TPICE, 4e ch. élargie, 18 septembre 1996, n° T-387/94
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Asia Motor France (SA), Cesbron, Monin Automobiles (SA), Europe Auto Service (SA), Somaco (SARL)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Juges :
MM. Garcia-Valdecasas, Azizi, Cooke, Mme Lindh
Avocat :
Me Fourgoux.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre élargie),
Faits à l'origine du litige,
1 Les entreprises requérantes se livrent à l'importation et au commerce en France de véhicules de marques japonaises qui ont été admis en libre pratique dans d'autres Etats membres de la Communauté, tels que la Belgique et le Luxembourg.
2 S'estimant victime d'une entente illicite, conclue entre cinq importateurs de voitures japonaises en France, à savoir Sidat Toyota France, Mazda France Motors, Honda France, Mitsubishi Sonauto et Richard Nissan SA, l'une des parties entreprises, en l'occurrence M. Jean-Michel Cesbron, a déposé, le 18 novembre 1985, une plainte auprès de la Commission, pour violation des articles 30 et 85 du traité CEE (ci-après "traité"). Cette plainte a été suivie, le 29 novembre 1988, d'une nouvelle plainte contre ces mêmes cinq importateurs, déposée, cette fois, par quatre des cinq parties requérantes (M. Cesbron, Asia Motor France SA, Monin Automobiles SA et EAS SA), sur le fondement de l'article 85 du traité.
3 Dans cette dernière plainte, les entreprises plaignantes faisaient valoir, en substance, que les cinq importateurs précités de voitures de marques japonaises avaient souscrit, vis-à-vis de l'administration française, l'engagement de ne pas vendre, sur le marché intérieur français, un nombre de voitures supérieur à 3 % du nombre des immatriculations de véhicules automobiles enregistrées sur l'ensemble du territoire français au cours de l'année civile antérieure. Ces mêmes importateurs se seraient entendus afin de se partager ce quota suivant des règles préétablies, excluant toute autre entreprise souhaitant distribuer en France des véhicules d'origine japonaise de marques autres que les marques distribuées par les parties à l'entente alléguée.
4 Les requérantes faisaient encore valoir dans cette plainte que, en contrepartie de cette autolimitation, l'administration française avait multiplié les entraves à la libre circulation de véhicules d'origine japonaise, de marques autres que les cinq marques distribuées par les importateurs parties à l'entente alléguée. En premier lieu, une procédure d'immatriculation dérogatoire au régime normal aurait été instaurée pour les véhicules qui font l'objet d'importations parallèles. Ces véhicules seraient considérés comme des véhicules d'occasion et seraient donc soumis à un double contrôle technique. En deuxième lieu, des instructions auraient été données à la gendarmerie nationale, afin qu'elle poursuive les acquéreurs de véhicules d'origine japonaise qui circulent sous immatriculation étrangère. Enfin, alors même qu'il s'agirait de véhicules utilitaires, pour lesquels s'applique un taux de taxe sur la valeur ajoutée plus faible que celui applicable aux véhicules de tourisme, ces véhicules se verraient imposer, au moment de leur importation en France, un taux de TVA majoré, qui ne serait ramené qu'ensuite au taux normalement applicable, avec les désavantages que cela implique pour le distributeur vis-à-vis de l'acheteur.
5 Sur le fondement de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), la Commission a, par lettre du 9 juin 1989, demandé des renseignements aux importateurs mis en cause. Par lettre du 20 juillet 1989, la direction générale de l'industrie du ministère de l'Industrie et de l'Aménagement du territoire français a donné instruction auxdits importateurs de ne pas répondre à l'une des questions posées par la Commission, dans les termes suivants :
"Vous avez bien voulu me transmettre pour information une lettre de la Commission en date du 9 juin 1989. Par ce courrier, la Commission vous demande de lui communiquer des informations relatives à la politique menée par les pouvoirs publics français à l'égard des importations de véhicules japonais. Il ne vous appartient pas de lui répondre en leur lieu et place."
6 C'est dans ces conditions que, par lettre du 16 octobre 1989, les services de la Commission ont sollicité des renseignements de la part des autorités françaises. Le 28 novembre 1989, les autorités françaises, par l'intermédiaire de leur représentation permanente auprès des Communautés européennes, ont répondu à cette demande de renseignements en faisant valoir, pour l'essentiel, que "les interrogations portant sur le comportement des entreprises citées dans le courrier de la Commission, dans la mesure où ce comportement est lié aux modalités de la régulation voulues par les pouvoirs publics, sont[-elles], dans ce contexte, dépourvues de pertinence : ces entreprises ne disposent en effet d'aucune autonomie dans la gestion de cette régulation".
7 La Commission ayant gardé le silence à leur égard, les quatre parties requérantes concernées lui ont, le 21 novembre 1989, adressé une lettre sollicitant qu'elle prenne position sur les plaintes déposées. Devant le silence persistant de la Commission, les quatre entreprises concernées ont introduit, le 20 mars 1990, un recours en carence et en indemnité devant la Cour de justice. Par ordonnance du 23 mai 1990, Asia Motor France e.a./Commission, (C-72-90, Rec. p. I-2181), la Cour a déclaré irrecevable le recours en carence et en indemnité, en ce qu'il concernait l'abstention de la Commission au regard de la prétendue violation de l'article 30 du traité, et a renvoyé devant le Tribunal le recours, en ce qu'il concernait l'abstention de la Commission au regard de la prétendue violation de l'article 85 du traité et la responsabilité en découlant.
8 Entre-temps, par lettre du 8 mai 1990, le directeur général de la direction générale de la concurrence de la Commission a informé les quatre parties concernées, conformément à l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"), que celle-ci n'envisageait pas de donner suite à leurs plaintes et les a invitées à présenter leurs observations éventuelles à cet égard. Le 29 juin 1990, ces parties ont fait parvenir à la Commission leurs observations, dans lesquelles elles ont réaffirmé le bien-fondé de leurs plaintes.
