CCE, 18 décembre 1996, n° 97-181
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Conditions imposées au second opérateur de radiotéléphonie GSM en Espagne
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 90 paragraphe 3, après avoir donné aux autorités espagnoles, par lettre du 23 avril 1996, et à l'entreprise Telefónica de España SA, par lettre du 30 mai 1996, l'occasion de faire connaître leurs points de vue concernant les objections formulées par la Commission au sujet du versement initial imposé à Aírtel Móvil SA, considérant ce qui suit :
FAITS
Mesure officielle en cause
(1) Le gouvernement espagnol a imposé un versement initial pour l'octroi de la seconde concession concernant l'installation et la gestion, sur le territoire espagnol, d'un réseau de télécommunications pour la fourniture du service public de radiotéléphonie mobile basé sur la norme numérique paneuropéenne GSM (Global system for mobile communications) (service GSM).
Cette obligation est prévue par l'article (Bases) 9 paragraphe 4 par l'article 16 des critères de sélection approuvés par décision ministérielle (Orden) du 26 septembre 1994 (1). Cette obligation ne s'applique pas à l'opérateur public, Telefónica de España SA ("Telefónica de España").
L'entreprise et les services concernés
(2) Telefónica de España est une entreprise publique espagnole au sens de l'article 2 de la directive 80-723-CEE de la Commission, du 25 juin 1980, relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques (2).
Le gouvernement espagnol exerce une influence décisive sur Telefónica de España pour trois raisons :
i) L'État espagnol est l'actionnaire majoritaire de Telefónica de España. Lorsque la Commission a entamé cette procédure d'infraction, l'État espagnol détenait 31,8 % du capital social. Il en détient actuellement 21,16 %. Les actions restantes sont réparties entre approximativement 300 000 actionnaires.
ii) Le gouvernement espagnol a le droit de désigner un représentant possédant un droit de veto sur les décisions du conseil d'administration de Telefónica de España. En vertu de l'article 2 paragraphe 9 du décret-loi royal (Real Decreto-Ley) n° 6-1996 du 7 juin 1996 (3), ce poste ne sera supprimé qu'à partir du 1er janvier 1998.
iii) En vertu du contrat de concession conclu le 26 décembre 1991 (4) entre l'Administración del Estado et Telefónica de España (le contrat de concession), le gouvernement espagnol a le droit de désigner directement 25 % des membres du conseil d'administration de Telefónica de España. De ce fait, et l'État espagnol étant par ailleurs l'actionnaire majoritaire, le gouvernement espagnol a désigné 18 des 25 membres actuels du conseil d'administration, y compris le président.
Les actions de Telefónica de España sont cotées en bourse en Espagne ainsi qu'à New York, Londres, Francfort et Tokyo. En termes de chiffre d'affaires (1 740,57 milliards de pesetas espagnoles en 1995) et de résultats (133,2 milliards en 1995), Telefónica de España figure parmi les dix plus grands opérateurs de télécommunications du monde. Elle emploie 69 570 personnes et dessert plus de 16 millions d'abonnés.
Telefónica de España est dès lors une entreprise publique ou une entreprise à laquelle l'État membre accorde des droits spéciaux ou exclusifs au sens de l'article 90 paragraphe 1 du traité.
(3) Telefónica de España fournit des services de télécommunications "de transmission", "finals" et "à valeur ajoutée" dans toute l'Espagne, en vertu de la loi sur les télécommunications (Ley de Ordenación de las Telecommunicationes) n° 31-87 du 18 décembre 1987 (5) (LOT) et du contrat de concession. Telefónica de España a été le fournisseur exclusif de certains de ces services [tels que le service de téléphonie vocale au sens de l'article 1er de la directive 90-388-CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications (6)], alors qu'une concurrence limitée a été autorisée pour d'autres services (tels que les services GSM). Des droits spéciaux pour fournir une capacité de transmission pour les services de télécommunications ont également été accordés à Telefónica de España, ainsi qu'aux entreprises publiques Ente Público Retevisión (Retevisión) et Organismo Autónomo de Correos y Telégrafos.
Le 7 juin 1996, le monopole de la téléphonie vocale et l'oligopole sur les infrastructures correspondantes ont été officiellement supprimés par le décret-loi royal n° 6-1996. Le gouvernement espagnol peut maintenant octroyer des concessions à de nouveaux opérateurs nationaux et régionaux. Retevisión transférera ses actifs à une nouvelle entité qui a été autorisée à fournir des services complets de télécommunications et qui devra privatiser 80 % de son capital par appel d'offres restreint. Cependant, la nouvelle entité ne sera vraisemblablement pas opérationnelle avant le milieu de 1997.
Telefónica de España a été autorisée à fournir le service GSM en vertu de la LOT et du contrat de concession sans devoir participer à une procédure d'adjudication, comme décrit de façon plus détaillée au considérant 7. Telefónica de España a ensuite cédé son autorisation pour la fourniture de services de téléphonie mobile - analogique et GSM - à Telefónica Servicios Móviles, SA (Telefónica Servicios Móviles), une filiale à 100 % de Telefónica de España. Dans la présente décision, il ne sera fait référence qu'à Telefónica de España, car c'est à cette société que l'autorisation d'exploitation de la radiotéléphonie GSM a été accordée à l'origine.
(4) La téléphonie mobile numérique cellulaire répondant à la norme GSM est un service récemment développé en Europe, qui permet aux abonnés d'appeler et d'être appelés en tout point de la Communauté et de certains autres pays européens. Ce système, basé sur l'utilisation d'un système numérique, d'un code et d'une carte SIM (Subscriber Identity Module), offre plus de possibilités que les services de radiotéléphonie traditionnels fonctionnant sur la base d'une technologie analogique. La technologie numérique permet une qualité supérieure, la transmission de données à haut débit ainsi qu'un cryptage garantissant une meilleure confidentialité ; elle est en outre plus économe en fréquences que les systèmes analogiques. Par ailleurs, le système GSM repose sur des normes communautaires communes en matière de bandes de fréquence et, à l'inverse des systèmes analogiques souvent incompatibles d'un État membre à l'autre, a vocation à être l'un des services paneuropéens dont la promotion représente, selon la recommandation 87-371-CEE du Conseil (7), l'un des axes principaux de la politique de l'Union européenne en matière de télécommunications. Enfin, le marché naissant des services GSM est particulièrement dynamique : selon certaines études, le nombre d'utilisateurs recensés en Europe occidentale pourrait passer d'un peu plus d'un million en 1993 à 15 à 20 millions en l'an 2000 (8).
