TPICE, 3e ch. élargie, 8 octobre 1996, n° T-24/93
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Compagnie maritime belge transports (SA), Compagnie maritime belge (SA), Dafra-Lines (A/S), Deutsche Afrika-Linien GmbH & Co., Nedlloyd Lijnen (BV)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Grimaldi (Sté), Cobelfret (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Briët
Juges :
Mme Lindh, MM. Potocki, Moura Ramos, Cooke
Avocats :
Mes Waelbroeck, Pappalardo, Clough, Strobel, Ottervanger, Steenbergen.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),
Faits à l'origine du litige
1. A la suite de plaintes dont elle avait été saisie sur le fondement de l'article 10 du règlement (CEE) n° 4056-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L. 378, p. 4) (ci-après "règlement n° 4056-86"), la Commission a ouvert une enquête sur les pratiques des conférences maritimes opérant sur les lignes entre l'Europe et l'Afrique de l'Ouest.
2. L'une de ces plaintes avait été déposée par l'Association of Independent West African Shipping Interests (ci-après "Aiwasi"), groupement d'armateurs communautaires indépendants, c'est-à-dire n'appartenant pas à une conférence maritime. Grimaldi, armateur indépendant dont le siège est à Palerme, et Cobelfret, armateur indépendant dont le siège est à Anvers (conjointement dénommés ci-après "G et C"), sont membres fondateurs de l'Aiwasi. A partir de juillet 1985, G et C ont mis en place un service commun de desserte entre l'Europe du Nord et le Zaïre.
3. L'Associated Central West Africa Lines (ci-après "Cewal") est une conférence maritime dont le secrétariat se situe à Anvers. Elle regroupe des compagnies maritimes qui assurent un service régulier de ligne entre des ports du Zaïre et de l'Angola et ceux de la mer du Nord, à l'exception du Royaume-Uni.
4. La Compagnie maritime belge SA (ci-après "CMB") est une société holding du groupe CMB. Celui-ci exerce ses activités notamment dans le secteur de l'armement, de la gestion et de l'exploitation des opérations de trafic maritime. Le 7 mai 1991, les services de ligne et intermodaux ont été constitués en une entité juridique distincte, la Compagnie maritime belge transports SA (ci-après "CMBT"), avec effet au 1er janvier 1991.
5. Dafra-Lines A/S (ci-après "Dafra-Lines") est membre de Cewal. Depuis le 1er janvier 1988, Dafra-Lines est une société du groupe CMB.
6. Deutsche Afrika-Linien GmbH & Co. (ci-après "DAL") est membre de la conférence Cewal. Jusqu'au 1er avril 1990, elle était l'unique actionnaire de la société Woermann-Linie Afrikanische Schiffahrts-Gesellschaft mbH. A cette date, elle a cédé ses titres à CMB, qui, à compter du 1er janvier 1991, a intégré les activités de la société au sein de CMBT.
7. Nedlloyd Lijnen BV (ci-après "Nedlloyd") est également membre de Cewal.
8. Au terme de son enquête, la Commission a adopté la décision 93-82-CEE du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-32.448 et IV-32.450: Cewal, Cowac, Ukwal) et de l'article 86 du traité CEE (IV-32.448 et IV-32.450: Cewal) (JO 1993, L. 34, p. 20) (ci-après "Décision"). Cette décision constate une infraction à l'article 85 commise par trois conférences maritimes ainsi qu'une infraction à l'article 86 de la part des membres de Cewal et inflige en conséquence à certains d'entre eux une amende. Elle peut être résumée comme suit.
Présentation de la Décision
Le cadre juridique d'exercice des activités de transport maritime international de fret
9. Pour une liaison maritime donnée, les modalités de répartition des cargaisons transportées par une conférence maritime sont prévues par un code de conduite établi par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (ci-après "Code Cnuced") et, en particulier, par la règle de répartition dite "40: 40: 20". Selon cette règle, les armements nationaux des pays situés de part et d'autre d'une liaison maritime donnée se voient octroyer chacun 40 % des cargaisons transportées par la conférence, alors que les 20 % restants sont attribués aux armements des pays tiers, membres de la même conférence.
10. En outre, la politique des Etats africains en matière de transport maritime international est harmonisée au sein de la Conférence ministérielle des Etats de l'Afrique de l'Ouest et du Centre pour le transport maritime (Cmeaoc), créée en 1975. Cette conférence a adopté diverses résolutions encourageant les Etats africains à réserver en priorité leur fret à des armements nationaux et à adopter des systèmes de contrôle de l'application effective de la "clé de répartition" du trafic, telle que prévue par le Code Cnuced.
11. Sur la route maritime reliant l'Europe du Nord au Zaïre, la répartition des cargaisons selon la règle 40: 40: 20 du Code Cnuced est concrétisée par trois types de mesures:
- la participation de la Compagnie maritime zaïroise (ci-après "CMZ") en tant que membre de la conférence Cewal;
- la mise en place, par les autorités zaïroises, d'un cadre normatif constitué par l'ordonnance-loi n° 67-272 du 23 juin 1967 et par la circulaire n° 139 (IV) du 13 janvier 1972 de la Banque du Zaïre. Cette circulaire, adoptée dans le cadre de la réglementation des changes, disposait, notamment, que les marchandises importées en république du Zaïre au départ des ports allemands, belges, néerlandais et scandinaves, ou exportées de la république du Zaïre à destination de ces ports, devaient être transportées par les navires des armements affiliés à Cewal. En outre, afin de contraindre les armateurs à substituer, dans les conventions d'affrètement conclues avec les chargeurs, un système de remise immédiate à un système de remise différée, coûteux pour les autorités monétaires zaïroises, les banques agréées n'étaient plus autorisées à régler en monnaies étrangères le coût des transports maritimes qui, n'ayant pas respecté ces dispositions réglementaires, ne bénéficiaient pas du rabais immédiat figurant sur la facture.
Après la publication de cette circulaire, les contrats conclus par les armements de Cewal inclurent effectivement un mécanisme de ristournes immédiates. Jusqu'en 1985, l'application du système a été assurée par une mention spéciale, apposée sur les documents de change, attestant que le fret était transporté par un navire armé par Cewal ("Embarquement par navire Cewal"). Par une circulaire en date du 26 décembre 1985, la Banque du Zaïre a annoncé la suppression de ce système;
- la conclusion d'un accord entre l'Office [zaïrois] de gestion du fret maritime (ci-après "Ogefrem") et Cewal, dont l'article 1 dispose:
"L'Ogefrem, tenant compte des prérogatives légales à lui confiées, et la conférence Cewal veilleront à ce que l'ensemble des marchandises à transporter dans le cadre du champ d'action de la conférence Cewal soit confié aux armements membres de cette conférence maritime.
Avec l'accord explicite des deux parties concernées, des dérogations pourront être accordées."
En dépit de ce second alinéa, l'Ogefrem, sans l'accord de Cewal, a admis une compagnie maritime non membre de cette conférence, à savoir G et C, à participer à l'exécution du trafic à destination et en provenance du Zaïre.
Les infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité
12. A la date des faits litigieux, le trafic entre les ports de l'Europe de l'Ouest et du Nord et ceux de l'Afrique de l'Ouest se trouvait réparti entre trois conférences maritimes: Cewal, Continent West Africa Conference (ci-après "Cowac") et United Kingdom West Africa Lines Joint Service (ci-après "Ukwal"), chacune de ces conférences exploitant des faisceaux de lignes distincts.
13. Dans sa Décision, la Commission a constaté que cette répartition du trafic était le résultat de certains accords conclus entre les trois conférences, dont l'objet était d'interdire aux compagnies membres d'une conférence d'opérer en tant qu'armateur indépendant dans les ports relevant de la sphère d'influence de l'une des deux autres conférences. Pour opérer sur une ligne d'une autre conférence, une compagnie devait au préalable adhérer à cette conférence.
14. La Commission a conclu que ces accords constituaient un cloisonnement de marché, contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, et ne pouvaient être exemptés ni au titre de l'article 3 du règlement n° 4056-86, ni au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.
Les infractions à l'article 86 du traité
15. Après avoir défini le marché pertinent, la Commission a constaté l'existence d'une position dominante détenue collectivement par les membres de la conférence Cewal. Elle a qualifié d'abusives, au sens de l'article 86 du traité, trois pratiques mises en œuvre par les membres de cette conférence en vue d'obtenir l'élimination du principal concurrent indépendant sur le trafic en cause consistant à:
- participer à la mise en œuvre de l'accord de coopération avec l'Ogefrem et demander itérativement, par diverses démarches, son strict respect;
- modifier ses taux de fret en dérogeant aux tarifs en vigueur afin d'obtenir des taux identiques ou inférieurs à ceux du principal concurrent indépendant pour des navires partant à la même date ou à des dates voisines (pratique dite des "navires de combat"). Selon la Décision, l'ensemble du système aboutissait à des pertes subies par les membres de Cewal;
- établir des accords de fidélité imposés à 100 % (y compris sur les marchandises vendues franco à bord) allant au- delà des dispositions de l'article 5, point 2, du règlement n° 4056-86, avec l'utilisation spécifique de "listes noires" des chargeurs infidèles.
Le dispositif de la Décision et les sanctions infligées
16. Le dispositif de la Décision constate une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité (article 1er), et à son article 86 (article 2). Elle émet une injonction de cesser ces infractions (article 3) et une injonction tendant à éviter le renouvellement de l'infraction constatée à l'article 1er (article 4). Elle recommande la mise en conformité des contrats de fidélité avec les dispositions de l'article 5, point 2, du règlement n° 4056-86 (article 5). Sur le fondement de l'article 19, paragraphe 2, de ce règlement, elle inflige, à raison des abus de position dominante constatées à l'article 2, les amendes suivantes (article 6):
- 9,6 millions d'écus pour CMB;
- 200 000 écus chacune pour Dafra-Lines et Deutsche Afrika Linien-Woermann Linie;
- 100 000 écus pour Nedlloyd Lijnen BV.
Ces amendes devaient être payées dans un délai de trois mois suivant la notification de la Décision. A défaut, elles portaient intérêt de plein droit au taux annuel de 13,25 % (article 7).
Procédure
17. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 mars 1993, CMB et CMBT ont introduit un recours, inscrit sous le numéro T-24-93, ayant pour objet, à titre principal, l'annulation de la Décision.
18. Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le 13 avril 1993, CMBT a également introduit une demande de mesures provisoires, en vue d'obtenir le sursis à l'exécution, jusqu'au prononcé de l'arrêt du Tribunal sur le fond du litige, d'une part, des articles 6 et 7 du dispositif de la Décision, en ce qu'ils infligent une amende à CMB et, d'autre part, de l'article 3 de la Décision, en ce qu'il impose à la conférence Cewal et à ses membres de mettre fin à l'accord de coopération avec l'Ogefrem.
19. Par ordonnance du 13 mai 1993 (CMBT/Commission, T-24-93 R, Rec. p. II-543), le président du Tribunal a admis G et C à intervenir dans la procédure en référé et a rejeté la demande de mesures provisoires.
20. Par ordonnance du 23 juillet 1993 (non publiée au Recueil), le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis G et C à intervenir dans le litige, au soutien des conclusions de la défenderesse, et a partiellement fait droit à la demande des requérantes tendant au traitement confidentiel, à l'égard de G et C, de certaines pièces de la requête et de ses annexes.
21. Par ordonnance du 21 mars 1994 (non publiée au Recueil), le président de la deuxième chambre du Tribunal a partiellement fait droit à la demande des requérantes tendant au traitement confidentiel, à l'égard de G et C, de certaines pièces des mémoires en défense, en réplique et en duplique, ainsi que de certaines de leurs annexes.
22. Par ordonnance du 19 mars 1996 (non publiée au Recueil), le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a rejeté la demande des requérantes tendant au traitement confidentiel, à l'égard de G et C, de certains extraits des réponses de la Commission aux questions écrites posées par le Tribunal et de certaines annexes à ces réponses.
23. Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 19 et 22 mars 1993, Dafra-Lines, DAL et Nedlloyd ont chacune formé un recours. Ces recours ont été inscrits respectivement sous les numéros T-25-93, T-26-93 et T-28-93, et ont pour objet, à titre principal, l'annulation de la Décision.
24. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Toutefois, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, il a invité les parties à produire certaines pièces et à répondre à certaines questions écrites.
25. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales lors de l'audience publique du 26 mars 1996.
Conclusions des parties
26. Dans l'affaire T-24-93, les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la Décision dans sa totalité;
- subsidiairement:
-- annuler ou, à tout le moins, réduire l'amende infligée à la requérante;
-- enjoindre à la Commission de produire tous documents relatifs au calcul du montant de l'amende;
- en tout état de cause, mettre les dépens à la charge de la Commission.
La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux de la demande de mesures provisoires.
Les intervenantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux de la demande de mesures provisoires, encourus par la Commission et par les intervenantes.
27. Dans l'affaire T-25-93, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la Décision;
- subsidiairement:
-- annuler ou, à tout le moins, réduire l'amende infligée;
-- enjoindre à la Commission de produire tous documents relatifs au calcul du montant de l'amende;
- en tout état de cause, mettre les dépens à la charge de la Commission.
28. Dans l'affaire T-26-93, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la Décision;
- subsidiairement, annuler ou, du moins, réduire l'amende infligée à la requérante;
- condamner la Commission aux dépens.
29. Dans l'affaire T-28-93, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler, entièrement ou partiellement, la Décision;
- annuler ou, du moins, réduire l'amende infligée à la requérante;
- prendre les mesures qu'il jugera appropriées;
- condamner la Commission aux dépens.
30. Dans les affaires T-25-93, T-26-93 et T-28-93, la défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner la requérante aux dépens de l'instance.
31. Les parties entendues sur ce point à l'audience, le Tribunal (troisième chambre élargie) décide de joindre les quatre affaires aux fins de l'arrêt.
Sur les conclusions principales, tendant à l'annulation de la Décision
32. Les requérantes invoquent quatre moyens au soutien de leurs conclusions en annulation. En premier lieu, dans l'affaire T-26-93, la requérante fait valoir un moyen tiré de vices de procédure. En deuxième lieu, les requérantes soutiennent, dans les affaires T-24-93, T-25-93 et T-28-93, que les pratiques litigieuses n'affectent pas les échanges intracommunautaires et, dans les affaires T-24-93 et T-25-93, que les marchés concernés ne font pas partie du Marché commun. En troisième lieu, dans les affaires T-24-93, T-25-93 et T-26-93, les requérantes contestent que les pratiques litigieuses aient eu pour objet ou pour effet de fausser la concurrence, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En quatrième lieu, dans chacune des affaires, elles soutiennent que les pratiques litigieuses ne sont pas constitutives d'un abus de position dominante, au sens de l'article 86 du traité.
1. Sur le premier moyen, tiré des vices de procédure qui affecteraient la légalité de la Décision
Arguments des parties
33. Dans l'affaire T-26-93, la requérante, DAL, soutient, en premier lieu, qu'elle n'a pas été destinataire de la communication des griefs du 14 août 1990, adressée à la société Woermann-Linie Afrikanische Schiffahrts-Gesellschaft mbH. Or, à cette date, cette société avait déjà été cédée à CMB, avec effet au 1er avril 1990, et DAL n'était plus membre de Cewal. Les griefs formulés par la Commission s'adresseraient aux membres de la conférence désignés à l'annexe A de cette communication, dont la requérante est absente. Dans ces conditions, la Décision aurait été adoptée en méconnaissance des droits de la défense (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, Rec. p. 2639). En second lieu, l'article 6 de la Décision infligerait une amende à une société, Deutsche Afrika Linien-Woermann Linie, qui n'existe pas. Or, lorsqu'une décision inflige une amende à ses destinataires, comme en l'espèce, ceux-ci doivent pouvoir être identifiés clairement. En ne précisant pas si elle entend viser DAL et/ou Woermann-Linie Afrikanische Schiffahrts-Gesellschaft mbH, la Décision serait entachée d'un vice de procédure.
34. La Commission rappelle, à titre liminaire, que la requérante était initialement l'unique actionnaire de Woermann-Linie Afrikanische Schiffahrts-Gesellschaft mbH et que, à compter du 1er avril 1990, elle a cédé ses parts à CMB. S'agissant du destinataire de la communication des griefs, la Commission soutient que, ainsi qu'il ressortirait de l'annexe K 7 de la requête, la requérante a bien reçu communication des griefs et y a répondu, si bien qu'il ne saurait être question de violation des droits de la défense. S'agissant du destinataire de la Décision, la Commission soutient que la requérante devait savoir que la Décision portait sur sa responsabilité dans le comportement de Woermann-Linie, dont la requérante - qui n'opérait en Afrique occidentale et centrale que sous le nom de Woermann-Linie - était l'unique actionnaire, à la date des faits. Dans ces conditions, la Commission estime que la requérante soutient à tort que les griefs ont été adressés à une entreprise différente de celle destinataire de la Décision.
Appréciation du Tribunal
35. Le Tribunal constate, en premier lieu, que la requérante, DAL, était, jusqu'au 1er avril 1990, l'unique actionnaire de Woermann-Linie Afrikanische Schiffahrts-Gesellschaft mbH. Ainsi qu'il ressort de l'annexe K 7 de la requête, la requérante a elle-même répondu à la communication des griefs, dont elle ne conteste pas avoir eu connaissance. En outre, ainsi qu'elle l'a elle-même affirmé en introduction à cette réponse, la requérante a répondu à la communication des griefs établie au nom de Woermann-Linie, étant donné que les faits incriminés sont antérieurs à la cession de la filiale. Dans ces conditions, le Tribunal considère que la première branche du moyen, tirée de la violation des droits de la défense, doit être rejetée.
