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Décisions

TPICE, 2e ch. élargie, 12 décembre 1996, n° T-87/92

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kruidvat (BVBA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Parfums Givenchy (SA), Comité de liaison des syndicats européens de l'industrie de la parfumerie et des cosmétiques, Fédération européenne des parfumeurs détaillants

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kirschner

Juges :

MM. Vesterdorf, Bellamy, Kalogeropoulos, Potocki

Avocats :

Willem Brouwer, van Gerven, Hugenholtz, Louis, Wytinck, Bizet, May, Kon, Herbert, Verniau.

TPICE n° T-87/92

12 décembre 1996

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

Faits à l'origine du litige

1 La partie requérante, BVBA Kruidvat, (ci-après "Kruidvat") est la filiale belge d'une chaîne néerlandaise d'environ 300 magasins, dont l'activité repose sur le concept dénommé "health & beauty" et qui opèrent sous l'enseigne "Kruidvat". Ces magasins comportent un rayon consacré aux produits cosmétiques, un rayon d'alimentation diététique et naturelle et un rayon de parfumerie offrant différentes marques concurrentes de parfums de luxe, incluant ceux de la marque Givenchy, obtenues sur le marché parallèle. Aux Pays-Bas, la chaîne Kruidvat est considérée par le consommateur comme le "numéro un absolu" en matière de vente de parfums de luxe (voir les annexes 18 et 20 à la réplique).

2 Parfums Givenchy SA (ci-après "Givenchy") est un producteur de produits cosmétiques de luxe et fait partie du groupe Louis Vuitton Moët-Hennessy qui, avec les sociétés Parfums Christian Dior et Parfums Christian Lacroix, opèrent sur le même marché que Givenchy. Par l'intermédiaire de ces trois sociétés, le groupe Louis Vuitton Moët-Hennessy détient plus de 10 % du marché communautaire des produits parfumants de luxe.

3 Le 19 mars 1990, Givenchy a notifié à la Commission un réseau de contrats de distribution sélective pour la commercialisation de ses produits de parfumerie alcoolisés, de soin et de beauté dans les États membres, en demandant, à titre principal, une attestation négative au titre de l'article 2 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p 204, ci-après "règlement n° 17"), et, à titre subsidiaire, une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

4 Il ressort du "contrat de distributeur agréé CEE ligne parfumée" (ci-après "Contrat") et des conditions générales de vente y annexées, dans leur version notifiée, que le réseau de distribution Givenchy est un réseau fermé, comportant une interdiction pour ses membres de vendre ou de se procurer des produits de la marque Givenchy en dehors du réseau. Pour sa part, Givenchy s'engage à assurer le respect de la distribution dans le cadre des lois et réglementations en vigueur et à retirer sa marque des points de vente qui ne rempliraient pas les conditions contractuelles de sélection.

5 Les critères de sélection des détaillants agréés prévus par le Contrat se réfèrent essentiellement à la qualification professionnelle du personnel et aux stages qu'il est tenu d'effectuer, à la localisation et à l'installation du point de vente, à l'enseigne du détaillant ainsi qu'à certaines autres conditions à remplir par celui-ci, concernant notamment le stockage des produits, la réalisation d'un chiffre minimal d'achats annuels, la présence dans le point de vente d'un assortiment de marques concurrentes suffisant à illustrer l'image des produits Givenchy et la coopération publicitaire et promotionnelle entre le détaillant et Givenchy.

6 Le 8 octobre 1991, la Commission a publié, conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, une communication indiquant son intention d'adopter une attitude favorable à l'égard du Contrat et invitant les tiers intéressés à lui faire parvenir leurs observations éventuelles dans un délai de trente jours (JO C 262, p. 2).

7 A la suite de cette publication, la Commission a reçu un certain nombre d'observations, dont celles du Raad voor het Filiaal-en Grootwinkelbedrijf (conseil du secteur des magasins à succursales et des grandes surfaces, ci-après "Raad FGB"), déposées le 29 novembre 1991. A cette époque, Kruidvat BV, une des sociétés mères de Kruidvat, était membre du Raad FGB.

8 Le Contrat, dans la version visée par la décision 92-428-CEE de la Commission, du 24 juillet 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-33.542-Système de distribution sélective de Parfums Givenchy) (JO L 236, p 11, ci-après "Décision"), est entré en vigueur à compter du 1er janvier 1992 (voir point IC, deuxième alinéa, de la Décision).

9 Le 3 juillet 1992, Copardis SA (ci-après "Copardis"), représentant exclusif de Givenchy en Belgique, a cité Kruidvat à comparaître à l'audience des référés du 8 juillet 1992 devant le président du Rechtbank van koophandel te Dendermonde afin de s'entendre ordonner la cessation de toutes les ventes de produits de la marque Givenchy sur le territoire belge, au motif, principalement, qu'un revendeur qui ne fait pas partie du réseau de distribution sélective Givenchy, mais qui vend néanmoins ses produits, se rend coupable d'un acte de concurrence déloyale au sens de la législation belge sur les pratiques du commerce. A titre de moyen de défense dans cette procédure, Kruidvat a fait valoir que le réseau de distribution sélective Givenchy est illicite en raison de sa contrariété à l'article 85, paragraphes 1 et 2, du traité.