(5) Le Conseil a adopté la directive 87-372-CEE du Conseil, du 25 juin 1987, concernant les bandes de fréquence à réserver pour l'introduction coordonnée de communications mobiles terrestres publiques cellulaires numériques paneuropéennes dans la Communauté (9), qui réserve les fréquences de 890-915 MHz et 935-960 MHz pour l'introduction d'un système commun de radiotéléphonie numérique GSM. Ces fréquences communes permettent la présence de plusieurs opérateurs concurrents. L'offre commerciale du service GSM dans la Communauté a débuté à la fin de 1992 : depuis lors, tous les États membres, à l'exception du Luxembourg, ont déjà accordé des licences à deux opérateurs. Le Luxembourg a annoncé son intention de faire de même. La Suède a accordé trois licences GSM.
La Conférence européenne des administrations des postes et des télécommunications (CEPT), qui réunit les autorités réglementaires nationales de trente-six pays (dont l'Espagne), a recommandé que la concurrence entre opérateurs de services GSM soit encouragée activement et que les barrières réglementaires qui la restreignent soient abolies (10).
(6) L'Allemagne, la Grèce, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont autorisé ou décidé d'autoriser un troisième opérateur à exploiter des services de radiotéléphonie numérique cellulaire sur une gamme de fréquences plus élevée, sur la base des spécifications DCS 1800. Selon l'article 2 de la directive 96-2-CE de la Commission, du 16 janvier 1996, modifiant la directive 90-388-CEE en ce qui concerne les communications mobiles et personnelles (11), les États membres doivent accorder des licences pour les systèmes opérationnels mobiles en conformité avec la norme DCS 1800 pour le 1er janvier 1998 au plus tard. Par ailleurs, les États membres ne peuvent restreindre la combinaison de technologies ou de systèmes mobiles et doivent en toutes circonstances tenir compte de l'obligation d'assurer une concurrence effective entre les opérateurs concurrents sur les marchés en cause.
Antécédents
(7) À la suite de la modification de la LOT par la loi n° 32-1992 du 3 décembre 1992, le marché de la fourniture du service GSM a été libéralisé à partir du 31 décembre 1993. La fourniture du service GSM n'est plus considérée comme un service "final" pour lequel des droits spéciaux et exclusifs peuvent être octroyés. Le service GSM est maintenant considéré comme un service "à valeur ajoutée" devant être fourni en concurrence.
À la suite de cette modification de la LOT, le gouvernement espagnol a adopté le décret royal n° 1486-1994 du 1er juillet 1994 (12) (le décret royal) portant adoption d'un règlement technique pour la fourniture de services de télécommunications automatiques mobiles "à valeur ajoutée". L'article 2 de ce règlement technique (annexé au décret royal) dispose que les services GSM seront fournis en concurrence. L'article 4 du règlement technique précise que les services GSM seront fournis par Telefónica de España et un concurrent autorisé. La première disposition transitoire du règlement technique indique la procédure à suivre par Telefónica de España pour obtenir une licence sans passer par une procédure d'appel d'offres.
Le décret royal ne prévoit pas explicitement un versement initial pour la licence GSM. Cependant, l'article 4 paragraphe 4 point a) du règlement technique précise que l'un des facteurs à prendre en compte pour l'attribution de la licence à un second opérateur est la "maximisation des contributions financières".
(8) Par décision ministérielle du 26 septembre 1994 (13), le gouvernement espagnol a approuvé le cahier des charges et ouvert la procédure d'adjudication de la seconde licence d'opérateur pour le service GSM. La concession du second opérateur a une durée de quinze ans avec une possibilité de prolongation de cinq années. Les autres conditions de l'adjudication sont énumérées dans le cahier des charges.
Les articles 9 et 16 du cahier des charges prévoient un versement initial minimal de 50,095 milliards de pesetas espagnoles à l'État espagnol. Ils contiennent en outre quelques indications concernant la pondération qui sera accordée aux différents critères d'adjudication. En vertu du dernier paragraphe de l'article 16, toute offre inférieure à 50 milliards devait être automatiquement écartée.
Le ministre des travaux publics, des transports et de l'environnement a accordé la seconde autorisation GSM, par décision ministérielle du 29 décembre 1994 (14), à Aírtel Móvil (Aírtel Móvil), dénommée à l'époque "Alianza Internacional de Redes Telefónicas SA", bien que le versement initial de 85 milliards de pesetas espagnoles proposé par cette dernière n'ait pas été l'offre la plus élevée (qui était de 89 milliards).
Selon l'article 9 du cahier des charges, Aírtel Móvil devait effectuer le versement initial au moment de l'obtention officielle de la licence, c'est-à-dire à la signature du contrat de concession, le 3 février 1995. Le même jour, Telefónica de España a obtenu une licence GSM identique, sans avoir à effectuer de paiement de ce type.
(9) Par lettre du 6 février 1995, la Commission a émis des réserves quant à la procédure suivie pour la sélection d'un second opérateur, qui imposait des conditions moins favorables pour le second opérateur que pour Telefónica de España.
Par lettre du 20 avril 1995, le gouvernement espagnol a répondu à la Commission en exposant les circonstances de l'octroi de l'autorisation qui, selon lui, compensaient le versement initial effectué par Aírtel Móvil.