36. En second lieu, le Tribunal constate que, conformément à l'annexe I de la Décision, la société "Deutsche Afrika Linien-Woermann Linie" a été destinataire de la Décision. Il n'est pas contesté que cette dénomination ne correspond, en elle-même, à aucune société juridiquement existante. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, la requérante ne peut prétendre ne pas avoir compris que la communication des griefs la visait en tant que maison mère de Woermann-Linie à l'époque des faits. Dès lors, le Tribunal considère que la formulation retenue à l'annexe I de la Décision et à son article 6, consistant à accoler et à contracter les noms de la société mère et de la filiale, indiquait clairement à la requérante que la Décision lui était adressée et qu'une amende lui était infligée, en raison du comportement de son ancienne filiale dont elle était l'unique actionnaire jusqu'au 1er avril 1990 et sous le nom de laquelle elle opérait en Afrique occidentale et centrale.
37. Il y a lieu en conséquence de rejeter le premier moyen.
2. Sur le deuxième moyen, tiré de l'absence d'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité
Arguments des parties
38. En premier lieu, les requérantes soulignent que l'objectif même des conférences maritimes est de rationaliser les services de transport maritime, ainsi que le reconnaissent le document intitulé Vers une politique commune des transports - Rapport sur les transports maritimes [COM (85) 90 final, paragraphes 62 et suivants] et le huitième considérant du préambule du règlement n° 4056-86. Dès lors, les avantages offerts par les conférences maritimes justifieraient l'acceptation de certaines restrictions de concurrence, en compensation du profit que les usagers tirent du système. L'article 3 du règlement n° 4056-86 exempterait d'ailleurs la pratique reprochée par la Commission.
39. En second lieu, les requérantes soutiennent que, en pratique, le système choisi par les conférences maritimes préserve la concurrence entre leurs membres, dans la mesure où il laisse entière la possibilité d'adhérer à une autre conférence et donc d'opérer sur le trafic en cause en qualité de membre de celle-ci. Or, contrairement à ce qu'affirme la Commission au point 37 de sa Décision, la procédure d'adhésion à une conférence d'un membre d'une autre conférence ne serait ni longue ni incertaine, comme en attesterait le fait que, parmi les 45 membres appartenant à l'une des trois conférences en cause, 27 sont membres d'au moins deux d'entre elles. En outre, si G et C n'ont pu adhérer à Cewal, à laquelle la Commission reprocherait à tort d'être une conférence "fermée", ce serait uniquement en raison de leur refus de remplir le questionnaire d'adhésion.
40. Au stade de la réplique, les requérantes discutent la validité des éléments de preuve sur lesquels s'appuie la Décision. Elles en déduisent l'inexactitude de l'affirmation figurant au point 38 des motifs de la Décision, selon laquelle des accords entre les membres des conférences interdisent à leurs membres d'opérer en tant qu'armateurs indépendants dans les zones d'activité de chacune des deux autres conférences.
41. La Commission oppose à la première branche du moyen que, si, selon le règlement n° 4056-86, l'avantage procuré par les conférences maritimes justifie certaines restrictions de concurrence, l'exemption octroyée à l'article 3 du règlement ne couvre toutefois pas toutes les activités des conférences maritimes et notamment pas les accords de non-concurrence du type de celui en cause en l'espèce. Le règlement prévoirait d'ailleurs expressément, en son huitième considérant, l'existence d'armements indépendants.
42. La Commission objecte à la seconde branche du moyen que les requérantes ne sont pas recevables à contester pour la première fois au stade de la réplique l'existence même de tout engagement de non-concurrence entre les trois conférences.
43. Sur le fond, l'allégation des requérantes, relative à l'absence d'accord entre les conférences maritimes, serait contredite, tant par la réponse de Cewal à la communication des griefs que par un certain nombre d'autres documents apportés par Cewal. Tous ces documents feraient état d'engagements de non-immixtion des membres d'une conférence dans les trafics assurés par les deux autres conférences, qui se seraient poursuivis après l'entrée en vigueur du règlement n° 4056-86.
44. En outre, selon la Commission, la seule question est de savoir s'il existait des accords anticoncurrentiels entre conférences maritimes. La prise en charge éventuelle d'une partie du trafic par des armements indépendants serait, de ce fait, sans incidence. De même, l'allégation selon laquelle la concurrence entre les trois conférences serait préservée par la libre adhésion des membres d'une conférence à une autre conférence serait sans pertinence, dès lors que l'objet des accords incriminés serait de restreindre la concurrence. Quant au caractère fermé de la conférence, elle estime qu'il ne s'agit nullement d'un grief.
45. Les intervenantes n'ont pas présenté d'observations sur ce point.
Appréciation du Tribunal
46. A titre liminaire, le Tribunal relève que les accords entre conférences, aux termes desquels les membres d'une conférence doivent s'abstenir d'intervenir, en qualité d'armateurs indépendants, sur la zone d'activité d'une autre conférence partie à l'accord, sont explicitement mentionnés dans le télex du président de Cewal à Cowac, en date du 6 octobre 1989, et dans le compte rendu du Zaïre Pool Committee du 19 septembre 1989. Cewal avait, du reste, expressément admis l'existence de ces accords dans sa réponse à la communication des griefs. Dès lors, le moyen tiré de l'absence d'accords entre conférences doit être rejeté, sans qu'il y ait lieu de statuer sur son caractère nouveau au sens du règlement de procédure.
47. L'argumentation des requérantes tend, ensuite, à nier que de tels accords puissent constituer une infraction à l'article 85 du traité.
48. A cet égard, le Tribunal rappelle, en premier lieu, que, compte tenu du principe général d'interdiction des ententes anticoncurrentielles édicté à l'article 85, paragraphe 1, du traité, les dispositions à caractère dérogatoire insérées dans un règlement d'exemption doivent, par nature, faire l'objet d'une interprétation restrictive (arrêt du Tribunal du 22 avril 1993, Peugeot/Commission, T-9-92, Rec. p. II-493, point 37). Tel doit également être le cas des dispositions du règlement n° 4056-86 qui exemptent certains accords de l'interdiction énoncée à l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'article 3 du règlement constituant une exemption par catégorie au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité.
49. A ce titre, le Tribunal considère que les requérantes ne peuvent valablement prétendre que les pratiques litigieuses bénéficient de l'exemption octroyée à l'article 3, sous c), du règlement n° 4056-86, relatif à la coordination ou la répartition des voyages ou des escales "entre membres de la conférence", dès lors que sont en cause en l'espèce des accords de répartition entre conférences. En outre, l'exemption octroyée à l'article 3 vise les accords qui, en premier lieu, ont pour objet de fixer en commun des tarifs, ce qui n'est nullement le cas en l'espèce.
50. Par ailleurs, les parties ne peuvent utilement se prévaloir de ce que l'objectif même d'une conférence maritime aurait été reconnu bénéfique, ce qui n'est nullement contesté par la Commission. Une telle circonstance, si elle est de nature à justifier les exemptions octroyées par le règlement, ne saurait signifier que toute atteinte à la concurrence qui est le fait de conférences maritimes échappe au principe d'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
51. Pour le surplus, le Tribunal considère que les arguments des requérantes ne sont pas pertinents. Ainsi, les raisons pour lesquelles G et C n'ont pu adhérer à Cewal sont sans incidence, dès lors que l'atteinte à la concurrence dénoncée consiste en l'existence d'accords entre conférences. De même, la circonstance que les conditions d'adhésion à une conférence ne seraient ni longues ni incertaines est sans pertinence, dès lors que l'objet même des accords est d'interdire aux membres d'une conférence de desservir une ligne d'une autre conférence en tant qu'armement indépendant.
52. Le moyen fondé sur l'absence d'infraction à l'article 85 du traité doit en conséquence être rejeté.
3. Sur le troisième moyen, tiré de l'absence d'infraction à l'article 86 du traité
Sur le moyen pris en sa première branche, relative à l'absence de position dominante détenue collectivement par les membres de Cewal
Quant au caractère collectif de la position des membres de Cewal sur le marché
- Arguments des parties
53. Les requérantes soutiennent que l'article 86 du traité prohibe l'utilisation abusive, par une ou plusieurs entreprises, d'une position dominante, mais non le fait, pour une ou plusieurs entreprises, de détenir une position dominante, individuelle ou collective. Il en résulterait que la notion d'exploitation abusive d'une position dominante collective ne pourrait s'appliquer que dans la situation exceptionnelle où des entreprises ont abusé collectivement de la position dominante qu'elles détiennent individuellement, sauf à nier l'effet utile de l'article 85 du traité.
54. Selon les requérantes, dans l'arrêt du 10 mars 1992, Vetro ea/Commission (T-68-89, T-77-89 et T-78-89, Rec. p. II-1403), le Tribunal aurait seulement admis, dans son principe, l'existence d'une position dominante collective. En aucune manière, cet arrêt, qui, en son point 358, se référait aux conférences maritimes, ne saurait être interprété comme signifiant que les membres d'une conférence maritime sont, par hypothèse, en position dominante collective. Contrairement à la règle posée par le Tribunal au point 360 de l'arrêt Vetro ea, précité, la Commission se serait bornée à "recycler" des faits prétendument constitutifs d'une infraction à l'article 85, mais exemptés en vertu du règlement n° 4056-86, pour les condamner au titre de l'article 86. En constatant l'existence d'un tarif commun entre les membres de Cewal, la Commission n'aurait pas démontré en l'espèce, comme elle l'a fait dans sa décision 92-262-CEE du 1er avril 1992, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (IV-32.450 - Comités armatoriaux franco-ouest-africains) (JO L. 134, p. 1, points 53 et suivants), l'existence d'une position dominante collective.
55. Selon la Commission, qui se réfère notamment à l'arrêt Vetro ea, précité (points 358 et 359), il n'est plus possible de nier l'existence de positions dominantes détenues conjointement. Dans cet arrêt, le Tribunal aurait d'ailleurs cité les conférences maritimes comme exemple de groupes d'entreprises susceptibles de se trouver en pareille position. Selon l'arrêt du Tribunal, une position dominante peut être détenue par deux ou plusieurs entités économiques indépendantes, unies par des liens économiques si étroits qu'elles occupent ensemble une position dominante par rapport aux autres opérateurs présents sur le même marché. Enfin, estime la Commission, la notion de position dominante collective ne rend nullement redondant l'article 85 du traité, lequel s'applique aux ententes horizontales qui, faute de liens économiques suffisamment forts entre leurs membres, n'engendrent pas une position dominante collective de ceux-ci. L'article 85 interdirait certaines formes de comportements collusoires, alors que l'article 86 s'appliquerait aux comportements unilatéraux. En l'espèce, les conférences maritimes opéreraient, dans une large mesure, comme une seule et même entité vis-à-vis de la clientèle et des concurrents. Les requérantes n'auraient d'ailleurs pas nié l'existence de tels liens économiques étroits résultant de l'accord de conférence.
56. La Commission conteste également que l'application de l'article 85 du traité soit exclusive de celle de son article 86. Selon elle, une application cumulative de ces dispositions est possible, pourvu que les conditions d'application propres à chacun de ces deux articles soient réunies (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Tetra Pak/Commission, T-51-89, Rec. p. II-309, point 21). C'est pourquoi la Commission estime qu'il ne saurait lui être fait grief d'avoir "recyclé" des faits tombant sous le coup de l'article 85 du traité pour les soumettre à son article 86. D'une part, en droit, l'existence d'une exemption catégorielle ne ferait pas obstacle à l'applicabilité de l'article 86, dès lors que l'entreprise concernée est en position dominante sur le marché de référence (arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 25), ainsi d'ailleurs que le prévoirait expressément l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86. D'autre part, en fait, les abus commis par Cewal n'étaient pas couverts par l'exemption catégorielle octroyée par le règlement n° 4056-86. La Commission estime encore que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il n'existe pas de jurisprudence permettant d'exclure l'application de l'article 86 du traité à une situation résultant d'une collusion.
57. Du reste, il ne saurait être question de "recyclage" au sens de l'arrêt Vetro ea, précité, dès lors que, en l'espèce, la Commission a établi à suffisance que chacune des conditions de l'article 86 était remplie.
58. Les intervenantes estiment qu'il n'existe aucune possibilité en l'espèce que les faits établissant l'existence de la position dominante collective, telle que constatée par la Décision, soient "recyclés", au sens de l'arrêt Vetro ea/Commission, précité.
- Appréciation du Tribunal
59. Le Tribunal considère que l'argumentation des requérantes est constituée de deux moyens: l'erreur de droit, consistant à retenir le caractère collectif de la position des membres sur le marché, d'une part, et l'insuffisance de motivation, d'autre part.
60. En premier lieu, s'agissant de la prétendue erreur de droit, selon laquelle la notion de position dominante collective ne viserait que l'abus collectif d'entreprises détenant chacune une position dominante, il convient de souligner que, selon une jurisprudence établie, et contrairement aux affirmations des requérantes, l'article 86 est susceptible de s'appliquer à des situations dans lesquelles plusieurs entreprises détiennent ensemble une position dominante sur le marché pertinent (arrêt Vetro ea/Commission, précité, point 358; arrêts de la Cour du 27 avril 1994, Almelo, C-393-92, Rec. p. I-1477, point 42, du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto, C-96-94, Rec. p. I- 2883, points 32 et 33, et du 17 octobre 1995, DIP ea, C-140-94, C-141-94 et C-142-94, Rec. p. I-3257, points 25 et 26). En outre, s'il est certain que la seule détention d'une position dominante n'est pas condamnable au titre de l'article 86 du traité, cet argument est dénué d'intérêt en l'espèce, dès lors que la Commission a sanctionné des exploitations abusives de la position dominante, et non la position dominante elle-même.
61. En second lieu, s'agissant de l'insuffisance de motivation, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la motivation d'une décision faisant grief doit être de nature à permettre à son destinataire de connaître les justifications de la mesure prise, afin de faire valoir, le cas échéant, ses droits et de vérifier si la Décision est ou non bien fondée, et au juge communautaire d'exercer son contrôle (arrêt du Tribunal du 29 juin 1993, Asia Motor France ea/Commission, T-7-92, Rec. p. II-669, point 30).
62. Il convient de souligner que la Cour a jugé que, pour conclure à l'existence d'une position dominante collective, il faut que les entreprises en cause soient suffisamment liées entre elles pour adopter une même ligne d'action sur le marché(arrêt DIP ea, précité, point 26).
63. Dans la Décision soumise au contrôle du Tribunal, la Commission s'est expressément référée au règlement n° 4056-86. L'article 1, paragraphe 3, sous b), de ce règlement définit les conférences maritimes comme "un groupe d'au moins deux transporteurs exploitants de navires qui assure des services internationaux réguliers pour le transport de marchandises sur une ligne ou des lignes particulières dans des limites géographiques déterminées et qui a conclu un accord ou un arrangement, quelle qu'en soit la nature, dans le cadre duquel ces transporteurs opèrent en appliquant des taux de fret uniformes ou communs et toutes autres conditions de transport concertées pour la fourniture des services réguliers". Le Tribunal retient que les requérantes, qui se prévalent à plusieurs reprises du règlement n° 4056-86, ne contestent pas que Cewal est une conférence maritime au sens de ce texte.
64. Le Tribunal souligne par ailleurs que, en son article 8, le règlement n° 4056-86 énonce que l'article 86 du traité demeure susceptible de s'appliquer. En effet, par le jeu des relations étroites que les compagnies maritimes entretiennent entre elles au sein d'une conférence maritime, elles sont à même, ensemble, sur le marché pertinent, de mettre en œuvre en commun des pratiques telles qu'elles constituent des comportements unilatéraux. De tels comportements peuvent présenter le caractère d'infractions à l'article 86, si les autres conditions d'application de cette disposition sont par ailleurs remplies.
65. En l'espèce, au vu des éléments contenus dans la décision attaquée, le Tribunal constate que les compagnies maritimes ont constitué une entité commune, la conférence maritime Cewal. Il ressort de la Décision que cette structure était le cadre de divers comités auxquels appartenaient les membres de la conférence, tels que le Zaïre Pool Committee et le Special Fighting Committee évoqués à de multiples reprises dans la Décision, notamment aux points 26, 29, 31 et 32, et le Zaïre Action Committee visé au point 74. En outre, ainsi qu'il ressort de l'article 1er du règlement n° 4056-86, cette structure commune a, par nature, pour objet de définir et d'appliquer des taux de fret uniformes et d'autres conditions de transport communes, dont la Commission relève expressément l'existence, au point 61. De la sorte, Cewal se présente sur le marché comme une seule et même entité. Enfin, le Tribunal relève, sans qu'il y ait lieu à ce stade de s'interroger sur leur qualification, que les pratiques reprochées aux membres de Cewal, telles que décrites dans la Décision, traduisent la volonté d'adopter ensemble une même ligne d'action sur le marché pour réagir unilatéralement face à une évolution, jugée menaçante, de la situation concurrentielle du marché sur lequel ils sont présents. Ces pratiques, décrites avec précision dans la Décision, ont constitué les éléments d'une stratégie globale, pour la réalisation de laquelle les membres de Cewal ont fusionné leurs forces.
