Livv
Décisions

CCE, 21 octobre 1997, n° 97-744

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Disposition de la législation portuaire italienne en matière de travail

CCE n° 97-744

21 octobre 1997

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 90 paragraphe 3, après avoir donné aux autorités italiennes, à l'Associazione nazionale compagnie e imprese portuali (ANCIP), à la Compagnia unica fra i lavoratori delle merci varie del porto di Genova (CULMV), à l'AUSITRA - Federazione italiana imprese di servizi -, au Comitato nazionale degli utenti e degli Operatori portuali, à l'Associazione degli operatori dei magazzini e deposito merci e delle Imprese operanti nel settore della logistica (ASSOLOGISTICA) et à l'Associazione degli operatori terminalisti (ASSOTOP), l'occasion de faire connaître leur point de vue concernant les griefs formulés par la Commission au sujet de la législation portuaire italienne en matière de travail portuaire et d'opérations portuaires, considérant ce qui suit :

1. LES FAITS

1.1. Antécédents procéduraux

(1) Dans son arrêt du 10 décembre 1991 dans l'affaire C-179-90, Merci convenzionali porto di Genova (ci-après "l'arrêt port de Gênes") (1) en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que "l'article 90, en relation avec les articles 30, 48 et 86 du traité CEE, s'oppose à une réglementation d'un État membre qui confère à une entreprise établie dans cet État le droit exclusif d'organiser les opérations portuaires et oblige celle-ci à recourir, pour l'exécution de ces opérations, à une compagnie portuaire composée exclusivement de travailleurs nationaux."

(2) À la suite de cet arrêt, et constatant que l'Italie n'avait pas modifié sa législation, la Commission a adressé au gouvernement italien, le 31 juillet 1992, une lettre de mise en demeure au titre de l'article 90 paragraphe 3 du traité, l'invitant à lui présenter les mesures qu'il entendait prendre à ce sujet.

(3) À la suite de la lettre de la Commission, le gouvernement italien a successivement arrêté un décret-loi - renouvelé huit fois -, la loi de réforme portuaire n° 84 du 28 janvier 1994, puis un nouveau décret-loi qui modifie la loi en question - renouvelé une quinzaine de fois et, en dernier lieu, le 21 octobre 1996 - converti en loi, le 23 décembre 1996, par la loi n° 647.

(4) Le 7 mai 1997, la Commission, constatant que la législation portuaire italienne, telle qu'elle résulte de la loi n° 84-94 telle que modifiée par la loi n° 647-96 (ci-après "la loi n° 84-94"), continuait à être incompatible avec le droit communautaire de la concurrence, a adressé au gouvernement italien une lettre de mise en demeure complémentaire. Le gouvernement italien a répondu par lettre du 7 juillet 1997.

1.2. La législation portuaire italienne avant la loi n° 84-94

(5) La présente procédure concerne les opérations portuaires en Italie. Par "opérations portuaires", on entend les activités énumérées à l'article 16 paragraphe 1 de la loi n° 84-94 : chargement, déchargement, embarquement, débarquement, stockage et manutention en tous genres des marchandises.

(6) Au moment de l'arrêt port de Gênes, le marché des opérations portuaires, tel qu'il était réglementé par le Codice della navigazione, se présentait sous la forme d'un système de double monopole :

- d'une part, le monopole sur l'organisation des opérations portuaires : une entreprise (en général contrôlée par le gestionnaire du port) recevait le droit exclusif d'effectuer des opérations portuaires, même si plusieurs entreprises recevaient ce droit dans chaque port ; cependant, ce droit était chaque fois limité à un secteur spécifique du marché (marchandises diverses, conteneurs, produits frais, etc.), ce qui permet d'affirmer qu'il s'agissait bien d'un droit exclusif (sur le marché de référence) ; ces entreprises n'étaient cependant pas autorisées à faire exécuter ces opérations par leur propre personnel,

- d'autre part, le monopole sur l'exécution des opérations portuaires : dans chaque port, une compagnie de dockers (ci-après "compagnie portuaire") recevait le droit exclusif de fournir (aux entreprises visées au premier tiret) la main-d'œuvre nécessaire à l'exécution des opérations portuaires en question,

- par ailleurs, l'autoproduction (à savoir la possibilité pour un navire d'effectuer les opérations de chargement ou de déchargement avec son propre personnel de bord) était interdite.

(7) Dans l'arrêt port de Gênes, la Cour s'est penchée plus précisément sur les opérations portuaires relatives au fret ordinaire dans le port de Gênes et a tout d'abord constaté que les entreprises en question bénéficiaient d'un monopole légal sur une partie substantielle du Marché commun (respectivement sur les secteurs de l'organisation et de l'exécution des opérations portuaires).

(8) La Cour a ensuite constaté que les deux entreprises investies, selon les modalités définies par la réglementation nationale en cause, de droits exclusifs étaient de ce fait amenées soit à exiger le paiement de services non demandés, soit à facturer des prix disproportionnés [infractions visées par l'article 86 point a)], soit à refuser de recourir à une technologie moderne [ce qui a pour effet de limiter le développement technique au sens de l'article 86 point b)], ce qui entraînait un accroissement du coût des opérations et un allongement des délais, soit encore à octroyer des réductions de prix à certains utilisateurs avec compensation concomitante de ces réductions par une augmentation des prix facturés à d'autres utilisateurs [ce qui va à l'encontre des dispositions de l'article 86 point c)].