Le 1er juillet 1995, Telefónica de España a commencé l'exploitation commerciale de son service GSM.
Par lettre du 18 juillet 1995, la Commission a demandé au gouvernement espagnol des éclaircissements sur le droit accordé à Aírtel Móvil d'utiliser d'autres réseaux de télécommunications, sur son droit à l'interconnexion directe par des réseaux de lignes louées et sur la méthode qui serait utilisée pour réviser les tarifs d'interconnexion avec le réseau téléphonique fixe, afin de permettre à la Commission d'évaluer si ces éléments procureraient au second opérateur des bénéfices susceptibles de rééquilibrer le désavantage concurrentiel résultant de l'imposition du versement initial.
Le 3 octobre 1995, Aírtel Móvil a commencé l'exploitation.
Par lettre du 27 novembre 1995, le gouvernement espagnol a répondu à la Commission que le second opérateur pouvait implanter ses propres infrastructures ou utiliser les infrastructures de Retevisión et de Correos y Telégrafos plutôt que le réseau de Telefónica de España, qu'aucune demande d'interconnexion directe n'avait été reçue par le gouvernement espagnol et que la question de la réduction des tarifs d'interconnexion serait examinée en 1996.
Lors d'une réunion entre le gouvernement espagnol et la Commission le 16 janvier 1996, le gouvernement espagnol a affirmé qu'il était impossible de corriger le déséquilibre entre Telefónica de España et le second opérateur en imposant un versement initial similaire de 85 milliards de pesetas espagnoles à Telefónica de España. Il a proposé, pour résoudre ce problème, de réduire les tarifs d'interconnexion sur les quinze ans de la période de concession. Cette réduction s'appliquerait tant à Telefónica de España qu'au second opérateur. Il a déclaré que cette solution pourrait être appliquée en septembre 1996, avec une réduction de 25 % par rapport aux tarifs actuels.
La Commission a continué à estimer que cette proposition ne modifierait en rien le déséquilibre entre les deux opérateurs.
Par lettre du 23 avril 1996, la Commission a officiellement mis le gouvernement espagnol en demeure :
i) soit de rembourser le versement initial au second opérateur ou d'adopter d'autres mesures correctives ;
ii) soit de faire parvenir ses observations sur les arguments de la Commission.
Par lettre du 30 mai 1996, la Commission a demandé à Telefónica de España ses observations sur la lettre de mise en demeure du 23 avril 1996 adressée au gouvernement espagnol. Une copie de ladite lettre de mise en demeure était jointe en annexe.
Lors d'une réunion entre le gouvernement espagnol et la Commission le 28 avril 1996, le gouvernement espagnol a proposé de corriger le déséquilibre entre Telefónica de España et le second opérateur par le transfert, par Telefónica de España, des coûts d'exploitation du projet "TRAC" ("Technologia Rural de Acceso Celular" - technologie cellulaire d'accès en zones rurales) à sa filiale de téléphonie mobile, Telefónica Servicios Móviles. Dans le cadre de ce service, Telefónica de España applique à ses clients en régions peu peuplées et d'accès difficile des tarifs correspondant à la téléphonie fixe pour des connexions au réseau téléphonique fixe au moyen de la technologie et d'infrastructures mobiles analogiques. La Commission a examiné cette proposition et, par lettres du 29 avril et du 10 mai 1996, a demandé de plus amples informations afin de compléter son évaluation. N'ayant reçu de réponse à aucune de ses deux lettres, la Commission a envoyé une lettre de rappel le 3 juin 1996. Par lettre du 7 juin 1996, le gouvernement espagnol a fourni certaines des informations demandées. Cependant, la réponse ne contenait pas assez de données sur le coût effectif du système TRAC pour Telefónica Servicios Móviles. La Commission ne pouvait par conséquent pas évaluer dans quelle mesure cette proposition était susceptible de restaurer l'équilibre entre les deux opérateurs GSM.
Lors d'une réunion entre le gouvernement espagnol et la Commission le 9 juillet 1996, la Commission a dès lors souligné que cette question n'avait pas été résolue et que le gouvernement espagnol devrait faire de nouvelles propositions. À ce jour, aucune réponse à la lettre de mise en demeure du 23 avril 1996 n'a été reçue par la Commission, Telefónica de España n'a pas présenté d'observations concernant ladite lettre de mise en demeure et le gouvernement espagnol n'a formulé aucune autre proposition.
APPRÉCIATION DE LA COMMISSION
Article 90 paragraphe 1
(10) L'article 90 paragraphe 1 du traité dispose que, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, les États membres n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité, et notamment aux règles en matière de concurrence.
Telefónica de España est une entreprise publique à laquelle ont été conférés des droits exclusifs pour l'exploitation du réseau fixe de télécommunications et pour l'offre de services de téléphonie vocale et de radiotéléphonie mobile analogique. Le contrat de concession attribue également à Telefónica de España le droit d'exploiter un réseau de radiotéléphonie mobile GSM, qui doit être considéré comme un droit spécial dans la mesure où cet opérateur a été désigné selon des critères qui ne sont pas objectifs et non discriminatoires.
L'imposition d'un paiement initial au second opérateur constitue une mesure relevant de l'article 90 paragraphe 1 du traité.
Article 86
Marché en cause
(11) Le marché en cause est celui des services de radiotéléphonie mobile numérique cellulaire. Il convient de distinguer ce marché de celui de la téléphonie vocale et de celui des autres services de télécommunications mobiles.
(12) La Commission a défini le marché de la téléphonie vocale dans sa directive 90-388-CEE. La directive opère une distinction entre "les services qui consistent, en tout ou en partie, en la transmission et l'acheminement de signaux sur le réseau public de télécommunications" et les services de radiotéléphonie mobile qui sont exclus du champ d'application de la directive.