10 La Commission a adopté la Décision le 24 juillet 1992. L'article 1er du dispositif se lit comme suit:

"Article premier

Les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE sont déclarées inapplicables, conformément à l'article 85, paragraphe 3, au contrat type de distributeur agréé liant Givenchy, ou le cas échéant les agents exclusifs de Givenchy, à ses détaillants spécialisés établis dans la Communauté, ainsi qu'aux conditions générales de vente y annexées.

La présente décision est applicable du 1er janvier 1992 jusqu'au 31 mai 1997"

11 Il ressort du dossier que le président du Rechtbank van koophandel te Dendermonde a rejeté la demande de Copardis le 24 février 1993 et que Copardis a interjeté appel de cette décision devant la Hof van Beroep te Gent le 28 avril 1993.

Procédure et conclusions des parties

12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 octobre 1992, la partie requérante a introduit le présent recours.

13 Par acte séparé, déposé le 3 mars 1993, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité. Par acte déposé le 14 avril 1993, la requérante a communiqué ses observations tendant au rejet de ladite exception.

14 Par requêtes déposées respectivement le 11 mars 1993, le 18 mars 1993 et, dans les deux derniers cas, le 22 mars 1993, Givenchy, le Comité de liaison des syndicats européens de l'industrie de la parfumerie et des cosmétiques (ci-après "Colipa"), la Fédération européenne des parfumeurs détaillants (ci-après "FEPD") et Yves Saint Laurent Parfums SA (ci-après "Yves Saint Laurent") ont demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse.

15 Par documents déposés les 7, 15 et 19 avril 1993, la partie requérante a demandé au Tribunal de rejeter les interventions de la FEPD, du Colipa et d'Yves Saint Laurent, respectivement. Par document déposé le 2 avril 1993, la partie défenderesse a émis des doutes quant à l'intérêt d'Yves Saint Laurent à intervenir.

16 Par ordonnance du 8 novembre 1993, l'exception d'irrecevabilité a été jointe au fond.

17 Par ordonnances du 8 décembre 1993, la FEPD, le Colipa et Givenchy ont été admis à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse (voir ordonnances Kruidvat/Commission, T-87-92, respectivement, Rec. p. II-1363, II-1369 et II-1383). Par ordonnance du même jour, la demande en intervention d'Yves Saint Laurent a été rejetée (voir Rec. p. II-1375).

18 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale et a invité la partie défenderesse, Givenchy et la FEPD, à titre de mesures d'organisation de la procédure, à répondre par écrit à certaines questions et à produire certains documents avant l'audience. Les parties ont déposé leurs réponses entre le 12 et le 24 janvier 1996.

19 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée les 28 et 29 février 1996.

20 La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours recevable ;

- annuler la Décision ;

- condamner la Commission aux dépens.

21 La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- à titre principal, déclarer le recours irrecevable ;

- à titre subsidiaire, rejeter le recours ;

- condamner la requérante aux dépens.

22 La partie intervenante Givenchy conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- à titre principal, déclarer le recours irrecevable ;

- à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner la requérante à l'ensemble des dépens de l'instance, en ce compris les dépens occasionnés par l'intervention de Givenchy.

23 La partie intervenante Colipa conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- à titre principal, déclarer le recours irrecevable ;

- à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens, en ce compris les dépens du Colipa.

24 La partie intervenante FEPD conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours

- condamner la requérante à la totalité des frais et dépens de l'instance, y compris ceux occasionnés par l'intervention de la FEPD.

25 Dans sa réplique, la partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- s'il l'estime nécessaire, ordonner des mesures d'instruction conformément aux articles 65 et suivants du règlement de procédure ;

- condamner la Commission et les trois parties intervenantes aux dépens.

Moyens et arguments des parties

26 La partie requérante avance trois moyens de fond. Dans son premier moyen, tiré de ce que la Commission aurait manqué d'effectuer une enquête sérieuse sur les faits, la requérante fait valoir que la Commission a adopté la Décision sur la base d'une "enquête sur papier", sans disposer des données factuelles nécessaires. Le deuxième moyen de la partie requérante, tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité et d'un défaut de motivation à cet égard, s'articule en deux branches. En premier lieu, la requérante fait valoir que les caractéristiques des produits Givenchy ne nécessitent pas un système de distribution sélective. En second lieu, elle fait valoir que, en tout état de cause, les critères figurant dans le Contrat sont de nature subjective et sont plus sévères qu'il n'est nécessaire. Enfin, dans son troisième moyen, tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité, lui aussi articulé en deux branches, la partie requérante fait valoir, dans une première branche, que la Commission a dépassé les limites de sa compétence et a violé cette disposition en ce que l'article 1er du dispositif de la Décision couvre également des critères de sélection qui, selon la Commission, ne sont pas visés par l'article 85, paragraphe 1. Dans la seconde branche du moyen, la partie requérante fait valoir que la Commission a violé l'article 85, paragraphe 3, du traité en octroyant une exemption pour certaines des obligations visées par le point II.A.6 de la Décision, à savoir les obligations de réaliser un chiffre minimal d'achats annuels, de détenir un stock déterminé de produits, d'offrir une gamme suffisante de marques concurrentes et de promouvoir les produits Givenchy, ainsi que pour la procédure d'admission dans le réseau.