(9) La Cour a donc conclu que "dans ces conditions, il y a lieu de constater qu'un État membre crée une situation contraire à l'article 86 du traité lorsqu'il adopte une réglementation du type de celle en cause (...), réglementation qui est susceptible d'affecter le commerce entre États membres." (2)

1.3. La législation portuaire après la loi n° 84-94

(10) La loi n° 84-94 a modifié le fonctionnement du marché en cause.

Ces modifications n'ont satisfait qu'en partie les demandes formulées dans la lettre de mise en demeure du 31 juillet 1992 et ont introduit de nouvelles distorsions de concurrence incompatibles avec le traité.

(11) Il convient d'analyser la loi n° 84-94 à la lumière des dispositions de la loi n° 1369 du 23 octobre 1960 (ci-après "la loi n° 1369-60"), laquelle interdit le recours à toute forme d'intermédiaire pour la fourniture de main-d'œuvre et réglemente l'utilisation de celle-ci pour les prestations fournies en sous-traitance.

a) L'article 1er de la loi n° 1369-60 dispose que "l'entrepreneur n'est pas autorisé à confier en sous-traitance (...) l'exécution de simples prestations de main-d'œuvre (...)". En cas de non-respect, la loi prévoit des sanctions pénales à l'encontre tant de l'entrepreneur faisant appel à cette main-d'œuvre que de l'entreprise qui la fournit.

b) En l'espèce, la loi en question a pour conséquence que les entreprises portuaires ne peuvent en principe pas disposer de main-d'œuvre temporaire pour faire face aux pics de la demande ni, lorsqu'elles sont confrontées à des périodes de creux, mettre à la disposition d'entreprises concurrentes leur main-d'œuvre excédentaire.

c) En outre, la jurisprudence italienne semble avoir étendu cette interdiction visant la main-d'œuvre temporaire à la prestation de services en régime de sous-traitance, lorsque ces services sont caractérisés par un "haut contenu de main-d'œuvre". Ainsi, en ce qui concerne les ports, les tribunaux italiens considèrent que l'article 1er de la loi n° 1369-60 interdit la sous-traitance (tant active que passive) des opérations de chargement, de déchargement et de manutention de marchandises (voir par exemple la question préjudicielle posée par la Pretura di La Spezia à la Cour de justice, affaire C-163-96, Procedura penale c/ Silvano Raso, en cours d'instruction). Cela a notamment pour conséquence que les terminalistes ne peuvent pas confier l'exécution de certaines opérations à haut contenu de main- d'œuvre en sous-traitance et que les entreprises portuaires ne peuvent pas fournir en sous-traitance des services à haut contenu de main-d'œuvre. Par contre, la sous-traitance des opérations à haut contenu de capital et à faible contenu de main-d'œuvre n'est pas visée par l'interdiction générale.

d) Le gouvernement italien a informé la Commission du fait que le Parlement italien avait approuvé, le 18 juin 1997, une nouvelle loi de libéralisation du travail intérimaire. Il s'agit de la loi n° 196 du 24 juin 1997 (ci-après "la loi n° 196-97"). Il ressort cependant, aussi bien des informations à la disposition de la Commission que de la réponse communiquée par le gouvernement italien le 7 juillet 1997, qu'en l'état actuel des choses, cette nouvelle loi n'est pas applicable dans les ports. En effet :

i) en premier lieu, la loi n° 196-97 n'abroge pas la loi n° 1369-60, mais instaure un régime dérogatoire en vertu duquel le ministère du travail octroie à certaines entreprises l'autorisation de fournir de la main-d'œuvre intérimaire. Or, la loi n° 84-94 instaure un régime spécifique de dérogation à la loi n° 1369-60 pour le secteur portuaire. Par conséquent, le régime de dérogation à la loi n° 1369-60 applicable aux ports devrait être celui que prévoit la loi n° 84-94, et non celui de la loi n° 196-97 ;

ii) en deuxième lieu, à supposer même que la loi n° 196-97 soit théoriquement applicable aux ports, les contraintes objectives qu'elle définit en limitent fortement la portée en ce qui concerne le travail portuaire. Les entreprises portuaires ne semblent pas pouvoir bénéficier de l'autorisation au titre de la loi n° 196-97, du fait que seules les entreprises ayant pour objet exclusif la fourniture de main-d'œuvre sont éligibles [article 2 paragraphe 2 point a) de la loi n° 196-97]. Ensuite, les petites entreprises, dont le rôle est capital dans le fonctionnement d'un port, sont exclues du champ d'application de ladite loi [seules les entreprises fournissant des services de main-d'œuvre temporaire dans au moins quatre régions distinctes sont en effet concernées selon l'article 2 paragraphe 2 point b)]. Enfin, l'article 12 de la loi n° 196-97 interdit d'avoir recours à de la main-d'œuvre temporaire à deux reprises dans un intervalle inférieur à dix jours. L'application de cette réglementation dans un port empêcherait donc de faire face à deux pics de la demande survenant dans un laps de temps inférieur à dix jours.

(12) Les principales caractéristiques du marché après la loi n° 84-94 peuvent se résumer comme suit.

a) Du point de vue administratif, la nouvelle loi crée les autorités portuaires, qui succèdent aux gestionnaires des ports dans leur tâche d'autorité administrative. Contrairement aux gestionnaires, les autorités portuaires ne sont autorisées ni directement ni indirectement à fournir des services d'opérations portuaires.

b) L'autoproduction est autorisée (article 16 paragraphe 3), sous réserve d'un agrément délivré par l'autorité portuaire.

c) Le marché des opérations portuaires pour le compte de tiers est ouvert à la concurrence, sous réserve d'un agrément délivré par l'autorité portuaire (article 16). L'autorité portuaire peut toutefois limiter le nombre d'entreprises agréées, pour tenir compte des caractéristiques du port et du trafic, tout en garantissant un degré maximal de concurrence. Contrairement à la situation qui prévalait jusqu'alors, les entreprises agréées au titre de l'article 16 peuvent recourir à leur propre personnel pour l'exécution physique des opérations portuaires (article 27, qui abroge l'article 110 quatrième alinéa du Codice della navigazione). Jusqu'au 31 décembre 1996, elles avaient néanmoins l'obligation d'embaucher en priorité les membres des anciennes compagnies portuaires.