9 C'est dans ces conditions que, par arrêt du 18 septembre 1992, Asia Motor France e.a./Commission (T-28-90, Rec. p. II-2285), le Tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête pour autant que celle-ci était fondée sur l'article 175 du traité. Pour le surplus, le Tribunal a rejeté comme irrecevables les conclusions en indemnisation des requérantes.
10 Le 5 juin 1990, la société Somaco a également déposé une plainte auprès de la Commission, dirigée contre les pratiques des sociétés CCIE, SIGAM, SAVA, SIDA et Auto GM, toutes établies au Lamentin (Martinique), respectivement concessionnaires des marques Toyota, Nissan, Mazda, Honda et Mitsubishi, et importateurs de ces marques dans cette île. Cette plainte, fondée sur les articles 30 et 85 du traité, mettait également en cause les pratiques de l'administration française, au motif que celles-ci avaient pour objectif d'empêcher les importations parallèles, par la plaignante, de véhicules de certaines marques japonaises ainsi que de véhicules de la marque coréenne Hyundai.
11 Par lettre du 9 août 1990, se référant à sa lettre du 8 mai 1990 adressée aux quatre autres requérantes, la Commission a informé la société Somaco qu'elle n'envisageait pas de donner suite à sa plainte et l'a invitée, conformément aux dispositions de l'article 6 du règlement n° 99-63, à présenter ses observations. Par lettre du 28 septembre 1990, Somaco a réaffirmé le bien-fondé de sa plainte.
12 Par lettre du 5 décembre 1991, signée par le membre en charge des questions de concurrence, la Commission a communiqué aux cinq parties requérantes une décision rejetant les plaintes déposées le 18 novembre 1985, le 29 novembre 1988 et le 5 juin 1990.
13 Ce rejet était fondé sur deux motifs. Selon le premier motif de rejet, le comportement des cinq importateurs mis en cause faisait partie intégrante de la politique des pouvoirs publics français en matière d'importations d'automobiles japonaises en France. Dans le cadre de cette politique, les pouvoirs publics fixaient non seulement les quantités totales de véhicules admises chaque année en France, mais déterminaient également les modalités de répartition de ces quantités. Selon le second motif de rejet, il n'y avait pas de lien entre l'intérêt des requérantes et l'infraction alléguée en raison du fait que l'éventuelle application de l'article 85 ne serait pas susceptible d'apporter un remède à la situation dont les requérantes s'estimaient victimes. (Le texte intégral des deux motifs de rejet de la décision du 5 décembre 1991 est repris par la décision litigieuse en l'espèce ; voir, ci-dessous, point 24).
14 La décision du 5 décembre 1991 a fait l'objet d'un recours en annulation introduit au greffe du Tribunal le 4 février 1992.
15 Par arrêt du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission (T-7-92, Rec. p. II-669 ; ci-après "Asia Motor France II"), le Tribunal a annulé la décision du 5 décembre 1991, en tant qu'elle concernait l'article 85 du traité, compte tenu, d'une part, que le premier motif de rejet reposait sur une appréciation inexacte en fait et en droit des éléments soumis à l'appréciation de la Commission et, d'autre part, que le second motif de rejet était entaché d'une erreur de droit.
16 A la suite de cet arrêt, la Commission a adressé, le 25 août 1993, aux autorités françaises et aux concessionnaires de la Martinique mis en cause dans la plainte de la société Somaco du 5 juin 1990, des demandes de renseignements au titre de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17. Par ces demandes, elle souhaitait, notamment, obtenir une justification des apparentes contradictions entre les renseignements fournis par les autorités françaises, d'une part, et les documents produits par les sociétés requérantes et analysés par le Tribunal dans le cadre de son examen du premier motif de rejet de la décision du 5 décembre 1991, d'autre part.
17 Le 19 octobre 1993, les requérantes ont adressé à la Commission une lettre de mise en demeure conformément à l'article 175 du traité.
18 Les concessionnaires de la Martinique ont répondu à la demande de renseignements de la Commission dans le courant du mois d'octobre 1993. Quatre d'entre eux ont fourni, à l'appui de leurs explications, des copies de documents qui démontrent, selon eux, que les quotas d'importation appliqués à leurs marques ont été attribués par l'administration et ne résultaient pas d'une entente entre eux.
19 Les autorités françaises ont répondu à la demande de renseignements par une lettre du 11 novembre 1993.
20 Le 10 janvier 1994, la Commission a adressé aux requérantes une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63. Elle leur a également fourni une copie des réponses aux demandes de renseignements et leur a offert la possibilité d'examiner les preuves documentaires qui lui avaient été soumises.
21 Par lettre du 9 mars 1994, les parties requérantes ont présenté leurs observations sur la lettre que la Commission leur avait adressée le 10 janvier 1994.
22 Le 2 août 1994, les requérantes ont adressé une nouvelle lettre de mise en demeure à la Commission.
23 Par lettre du 13 octobre 1994, signée par le membre en charge des questions de concurrence, la Commission a communiqué aux cinq parties requérantes une nouvelle décision par laquelle elle rejetait leurs plaintes (ci-après "décision litigieuse"). Cette décision ne reprend que le premier motif de rejet de la décision du 5 décembre 1991.
24 La décision litigieuse se lit comme suit :
"Je me réfère aux plaintes suivantes :
1. Plaintes qui ont été déposées respectivement pour le compte de M. J. M. Cesbron (JMC Automobiles, à Luxembourg), Asia Motor France (à Luxembourg), Monin Automobiles (à Bourg-de-Péage) et EAS (à Luxembourg) :
- le 18 novembre 1985, visant l'article 30 du traité, contre des pratiques imputables à l'administration française ;
- le 29 novembre 1988, visant l'article 85 du traité, contre des pratiques des importateurs français des cinq marques japonaises Toyota, Honda, Nissan, Mazda, Mitsubishi, mettant également en cause l'Etat français au titre de l'article 30 ;
au motif que ces pratiques étaient destinées à empêcher les importations parallèles en France par les entreprises plaignantes de véhicules - principalement des marques Isuzu, Daihatsu, Suzuki et Subaru - admis en libre pratique dans d'autres Etats membres et notamment en Belgique et au grand-duché de Luxembourg.