27 La Commission excipe de l'irrecevabilité du recours et conteste, à titre subsidiaire, les arguments de la requérante sur le fond Givenchy et le Colipa s'opposent, eux aussi, à la recevabilité du recours. Toutes les parties intervenantes soutiennent la position de la Commission sur le fond.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

28 Les arguments des parties portent sur la question de savoir si la requérante est directement et individuellement concernée par la Décision au sens de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE (devenu l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE, ci-après "traité").

29 Selon la partie défenderesse, Kruidvat n'est pas directement concernée par la Décision du fait qu'elle n'était pas, avant l'adoption de celle-ci, un détaillant agréé de Givenchy et ne souhaitait pas le devenir. En outre, Kruidvat n'éprouverait aucune difficulté à se procurer les produits en cause, comme le révéleraient les études de marché qu'elle produit en annexes 18 et 20 à la réplique. Ainsi, la Décision ne lui aurait pas fait subir de préjudice. Les conclusions de l'avocat général M. VerLoren van Themaat sous l'arrêt de la Cour du 22 octobre 1986, Metro/Commission (75-84, Rec. p. 3021, 3055, ci-après "arrêt Metro II") ne seraient pas pertinentes en l'espèce étant donné que, à la différence de Kruidvat, Metro voulait être agréée en tant que distributeur grossiste des produits SABA et n'avait pas contesté le système de distribution sélective en vigueur dans le secteur concerné.

30 Quant à la question de savoir si la requérante est "individuellement" concernée, la partie défenderesse, citant les arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25-62, Rec. p. 197), du 10 décembre 1969, Eridania/Commission (10-68 et 18-68, Rec. p. 459), et Metro II, ainsi que les arrêts du Tribunal du 19 mai 1994, Murgia Messapica/Commission (T-465-93, Rec. p. II-361, point 25), et Air France/Commission (T-2-93, Rec. p. II-323, point 42), soutient que la requérante n'est pas autrement touchée par la Décision que n'importe quel commerçant de détail - grande surface, succursale, entreprise individuelle ou autre - qui souhaiterait vendre les produits Givenchy (voir aussi l'arrêt de la Cour du 14 février 1989, Lefebvre/Commission, 206-87, Rec. p. 275, et les ordonnances de la Cour du 11 novembre 1987, Nuova Ceam/Commission, 205-87, Rec p 4427, et du 15 mars 1989, Co-Frutta/Commission, 191-88, Rec. p. 793) Par ailleurs, la Décision n'aurait pas "substantiellement affecté la position sur le marché" de Kruidvat, au sens des arrêts de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz ea/Commission (169-84, Rec p 391), et du 19 mai 1993, Cook/Commission (C-198-91, Rec. p. I-2487, point 23). Sur ce plan, il existerait une différence sensible par rapport aux faits à l'origine de l'arrêt de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil (C-358/89, Rec. p. I-2501).

31 De même, la position de Kruidvat ne pourrait pas être assimilée à celle des requérantes dans les affaires ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour du 29 juin 1994, Fiskano/Commission (C-135-92, Rec. p. I-2885), à l'arrêt du Tribunal du 24 mars 1994, Air France/Commission (T-3-93, Rec. p. II-121), et aux arrêts du 19 mai 1994 Air France/Commission et Murgia Messapica/Commission, précités. Au contraire, l'arrêt du Tribunal du 28 octobre 1993, Zunis Holdings ea/Commission (T-83-92, Rec. p. II-1169, point 34), et l'arrêt de la Cour du 7 décembre 1993, Federmineraria ea/Commission (C-6-92, Rec. p. I-6357, points 14 et 15), indiqueraient que le recours de Kruidvat n'est pas recevable.

32 A l'audience, la Commission a notamment fait valoir que la Décision n'a pas accordé un avantage à un concurrent de Kruidvat, cette dernière restant libre de s'approvisionner sur le marché parallèle (voir l'arrêt de la Cour du 15 février 1996, Grand garage albigeois ea, C-226-94, Rec. p. I-651).

33 Par ailleurs, Kruidvat n'aurait pas participé à la procédure administrative. La lettre du Raad FGB du 29 novembre 1991 (voir point 7 ci-dessus) ne ferait pas la moindre mention de Kruidvat Rien n'indiquerait que cette lettre ait été envoyée au nom de Kruidvat et il ne serait pas établi que Kruidvat, ou sa société mère, aient eu une influence quelconque sur la décision du Raad FGB de présenter des observations. En outre, ce ne serait ni la requérante ni ses actionnaires qui seraient membres du Raad FGB, mais la société mère néerlandaise. Ce serait en vain que Kruidvat invoque l'arrêt Metro II, puisque, dans cette affaire, Metro avait introduit une plainte auprès de la Commission et avait présenté des observations écrites lors de la procédure administrative. Il en aurait été de même dans les affaires à l'origine des arrêts de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission (ci-après "arrêt Metro I", 26-76, Rec. p. 1875), et du 11 octobre 1983, Demo-Studio Schmidt/Commission (210-81, Rec. p. 3045).