En vertu de l'article 18 de la loi n° 84-94, les autorités portuaires peuvent, en outre, octroyer des concessions de quais ou de portions de quai aux entreprises agréées au titre de l'article 16. En règle générale, une entreprise ayant reçu une partie du port en concession est un terminaliste. Les terminalistes peuvent recourir à leur propre personnel pour l'exécution physique des opérations portuaires (article 27, qui abroge l'article 110 quatrième alinéa du Codice della navigazione). Ici aussi, l'obligation d'embaucher en priorité les membres des anciennes compagnies portuaires a pris fin le 31 décembre 1996.

Les anciennes compagnies portuaires sont dissoutes et transformées en entreprises qui effectuent - entre autres - des opérations portuaires (article 21). En principe, les anciennes compagnies exercent leurs activités en régime de concurrence. Cependant, la loi accorde à ces anciennes compagnies des avantages par rapport à leurs concurrents [voir point d)] ainsi que des aides.

d) La loi prévoit, en effet, les dérogations suivantes à la loi n° 1369-60, en vertu de laquelle le travail intérimaire et la sous-traitance de tâches à haut contenu de main-d'œuvre sont interdits :

i) d'une part, en ce qui concerne les prestations de services à haut contenu de main-d'œuvre fournies en régime de sous-traitance, l'article 17 paragraphe 3 de la loi n° 84-94 octroie aux anciennes compagnies portuaires le droit exclusif de déroger à l'interdiction générale, ce qui leur confère une position de monopole pour l'offre de ces services. La loi ne précise pas à partir de quand une opération portuaire est "à haut contenu de main-d'œuvre", et il est par conséquent difficile de délimiter ce monopole avec précision ;

ii) d'autre part, en ce qui concerne le travail intérimaire destiné à faire face à des pics de la demande, l'autorité portuaire peut :

- soit favoriser la formation d'un consortium volontaire au sein duquel elle désignera elle-même une ou plusieurs entreprises autorisées à sous-traiter de la main-d'œuvre à leurs concurrents,

- soit constituer une agence pour la fourniture (en régime de monopole) de main-d'œuvre temporaire aux entreprises portuaires ; jusqu'à la constitution de cette agence, c'est l'ancienne compagnie portuaire qui est titulaire de ce monopole.

2. APPRÉCIATION DE LA LOI N° 84-94

(13) La loi n° 84-94, bien qu'ayant modifié l'organisation du marché précédemment en vigueur, n'a pas donné suite de façon pleinement satisfaisante à la lettre de mise en demeure du 31 juillet 1992 et a créé de nouvelles situations incompatibles avec l'article 86 du traité. La loi n° 196-97 ne change en rien cette appréciation, pour les raisons exposées ci-dessous.

(14) La présente appréciation ne porte pas sur la compatibilité avec le droit communautaire de la loi n° 1369-60.

2.1. Cadre juridique général

2.1.1. Marchés de services pertinents

(15) Les modifications introduites par la loi n° 84-94 ont transformé l'organisation des marchés.

Les marchés de services à prendre en compte sont les suivants :

a) le marché des opérations portuaires pour le compte de tiers (la liste des opérations portuaires figure à l'article 16 de la loi n° 84-94)

Étant donné que, dans les faits, toutes ces opérations sont complémentaires les unes par rapport aux autres et que chacune peut être fournie par un opérateur différent, il convient de considérer que chaque opération donne naissance à un marché en soi. Néanmoins, dans un souci de simplification dans la présente procédure l'ensemble de ces services est assimilé à un seul marché ;

b) le marché de la mise à disposition de main-d'œuvre temporaire (article 17 paragraphes 2 et 3 de la loi n° 84-94)

Grâce à la réforme, les entreprises portuaires peuvent embaucher du personnel pour l'exécution des opérations portuaires. Toutefois, outre leur propre personnel, les entreprises portuaires doivent aussi recourir à une main-d'œuvre temporaire. En effet, elles n'ont pas un effectif suffisant pour faire face à la demande en période de pic (la fluctuation de la demande est inhérente à l'activité d'un port, qui est liée à l'arrivée des navires). Dès lors, lorsqu'une situation de pic se présente, les entreprises portuaires (y compris les terminalistes) doivent soit refuser du travail, soit faire appel à des ouvriers temporaires ;

c) le marché des prestations de services à haut contenu de main-d'œuvre fournies en régime de sous-traitance (article 17 paragraphe 3 de la loi n° 84-94)

Les entreprises portuaires qui offrent un service complet (terminalistes) peuvent soit effectuer toutes les tâches grâce à leurs propres moyens et personnel (éventuellement lié par contrat temporaire), soit sous-traiter certaines opérations. La décision de recourir ou non à la sous-traitance a une incidence considérable sur l'organisation du travail, les investissements en formation et en matériel, l'embauche, etc. Aussi, les deux solutions (sous-traiter ou non certaines tâches) ne sont-elles pas parfaitement substituables pour une entreprise, du moins à court terme.