2. Plainte qui a été déposée le 5 juin 1990, pour le compte de la société Somaco, au Lamentin, visant à la fois les articles 30 et 36 et l'article 85 du traité, contre des pratiques des sociétés CCIE, SIGAM, SAVA, SIDA et AUTO GM, toutes au Lamentin, respectivement concessionnaires des marques japonaises Toyota, Nissan, Mazda, Honda et Mitsubishi et importateurs de ces marques dans l'île de la Martinique, et mettant en cause également des pratiques de l'Etat français, au motif que ces pratiques étaient destinées à empêcher les importations parallèles par la plaignante de véhicules des mêmes marques ainsi que de la marque coréenne Hyundai.
Pour les raisons qui sont exposées ci-après, et compte tenu des observations contenues dans votre lettre du 9 mars 1994, la Commission a décidé de maintenir sa décision de rejet qui vous avait été signifiée par lettre le 5 décembre 1991. Je vous rappelle que ce rejet était fondé sur les caractéristiques de la situation qui prévalait à l'époque des faits énoncés par vous. Les caractéristiques en question, et les conclusions qu'en tirait la Commission, étaient résumées de la façon suivante dans sa décision de rejet :
"- En ce qui concerne l'éventuelle application de l'article 85, les investigations conduites par les services de la Commission ont établi que les comportements des cinq importateurs mis en cause sont une partie intégrante de la politique des pouvoirs publics français en matière d'importations d'automobiles japonaises en France. A cet égard, il convient de rappeler que ces importations font l'objet d'une régulation qui est assurée au niveau national. Dans le cadre de cette régulation, les pouvoirs publics français fixent non seulement les quantités totales de véhicules admises chaque année en France, mais ils déterminent également les modalités de répartition de ces quantités, notamment en les réservant aux seuls importateurs mis en cause. C'est dans ce sens que les autorités françaises ont informé la Commission, par note du 28 novembre 1989, où il a été écrit que le comportement des cinq importateurs "est lié aux modalités de la régulation voulues par les pouvoirs publics" et que les importateurs "ne disposent... d'aucune autonomie dans la gestion de cette régulation". Ces importateurs ne disposent dès lors d'aucune marge de manœuvre dans cette affaire.
A la lumière des constatations reprises ci-dessus, la Commission estime qu'il n'y a pas de lien entre votre intérêt et l'infraction alléguée à l'article 85 en raison du fait que l'éventuelle application de l'article 85 n'est pas susceptible de porter un remède à la situation dont vous vous estimez la victime. En effet, la fixation des quantités totales par les pouvoirs publics ne relève pas de l'article 85, alors que l'application de cette disposition de la répartition ne serait pas de nature à réaliser l'accréditation de votre société en tant qu'importateur. D'une part, on voit mal comment vous pourriez être admis à participer à une répartition que vous avez qualifiée vous-même d'entente illicite. D'autre part, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, la régulation nationale ne permet pas aux importateurs autres que les cinq mis en cause d'être inclus dans la clé de répartition. Dans ces circonstances, la constatation d'une infraction à l'article 85 ne modifierait en rien votre position par rapport aux importateurs mis en cause.
L'entrave aux échanges entre Etats membres résultant éventuellement de l'impossibilité d'importer en France des automobiles coréennes de la marque Hyundai doit être considérée comme dépourvue de caractère sensible en raison de la faible position de cette marque dans la Communauté.
- En ce qui concerne l'éventuelle application de l'article 30, elle doit être écartée pour défaut d'intérêt public communautaire, compte tenu de la politique commerciale commune."
Par arrêt du 29 juin 1993, le Tribunal de première instance a annulé la décision susvisée en tant qu'elle concerne l'article 85 du traité. Le Tribunal a mis en doute les conclusions auxquelles la Commission était parvenue, en se fondant principalement sur des documents émanant du département de la Martinique. Ceux-ci, séparés de leur contexte, pouvaient en effet sembler contredire la thèse retenue par la Commission du niveau insuffisant de concertation, au sens de l'article 85, entre les importateurs mis en cause. C'est donc sur ces documents et cette apparente contradiction qu'ont porté les nouvelles demandes de renseignements adressées sur base de l'article 11 du règlement n° 17 à la fois aux autorités françaises et aux importateurs de la Martinique, dont vous avez pu consulter les réponses dans les locaux de la Commission. Vous avez pu également présenter vos observations écrites sur ces réponses, ainsi que sur les conclusions que la Commission se proposait d'en tirer dans les termes suivants de sa communication faite conformément à l'article 6 du règlement 99 le 10 janvier 1994 :
"Leur examen confirme que les autorités françaises avaient instauré dès 1977 un régime étatique d'importation pour les véhicules des pays tiers, et ce dans l'ensemble du territoire de la République française - bien que d'une façon spécifique dans le département de la Martinique - dans le cadre de la politique commerciale en matière d'automobiles qui était à l'époque conduite au niveau national. C'est dans ce cadre que le ministère de l'Industrie à Paris a accrédité cinq importateurs comme représentants exclusifs respectivement des cinq marques Honda, Toyota, Mazda, Mitsubishi et Nissan. Chacun d'eux recevait à ce titre, chaque année, communication par le ministère du nombre total maximum de véhicules de sa marque dont l'importation était autorisée et le nombre total ainsi autorisé par l'Etat était limité pour la France métropolitaine à 3 % du marché, et pour le département de la Martinique à 15 %. Les cinq importateurs en question ont été chargés, à compter de l'année 1981, de faire connaître chaque année au représentant de la même marque en Martinique - celui-ci étant désigné par le constructeur japonais concerné - le nombre des ventes autorisées pour cette marque dans ce département, et de lui faire parvenir le nombre correspondant exact de documents d'immatriculation. Il ressort du dossier que le taux moyen de pénétration en Martinique des cinq marques concernées, voisin de 30 % avant la mise en place de ce régime d'importation, s'est trouvé ramené progressivement à environ 15 % en 1984, et que toutes les tentatives de résistance développées par les intéressés, qui s'estimaient lésés par cette diminution imposée de leur chiffre d'affaires, sont demeurées vaines.
