CJCE, 5e ch., 14 novembre 1996, n° C-333/94 P
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Tetra Pak International (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sevon
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer.
Juges :
MM. Gulmann, Edward, Puissochet, Jann
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 décembre 1994, Tetra Pak International SA (ci-après " Tetra Pak ") a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission (T-83-91, Rec. p. II-755, ci-après l'" arrêt attaqué "), par lequel le tribunal de première instance a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision 92-163-CEE de la Commission, du 24 juillet 1991, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV-31.043 - Tetra Pak II, JO 1992, L 72, p. 1, ci-après la " décision litigieuse ").
2. Il ressort des constatations faites par le tribunal dans l'arrêt attaqué (points 1 à 21) que :
- Tetra Pak, dont le siège social se trouve en Suisse, coordonne la politique d'un groupe de sociétés, originellement suédois, qui a acquis une dimension mondiale. Le groupe Tetra Pak est spécialisé dans les équipements utilisés pour le conditionnement dans des emballages en carton de produits alimentaires liquides ou semi-liquides. Ses activités s'exercent dans les secteurs du conditionnement tant aseptique que non aseptique. Elles consistent à produire des emballages en carton et des machines de remplissage.
- les emballages en carton ont été utilisés, en 1983, à raison de 90 % pour l'emballage du lait et des autres produits laitiers liquides. En 1987, cette part s'élevait approximativement à 79 %. Environ 16 % des cartons servaient alors au conditionnement d'autres produits (vins, eaux minérales, produits à la base de tomate, soupes, sauces et aliments pour bébés).
- Dans le secteur aseptique, Tetra Pak produit le système dit " Tetra Brik ", destiné au conditionnement du lait UHT. Dans ce secteur, un seul concurrent de Tetra Pak, la société PKL, produit un système de conditionnement aseptique constitue la clé d'accès tant au marché des machines qu'à celui des cartons aseptiques.
- En revanche, le conditionnement non aseptique nécessite un équipement moins sophistiqué. Le carton " Tetra Rex ", utilisé par Tetra Pak sur le marché des cartons non aseptiques, est un concurrent direct du carton " Pure-Pak ", produit par le groupe norvégien Elopak.
- Au cours de la période de référence, divers contrats types de vente et de location de machines ainsi que d'approvisionnement en cartons étaient en vigueur entre Tetra Pak et ses clients dans les différents Etats membres de la Communauté. Les clauses exerçant une incidence sur la concurrence ont été résumées comme suit aux points 24 à 45 de la décision litigieuse :
" 2.1. Les conditions de vente du matériel Tetra Pak (annexe 2.1.)
(24) Des contrats types de vente existent dans les cinq pays suivants : Grèce, Irlande, Italie, Espagne, Royaume-Uni. Pour chaque clause contractuelle examinée, il est indiqué entre parenthèses quels sont les ou le pays concerné(s).
2.1.1. La configuration du matériel
(25) Tetra Pak se réserve, en Italie, un droit de regard absolu sur la configuration du matériel vendu en interdisant à l'acheteur :
(i) d'ajouter des appareils accessoires à la machine ;
(ii) de modifier la machine, d'y ajouter ou d'en retrancher des éléments ;
(iii) de déplacer la machine.
2.1.2. Le fonctionnement et l'entretien du matériel
(26) Cinq clauses contractuelles relatives au fonctionnement et à l'entretien du matériel tendent à assurer à Tetra Pak exclusivité et droit de contrôle en la matière :
(iv) exclusivité pour l'entretien et les réparations (tous pays sauf Espagne) ;
(v) exclusivité pour la fourniture des pièces de rechange (tous pays sauf Espagne) ;
(vi) droit d'effectuer gratuitement des prestations d'assistance, de formation, de maintenance et de mise à jour technique non demandées par le client (Italie) ;
(vii) tarification dégressive (jusqu'à moins 40 % d'une redevance mensuelle de base) d'une partie des frais d'assistance, d'entretien et de mise à jour technique en fonction du nombre de carton utilisés sur toutes les machines Tetra Pak de même type (Italie) ;
(viii) obligation d'informer Tetra Pak de tout perfectionnement ou modification technique apporté au matériel et de lui en réserver la propriété (Italie).
2.1.3. Les cartons
(27) Quatre clauses contractuelles relatives aux cartons visent également à assurer à Tetra Pak exclusivité et droit de contrôle de Tetra Pak sur ce produit :
(ix) obligation d'utiliser uniquement des cartons Tetra Pak sur les machines (tous pays) ;
(x) obligation d'approvisionnement exclusif en cartons auprès de Tetra Pak ou d'un fournisseur désigné par lui (tous pays) ;
(xi) obligation d'informer Tetra Pak de tout perfectionnement ou modification technique apporté aux cartons et de lui en réserver la propriété (Italie) ;
(xii) droit de regard sur le libellé à apposer sur les cartons (Italie).
2.1.4. Contrôles
(28) Deux clauses ont plus spécifiquement pour objet le contrôle de l'observation par l'acheteur des obligations contractuelles :
(xiii) obligation pour l'acheteur de remettre un rapport mensuel (Italie) ;
(xiv) droit d'inspection - sans préavis - réservé ) Tetra Pak (Italie).