66. En conséquence, le Tribunal considère, au vu de l'ensemble de la Décision, que la Commission a suffisamment démontré qu'il convenait d'apprécier collectivement la position des membres de Cewal sur le marché pertinent.
67. Il y a lieu enfin de souligner que, dans son arrêt Vetro ea, précité, le Tribunal, au point 360, a estimé que, aux fins d'établir une infraction à l'article 86 du traité, il ne suffit pas de "recycler" les faits constitutifs d'une infraction à l'article 85 en tirant la constatation que les parties à un accord ou à une pratique illicite détiennent ensemble une part de marché importante, que de ce seul fait elles détiennent une position dominante collective et que leur comportement illicite constitue l'abus de celle-ci. En l'espèce, contrairement aux affirmations des requérantes, tel ne saurait être le cas. La Commission a suffisamment établi que, au-delà des accords conclus entre les compagnies maritimes et créant la conférence Cewal, accords qui ne sont pas contestés, il existait entre elles des liens tels qu'elles ont adopté une ligne d'action uniforme sur le marché. Dans ces circonstances, la Commission a pu à juste titre considérer que l'article 86 est susceptible de s'appliquer, sous réserve que les autres conditions exigées par cette disposition soient remplies.
68. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la première branche du moyen doit être rejetée.
Quant au caractère dominant de la position des membres de Cewal
- Arguments des parties
69. Selon les requérantes, le caractère dominant d'une position de marché ne saurait être inféré de la simple détention de parts de marché élevées (arrêts de la Cour du 14 février 1978, United Brands- Commission, 27-76, Rec. p. 207, et du 3 juillet 1991, Akzo/Commission, C-62-86, Rec. p. I-3359, point 60). Or, en l'espèce, la Commission ne se serait fondée que sur la seule part de marché détenue par Cewal. En tout état de cause, le fait que Cewal dispose d'un droit exclusif sur les transports maritimes entre le Zaïre et les ports de l'Europe du Nord, imposé par une décision unilatérale et souveraine des autorités zaïroises, constituerait une circonstance exceptionnelle de nature à enlever aux parts de marché leur éventuel caractère déterminant (arrêt Akzo/Commission, précité, point 60). Au surplus, la Commission n'aurait pas suffisamment tenu compte du fait que la politique commerciale de Cewal et de ses membres était en fait largement dictée par les autorités zaïroises.
70. Les requérantes soutiennent que, au vu de la jurisprudence de la Cour (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461), la capacité à maintenir une position dominante constitue un facteur essentiel d'appréciation de cette position. Dès lors, la circonstance que les membres de Cewal, malgré une baisse de leur taux de fret pour faire face à la concurrence de G et C, ont perdu des parts de marché, celles-ci ne représentant que 64 %, suffirait à établir l'absence de position dominante.
71. Dans leur réplique, les requérantes prétendent que la Commission a fictivement augmenté la part de marché de Cewal en ne prenant pas en compte le trafic au départ et à destination de ports français, alors qu'elle a considéré que ces lignes constituaient des alternatives valables aux lignes exploitées par les membres de Cewal. Elles font également valoir que Cewal et G et C opéraient en grande partie sur des marchés distincts, à savoir respectivement le transport de conteneurs et de marchandises conventionnelles et celui du "matériel roulant".
72. La défenderesse considère comme nouveaux, et partant irrecevables, les moyens relatifs à la définition du marché. En outre, elle soutient que, au cours de la période couverte par la Décision, la part de marché de Cewal était proche de 90 %, et non, comme le soutiendraient désormais les requérantes, sans d'ailleurs préciser l'origine de ce chiffre, de 64 %. Or, une part de marché élevée serait, à elle seule, en principe, un indice suffisant pour conclure à l'existence d'une position dominante, sauf circonstances exceptionnelles (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 41). En outre, la Commission aurait fait état, au point 59 des motifs, d'éléments pertinents, autres que le critère de la part de marché, permettant de conclure à l'existence d'une position dominante. Elle observe que les requérantes n'ont apporté aucun élément de nature à renverser la présomption résultant de leur part de marché. Enfin, la défenderesse conteste que les baisses de prix de Cewal et la perte d'une certaine part de marché permettent de conclure à l'absence de position dominante; en effet, une position dominante ne saurait être synonyme de "position inexpugnable".
73. Les intervenantes exposent que, quelles que soient les modalités de calcul des parts de marché, la part de marché des membres de la conférence est supérieure à 90 %, de telle sorte que celle-ci occuperait, en tout état de cause, une position dominante.
-Appréciation du Tribunal
74. Le Tribunal constate, à titre liminaire, que le moyen tiré d'une mauvaise appréciation du marché pertinent, soulevé pour la première fois au stade de la réplique, est un moyen nouveau au sens de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. En tant que tel, et en l'absence d'indications que ce moyen est fondé sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés pendant la procédure, il est irrecevable. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la définition du marché telle qu'elle est retenue par la Décision est exacte.
75. En outre, en ce qui concerne la prétendue contradiction de motifs, que le Tribunal peut relever d'office, selon laquelle la Commission aurait tout à la fois considéré les lignes au départ et à destination de ports français comme une alternative valable mais n'en aurait pas tenu compte dans le calcul des parts de marché, il suffit de constater que, au point 54 de sa décision, la Commission a indiqué pourquoi il n'y avait pas lieu d'inclure dans le marché pertinent les lignes de transport au départ ou à destination des ports français. Dans ces conditions, la Commission a correctement retenu la part détenue par les membres sur le marché pertinent tel qu'elle l'avait au préalable défini. Il ne saurait donc être reproché une quelconque contradiction de motifs.
76. Quant à l'appréciation de la position dominante proprement dite, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'existence d'une telle position peut résulter de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants. Toutefois, sauf circonstances exceptionnelles, des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes la preuve de l'existence d'une position dominante (arrêt Akzo/Commission, précité, point 60; arrêts du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30-89, Rec. p. II-1439, point 92, et du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83-91, Rec. p. II-755, point 109).
77. En l'espèce, les parties ne contestent pas que, en 1988 et en 1989, période qui constitue pour l'essentiel celle prise en compte pour la détermination des amendes, la part de marché de Cewal excédait 90 %. Le chiffre de 64 % avancé par les requérantes, et contesté par la Commission, concerne la seule année 1992, les parts de marché en 1990 et en 1991 excédant, selon les chiffres fournis par les requérantes, respectivement 80 et 70 %. Il en résulte que, tout au long de la période concernée, les parts de marché de Cewal, en dépit de leur érosion progressive, sont restées élevées. Le Tribunal considère que, si le maintien de parts de marché peut être révélateur du maintien d'une position dominante (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 44), la réduction de parts de marché encore très importantes ne peut constituer, en elle-même, la preuve de l'absence de position dominante.
78. En outre, le Tribunal constate que, contrairement aux affirmations des requérantes, la Commission n'a pas exclusivement fondé son analyse sur la part de marché de Cewal. Il ressort en effet du point 59 de la Décision que d'autres facteurs ont été pris en compte, à savoir la différence significative entre cette part de marché et celle du principal concurrent, les avantages tirés du contrat avec l'Ogefrem, reconnaissant une exclusivité à Cewal, l'importance de son réseau, de ses capacités et la fréquence de ses services et, enfin, l'expérience acquise par Cewal depuis plusieurs dizaines d'années sur le marché concerné.
79. Le Tribunal considère, au vu de ces éléments, que la Commission a pu à juste titre conclure à l'existence d'une position dominante.
80. Pour le surplus, il convient de souligner que l'argument des requérantes, tiré de ce que Cewal détient un droit exclusif découlant de l'accord avec l'Ogefrem, ne modifie pas la constatation de l'existence d'une position dominante. L'origine de la part de marché détenue par les requérantes ne saurait en effet exclure la qualification de position dominante. Bien au contraire, le Tribunal estime que l'existence d'un droit exclusif est un élément que la Commission a pu utilement prendre en compte dans la constatation de l'existence d'une position dominante.
81. De même, la notion de position dominante étant, selon une jurisprudence constante, une notion objective, la prétendue influence des autorités zaïroises sur la politique commerciale de Cewal ou de ses membres, à la supposer établie, n'est pas de nature à affecter la constatation de l'existence même d'une position dominante. L'argument est, dès lors, dénué de pertinence.
82. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la première branche du moyen doit être rejetée dans son intégralité.
Sur le moyen pris en sa seconde branche, relative à l'absence d'exploitations abusives
Quant à l'accord Cewal-Ogefrem
- Arguments des parties
83. Au stade de la réplique, les requérantes prétendent que, en violation des droits de la défense, la Commission a adopté des positions divergentes dans la communication des griefs, qui visait l'obtention d'un droit exclusif conféré par un acte souverain des autorités zaïroises, et la Décision, qui incriminerait la seule participation à la mise en œuvre de l'accord. Le président du Tribunal, au point 33 de l'ordonnance CMBT/Commission, précitée, aurait d'ailleurs constaté que l'article 3 du dispositif de la Décision n'enjoint pas à ses destinataires de mettre fin à l'accord de coopération avec l'Ogefrem.
84. Sur le fond, dans la première branche de leur argumentation, les requérantes soutiennent que l'Ogefrem n'est pas une entreprise au sens des articles 85 et 86 du traité. Ces articles ne lui seraient donc pas applicables (arrêt de la Cour du 4 mai 1988, Bodson, 30-87, Rec. p. 2479, point 18).
85. Dans la deuxième branche de leur argumentation, les requérantes font valoir que l'infraction reprochée ne peut constituer une violation de l'article 86 du traité.
86. En premier lieu, elles soutiennent que l'accord de coopération entre Cewal et l'Ogefrem n'est pas le résultat de pressions de Cewal, mais a été imposé à celle-ci par les autorités zaïroises, dans leur intérêt. Cet accord serait, en réalité, un accord de concession, par lequel l'Ogefrem, conformément aux prérogatives légales que lui avaient conférées les autorités zaïroises, accorde un droit exclusif à Cewal. Les dispositions contractuelles de l'accord ne concerneraient que des droits accessoires. Or, l'article 86 du traité ne s'opposerait pas à ce qu'une entreprise qui bénéficie d'une exclusivité légale prenne des dispositions lui permettant d'assurer le respect de cette exclusivité.
87. Les requérantes ajoutent que l'exclusivité accordée à Cewal par l'Ogefrem est également une conséquence directe de l'accord bilatéral, conclu en 1981, entre le Zaïre et la Belgique, entré en vigueur en 1983. En effet, l'article 3, paragraphe 3, de cet accord impose que, dans les échanges entre la Belgique et le Zaïre, la totalité du fret transporté fasse l'objet d'une répartition selon la clé 40: 40: 20. Ainsi, il serait surprenant que la Commission oppose l'article 86 du traité à un accord prévu par un engagement international, dont la conclusion a amené la Commission à engager une action au titre de l'article 169 du traité.
88. Les requérantes soutiennent en outre que le simple fait d'inciter un gouvernement à agir ne peut constituer un abus, au sens de l'article 86 du traité. A cet égard, elles se réfèrent à la jurisprudence américaine, et en particulier à la doctrine dite de "l'acte de souveraineté", selon laquelle une entreprise ne pourrait être sanctionnée pour avoir incité un gouvernement à adopter un acte, même si cet acte est restrictif de concurrence (arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis, American Banana/United Fruit, 213 US, 347-358, 53 L. ed 826, 1909), et à la doctrine dite "Noerr- Pennington", selon laquelle ne relèverait pas du champ d'application de la législation antitrust la communication d'informations à des autorités gouvernementales, en vue d'influencer leur comportement (arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis, Eastern Railroad Presidents Conference/Noerr Motor Freight Inc., 365 US 127, 5 L. ed 2d 464, 1961; United Mine Workers/Pennington, 381 US 657, 14 L. ed 2d, 1965). Selon les requérantes, le droit communautaire et l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif à la liberté d'expression, sont parfaitement compatibles avec ces principes. Cela ne serait pas contredit par la résolution adoptée par l'OCDE en 1987, à laquelle la Décision se réfère, dès lors que cette résolution est dépourvue de force contraignante. Enfin, par référence au principe de courtoisie internationale, les tribunaux d'un État devraient s'abstenir de juger les actes d'un autre État accomplis sur son propre territoire.
89. Dans la troisième branche de leur argumentation, les requérantes estiment que la Décision n'établit pas que les membres de la conférence aient participé à l'élaboration ou à la mise en œuvre de l'accord. A cet égard, elles soulignent que l'accord de coopération entre Cewal et l'Ogefrem, conclu le 18 décembre 1985, est antérieur à la décision de la Banque du Zaïre, en date du 26 décembre 1985, suspendant l'obligation, imposée jusque là, de justifier du fait que le fret était transporté par un navire armé par Cewal. La Commission ne pourrait donc soutenir que l'accord a été conclu en vue de rétablir une protection perdue à la suite de la décision de la Banque du Zaïre. En outre, lorsque, en 1983, le Zaïre a décidé de créer l'Ogefrem, Cewal exerçait déjà son activité sur une partie considérable du marché, de telle sorte que l'octroi d'une exclusivité sur le trafic n'a pas été perçu comme un renforcement de la position de cette conférence.
90. Les requérantes soulignent que, si elles ont demandé à l'Ogefrem de respecter les termes de l'accord, c'est à raison du fait, d'une part, que l'Ogefrem, en violation de l'article 1er, deuxième alinéa, de l'accord conclu avec Cewal, a accordé des droits à un armateur indépendant, sans consultation préalable de la conférence, et, d'autre part, que Cewal aurait été victime d'une discrimination de la part de l'Ogefrem, au profit de G et C.
91. Dans la quatrième branche de leur argumentation, les requérantes soutiennent que, en présence d'un conflit entre la législation d'un pays tiers et une disposition de droit communautaire, la Commission aurait dû suivre la procédure prévue aux articles 7, paragraphe 2, sous c), i), et 9 du règlement n° 4056-86. En ne le faisant pas, la Commission aurait commis un détournement de pouvoir.
92. Dans la cinquième branche de leur argumentation, les requérantes soutiennent que, en application des engagements souscrits par la Commission au point 63 de son document intitulé Vers une politique commune des transports - Rapport sur les transports maritimes, précité, aucune amende ne saurait être infligée à la conférence ou à ses membres sans le retrait préalable de l'exemption par catégorie dont jouissent les conférences maritimes, ainsi d'ailleurs que la Commission l'aurait admis dans la communication des griefs. En infligeant finalement une amende aux requérantes sans le retrait préalable de l'exemption, la Commission aurait violé le principe de confiance légitime.
93. La défenderesse rappelle que la Décision se limite à l'examen et à la condamnation du comportement de Cewal et ne saurait être considérée comme un moyen d'obtenir des Etats africains ce qui n'avait pu être obtenu par la voie diplomatique, à savoir le libre accès aux cargaisons pour toutes les compagnies maritimes, membres ou non d'une conférence.
94. Elle estime que l'argumentation des requérantes repose entièrement sur la thèse, selon elle inexacte, selon laquelle la convention avec l'Ogefrem aurait été imposée aux entreprises par l'État zaïrois. La Commission estime que l'accord entre Cewal et l'Ogefrem, loin d'être un acte de gouvernement ou une concession de droit public, ce qui eût nécessité un acte législatif prévoyant un droit exclusif et une procédure administrative pour l'octroi de ce droit, est un accord de coopération librement négocié entre Cewal et l'Ogefrem. Selon elle, le contenu de l'accord, les négociations qui ont précédé sa conclusion et, enfin, les modifications apportées, au terme de ces négociations, à la version initiale suffiraient à nier le caractère de concession de droit public.
95. Déduire de l'accord bilatéral entre le Zaïre et la Belgique, qui prévoit la répartition de l'ensemble des cargaisons selon la clé 40: 40: 20, que l'accord incriminé constitue un "acte du gouvernement" zaïrois repose, selon la défenderesse, sur une erreur de logique, dès lors que la répartition de l'ensemble des cargaisons, et pas seulement des cargaisons transportées par la conférence, n'implique aucune exclusivité au profit de cette conférence. La Commission rappelle en outre que cet accord est entré en vigueur le 13 avril 1987, donc postérieurement à la conclusion de l'accord avec l'Ogefrem, si bien qu'il ne peut lui servir de justification légale.
96. En ce qui concerne la mise en œuvre de l'accord litigieux, la Commission estime que les requérantes ne contestent pas qu'elles ont poursuivi avec insistance l'application de la clause d'exclusivité. En l'absence de concession de droit public, les efforts de Cewal ne sauraient être qualifiés que d'abus de position dominante, d'autant que ces efforts ne se contenteraient pas de poursuivre une égalité de traitement entre Cewal et G et C par l'État zaïrois, mais viseraient directement à éliminer G et C du trafic.
97. Les références des requérantes à l'incitation justifiée à des mesures gouvernementales, appuyées sur les solutions consacrées en droit américain, sont, estime la défenderesse, sans pertinence, car elles reposent, une fois de plus, sur l'hypothèse que le contrat litigieux présente le caractère d'une concession de droit public.