Dans ce contexte, une réunion a effectivement été tenue en Martinique le 19 octobre 1987 et a donné lieu à un compte-rendu accompagné d'un "protocole d'accord", lesquels ont été présentés au Tribunal comme liés au fond de l'affaire ici en cause. Mais en réalité cette réunion s'est tenue sur convocation du Préfet, et elle avait comme seul objet la question adjacente des modalités de la "restitution" par la société CCIE, représentant local de Toyota, de 487 véhicules vendus par celle-ci en excédent depuis 1982 par rapport au nombre d'importations qui lui avait été assigné, restitution exigée par l'Administration. En effet, jusqu'à 1986 inclus, CCIE n'avait pas diminué le nombre de ses ventes. Dès lors, ce sont les modalités de ladite restitution qui ont donné lieu à la réunion et au protocole en question, et non les modalités de répartition du marché local : en l'occurrence, en effet, une restitution trop brutale de ces 487 véhicules par CCIE risquait d'entraîner des licenciements dans cette entreprise.
Dans ces conditions, le compte-rendu de cette réunion du 19 octobre 1987 et le "protocole d'accord" relevés par les plaignantes, et cités par le Tribunal, peuvent certes prêter à confusion s'ils sont extraits de leur contexte. Mais, replacés dans celui-ci, ils n'altèrent pas le caractère exclusivement étatique non seulement du régime d'importation qui se trouve en fait au centre de cette affaire, mais aussi celui de ses modalités qui ont été mises en cause expressément par la plainte de Asia Motor. Il en va de même de la correspondance du ministère de l'Industrie du 1er juillet 1987, ainsi que du jugement du 16 mars 1990 cités par le Tribunal à titre confortatif :
- la première ne fait que confirmer "l'exclusivité de fait" effectivement organisée par un régime étatique ainsi que la réticence des intéressés - finalement contrôlée sans appel, comme dans le cas de CCIE - ; en tout cas l'expression "le ministère de l'Industrie ne pourra accéder à une telle demande" ne laisse pas de place à l'ambiguïté ;
- le second, s'il présume une entente, n'apporte pas en ce sens des éléments de faits ou de droit probants ou même pertinents : notamment ses appréciations sont basées sur la configuration où, à la différence de l'affaire ici en cause, une entente préexiste à l'intervention des pouvoirs publics ; en tout cas, ce n'est qu'un jugement de sursis à statuer.
Par conséquent, il est confirmé à suffisance que les importateurs mis en cause, et en particulier ceux de la Martinique, ne disposaient d'aucune marge de manœuvre dans la mise en œuvre du régime d'importation en question. En tout état de cause, il est confirmé aussi que la thèse de l'entente de répartition est contredite par deux circonstances : d'une part, les voies de la réception par type étaient réservées aux cinq marques précitées, non par l'action de leurs importateurs, mais faute d'accréditation officielle d'autres marques ou d'autres importateurs ; d'autre part, les sociétés mises en cause ne pouvaient avoir intérêt à un contrôle des importations amputant leur marché de 50 %."
Vos nouvelles observations écrites qui me sont parvenues par votre lettre du 9 mars 1994 ne sont pas de nature à modifier les conclusions de la Commission concernant le caractère étatique du régime d'importation en question et l'absence de marge de manœuvre des importateurs dans la répartition de marché qui écartait vos clients du marché français. En revanche, dans une décision n° 94-D-05 du 18 janvier 1994, le Conseil de la concurrence à Paris a entre-temps lui aussi conclu dans la même affaire à une "politique de contingentement mise en œuvre par les pouvoirs publics". Entre autres choses, dans la deuxième partie de sa décision et concernant les modalités de la répartition de marché entre les importateurs martiniquais, le Conseil de la concurrence s'exprime ainsi sur le protocole d'accord signé le 8 novembre 1987 dont vous avez fait état :
"Au fond :
Sur les quotas d'importation :
Considérant en particulier que, si le protocole signé le 8 novembre 1987 entre les concessionnaires pouvait constituer l'indice d'un comportement autonome de ces entreprises, cet accord a été conclu en application de directives données notamment par un conseiller technique du cabinet du ministre des Départements et Territoires d'outre-mer, le directeur des affaires économiques, sociales et culturelles d'outre-mer du ministère des Départements et Territoires d'outre-mer et le sous-directeur du service des biens d'équipement du ministère de l'Industrie lors de la réunion tenue le 19 octobre 1987 au ministère des Départements et Territoires d'outre-mer et il n'a été corroboré par aucun élément suffisamment probant pour établir l'existence de pratiques mises en œuvre par ces entreprises indépendamment des interventions de la préfecture de la Martinique."
Dans ces conditions, la Commission maintient, dans les mêmes termes rappelés plus haut, son rejet des demandes qui lui avaient été présentées les 18 novembre 1985 et 29 novembre 1988 pour le compte des entreprises JMC Automobiles, Asia Motor, Monin Automobiles et EAS, et le 5 juin 1990 pour la société Somaco, pour autant que ces demandes visaient à faire constater une entente au sens de l'article 85."
Procédure et conclusions des parties
25 C'est dans ces circonstances que les requérantes ont introduit le présent recours par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 décembre 1994.
26 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et d'adopter des mesures d'organisation de la procédure au titre de l'article 64 du règlement de procédure, en demandant à la défenderesse de produire certains documents et de répondre à certaines questions. La partie défenderesse a donné suite à ces demandes dans le délai imparti.
27 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal à l'audience du 20 mars 1996.
