;

- violation de la décision 94-90, de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (ci-après la "CEDH"), de l'obligation de motivation ainsi que du principe d'égalité des parties et des droits de la défense.

Sur le moyen tiré de la violation de la décision 94-90

L'arrêt du Tribunal

7. Pour conclure que la Commission s'était correctement fondée sur la protection de l'intérêt public pour refuser l'accès aux documents en cause, le Tribunal s'est appuyé sur l'article 6 de la CEDH. À cet égard, il a indiqué, au point 47 de l'arrêt attaqué, que "Le droit de toute personne d'être entendue équitablement par un tribunal indépendant implique, notamment, que les juridictions tant nationales que communautaires doivent être libres d'appliquer leurs propres règles de procédure en ce qui concerne les pouvoirs du juge, le déroulement de la procédure en général et la confidentialité des pièces du dossier en particulier". Il a ajouté:

"48 L'exception au principe général de l'accès aux documents de la Commission tirée de la protection de l'intérêt public lorsque les documents en question sont liés à une procédure juridictionnelle, consacrée par la décision 94-90, vise à assurer le respect général de ce droit fondamental. La portée de cette exception ne saurait dès lors être limitée à la seule protection des intérêts des parties dans le cadre d'une procédure juridictionnelle spécifique, mais couvre également l'autonomie procédurale des juridictions nationales et communautaires susvisée (voir ci-dessus point précédent).

49 La portée de cette exception doit donc permettre à la Commission de s'en prévaloir même lorsqu'elle n'est pas elle-même partie à une procédure juridictionnelle qui justifie en l'occurrence la protection de l'intérêt public.

50 À cet égard, il faut distinguer les documents rédigés par la Commission aux seules fins d'une procédure juridictionnelle particulière, comme dans le cas des lettres en l'espèce, d'autres documents qui existent indépendamment d'une telle procédure. L'application de l'exception tirée de la protection de l'intérêt public ne saurait être justifiée qu'à l'égard de la première catégorie de documents, la décision d'accorder ou non l'accès à de tels documents relevant de la seule juridiction nationale en cause, conformément à la justification intrinsèque de l'exception tirée de la protection de l'intérêt public dans le cadre d'une procédure juridictionnelle (voir ci-dessus point 48).

51 Or, lorsque, dans le cadre d'une procédure juridictionnelle pendante devant elle, une juridiction nationale demande certaines informations à la Commission sur la base de la coopération prévue par la communication, la réponse de la Commission est expressément fournie aux fins de la procédure juridictionnelle en question. Dans de telles circonstances, il faut considérer que la protection de l'intérêt public exige que la Commission refuse l'accès à ces informations, et, partant, aux documents qui les contiennent, la décision portant sur l'accès à de telles informations appartenant uniquement à la juridiction nationale en cause sur la base de son droit procédural national aussi longtemps que la procédure juridictionnelle qui a donné lieu à leur incorporation dans un document de la Commission est pendante.

52 Dans le cas d'espèce, le requérant a demandé la production de trois lettres qui étaient toutes relatives à des procédures juridictionnelles pendantes et dont le requérant n'a pas allégué que le contenu se limitait à reproduire des informations par ailleurs accessibles sur la base des dispositions de la décision 94-90. À cet égard, il convient d'ailleurs de relever que la première lettre portait sur la compatibilité d'un accord de distribution avec le règlement n° 1983-83, la deuxième concernait l'application du règlement n° 26 et la troisième concernait l'interprétation du règlement n° 123-85 (voir ci-dessus point 11). Ces lettres concernaient donc des questions juridiques soulevées dans le cadre de procédures spécifiques pendantes."

Les arguments des parties

8. Les requérants font valoir, en substance, que l'exception de l'intérêt public ne permet pas d'exclure du champ d'application de la décision 94-90 toute une catégorie de documents. Cette exception exigerait que la Commission vérifie pour chaque document si, au regard des informations qu'il contient, sa divulgation est effectivement susceptible de porter atteinte à l'intérêt public. L'interprétation faite par le Tribunal de la décision 94-90 serait une interprétation extensive qui n'aurait aucune base juridique et porterait atteinte à l'application uniforme du droit communautaire.