34 Selon la défenderesse, les arguments de Kruidvat ouvriraient la voie à un nombre pratiquement illimité de recours d'origine imprévisible. Le but d'une publication au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 serait précisément de garantir que la Commission dispose, avant de prendre une décision, de tous les éléments de fait et de droit pertinents pour pouvoir statuer en pleine connaissance de cause. Pour des raisons d'économie de procédure, on ne saurait admettre, selon elle, que les entreprises qui ont renoncé à faire connaître leur point de vue pendant la procédure administrative puissent le faire pour la première fois devant le Tribunal.

35 Par ailleurs, la lettre du Raad FGB serait d'un contenu sensiblement plus nuancé que la position défendue par Kruidvat. En effet, les griefs énoncés dans la requête ne concorderaient pas avec les objections que le Raad FGB a présentées au cours de la procédure administrative, l'essentiel de la thèse de Kruidvat étant que les produits de parfumerie ne se prêtent pas à une distribution sélective. Le Raad FGB aurait été beaucoup moins catégorique.

36 Le fait d'être partie à une procédure civile devant une juridiction nationale (voir point 9 ci-dessus) ne serait pas davantage pertinent. Sur cette question, les conclusions de l'avocat général M. VerLoren van Themaat sous l'arrêt Metro II, précitées, ne seraient pas décisives, étant donné que la Cour n'y a pas attaché de signification particulière et que les circonstances étaient différentes. En l'espèce, la procédure en référé introduite par Copardis s'inscrirait dans le cadre d'une action en concurrence déloyale et il n'y aurait pas de lien direct entre la validité de la Décision et l'issue de ce litige. Par ailleurs, l'argument de Kruidvat se prêterait à des manipulations dans la mesure où, si Copardis avait retardé l'introduction de son action devant le juge national jusqu'après l'expiration du délai de recours de deux mois visé à l'article 173 du traité, Kruidvat n'aurait pas eu la possibilité d'invoquer l'existence du litige.

37 En tout état de cause, la procédure nationale pendante entre Copardis et Kruidvat ne mettrait pas en cause la validité du système de distribution Givenchy, étant donné que la Décision lie le juge national, qui devrait déférer le problème à la Cour en cas de doute (arrêt de la Cour du 22 octobre 1987, Foto-Frost, 314-85, Rec. p. 4199). De même, la lettre du 17 juillet 1992 de Belluco, le comité professionnel d'une association belgo-luxembourgeoise de producteurs et de distributeurs d'articles d'hygiène et de toilette, invoquée tardivement par Kruidvat (voir point 57 ci-après), n'aurait rien à voir avec la présente affaire.

38 Par ailleurs, dans l'arrêt Lefebvre, précité, la Cour aurait constaté que la requérante n'était pas individuellement concernée en raison du fait qu'elle avait saisi les juridictions françaises et la Commission. La position de Kruidvat susciterait l'objection que, si elle était admise, le contrôle juridictionnel des actes de la Commission naîtrait d'une circonstance échappant entièrement à son influence.

39 Il résulterait également de l'arrêt de la Cour du 9 mars 1994, TWD Deggendorf (C-188-92, Rec. p. I-833), que les personnes qui sont directement et individuellement concernées par une décision ne disposent que du recours en annulation de l'article 173 du traité pour contester sa légalité. Dès lors, admettre la thèse de la requérante impliquerait que les tiers se trouvant dans la même position que Kruidvat seront désormais forcés de saisir systématiquement le Tribunal, chaque fois qu'il existera une possibilité qu'ils soient impliqués dans un litige avec le destinataire de la décision en cause.

40 Enfin, le Tribunal aurait constaté dans son arrêt du 17 septembre 1992, NBV et NVB/Commission (T-138-89, Rec. p. II-2181, point 33), que le recours au juge national et à l'article 177 du traité peut constituer une alternative acceptable à un recours direct en annulation.

41 A ces arguments, Givenchy ajoute que le Raad FGB ne pouvait valablement représenter Kruidvat dans la procédure administrative. Elle fait valoir, premièrement, qu'il s'agit d'un organisme de droit néerlandais alors que Kruidvat se présente comme une société de droit belge, deuxièmement, que les observations du Raad FGB ne font aucune mention de Kruidvat, et, troisièmement, que les points soulevés dans lesdites observations ne correspondent pas à ceux qui sont soulevés dans le recours introduit par Kruidvat.

42 Par ailleurs, l'existence d'un litige devant le juge national ne pourrait se substituer à une participation de Kruidvat à la procédure administrative. En effet, il s'agirait d'une simple procédure de référé, dans laquelle le président du Rechtbank van koophandel te Dendermonde n'a pas examiné la validité du système de distribution sélective des parfums Givenchy, sinon pour dire que leur distribution par Kruidvat ne semblait pas affecter le prestige de la marque Givenchy. De plus, il ne serait pas établi que Givenchy a autorisé la lettre de Belluco du 17 juillet 1992.

43 Enfin, il ressortirait des statuts de Kruidvat que son objet principal est de commercialiser des produits alimentaires n'ayant aucun rapport avec les parfums de luxe, et la Décision n'entraînerait donc pas de conséquences particulières à son égard.

44 Selon le Colipa, Kruidvat n'est pas "individuellement" concernée puisque, premièrement, la Décision n'a pas été prise sur le fondement d'une plainte de sa part, deuxièmement, elle n'a pas participé à la procédure administrative, et, troisièmement, elle n'a pas introduit une demande d'agrément qui aurait été rejetée. La requérante ne serait concernée qu'en raison d'une activité commerciale qui peut être exercée à tout moment par n'importe quel opérateur économique (voir l'ordonnance du Tribunal du 9 août 1995, Greenpeace/Commission, T-585-93, Rec. p. II-2205).