28 Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :
- constater que les ententes dénoncées constituent une infraction au sens de l'article 85 du traité ;
- constater que les services de la Commission ont refusé d'exécuter l'arrêt du Tribunal de première instance du 29 juin 1993 et qu'ils encourent la carence au sens de l'article 176 du traité ;
- prononcer l'annulation de la décision de la Commission du 13 octobre 1994 en application de l'article 173 du traité ;
- condamner, au titre des articles 178 et 215 du traité, la Communauté européenne à indemniser les plaignants du préjudice causé par les institutions et, en conséquence, fixer l'indemnité au montant de l'intérêt de 9,75 % des sommes auxquelles est évalué le préjudice principal depuis la décision de classement du 5 décembre 1991 jusqu'au prononcé de l'arrêt ;
- condamner la Commission aux entiers dépens, tant de la présente procédure que de la procédure ayant abouti à l'arrêt du Tribunal de première instance du 29 juin 1993.
29 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours en annulation, en carence et en responsabilité présenté par les sociétés requérantes ;
- condamner les sociétés requérantes aux dépens.
Sur l'étendue du recours
30 La requête est formellement divisée en trois parties. Dans la première partie, intitulée "recours en carence", les requérantes ont développé un argument relatif à l'exécution de l'arrêt Asia Motor France II, au terme duquel ils ont conclu que l'"attitude des services de la Commission constitue un cas de carence au sens de l'article 176 du traité puisque le refus d'exécuter l'arrêt du Tribunal est manifeste et injuste". La deuxième partie de la requête présente les moyens et arguments au soutien des conclusions en annulation, et la troisième partie présente les arguments au soutien des conclusions en indemnité.
31 Lors de l'audience, le conseil des requérantes a souligné, en réponse à une question précise du Tribunal, que la première partie de la requête devait être considérée comme un recours en carence, "fondé sur les articles 175 et 176 du traité CE", et non comme un moyen en annulation tiré d'une violation de l'article 176 du traité.
32 En ce qui concerne le premier chef des conclusions des requérantes, il y a lieu de rappeler que le juge communautaire n'est pas compétent pour se prononcer, à l'initiative d'un requérant, sur la compatibilité avec les dispositions du traité du comportement de personnes physiques ou morales (arrêt du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T-575-93, non encore publié au Recueil, point 30). Il s'ensuit que les conclusions des requérantes visant à ce que le Tribunal constate "que les ententes dénoncées constituent une infraction au sens de l'article 85 du traité" doivent être déclarées irrecevables.
Sur les conclusions en carence
Arguments des parties
33 Les requérantes rappellent qu'aux termes de l'article 176 du traité l'institution dont émane un acte annulé par le Tribunal est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt d'annulation. Elles rappellent aussi que cette obligation implique que l'institution doit respecter non seulement le dispositif de l'arrêt d'annulation, mais également les motifs qui ont amené à ce dispositif et qu'elle doit, en particulier, lorsqu'elle adopte un acte destiné à remplacer l'acte annulé, prendre les mesures nécessaires pour éviter une répétition des illégalités identifiées dans les motifs de l'arrêt d'annulation (arrêt de la Cour du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97-86, 99-86, 193-86 et 215-86, Rec. p. 2181).
34 Les requérantes font valoir que la décision litigieuse viole l'article 176 du traité en ce qu'elle répète les erreurs de fait et de droit identifiées par le Tribunal dans l'arrêt Asia Motor France II, et elles avancent trois arguments au soutien de cette conclusion. En premier lieu, la Commission aurait refusé d'admettre la valeur probante des documents analysés par le Tribunal aux points 39 à 53 de l'arrêt Asia Motor France II. En deuxième lieu, la Commission n'aurait apporté aucun élément nouveau de nature à justifier la reprise du premier motif de la décision du 5 décembre 1991. Enfin, la Commission aurait accordé une force probante non justifiée à la décision précitée du conseil de la concurrence français du 18 janvier 1994.
35 A l'audience, les requérantes ont fait valoir qu'il ressort de l'arrêt Asteris e.a./Commission, précité, que le recours en carence constitue la voie appropriée pour mettre en cause une violation de l'article 176 telle que celle alléguée en l'espèce.
36 La Commission répond, en substance, qu'elle a pris position sur l'exécution qu'elle entend donner à l'arrêt Asia Motor France II en adoptant la décision litigieuse et que cette décision respecte les exigences de l'article 176 du traité.
Appréciation du Tribunal
37 Il convient de rappeler d'emblée que le Tribunal ne peut examiner les arguments des requérantes que dans la limite des conclusions formulées dans leur requête. A cet égard, les requérantes précisent que les conclusions par lesquelles elles contestent la bonne exécution de l'arrêt Asia Motor France II doivent être comprises comme mettant en cause une carence au sens de l'article 175 du traité.
38 Le Tribunal rappelle que l'article 175 du traité vise la carence que constitue l'absence de statuer ou de prendre position et non l'adoption d'un acte différent de celui que les intéressés auraient souhaité ou estimé nécessaire(arrêt de la Cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166-86 et 220-86, Rec. p. 6473, point 17).
39 En l'espèce, le Tribunal considère que, en adoptant la décision litigieuse en remplacement de l'acte annulé, la Commission a pris position, de manière claire et définitive, sur l'exécution qu'elle donne à l'arrêt Asia Motor France II.
40 Il convient de souligner, au vu de l'argument développé par les requérantes, que s'il ressort de l'arrêt Asteris e.a./Commission, précité, que le recours en carence constitue la voie appropriée pour mettre en cause une contestation relative à la question de savoir si, en dehors du remplacement de l'acte annulé, l'institution était également tenue de prendre d'autres mesures relatives à d'autres actes qui n'avaient pas été contestés dans le cadre du recours en annulation initial(points 22 à 24), tel n'est pas le cas lorsqu'il s'agit uniquement de contester la légalité de l'acte adopté en remplacement de l'acte annulé. Une telle contestation doit être soulevée dans la cadre d'un recours en annulation au titre de l'article 173 du traité.
41 Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions en carence doivent être rejetées comme irrecevables.