2.1.5. Le transfert de propriété du matériel ou la cession de l'usage.
(29) Deux clauses contractuelles limitent le droit de revente ou de cession :
(xv) obligation d'obtenir l'accord de Tetra Pak pour la revente ou la cession de l'usage du matériel (Italie), revente conditionnelle (Espagne) et droit de rachat à un prix forfaitaire fixé d'avance réservé à Tetra Pak (tous pays). L'inobservation de cette clause peut donner lieu à une pénalité spécifique (Grèce, Irlande, Royaume-Uni) ;
(xvi) obligation d'obtenir du tiers acquéreur la reprise des obligations du premier acheteur (Italie, Espagne).
2.1.6. La garantie
(30) (xvii) La garantie sur le matériel vendu est subordonnée à l'observation de toutes les clauses contractuelles (Italie) ou, à tout le moins, à l'utilisation exclusive de cartons Tetra Pak (autres pays).
2.2. Les conditions de location du matériel Tetra Pak (annexe 2.2)
(31) Des contrats types de location existent dans tous les pays de la Communauté à l'exception de la Grèce et de l'Espagne.
Mutatis mutandis, on retrouve dans les contrats de location la majorité des clauses rencontrées dans les contrats de vente. D'autres conditions sont spécifiques à la location, mais elles vont toujours dans le même sens qui est celui d'un renforcement maximal des liens entre Tetra Pak et son client.
2.2.1. La configuration du matériel
(32) On retrouve les clauses (i), (ii) et (iii) [Italie pour la clause (i) ; tous pays pour la clause (ii), France, Irlande, Italie, Portugal, Royaume-Uni pour la clause (iii)].
(xviii) Une clause supplémentaire oblige, par ailleurs, le locataire à faire usage exclusivement de caisses, suremballages, et/ou de conteneurs de transport pour cartons Tetra Pak (Allemagne, Belgique, Italie, Luxembourg, Pays-Bas) ou à s'approvisionner de préférence, à conditions égales, auprès de Tetra Pak (Danemark, France).
2.2.2. Le fonctionnement et l'entretien du matériel
(33) On retrouve les clauses (iv) et (v) (tous pays) relatives à l'exclusivité.
De même, on retrouve encore la clause (viii) réservant à Tetra Pak la propriété sur les perfectionnements qui seraient réalisés par l'utilisateur (Belgique, Allemagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas) ou, à tout le moins, obligeant le locataire à concéder une licence d'exploitation à Tetra Pak (Danemark, France, Irlande, Portugal, Royaume-Uni).
2.2.3. Les cartons
(34) On retrouve les mêmes clauses (ix) (tous pays) et (x) (Italie) relatives à l'exclusivité d'approvisionnement, la clause (xi) donnant à Tetra Pak la propriété sur les perfectionnements (Danemark, Italie) ou, à tout le moins, une licence d'exploitation en sa faveur (France, Irlande, Portugal, Royaume-Uni) et la clause (xii) lui réservant un droit de regard sur le libellé ou les noms de marque que le client veut apposer sur les cartons (Allemagne, Espagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni).
2.2.4. Les contrôles
(35) Comme dans les cas de vente, le locataire doit remettre un rapport mensuel [clause (xiii) - tous pays] sous peine de facturation forfaitaire (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) et permettre l'inspection des lieux où est installé le matériel [clause (xiv) - tous pays] et ce, sans préavis (tous pays, sauf Danemark, Allemagne, Irlande, Portugal et Royaume-Uni).
(xix) Une autre clause permet l'examen - à tout moment (Danemark, France) - des comptes de l'entreprise locataire (tous pays) et (selon les pays) de ses factures, de sa correspondance ou de tout autre document nécessaire à la vérification du nombre de cartons utilisés.
2.2.5. Le transfert du bail, la sous-location, la cession de l'usage ou l'usage pour compte de tiers
(36) Dans les cas de la vente, tout transfert ultérieur de propriété ne peut se réaliser qu'à des conditions très restrictives.
(xx) Les dispositions des contrats de location excluent pareillement la cession de bail, la sous-location (tous pays) ou même le simple travail à façon pour compte de tiers (Italie).
2.2.6. La garantie
(37) Les libellés sont ici moins précis que dans les contrats de vente : ils lient la garantie au respect des " instruction " données par Tetra Pak au sujet de l'" entretien " et du " bon maniement " de la machine (tous pays). Les termes " instructions ", " entretien " et " bon maniement " sont toutefois suffisamment larges pour qu'il faille les interpréter comme recouvrant au moins l'utilisation exclusive de pièces de rechange, des services de réparation et d'entretien et de matériaux d'emballage Tetra Pak. Cette interprétation s'est trouvée confirmée par les réponses écrite et orale de Tetra Pak à la communication des griefs.