45 Par ailleurs, le litige dont ont à connaître les tribunaux belges n'aurait pas pour objet un refus d'admission, comme dans les affaires Metro I et Demo-Studio Schmidt, mais un problème de "parasitage". La requérante ne pourrait pas invoquer un litige exclusivement relatif à son activité de "passager clandestin" comme prétexte pour soutenir qu'elle est individuellement et directement concernée par la Décision.

46 Pour établir qu'elle est "directement" concernée, la partie requérante se réfère notamment aux conclusions de l'avocat général M. VerLoren van Themaat sous l'arrêt Metro II, précitées, et aux arguments de la Commission dans cette même affaire. En effet, la Décision priverait directement Kruidvat des droits individuels qu'elle possède au titre de la prohibition de l'article 85, paragraphes 1 et 2, du traité. De plus, sans la décision d'exemption, les agents exclusifs et les vendeurs au détail auraient été libres d'approvisionner Kruidvat et, en l'absence d'obligations d'ordre quantitatif (telles que celles d'offrir une gamme complète de produits concurrents, de détenir une certaine quantité de stocks et de réaliser un chiffre d'affaires annuel minimal déterminé), Kruidvat pourrait formuler une demande d'accès au réseau sélectif sans renoncer à sa propre méthode de commercialisation. L'approvisionnement sur le "marché gris" - auquel Kruidvat recourrait de manière légale - comporterait des inconvénients évidents par rapport à l'approvisionnement auprès des fabricants de parfums ou de leurs distributeurs.

47 Afin d'établir qu'elle est "individuellement" concernée par la Décision, la partie requérante, se référant, notamment, aux arrêts Metro I, Metro II, Demo Studio Schmidt et Extramet Industrie/Conseil, précités, ainsi qu'à l'arrêt de la Cour du 9 juillet 1987, Ancides/Commission (43-85, Rec. p. 3131), avance trois arguments principaux.

48 Dans son premier argument, la requérante fait valoir qu'elle a effectivement participé à la procédure administrative par l'intermédiaire du Raad FGB, qui a soumis ses observations à la Commission au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, par lettre du 29 novembre 1991. En effet, cette lettre du Raad FGB aurait été envoyée, entre autres, à la demande et au nom de Kruidvat. Selon l'article 3 de ses statuts, le Raad FGB aurait pour but la défense des intérêts économiques et sociaux du secteur néerlandais des magasins à succursales et des grandes surfaces. Au moins une des sociétés mères de Kruidvat, à savoir Kruidvat BV, serait affiliée au Raad FGB. Lorsque le Raad FGB envoie une lettre d'observations à la Commission, il le ferait donc au nom de Kruidvat BV, et dès lors au nom de Kruidvat.

49 Dans cette lettre, produite en annexe 8 à la requête, le Raad FGB aurait critiqué de nombreux aspects de la position de la Commission, telle qu'elle avait été formulée dans sa communication du 8 octobre 1991. La Commission aurait implicitement répondu à ces critiques dans la Décision. En outre, il ressortirait de sa lettre du 20 décembre 1991 que la Commission a tenu compte des observations du Raad FGB. En conséquence, Kruidvat aurait effectivement participé à la procédure administrative.

50 Quant au fait, allégué par la Commission, que la recevabilité du recours ouvrirait la voie à un nombre illimité de recours de membres d'organisations sectorielles ayant participé à la procédure administrative, il s'agirait d'une conséquence qu'il faut accepter. En tout cas, il conviendrait de relativiser ce "danger", car, dans de nombreux cas, une communication au titre de l'article 19, paragraphe 3, ne déclenche pas un grand nombre de réactions. Par ailleurs, si la conséquence du recours à une organisation de défense d'intérêts professionnels, telle que le Raad FGB, était que l'entreprise elle-même ne peut plus introduire un recours en annulation, celle-ci devrait à chaque fois faire connaître elle-même son point de vue à la Commission. Un tel résultat serait absurde et d'un formalisme excessif.

51 Il serait de surcroît erroné de dire que la lettre du Raad FGB ne correspond pas à la position de Kruidvat. Dans sa lettre, le Raad FGB aurait marqué son désaccord avec le point de vue de la Commission, selon lequel la distribution sélective dans le secteur du parfum est une nécessité, mais aurait été disposé à se résigner à l'existence d'un tel système, à condition que les critères de sélection soient clairs, objectifs et non discriminatoires. Le Raad FGB aurait estimé que tel n'était pas le cas et aurait expressément émis des objections à l'encontre des obligations d'approvisionnement et d'achats minimaux, à l'encontre des obligations de stage et à l'encontre des critères purement subjectifs concernant la localisation et l'installation d'un point de vente, aspects également mis en cause par Kruidvat dans son recours.

