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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 7 novembre 1996, n° 95-0005635

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Touboul

Défendeur :

Sève d'oc (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

M. Derdeyn, Mme Ilhe-Delannoy

Avoués :

Me Auche-Hedou, SCP Touzery-Cottalorda

Avocats :

Mes Schnell, Bouygues, Merlin

T. com. Sète, du 4 juill. 1995

4 juillet 1995

Faits et procédure :

Par acte sous seing privé du 18 mai 1988 Lucien Touboul exploitant un débit de boissons à l'enseigne " Le Standard " à Meze concluait un accord d'approvisionnement exclusif avec la société Sève d'Oc laquelle, en contrepartie de l'engagement d'achat exclusif de Touboul, lui fournissait une aide financière de 70 000 F.

Le contrat d'approvisionnement exclusif prévoyait outre une durée de 5 ans, l'obligation pour l'acheteur d'acheter des quantités minimales, à peine de rembourser la part non amortie de l'aide financière accordée.

Par un autre acte sous seing privé du 22 décembre 1990 la société Sève d'Oc plaçait en dépôt un banc de glace d'une valeur de 9.148,21 F au débit de boissons " Le Standard ".

Le contrat d'approvisionnement exclusif était exécuté jusqu'à son terme le 17 mai 1993.

Toutefois, à l'échéance du contrat, il apparaissait que Touboul Lucien n'avait pas rempli ses obligations quant aux quantités minimales à acheter. La société Sève d'Oc lui réclamait en conséquence la somme de 41.853 F correspondant à la part non amortie de l'aide financière accordée. Elle réclamait par ailleurs la somme de 9.148,21 F correspondant au prix de la machine déposée.

Sur assignation délivrée à la requête de la société Sève d'Oc à l'encontre de Touboul Lucien le Tribunal de Sète s'est déclaré compétent et a, par jugement du 4 juillet 1995, condamné Touboul à payer à la société Sève d'Oc la somme de 51.001,21,F avec intérêts de droit, ordonné l'exécution provisoire et alloué à la société Sève d'Oc la somme de 3.500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 31 juillet 1995 Touboul Lucien a relevé appel de cette décision.

Prétentions et moyens des Parties :

Touboul Lucien demande à la Cour de réformer le jugement déféré, de débouter la société Sève d'Oc de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts outre celle de 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure Civile.

A l'appui de ses prétentions Touboul Lucien soutient que l'accord d'approvisionnement exclusif du 18 mai 1988 est nul car il se trouve en infraction avec les dispositions communautaires puisque le règlement d'exemption CEE 1984-83 ne permet pas les accords d'achat exclusif que pour certaines bières et certaines boissons alors que la convention litigieuse vise les bières et boissons sans limite.

Il soutient également que la convention litigieuse est aussi en infraction avec les dispositions de l'article 7 du règlement CEE 1984-83.

Touboul Lucien fait encore valoir que la société Sève d'Oc en lui imposant des quantités sans aucune mesure avec celles qu'il pouvait débiter a failli à son obligation d'information pré-contractuelle prévue par la loi du 31 décembre 1989.

Enfin il fait valoir que la demande de restitution de la machine, banc de glace, ne lui a pas été faite dans les formes prévues au contrat.

La société Sève d'Oc demande à la Cour de confirmer la décision déférée et de condamner Touboul à lui payer la somme de 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes la société Sève d'Oc fait valoir que le contrat en cause est conforme aux dispositions communautaires et que l'obligation d'achat d'un minimum d'hectolitres est une obligation purement contractuelle indépendante du droit communautaire.

La société Sève d'Oc fait aussi valoir qu'il est constant qu'elle a déposé au bar " Le Standard " un banc de glace et que Touboul doit lui restituer cette machine ou en payer le prix.

Discussion :

Il convient en exergue de rappeler que la réglementation communautaire s'applique en droit interne et que les dispositions de cette réglementation doivent primer sur la législation interne.

Il apparaît donc qu'un accord d'achat exclusif peut être interdit au titre de l'article 85-1 du Traité de Rome. Toutefois en matière d'achat exclusif de bières il y a lieu d'appliquer le règlement d'exemption de la commission de la communauté Européenne n° 1984-83 du 22 juin 1983 qui permet les accords d'achat exclusif de certaines bières et certaines autres boissons pour des durées de 5 ou 10 ans selon que l'accord porte uniquement sur certaines bières ou porte sur certaines bières et boissons.

Touboul Lucien soutient que l'accord d'achat exclusif conclu avec la société Sève d'Oc ne répond pas aux exigences du règlement d'exemption CEE 1984-83 parce que toutes les bières et boissons y figuraient sans aucune limitation, et que, dès lors, les limites visées à l'article 7 de ce règlement n'étaient pas respectées.

L'article 2 du contrat du 18 mai 1988 prévoit sous le titre " désignation des produits " bières, eaux minérales, limonades, panachés, colas, sodas, tonics et bitters, jus de fruit, nectars de boissons aux fruits, sirops, fontaines à boissons cidres, boissons lactées, lait, vin en litres, vins fins, mousseux et champagnes, café, infusions, boissons en poudre aux fruits ou chocolatées.