Sur les conclusions en annulation
42 Les requérantes invoquent deux moyens à l'appui de leurs conclusions en annulation. L'un est tiré d'une erreur manifeste d'appréciation, l'autre est tiré d'un défaut de motivation.
Observations liminaires
43 Il convient de rappeler que les plaintes déposées par M. Cesbron, Asia Motor France, Monin Automobiles et EAS articulaient, en substance, deux griefs. Le premier dénonçait l'existence d'une entente entre les importateurs en France de voitures de cinq marques japonaises (Toyota, Honda, Mazda, Mitsubishi et Nissan) et l'administration française en vue de limiter leurs importations sur le marché français en contrepartie d'un engagement des autorités françaises, selon lequel le parc des voitures d'origine japonaise leur serait exclusivement réservé. Le second grief avait trait à l'existence d'une entente entre ces mêmes entreprises ayant pour objet la répartition entre elles du quota ainsi fixé. La plainte de Somaco, pour autant qu'elle a trait à l'application de l'article 85 du traité, dénonçait, d'une part, l'existence d'une entente entre les concessionnaires à la Martinique de voitures des cinq mêmes marques japonaises qui aurait pour but de bloquer l'accès au marché des concessionnaires de voitures d'autres marques japonaises et coréennes, et, d'autre part, l'existence d'une entente entre les concessionnaires des cinq marques japonaises précitées ayant pour objet la répartition entre eux d'un quota d'importation fixé par l'administration française.
44 Le Tribunal constate que, dans la décision litigieuse, la Commission a rejeté les différentes plaintes, en substance, au motif que les importateurs/concessionnaires concernés n'avaient disposé "d'aucune marge de manœuvre dans la mise en œuvre du régime d'importation", mis en cause dans les plaintes, régime qui revêtait un "caractère exclusivement étatique". Selon la décision litigieuse, la thèse de l'entente de répartition est "aussi contredite par deux circonstances : d'une part, les voies de la réception par type étaient réservées aux cinq marques (de voitures japonaises concernées), non par l'action de leurs importateurs, mais faute d'accréditation officielle d'autres marques ou d'autres importateurs ; d'autre part, les sociétés mises en cause ne pouvaient avoir intérêt à un contrôle des importations amputant leur marché de 50 %".
45 Le Tribunal estime qu'il est ainsi permis de conclure que la Commission a rejeté les plaintes pour défaut d'entente au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en raison du fait que le comportement dénoncé avait été imposé aux entreprises concernées par les autorités publiques et ne reflétait pas l'exercice d'un choix commercial.
46 Bien qu'il ressorte d'une jurisprudence constante que, exception faite du cas où l'objet de la plainte relève des compétences exclusives de la Commission, celle-ci n'a aucune obligation de se prononcer quant à l'existence ou non d'une infraction à l'article 85 du traité dénoncée dans une plainte (arrêt de la Cour du 18 octobre 1979, GEMA/Commission, 125-78, Rec. p. 3173, point 17 ; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24-90, Rec. p. II-2223, points 75 et 76, du 18 novembre 1992, Rendo e.a./Commission, T-16-91, Rec. p. II-2417, point 98, du 27 juin 1995, Guérin automobiles/Commission, T-186-94, Rec. p. II-1753, point 23, et Koelman/Commission, précité, point 39), le Tribunal considère que, au cas où la Commission rejette une plainte pour défaut d'infraction aux règles de concurrence du traité, elle est tenue d'exposer, dans sa décision de rejet, les faits et les considérations sur lesquels repose une telle conclusion. Le contrôle juridictionnel doit alors consister à vérifier l'exactitude matérielle des faits, l'absence d'erreur manifeste d'appréciation des faits et de détournement de pouvoir ainsi que l'absence d'erreurs de droit (arrêts de la Cour du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142-84 et 156-84, Rec. p. 4487, du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203, points 23 et 25, et arrêt Asia Motor France II, point 33).
47 C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'examiner les deux moyens invoqués par les requérantes à l'appui de leurs conclusions en annulation.
Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation
Arguments des parties
48 Les requérantes estiment que la décision litigieuse est entachée de la même erreur manifeste d'appréciation que celle qui avait entaché la décision du 5 décembre 1991. Elles font valoir que le motif de rejet de la décision litigieuse n'est rien de plus que la reprise du premier motif de rejet de la décision du 5 décembre 1991. Elles rappellent que le Tribunal a jugé, dans l'arrêt Asia Motor France II, que ce premier motif de rejet était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et font valoir que la Commission n'a produit aucun élément nouveau qui permettrait de conclure que tel n'est pas le cas dans la présente affaire.
49 Les requérantes considèrent aussi que, pour adopter la décision litigieuse en dépit des termes clairs de l'arrêt Asia Motor France II, la Commission a été amenée à dénaturer certains des documents analysés par le Tribunal dans cet arrêt en leur donnant un sens qu'ils n'avaient pas.
50 La Commission répond que la décision litigieuse ne saurait être considérée comme une simple "reprise" de la décision du 5 décembre 1991 mais est une nouvelle décision prise en fonction des éléments nouveaux intervenus postérieurement à la première décision, dont, notamment, les réponses aux nouvelles demandes de renseignements. Elle estime que cette nouvelle décision est fondée sur des faits, corroborés par de nouveaux éléments de preuve, que les concessionnaires de la Martinique ont portés à sa connaissance en réponse aux demandes de renseignements.
51 La Commission estime qu'il ressort des réponses aux nouvelles demandes de renseignements que l'administration française a mis en place en France métropolitaine, en 1977, un dispositif de limitation d'importations de véhicules japonais dans le cadre duquel elle informait chaque année les importateurs mis en cause des quantités précises de véhicules qu'ils étaient autorisés à importer. Bien que la mise en œuvre de ce dispositif n'ait été fondée sur aucun texte législatif, et ait fait l'objet d'une procédure purement orale, la Commission estime que l'ensemble du cadre administratif permet de constater que, de facto, les importateurs n'ont eu aucune possibilité de passer outre les instructions de l'administration qu'ils ont traitées comme de véritables ordres. Elle se réfère, à cet égard, notamment, aux sources de pression que l'administration détenait dans la mesure où elle aurait pu exclure les importateurs accrédités du bénéfice du régime de réception par type pour de nouveaux modèles ou même mettre fin à leur statut d'importateur accrédité.