Il découle des considérations qui précèdent qu'il existe un marché spécifique des opérations portuaires fournies en sous-traitance (ou, plus exactement, un marché spécifique pour chaque opération fournie en sous-traitance). Le marché pertinent dans le cadre de la présente procédure est limité, quant à lui, aux opérations à haut contenu de main-d'œuvre.

(16) Le gouvernement italien a objecté que la définition de ces deux derniers marchés serait trop "technique". À son avis, le marché de la mise à disposition de main-d'œuvre temporaire [point b)] et le marché des prestations de services à haut contenu de main-d'œuvre fournies en régime de sous-traitance [point c)] ne formeraient qu'un seul marché, à savoir celui des services portuaires. Il en veut pour preuve que la main-d'œuvre temporaire et les prestations de services à haut contenu de main-d'œuvre répondent à une même demande.

Main-d'œuvre temporaire et services à haut contenu de main-d'œuvre peuvent, en effet, dans certaines circonstances, répondre à une même demande. Toutefois, ces deux activités ne sont pas suffisamment substituables pour qu'il soit possible de considérer qu'elles constituent un seul et même marché. Cette remarque est vraie du point de vue tant de la demande que de l'offre.

- En premier lieu, le recours à la main-d'œuvre temporaire est un achat de "moyens", tandis que le recours à un sous-traitant est un achat de "résultat". Il est par conséquent évident que ces deux solutions affectent différemment l'organisation de l'entreprise : le fait pour une entreprise de recourir à de la main-d'œuvre temporaire n'entraîne aucune modification au niveau de son organisation ; l'entreprise en question dispose simplement d'un personnel supplémentaire pendant une période déterminée. Ce personnel fournit des prestations comme n'importe quel employé de l'entreprise, selon les procédures de cette dernière. En outre, l'entreprise en question continue d'assumer toute la responsabilité de l'organisation et de la gestion des opérations. Par contre, l'entreprise qui confie l'exécution de certaines tâches à un sous-traitant lui délègue une partie de ses responsabilités en matière d'organisation et de gestion. Le personnel en question exécute les tâches de chargement et de déchargement sous les ordres et selon les procédures (et le savoir-faire) de l'entreprise sous-traitante.

- En deuxième lieu, main-d'œuvre temporaire et sous-traitance de services répondent à une demande différente en termes de flexibilité.

La sous-traitance de services permet à l'entreprise qui y recourt de faire exécuter la totalité d'un service par un tiers. Le contrat de sous-traitance prend fin avec l'exécution de ce service. Les entreprises portuaires qui recourent au travail temporaire disposent, par contre, d'une main-d'œuvre supplémentaire durant un laps de temps déterminé. Cela signifie que l'entreprise fixe le nombre de dockers dont elle souhaite s'assurer les services (lequel peut être inférieur au nombre de dockers nécessaires à l'exécution d'une opération) ainsi que la période pendant laquelle elle a besoin de ce personnel (en règle générale, cette période ne correspondra pas au temps requis pour mener à bien une opération).

- En troisième lieu, comme il découle du point 2, chacune des deux solutions répond à une typologie différente au niveau de la demande : en pratique, alors que n'importe quelle entreprise portuaire autorisée à exercer des opérations portuaires au titre de l'article 16 de la loi n° 84-94 est susceptible de recourir à de la main-d'œuvre temporaire pour faire face à des pics de la demande, ce seront vraisemblablement les terminalistes qui seront les principaux demandeurs de prestations de services en sous-traitance. De même, alors que la demande de main-d'œuvre temporaire a pour objectif affiché de faire face à des pics de la demande, le recours à des services en sous-traitance peut également s'inscrire dans une logique industrielle de tertiarisation des activités, à laquelle la main-d'œuvre temporaire n'est pas en mesure de répondre.

- En quatrième lieu, les conditions d'accès à ces deux marchés (côté de l'offre) sont différentes.

La main-d'œuvre temporaire pourrait, en théorie, être fournie par n'importe quelle agence d'intérim, par exemple par l'agence prévue à l'article 17 paragraphe 1 point b). Par contre, la fourniture d'opérations portuaires en sous-traitance ne peut être le fait que d'une entreprise portuaire disposant du savoir-faire nécessaire et agréée pour exercer des opérations portuaires sur la base de l'article 16 de la loi n° 84-94.

Aussi convient-il d'analyser la législation en question sur la base de trois marchés distincts, quoique contigus.

2.1.2. Partie substantielle du Marché commun

(17) La Cour a indiqué dans l'arrêt port de Gênes qu'eu égard au volume de trafic, ce port constituait une partie substantielle du marché commun.

(18) Dans sa lettre de mise en demeure du 31 juillet 1992, la Commission a étendu cette considération aux ports de Tarente, de Venise, de Livourne, de Naples et de Ravenne.

(19) La législation en question établit une organisation du marché identique dans tous les ports italiens, organisation qui se traduit par la présence de positions dominantes similaires dans tous les principaux ports italiens. Cette situation est susceptible de créer une distorsion de la concurrence sur tout le territoire italien.

(20) Or, la Cour a déclaré dans l'arrêt rendu le 5 octobre 1994 dans l'affaire C-323-93, Centre d'insémination de la Crespelle, que : "en établissant (...) une juxtaposition de monopoles territorialement limités, mais couvrant, dans leur ensemble, tout le territoire d'un État membre, ces dispositions nationales créent une position dominante au sens de l'article 86 du traité sur une partie substantielle du marché commun" (3). Il convient donc de considérer que la législation italienne doit être appréciée non seulement au regard de son impact sur le port de Gênes ou sur les ports de Gênes, de Tarente, de Venise, de Livourne, de Naples et de Ravenne (ce qui représente déjà en soi une partie substantielle du marché commun), mais au regard de son incidence sur tous les ports italiens par lesquels transite du trafic intracommunautaire, comme le précise la lettre de mise en demeure complémentaire du 7 mai 1997.