(13) La téléphonie vocale au sens de cette directive est le principal service fourni sur le réseau public fixe, c'est-à-dire entre deux points de terminaison déterminés. Ces points de terminaison sont définis comme "l'ensemble des connexions physiques et des spécifications techniques d'accès". En ce qui concerne les communications mobiles, en revanche, le point de terminaison se situe à l'interface radio entre la station de base du réseau mobile et la station mobile, ce qui signifie qu'il n'existe pas de point de terminaison physique. La définition des services de téléphonie vocale figurant à l'article 1er de la directive n'est donc pas applicable aux services de téléphonie mobile.
(14) Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (15), pour pouvoir être considéré comme constituant l'objet d'un marché suffisamment distinct, un produit doit posséder des caractéristiques particulières le différenciant des autres produits au point qu'il soit peu interchangeable avec eux et ne subisse leur concurrence que d'une manière peu sensible.
Il est clair, dans la pratique, qu'il y a très peu d'interchangeabilité entre la radiotéléphonie mobile et la téléphonie utilisant le réseau fixe : les usagers qui souscrivent un abonnement pour un téléphone de voiture ou pour un téléphone portable ne résilient normalement pas l'abonnement qu'ils ont souscrit antérieurement pour un téléphone installé à leur domicile ou sur leur lieu de travail. La radiotéléphonie mobile constitue donc un nouveau service supplémentaire, mais non substituable au téléphone traditionnel. Cette distinction se reflète également dans une différence de prix sensible.
Certes, il est envisageable que, à terme, une plus grande diffusion de la radiotéléphonie mobile conduira à un système unique de télécommunications englobant différents marchés aujourd'hui distincts. Toutefois, les conditions d'application de l'article 86 doivent être appréciées sur la base de la demande actuelle et non de l'évolution qui pourrait se dessiner dans un avenir indéterminé.
(15) S'il convient, pour les raisons exposées ci-dessus, de considérer que la radiotéléphonie mobile n'appartient pas au marché de la téléphonie vocale offerte à partir du réseau fixe, il reste à déterminer si, et dans quelle mesure, il serait justifié de distinguer les services de radiotéléphonie mobile cellulaire fondée sur la norme GSM qui font l'objet de la présente décision (commercialisés en Espagne par Telefónica de España sous la marque "Movistar") des services de radiotéléphonie cellulaire analogique (commercialisés en Espagne par Telefónica de España sous la marque "Móviline").
La Commission constate, à cet égard, que le système de radiotéléphonie mobile cellulaire GSM ne constitue pas seulement un développement technique de la technologie analogique de conception plus ancienne.Outre les avantages apportés par le GSM en termes de qualité de reproduction de la voix et de meilleur usage du spectre disponible (permettant ainsi d'accroître sensiblement le nombre d'utilisateurs pour une attribution de fréquence déterminée), ce service offre des possibilités nouvelles qui répondent aux besoins d'une partie seulement des utilisateurs de la radiotéléphonie mobile :
i) fondé sur une norme communautaire, le GSM peut devenir un service paneuropéen si les accords de "roaming" nécessaires sont conclus par les opérateurs de réseaux. Ces accords permettent à tout utilisateur d'effectuer des appels à partir de son combiné aussi en dehors du territoire national de l'opérateur auprès duquel il a contracté un abonnement ; cette possibilité existe sur l'ensemble du territoire des parties au GSM Memorandum of Understanding en Europe et dans d'autres parties du monde. Certains usagers qui, pour des raisons professionnelles, n'utilisent les services de radiotéléphonie mobile qu'à l'intérieur du territoire national, voire dans un cadre régional, ne sont pas intéressés par cette nouvelle caractéristique. Pour d'autres, en revanche, cela peut être un motif de décision d'abonnement ;
ii) outre la transmission vocale, le service GSM permet d'assurer la transmission de données à haut débit, répondant là encore à des besoins spécifiques d'une partie seulement de la clientèle effective ou potentielle des services de radiotéléphonie mobile ;
iii) le codage numérique des messages permet d'assurer un niveau de confidentialité très supérieur à celui du système analogique, un avantage qui n'intéresse, là encore, qu'une partie des utilisateurs (notamment la clientèle d'affaires) ;
iv)la technologie numérique permet d'assurer toute une gamme de services de télécommunications avancés qui ne peuvent être offerts (sauf à un coût sensiblement supérieur) par un réseau analogique. Ceux-ci comprennent l'identification de l'auteur de l'appel, des services de boîte vocale (y compris des "short message services - SMS") et de gestion sécurisée des appels.
Dans ces conditions, une substitution pure et simple de la radiotéléphonie analogique par le système GSM n'est pas envisagée à bref délai. Il est vraisemblable, au contraire, que même si l'on assiste à un glissement de la clientèle d'un système vers l'autre, les deux systèmes coexisteront encore pendant de nombreuses années (16), en répondant à des besoins sensiblement différents. On a constaté que, même dans les pays où le GSM est pleinement opérationnel, certains opérateurs continuent d'investir dans le réseau analogique. Ces facteurs permettent de délimiter les marchés GSM et analogiques.
(16) Sur la base des considérations susmentionnées et des circonstances actuelles, et en tenant compte des possibilités d'évolution du marché, il y a donc lieu de considérer que les services de radiotéléphonie GSM constituent vraisemblablement un marché distinct de celui de la téléphonie mobile analogique.
En tout état de cause, les conclusions de l'appréciation juridique ne seraient pas différentes, même si la téléphonie mobile analogique et le GSM ne constituaient pas deux segments du même marché. Comme on le verra plus bas (considérant 21), cela impliquerait seulement une formulation légèrement différente de la première hypothèse d'abus.
(17) Conformément à la jurisprudence de la Cour, ce marché, à l'heure actuelle étendu à l'ensemble de l'Espagne, représente une part substantielle du Marché commun.