52 En réponse aux questions du Tribunal portant notamment sur le fait que, selon ses statuts, la requérante n'a été constituée en Belgique que le 23 mars 1992, cette dernière a précisé qu'elle est une filiale à 100 % du groupe néerlandais Evora, contrôlé à l'époque par les sociétés Profimarkt BV et Kruidvat BV. Ce ne serait que pour des raisons fiscales et administratives que le groupe Evora a dû créer une personne morale distincte - à savoir la requérante - afin de pouvoir disposer d'une branche en Belgique. Étant donné que la requérante et ses sociétés mères forment une unité économique unique (voir l'arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm, 170-83, Rec. p. 2999, point 11, et les arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, point 311, et du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T-102-92, Rec. p. II-17, point 50), la participation de l'une des sociétés mères, à savoir Kruidvat NV, à la procédure administrative, par le biais du Raad FGB, vaudrait pour l'ensemble du groupe Evora, y compris pour la requérante. Il ne serait donc pas pertinent de savoir si le Raad FGB peut représenter des entreprises belges. En tout cas, il ne serait pas contestable que les "intérêts économiques" du groupe néerlandais Evora, au sens de l'article 3 des statuts du Raad FGB, englobent également ceux de sa filiale belge.

53 Dans son deuxième argument, la requérante fait valoir que, au moment de l'adoption de la Décision, un litige concret entre Copardis et elle-même, portant sur la validité du système de distribution Givenchy, était déjà pendant devant la juridiction belge (voir point 9 ci-dessus). La requérante estime que, la Décision ayant pour effet de la priver de son droit d'invoquer une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, à titre de moyen de défense dans ce litige, elle doit être considérée comme étant individuellement concernée. Elle renvoie à cet égard à l'arrêt Metro I, point 13, à l'arrêt Metro II, point 23, ainsi qu'aux conclusions précitées de l'avocat général M. VerLoren van Themaat sous cet arrêt (p. 3056), dont il ressortirait que la Commission avait expressément adopté ce point de vue.

54 Cette thèse n'irait pas à l'encontre de l'arrêt Lefebvre/Commission, précité, auquel la défenderesse s'est référée. Dans cette affaire, la Cour aurait estimé que le recours était irrecevable parce qu'il n'était pas prouvé que, au moment de l'adoption de la décision en cause, une procédure nationale était en cours. En l'espèce, la Décision aurait un effet rétroactif au 1er janvier 1992, soit à une date antérieure à l'assignation de Kruidvat par Copardis, le 3 juillet 1992.

55 Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme la Commission, il y aurait un lien direct entre la validité en droit de la Décision et l'issue du litige national. Dans la procédure nationale, Copardis soutiendrait principalement que le simple fait de vendre des produits de marque Givenchy sans être membre du système de distribution sélective exempté par la Décision est contraire à la législation belge en matière de concurrence déloyale. Toutefois, si la Décision était annulée, le réseau de distribution Givenchy devrait être considéré comme incompatible avec l'article 85, paragraphe 1, et Copardis perdrait alors tout moyen de droit pour faire obstacle à la vente de produits Givenchy par Kruidvat. Il en irait de même dans le cas où Copardis fonderait son action sur l'incitation à l'inexécution d'obligations ou sur le fait que les produits Givenchy portent la mention "Ne peut être vendu que par un distributeur agréé".

56 En réponse à l'argument de la défenderesse selon lequel, pour être pertinente, la procédure nationale doit concerner un refus d'agrément en tant que distributeur, la requérante expose que le lien exigé par la Commission est trop étroit (arrêt de la Cour du 13 janvier 1994, Cartier, C-376-92, Rec. p. I-15, point 24).

57 La requérante invoque également une lettre du 17 juillet 1992, produite en réponse aux questions du Tribunal, qui lui a été adressée par Belluco, qui représenterait l'ensemble des distributeurs généraux agréés pour la Belgique et le Luxembourg dans le secteur des cosmétiques de luxe, y compris les produits Givenchy. Belluco aurait affirmé dans cette lettre, à la suite d'une réunion tenue avec Kruidvat le 8 juillet 1992, que la requérante n'entrait pas en ligne de compte en tant que distributeur agréé, notamment parce que l'enseigne "Kruidvat" n'est pas de nature à être associée à l'image des cosmétiques de luxe, et que la vente des articles de marque par un distributeur non-agréé est illégale. En outre, Belluco aurait mis Kruidvat en demeure d'arrêter dans un délai de deux semaines, sur l'ensemble du territoire belge, la vente des articles cosmétiques concernés, faute de quoi Belluco aurait recours aux moyens de droit dont il disposait.

58 Enfin, quant à l'arrêt TWD Deggendorf, précité, invoqué par la Commission, la requérante soutient que seuls les tiers qui, comme Kruidvat, étaient déjà impliqués, avant l'adoption de la Décision, dans un litige relatif à la validité de l'accord pour lequel une décision d'exemption a été ultérieurement accordée par la Commission sont individuellement concernés au titre de l'article 173 du traité.

59 Dans son troisième argument, la requérante fait valoir que son recours doit être déclaré recevable pour lui permettre de bénéficier d'une protection juridique complète et efficace en rapport avec les droits que lui confère l'article 85 du traité. Dans le cas d'espèce, une procédure devant la juridiction nationale, combinée avec une question préjudicielle au titre de l'article 177 du traité, représenterait une protection juridique manifestement insuffisante par rapport à un recours direct en annulation sur la base de l'article 173 du traité (voir les conclusions de l'avocat général M. Jacobs sous l'arrêt Extramet Industrie/Conseil, précité, p. I-2523).