2.2.7. La fixation du loyer et les conditions de paiement
(38) Le loyer comprend les éléments suivants (tous pays) :
a) (xxi) un droit de location " initial ", à verser au moment de la mise à disposition de la machine. Le montant de ce droit n'est pas nécessairement inférieur au prix de vente des mêmes machines et s'élève, en fait, à la quasi-totalité de tous les loyers présents et futurs (plus de 98 % dans certains cas) ;
b) un loyer annuel, payable anticipativement par trimestre ;
c) (xxii) une redevance mensuelle à la production dont le montant est dégressif en fonction du nombre de cartons utilisés sur toutes les machines Tetra Pak de même type. Cette redevance remplace la tarification dégressive - de valeur assimilable - d'une partie des frais d'entretien prévue en cas de vente [voir la clause (vii)]. Dans certains pays (Allemagne, France, Portugal), une pénalité spécifique est prévue en cas de non-paiement dans les délais fixés de cette redevance.
2.2.8. La durée du bail
(39) La durée et les modalités de cessation du bail sont variables d'un Etat membre à l'autre.
(xxiii) La durée minimale du bail s'étend de trois ans (Danemark, Irlande, Portugal, Royaume-Uni) à neuf ans (Italie).
2.2.9. La clause de pénalité
(40) (xxiv) Indépendamment des dommages et intérêts usuels, Tetra Pak se réserve le droit d'imposer une pénalité au locataire qui enfreindrait une quelconque des obligations contractuelles, le montant de cette pénalité étant, dans la limite d'un seuil maximal, fixé discrétionnairement par Tetra Pak en fonction de la gravité du cas (Italie).
2.3. Les conditions de fourniture des cartons (annexe 2.3)
(41) Des contrats types de fourniture existent en Grèce, en Irlande, en Italien, en Espagne et au Royaume-Uni : ils sont obligatoires dès lors que le client procède non à la location mais à l'achat d'une machine.
2.3.1. L'exclusivité d'approvisionnement
(42) (xxv) L'acheteur s'engage à s'approvisionner exclusivement auprès de Tetra Pak pour tous les matériaux d'emballage qui seront utilisés sur une ou sur des machines Tetra Pak donnée (s) (tous pays) et sur toute autre machine Tetra Pak qui serait acquise ultérieurement (Italie).
2.3.2. La durée du contrat
(43) (xxvi) Le contrat est signé pour une première période de neuf ans, renouvelable pour une nouvelle période de cinq ans (Italie) ou pour la période pendant laquelle l'acquéreur restera en possession de la machine (Grèce, Irlande, Espagne, Royaume-Uni).
2.3.3. La fixation des prix
(44) (xxvii) Les cartons seront livrés aux prix en vigueur au moment de la commande. Aucun système de péréquation ou d'indexation n'est prévu (tous pays).
2.3.4. Le libellé
(45) On retrouve ici encore le droit de regard [clause (xii)] de Tetra Pak sur le libellé ou les noms de marque que le client veut apposer sur les cartons. "
- La structure de l'offre dans le secteur aseptique était, selon la décision litigieuse, quasi monopolistique, Tetra Pak occupant 90 à 95 % du marché. Son seul concurrent réel, PKL, détenait la quasi-totalité des partis de marché restantes, soit 5 à 10 %.
- La structure du secteur non aseptique était oligopolistique. Au moment de l'adoption de la décision litigieuse, Tetra Pak occupait 50 à 55 % du secteur la Communauté. Elopak détenait, en 1985, environ 27 % du marché des machines et des cartons non aseptiques, suivie de PKL, qui occupait environ 11 % de ce marché. Le reste du marché des cartons se répartissait entre trois sociétés et le reste du marché des machines non aseptiques entre une dizaine de petits producteurs.
- Le 27 septembre 1993, Elopak Italia a déposé une plainte auprès de la Commission contre Tetra Pak Italiana et ses sociétés associées en Italie, lui reprochant d'avoir poursuivi des pratiques commerciales constitutives d'un abus de position dominante au sens de l'article 86 du Traité CEE. Ces pratiques consistaient essentiellement, selon Elopak, dans la vente de cartons à des prix prédatoires, l'imposition de conditions déloyales à la fourniture de machines de remplissage et, dans certain cas, dans la vente de ce matériel à des prix également prédatoires.
- Le 16 décembre 1988, la Commission a décidé d'engager la procédure dans cette affaire. Dans la décision litigieuse, elle a résumé les infractions de la façon suivante :
" 1) poursuite d'une politique de commercialisation ayant abouti à une restriction sensible de l'offre et à un cloisonnement des marchés nationaux à l'intérieur de la CEE ;
2) imposition aux utilisateurs des produits Tetra Pak, dans tous les Etats membres, de nombreuses clauses contractuelles [...] dont l'objet essentiel est de lier indûment ces utilisateurs à Tetra Pak et d'écarter artificiellement le jeu de la concurrence potentielle ;
3) pratiques de prix sur les cartons qui se sont révélées discriminatoires entre utilisateurs d'Etats membres différents et, en Italie au moins, éliminatoires à l'égard des concurrents ;
4) pratiques de prix sur les machines qui se sont révélées :
- discriminatoires entre utilisateurs d'Etats membres différents ;
et
- en Italie et au Royaume-Uni au moins, éliminatoires à l'égard des concurrents ;
5) pratiques ponctuelles diverses visant à l'élimination, en Italie au moins, de concurrents et/ou de leur technologie de certains marchés. "
La commission a ordonné à la requérante de mettre fin aux infractions constatées en adoptant certaines mesures et lui a infligé une amende de 75 millions d'écus.