Position dominante
(18)Selon la jurisprudence de la Cour, une entreprise qui détient un monopole légal pour la prestation de certains services peut détenir une position dominante au sens de l'article 86(17). Tel est le cas de Telefónica de España et de sa filiale à 100 %, Telefónica Servicios Móviles, qui, récemment encore, étaient les seules entreprises en Espagne a pouvoir légalement offrir au public des réseaux de télécommunications, la téléphonie vocale et la radiotéléphonie analogique. Il s'agit donc de trois marchés sur lesquels elles jouissent d'une position dominante. Comme mentionné plus haut, la récente autorisation accordée à la Retevisión d'entamer une exploitation commerciale sur le marché de la téléphonie vocale et les infrastructures correspondantes n'aura, durant un certain temps, aucun impact sensible sur la part de marché détenue par Telefónica de España.
Abus de position dominante
(19) La Cour de justice a déclaré qu'"un système de concurrence non faussée, tel que celui prévu par le traité, ne peut être garanti que si l'égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée" (18).
Une telle égalité des chances est particulièrement importante pour les nouveaux entrants sur un marché dans lequel un opérateur dominant sur un marché proche, mais distinct, est en train de s'établir, comme c'est le cas pour Telefónica de España et sa filiale Telefónica Servicios Móviles.
(20) Telefónica de España bénéficie déjà des atouts majeurs suivants pour acquérir une part dominante du marché de la radiotéléphonie GSM :
i) un avantage initial : elle a commencé à établir son réseau avant la désignation du second opérateur et peut ainsi offrir une meilleure couverture géographique; elle a commencé à exploiter son service le 1er juillet 1995, alors que le second opérateur n'a démarré ses activités que le 3 octobre 1995 ;
ii) une clientèle potentielle: le service de radiotéléphonie analogique de Telefónica de España, Móviline, comptait 1 235 690 abonnés en octobre 1996 et enregistre de 10 000 à 20 000 nouveaux abonnements chaque mois ; les abonnés actuels de Móviline peuvent être considérés comme des clients potentiels pour Movistar, le service GSM;
iii) un réseau de distribution existant: le réseau est connu du public dans la mesure où Telefónica de España peut commercialiser son service GSM par l'intermédiaire de ses distributeurs Móviline ;
iv) des informations spécifiques : grâce à son expérience avec Móviline, Telefónica de España possède des informations spécifiques sur les habitudes d'appels des abonnés espagnols, tant par catégories de clients que par régions. En outre, bénéficiant également d'une position dominante dans la fourniture de lignes louées pour les réseaux des opérateurs GSM, elle continuera à obtenir des informations importantes sur les flux de trafic. De fait, il n'existe actuellement pas d'autre alternative réaliste en matière d'infrastructures pour le second opérateur que le réseau de Telefónica de España ;
v) des économies d'échelle en matière d'infrastructures: Telefónica de España était, jusqu'en juin 1996, le seul détenteur d'une licence de services de téléphonie vocale fixe et est actuellement le seul opérateur actif sur ce marché. Telefónica de España était aussi, jusqu'au 3 octobre 1995, le seul opérateur de téléphonie mobile. Par conséquent, Telefónica de España dispose de sites et d'antennes pour l'établissement de son réseau GSM qui ne sont pas accessibles à ses concurrents. De plus, certaines communautés autonomes subventionnent le développement du réseau de radiotéléphonie analogique dans les zones où le réseau fixe est insuffisamment développé (par le biais du projet TRAC).
À l'inverse, le second opérateur doit opérer, comme on l'a vu, dans des conditions plus onéreuses que Telefónica de España à cause du versement initial mentionné plus haut.
Si Telefónica de España étendait sa position dominante sur le marché de la téléphonie filaire ou de la téléphonie mobile analogique au marché de la radiotéléphonie GSM en accroissant les coûts de son rival, par exemple en imposant des charges d'interconnexion qui ne seraient pas justifiées par les coûts, elle enfreindrait l'article 86 du traité. La même analyse serait applicable si tous les services de radiotéléphonie mobile faisaient partie d'un seul marché et si Telefónica de España renforçait sa position dominante sur ce marché de la même façon.
(21) En vertu de l'article 90 paragraphe 1 du traité, l'Espagne doit s'abstenir d'adopter des mesures qui, en augmentant les coûts d'entrée du seul concurrent d'une entreprise publique sur un marché nouvellement ouvert à la concurrence, fausseraient cette concurrence de manière sensible. En raison de la charge financière supplémentaire imposée à son seul concurrent, Telefónica de España a le choix entre deux stratégies commerciales dont chacune constituerait une violation de l'article 90 paragraphe 1 en relation avec l'article 86 du traité. Ces stratégies commerciales sont : i) soit l'extension et le renforcement de la position dominante de l'entreprise publique ; ii) soit la limitation de la production, des débouchés ou des développements techniques au sens de l'article 86 point b).
i) Extension (19) ou renforcement de la position dominante de l'entreprise publique
Le versement initial de 85 milliards de pesetas espagnoles effectué par le second opérateur sur ce marché devra nécessairement être amorti par des recettes. Le second opérateur aura dès lors des difficultés pour concurrencer le premier opérateur par des rabais tarifaires. Le premier opérateur, Telefónica de España, qui n'a pas dû effectuer le même versement et qui connaît par ailleurs la structure des coûts du second opérateur du fait de sa position dominante actuelle sur le marché des infrastructures, pourrait être encouragé, en réduisant ses tarifs, à étendre sa position dominante actuelle sur le marché des infrastructures et sur celui de la téléphonie mobile analogique au marché de la radiotéléphonie GSM. S'il n'existe qu'un seul marché pour les services de radiotéléphonie, il ne s'agirait pas d'une extension mais d'un renforcement de la position dominante de Telefónica de España sur ce marché.
De plus, Telefónica de España pourrait utiliser l'économie de 85 milliards de pesetas espagnoles pour étendre son réseau de distribution, pour pratiquer une politique tarifaire agressive sur le marché GSM où elle fait face à la concurrence du second opérateur, pour faire des offres spéciales aux abonnés potentiels et-ou pour mener, par exemple, des campagnes de publicité intensives. Le choix d'une telle stratégie, induit par la mesure décidée par les pouvoirs publics, pourrait mettre en danger la viabilité économique du second opérateur.