98. Selon la Commission, le moyen tiré de la violation des droits de la défense, soulevé pour la première fois dans le mémoire en réplique, est irrecevable et, en tout état de cause, mal fondé. En effet, la prétendue divergence entre la communication des griefs et la Décision ne résulterait que d'une lecture erronée de la communication des griefs. Les requérantes ne pourraient d'ailleurs se plaindre de ce que la Décision n'a retenu à leur charge qu'une partie des griefs articulés dans la communication, les griefs concernant des faits antérieurs au 1er juillet 1987, comme la conclusion de l'accord de coopération, n'ayant pas été retenus. De surcroît, une décision ne doit pas nécessairement être la reproduction de la communication des griefs (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française ea/Commission, 100-80, 101-80, 102-80 et 103-80, Rec. p. 1825, point 14).
99. En ce qui concerne l'argument tiré de ce que la Décision ne permettrait pas de savoir dans quelle mesure l'accord lui-même est illégal, il ressortirait, sans ambiguïté, de la Décision que seuls les faits postérieurs au 1er juillet 1987, date d'entrée en vigueur du règlement n° 4056-86, ont été incriminés, si bien qu'aucune action n'a été entreprise à l'encontre de la conclusion de l'accord, antérieure à cette date.
100. Les intervenantes soutiennent que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, l'octroi de droits maritimes à G et C n'était pas le résultat d'une discrimination entre Cewal, d'une part, et G et C, d'autre part, en faveur de ces dernières, et qu'elles se sont conformées à toutes les règles établies par l'Ogefrem. A cet égard, elles précisent qu'elles ont été assujetties, au même titre que les membres de la conférence Cewal, au versement d'une caution, au respect des règles administratives imposées, sous peine d'amende, par l'Ogefrem, ainsi qu'au versement d'une commission dont le taux était, apparemment, supérieur à celui imposé aux membres de la conférence Cewal.
101. Les intervenantes soutiennent également que l'accord de coopération conclu entre l'Ogefrem et Cewal a transformé un monopole de fait en exclusivité contractuelle, conférant à la conférence un pouvoir sur le marché que celle-ci a utilisé afin de les évincer du marché. En l'absence de l'accord de coopération, Cewal aurait conclu avec l'Ogefrem un contrat d'adhésion du même type que celui conclu par G et C, sans aucun droit à l'exclusivité, qui lui permettait, au contraire, d'exercer des pressions sur l'Ogefrem, en vue d'obtenir le respect de son monopole contractuel.
- Appréciation du Tribunal
102. A titre liminaire, le Tribunal observe qu'est en cause en l'espèce une exploitation abusive de la position dominante détenue par les membres de Cewal. Pour déterminer l'applicabilité de l'article 86 du traité, seule doit être prise en compte la qualification des membres de la conférence en tant qu'entreprises au sens de l'article 86 du traité, que les requérantes ne contestent pas, et non celle de l'Ogefrem.
103. En outre, le Tribunal considère que, dès lors qu'est seul en cause un comportement unilatéral de Cewal, la nature exacte de l'accord conclu entre elle et l'Ogefrem n'est pas déterminante pour l'application de l'article 86 du traité. En effet, à supposer même que cet accord soit une concession, comme le prétendent les requérantes, et que Cewal soit ainsi concessionnaire, cela ne saurait suffire à exclure un comportement abusif de sa part (arrêt Bodson, précité, point 30).
104. En l'espèce, le Tribunal constate que, si l'article 1er, premier alinéa, de l'accord de coopération conclu entre Cewal et l'Ogefrem prévoit une exclusivité au profit des membres de Cewal, pour l'ensemble des marchandises à transporter dans le cadre du champ d'action de la conférence, le second alinéa de cet article ouvre expressément la possibilité de dérogations, avec l'accord des deux parties. Il y a lieu de rappeler tout d'abord que la Commission a estimé qu'elle ne pouvait engager de poursuites contre la conclusion même de l'accord, celle-ci étant antérieure à l'entrée en vigueur du règlement n° 4056-86. Dans la mesure où est seule en cause la mise en œuvre de l'accord de coopération, le Tribunal estime que l'article 1er, second alinéa, de celui-ci suffit à écarter tout conflit de droit international. En effet, à supposer que l'accord entre Cewal et l'Ogefrem soit une concession de droit public et puisse, à ce titre, être assimilée à une disposition administrative d'un État tiers, au sens de l'article 9 du règlement n° 4056-86, l'article 7 de ce règlement, relatif aux ententes, n'étant pour sa part pas applicable en l'espèce, il faut retenir que cet accord comportait un dispositif d'ouverture à la concurrence susceptible d'en adapter la mise en œuvre aux exigences de l'article 86 du traité. Ainsi, le conflit entre le traité et l'accord ne résultait pas inéluctablement de l'économie de ce dernier, que la volonté des parties pouvait infléchir afin de le rendre compatible avec une concurrence effective.
105. Il ressort de cette constatation que c'est à juste titre que la Décision s'attache à analyser l'attitude de Cewal dans l'exécution de l'accord. Or, l'Ogefrem a unilatéralement accordé son agrément à un armateur indépendant, en principe à hauteur de 2 % de l'ensemble du trafic zaïrois, mais dont la part a progressé par la suite. Les membres de Cewal ont alors entrepris des démarches auprès de l'Ogefrem afin d'obtenir que G et C soient écartés du marché. En effet, il résulte des multiples documents auxquels se réfère la Commission dans sa Décision que les membres de Cewal ont rappelé l'Ogefrem à ses obligations et envisagé notamment de rétablir le système exclusif de ristournes différées si l'Ogefrem ne modifiait pas son attitude. Le Tribunal relève que, si les requérantes contestent la signification qu'il faut donner à ces démarches et leur qualification de pratique abusive, elles n'en contestent en revanche pas l'existence. Il ressort en outre du procès-verbal de la réunion du Special Fighting Committee du 18 mai 1989 que ces démarches s'inscrivaient dans le cadre d'une stratégie destinée à évincer l'armateur indépendant G et C.
106. Pour apprécier cette attitude, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'article 86 du traité fait peser sur une entreprise en position dominante, indépendamment des causes d'une telle position, la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le Marché commun (notamment arrêt du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, précité, point 114). Relève ainsi de l'article 86 tout comportement d'une entreprise en position dominante de nature à faire obstacle au maintien ou au développement du degré de concurrence d'un marché où, à la suite précisément de la présence de cette entreprise, la concurrence est déjà affaiblie (idem).
107. Enfin, si l'existence d'une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et si cette entreprise a la faculté, dans une mesure raisonnable, d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts, on ne peut cependant admettre de tels comportements lorsqu'ils ont pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser (arrêt du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65-89, Rec. p. II-389, point 69).
108. Le Tribunal estime qu'une entreprise en position dominante qui bénéficie d'un droit exclusif, assorti d'une possibilité de dérogation soumise à son accord, est tenue de faire un usage raisonnable du droit de veto qui lui est reconnu par l'accord pour l'accès de tiers au marché. En l'espèce, au vu des éléments de fait rappelés ci-dessus, tel n'a pas été le cas des membres de Cewal.
109. Dans ces conditions, le Tribunal estime que la Commission a pu, à juste titre, considérer que les membres de Cewal, en participant activement à la mise en œuvre de l'accord avec l'Ogefrem et en demandant itérativement le strict respect de cet accord, dans le cadre d'un plan destiné à évincer l'unique armateur indépendant dont l'accès au marché avait été autorisé par l'Ogefrem, ont enfreint l'article 86 du traité.
110. La circonstance que, selon les requérantes, le fait d'inciter un gouvernement à agir ne peut constituer un abus est sans pertinence, dès lors qu'une telle pratique n'est pas reprochée en l'espèce.
111. En outre, les requérantes ne peuvent se prévaloir d'une quelconque confiance légitime, tirée du point 63 du document intitulé Vers une politique commune des transports - Rapport sur les transports maritimes, précité, dès lors que ce point ne concerne que les relations entre exemption de groupe et exemption individuelle et n'affecte pas la possibilité de constater un abus au sens de l'article 86 du traité et d'infliger une amende à ce titre.
112. Le Tribunal relève par ailleurs que les requérantes ne peuvent utilement prétendre que l'exclusivité qui leur est reconnue dans l'accord avec l'Ogefrem est prévue dans l'accord bilatéral conclu entre la Belgique et le Zaïre, dès lors que cet accord n'est entré en vigueur que le 13 avril 1987, soit plusieurs mois après la conclusion de l'accord entre Cewal et l'Ogefrem. En outre, l'article 3, paragraphe 3, de cet accord, dont se prévalent les requérantes, concerne le régime à appliquer par les parties contractantes aux navires exploités par leurs compagnies maritimes nationales respectives, et non par une conférence maritime donnée.
113. Enfin, le Tribunal constate que le moyen tiré de la violation des droits de la défense, introduit au stade de la réplique, est un moyen nouveau au sens de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. En l'absence d'éléments de nature à conclure qu'il est fondé sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés pendant la procédure, ce moyen doit être déclaré irrecevable. En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence établie, la décision ne doit pas nécessairement être une copie de l'exposé des griefs (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Huels/Commission, T-9-89, Rec. p. II-499, point 59). Le fait que la communication des griefs ait entendu incriminer l'obtention du droit exclusif et les démarches réitérées de Cewal en vue de sa mise en œuvre, alors que la Décision ne retient que celles-ci, ne saurait affecter les droits de la défense des requérantes.
114. Dans ces conditions, l'argumentation des requérantes relative à l'accord de coopération conclu entre Cewal et l'Ogefrem doit être rejetée.
Quant à l'emploi des navires de combat
- Arguments des parties
115. L'argumentation des requérantes s'articule, en substance, en deux points. Les requérantes contestent tout d'abord la notion même de navires de combat; elles soutiennent ensuite que la pratique reprochée ne peut constituer une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86 du traité.
116. Dans la première branche de leur argumentation, relative à la notion de navires de combat, les requérantes relèvent que, dans son mémoire en défense, la Commission aurait indiqué qu'aucun des éléments constitutifs de l'infraction qu'elle avait pourtant retenus dans la Décision ne serait en fait essentiel et que cette pratique se distinguerait de celle des prix prédatoires. La défenderesse ne reprocherait plus aux requérantes que d'avoir dérogé à ses tarifs habituels, dans le dessein d'éliminer un concurrent. Or, si la Décision devait être lue comme se référant à cette nouvelle définition, il y aurait alors violation des droits de la défense, en ce que les parties seraient condamnées pour une pratique qui n'était pas reprochée dans la communication des griefs. En outre, la Commission ne serait pas en droit de compléter la motivation de la Décision au stade du mémoire en défense, si bien que l'article 190 du traité serait également violé.
117. Dans la seconde branche de leur argumentation, relative à la qualification de la pratique mise en œuvre en l'espèce, les requérantes soulignent que la circonstance que les membres de Cewal aient eux-mêmes, dans divers procès-verbaux cités par la Commission, utilisé la terminologie de navires de combat, ne dispensait pas la Commission de rechercher si les conditions d'application de l'article 86 du traité sont effectivement remplies.
118. Or, en premier lieu, s'agissant des dates d'appareillage, la Commission ayant constaté, au point 74 de la Décision, que Cewal n'a ni modifié ses horaires, ni assigné à un navire un poste d'amarrage tel que ce navire fasse route en concurrençant G et C, l'une des conditions nécessaires, selon les requérantes, à la constatation de la pratique alléguée ferait manifestement défaut.
119. En deuxième lieu, les requérantes soutiennent qu'elles se sont contentées d'aligner leurs prix sur ceux de G et C, sans jamais tenter - à l'exception des tarifs afférents à la livraison des voitures de tourisme - de pratiquer des prix inférieurs à ceux de l'armateur indépendant. Pour faire face à la discrimination dont Cewal aurait été l'objet par rapport à G et C de la part de l'Ogefrem, à l'engagement d'une guerre des prix par l'armateur indépendant et à la pression de la clientèle, réclamant des tarifs analogues à ceux de G et C, Cewal était tenue de réagir afin de s'adapter à une nouvelle situation concurrentielle. Un tel comportement ne serait pas abusif (arrêt BPB Industries et British Gypsum/Commission, précité, point 69).
120. Selon les requérantes, la Commission, en se fondant simplement sur le caractère "multilatéral" de la fixation des taux de fret pour constater une violation de l'article 86, se serait limitée à "recycler" des faits qui auraient pu justifier une application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, mais bénéficient de l'exemption octroyée à l'article 1er, paragraphe 3, sous b), et à l'article 4 du règlement n° 4056-86. Les requérantes soulignent ainsi que toute modification de prix en vue de s'aligner sur les prix d'un concurrent est exemptée.
121. En troisième lieu, la Commission n'aurait établi qu'une réduction des marges bénéficiaires, et non l'existence de pertes supportées par les membres de la conférence, élément pourtant caractéristique d'une pratique de prix d'éviction, prohibée par l'article 86 du traité (arrêt Akzo/Commission, précité, points 71 et 72). La Commission n'aurait pas plus démontré que Cewal disposait d'un "trésor de guerre", de nature à lui permettre d'engager une campagne de prix prédatoires.
122. En réalité, les requérantes estiment, en se référant à des citations de jurisprudence nationale et de doctrine, que les éléments retenus par la Commission ne sont pas pertinents. En particulier, la notion de navires de combat supposerait l'existence de "pertes" subies par les membres de la conférence. Elle devrait ainsi être assimilée à la pratique des prix prédatoires et se distinguerait du simple alignement des tarifs sur ceux d'un concurrent, pour rivaliser avec lui dans des conditions équitables.
123. En quatrième lieu, les requérantes estiment que les autres pratiques incriminées dans la Décision ne peuvent être constitutives d'un abus. Ainsi, dès lors que les horaires des transports maritimes sont publiés dans la presse, il ne pourrait être reproché au Fighting Committee d'avoir informé les membres de la conférence des dates de départ des navires de G et C. De même, dès lors que le règlement n° 4056-86 admet la fixation en commun des taux de fret, la Décision ne pourrait condamner la fixation en commun des tarifs de combat. Quant au fait que les tarifs de combat étaient fixés par référence à ceux de l'armement indépendant, cela serait inhérent à une tarification concurrentielle normale. Enfin, la prise en charge par les membres de Cewal des différences entre le tarif normal et le tarif de combat ne serait que la conséquence de la mise en commun des risques, exemptée par le règlement n° 4056-86.
124. En cinquième lieu, les requérantes soutiennent que, dès lors que tous les chargeurs sont, à un moment donné, traités de la même manière, c'est à tort que la Commission, au point 83 de sa Décision, a reproché une pratique de prix discriminatoires au sens de l'article 86, sous c), du traité, grief de surcroît non formulé dans la communication des griefs.
125. En dernier lieu, les requérantes font valoir que, dans l'appréciation du caractère abusif de la pratique litigieuse, la Commission a omis de prendre en considération certains éléments déterminants.
126. Ainsi, le fait que, au cours de la période considérée, la part de marché de G et C est passée de 2 à 25 % aurait été ignoré par la Commission. Or, l'absence d'effet sur le marché de la pratique litigieuse suffirait pour que celle-ci ne puisse être incriminée au regard de l'article 86 du traité (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 91).
127. En outre, la Commission n'aurait pas tenu compte de ce que les activités de G et C se sont développées en violation du monopole légalement octroyé à Cewal. Or, dans ces conditions, les démarches entreprises par les membres de la conférence en vue de sauvegarder ce monopole ne pourraient être qualifiées d'abusives.
128. Enfin, la Commission aurait omis le fait que le secteur des transports maritimes est soumis, en matière de droit de la concurrence, à un régime dérogatoire plus souple. Ainsi la Commission aurait-elle admis que peut être exemptée la coordination des tarifs entre des conférences maritimes et des armements indépendants [communication de la Commission faite conformément à l'article 23, paragraphe 3, du règlement n° 4056-86 et à l'article 26, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 1017-68 du Conseil concernant les affaires IV-32.380 et IV-32.772 - accords Eurocorde (JO 1990, C 162, p. 13)]. L'article 86 du traité serait inapplicable aux pratiques litigieuses, aussi longtemps que le bénéfice de l'exemption de groupe n'a pas été retiré, et la référence à l'arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Tetra Pak/Commission, précité, serait sans pertinence en l'espèce. Du reste, dès lors qu'une entreprise bénéficie d'une mesure d'exemption ou est destinataire d'une "lettre de classement", aucune amende ne pourrait lui être infligée, sans le retrait préalable de l'exemption [(décision de la Commission du 23 décembre 1992 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE contre Schoeller Lebensmittel GmbH & Co. KG - affaires IV-31.533 et IV-34.072 (JO 1993, L. 183, p. 1, points 148 à 151)].
129. La Commission nie qu'il existe une divergence de définition des navires de combat entre la communication des griefs et la Décision, d'une part, et le mémoire en défense, d'autre part. Elle rappelle en particulier que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Décision ne faisait pas référence à la pratique des prix prédatoires.
130. Sur le fond, la Commission soutient que la question essentielle n'est pas d'ordre terminologique. Seul importerait de savoir si le comportement des membres de Cewal a constitué une concurrence normale et légitime (arrêt Hoffmann-La Roche, précité, point 91; arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 70, et arrêt Akzo/Commission, précité, points 69 et 70). Or, en l'espèce, la pratique des navires de combat serait constitutive d'un abus, en ce qu'elle aurait tendu, par des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence normale, à l'élimination du seul concurrent de Cewal, à savoir G et C.
131. La Commission soutient que les critères cités par les requérants ne sont des éléments essentiels ni de la pratique connue sous le nom de navires de combat, ni d'un comportement constitutif d'un abus au sens de l'article 86 du traité.