3. En première instance, Tetra Pak a conclu à l'annulation de la décision litigieuse et à la condamnation de la Commission aux dépens de l'instance.
4. Le tribunal a rejeté le recours de Tetra Pak et l'a condamnée aux dépens.
5. Tetra Pak conclut à ce qu'il plaise à la Cour :
- annuler, en tout ou en partie, l'arrêt attaqué;
- annuler, en tout ou en partie, la décision litigieuse ;
- à titre subsidiaire, annuler ou réduire substantiellement l'amende infligée à Tetra Pak ;
- condamner la Commission aux dépens du présent pourvoi ainsi qu'à ceux de la procédure qui s'est déroulée devant le tribunal.
La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour :
- rejeter le pourvoi comme étant en partie irrecevable et en tout état de cause non fondé ;
- condamner Tetra Pak aux dépens de l'instance.
6. A l'appui de son pourvoi, Tetra Pak invoque cinq moyens.
Sur le premier moyen
7. Par le premier moyen, Tetra Pak fait valoir que la définition des marchés de produits concernés contenue dans l'arrêt est contradictoire. En outre, cette définition reposerait sur un critère juridique erroné.
8. La première branche de ce moyen concerne les points 64 et 73 de l'arrêt, dans lesquels le tribunal a considéré :
" 64. En l'occurrence, "l'interchangeabilité" des systèmes aseptiques de conditionnement avec les systèmes non aseptiques et des systèmes utilisant le carton avec ceux utilisant d'autres matériaux doit être évaluée en prenant en considération l'ensemble des conditions de concurrence sur le marché général des systèmes de conditionnement destinés aux produits alimentaires liquides. Il en résulte que, dans le contexte spécifique de l'espèce, la thèse de la requérante, consistant à scinder ce marché général en sous-marchés différenciés, selon que les systèmes de conditionnement sont utilisés pour l'emballage du lait, des produits laitiers autre que le lait ou des produits non laitiers, en raison des caractéristiques propres au conditionnement de ces différentes catégories de produits, se traduisant par l'existence éventuelle d'équipements de substitution divers, conduirait à une parcellisation du marché ne reflétant pas la réalité économique. En effet, les machines et les cartons tant aseptiques que non aseptiques se caractérisent par une structure de l'offre et de la demande comparable, quelle que soit leur utilisation, dès lors que tous appartiennent à un même domaine d'activité, celui de l'emballage des produits alimentaires liquides.
...
73. L'analyse des marchés dans le secteur du conditionnement du lait fait ainsi apparaître que les quatre marchés concernés, délimités dans la décision, constituaient bien des marchés distincts. "
9. Selon Tetra Pak, ces deux déclarations s'excluent mutuellement. Soit il convient de prendre en considération le marché général des systèmes de conditionnement destinés aux produits alimentaires liquides, soit il existe quatre marchés distincts. Si le marché concerné avait été le marché général des systèmes de conditionnement destinés aux produits alimentaires liquides, le tribunal aurait dû accueillir l'argument de Tetra Pak selon lequel la Commission avait établi à tort une distinction entre les marchés aseptiques et non aseptiques. Si, en revanche, les marchés aseptiques et non aseptiques devaient être considérés comme distincts, le tribunal n'aurait pas dû rejeter l'argument de Tetra Pak selon lequel la Commission avait inclus à tort les systèmes de conditionnement destinés aux produits non laitiers dans le marché de produits concerné.
10. A cet égard, il convient de souligner que, au point 60 de l'arrêt attaqué, le tribunal a énoncé qu'il lui incombait de vérifier le bien-fondé de la définition des quatre marchés aseptiques et non aseptiques, retenue dans la décision litigieuse. Ensuite, au point 63, il a rappelé que, selon une jurisprudence bien établie, le marché des produits concernés devait être défini en tenant compte de l'ensemble du contexte économique, de manière à pouvoir apprécier la puissance économique effective de l'entreprise en cause, et qu'il importait, à cet effet, de définir au préalable les produits qui, sans être subsitituables à d'autres produits, sont suffisamment interchangeables avec les produits qu'elle propose, en fonction non seulement de leurs caractéristiques propres, mais également des conditions de concurrence et de la structure de la demande et de l'offre sur le marché.
11. Ainsi, au point 64 de l'arrêt attaqué, le tribunal n'a encore procédé à aucune constatation quant au marché en cause. A ce stade de l'examen, il s'est contenté d'établir que l'interchangeabilité des systèmes aseptiques et non aseptiques devait être évaluée sur le marché général des systèmes de conditionnement destinés aux produits alimentaires liquides. Il a ainsi réfuté la thèse de Tetra Pak selon laquelle il convenait de distinguer les marchés en fonction des produits emballés. Ce n'est qu'après une analyse détaillée de la situation sur ce marché général que le tribunal est parvenu, au point 73 de l'arrêt attaqué, à la conclusion que les quatre marchés concernés, délimités dans la décision litigieuse, constituaient bien des marchés distincts.