60 En effet, le juge national ne serait pas compétent pour annuler la Décision et un renvoi préjudiciel concernant la validité de celle-ci ne donnerait pas toujours à la Cour l'occasion d'instruire l'affaire de manière aussi approfondie que dans le cadre d'un recours direct. Une affaire comme celle de l'espèce soulèverait des questions complexes tant en droit qu'en fait et nécessiterait une procédure écrite complète.

Appréciation du Tribunal

61 Conformément à l'article 173 du traité, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement. La Décision ayant été adressée à Givenchy, il convient d'examiner tout d'abord la question de savoir si Kruidvat est individuellement concernée par celle-ci.

62 Selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire(voir, par exemple, l'arrêt Plaumann/Commission, précité, p. 223, et l'arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC ea/Commission, T-447-93, T-448-93 et T-449-93, Rec. p. II-1971, point 34).

63 Il y a lieu de constater d'emblée que ni la partie requérante, ni ses sociétés mères Profitmarkt BV et Kruidvat BV, ni le groupe Evora n'ont introduit de plainte devant la Commission au titre de l'article 3 du règlement n° 17, ni participé eux-mêmes à la procédure administrative prévue par l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, ni demandé à Givenchy à être admis dans son réseau de distribution sélective. La présente affaire se distingue donc des affaires Metro I, Metro II et Demo-Studio Schmidt, invoquées par la partie requérante.

64 Quant à la participation du Raad FGB à la procédure prévue par l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, en vertu de sa lettre du 29 novembre 1991, bien qu'il soit établi que, à l'époque, une des sociétés mères de la requérante, à savoir Kruidvat NV, était membre du Raad FGB, rien dans le dossier n'indique que cette lettre a été envoyée à la demande de Kruidvat NV ou que cette dernière a participé à sa préparation ou a autorisé ou même influencé son contenu.

65 De plus, il y a au moins une différence importante entre la position exprimée par le Raad FGB dans sa lettre du 29 novembre 1991 et celle défendue par la requérante dans le présent recours, en ce que la requérante conteste, entre autres, le principe même de la distribution sélective dans le secteur des cosmétiques de luxe, tandis que, dans sa lettre, le Raad FGB se déclarait prêt à accepter ce principe pourvu que les critères de sélection soient objectifs et non discriminatoires ["[...] Nevertheless, in principle the Raad FGB does not object to the concept of selective distribution, provided, however, that the admission criteria are clear, objective, non-discretionary and non discriminating[...]" ("[...] Néanmoins, le Raad FGB n'oppose pas d'objection de principe au concept de distribution sélective, à condition, toutefois, que les critères d'agrément soient clairs, objectifs, exempts d'arbitraire et de discrimination [...]")].

66 Dans ces circonstances, le Tribunal considère qu'il n'y a pas, entre la participation du Raad FGB à la procédure administrative, par le moyen de la lettre du 29 novembre 1991, et la situation individuelle de Kruidvat NV, de lien suffisant de nature à "individualiser" cette dernière au sens de l'article 173 du traité dans le domaine d'une décision individuelle d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Si cette lettre du Raad FGB du 29 novembre 1991 ne suffit pas à "individualiser" Kruidvat NV, il en va de même, à plus forte raison, en ce qui concerne la partie requérante.

67 Toutefois, le fait que la requérante n'a pas participé à la procédure administrative ne permet pas, à lui seul, au Tribunal de constater que celle-ci n'est pas individuellement concernée par la Décision (voir les arrêts du Tribunal du 27 avril 1995, CE de la Société générale des grandes sources ea/Commission, T-96-92, Rec. p. II-1213, points 35 et 36, et CE de Vittel ea/Commission, T-12-93, Rec. p. II-1247, points 46 et 47).

68 Il y a donc lieu de rechercher s'il existe d'autres circonstances de nature à individualiser la partie requérante.

69 A cet égard, il est vrai que la requérante a manifesté sa volonté de distribuer des produits Givenchy et qu'elle est donc un concurrent des distributeurs agréés de Givenchy qui bénéficient de l'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, accordée dans la Décision. En outre, il n'est pas exclu que la requérante ne remplisse pas les critères de sélection de Givenchy et que, suite à la Décision, elle ne puisse pas s'approvisionner directement en produits Givenchy auprès de Givenchy, de ses agents exclusifs ou de ses distributeurs agréés, dans la Communauté.

70 Toutefois, le Tribunal estime que ces faits ne suffisent pas à individualiser la requérante au sens de l'article 173 du traité. En effet, la situation de la requérante ne se distingue pas de celle des nombreux autres opérateurs économiques sur le marché parallèle.

71 Par ailleurs, la requérante, en tant qu'opérateur économique actif dans la vente des cosmétiques de luxe obtenus sur le marché parallèle, n'a pas établi qu'elle serait empêchée, par suite de la Décision, d'utiliser les sources d'approvisionnement des produits Givenchy auxquelles elle a eu licitement recours jusqu'à présent. Le Tribunal relève, à cet égard, que, dans un contexte analogue, la Cour a jugé qu'une exemption par catégorie de certains réseaux de distribution sélective n'a pas pour fonction de réglementer l'activité des tiers qui peuvent intervenir sur le marché en dehors du réseau de distribution concerné (voir l'arrêt Grand garage albigeois ea, précité, points 16 à 19, et l'arrêt de la Cour du 15 février 1996, Nissan France ea, C-309-94, Rec. p. I-677, points 16 à 19).