9. S'agissant du principe de l'autonomie procédurale que l'arrêt attaqué aurait déduit de l'article 6 de la CEDH, les requérants soutiennent que le Tribunal n'a pas expliqué dans quelle mesure l'indépendance des juridictions nationales pourrait être remise en cause si la Commission devait vérifier, au cas par cas, si la divulgation d'un document était de nature à porter atteinte à l'intérêt public. Ils indiquent, à cet égard, que l'arrêt attaqué ne contient aucune explication quant à la limitation du principe de l'autonomie procédurale aux seuls documents établis par la Commission aux fins d'une procédure particulière aussi longtemps que cette procédure est pendante.

10. La Commission fait valoir que le principe de l'autonomie procédurale sur lequel le Tribunal s'est fondé pour interpréter la décision 94-90 doit être compris à la lumière de la jurisprudence de la Cour selon laquelle la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l'application des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité CE (devenus articles 81, paragraphe 1, CE et 82 CE) s'opère dans les limites du droit national de procédure applicable (arrêt du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I-935, point 53). Dans le cadre de cette coopération, le rôle de la Commission serait secondaire: il appartiendrait au juge national de décider, tout d'abord, s'il y a lieu de s'adresser à la Commission, ensuite, des questions qu'il lui soumet et, enfin, du sort qu'il entend réserver aux réponses obtenues. Selon la Commission, il découle de ce qui précède qu'il appartient exclusivement à la juridiction nationale de déterminer, sur la base de son droit de procédure, si, à quel moment et sous quelles conditions la réponse de la Commission peut être divulguée à des tiers.

11. La Commission ajoute que la référence, dans l'arrêt attaqué, à la CEDH ne constitue qu'un élément au soutien du principe de l'autonomie procédurale selon lequel les juridictions, tant nationales que communautaires, doivent être libres d'appliquer leurs propres règles de procédure en ce qui concerne les pouvoirs du juge, le déroulement de la procédure en général et la confidentialité des pièces du dossier en particulier. Si les points 45 et 46 de l'arrêt attaqué étaient supprimés, ce dernier resterait inchangé quant au fond. La limitation faite par le Tribunal audit principe, en ce sens qu'il ne s'applique qu'aux documents rédigés par la Commission aux fins d'une procédure particulière et à la période pendant laquelle ladite procédure est pendante, correspond à une opinion incidente, qui, au demeurant, n'est pas formulée de manière aussi catégorique que le prétendent les requérants.

12. C'est donc, selon la Commission, à la lumière de ce qui précède que la décision 94-90 doit être interprétée. L'exception tirée de la protection de l'intérêt public (procédures juridictionnelles) couvrirait tous les cas dans lesquels la divulgation des documents en cause relève des juridictions nationales en application de leurs propres règles de procédure.

13. S'agissant de l'argument selon lequel l'interprétation de la décision 94-90 retenue par le Tribunal porterait atteinte à l'application uniforme du droit communautaire, la Commission prétend que l'application de ladite décision est toujours identique et que c'est l'application de règles nationales différentes qui peut aboutir à ce que l'accès aux documents soit accordé dans certains États membres et pas dans d'autres.

L'appréciation de la Cour

14. Après avoir déduit de l'article 6 de la CEDH que le droit de toute personne d'être entendue équitablement par un tribunal indépendant implique, notamment, que les juridictions tant nationales que communautaires doivent être libres d'appliquer leurs propres règles de procédure en ce qui concerne les pouvoirs du juge, le déroulement de la procédure en général et la confidentialité des pièces du dossier en particulier, le Tribunal a constaté, au point 48, que "L'exception au principe général de l'accès aux documents de la Commission tirée de la protection de l'intérêt public lorsque les documents en question sont liés à une procédure juridictionnelle, consacrée par la décision 94-90, vise à assurer le respect général de ce droit fondamental".

15. Selon l'arrêt attaqué, le principe de l'autonomie procédurale ainsi déduit de l'article 6 de la CEDH ne concerne toutefois pas toutes les pièces de la procédure. Il ne s'applique qu'aux documents écrits par la Commission aux seules fins d'une procédure juridictionnelle particulière, en étant ainsi exclus les autres documents qui existent indépendamment d'une telle procédure (point 50), et ce tant que l'affaire est pendante (point 51).