12. La seconde branche du premier moyen, par laquelle il est reproché au tribunal de s'être fondé sur un critère juridique erroné, comporte trois aspects. Premièrement, Tetra Pak soutient que le marché des machines et des cartons utilisés pour le conditionnement de produits non laitiers aurait dû être exclu du marché concerné. Le tribunal aurait dû examiner, comme l'a fait la Cour dans l'arrêt du 9 novembre 1983, Michelin/Commission (322-81, Rec. p. 3461, point 37), si les produits concernés étaient particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et peu interchangeables avec d'autres produits. Selon Tetra Pak, le tribunal n'aurait pas dû se contenter, comme il l'a fait aux points 65, 74 et 75 de l'arrêt attaqué, de constater d'abord que le secteur du conditionnement du lait était beaucoup plus important que celui du conditionnement des produits non laitiers, et ensuite que les cartons non aseptiques pour le conditionnement des jus de fruits ne constituaient qu'une " part marginale " du marché.
13. Or, comme la Cour l'a précisément constaté au point 37 de l'arrêt Michelin/Commission, précité, les conditions de concurrence et la structure de la demande et de l'offre sur le marché sont des critères pertinents afin de déterminer si certains produits sont interchangeables avec d'autres. C'est donc à juste titre que, en l'espèce, le tribunal a pris en considération la structure de la demande. Il a d'abord constaté, au point 65 de l'arrêt attaqué, que la majeure partie des cartons, tant aseptiques que non aseptiques, servait au conditionnement du lait et que la Commission n'était pas tenue de procéder à une analyse distincte du secteur du conditionnement des produits autres que le lait. Enfin, au point 75, le tribunal s'est fondé sur la stabilité de la demande en cartons aseptiques et non aseptiques utilisés pour le conditionnement des jus de fruits pour démontrer que, dans ce domaine également, il y avait très peu d'interchangeabilité.
14. Deuxièmement, Tetra Pak estime que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 71 de l'arrêt attaqué, qu'il suffisait de constater que les emballages aseptiques utilisant d'autres matériaux que le carton occupaient une part de marché marginale pour exclure une interchangeabilité avec les systèmes utilisant le carton.
15. Il convient de relever que, au point 71 de l'arrêt attaqué, le tribunal a constaté que, pendant la période s' écoulant de l'année 1976 à l'année 1991, les matériaux d'emballage autres que le carton n'ont pu conquérir qu'une part marginale du marché du conditionnement du lait UHT. Ainsi qu'il a été précédemment relevé, cette stabilité de la demande est un critère pertinent pour déterminer si le carton est interchangeable avec d'autres matériaux.
16. Troisièmement, Tetra Pak conteste le raisonnement suivi par le tribunal aux points 66 à 68 de l'arrêt attaqué. Le tribunal y a en effet relevé que " le critère de la subsituabilité suffisante des produits " devait être appliqué " au stade des systèmes de conditionnement eux-mêmes, qui constituent le marché des produits intermédiaires sur lequel la position de Tetra Pak doit être appréciée, et non au stade des produits finaux, en l'occurrence les produits liquides alimentaires conditionnés ". Le tribunal a cependant ajouté, au point 67, que la Commission avait dû tenir compte des répercussions de la demande émanant des consommateurs finaux sur la demande intermédiaire émanant des conditionneurs et qu'elle avait constaté que la modification des habitudes des consommateurs quant au choix du mode de conditionnement du produit aurait été un processus long et coûteux, s'étendant sur plusieurs années. Le tribunal a repris à son compte, au point 68, le raisonnement de la Commission selon lequel des variations faibles mais significatives du prix relatif des différents conditionnements ne seraient pas suffisantes pour déclencher des substitutions entre les différents types de lait auxquels ils sont associés, étant donné que ceux-ci ne sont pas parfaitement interchangeables.
17. Selon Tetra Pak, le tribunal a commis une erreur de droit en tenant compte, dans sa définition du marché concerné, que de la possibilité de substitution à court terme, alors qu'il aurait fallu examiner si les systèmes de conditionnement aseptiques n'étaient exposés que d'une manière peu sensible à la concurrence des systèmes de conditionnement non aseptiques. Selon Tetra Pak, les considérations du tribunal aux points 69 et 70 de l'arrêt attaqué n'établissent pas l'absence d'une concurrence sensible entre les deux systèmes de conditionnement.
18. Il est constant que, dans la partie en question de l'arrêt attaqué, le tribunal a examiné si les systèmes aseptiques étaient suffisamment interchangeables avec ceux non aseptiques. En s'appuyant sur divers critères, il a établi que tel n'était pas le cas.
19. Si le tribunal a fait état, dans ce contexte, d'un processus long et coûteux, ce n'était que pour qualifier ainsi la possibilité d'influencer les habitudes des consommateurs. Les autres facteurs que le tribunal a considérés comme pertinents, tels que les coûts supplémentaires associés au passage d'un système de conditionnement à un autre en raison des différences entre les systèmes de distribution, la nécessité d'une technologie complexe pour produire des machines permettant le conditionnement sous conditions aseptiques du lait UHT dans des cartons et les difficultés rencontrées par les producteurs de systèmes non aseptiques pour accéder au marché des systèmes aseptiques, démontraient une absence d'interchangeabilité suffisante, même à moyen et long termes. Contrairement à ce que prétend Tetra Pak, le tribunal ne s'est donc pas limité à examiner la subsituabilité à court terme.