72 Quant au litige national entre Copardis et la partie requérante, Copardis y allègue, à titre de moyen principal, que les articles 93 et 94 de la loi belge sur les pratiques du commerce ont été violés du seul fait que Kruidvat a vendu des produits Givenchy sans en être un distributeur agréé. A titre de moyen de défense dans ce litige, Kruidvat a fait valoir que le réseau de distribution mis en place par Givenchy viole l'article 85, paragraphe 1, du traité et que le recours de Copardis est donc privé de tout fondement. En réplique, Copardis a fait valoir que le réseau Givenchy est licite au regard de l'article 85 du traité.

73 A supposer même qu'il existe un certain lien entre l'issue de ce litige et la validité de la Décision (voir l'arrêt Cartier, précité, point 24), le Tribunal relève que le litige devant le juge national concerne, à titre principal, l'application de la loi belge dans le domaine de la concurrence déloyale. Ledit litige ne porte donc pas sur un refus d'accès au réseau Givenchy, dans lequel la requérante n'a jamais demandé à être admise, ni sur une demande de dommages et intérêts fondée sur une prétendue violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

74 Selon la requérante, la Décision ayant pour effet de la priver de son droit d'invoquer une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, à titre de défense dans ce litige, elle serait individuellement concernée dans la mesure où il lui serait nécessaire de contester sa légalité devant le Tribunal afin de pouvoir invoquer l'éventuelle constatation de son illégalité devant le juge national.Toutefois, le Tribunal estime que la requérante ne saurait prétendre être suffisamment individualisée au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, du seul fait que la légalité de la Décision serait pertinente pour la solution du litige pendant devant le juge national, dès lors que tout distributeur de parfums peut avoir, le cas échéant, intérêt à soulever dans le cadre d'un litige national la question de la légalité du système de distribution Givenchy.Force est de constater en outre que c'est par le seul effet du hasard qu'un tel litige était pendant au moment de l'adoption de la Décision. Si Copardis n'avait introduit son recours devant la juridiction nationale qu'après l'expiration du délai de deux mois prévu par l'article 173, cinquième alinéa, du traité, la requérante n'aurait pu faire valoir qu'elle était, lors de l'introduction du recours, individuellement concernée en raison de l'existence d'un litige national. Dans ces circonstances, le Tribunal estime que le lien indirect susceptible d'exister entre le litige national et la validité de la Décision ne suffit pas en soi à individualiser la requérante au sens de l'article 173 du traité.

75 En outre, à supposer que la question de la validité de la Décision soit susceptible d'influencer l'issue du litige devant le juge national, il n'en reste pas moins que ce dernier peut, s'il l'estime nécessaire, recourir à la voie du mécanisme du renvoi préjudiciel, prévue par l'article 177, premier alinéa, sous b), du traité, et saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle portant sur la validité ou l'interprétation de la Décision. Par conséquent, l'argument de Kruidvat selon lequel cette voie ne lui confère pas une protection juridique adéquate ne saurait être accueilli.

76 En ce qui concerne la lettre de Belluco du 17 juillet 1992, qui n'a pas été invoquée lors de la procédure écrite mais a été produite tardivement par Kruidvat en réponse aux questions du Tribunal, rien ne permet d'établir à suffisance de droit que son envoi a été autorisé par Givenchy ou Copardis. En outre, cette lettre ne constitue pas une réponse à une demande d'admission de Kruidvat dans le réseau Givenchy. Elle n'est dès lors pas un élément pertinent pour l'appréciation de la recevabilité du présent recours.

77 Il résulte de ce qui précède que Kruidvat n'est pas individuellement concernée par la Décision.

78 Il s'ensuit que le recours doit être rejeté comme irrecevable, sans qu'il soit nécessaire de vérifier si Kruidvat était directement concernée par ladite Décision.

Sur les dépens

79 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Selon l'article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu'une partie intervenante autre qu'un État membre ou une institution supportera ses propres dépens.

80 La partie requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter les dépens de la Commission. Il en va de même en ce qui concerne les dépens de la partie intervenante Givenchy, destinataire de la Décision.

81 En ce qui concerne les parties intervenantes Colipa et FEPD, le Tribunal considère que l'intérêt de ces deux associations à la solution du litige était moins direct que celui de Givenchy. S'agissant d'une affaire dans laquelle ces deux autres parties intervenantes ont exprimé des considérations générales dans l'intérêt de leurs membres, sans ajouter d'éléments décisifs aux arguments de la Commission, le Tribunal estime qu'il sera fait une juste application de l'article 87, paragraphe 4, dernier alinéa, du règlement de procédure en les condamnant à supporter leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) La requérante supportera les dépens de la Commission et de la partie intervenante Parfums Givenchy SA, ainsi que ses propres dépens.

3) Chacune des autres parties intervenantes, le Comité de liaison des syndicats européens de l'industrie de la parfumerie et des cosmétiques et la Fédération européenne des parfumeurs détaillants, supportera ses propres dépens.