(21) Le gouvernement italien a contesté l'appréciation de la Commission concernant le volet "partie substantielle du marché commun". Son principal argument consiste à dire que les marchés de la main-d'œuvre temporaire et des opérations portuaires à haut contenu de main-d'œuvre exécutées en sous-traitance sont marginaux par rapport au marché des opérations portuaires.

Cet argument ne peut être retenu. Les marchés en cause sont les marchés de la mise à disposition de main-d'œuvre temporaire et de la prestation de services à haut contenu de main-d'œuvre en régime de sous-traitance. Il s'agit de deux marchés distincts et non substituables entre eux et par rapport au marché des opérations portuaires. Or, comme il est indiqué ci-dessus, la législation portuaire italienne établit, pour ces marchés, une organisation identique sur l'ensemble du territoire national.

Le fait que les marchés en cause soient relativement plus petits - du point de vue économique - que le marché - plus large - des opérations portuaires n'affecte en rien la circonstance qu'il s'agit d'une partie substantielle du marché commun. À titre d'exemple, la Cour a estimé dans l'arrêt rendu le 17 mai 1994, dans l'affaire C-18-93 Corsica Ferries/Corpo dei piloti del porto di Genova (4), que le marché des services de pilotage dans le port de Gênes pouvait être considéré comme constituant une partie substantielle du marché commun, bien que le coût du pilotage ne représente qu'une partie marginale du coût d'exploitation des lignes de ferries.

2.1.3. Effets sur le commerce entre États membres

(22) La législation en cause a notamment pour effet d'influencer le coût des opérations portuaires et ce, indépendamment de la nationalité du bénéficiaire du service.

(23) Comme l'a indiqué la Cour dans l'arrêt port de Gênes, un coût supplémentaire en matière d'opérations de débarquement est "susceptible, de par son effet sur les prix des marchandises, d'influer sur les importations" (5) et, partant, d'affecter le commerce entre États membres.

2.2. Article 90 du traité

(24) Les infractions et situations d'infraction aux règles de concurrence du traité décrites ci-après sont le fruit d'une mesure étatique (à savoir la loi n° 84-94), combinée aux dispositions de la loi n° 1369-60. En édictant la loi n° 84-94, l'Italie a enfreint les dispositions de l'article 90 paragraphe 1 du traité, en liaison avec son article 86.

(25) L'article 90 paragraphe 1 du traité dispose que les États membres, en ce qui concerne les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité, notamment à celles qui sont prévues aux articles 6 et 85 à 94.

(26) La ou les entreprises qui reçoivent l'autorisation de fournir de la main-d'œuvre temporaire ou d'effectuer des opérations portuaires à haut contenu de main-d'œuvre en dérogation à la loi n° 1369-60 sont des entreprises auxquelles l'État accorde des droits exclusifs ou spéciaux au sens de l'article 90 du traité.

(27) L'autorité portuaire est un organisme public chargé des tâches d'autorité publique dans le port. En vertu de l'article 12 de la loi n° 84-94, elle est soumise à la tutelle du ministre des transports. Ses actes de nature administrative (y compris les actes relevant de l'article 17 de la loi n° 84-94) sont des mesures étatiques au sens de l'article 90 du traité.

2.3. L'article 90 en liaison avec l'article 86 du traité

2.3.1. Le consortium volontaire prévu à l'article 17 paragraphe 1 point a) de la loi n° 84-94

(28) L'article 17 paragraphe 1 point a) de la loi n° 84-94 prévoit que l'autorité portuaire favorise la constitution d'un consortium volontaire ouvert à toutes les entreprises portuaires (articles 16, 18 et 21), dont l'objet exclusif est de permettre à ses membres de recourir à de la main-d'œuvre temporaire, en dérogation à l'interdiction générale prévue par la loi n° 1369-60. À cette fin, l'autorité portuaire autorise un ou plusieurs membres du consortium à fournir de la main-d'œuvre temporaire aux autres membres du consortium.

(29) La loi laisse ainsi à l'autorité portuaire la faculté de n'autoriser qu'un nombre limité d'entreprises (une ou plus) à fournir de la main-d'œuvre aux autres entreprises.

(30) Cette faculté que la loi laisse aux autorités portuaires peut conduire, lorsqu'elle est exercée, à des infractions à l'article 86 du traité. En effet, lorsque l'autorité portuaire n'autorise pas tous les membres du consortium à fournir de la main-d'œuvre temporaire aux autres entreprises, ladite faculté peut donner lieu à des abus au sens de l'article 86. Ces abus résultent du fait que la ou les entreprises autorisées à fournir de la main-d'œuvre temporaire sont susceptibles de profiter indûment des avantages précisés ci-après par rapport à leurs concurrents sur le marché des opérations portuaires.

a) En premier lieu, la décision de l'autorité portuaire de n'autoriser qu'un nombre limité d'entreprises à fournir de la main-d'œuvre a pour effet de donner à celles qui sont choisies la possibilité de faire supporter une partie de leurs coûts de personnel à leurs concurrents, lorsque ceux-ci recourront à de la main-d'œuvre temporaire. Par contre, lorsqu'une entreprise non autorisée est confrontée à un creux de la demande, elle n'a pas la possibilité de faire travailler son personnel excédentaire dans d'autres entreprises.

b) Ensuite, si l'autorité portuaire n'autorise qu'une seule entreprise à fournir de la main-d'œuvre aux autres entreprises, l'entreprise autorisée est placée dans une situation de conflit d'intérêt du fait qu'elle devient le fournisseur exclusif de ses concurrents.