132. Ainsi, il serait indifférent de savoir si Cewal a dû modifier le calendrier des départs de navires de ses membres. Dès lors que les armements de la conférence maritime assurent la liaison concernée selon une cadence soutenue et que, en revanche, les navires de G et C n'appareillent que tous les 35 ou 36 jours, Cewal pourrait aisément désigner comme navires de combat des navires dont l'armement est déjà prévu.
133. De même, l'existence de tarifs inférieurs à ceux pratiqués par G et C ne serait pas non plus essentielle. Il suffirait que ces tarifs soient égaux ou inférieurs à ceux du concurrent dont l'éviction est recherchée. La Commission ajoute que les requérantes ne peuvent se prévaloir d'une quelconque exemption au titre du règlement n° 4056-86, dès lors que les baisses sélectives des tarifs de la conférence avaient pour objet d'évincer l'unique concurrent du marché.
134. Enfin, l'existence de pertes financières effectives ne serait pas non plus essentielle. Contrairement à des pratiques de prix prédatoires, il suffirait qu'il y ait pertes de revenus, ce qui serait le cas en l'espèce, comme l'attesteraient divers procès-verbaux de réunions du Special Fighting Committee et du Zaïre Pool Committee, ainsi qu'un télex de Woermann-Linie, en date du 19 mai 1988.
135. Quant à la prétendue absence d'effet de la pratique, la Commission soutient que le critère pertinent pour l'application de l'article 86 du traité est le comportement d'éviction manifesté par une entreprise. Il serait indifférent de savoir si ce comportement a, ou non, effectivement produit un effet restrictif sur la concurrence. En l'espèce, un tel effet ne serait d'ailleurs pas exclu. Ainsi, il serait significatif que l'augmentation des parts de marché de G et C - qui, à la date des faits, était de l'ordre de 5 à 6 % - soit survenue postérieurement à la cessation des pratiques litigieuses.
136. La Commission prétend que ni la défense, par Cewal, de son monopole - dont elle conteste qu'il présentait un caractère légal -, ni l'existence alléguée d'actes de concurrence déloyale de la part de G et C, ni encore l'exemption octroyée par le règlement n° 4056-86 ne pouvaient justifier le recours à des pratiques abusives.
137. Les intervenantes soutiennent que la conférence admet avoir eu recours à la pratique des navires de combat, condamnée par la Commission, et qu'elle ne saurait justifier cette pratique par la situation concurrentielle nouvelle résultant de l'entrée de G et C sur le marché. Elles confirment le bien-fondé des critères utilisés par la Commission et constatent qu'il ressort des pièces citées dans la Décision et de la réponse de Cewal à la communication des griefs que ces critères sont remplis en l'espèce.
- Appréciation du Tribunal
138. Dans la première branche de leur argumentation, relative à la notion de navires de combat, les requérantes soulèvent deux moyens, tirés l'un de la violation des droits de la défense, l'autre d'une violation de l'article 190 du traité. Le raisonnement des requérantes repose sur l'allégation que la Commission a, dans son mémoire en défense, modifié la définition de la pratique reprochée dans la Décision.
139. Le Tribunal relève que, aux points 73 et 74 de sa Décision, la Commission a retenu trois éléments constitutifs de la pratique des navires de combat menée par les membres de Cewal en vue de l'éviction du concurrent G et C, à savoir: la désignation comme navires de combat de navires des membres de la conférence dont le départ était le plus proche du départ des navires de G et C, sans altération des horaires prévus; la fixation en commun de prix de combat qui dérogeaient au tarif normalement pratiqué par les membres de Cewal de façon à être égaux ou inférieurs aux prix annoncés par G et C; la diminution des revenus en résultant, qui était prise en charge par les membres de Cewal. Au point 80 de la Décision, il est indiqué que cette pratique se distingue de celle des prix prédatoires. Les requérantes reprochent à la Commission d'avoir indiqué dans son mémoire en défense, d'une part, qu'il n'était pas nécessaire qu'un navire de combat soit un navire spécialement affrété, que les prix soient inférieurs à ceux du concurrent et que l'opération ait pour résultat des pertes effectives, d'autre part, que la pratique litigieuse était distincte de celle de prix prédatoires.
140. Le Tribunal constate que ces éléments, loin d'introduire une nouvelle définition de la pratique des navires de combat par rapport à la Décision, sont en stricte conformité avec celle-ci. La prémisse du raisonnement des requérantes étant infondée, l'un et l'autre moyens invoqués à l'encontre de la notion de navires de combat doivent être rejetés.
141. Quant à la seconde branche de l'argumentation des requérantes, relative à la qualification en l'espèce de la pratique litigieuse au regard de l'article 86 du traité, le Tribunal constate, tout d'abord, que, en réalité, les requérantes ne contestent pas que les trois critères constitutifs d'une pratique de navires de combat, tels que retenus par la Commission, étaient remplis. En effet, elles soutiennent que la Commission n'a pas démontré que des navires avaient été spécialement affrétés comme navires de combat, mais n'apportent aucun élément de nature à démontrer qu'elles n'ont pas utilisé des navires déjà programmés comme navires de combat, ce qui constitue pourtant le premier critère retenu. Elles reprochent à la Commission de ne pas avoir établi l'existence de prix inférieurs à ceux de G et C, mais ne démontrent pas qu'elles n'ont pas pratiqué des prix égaux ou inférieurs à ceux de leur concurrent, ce qui constitue le deuxième critère. Elles reconnaissent au contraire s'être alignés sur les prix de G et C et avoir, dans un cas particulier, facturé des prix inférieurs. Enfin, elles reprochent à la Commission de ne pas avoir démontré l'existence de pertes, révélatrice d'une pratique de prix prédatoires, mais n'apportent aucun élément de nature à démontrer qu'elles n'ont pas subi des pertes de revenus, ce qui constitue pourtant le troisième critère retenu dans la Décision. Elles reconnaissent au contraire avoir réduit leurs revenus.
142. En conséquence, les éléments constitutifs de l'infraction, tels que retenus dans la Décision, doivent être considérés comme établis.
14.3 L'argumentation des requérantes tend en réalité à démontrer que cette pratique, ainsi définie, ne constitue pas une exploitation abusive de position dominante au sens de l'article 86 du traité.
144. En premier lieu, elles font valoir à cet effet que la pratique reprochée par la Commission ne correspond pas à la définition qui, selon elles, en est généralement donnée lorsqu'elle est sanctionnée comme atteinte à la concurrence. Cet argument ne saurait être accueilli. En effet, le Tribunal considère qu'il importe peu de déterminer si la définition retenue par la Commission correspond ou non à d'autres définitions avancées par les requérantes. La seule question consiste à savoir si la pratique telle qu'elle est définie par la Commission dans sa Décision, sans être contredite par les citations doctrinales et réglementaires que comporte la Décision, constitue un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité.
145. En second lieu, les requérantes soutiennent que la Commission n'a pas établi que, en mettant en œuvre la pratique reprochée, elles étaient allées au-delà du jeu normal de la concurrence.
146. Ainsi qu'il a déjà été rappelé, selon une jurisprudence constante, si l'existence d'une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et si cette entreprise a la faculté, dans une mesure raisonnable, d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts, on ne peut cependant admettre de tels comportements lorsqu'ils ont pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser (notamment arrêt BPB Industries et British Gypsum/Commission, précité, point 69).
147. A cet égard, le Tribunal estime que, au vu notamment des procès-verbaux du Special Fighting Committee cités en note à la page 2, sous le point 32 de la Décision, et notamment du procès-verbal du 18 mai 1989 dans lequel il est question de "se débarrasser" de l'armateur indépendant, la Commission a démontré à suffisance de droit que cette pratique avait été menée dans le but d'évincer l'unique concurrent de Cewal sur le marché pertinent. En outre, le Tribunal estime que, si la seule dénomination de la pratique utilisée par les membres de Cewal ne peut suffire à qualifier une infraction à l'article 86, c'est à juste titre que la Commission a pu considérer que l'utilisation, par des professionnels du transport maritime international, d'une dénomination bien connue dans ce secteur d'activité et la création au sein de la conférence d'un Special Fighting Committee sont révélatrices de l'intention de mettre en œuvre une pratique destinée à altérer le jeu de la concurrence.
148. Dès lors que la pratique avait pour objet d'évincer l'unique concurrent, le Tribunal considère que les requérantes ne peuvent utilement faire valoir qu'elles se sont limitées à réagir à une violation par G et C du monopole légalement octroyé à Cewal, à compenser une discrimination dont elles auraient été l'objet de la part de l'Ogefrem, à suivre une guerre des prix engagée par le concurrent ou encore à répondre à une attente de leur clientèle. Ces circonstances, à les supposer établies, ne sauraient en effet rendre raisonnable et proportionnée la riposte mise en œuvre par les membres de Cewal.
149. En troisième lieu, les requérantes se prévalent de l'accroissement de la part de marché de G et C pour conclure à l'absence d'effet de la pratique reprochée et, corrélativement, à l'absence d'abus de position dominante. Toutefois, le Tribunal estime que, lorsqu'une ou plusieurs entreprises en position dominante mettent effectivement en œuvre une pratique dont l'objet est d'évincer un concurrent, la circonstance que le résultat escompté n'est pas atteint ne saurait suffire à écarter la qualification d'abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité. Au demeurant, contrairement aux affirmations des requérantes, le fait que la part de marché de G et C a augmenté ne signifie pas que la pratique a été dénuée d'effet, dans la mesure où, en l'absence de cette pratique, la part de G et C aurait pu augmenter de façon plus significative.
150. En quatrième lieu, selon les requérantes, au point 83 des motifs de sa Décision, la Commission aurait reproché aux membres de Cewal d'avoir infligé aux chargeurs des conditions inégales pour des prestations équivalentes, contrevenant à l'article 86, sous c). Ce faisant, la Commission aurait violé les droits de la défense des requérantes et commis une erreur manifeste d'appréciation. Le Tribunal relève à cet égard que, s'il est vrai que le point 83 de la Décision a soulevé un tel grief, celui-ci n'est toutefois pas repris dans le dispositif de la Décision et n'en constitue pas un support nécessaire. En conséquence, à supposer que les moyens et arguments invoqués à ce titre par les requérantes soient fondés, cela ne saurait conduire à l'annulation, même partielle, d'un élément du dispositif de la Décision (arrêt du Tribunal du 17 septembre 1992, Nederlandse Bankiersvereniging et Nederlandse Vereniging van Banken/Commission, T-138-89, Rec. p. II-2181, point 31). En l'absence d'intérêt à agir des requérantes, le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner ces moyens.
151. En cinquième lieu, les requérantes considèrent que la Commission a, à tort, qualifié d'abusives certaines pratiques, à savoir le fait que le Fighting Committee informait les membres de Cewal des départs prévus par l'armement indépendant et que les tarifs de combat étaient fixés d'un commun accord en fonction des tarifs offerts par G et C. L'argument est manifestement non fondé. En effet, le Tribunal constate que la Commission n'a nullement considéré que ces "autres pratiques" constituaient en elles-mêmes des abus au sens de l'article 86, mais les a retenus comme éléments factuels, d'ailleurs non contestés par les requérantes, sur la base desquels elle a notamment établi l'existence des trois critères constitutifs de la pratique reprochée.
152. En dernier lieu, les requérantes tirent un certain nombre d'arguments de ce que le secteur des transports maritimes serait soumis, en matière de droit de la concurrence, à un régime dérogatoire. Le Tribunal constate en premier lieu que les affaires Eurocorde et Schoeller Lebensmittel, invoquées par les requérantes, étaient relatives à l'application de l'article 85 du traité et sont donc sans incidence sur la qualification de la pratique des navires de combat comme infraction à l'article 86 du traité. En deuxième lieu, l'argument selon lequel l'article 86 serait en l'espèce inapplicable aussi longtemps que l'exemption octroyée par le règlement n° 4056-86 n'a pas été retirée repose sur l'affirmation que cette exemption vaut tant pour l'article 85 que pour l'article 86. A cet égard, il suffit de rappeler que, au vu du libellé de l'article 86 du traité, l'abus d'une position dominante n'est susceptible d'aucune exemption (arrêt de la Cour du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen, 66-86, Rec. p. 803, point 32) et que, au regard des principes régissant la hiérarchie des normes, l'octroi d'une exemption au moyen d'un acte de droit dérivé ne pourrait déroger à une disposition du traité, en l'occurrence l'article 86 (arrêt du 10 juillet 1990, Tetra Pak/Commission, précité, point 25). L'argument des requérantes est en conséquence manifestement non fondé. En troisième lieu, l'argument tiré plus spécialement des articles 1er, paragraphe 3, sous b), et 4 du règlement n° 4056-86, selon lesquels, aux dires des requérantes, la modification de prix en vue de s'aligner sur ceux de la concurrence serait exemptée, est sans incidence, dès lors qu'une telle modification ne constitue pas la pratique abusive reprochée.
153. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le Tribunal considère que la Commission a pu conclure, à bon droit, que la pratique des navires de combat, telle que définie dans la Décision, constituait un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité.
Quant aux contrats de fidélité
- Arguments des parties
154. D'une manière générale, les requérantes dénoncent le défaut de clarté de la Décision, qui, en lui-même, justifierait l'annulation de celle-ci. La thèse de la Commission impliquerait que les mêmes faits puissent justifier l'application des articles 85 et 86 du traité. Toutefois, la violation du premier ne justifierait qu'une recommandation, alors que celle du second serait passible d'une amende.
155. Dans la première branche de leur argumentation, les requérantes soutiennent que la Commission ne peut déclarer que les contrats de fidélité conclus par Cewal violent l'article 86 du traité et infliger de ce chef une amende, sans retirer le bénéfice de l'exemption de groupe. A cet égard, la circonstance que les membres de Cewal détiendraient une position dominante collective ne serait pas, à elle seule, suffisante pour déclarer que ces contrats présentent un caractère abusif.
156. En effet, en premier lieu, une telle interprétation priverait le règlement n° 4056-86 de son effet utile. Si, comme semble le penser la Commission, les conférences maritimes constituent l'exemple "par excellence" d'accords établissant une position dominante collective et si les contrats de fidélité constituent un abus de cette position, passible d'une amende, alors un règlement n'octroyant une exemption qu'au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, serait dénué d'intérêt.
157. En deuxième lieu, le règlement n° 4056-86 aurait entendu exempter les contrats de fidélité tant au regard de l'article 85 que de l'article 86 du traité. En effet, ce règlement, adopté par le Conseil, détermine, selon son libellé même, les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes internationaux. Dans cette mesure, il se distingue du règlement (CEE) n° 2349-84, en cause dans l'arrêt du 10 juillet 1990, Tetra Pak, précité (JO 1984, L. 219, p. 15). Ce dernier règlement, adopté par la Commission, ne concernait que l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité.
158. En troisième lieu, les requérantes prétendent que l'exemption doit être retirée avant que les comportements en bénéficiant puissent être considérés comme interdits par l'article 86 du traité. Selon elles, l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86 impliquerait que l'exemption accordée par les articles 3 et 6 de ce règlement couvre les infractions tant à l'article 85 qu'à l'article 86 du traité. Or, aussi longtemps qu'un comportement est couvert par l'exemption, il ne peut donner lieu à une amende. En outre, compte tenu du caractère non rétroactif du retrait d'une exemption (arrêt du 10 juillet 1990, Tetra Pak, précité, point 25), aucune amende n'aurait pu être infligée pour le passé, même si la Commission avait retiré le bénéfice de l'exemption, comme elle l'avait initialement envisagé dans la communication des griefs. Il découlerait de l'article 8, paragraphe 2, du règlement, que ce n'est qu'une fois qu'elle aurait retiré le bénéfice de l'exemption que la Commission pourrait prendre, en application de l'article 10 du règlement n° 4056-86, les mesures appropriées pour faire cesser les infractions à l'article 86 du traité. De telles mesures ne peuvent comporter l'imposition d'une amende, laquelle a pour objet de sanctionner a posteriori un comportement.
159. En dernier lieu, les requérantes rappellent que, en vertu de l'article 8, paragraphe 3, du règlement, la Commission, avant de prendre une décision conformément au paragraphe 2 de cet article, peut adresser à la conférence concernée des recommandations visant à faire cesser l'infraction. En adressant simultanément une recommandation et une décision aux entreprises concernées, la Commission aurait donc violé également cette disposition.
160. Dans la deuxième branche de leur argumentation, les requérantes contestent que les contrats de fidélité puissent constituer une pratique abusive au sens de l'article 86 du traité. L'affirmation de la Commission selon laquelle la conduite de Cewal dans son ensemble est abusive n'est nullement étayée. En fait, la Commission ne chercherait qu'à obtenir du Tribunal une modification des termes clairs du règlement.
161. Au point 91 de la Décision, la Commission constaterait que les contrats de fidélité proposés par Cewal ne sont pas conformes, à trois égards, aux dispositions de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86. Les requérantes contestent cette constatation. Il ne pourrait être reproché au contrat de ne pas indiquer les droits des usagers et les obligations de la conférence, alors que c'est, par nature, l'objet d'un contrat; s'agissant du délai de préavis de résiliation, les requérantes soulignent que, après l'audition du 22 octobre 1990, les contrats auraient été modifiés; enfin, les contrats indiqueraient expressément les cas dans lesquels les chargeurs sont déliés de leurs obligations et, dès lors que les contrats ne sont pas imposés, le règlement n'exigerait pas que soit mentionnée la liste des cargaisons exclues du champ de l'accord.