Cette énumération des produits soumis à l'obligation d'achat exclusif vise en réalité la quasi totalité des boissons pouvant être distribuées dans un débit de boissons.

L'article 6 du règlement d'exemption CEE 1984-83 précise clairement que les accords d'achat exclusif doivent porter sur certaines bières ou certaines bières et boissons spécifiées.

Le terme " certaines " doit d'entendre comme désignant un nombre assez petit visant une ou des catégories à l'intérieur d'un ensemble plus vaste, catégories de toutes façons en nombre limité.

Cette restriction au demeurant résulte clairement des considérants du règlement d'exemption CEE 1984-83 lesquels mentionnent qu'il doit y avoir limitation de l'objet et limitation de la durée.

En ne limitant pas l'objet de l'accord d'achat exclusif la société Sève d'Oc a contrevenu au règlement CEE 1984-83.

Le contrat conclu le 18 mai 1988 entre la société Sève d'Oc et Touboul Lucien doit donc être annulé s'il contrevient aux dispositions de l'article 85-1 du Traité de Rome interdisant les accords, ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, qui sont susceptibles d'affecter les échanges intracommunautaires.

Il est certain que la convention passée entre Touboul Lucien exploitant un débit de boissons à Mèze et la société Sève d'Oc ne réunit pas par sa seule nature les éléments constitutifs de l'incompatibilité avec le marché commun puisqu'en réalité ce contrat n'affecte en rien le commerce interétatique puisque rien n'interdisait Touboul de s'approvisionner en bières ou autres boissons originaires de quelque état membre de la CEE que ce soit, cela par l'intermédiaire de la société Sève d'Oc soit même par un autre fournisseur si les produits demandés ne figuraient pas au catalogue de son fournisseur exclusif.

Dès lors c'est vainement que Touboul Lucien soutient qu'il y a eu infraction à la réglementation communautaire de nature à entraîner la nullité de l'accord du 18 mai 1988.

Par ailleurs la réglementation communautaire ne stipule pas d'interdiction concernant les quantités à débiter et la clause de quota n'est pas interdite en droit français.

C'est tout aussi vainement que Touboul Lucien sollicite l'application des dispositions de la loi du 31 décembre 1989 puisque ce texte, non rétroactif, ne saurait s'appliquer à un contrat conclu en mai 1988 et le contrat de commodat du 22 décembre 1990, bien qu'il fasse mention de l'obligation d'achat exclusif, n'a pas été une novation du contrat de 1988, à preuve d'ailleurs, que le contrat d'approvisionnement exclusif s'est achevé à la date initialement prévue soit en mai 1993.

Il n'est pas contesté par Touboul Lucien que les quantités imposées par l'accord du 18 mai 1988 n'ont pas été intégralement achetées.

C'est donc à bon droit, par application des dispositions contractuelles que les premiers juges ont condamné Touboul à payer à la société Sève d'Oc le montant de la part non amortie de l'aide financière accordée, soit la somme de 41.853 F non contestée.

De ce chef leur décision doit être confirmée.

En ce qui concerne la restitution de la machine banc de glace il est constant et non contesté par Touboul que cette machine évaluée lors de sa remise à 9.148 F a été déposée dans son débit de boissons à titre de commodat.

Il résulte des dispositions contractuelles non contestées que la société Sève d'Oc pouvait reprendre son matériel après envoi d'une lettre recommandée de préavis en cas d'interruption ou de rupture des relations commerciales.

Il n'est pas contesté par la société Sève d'Oc qu'elle n'a pas envoyé de courrier recommandé mais seulement un courrier simple. Toutefois depuis le jour de l'assignation Touboul Lucien ne pouvait ignorer la demande de restitution de la machine puisqu'il était mis en demeure de la payer.

C'est vainement que Touboul allègue que la société Sève d'Oc doit elle même lui restituer une machine remplacée par le banc de glace car il ne fournit aucun élément de preuve démontrant l'échange des machines.

Il convient donc de condamner Touboul à restituer le banc de glace et ce sous astreinte provisoire.

L'application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile conduit à allouer une somme de 3 000 F à la société Sève d'Oc.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, En la forme reçoit l'appel, Au fond, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Touboul Lucien à payer à la société Sève d'Oc, avec intérêts de droit à compter du jour de l'assignation, la somme de Quarante et un mille huit cent cinquante trois francs (41.853 F) représentant la part non amortie de l'aide financière et en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Sève d'Oc la somme de trois mille cinq cents francs (3.500 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Réforme le jugement déféré pour le surplus, Et statuant à nouveau, Condamne Touboul Lucien à restituer à la société Sève d'OC un banc de glace BK N° 18941 293, ce, sous peine d'astreinte provisoire de cinq cents francs (500 F) par jour de retard passé un mois après la notification du présent arrêt et pendant un délai d'un mois au terme duquel il sera à nouveau statué, Condamne Touboul Lucien à payer à la société Sève d'Oc une somme de trois mille francs (3 000 F) TTC au titre de l'application en cause d'appel de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Touboul Lucien aux entiers dépens de première instance et d'appel. Dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.