20. Pour l'ensemble de ces raisons, le premier moyen doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen
21. Par son deuxième moyen, Tetra Pak met principalement en cause le résultat auquel est parvenu le tribunal au point 122 de l'arrêt attaqué, aux termes duquel :
" Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que, dans le contexte de la présente espèce, les pratiques mises en œuvre par Tetra Pak sur les marchés non aseptiques sont susceptibles de relever de l'article 86 du Traité, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'une position dominante sur ces marchés pris isolément, dans la mesure où la prééminence de cette entreprise sur les marchés non aseptiques, combinée avec les liens de connexité étroits entre ces marchés et les marchés aseptiques, conférait à Tetra Pak une indépendance de comportement par rapport aux autres opérateurs économiques présents sur les marchés non aseptiques, de nature à justifier sa responsabilité particulière, au titre de l'article 86, dans le maintien d'une concurrence effective et non faussée sur ces marchés. "
22. Selon Tetra Pak, la jurisprudence citée par le tribunal aux points 114 et 115 de l'arrêt attaqué ne permet pas de conclure qu'une pratique mise en œuvre sur un marché autre que le marché dominé, et qui n'a pas pour objet de renforcer la position sur ce dernier marché, est couverte par l'article 86 du Traité. Tetra Pak soutient qu'une telle conclusion ne peut même pas être justifiée par les liens de connexité entre les différents marchés, tels qu'établis par la Commission et le tribunal.
23. Dans son argumentation, Tetra Pak se réfère particulièrement au fait que, dans sa jurisprudence antérieure, la Cour a toujours examiné soit des abus qui se produisaient sur le marché dominé et dont les effets se faisaient sentir sur un autre marché, soit des abus commis sur un marché sur lequel l'entreprise n'occupait pas de position dominante, mais qui renforçaient sa position sur le marché dominé.
24. Il convient de souligner, tout d'abord, que l'appréciation du tribunal, au point 113 de l'arrêt attaqué, selon laquelle l'article 86 ne comporte aucune indication explicite en ce qui concerne les exigences afférentes à la localisation de l'abus sur les marchés de produits, ne saurait être contestée. Le tribunal pouvait donc à juste titre affirmer, au point 115 de l'arrêt attaqué, que le champ d'application matériel de la responsabilité particulière pesant sur une entreprise dominante doit être appréciée au regard des circonstances spécifiques de chaque espèce, démontrant un affaiblissement de la concurrence.
25. A cet égard, la jurisprudence citée par le tribunal est pertinente. Les arrêts du 6 mars 1974, Istituti Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents Corporation/Commission (6-73 et 7-73, Rec. p. 223), et du 3 octobre 1985, CBEM (311-84, Rec. p. 3261), fournissent des exemples d'abus produisant des effets sur des marchés autres que les marchés dominés. Dans les arrêts du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C-62-86, Rec. p. I-3359, et du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission (Tetra Pak-65-89, Rec. p. II-389), le juge communautaire a qualifié d'abusifs certains comportements sur des marchés autres que les marchés dominés et qui avaient des effets sur ces derniers. C'est donc à juste titre que le tribunal, au point 116 de l'arrêt attaqué, a tiré de cette jurisprudence la conséquence que les allégations de la requérante, selon lesquelles le juge communautaire aurait exclu toute possibilité d'appliquer l'article 86 à un acte commis par une entreprise en position dominante sur un marché distinct du marché dominé, devaient être écartées.
26. Pour les raisons exposées par M. L'Avocat général au point 61 de ses conclusions, Tetra Pak ne saurait pas non plus tirer argument des arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, Rec./Commission (85-76, Rec. p. 461), et Michelin/Commission, précité.
27. Il est exact que l'application de l'article 86 présuppose l'existence d'un lien entre la position dominante et le comportement prétendument abusif, qui n'est normalement pas présent lorsqu'un comportement sur un marché distinct du marché dominé produit des effets sur ce même marché. S'agissant de marchés distincts, mais connexes, comme dans le cas d'espèce, seules des circonstances particulières peuvent justifier une application de l'article 86 à un comportement constaté sur le marché connexe, non dominé, et produisant des effets sur ce même marché.
28. A cet égard, le tribunal a d'abord considéré comme pertinent, au point 118 de l'arrêt attaqué, le fait que Tetra Pak détenait 78 % de l'ensemble du marché des conditionnements en cartons tant aseptiques que non aseptiques, soit sept fois plus que son concurrent le plus proche. Au point 119 de l'arrêt attaqué, il a souligné la prééminence de Tetra Pak dans le secteur non aseptique. Il a ensuite constaté, au point 121 de l'arrêt attaqué, que la position de Tetra Pak sur les marchés aseptiques, dont elle détenait près de 90 % des parts, était quasi-monopolistique. Il a relevé que cette position faisait également de Tetra Pak un fournisseur privilégié de systèmes non aseptiques. Enfin, il a conclu, au point 122, que, dans le contexte de l'espèce, l'application de l'article 86 se justifiait par la situation sur les différents marchés et les liens de connexité étroits entre ceux-ci.