52 La Commission considère que les documents déposés confirment également qu'un dispositif semblable, mais pas identique, a été mis en place à la Martinique en 1982 afin de modérer les importations dans ce département. Ainsi qu'en France métropolitaine, les parts de marché des concessionnaires des cinq marques concernées ont été gelées au moment de la mise en œuvre du système. Elle estime que les documents déposés par les concessionnaires confirment que ceux-ci n'ont obtenu des importateurs que des quantités de certificats de conformité correspondant aux quotas fixés par l'administration. Elle ajoute, à cet égard, que les importateurs accrédités sont exclusivement compétents pour émettre ces documents dont la possession est un élément essentiel pour la mise en circulation d'un véhicule.
53 En ce qui concerne, plus particulièrement, le compte-rendu d'une réunion interministérielle et le protocole d'accord analysés par le Tribunal aux points 39 à 44 de l'arrêt Asia Motor France II, la Commission fait valoir qu'il ressort des réponses aux demandes de renseignements et des documents produits à l'appui de ces réponses que la réunion et le protocole d'accord avaient pour objet, d'une part, de rendre aux concurrents de Toyota, au prorata de leurs parts respectives dans la répartition opérée depuis 1982, le dépassement de quota de Toyota et, d'autre part, dans une perspective plus large, de fixer les règles pour l'avenir de manière à permettre à l'administration d'obtenir des importateurs des engagements écrits et formels. En outre, elle fait valoir que l'accord ne fait que reconduire la clé de répartition appliquée depuis 1982 et que le seul nouvel élément réside dans les modalités visant à régulariser le dépassement de quota dont le concessionnaire de Toyota s'était rendu coupable.
54 Au regard du dépassement de quota par le concessionnaire de Toyota, la Commission souligne que cela a été achevé en émettant des plaques provisoires pour des véhicules pour lesquels il ne pourrait pas espérer obtenir des certificats de conformité.
Appréciation du Tribunal
55 Il convient de rappeler, tout d'abord, que la Commission avait déjà rejeté les plaintes des requérants dans une décision du 5 décembre 1991, entre autres, pour manque d'autonomie dans le chef des opérateurs économiques mis en cause dans ces plaintes. Dans son arrêt Asia Motor France II, le Tribunal a constaté que la décision, pour autant qu'elle repose sur ce motif de rejet, était "entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des faits" ayant conduit la Commission "à commettre une erreur de droit quant à l'applicabilité de l'article 85 du traité aux comportements des opérateurs mis en cause" (point 55). Le Tribunal était parvenu à cette conclusion après avoir examiné, dans un premier temps, deux documents ayant trait aux importations à la Martinique de voitures japonaises et qui avaient été déposés par les plaignants pendant la procédure administrative devant la Commission. Il s'agissait d'un compte-rendu d'une réunion interministérielle, du 19 octobre 1987, et du "protocole d'accord" annexé à ce compte-rendu. Après avoir constaté, dans un premier temps, que ces éléments du dossier "constituent, à première vue, un indice sérieux de l'existence d'une réelle autonomie de comportement" dans le chef des opérateurs économiques concernés (arrêt Asia Motor France II, point 44), le Tribunal a, dans un second temps, examiné les motifs de la décision du 5 décembre 1991, pour autant que cette décision rejetait non seulement la plainte du 5 juin 1990 de Somaco quant à l'existence d'une entente entre les concessionnaires martiniquais, mais également les plaintes du 18 novembre 1985 et du 29 novembre 1988 des autres requérantes quant à l'existence d'une entente entre les importateurs en France métropolitaine. Après avoir analysé deux autres documents, à savoir une correspondance du 1er juillet 1987 du ministère de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme et un jugement du tribunal de commerce de Paris du 16 mars 1990, le Tribunal a conclu que les différentes pièces du dossier ne corroboraient pas la conclusion selon laquelle les opérateurs économiques de la France métropolitaine et de la Martinique, mis en cause dans les différentes plaintes, ne disposaient d'aucune autonomie ou "marge de manœuvre" (point 55).
56 A la suite de l'annulation par le Tribunal, dans son arrêt Asia Motor France II, de la décision du 5 décembre 1991, la Commission a poursuivi l'examen des plaintes en prenant des mesures d'instruction. A cet effet, la décision litigieuse fait état de ce que "le Tribunal a mis en doute les conclusions auxquelles la Commission était parvenue, en se fondant principalement sur des documents émanant du département de la Martinique [...] C'est donc sur ces documents [...] qu'ont porté les nouvelles demandes de renseignements adressées sur le fondement de l'article 11 du règlement n° 17 à la fois aux autorités françaises et aux importateurs de la Martinique".
57 Il convient d'observer ensuite que, dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que l'examen des réponses aux demandes de renseignements "confirme que les autorités françaises avaient instauré dès 1977 un régime étatique d'importation pour les véhicules des pays tiers, et ce dans l'ensemble du territoire de la République française - bien que d'une façon spécifique dans le département de la Martinique - dans le cadre de la politique commerciale en matière d'automobiles qui était à l'époque conduite au niveau national" et elle a conclu qu'"il est confirmé à suffisance que les importateurs mis en cause, et en particulier ceux de la Martinique, ne disposaient d'aucune marge de manœuvre dans la mise en œuvre [...] du régime d'importation en question".
58 Pour contrôler la légalité de ce motif de rejet, le Tribunal examinera séparément le comportement dénoncé dans les plaintes des 18 novembre 1985 et 29 novembre 1988, relatives aux importations en France métropolitaine, d'une part, et le comportement dénoncé dans la plainte du 5 juin 1990 relative aux importations à la Martinique, d'autre part.