162. En tout état de cause, la contradiction alléguée ne concernerait que des aspects mineurs des contrats. Puisque, aux termes du point 91 in fine de la Décision, cette contradiction n'aurait conduit qu'à l'adoption d'une recommandation, les requérantes estiment qu'elle ne peut être la raison de l'amende infligée. Or, aucun autre abus que l'inobservation partielle de la lettre de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86 ne pourrait leur être reproché, justifiant le prononcé d'une amende.
163. Ainsi, en premier lieu, les requérantes contestent que l'on puisse reprocher aux conférences de conclure des contrats de fidélité à 100 %. Elles rappellent que la pratique litigieuse doit être examinée au regard des dispositions particulières applicables au secteur des transports maritimes internationaux. Or, le règlement n° 4056-86 admettrait, contrairement aux solutions généralement retenues (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité), la conclusion de contrats de fidélité à 100 %. Dans ces conditions, la Commission ne pourrait condamner de prétendues atteintes à la concurrence qui sont inhérentes à ces contrats, eux-mêmes exemptés. Par nature, un contrat de fidélité restreindrait la liberté des usagers, réduirait la capacité de G et C de maintenir durablement leur activité et reviendrait à appliquer des conditions inégales pour des prestations équivalentes.
164. En outre, la Commission n'aurait nullement démontré que les contrats de fidélité à 100 % étaient imposés aux chargeurs. Le simple fait qu'un contrat contienne une telle disposition ne pourrait suffire à l'établir, sauf à nier l'effet utile du règlement. De même, le fait que ces contrats incluent les marchandises vendues franco à bord (ci-après "fob") serait inhérent à une fidélité à 100 % et ne prouverait pas que ces contrats sont imposés.
165. En second lieu, les requérantes contestent que des listes noires de chargeurs infidèles aient été établies. Selon elles, si cette expression a été utilisée au sein de Cewal, elle ne visait qu'à identifier les chargeurs utilisant des navires hors conférence, en vue de les priver des avantages du contrat de fidélité. En outre, en pratique, même cette sanction n'aurait pas été appliquée, comme la Commission en a été informée au cours de la procédure administrative. De surcroît, à supposer que de telles listes aient existé, les requérantes relèvent que le dixième considérant du préambule du règlement n° 4056-86 permet de sanctionner les chargeurs qui manqueraient à leur obligation. En fait, l'établissement d'une liste de ces chargeurs serait inhérent à un système de contrats de fidélité à 100 %, qui est exempté.
166. Enfin, selon les requérantes, la Cour aurait estimé qu'une entreprise en position dominante abuse de cette position si elle conclut des contrats de fidélité liant des clients de manière exclusive, sauf si de tels accords sont rendus admissibles par des circonstances exceptionnelles dans le cadre de l'article 85, paragraphe 3, du traité (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 90). Or, en l'espèce, l'existence d'une exemption expresse prévue par le règlement n° 4056-86 serait constitutif d'une circonstance exceptionnelle.
167. La défenderesse considère qu'il faut distinguer, d'une part, le défaut de conformité des contrats de fidélité conclus entre Cewal et les chargeurs au regard des dispositions de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86 et, d'autre part, le fait, pour Cewal, d'avoir imposé des contrats de fidélité à 100 %, d'avoir étendu leurs effets aux marchandises vendues fob et d'avoir établi des listes noires des chargeurs défaillants. Ces derniers faits seraient constitutifs de l'abus incriminé, alors que l'absence de conformité des contrats avec l'article 5, paragraphe 2, du règlement n'aurait donné lieu qu'à une recommandation adressée à Cewal de se conformer aux termes du règlement.
168. Le défaut de conformité des contrats de fidélité avec les termes du règlement consisterait, tout d'abord, en l'absence d'indication des droits des usagers et des obligations des membres de la conférence, ensuite dans le silence des contrats quant aux cargaisons exclues de leur champ d'application et, enfin, dans le caractère inadapté des dispositions relatives au délai de préavis.
169. En ce qui concerne le fait que les contrats de fidélité à 100 % étaient imposés, la Commission souligne que les chargeurs n'avaient d'autre choix que d'accepter un contrat de fidélité à 100 % ou de payer le taux plein, excluant ainsi toute ristourne en cas de fidélité partielle; cette attitude, de la part d'une conférence en position dominante, détenant en l'espèce, à l'époque des faits, plus de 90 % du marché, reviendrait à imposer ces contrats aux chargeurs. Une telle contrainte serait abusive (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité). Les requérantes ne pourraient utilement prétendre que ce comportement bénéficie de l'exemption octroyée par le règlement n° 4056-86. Si l'article 5, paragraphe 2, de ce règlement autorise les contrats de fidélité, il interdirait néanmoins de les imposer unilatéralement. Enfin, la Commission souligne que l'application de la clause de fidélité aux marchandises vendues fob en accentue le caractère abusif. En effet, dans cette modalité de vente, le navire de transport est désigné par l'acheteur, ce qui aurait pour effet d'étendre l'obligation de fidélité à des marchandises qui ne sont pas expédiées par le vendeur.
170. Quant aux listes noires de chargeurs infidèles, la Commission souligne tout d'abord qu'elles ne peuvent être considérées comme exemptées par le règlement n° 4056-86. A cet égard, la Commission confirme que, selon elle, les procès-verbaux des réunions du Zaïre Pool Committee des 28 juin 1988 et 20 avril 1989 démontrent l'existence et l'objectif de ces listes. Cet objectif serait de sanctionner les chargeurs infidèles, en les privant d'un service adéquat normal.
171. Par ailleurs, l'argument des requérantes, selon lequel aucune amende ne peut être infligée aussi longtemps que les contrats de fidélité sont couverts par l'exemption, serait sans fondement, dès lors que le fait que certains comportements bénéficient d'une exemption au titre de l'article 85 n'a aucune incidence sur l'application éventuelle de l'article 86. En effet, la jurisprudence Tetra Pak, précitée, serait parfaitement transposable en l'espèce.
172. Les intervenantes soutiennent que l'établissement, par une conférence maritime en position dominante, de listes noires de chargeurs qui confient leur marchandise à G et C plutôt qu'à Cewal, en vue d'exclure ces chargeurs du service normal de la conférence, dans le cadre de contrats de fidélité à 100 %, constitue un comportement destiné à éliminer toute concurrence effective de G et C et, par conséquent, un abus de position dominante. L'article 8 du règlement n° 4056-86 rappellerait que ce dernier n'exclut pas l'application de l'article 86 du traité; toute autre interprétation serait d'ailleurs sans fondement.
- Appréciation du Tribunal
173. Le Tribunal constate que, dans l'examen des contrats de fidélité de Cewal, aux points 84 à 91 de sa Décision, la Commission a retenu deux infractions distinctes, l'une relative à l'article 85 du traité, l'autre relative à l'article 86 du traité. La première consiste dans le fait d'avoir conclu des contrats qui ne correspondent pas en tout point aux obligations, énoncées à l'article 5 du règlement n° 4056-86, auxquelles est soumise l'exemption édictée à l'article 3 de ce règlement; la seconde consiste dans le fait d'avoir imposé des contrats de fidélité à 100 %, d'avoir inclus les marchandises vendues fob et d'avoir utilisé des listes noires de chargeurs infidèles, en vue de sanctionner ceux-ci.
174. S'agissant de la première infraction, la Commission a constaté que les contrats de fidélité litigieux ne répondent pas à trois des conditions fixées par l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86. Les requérantes contestant cette affirmation, il convient d'examiner chacun des trois griefs énoncés par la Commission.
175. En premier lieu, aux termes de l'article 5, paragraphe 2, sous a), premier tiret, du règlement, "dans le cas d'un système de ristourne immédiate, chaque partie doit pouvoir mettre fin à l'accord de fidélité à tout moment, sans pénalité et moyennant un préavis n'excédant pas six mois". Or, il ressort du contrat soumis par les requérantes, daté du 10 janvier 1989, que "chacune des parties peut mettre fin au présent contrat en donnant un préavis de six mois, soit au premier janvier, soit au premier juillet de chaque année". C'est donc à juste titre que la Commission a pu constater le défaut de conformité des contrats sur ce point.
176. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5, paragraphe 2, sous b), i), la conférence doit établir "la liste des cargaisons ou des parties de cargaisons convenues avec les usagers, qui sont expressément exclues du champ d'application de l'accord de fidélité". Or, le contrat soumis ne fait pas apparaître une telle liste. En outre, contrairement aux affirmations des requérantes, il ne ressort pas de l'article 5, paragraphe 2, sous b, i), qu'une telle liste ne doive être établie que dans le cas de contrats de fidélité imposés unilatéralement par la conférence.
177. En troisième lieu, l'article 5, paragraphe 2, sous b, ii), du règlement dispose que la conférence doit établir "une liste des cas qui délient les usagers de leurs obligations de fidélité". Parmi ces cas, deux sont expressément mentionnés aux premier et second tirets de cette disposition du règlement comme devant figurer dans cette liste; ni l'un ni l'autre de ces cas n'apparaît dans les contrats conclus par Cewal.
178. Dans ces conditions, le Tribunal considère que la Commission a, à juste titre, constaté le défaut de conformité des contrats de fidélité litigieux avec les dispositions du règlement n° 4056-86. C'est donc à bon droit qu'elle a, en application de l'article 7 de ce règlement, recommandé aux membres de Cewal de mettre les termes de leurs contrats de fidélité en conformité avec l'article 5, paragraphe 2, du règlement.
179. Par ailleurs, le Tribunal considère que la circonstance que les contrats de fidélité auraient été modifiés après l'audition du 22 octobre 1990, mais avant l'adoption de la Décision, ce que les requérantes n'allèguent au demeurant que pour le seul délai de préavis, n'est pas de nature à rendre nul l'article 5 de la Décision. Une telle modification aurait seulement pour résultat de priver d'effet la recommandation adressée aux membres de Cewal.
180. S'agissant de la seconde infraction, les requérantes font valoir deux séries d'observations, l'une relative à la qualification de la pratique litigieuse au regard de l'article 86 du traité, l'autre relative à l'articulation entre l'article 85 et l'article 86 du traité, dans le cadre du règlement n° 4056-86.
181. Dans la première branche de leur argumentation, les requérantes font valoir que la pratique reprochée par la Commission ne constitue pas un abus de position dominante. A titre liminaire, il convient de rappeler que la circonstance que les contrats de fidélité de Cewal n'étaient pas conformes à trois égards au règlement n° 4056-86 n'a pas été prise en compte au regard de l'article 86 du traité, mais seulement dans l'appréciation au titre de l'article 85 du traité. Dès lors, l'argument des requérantes selon lequel le défaut de conformité sur trois points prétendument mineurs ne peut justifier des amendes aussi élevées que celles infligées est inopérant dans l'examen des pratiques reprochées au titre de l'article 86 du traité.
182. En l'espèce, il convient donc d'examiner si, comme l'affirment les requérantes, la Commission a retenu à tort que les contrats de fidélité à 100 % étaient imposés, que ces contrats couvraient les ventes fob et que des listes noires de chargeurs infidèles avaient été établies en vue de les sanctionner.
183. En premier lieu, le Tribunal considère que, ainsi que la Commission l'a souligné, le fait pour les membres de Cewal, détenant à l'époque des faits plus de 90 % du marché, de ne proposer aux chargeurs que des contrats de fidélité à 100 % ne laissait aucun choix entre l'obtention d'une ristourne, si le chargeur acceptait de faire transporter la totalité de ces marchandises par Cewal, ou aucune ristourne dans tous les autres cas, et revenait en fait à imposer de tels contrats. Les requérantes ne peuvent utilement prétendre qu'une telle pratique serait exemptée au titre de l'article 85 du traité; en effet, il suffit à cet égard de constater que, aux termes de l'article 5, paragraphe 2, sous b, i), des accords de fidélité à 100 % peuvent être offerts, mais ne peuvent être imposés unilatéralement.
184. En deuxième lieu,le Tribunal estime que la Commission a, à juste titre, retenu le fait que ces contrats de fidélité incluaient les ventes fob; une telle pratique conduit en effet le vendeur à supporter une obligation de fidélité alors même qu'il n'a pas la responsabilité d'expédier les marchandises.
185. En troisième lieu, le Tribunal constate que, dans le procès-verbal du Zaïre Pool Committee du 28 juin 1988, expressément cité en note à la page 3, sous le point 29 de la Décision, il est fait référence à l'existence de listes noires de chargeurs infidèles qui ne pourraient plus bénéficier d'un traitement adéquat normal de la part de la conférence pour leurs autres chargements. Dans un procès-verbal ultérieur de ce même Committee, également cité dans cette note, il est indiqué, dans une rubrique relative à l'activité de G et C et après avoir cité les navires de cet armateur indépendant ayant appareillé de janvier à avril 1989, que ce système des listes noires fonctionne. Par ailleurs, le Tribunal estime que l'utilisation des termes "listes noires", si elle ne peut suffire à qualifier l'existence d'une pratique abusive, est révélatrice de ce que ces listes n'étaient pas simplement, comme l'affirment les requérantes, établies à des fins statistiques. Il y a lieu de souligner enfin que, contrairement à ce que semblent indiquer les requérantes, l'établissement de telles listes ne peut être considéré comme exempté par l'une quelconque des dispositions du règlement n° 4056-86.
186. Dans ces conditions, le Tribunal estime que la Commission a pu à bon droit conclure que cette pratique, prise dans son ensemble, avait pour effet de restreindre la liberté des usagers et, par conséquent, d'affecter la position concurrentielle de l'unique concurrent de Cewal sur le marché (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 90).
187. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la première branche de l'argumentation des requérantes doit être rejetée.
188. Dans la seconde branche de leur argumentation, les requérantes soutiennent, en premier lieu, que le règlement n° 4056-86 octroie une exemption au titre tant de l'article 85 que de l'article 86 du traité. Toutefois, ainsi qu'il a été rappelé, cette dernière disposition ne prévoit pas la possibilité d'une exemption et, en application des principes régissant la hiérarchie des normes, un acte de droit dérivé ne saurait déroger à une disposition du traité. Bien au contraire, le Tribunal rappelle que l'article 8, paragraphe 1, du règlement dispose que "l'exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86 du traité est interdite, aucune décision préalable n'étant requise à cet effet". Dès lors, l'argumentation des requérantes, pour autant qu'elle est fondée sur le postulat que le règlement n° 4056-86 octroie une exemption au titre de l'article 86 du traité, est manifestement non fondée.
189. Il y a lieu de souligner, en outre, que cela n'affecte pas l'effet utile du règlement. En effet, l'argument des requérantes à cet égard repose notamment sur le postulat que toute conférence maritime, ou ses membres, occuperait une position dominante. Or, force est de constater que la Commission n'a rien affirmé de tel mais a au contraire correctement démontré que, en l'espèce, les membres de Cewal détenaient ensemble une position dominante.
190. En second lieu, les requérantes prétendent que, même si le règlement n'octroie pas d'exemption au titre de l'article 86, son article 8, paragraphe 2, imposerait à la Commission de retirer l'exemption octroyée à l'article 3 avant de sanctionner un abus de position dominante. A cet égard, le Tribunal rappelle que, aux termes de l'article 8, paragraphe 2, du règlement, "lorsque la Commission constate [...] que, dans un cas particulier quel qu'il soit, le comportement des conférences bénéficiant de l'exemption prévue à l'article 3 produit cependant des effets incompatibles avec l'article 86 du traité, elle peut retirer le bénéfice de l'exemption de groupe et prendre, en application de l'article 10, toutes les mesures appropriées pour faire cesser les infractions à l'article 86 du traité". Il découle ainsi clairement des termes de cet article qu'est envisagée la situation dans laquelle une pratique, bien qu'exemptée au titre de l'article 85 du traité, est néanmoins contraire à l'article 86 du traité. Or, force est de constater que tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque ni le fait d'imposer des contrats de fidélité à 100 %, ni l'établissement de listes noires, au sens où l'a entendu la Commission, ne sont exemptés au regard de l'article 85. Dès lors, l'article 8, paragraphe 2, du règlement, ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce.
191. Il résulte de cette constatation que l'article 8, paragraphe 3, du règlement, selon lequel "avant de prendre une décision conformément au paragraphe 2, la Commission peut adresser à la conférence concernée des recommandations visant à faire cesser l'infraction", n'est pas non plus en cause en l'espèce. L'argument tiré de la prétendue violation de cette disposition par la Commission doit donc être écarté.
192. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le Tribunal considère que les moyens et arguments des requérantes relatifs à l'examen des contrats de fidélité ne sont pas fondés.
193. Dans ces conditions, le troisième moyen doit être rejeté dans sa totalité.
4. Sur le quatrième moyen, tiré de l'absence d'affectation des échanges intracommunautaires et de ce que les marchés concernés ne font pas partie du Marché commun.