En pratique, l'entreprise ainsi agréée détiendra un monopole et, partant, une position dominante selon l'article 86 du traité sur le marché de la main-d'œuvre temporaire. Elle aura la possibilité d'abuser de cette position, par exemple en facturant (à ses concurrents sur le marché des opérations portuaires) des prix excessifs pour la fourniture de la main-d'œuvre temporaire ou en mettant à la disposition de ses concurrents les ouvriers les moins efficaces.

c) La situation de conflit d'intérêt décrite au point b) constitue un abus en soi. Il n'est pas nécessaire d'attendre que l'entreprise en question commette effectivement un abus de ce genre pour intervenir. Il suffit, en effet, que l'entreprise soit mise, de par la loi, dans une situation qui l'amène à commettre un abus dès lors qu'elle y trouve un intérêt<B/>(6).

Le gouvernement italien et l'ANCIP ont contesté ce point, estimant que le respect des règles de concurrence fera de toute façon l'objet d'une surveillance attentive de la part de l'autorité portuaire et, le cas échéant, de la Commission.

La Commission n'entend pas exprimer de doutes quant à la capacité de l'autorité portuaire à faire respecter la loi. C'est la loi elle-même qui est incompatible avec le traité.

Il existe, en effet, une jurisprudence sur ce sujet. Dans l'arrêt rendu le 13 décembre 1991 dans l'affaire C-18-88, GB-INNO BM (7) par exemple, la Cour a établi que le conflit d'intérêt est un abus en soi. Dans cette affaire, la Cour a été amenée à se prononcer sur une réglementation conférant à l'opérateur de téléphonie dominant, qui commercialisait également des appareils téléphoniques, le droit d'agréer les appareils téléphoniques de ses concurrents. La Cour a indiqué qu'"un système de concurrence tel que celui prévu par le traité ne peut être garanti que si l'égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée. Confier à une entreprise qui commercialise des appareils terminaux la tâche de formaliser des spécifications et d'agréer ces appareils revient à lui conférer le pouvoir de déterminer, à son gré, quels appareils sont susceptibles d'être raccordés au réseau public et lui octroyer ainsi un avantage évident sur ses concurrents. Dans ces conditions, le maintien d'une concurrence effective exige que la formalisation des spécifications techniques (...) et l'agrément soient effectués par une entité indépendante (...)." (8)

En réponse à l'argumentation de la RTT, la Cour a, en outre, indiqué (9) que le fait que la RTT ne se soit pas effectivement livrée à des abus ne pouvait être invoqué pour justifier la réglementation en question.

d) Quand bien même l'autorité portuaire autoriserait plusieurs entreprises à fournir de la main-d'œuvre temporaire, cela ne suffirait pas à empêcher qu'une entreprise se trouve en position dominante sur ce marché et puisse en abuser. En effet, selon les dispositions de l'article 17 paragraphe 1 point a) de la loi n° 84-94, figurera au moins au nombre des entreprises agréées par l'autorité l'ancienne compagnie portuaire, laquelle, compte tenu de sa taille, devrait très vraisemblablement détenir une part de marché prépondérante.

Effectivement, d'après la loi n° 84-94, seuls sont susceptibles d'être autorisés par l'autorité portuaire à fournir de la main-d'œuvre temporaire "les membres du consortium ayant le personnel adéquat et les ressources requises sur le plan professionnel pour l'exécution des opérations portuaires, compte tenu des capacités excédentaires consécutives au processus de rationalisation et de transformation de la production résultant de la présente loi". En pratique, seules les anciennes compagnies portuaires répondent à ce critère.

Le gouvernement italien a indiqué dans sa réponse du 7 juillet qu'il entendait publier une circulaire ministérielle d'interprétation pour inviter les autorités portuaires à délivrer, si possible, l'autorisation de fournir de la main-d'œuvre temporaire à toutes les entreprises du consortium disposant de capacités excédentaires au niveau de leur effectif. Indépendamment de toute considération sur la portée juridique d'une telle circulaire par rapport à la loi à laquelle elle se rapporte, cette proposition du gouvernement italien ne répond pas de manière satisfaisante à la lettre de mise en demeure complémentaire de la Commission datée du 7 mai 1997, dans la mesure où, vu les circonstances factuelles exposées ci-dessus, seules les anciennes compagnies remplissent les critères fixés par la loi.

e) Le gouvernement italien et l'ANCIP ont objecté que la loi n° 84-94 ne conduira pas nécessairement au conflit d'intérêt dans le chef de l'ancienne compagnie, du fait qu'en vertu de l'article 21 de ladite loi, celle-ci devra se scinder en deux entités distinctes : l'une sera chargée d'exécuter les opérations portuaires tandis que l'autre fournira la main-d'œuvre temporaire. Cet argument n'est pas satisfaisant.

En effet, il n'est pas exact d'affirmer que l'article 21 de la loi n° 84-94 impose la transformation des anciennes compagnies en deux entreprises distinctes. L'article en question dispose que les anciennes compagnies se transforment en une ou plusieurs sociétés, l'obligation ne portant dès lors que sur la condition minimale de la transformation en une société. Par ailleurs, d'après cet article, cette transformation devait intervenir au plus tard le 18 mars 1995, délai qui, selon les informations dont dispose la Commission, n'a pas été respecté ni contrôlé par les autorités italiennes.