Telefónica de España se trouve dès lors en mesure d'étendre ou de renforcer sa position dominante grâce à l'avantage concurrentiel dont elle bénéficie du fait de la distorsion de la structure des coûts résultant du versement initial. Ceci rend la mesure étatique contraire à l'article 90 en liaison avec l'article 86 du traité.
ii) Limitation de la production, des débouchés ou du développement technique au sens de l'article 86 point b)
La nécessité de financer les 85 milliards de pesetas espagnoles retardera les investissements du nouvel entrant qui devra consacrer une partie de son capital de départ au versement initial et ne pourra l'investir de façon appropriée dans l'extension de son réseau ou dans des réductions tarifaires. Le second opérateur a dû, en effet, augmenter son capital de 40 milliards en février 1996 afin de pouvoir réaliser les investissements programmés.
Cela pourrait encourager Telefónica de España à retarder également le développement de son réseau de radiotéléphonie mobile GSM et à concentrer ses efforts sur le système analogique Móviline. Ce dernier est en effet plus attrayant dans la mesure où le réseau est déjà largement amorti et du fait qu'il possède une meilleure couverture.
L'investissement initial pour l'établissement d'un réseau GSM en Espagne s'élève à plus ou moins 250 milliards de pesetas espagnoles. Le versement initial, en s'ajoutant à cet investissement initial, augmente par conséquent les besoins de financement du second opérateur de plus d'un tiers. Le fait que les candidats à la seconde licence GSM étaient au courant de la distorsion future de concurrence sur le marché GSM en Espagne au profit de Telefónica de España ne diminue en rien ce déséquilibre. Les entreprises souhaitant entrer sur le marché n'avaient pas d'autre choix que d'accepter ce handicap et l'intégrer dans leur plan d'entreprise.
Dans cette seconde hypothèse, Telefónica de España qui, du fait de sa position dominante sur le marché des infrastructures, est, comme mentionné, au courant de la structure des coûts du second opérateur, pourrait être encouragée à maintenir des tarifs plus élevés pour ses services GSM que ce n'aurait été le cas en l'absence des mesures en question. Ce faisant, elle pourrait limiter la production, les débouchés ou le développement technique au sens de l'article 86 point b) en ce qui concerne le GSM, qui implique une technologie plus avancée, au bénéfice du service analogique plus ancien. Cela retarderait l'évolution vers les communications personnelles, combinant réseaux mobiles et réseaux fixes, qui ne serait possible que si les tarifs des communications mobiles baissaient de façon sensible.
Le fait que Telefónica de España puisse se comporter de la sorte est une conséquence du fait que, d'une part, elle bénéficie d'une position favorable grâce à son monopole sur le système Móviline pour lequel il lui est accordé suffisamment de fréquences pour maintenir son service, et que, d'autre part, le gouvernement espagnol pénalise financièrement la seule entreprise autorisée à établir un système GSM concurrent. Le ralentissement de la diffusion du GSM et la limitation du progrès technique au préjudice des consommateurs qui en résulte serait ainsi causé par la mesure étatique en question, à savoir l'imposition d'un versement initial de 85 milliards de pesetas espagnoles uniquement au second opérateur.
La Commission a appliqué une analyse similaire en ce qui concerne une obligation de versement initial en Italie. Après avoir demandé, sans succès, l'adoption de mesures visant à éliminer les distorsions de concurrence, la Commission a adopté la décision 95-489-CE (20) à l'égard de l'Italie, sur la base de l'article 90 paragraphe 3 du traité. Depuis lors, la Commission a été informée que de telles mesures avaient été prises ou étaient sur le point de l'être.
Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice (21), l'article 90 paragraphe 1 s'oppose à ce que les États membres adoptent des mesures susceptibles d'amener l'entreprise à violer les dispositions auxquelles il renvoie, en particulier, dans le cas d'espèce, celles de l'article 86.
En conclusion, dans l'une ou l'autre hypothèse, la mesure étatique concernée est contraire à l'article 90 paragraphe 1 en liaison avec l'article 86.
(22) La responsabilité d'un État membre en vertu de l'article 90 paragraphe 1 et de l'article 86 n'est engagée que si le comportement de l'entreprise concernée est susceptible d'affecter le commerce entre État membres. En l'espèce, il y a affectation du commerce entre États membres pour les raisons suivantes :
Toute extension ou tout renforcement de la position dominante de Telefónica de España, ainsi que toute limitation de la production, des débouchés ou du développement technique concernant le GSM, est de nature à retarder le processus de réduction progressive des tarifs de la téléphonie GSM. En fait, en l'absence du versement initial de 85 milliards de pesetas espagnoles imposé au second opérateur, la concurrence en matière de prix aurait été plus forte depuis l'introduction des services GSM en Espagne et les tarifs GSM auraient baissé plus rapidement.
- Si les tarifs GSM ne baissent pas aussi rapidement qu'ils l'auraient fait en l'absence de la mesure étatique en question, les résidents d'autres États membres seront beaucoup moins disposés à souscrire un abonnement auprès des opérateurs espagnols qu'auprès des autres opérateurs nationaux ou étrangers. À titre d'illustration, une entreprise ou un particulier établis en France ne seront pas incités à acheter une carte "SIM" espagnole et à effectuer des appels en utilisant la carte par le biais des accords de roaming entre opérateurs, parce que les tarifs espagnols ne sont pas aussi bas qu'ils l'auraient été si le second opérateur avait pu utiliser le versement initial de 85 milliards de pesetas espagnoles pour réduire ses tarifs.
- Tout retard dans le processus de réduction progressive des tarifs GSM retarderait à son tour le développement des services de téléphonie mobile, et en particulier, l'amélioration des conditions et tarifs d'abonnement et l'offre des services avancés déjà mentionnés. Cela découragerait de nouveaux investissements sur les marchés espagnols des services de télécommunications par des entreprises établies dans d'autres États membres dans lesquels existe une concurrence effective et où de nouveaux services ont vu le jour.