Arguments des parties
194. En premier lieu, dans les affaires T-24-93, T-25-93 et T-28-93, les requérantes font valoir que, contrairement aux énonciations contenues aux points 39, 40 et 92 de la Décision, les pratiques en cause, dans la mesure où elles concernent le trafic Nord-Sud, et, par conséquent, les exportations à destination de l'Afrique, n'affectent pas la concurrence dans le Marché commun. La Décision n'aurait pas suffisamment démontré l'existence de cette affectation (arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429). La Commission aurait la charge d'établir que chacun des abus affecte individuellement la concurrence dans le Marché commun; elle ne pourrait utilement se prévaloir d'une ligne de jurisprudence selon laquelle l'appréciation des effets d'un contrat sur les échanges intracommunautaires s'effectue au regard du contrat dans son ensemble et non au regard de chacune de ses stipulations prise isolément (arrêt de la Cour du 25 février 1986, Windsurfing/Commission, 193-83, Rec. p. 611).
195. En second lieu, dans les affaires T-24-93 et T-25-93, les requérantes font valoir que les marchés concernés par les pratiques litigieuses ne font pas partie du Marché commun. En appliquant les règles communautaires de concurrence à des marchés d'exportation, la Décision méconnaît tant la jurisprudence (arrêt de la Cour du 18 février 1986, Bulk Oil, 174-84, Rec. p. 559) que la pratique décisionnelle de la Commission [décision 77-100-CEE de la Commission, du 21 décembre 1976, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-5715 - Junghans) (JO 1977, L. 30, p. 10)]. De même, l'arrêt de la Cour du 27 septembre 1988, Ahlstroem ea/Commission (89-85, 104-85, 114-85, 116-85, 117-85, 125-85, 126-85, 127-85, 128-85 et 129-85, Rec. p. 5193), aurait-il indiqué qu'est seul déterminant le lieu où une entente anticoncurrentielle est mise en œuvre.
196. La Commission estime que le trafic en cause couvre la fourniture de services de transport au départ et à destination de ports de la Communauté, par des transporteurs établis dans la Communauté, à des chargeurs et importateurs eux aussi établis dans la Communauté. Les pratiques restrictives de concurrence en cause devraient être examinées du point de vue de leurs effets sur le marché du service en question, puis du point de vue de leurs effets indirects sur le commerce des marchandises transportées (arrêt de la Cour du 3 décembre 1987, Aubert, 136-86, Rec. p. 4789, point 18). Les services de transport dans le sens Nord-Sud et dans le sens Sud-Nord seraient par ailleurs indissociables et ne pourraient dès lors être examinés séparément.
197. La défenderesse souligne que la possibilité que des pratiques restrictives de concurrence dans le domaine des transports maritimes internationaux soient susceptibles d'affecter le commerce intracommunautaire est expressément prévue par le sixième considérant du préambule du règlement n° 4056-86. Il ne serait donc pas possible de contester l'existence de cette condition, sans mettre en cause la légalité du règlement lui-même.
198. S'agissant des infractions à l'article 85 du traité, la Commission fait valoir que, en interdisant aux membres d'une conférence d'opérer en tant qu'armateurs indépendants dans la sphère d'activité d'une autre conférence, les conférences incriminées ont établi un cloisonnement supplémentaire du marché.
199. S'agissant des infractions à l'article 86, la Commission rappelle que la condition d'affectation des échanges intracommunautaires, qui est d'interprétation large, est établie à suffisance de droit, dès lors qu'est mise en évidence une affectation suffisamment plausible - et non purement hypothétique - du commerce intracommunautaire, résultant de la pratique incriminée (arrêt Consten et Grundig/Commission, précité).
200. Les intervenantes n'ont pas présenté d'observations sur ce point.
Appréciation du Tribunal
201. Il convient tout d'abord de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un accord entre entreprises, ainsi d'ailleurs qu'un abus de position dominante, pour être susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre Etats membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre Etats (arrêt de la Cour du 15 décembre 1994, DLG, C-250-92, Rec. p. I-5641, point 54). Ainsi, il n'est en particulier pas nécessaire que le comportement incriminé ait effectivement affecté le commerce entre Etats membres de manière sensible; il suffit d'établir que ce comportement est de nature à avoir un tel effet (voir, pour l'article 86, arrêt de la Cour du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C-241-91 P et C-242-91 P, Rec. p. I-743, point 69, et, pour l'article 85, arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO ea/Commission, T-29-92, Rec. p. II-289).
202. S'agissant des accords entre conférences dont la Commission a constaté qu'ils sont incompatibles avec l'article 85 du traité, il y a lieu de rappeler que ces accords ont pour objet d'interdire aux membres d'une conférence maritime de desservir, en tant qu'armateurs indépendants, une ligne à partir de ports communautaires correspondant à la zone d'une autre conférence maritime partie à l'accord. Un tel accord, qui tend à éviter que les membres d'une conférence ne fassent concurrence aux membres d'une autre conférence en tant qu'armateurs indépendants, a pour objet de cloisonner davantage le marché des services de transport maritime proposés par des entreprises de la Communauté. En outre, ainsi que la Commission l'a justement souligné, ces accords sont de nature à affecter indirectement la concurrence dans le Marché commun, d'une part entre les ports de la Communauté visés par ces accords en modifiant leur zone d'attraction, d'autre part entre les activités se situant dans ces zones d'attraction.
203. S'agissant des pratiques abusives visées par l'article 86, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, pour apprécier si le commerce entre Etats membres est susceptible d'être affecté par l'abus d'une position dominante, il faut prendre en considération les conséquences qui en résultent pour la structure de la concurrence effective dans le Marché commun (voir, par exemple, arrêt Bodson, précité, point 24). Dans ces conditions, des pratiques par lesquelles un groupe d'entreprises cherche à éliminer du marché le principal concurrent établi dans le Marché commun sont, par nature, susceptibles d'affecter la structure de la concurrence dans le Marché commun et donc d'affecter le commerce entre Etats membres au sens de l'article 86 du traité. Au vu de cette seule constatation, il convient de rejeter l'argument des requérantes. De surcroît, comme la Commission l'a souligné, notamment en se référant au sixième considérant du règlement n° 4056-86, de telles pratiques sont susceptibles d'affecter indirectement la concurrence, d'une part, entre les différents ports de la Communauté en modifiant leur zone d'attraction respective, d'autre part, entre les activités se situant dans ces zones d'attraction.
204. Enfin, le Tribunal estime que, dès lors que des pratiques abusives, tendant à l'éviction d'un concurrent, affectent chacune de la même manière et pour les mêmes raisons le commerce entre Etats membres, il ne saurait être exigé de la Commission qu'elle établisse pour chacune l'existence d'une affectation, ce qui ne saurait conduire qu'à la répétition formelle du même raisonnement.
205. Il y a lieu de souligner, à propos de la seconde branche du moyen, tirée de ce que les marchés concernés ne feraient pas partie du Marché commun, que le marché en cause directement affecté est celui des services de transports de ligne, et non celui de l'exportation de marchandises à destination de pays tiers. Tant les accords entre conférences que les pratiques abusives reprochées aux membres de Cewal visent à restreindre la concurrence à laquelle sont soumises les conférences de la part de compagnies maritimes non membres, établies dans la Communauté, qu'il s'agisse de compagnies membres d'une autre conférence auxquelles il est interdit d'intervenir en tant qu'armateur indépendant, ou de compagnies n'appartenant à aucune conférence.
206. Dans ces conditions, le quatrième moyen doit être rejeté.
207. Dès lors, le Tribunal conclut que les demandes principales, tendant à l'annulation de la Décision, doivent être rejetées dans leur intégralité.
Sur les conclusions subsidiaires, tendant à l'annulation de l'amende infligée
Arguments des parties
208. A l'appui de leurs conclusions subsidiaires, les requérantes présentent onze moyens ou arguments.
209. En premier lieu, les requérantes contestent le caractère délibéré et la gravité des infractions retenues par la Commission.
210. En deuxième lieu, les requérantes allèguent que, en raison du caractère général de la plainte, elles ne pouvaient être tenues de cesser leurs pratiques dès le dépôt de celle-ci. En revanche, elles font valoir que les contrats de fidélité auraient été modifiés dès réception de la communication des griefs; Cewal aurait coopéré avec la Commission durant la procédure, ce qui ressortirait du fait que l'essentiel des pratiques avait cessé au jour de la communication des griefs. Enfin, Cewal aurait assisté la Commission dans les négociations avec l'OCDE, d'une part, et les pays de l'Afrique occidentale et de l'Afrique centrale, d'autre part.
211. En troisième lieu, s'agissant de la nature et de la valeur des produits, les requérantes font valoir que, contrairement aux affirmations de la Commission, la part de marché de Cewal aurait fortement diminué et celle de l'armateur indépendant aurait crû, en dépit des pratiques reprochées. Les requérantes estiment, en outre, que l'accusation, figurant au point 108 des motifs de la Décision, selon laquelle Cewal a pratiqué des prix artificiellement élevés grâce à sa position dominante ne serait pas établie et serait contredite par les accusations selon lesquelles les prix de Cewal étaient anormalement bas. Le fait que CMZ, compagnie membre de Cewal, a subi de lourdes pertes démentirait également cette affirmation.
212. En quatrième lieu, s'agissant du degré de participation de chacun des membres, les requérantes soutiennent que la Commission, qui n'a infligé d'amende ni à la Scandinavian West African Lines (ci-après "Swal"), ni à la CMZ, pourtant majoritaire au sein de la conférence, a méconnu le principe d'égalité de traitement. De même, CMB supporterait 95 % du montant total de l'amende, alors que sa part dans le "pool" de recettes de la conférence ne représente que 30 à 35 %. En outre, la Commission aurait dû tenir compte, à titre de circonstance atténuante, de la situation financière des entreprises et de la réduction du tonnage du fret transporté par Cewal (arrêt de la Cour du 18 mars 1980, Valsabbia ea/Commission, 154-78, 205-78, 206-78, 226-78, 227-78, 228-78, 263-78, 264-78, 31-79, 39-79, 83-79 et 85-79, Rec. p. 907, points 156 à 158). La Commission aurait en fait dû se référer, mutatis mutandis, aux principes appliqués aux coopératives, où l'amende infligée tient compte des profits que les membres tirent de la coopérative [décision 86-596-CEE de la Commission, du 26 novembre 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.204 - Meldoc) (JO L. 348, p. 50)]. De fait, selon les requérantes, l'imposition d'une amende élevée à CMB n'aurait eu pour véritable but que de parvenir à un équilibre politique avec l'amende infligée à un armateur français (décision 92-262, du 1er avril 1992, précitée).
213. En cinquième lieu, s'agissant de la durée des infractions, les requérantes, quant à l'accord avec l'Ogefrem, contestent l'affirmation contenue au point 115 de sa Décision, selon laquelle l'abus dure tant que l'accord n'est pas dénoncé. Elles soutiennent que le règlement n° 4056-86 étant entré en vigueur le 1er juillet 1987, alors que l'accord a été conclu en décembre 1985, la Commission n'avait pas compétence pour imposer une amende. Au surplus, elles font valoir que cette durée aurait pu être réduite si la Commission avait agi avec la diligence requise (arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Commercial solvents/Commission, 6-73 et 7-73, Rec. p. 223). En outre, la Commission ne pourrait pas faire cesser la période de référence relative aux navires de combat en novembre 1989, alors qu'elle s'appuie sur des documents dont le dernier date du 18 mai 1989 et que d'autres procès-verbaux contredisent cette affirmation. Quant aux ristournes de fidélité, la Décision ne pourrait simultanément constater, au point 115 des motifs de la Décision, que la pratique a pris fin en novembre 1989 et adresser aux entreprises une recommandation les invitant à mettre leurs contrats de fidélité en conformité avec les termes de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86. La durée, relativement brève, des infractions ne justifierait pas le montant de l'amende infligée.
214. En sixième lieu, dans l'affaire T-26-93, la requérante, DAL, soutient qu'aucune amende ne pouvait lui être infligée à raison de comportements postérieurs au 1er avril 1990. A cette date en effet, DAL avait cédé sa filiale Woermann-Linie à CMB.
215. En septième lieu, eu égard au caractère nouveau de l'application tant du règlement n° 4056-86, qui est de surcroît d'interprétation délicate, que de la théorie de la position dominante collective, ce serait à tort que la Commission n'a pas fait preuve de modération dans la détermination du montant de l'amende.
216. En huitième lieu, s'agissant du calcul du montant de l'amende en cas de position dominante collective, les requérantes soutiennent que seul le chiffre d'affaires de Cewal, et non celui des membres, aurait dû servir de référence pour le calcul du montant de l'amende. En outre, seul le chiffre d'affaires sur le marché concerné serait pertinent.
217. En neuvième lieu, selon les requérantes, aucune amende ne pourrait leur être légalement infligée, au motif qu'elles n'ont pas été destinataires de la communication des griefs. La circonstance qu'aucune amende ne pouvait être infligée à Cewal, qui n'a pas la personnalité juridique, ne dispensait pas la Commission, selon les requérantes, de l'obligation de notifier la communication des griefs aux entreprises et de préciser qu'une amende leur serait infligée.
218. En dixième lieu, les requérantes font valoir que la Commission avait l'obligation de tenir compte du cadre législatif et du contexte économique dans lequel se situent les pratiques incriminées (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie ea/Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73, 55-73, 56-73, 111-73, 113-73 et 114- 73, Rec. p. 1663, points 613 à 620), et donc, en l'espèce, de l'existence d'un droit exclusif légalement octroyé. En outre, la Commission aurait violé le principe d'égalité de traitement en ne respectant pas les engagements souscrits par elle dans sa déclaration sur l'application de l'article 86 au secteur des transports maritimes (JO 1981, C 339, p. 4).
219. Enfin, en dernier lieu, les requérantes jugent excessif le taux d'intérêt prévu à l'article 7 de la Décision, en cas de paiement différé de l'amende, soit 13,25 %, et demandent au Tribunal de fixer un taux inférieur.
220. La Commission insiste sur le caractère grave et intentionnel des infractions alléguées, par lesquelles les membres de Cewal ont délibérément cherché à éliminer un concurrent.
221. Si elle admet que les plaintes présentaient un caractère général, la Commission conteste en revanche que les membres de la conférence aient eu de façon systématique une attitude coopérative.
222. Sur le calcul des amendes, la Commission souligne qu'elle a infligé une amende distincte à chaque entreprise, et non déterminé un montant global qu'elle aurait ensuite réparti. La Commission soutient que la communication des griefs, qui indiquait le risque de prononcé d'une amende, a été adressée à chacun des membres de Cewal. Chacun a donc été en mesure de présenter ses observations et de faire valoir son point de vue. De surcroît, elle allègue que, en l'absence de personnalité juridique de Cewal, la mise en cause de celle-ci emporte nécessairement celle de ses membres.
223. Dans le cas de CMB, l'amende substantielle infligée tiendrait compte du rôle principal qu'elle a joué dans les infractions, référence qui serait plus opportune que celle à la part de CMB dans le pool des recettes de la conférence. La Commission aurait pris pour référence le chiffre d'affaires pour le transport de ligne du groupe CMB en 1991, qui constituait une voie médiane entre le chiffre d'affaires du trafic avec le Zaïre et le chiffre d'affaires total. Dans le cas des trois autres entreprises, compte tenu de leur moindre rôle au sein de la conférence, l'amende infligée aurait été fixée de façon forfaitaire et symbolique, sans lien direct avec un chiffre d'affaires. La situation financière de chacune des entreprises aurait été dûment prise en compte, comme en témoignerait le fait qu'aucune amende n'a été infligée à CMZ qui rencontrait de graves difficultés financières. Quant à la chute du volume du fret transporté, elle ne concernerait que les années 1991 et 1992 et serait, de l'aveu des requérantes, imputable à la crise politique survenue au Zaïre.
224. En outre, la Commission précise que le fait qu'aucune amende n'a été imposée à Swal et à CMZ ne constitue pas une discrimination. Swal, depuis 1984, n'aurait joué aucun rôle actif dans le trafic maritime entre l'Europe et le Zaïre. Quant à CMZ, la Commission souligne que sa situation financière était catastrophique, que ses navires avaient été saisis et vendus et qu'elle avait cessé toute exploitation, sa part de trafic étant assurée par les autres compagnies de la conférence, moyennant une commission sur tout transport de marchandises effectué sous couvert d'un connaissement émis par elle.
225. Elle relève que la Décision a suffisamment expliqué comment la durée des infractions a été déterminée. Selon elle, le délai qui s'est écoulé entre la découverte des infractions et la communication des griefs, puis entre celle-ci et l'adoption de la Décision, n'est pas excessif.
226. Pour la Commission, l'application du règlement n° 4056-86 s'inscrit dans le cadre plus général de l'application des règles communautaires de concurrence. En cela, les pratiques reprochées ne présenteraient aucune nouveauté, de nature à justifier la réduction du montant de l'amende. Elle estime également que la notion de position dominante collective est connue et a déjà été appliquée, y compris dans le secteur particulier des conférences maritimes (décision 92-262, du 1er avril 1992, précitée).
227. La circonstance que, pour déterminer le montant de l'amende à infliger dans la présente espèce, il ait été tenu compte du montant de celle infligée dans une autre affaire relève, selon la Commission, d'une saine administration et ne saurait être interprétée comme le signe d'une volonté politique.
228. Enfin, la défenderesse soutient que la détermination du taux des intérêts de retard est une question étrangère à la légalité de la Décision. En outre, elle fait valoir que le taux adopté à l'article 7 de la Décision est raisonnable et souligne que les requérantes ont, en tout état de cause, bénéficié de mesures gracieuses.