En outre, la loi n° 84-94 n'impose pas la distinction des rôles (entreprise portuaire et fournisseur de main-d'œuvre temporaire aux entreprises portuaires). Bien au contraire, elle rend possible la confusion des rôles et, de ce fait, le conflit d'intérêt et l'abus de position dominante. D'après les informations dont dispose la Commission, une telle confusion se manifeste d'ailleurs d'ores et déjà dans le port de Gênes.

f) Enfin, même une distinction des rôles ne saurait suffire si elle intervenait à l'intérieur du même groupe. Il faudrait que les deux sociétés aux rôles distincts soient entièrement indépendantes.

g) Cette situation amène la Commission à constater que la loi n° 84-94 a pour effet de rétablir les anciennes compagnies dans leur position dominante, alors que dans l'arrêt port de Gênes, la Cour a déclaré qu'une telle situation donnait lieu à des abus et que rien n'indique que, dans la nouvelle situation, de tels abus cesseront.

(31) Dans de telles circonstances, la ou les entreprises autorisées à fournir de la main-d'œuvre temporaire seraient amenées à commettre des infractions à l'article 86 du traité.

(32) En l'espèce, le comportement des entreprises en question est le résultat des mesures étatiques. Il en découle que l'article 17 paragraphe 1 point a) de la loi n° 84-94, qui prévoit que l'autorité portuaire favorise la constitution volontaire d'entreprises ayant pour seul objectif de permettre la mise à disposition de main-d'œuvre temporaire par une ou plusieurs entreprises autorisées à cette fin par l'autorité portuaire aux autres entreprises, constitue une infraction à l'article 90 paragraphe 1 en liaison avec l'article 86 du traité.

2.3.2. L'agence prévue à l'article 17 paragraphe 1 point b) de la loi n° 84-94

(33) L'article 17 paragraphe 1 point b) dispose que si le consortium volontaire n'est pas créé, l'autorité portuaire peut constituer une agence pour la fourniture de la main-d'œuvre temporaire, en condition de monopole. Cependant, la loi ne précise ni les modalités de création ni le mode de fonctionnement de cette agence, qui devront être définis par un décret ministériel. Aussi des questions susceptibles d'avoir des répercussions sur l'appréciation de la Commission quant à la licéité de cette agence au regard du droit communautaire pourraient-elles se poser.

(34) La Commission analysera la situation du marché après la promulgation éventuelle du décret en question et se réserve le droit d'intervenir le cas échéant.

2.3.3. La période transitoire prévue à l'article 17 paragraphe 2 de la loi n° 84-94

(35) L'article 17 paragraphe 2 dispose que, jusqu'à la création du consortium ou de l'agence, l'ancienne compagnie fournit, en régime de monopole, la main-d'œuvre temporaire aux autres entreprises portuaires.

(36) L'ancienne compagnie, qui est présente sur le marché des opérations portuaires, devient ainsi le fournisseur exclusif de ses concurrents et est incitée à abuser de sa position dominante au sens de l'article 86 du traité. Un raisonnement analogue à celui de la section 2.3.1 s'applique.

(37) Dans l'arrêt port de Gênes, la Cour a encore affirmé que "Le simple fait de créer une position dominante, par l'octroi de droits exclusifs, au sens de l'article 90 paragraphe 1 du traité, n'est pas en tant que tel incompatible avec l'article 86. La Cour a cependant eu l'occasion de constater, à cet égard, qu'un État membre enfreint les interdictions contenues à ces dispositions lorsque l'entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits exclusifs qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive (...) ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus." (10)

(38) Tel est le cas en l'espèce. La disposition prévoyant que les anciennes compagnies fournissent la main- d'œuvre temporaire en régime d'exclusivité durant la période transitoire est une mesure étatique contraire à l'article 90 paragraphe 1, en liaison avec l'article 86, du fait qu'elle met l'ancienne compagnie en mesure de profiter indûment des avantages décrits au point 30.

2.3.4. Le marché des prestations en sous-traitance (article 17 paragraphe 3 de la loi n° 84-94)

(39) L'article 17 paragraphe 3 dispose que les prestations fournies en régime de sous-traitance par les anciennes compagnies portuaires, y compris celles à haut contenu de main-d'œuvre, échappent à l'interdiction prévue par l'article 1er de la loi n° 1369-60. En pratique, cela signifie que l'ancienne compagnie occupe, du fait des droits exclusifs que lui octroie la loi 84-94, en liaison avec la loi 1369-60, une position de monopole sur le marché des prestations de services à haut contenu de main-d'œuvre fournies en régime de sous-traitance.

(40) L'application de l'article 17 paragraphe 3 de la loi n° 84-94 aboutit à une situation qui viole l'article 86 du traité.

(41) En effet, en suivant le même raisonnement que dans la section 2.3.3 pour le marché de la main-d'œuvre temporaire, on peut conclure que l'ancienne compagnie est mise en condition d'abuser de sa position dominante sur le marché de la sous-traitance des opérations portuaires. L'ancienne compagnie non seulement jouit d'un monopole sur le marché des prestations à haut contenu de main-d'œuvre fournies en sous-traitance, mais elle est également présente sur le marché plus large des opérations portuaires. Elle est donc le fournisseur exclusif de ses concurrents et, partant, est susceptible d'abuser de sa position dominante, comme il a été indiqué mutatis mutandis à la section 2.3.1.

(42) Le même raisonnement que dans la section 2.3.3 nous amène à conclure que la règle énoncée à l'article 17 paragraphe 3 de la loi n° 84-94, qui prévoit que les prestations à haut contenu de main-d'œuvre fournies en sous- traitance par l'ancienne compagnie portuaire ne sont pas frappées par l'interdiction prévue à l'article 1er de la loi n° 1369-60, est une mesure étatique contraire à l'article 90 paragraphe 1 en liaison avec l'article 86.