29. La pertinence des liens de connexité ainsi retenus par le tribunal ne saurait être contestée. Le fait que les différents matériels en cause sont utilisés pour le conditionnement des mêmes produits liquides de base fait apparaître que les clients de Tetra Pak dans un secteur sont aussi des clients potentiels dans l'autre. Cette possibilité est corroborée par des statistiques desquelles il ressort que, en 1987, environ 35 % des clients de Tetra Pak achetaient à la fois des systèmes aseptiques et non aseptiques. A cet égard, il est également pertinent de relever que Tetra Pak et son concurrent le plus important, PKL, étaient présents sur les quatre marchés. Etant donné sa domination presque totale des marchés aseptiques, Tetra Pak pouvait également compter sur un statut privilégié sur les marchés non aseptiques. Grâce à sa position sur les premiers marchés, Tetra Pak pouvait concentrer ses efforts sur les seconds en agissant indépendamment des autres opérateurs économiques.
30. Ce sont les circonstances précédemment décrites, prises dans leur ensemble et non pas isolément, qui ont permis au tribunal, sans qu'il lui soit nécessaire de démontrer la domination de Tetra Pak sur les marchés non aseptiques, d'attribuer à cette entreprise une indépendance de comportement à l'égard des autres opérateurs économiques sur ces marchés.
31. Eu égard à ces éléments, c'est à bon droit que le tribunal a admis l'application en l'espèce de l'article 86 du traité, compte tenu de ce que la position quasi monopolistique détenue par Tetra Pak sur les marchés aseptiques et sa position prééminente sur les marchés non aseptiques, distinctes, mais étroitement connexes, plaçaient cette entreprise dans une situation assimilable à la détention d'une position dominante sur l'ensemble des marchés en cause.
32. Une entreprise qui se trouve dans une telle situation est nécessairement en mesure de prévoir que son comportement peut relever de l'article 86 du traité. Dans ces conditions, et contrairement à ce que prétend la requérante, les exigences liées à la sécurité juridique sont respectées.
33. Il résulte des considération qui précèdent que le deuxième moyen doit être rejeté.
Sur le troisième moyen
34. Par le troisième moyen, Tetra Pak fait valoir que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant les ventes liées des cartons et des machines de conditionnement comme contraires à l'article 86, alors qu'il existait un lien naturel entre ces produits et que les ventes liées étaient conformes aux usages commerciaux.
35. En effet, Tetra Pak interprète l'article 86, deuxième alinéa, sous d), du Traité comme interdisant seulement la pratique consistant à subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.
36. Il convient de relever, en premier lieu, que le tribunal a expressément rejeté l'argument présenté par Tetra Pak pour démontrer le lien naturel entre les machines et les cartons. En effet, au point 82 de l'arrêt attaqué, le tribunal a constaté que " l'examen des usages commerciaux ne permet pas de conclure au caractère indissociable des machines destinées au conditionnement d'un produit, d'une part, et des cartons, d'autre part. Il existe, en effet, de longue date, des producteurs indépendants, spécialisés dans la fabrication de cartons non aseptiques destinés à être utilisés dans des machines produites par d'autres entreprises et ne produisant pas eux-mêmes de machines ". Tout en se référant aux usages commerciaux, cette appréciation écarte l'existence du lien naturel invoqué par Tetra Pak en affirmant que d'autres entreprises peuvent produire des cartons destinés à être utilisés dans les machines de Tetra Pak. En ce qui concerne les cartons aseptiques, le tribunal a constaté, au point 83 de l'arrêt attaqué, que " tout producteur indépendant est parfaitement libre, au regard du droit communautaire de la concurrence, de fabriquer des produits consommables destinés à être utilisés dans des appareils fabriqués par d'autres à moins que, ce faisant, il ne porte atteinte à un droit de propriété intellectuelle détenu par un concurrent ". Le tribunal a également relevé, au point 138, pour rejeter l'argument tiré du prétendu lien naturel, qu'il n'appartenait pas à Tetra Pak d'imposer, de sa propre initiative, certaines mesures en vertu de considérations d'ordre technique ou concernant la responsabilité du fait des produits, la protection de la santé publique et la protection de sa réputation. Toutes ces considérations démontrent que le tribunal estimait que Tetra Pak n'était pas la seule à pouvoir produire des cartons destinés à être utilisés dans ses machines.
37. Il convient ensuite de souligner que la liste des pratiques abusives établie à l'article 86, deuxième alinéa, du Traité n'est pas limitative. En conséquence, même lorsque la vente liée de deux produits est conforme aux usages commerciaux ou lorsqu'il existe un lien naturel entre les deux produits en question, elle peut néanmoins constituer un abus au sens de l'article 86, à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée. Le raisonnement suivi par le tribunal au point 137 de l'arrêt attaqué n'est donc entaché d'aucun vice.
38. Pour ces raisons, le troisième moyen doit également être rejeté.
Sur le quatrième moyen
39. Par ce moyen, Tetra Pak fait valoir que le tribunal a commis une erreur de droit en qualifiant d'éliminatoires, au point 150 de l'arrêt attaqué, les prix pratiqués par Tetra Pak dans le secteur non aseptique, sans admettre qu'il était nécessaire, pour ce faire, d'établir que Tetra Pak pouvait raisonnablement escompter récupérer les pertes ainsi consenties.