- Tout retard dans le processus de diminution progressive des tarifs pourrait réduire, de manière générale, le niveau du trafic téléphonique international en provenance d'Espagne. Les entreprises et les particuliers ayant de grands besoins en matière de télécommunications mobiles seraient tentés de s'abonner auprès d'opérateurs étrangers ou d'utiliser des systèmes call back afin de tirer parti de tarifs plus bas dans d'autres États membres.
- Toute limitation de la production, des débouchés ou du développement technique au sens de l'article 86 point b) pourrait réduire le niveau des importations, en provenance d'autres États membres, des biens d'équipement techniques nécessaires pour investir dans le marché de la téléphonie mobile et pour développer des infrastructures efficaces.
Réponse des autorités espagnoles
(23) Les autorités espagnoles ont fait part des observations suivantes à la Commission.
- Selon les termes de la concession accordée par le gouvernement espagnol à Telefónica de España en 1991, cet opérateur peut obtenir une concession GSM sans aucun versement. Le gouvernement espagnol ne peut donc imposer un versement initial de 85 milliards de pesetas espagnoles à Telefónica de España. Par ailleurs, le gouvernement espagnol a indiqué, tout en rejetant le principe d'une compensation, que le versement initial prévu était de 50,095 milliards et non de 85 milliards. Il a indiqué que Aírtel Móvil avait augmenté de sa propre initiative le montant de base demandé de 50,095 milliards à 85 milliards. Le versement initial minimal imposé par la loi était de 50,095 milliards, et ce serait ce montant qu'il faudrait prendre en compte.
- Le gouvernement espagnol a considéré qu'une solution possible serait une réduction des tarifs d'interconnexion sur les quinze années de la durée de la licence.
- Enfin, le gouvernement espagnol a également proposé de transférer le coût du projet TRAC à Telefónica Servicios Móviles.
Appréciation de la Commission
(24) Bien que le second opérateur ait de lui-même proposé le montant de 85 milliards de pesetas espagnoles, la Commission ne partage pas l'opinion selon laquelle le versement initial était volontaire, puisque celui-ci faisait partie des critères de sélection (22) lors de la procédure d'appel d'offres pour le second opérateur. Chaque candidat devait offrir le versement initial le plus élevé possible, compte tenu de son plan d'entreprise, pour avoir une chance d'obtenir la concession. Seules quelques indications ont été fournies quant au poids relatif à attacher aux différents critères de sélection. L'indication la plus claire concernait le versement initial minimal. Le montant du versement initial était donc l'un des critères de sélection lors de la procédure d'adjudication et il était payable à la date de signature de la concession. Il s'agit donc bien d'une mesure étatique.
La procédure de sélection du second opérateur n'était en réalité pas une procédure d'appel d'offres à proprement parler. En effet, la procédure de sélection en Espagne était une combinaison hybride des caractéristiques de la soumission comparative et de l'appel d'offres. L'un des éléments de l'évaluation était le versement initial que le candidat proposait de payer pour l'obtention de la seconde concession, mais il était difficile de savoir quels étaient les critères fondamentaux. Le fait que la concession ait été accordée en l'absence d'indications claires implique que chacun des critères aurait pu être important.
(25) En ce qui concerne la réduction des tarifs d'interconnexion, proposée par le gouvernement espagnol, la Commission ne voit pas comment cette mesure pourrait restaurer l'équilibre, puisque le gouvernement espagnol refuse de prendre en considération une réduction de tarif asymétrique en faveur du seul second opérateur.
(26) Enfin, la solution proposée par le gouvernement espagnol selon laquelle les investissements dans le projet TRAC compenseraient le versement initial du second opérateur ne peut pas non plus être acceptée dans les circonstances actuelles.
Mis à part le fait que les informations fournies par les autorités espagnoles ne permettent pas une évaluation correcte de l'impact réel de tels investissements et qu'il ne peut être assuré que cette solution ne se réduit pas à un simple jeu d'écritures comptables, la solution proposée ne peut être acceptée pour le moment parce que la prestation d'un service universel par Telefónica de España, y compris dans des zones éloignées, est compensée, dans les circonstances actuelles, par les droits exclusifs ou spéciaux accordés à Telefónica de España. Par ailleurs, Telefónica de España a bénéficié de subventions publiques, y compris d'aides du Fonds européen de développement régional (Feder), pour mettre en place le système TRAC.
(27) La Commission considère, dans le cas d'espèce, que l'obligation imposée au seul second opérateur espagnol de payer un versement initial de 85 milliards de pesetas espagnoles est incompatible avec l'article 90 paragraphe 1 en liaison avec l'article 86.
(28) Le but de la présente procédure est d'inciter le gouvernement espagnol à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette distorsion de la concurrence. La mesure la plus logique serait le remboursement de la somme payée par Aírtel Móvil.
Si le gouvernement espagnol le demande, la Commission serait disposée à examiner s'il pourrait être mis fin à l'infraction par d'autres mesures, à condition que celles-ci puissent effectivement corriger le désavantage subi par le second opérateur.
Il incombe donc au gouvernement espagnol de faire des propositions à cet égard. Le gouvernement espagnol devrait en tout état de cause chiffrer ces propositions, en démontrant qu'elles contrebalancent effectivement les 85 milliards de pesetas espagnoles payés par le second opérateur.
Imposer à Telefónica Servicios Móviles un versement identique ne serait toutefois pas une mesure compensatoire suffisante dans les circonstances actuelles, en particulier dès lors qu'il n'existe pas de système de comptabilité séparée permettant de s'assurer que le coût correspondant est effectivement supporté par Movistar.