(43) Selon l'ANCIP, la Commission commettrait une erreur d'interprétation. Ainsi, l'article 17 paragraphe 3 de la loi n° 84-94 n'aurait pas pour effet de conférer à l'ancienne compagnie portuaire un monopole sur le marché des prestations de services à haut contenu de main-d'œuvre fournis en régime de sous-traitance, mais uniquement un monopole sur celui de la fourniture de main-d'œuvre temporaire. Sans pour autant partager l'avis de l'ANCIP, il doit être constaté qu'une mesure étatique ayant la portée signalée par l'ANCIP serait également une mesure étatique contraire à l'article 90 paragraphe 1 en liaison avec l'article 86, conformément aux conclusions des sections 2.3.1 et 2.3.3.

(44) Dans sa réponse du 7 juillet 1997, le gouvernement italien a informé la Commission qu'il lui paraissait opportun d'abroger l'article 17 paragraphe 3 de la loi n° 84-94. Le gouvernement italien n'a cependant pas indiqué dans quel délai il entendait procéder à cette abrogation, ni ce qu'il comptait faire pour définir le concept de "haut contenu de main-d'œuvre". La portée d'une telle modification législative devra être appréciée au moment où elle sera éventuellement adoptée.

2.4. Article 90 paragraphe 2

(45) Les autorités italiennes n'ont pas invoqué l'exception prévue à l'article 90 paragraphe 2 du traité pour justifier l'autorisation donnée à une ou plusieurs entreprises de déroger à l'article 1er de la loi n° 1369-60, l'autorisation accordée à la seule ancienne compagnie de déroger à l'article 1er de la loi n° 1369-60 durant la période transitoire et l'exemption d'interdiction à l'ancienne compagnie de fournir en sous-traitance des tâches à haut contenu de main-d'œuvre.

(46) En outre, il faut rappeler que la Cour a indiqué dans l'arrêt port de Gênes qu'"il ne ressort ni des pièces du dossier (...) ni des observations déposées devant la Cour que les opérations portuaires revêtent un intérêt économique général qui présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d'autres activités de la vie économique." (11)

(47) Enfin, à supposer même que la mise à disposition de main-d'œuvre temporaire pour l'exécution des opérations portuaires ou l'exécution des opérations portuaires en sous-traitance constitue une activité ayant la nature d'un service public, en l'espèce, l'application des règles de concurrence ne ferait pas obstacle à une mission particulière de service public qui serait confiée à une compagnie portuaire.

(48) L'exception prévue par l'article 90 paragraphe 2 n'est donc pas applicable.

CONCLUSION

Il ressort de ce qui précède que les mesures étatiques visées dans les sections 2.3.1, 2.3.3 et 2.3.4 constituent des infractions à l'article 90 paragraphe 1 en liaison avec l'article 86 du traité,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

Sont incompatibles avec l'article 90 paragraphe 1, en liaison avec l'article 86, les dispositions suivantes contenues dans la loi italienne n° 84-94, telle que modifiée en dernier lieu par la loi n° 647-96 (ci-après "la loi n° 84-94") :

a) la disposition qui prévoit que les autorités portuaires favorisent la constitution d'un consortium volontaire ouvert à toutes les entreprises autorisées à exercer des activités portuaires, dont l'objet exclusif est de faciliter la gestion de phases caractérisées par des fluctuations imprévisibles de la demande de main-d'œuvre, et autorisent à cette fin un ou plusieurs membres du consortium, pour autant qu'ils aient le personnel adéquat et les ressources requises sur le plan professionnel pour l'exécution des opérations portuaires et présentent des capacités excédentaires en raison du processus de rationalisation et de transformation résultant de la loi n° 84-94, à fournir des prestations de main- d'œuvre aux autres membres du consortium [article 17 paragraphe 1 point a)] ;

b) la disposition qui prévoit que, jusqu'à la création du consortium ou de l'agence devant être constitués pour organiser la mise à disposition de main-d'œuvre temporaire à l'intérieur de chaque port italien, les entreprises prévues à l'article 21 point b) de la même loi n° 84-94, à savoir les anciennes compagnies portuaires, fournissent en régime de monopole la main-d'œuvre temporaire aux autres entreprises portuaires (article 17 paragraphe 2) ;

c) la disposition qui prévoit que les anciennes compagnies fournissent, en position de monopole, les prestations en régime de sous-traitance, y compris celles à haut contenu de main-d'œuvre, aux autres entreprises portuaires (article 17 paragraphe 3).

Article 2

L'Italie est tenue de mettre fin aux infractions décrites à l'article 1er et d'informer la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu'elle aura prises à cet effet.

Article 3

La République italienne est destinataire de la présente décision.

(1) Recueil 1991, p. I-5889.

(2) Arrêt mentionné ci-dessus, point 20 des motifs.

(3) Recueil 1994, p. I-5077, point 17 des motifs.

(4) Recueil 1994, p. I-1783, 1812.

(5) Point 22 des motifs.

(6) Arrêt du 17 juillet 1997, affaire C-242-95, GT-Link AS/De Danske Statsbaner, non encore publié, points 33 et suivants des motifs.

(7) Recueil 1991, p. I-5941, point 25 des motifs.

(8) Points 25 et 26 des motifs.

(9) Points 23 et 24 des motifs.

(10) Points 16 et 17 des motifs.

(11) Point 27 des motifs.