40. Tetra Pak estime que la possibilité de récupérer les pertes dues aux ventes éliminatoires fait partie de la notion de pratique de prix d'éviction. Cela résulterait clairement de l'arrêt AKZO/Commission, précité, point 71. Or, comme la Commission et le tribunal admettant que les ventes en deçà du prix de revient n'ont eu lieu que sur les marchés non aseptiques, sur lesquels il n'a pas été constaté de position dominante de Tetra Pak, cette dernière n'avait donc aucune chance réelle de récupérer ses pertes par la suite.
41. Il convient de souligner que c'est effectivement dans l'arrêt AKZO/Commission, précité, que la Cour a consacré l'existence de deux méthodes d'analyse différentes lorsqu'il s'agit de vérifier si une entreprise a pratiqué des prix prédatoires. En premier lieu, les prix inférieurs à la moyenne des coûts variables doivent toujours être considérés comme abusifs. Dans ce cas, une finalité économique autre que l'élimination d'un concurrent n'est pas concevable, car chaque unité produite et vendue entraîne une perte pour l'entreprise. En second lieu, les prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables ne doivent être considérés comme abusifs que lorsqu'un plan d'élimination peut être démontré.
42. Au point 150 de l'arrêt attaqué, le tribunal a procédé au même examen que la Cour dans l'arrêt AKZO/Commission, précité. Pour les ventes de cartons non aseptiques en Italie entre 1976 et 1981, il a constaté que les prix étaient largement inférieurs à la moyenne des coûts variables. La preuve de l'intention d'éliminer les concurrents n'était donc pas nécessaire. En 1982, les prix de ces cartons se situaient entre la moyenne des coûts variables et la moyenne des coûts totaux. C'est la raison pour laquelle, au point 151 de l'arrêt attaqué, le tribunal s'est efforcé, sans d'ailleurs être critiqué à cet égard par la requérante, d'établir que Tetra Pak avait l'intention d'éliminer un concurrent.
43. C'est également à juste titre que le tribunal a, aux points 189 à 191 de l'arrêt attaqué, suivi exactement le même raisonnement quant aux ventes de machines non aseptiques au Royaume-Uni entre 1981 et 1984.
44. Il convient d'ajouter que, dans les circonstances de la présente espèce, il ne serait pas opportun d'exiger en outre, à titre de preuve supplémentaire, qu'il soit démontré que Tetra Pak avait une chance réelle de récupérer ses pertes. En effet, une pratique de prix prédatoires doit pouvoir être sanctionnée dès qu'il y a risque d'élimination des concurrents. Or, un tel risque a été constaté en l'espècepar le tribunal aux points 151 et 191 de l'arrêt attaqué. L'objet recherché, qui est de préserver une concurrence non faussée, ne permet pas d'attendre qu'une telle stratégie aboutisse à l'élimination effective des concurrents.
45. Pour ces raisons, la quatrième moyen doit être rejeté.
Sur le cinquième moyen
46. En dernier lieu, Tetra Pak fait valoir que le tribunal n'a pas répondu à ses arguments portant sur les circonstances atténuantes que la Commission aurait dû prendre en considération lorsqu'elle a fixé le montant de l'amende. Tetra Pak estime que, au point 239 de l'arrêt attaqué, le tribunal s'est limité à examiner si les infractions avaient été commises intentionnellement ou par négligence. Selon Tetra Pak, le tribunal aurait dû en outre tenir compte des particularités du cas d'espèce, y compris de son caractère inédit. Etant donné que le tribunal a confondu la question du caractère intentionnel ou involontaire de l'infraction et celle de savoir si l'absence de précédents constitue une circonstance atténuante, Tetra Pak estime que l'amende doit être annulée ou, à tout le moins, réduite d'une façon substantielle.
47. A cet égard, il convient tout d'abord de relever que, au point 228 de l'arrêt attaqué, le tribunal a effectivement pris en considération l'argument de Tetra Pak sur le caractère inédit aussi bien de la méthode de délimitation du marché des produits que de la justification de l'application de l'article 86 du Traité dans le secteur non aseptique.
48. Ensuite, au point 239 de l'arrêt attaqué, le tribunal a mis en balance la gravité de l'infraction et les circonstances invoquées par le requérante. Il a estimé que, même si, sous certains aspects, la détermination des marchés des produits concernés et de domaine d'application de l'article 86 pouvait présenter une certaine complexité, Tetra Pak, eu égard à sa position quasi-monopolistique sur les marchés aseptiques et à sa prééminence sur les marchés non aseptiques, ne pouvait manquer d'avoir conscience que les pratiques en cause étaient contraires aux règles du traité. Le tribunal en a conclu que le caractère manifeste et la gravité particulière des restrictions à la concurrence résultant des abus en cause justifiaient le maintien du montant de l'amende, nonobstant le caractère prétendument inédit de certaines des appréciations juridiques portées dans la décision litigieuse.
49. Par cette motivation, le tribunal a répondu à suffisance de droit à l'argument tiré par la requérante des circonstances atténuantes qu'elle pouvait invoquer.
50. Le cinquième moyen doit donc également être rejeté.
51. Pour l'ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté dans sa totalité.
Sur les dépens
52. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens de la présente instance.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
Déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) La requérante est condamnée aux dépens.