(29) Certaines mesures compensatoires ont déjà été mentionnées dans le cadre de discussions bilatérales avec le gouvernement espagnol :
i) l'octroi a Aírtel Móvil d'un accès à la banque de données de clientèle TACS 900 de Telefónica de España, tout en maintenant la confidentialité des données personnelles ;
ii) la révision des conditions tarifaires sur une base asymétrique pour l'interconnexion au réseau téléphonique commuté de Telefónica de España ;
iii) un accès non discriminatoire, tant pour le service GSM de Telefónica Servicios Móviles que pour Aírtel Móvil, au même nombre de fréquences GSM, y compris l'accélération de la libération des fréquences GSM utilisées actuellement par Telefónica de España pour son service analogique ;
iv) l'extension de la durée de la licence de Aírtel Móvil, aux mêmes conditions que celles accordées pour la télévision par câble.
La résiliation du contrat de concession déjà accordée à Aírtel Móvil ne peut en aucun cas être considérée comme une façon appropriée de mettre fin à l'infraction, car elle aboutirait à l'élimination du seul concurrent existant de Telefónica Servicios Móviles sur le marché GSM et parce que le monopole dont jouirait Telefónica de España tant pour la téléphonie analogique que pour les services GSM durant la période nécessaire à une nouvelle procédure d'appel d'offres rendrait la concurrence encore plus difficile, du fait de l'avantage temporel supplémentaire ainsi octroyé.
Article 90 paragraphe 2
(30) L'article 90 paragraphe 2 du traité prévoit que les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont soumises aux règles de concurrence dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le gouvernement espagnol n'a pas invoqué cette disposition pour justifier le versement initial imposé au second opérateur.
La Commission considère qu'une dérogation au titre de l'article 90 paragraphe 2 du traité ne se justifie pas en l'espèce, aucun élément ne permettant de conclure que le versement initial est nécessaire pour l'accomplissement en droit ou en fait d'une mission d'intérêt économique général.
CONCLUSION
(31) Compte tenu de ce qui précède, la Commission considère que le désavantage concurrentiel résultant du versement initial imposé au seul second opérateur pour l'octroi d'une concession relative à l'exploitation d'un réseau GSM en Espagne constitue une infraction à l'article 90 paragraphe 1 en liaison avec l'article 86,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :
Article premier
L'Espagne adopte les mesures nécessaires afin d'éliminer la distorsion de concurrence résultant du versement initial imposé à l'entreprise Aírtel Móvil SA et d'assurer la parité de conditions entre les opérateurs de radiotéléphonie GSM sur le marché espagnol au plus tard le 24 avril 1997 :
i) soit en remboursant le versement initial imposé à Aírtel Móvil SA ;
ii) soit en adoptant, après accord de la Commission, des mesures compensatoires équivalentes, en termes économiques, à l'obligation imposée au second opérateur GSM.
Les mesures adoptées ne doivent pas porter atteinte à la concurrence instaurée par l'autorisation du second opérateur GSM, le 29 décembre 1994.
Article 2
L'Espagne communique à la Commission, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, les mesures qu'elle aura prises pour s'y conformer.
Article 3
Le royaume d'Espagne est destinataire de la présente décision.
(1) Boletin Oficial del Estado (BOE) n° 231 du 27. 9. 1994, p. 29778.
(2) JO n° L 195 du 29. 7. 1980, p. 35.
(3) BOE n° 139 du 8. 6. 1996, p. 18975.
(4) BOE n° 20 du 23. 1. 1992, p. 2132.
(5) BOE n° 303 du 19. 12. 1987, modifié entre autres par la loi n° 32-1992 du 3 décembre 1992.
(6) JO n° L 192 du 24. 7. 1990, p. 10.
(7) JO n° L 196 du 17. 7. 1987, p. 81.
(8) "Scenario mobile communications up to 2010 - Study on forecast developments and future trends in technical development and commercial provision up to the year 2010", EUTELIS Consult, octobre 1993.
(9) JO n° L 196 du 17. 7. 1987, p. 85.
(10) "Review of the requirements for the future harmonization of regulatory policy regarding mobile communication services", CEPT/ECTRA (92) 57, p. 17.
(11) JO n° L 20 du 26. 1. 1996, p. 59.
(12) BOE n° 168 du 15. 7. 1994, p. 22672.
(13) BOE n° 231 du 27. 9. 1994, p. 29779.
(14) BOE n° 4 du 5. 1. 1995, p. 464.
(15) Arrêt du 14 février 1978, dans l'affaire 27-76 : United Brands contre Commission, Rec. 1978, p. 207.
(16) Décision ministérielle du 13 mars 1995, BOE n° 101 du 28. 4. 1995, p. 12573.
(17) Arrêt du 3 octobre 1985, dans l'affaire C-311-84 : Centre belge d'études de marché - Telemarketing (CBEM) SA contre Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion SA et Information publicité Benelux SA, Rec. 1985, p. 3261.
(18) Arrêt du 19 mars 1991, dans l'affaire C-202-88 : France contre Commission, Rec. 1991, p. I-1223, point 51 des motifs.
(19) Voir notamment l'arrêt de la Cour de justice du 17 novembre 1992, dans les affaires jointes C-271-90, C-281-90 et C-289-90 : royaume d'Espagne, royaume de Belgique et République italienne contre Commission, Rec. 1992, p. I-5833, point 36 des motifs.
(20) JO n° L 280 du 23. 11. 1995, p. 49.
(21) Voir, par exemple, l'arrêt du 23 avril 1991 dans l'affaire C-41-90 : Höfner contre Macrotron, Rec. 1991, p. I-1979, ainsi que les arrêts du 18 juin 1991 dans l'affaire C-260-89 : ERT contre DEP, Rec. 1991, p. I-2925, et du 5 octobre 1994 dans l'affaire C-323-93 : Société civile agricole d'insémination de la Crespelle contre Coopérative d'élevage et d'insémination artificielle du département de la Mayenne, Rec. 1994, p. I-5077.
(22) Arrêt du 26 avril 1994, dans l'affaire C-272-91 : Commission contre Italie, Rec. 1994, p. I-1409, point 11 des motifs.