16. S'agissant de documents couverts par le principe de l'autonomie procédurale ainsi conçu, il appartient aux seules juridictions nationales de se prononcer sur les demandes d'accès auxdits documents sur la base de leur droit procédural national (point 51).

17. Il est vrai que le principe général de droit communautaire selon lequel toute personne a droit à un procès équitable, qui s'inspire de l'article 6 de la CEDH (voir, notamment, arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185-95 P, Rec. p. I-8417, points 20 et 21), comporte le droit à un tribunal indépendant, notamment du pouvoir exécutif (voir, en ce sens, notamment, Cour eur. D. H., arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A n° 12, § 78). Il ne saurait toutefois être déduit de ce droit que la juridiction saisie d'un litige est nécessairement seule habilitée à accorder l'accès aux pièces de la procédure juridictionnelle en question. Un tel principe général ne saurait pas non plus être déduit des traditions constitutionnelles communes aux États membres.

18. Le pouvoir d'accorder un tel accès ne saurait non plus être déduit de l'article 6 de la CEDH, même limité aux documents établis en vue de la procédure juridictionnelle en question.

19. En outre, les risques d'atteinte à l'indépendance du juge sont suffisamment pris en compte par la décision 94-90 et par la protection juridictionnelle au niveau communautaire à l'égard des actes de la Commission accordant l'accès aux documents qu'elle détient.

20. Pour déterminer dans quelles conditions la Commission doit, dans le cadre de la coopération de cette institution avec les juridictions nationales en vue de l'application par ces dernières des articles 85 et 86 du traité, refuser l'accès aux documents qu'elle détient, au motif d'un risque d'atteinte à l'intérêt public au sens de la décision 94-90, il y a lieu de prendre en considération la manière dont une telle coopération s'opère.

21. Ainsi qu'il résulte de la communication, ces juridictions peuvent avoir besoin de renseignements d'ordre procédural "qui permettent de savoir si une certaine affaire est pendante devant la Commission, si une affaire a fait l'objet d'une notification, si la Commission a officiellement engagé la procédure ou si elle s'est déjà prononcée par une décision officielle ou par le biais d'une lettre administrative de ses services. En cas de besoin, les juridictions nationales peuvent également demander à la Commission un avis sur les délais probables de l'octroi ou du refus d'une exception individuelle pour les accords ou les pratiques notifiés, en vue de déterminer les conditions d'une éventuelle décision de surseoir à statuer ou la nécessité d'adopter des mesures provisoires" (point 37 de la communication).

22. Elles peuvent en outre, selon le point 38 de la communication, consulter la Commission sur des questions juridiques lorsque l'application des articles 85 et 86 du traité leur cause des difficultés particulières. Il s'agit notamment des conditions d'application de ces articles relatives à l'affectation du commerce entre États membres et au caractère sensible de la restriction de la concurrence résultant des pratiques énumérées dans ces dispositions. En outre, lorsque les juridictions nationales éprouvent des doutes sur la possibilité qu'une entente litigieuse puisse bénéficier d'une exemption individuelle, elles peuvent demander à la Commission de leur communiquer un avis provisoire.

23. Enfin, il ressort du point 40 de la communication que les juridictions nationales peuvent se renseigner auprès de la Commission pour ce qui concerne les données factuelles: statistiques, études de marché et analyses économiques.

24. Il résulte de ce qui précède que les documents fournis par la Commission aux juridictions nationales sont souvent des documents qu'elle possédait déjà ou des documents qui, bien que rédigés en vue d'une procédure particulière, se contentent de faire état des premiers, ou dans lesquels cette institution se limite à émettre un avis de nature générale, indépendant des données relatives à l'affaire pendante devant la juridiction nationale. À l'égard de ces documents, la Commission doit apprécier, dans chaque cas d'espèce, s'ils relèvent des exceptions énumérées dans le code de conduite adopté par la décision 94-90.