229. Les intervenantes n'ont pas présenté d'observations sur les conclusions subsidiaires.
Appréciation du Tribunal
230. A titre liminaire, il y a lieu de relever que, en application de l'article 21 du règlement n° 4056-86, la Cour statue avec compétence de pleine juridiction, au sens de l'article 172 du traité, sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende.
231. En premier lieu, il convient de rappeler que les amendes infligées à l'article 6 de la Décision concernent les seules pratiques abusives reprochées aux membres de Cewal. Ces pratiques ayant été mises en œuvre en vue d'évincer l'unique concurrent présent sur le marché, le Tribunal considère que les requérantes ne sont pas fondées à nier le caractère délibéré et la gravité des infractions.
232. En deuxième lieu, s'agissant du calcul de l'amende, le Tribunal considère que, en l'absence de personnalité juridique de la conférence, la Commission a pu infliger une amende aux membres de Cewal, plutôt qu'à la conférence elle-même. A cet égard, il y a lieu de souligner que, outre Cewal, chacun des membres de la conférence a été destinataire de la communication des griefs. Dans ces conditions, et compte tenu de l'absence de personnalité juridique de Cewal, le Tribunal considère que, même si la communication des griefs ne faisait état que de la possibilité d'infliger une amende à Cewal au regard des pratiques abusives, les requérantes ne pouvaient ignorer qu'elles encouraient le risque qu'une amende éventuelle leur soit infligée, plutôt qu'à la conférence.
233. Dans l'affaire T-24-93, les requérantes soutiennent que, en ne retenant pas le chiffre d'affaires approprié, la Commission a infligé des amendes supérieures au seuil maximal de 10 % indiqué à l'article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86. Aux termes de cet article, la Commission peut infliger des amendes allant jusqu'à 10 % "du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction", notamment lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction à l'article 86 du traité. Selon une jurisprudence établie, dans le cadre de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, il est loisible, en vue de la détermination de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise, qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77-92, Rec. p. II-549, point 94). Le Tribunal considère que cette jurisprudence est transposable en l'espèce, dès lors que les termes de l'article 19 du règlement n° 4056-86 sont, à cet égard, identiques à ceux de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Dans ces conditions, le Tribunal estime que, en retenant comme référence le chiffre d'affaires de CMB pour le transport maritime de ligne en 1991, la Commission n'a pas enfreint l'article 19 du règlement n° 4056-86. L'amende infligée représentant 1,4 % de ce chiffre d'affaires, la Commission n'a pas dépassé le seuil prévu à l'article 19 du règlement.
234. Quant aux critiques formulées par les requérantes en ce qui concerne la discrimination dont elles auraient été victimes, le Tribunal relève tout d'abord qu'elles sont essentiellement fondées sur le fait que, selon elles, les amendes auraient dû être fixées conformément à la part de chacune dans le pool des recettes de Cewal. Un tel argument ne saurait être retenu. Lorsqu'il apparaît que les entreprises n'ont pas participé à un même degré à une infraction, la référence à la part fixe de chacune d'elles dans le pool des recettes aurait pour effet d'avantager celles qui ont largement participé à cette infraction et de pénaliser celles dont la participation est moindre. En conséquence, du seul fait qu'elle a retenu le degré de participation des entreprises plutôt que leur part dans le pool de recettes, la Commission n'a pas enfreint le principe d'égalité de traitement.
235. Par ailleurs, la seule constatation que l'amende infligée à CMB est substantiellement plus élevée que celle infligée aux autres entreprises n'est pas en elle-même significative d'un traitement inégal. En l'espèce, la Commission a tenu compte de ce que CMB contrôle une part de trafic prépondérante, si bien que l'impact de ses actes sur le marché est sensible, et qu'elle occupe une place déterminante au sein de Cewal. Le Tribunal rappelle en outre que l'amende ayant également pour vocation de dissuader les entreprises de commettre de nouveau les infractions reprochées, la Commission a pu légitimement prendre en compte la circonstance que les armements du groupe CMB transportaient, à l'époque de l'adoption de la Décision, la quasi-totalité des cargaisons de la conférence. Dans ces conditions, le Tribunal estime que, en infligeant à CMB une amende substantiellement supérieure à celle infligée aux autres entreprises, la Commission n'a pas enfreint le principe d'égalité de traitement.
236. En outre, dans la mesure où, depuis 1984, Swal sous-traitait ses droits à d'autres membres de la conférence, si bien que ses cargaisons étaient en fait transportées par ceux-ci, la Commission a pu conclure à bon droit que cet armateur n'avait pas joué de rôle actif dans les infractions et décider, sans enfreindre le principe d'égalité de traitement, qu'aucune amende ne devait en conséquence lui être infligée.
237. Par ailleurs, le Tribunal relève que la Commission, sans contester que CMZ a pu participer aux infractions reprochées, a considéré qu'il convenait de ne pas lui imposer d'amende, en raison des graves difficultés qu'elle connaissait. La Commission a en particulier constaté, ce que les requérantes ne contestent pas, que CMZ avait dû se dessaisir de ses navires. Ne disposant plus de navires, CMZ n'exerçait plus par elle-même d'activité de transport maritime. Dans ces conditions, le Tribunal considère que la Commission a pu à juste titre décider de ne pas imposer d'amendes à CMZ, sans enfreindre le principe d'égalité de traitement, dès lors qu'aucune des requérantes ne peut prétendre se trouver dans une situation identique à celle de CMZ.
238. Enfin, quant à l'argument tiré d'un prétendu détournement de pouvoir, selon lequel l'amende infligée en l'espèce n'avait pour but que de parvenir à un équilibre politique avec la décision 92-262, du 1er avril 1992, précitée, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d'atteindre des fins autres que celles excipées (notamment arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T-143-89, Rec. p. II-917, point 68). Tel ne saurait être le cas dans l'hypothèse où la Commission, en déterminant le montant de l'amende infligée à un armateur, prendrait en considération l'amende infligée, quelques mois plus tôt, à une autre entreprise du secteur des transports maritimes, assurant ainsi la cohérence de l'application du droit communautaire de la concurrence.
239. En troisième lieu, le Tribunal estime que, dans la mesure où les plaintes à l'origine de cette affaire présentaient un caractère général, si bien que les pratiques finalement reprochées dans la Décision n'étaient pas identifiées, il ne peut être fait grief aux membres de Cewal de n'avoir pas mis fin aux pratiques dès le dépôt de ces plaintes, contrairement à ce qui est indiqué au point 104 de la Décision. En conséquence, le Tribunal considère, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, que le montant de l'amende infligée à chacune des requérantes doit être réduit. En revanche, le Tribunal estime que l'on ne saurait tenir compte de la prétendue coopération des requérantes avec la Commission. A cet égard, la mise en conformité des contrats de fidélité avec l'article 5, paragraphe 2, du règlement, est sans incidence, puisqu'aucune amende n'a été infligée à ce titre. De même, la circonstance que Cewal ait assisté la Commission dans les négociations avec des Etats tiers ou l'OCDE n'a aucune incidence sur le montant de l'amende infligée à raison de trois violations de l'article 86 du traité. Enfin, dans la mesure où l'amende est infligée par hypothèse pour une période donnée, le seul fait que les pratiques litigieuses auraient cessé après cette période ne suffit pas à établir une quelconque coopération avec la Commission.
240. En quatrième lieu, quant à la durée des infractions, les requérantes présentent des argumentations distinctes pour chacun des abus reprochés.
241. En ce qui concerne l'accord Cewal-Ogefrem, le Tribunal relève que, au point 115 de sa Décision, la Commission a estimé que la période à prendre en considération en vue de la détermination des amendes court du 1er juillet 1987, date d'entrée en vigueur du règlement n° 4056-86, jusqu'au jour de la Décision, puisque l'accord n'a jamais été dénoncé par Cewal. En conséquence, les requérantes ne peuvent utilement prétendre que la Commission n'avait pas compétence ratione temporis pour infliger une amende, dès lors qu'elle n'a précisément pas tenu compte de la période antérieure à l'entrée en vigueur du règlement n° 4056-86. En revanche, le Tribunal rappelle qu'une violation de l'article 86 ne peut être sanctionnée que pour autant qu'elle a été dûment constatée (arrêt BPB Industries et British Gypsum/Commission, précité, point 98). En l'espèce, l'abus reproché consiste dans le fait d'avoir participé activement à la mise en œuvre de l'accord et d'avoir demandé itérativement son strict respect en vue d'évincer G et C. Or, il ne ressort d'aucun élément du dossier que la Commission ait pu dûment constater que l'infraction se poursuivait encore en décembre 1992. En particulier, on ne saurait exclure que l'accord de coopération, bien qu'il n'ait pas été formellement dénoncé, soit néanmoins resté lettre morte. En l'espèce, au vu des éléments dont dispose le Tribunal, et notamment du procès-verbal de la réunion des directeurs des membres de Cewal du 21 septembre 1989, et dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction, il convient de considérer que la période à prendre en considération s'achève en septembre 1989. Dès lors, l'amende infligée doit être réduite.
242. En ce qui concerne les navires de combat, le Tribunal constate que, comme l'affirment les requérantes, la Commission a infligé une amende pour la période s'achevant en novembre 1989, alors que le dernier document sur lequel elle s'appuie, en date du 18 mai 1989, mentionne que la pratique devrait cesser en septembre 1989. Toutefois, il ressort d'un procès-verbal du Zaïre Pool Committee du 18 septembre 1989, mentionné dans la Décision à un autre titre, et d'un procès-verbal du Zaïre Action Committee du 11 octobre 1989, non mentionné dans la Décision et joint au mémoire en défense de la Commission, que ces pratiques se sont poursuivies, quoique de façon moins régulière, au moins durant le dernier trimestre de l'année 1989. Dans ces conditions, le Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, estime qu'il n'y a pas lieu de réduire le montant de l'amende sur ce point.
243. En ce qui concerne les contrats de fidélité, les requérantes se prévalent d'une prétendue contradiction entre le point 115 des motifs de la Décision et l'article 5 de la Décision. A cet égard, il suffit de constater que ces deux dispositions concernent deux objets distincts. En effet, le point 115 des motifs porte sur la période à prendre en considération pour la détermination de l'amende infligée au titre de l'article 86 du traité, alors que l'article 5 de la Décision concerne l'infraction tirée du défaut de conformité des contrats de fidélité avec les obligations de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86. Or, ces deux infractions sont, ainsi qu'il a été dit, distinctes.
244. Par ailleurs, le Tribunal constate que l'argument tiré de la durée excessive de l'instruction par la Commission ne peut concerner que la période entre le dépôt des plaintes et la communication des griefs, soit de juillet 1987 à août 1990. En effet, au vu des éléments retenus ci-dessus, aucune période ultérieure n'a pu être prise en compte pour le calcul de l'amende. Or, en l'espèce, le Tribunal estime que, eu égard à la complexité de l'affaire, au nombre et à la diversité des infractions dont l'examen devait être poursuivi sur le fondement de plaintes générales, au nombre de conférences maritimes et de compagnies maritimes impliquées, la durée de la procédure ne peut être qualifiée d'excessive.
245. Enfin, le Tribunal estime que les amendes infligées n'apparaissent pas disproportionnées au regard de la durée relativement longue des infractions, allant selon le cas de dix-huit mois à près de trente mois.
246. Dans l'affaire T-26-93, la requérante, DAL, souligne que, ayant cédé sa participation dans Woermann-Linie avec effet au 1er avril 1990 et n'étant plus membre de Cewal, elle ne peut être tenue pour responsable de tout abus exercé après cette date. Interrogée à cet égard par le Tribunal dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, la Commission a répondu que l'amende infligée à DAL présentait un caractère forfaitaire qui n'était pas calculé en tenant directement compte de la durée des infractions. Le Tribunal relève que ce grief ne peut concerner que l'abus relatif à la mise en œuvre de l'accord avec l'Ogefrem, seule pratique pour laquelle la période à prendre en considération allait au-delà de cette date. Eu égard au point 241 ci-dessus, le Tribunal estime qu'il n'y a plus lieu de statuer sur ce moyen.
247. En cinquième lieu, en ce qui concerne la nature et la valeur des produits, s'il est vrai, comme l'indique la Décision, qu'il est impossible de déterminer la part de marché qu'auraient détenu G et C en l'absence des pratiques, il n'en demeure pas moins que les pratiques abusives reprochées, mises en œuvre en vue d'évincer l'unique concurrent, ont nécessairement eu pour effet de ralentir la pénétration sur le marché de ce concurrent. Dans la mesure où Cewal et l'armateur indépendant G et C étaient les seuls intervenants sur le trafic entre l'Europe du Nord et le Zaïre, c'est l'ensemble du marché qui s'en est trouvé affecté. Le Tribunal relève par ailleurs que les parties n'ont pas contesté l'incidence des taux de fret sur les échanges de marchandises transportées par navires de ligne. Dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal estime qu'il n'y a donc pas lieu de réduire l'amende infligée.
248. En sixième lieu, le Tribunal relève que l'objectif des pratiques abusives reprochées, à savoir évincer l'unique concurrent du marché, ne présente aucun caractère nouveau en droit de la concurrence; c'est donc à juste titre que la Commission a pu considérer qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte du fait que la Décision était l'une des premières à être adoptées sur le fondement du règlement n° 4056-86. En outre, le Tribunal estime que, compte tenu de la décision 89-93-CEE de la Commission, du 7 décembre 1988, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (IV-31.906, Verre plat) (JO 1989, L. 33, p. 44) et de l'article 8 du règlement n° 4056-86, c'est à juste titre que la Commission n'a pas tenu compte du caractère prétendument nouveau de la notion de position dominante collective.
249. En septième lieu, le Tribunal estime que les requérantes ne peuvent utilement se prévaloir d'une prétendue exclusivité légale octroyée à Cewal, ni alléguer l'existence de normes d'un État tiers. En effet, de tels éléments, outre qu'ils ne sont pas établis, ne sauraient en rien justifier les pratiques mises en œuvre et sont dès lors sans incidence sur la détermination du montant de l'amende (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T-148-89, Rec. p. II-1063, point 118). Par ailleurs, les requérantes ne peuvent reprocher à la Commission d'avoir enfreint les principes qu'elle aurait elle-même définis dans sa déclaration sur l'application de l'article 86 aux transports maritimes, précitée, dès lors que cette déclaration, publiée au Journal officiel sous la rubrique actes préparatoires, se rapportait à la proposition de règlement (CEE) du Conseil déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO 1981, C 282, p. 4) et n'a pas été formulée de nouveau lors de l'adoption du règlement n° 4056-86.
250. En dernier lieu, le Tribunal constate que, contrairement aux affirmations de la Commission, on ne peut considérer comme extérieur à la Décision le taux d'intérêt fixé précisément au second alinéa de l'article 7 du dispositif. En conséquence, les requérantes sont recevables à en contester le montant. Toutefois, les requérantes n'ont apporté aucun élément de nature à démontrer que, en se référant au taux appliqué par le Fonds européen de coopération monétaire à ses opérations en écus le premier jour ouvrable du mois au cours duquel la Décision a été adoptée, majorée de trois points et demi, soit 13,25 %, la Commission aurait commis une quelconque erreur. Dans ces conditions, et sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur l'intérêt à agir des requérantes dès lors qu'elles ont, en fait, bénéficié de mesures plus clémentes de la part de la Commission, il convient de rejeter l'argument des requérantes.
251. Au vu de l'ensemble de ces éléments, et notamment des points 239 et 241 du présent arrêt, le Tribunal considère, au titre de sa compétence de pleine juridiction, que le montant des amendes infligées doit être réduit comme suit:
- l'amende de 9 600 000 écus infligée à CMB est fixée à 8 640 000 écus;
- l'amende de 200 000 écus infligée à Dafra-Lines est fixée à 180 000 écus;
- l'amende de 200 000 écus infligée à DAL est fixée à 180 000 écus;
- l'amende de 100 000 écus infligée à Nedlloyd est fixée à 90 000 écus.
Sur les dépens
252. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, aux termes du paragraphe 3 de ce même article, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l'espèce, les requérantes ont succombé en l'ensemble de leurs conclusions principales et en l'essentiel de leurs conclusions subsidiaires. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure. Les requérantes doivent dès lors être condamnées à supporter les dépens de la partie défenderesse.
253. En outre, les requérantes dans l'affaire T-24-93 supporteront solidairement les dépens des parties intervenantes, qui ont conclu en ce sens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
déclare et arrête:
1) Les affaires T-24-93, T-25-93, T-26-93 et T-28-93 sont jointes aux fins de l'arrêt.
2) Les recours tendant à l'annulation de la décision 93-82-CEE de la Commission, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-32.448 et IV-32.450: Cewal, Cowac, Ukwal) et de l'article 86 du traité CEE (IV-32.448 et IV-32.450: Cewal) sont rejetés.
3) Le montant des amendes infligées à l'article 6 de cette décision est fixé à:
- Compagnie maritime belge SA: 8 640 000 écus,
- Dafra-Lines A/S: 180 000 écus,
- Deutsche Afrika-Linien GmbH & Co.: 180 000 écus,
- Nedlloyd Lijnen BV: 90 000 écus.
4) Les requérantes supporteront l'ensemble des dépens de la partie défenderesse. En outre, les requérantes dans l'affaire T-24-93 (Compagnie maritime belge SA et Compagnie maritime belge transports SA) supporteront solidairement l'ensemble des dépens des parties intervenantes.