25. Les documents fournis par la Commission peuvent également contenir des analyses juridiques ou économiques, lesquelles sont rédigées sur la base de données fournies par la juridiction nationale. Or, dans ces hypothèses, la Commission agit comme un conseil juridique ou économique de la juridiction nationale et les documents rédigés dans l'exercice de cette fonction doivent être soumis aux règles nationales de procédure au même titre que toute autre expertise, notamment en ce qui concerne leur divulgation.

26. Dans ces hypothèses, le droit national peut s'opposer à la divulgation desdits documents et le respect de ce droit peut être considéré comme un intérêt public digne de protection au titre des exceptions prévues par la décision 94-90.

27. Cela ne suffit toutefois pas pour exonérer entièrement la Commission de son obligation de divulguer ces derniers documents. En effet, dans la mesure où ils sont détenus par la Commission, de tels documents relèvent de la décision 94-90, laquelle prévoit en faveur du public le plus large accès possible. Toute exception à ce droit d'accès doit donc être interprétée et appliquée strictement.

28. Par conséquent, la Commission ne doit pas se contenter de refuser toute demande tendant à obtenir l'accès aux documents en cause. Le respect des règles nationales de procédure est suffisamment garanti si la Commission s'assure que la divulgation des documents ne constitue pas une infraction au droit national. En cas de doute, elle consulte la juridiction nationale et ne refuse l'accès que si cette dernière s'oppose à la divulgation desdits documents.

29. En outre, cette procédure évite que le requérant doive d'abord s'adresser à la juridiction nationale compétente et ensuite à la Commission si cette juridiction considère que le droit national de procédure ne s'oppose pas à la divulgation des documents sollicités, mais estime que l'application des règles communautaires peut aboutir à une solution différente. Elle correspond donc également aux exigences d'une bonne administration.

30. Il découle de ce qui précède que, en interprétant la décision 94-90 en ce sens que l'exception tirée de la protection de l'intérêt public dans le cadre d'une procédure juridictionnelle oblige la Commission à refuser l'accès aux documents qu'elle a rédigés aux seules fins d'une telle procédure, le Tribunal a commis une erreur de droit, en sorte que le moyen tiré de la violation de ladite décision est fondé.

31. Conformément à l'article 54 du statut CE de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé. Tel est le cas en l'espèce.

Le recours en annulation présenté devant le Tribunal et dirigé contre la décision litigieuse

32. Il résulte des points 14 à 29 du présent arrêt que la Commission, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'accès à des documents qu'elle a fournis à une juridiction nationale dans le cadre de la coopération de cette institution avec les juridictions nationales pour l'application des articles 85 et 86 du traité, doit vérifier si ces documents constituent des analyses juridiques ou économiques au sens du point 25 du présent arrêt. S'il s'agit de tels documents, la Commission doit s'assurer que leur divulgation n'est pas contraire au droit national. En cas de doute, elle consulte la juridiction nationale et ne refuse l'accès que si cette dernière s'oppose à la divulgation desdits documents.

33. Il s'ensuit que, en refusant l'accès aux documents sollicités sans vérifier si ces documents constituent des analyses juridiques ou économiques rédigées sur la base de données fournies par la juridiction nationale et, si tel était le cas, sans s'assurer que leur divulgation n'est pas contraire au droit national, la Commission a violé la décision 94-90, en sorte que la décision litigieuse doit être annulée.

Sur les dépens

34. Aux termes de l'article 122, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Le paragraphe 4 du même article dispose, en sa première phrase, que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, la totalité des dépens exposés tant dans le cadre de la procédure devant le Tribunal que dans celle devant la Cour par les requérants au pourvoi ainsi que par M. Van der Wal, en tant que partie intervenante dans l'affaire C-174-98 P. Le royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens, en tant que partie intervenante dans l'affaire T-83-96, afférents à la procédure devant le Tribunal et, en tant que partie intervenante dans l'affaire C-189-98 P, afférents à la présente instance.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) L'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 19 mars 1998, Van der Wal/Commission (T-83-96), est annulé.

2) La décision de la Commission du 29 mars 1996 refusant l'accès à certains documents est annulée.

3) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens afférents aux deux instances.

4) Le royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens, en tant que partie intervenante dans l'affaire T-83-96, afférents à la procédure devant le Tribunal et, en tant que partie intervenante dans l'affaire C-189-98 P, afférents à la présente instance.