- Les plaintes de M. Cesbron du 18 novembre 1985 et de M. Cesbron, Asia Motor France, Monin Automobiles et EAS du 29 novembre 1988 mettant en cause les importateurs en France métropolitaine
59 Les plaintes litigieuses dénoncent, d'une part, l'existence d'une entente entre les importateurs en France de voitures des marques japonaises Toyota, Honda, Nissan, Mazda et Mitsubishi et l'administration française, en vertu de laquelle les importateurs pour la France des marques précitées auraient accepté de limiter à 3 % leur part cumulée sur le marché intérieur français d'automobiles, en contrepartie d'un engagement des autorités françaises, selon lequel le parc des voitures d'origine japonaise leur serait exclusivement réservé, et, d'autre part, l'existence d'une entente entre les entreprises mises en cause ayant pour objet la répartition entre elles de leur part cumulée du marché.
60 Aux fins de l'examen du bien-fondé du motif de rejet des plaintes selon lequel les importateurs "ne disposaient d'aucune autonomie dans la mise en œuvre du régime d'importation en question", le Tribunal rappelle que, même si le comportement d'une entreprise peut échapper à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, par manque d'autonomie dans son chef (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73, 55-73, 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, points 36 à 73), il ne s'ensuit toutefois pas que tout comportement voulu ou dirigé par les autorités nationales tombe en dehors du champ d'application de cette disposition. Ainsi, si une mesure étatique reprend les éléments d'une entente intervenue entre les opérateurs économiques d'un secteur ou est prise après consultation et avec l'accord des opérateurs économiques concernés, ces opérateurs ne pourraient se fonder sur la nature contraignante de la réglementation, pour échapper à l'application de l'article 85, paragraphe 1 (voir, notamment, arrêts de la Cour du 30 janvier 1985, Clair, 123-83, Rec. p. 391, points 19 à 23, du 30 avril 1986, Asjes e.a, 209-84 à 213-84, Rec. p. 1425, point 77, du 1er octobre 1987, VVR, 311-85, Rec. p. 3801, point 24).
61 En revanche, lorsqu'une disposition réglementaire contraignante susceptible d'influencer le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun et d'affecter les échanges entre Etats membres ne présente aucun lien avec un comportement d'entreprises visé par l'article 85, paragraphe 1, du traité, la simple observation par des entreprises d'une telle disposition réglementaire échappe à l'application de l'article 85, paragraphe 1 (voir arrêts de la Cour du 17 novembre 1993, Meng, C-2-91, Rec. p. I-5791, point 22, et Ohra Schadeverzekeringen, C-245-91, Rec. p. I-5851, point 15). En effet, dans une telle hypothèse, la marge d'autonomie dans le chef des opérateurs économiques qu'implique l'article 85, paragraphe 1, du traité fait défaut.
62 En l'espèce, le Tribunal constate que les autorités françaises, dans leur réponse du 11 novembre 1993 à la demande de renseignements de la Commission du 25 août 1993, ont confirmé qu'elles avaient décidé, en 1977, de prendre des mesures pour limiter la pénétration des véhicules japonais à 3 % du marché métropolitain et que, dans ce contexte, elles avaient décidé de répartir le volume d'importations autorisées entre les cinq importateurs accrédités alors présents sur le marché, en considération des parts de marché que ceux-ci détenaient à ce moment-là, et de ne permettre aucune nouvelle accréditation d'importateurs de marques japonaises. Les autorités françaises ont également affirmé que, pour mettre en œuvre cette politique, elles informaient chaque importateur, chaque année, de la quantité précise de véhicules correspondant à son quota en lui donnant l'instruction de ne pas importer de véhicules au-delà de ces quantités.
63 Tenant compte des principes énoncés ci-dessus aux points 60 et 61, il convient d'examiner si la décision litigieuse soutient la conclusion selon laquelle les autorités françaises ont imposé ce régime d'importation aux entreprises mises en cause dans les plaintes de manière telle qu'elles ont exclu toute marge d'autonomie dans le chef de ces dernières.
64 Tout d'abord, force est de constater que les autorités françaises elles-mêmes ont confirmé qu'aucune disposition de droit français n'a imposé, aux importateurs de voitures japonaises en France métropolitaine, le comportement dénoncé dans les plaintes. En effet, ces autorités ont affirmé, dans leur réponse à la demande de renseignements du 25 août 1993, que le "mécanisme de contrôle des importations des véhicules japonais mis en place par la France a fait l'objet d'une procédure purement orale".
65 En l'absence d'une disposition réglementaire contraignante imposant le comportement dénoncé, le Tribunal estime que la Commission ne peut rejeter les plaintes pour manque d'autonomie dans le chef des entreprises mises en cause que s'il apparaît sur le fondement d'indices objectifs, pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l'exercice de pressions irrésistibles telles que, par exemple, la menace de l'adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes.
66 Il s'avère toutefois que la Commission a fondé sa décision litigieuse, pour autant qu'elle a trait aux plaintes mettant en cause les importations de voitures japonaises en France métropolitaine, sur les mêmes éléments retenus à l'appui de la conclusion, dans sa décision antérieure du 5 décembre 1991, que les opérateurs économiques mis en cause ne disposaient d'aucune autonomie ou "marge de manœuvre". Ainsi, les éléments qualifiés par la Commission d'"éléments nouveaux" dans son mémoire en défense (points 12 à 17) et sa duplique (points 8 à 10) ne concernent que la situation à la Martinique. En outre, les réponses des autorités françaises à la nouvelle demande de renseignements se limitent à décrire le fonctionnement du système de limitation des importations en termes généraux et, en particulier, ne fournissent aucun élément de nature à étayer ou à expliciter l'affirmation selon laquelle il ne saurait être fait un quelconque reproche aux importateurs mis en cause qui se seraient contentés d'appliquer des mesures résultant des décisions des pouvoirs publics, sans disposer d'aucune marge de manœuvre.
67 Or, le Tribunal a jugé dans son arrêt Asia Motor France II (point 55), à partir, d'une part, des éléments du dossier que la Commission avait recueillis pendant la procédure administrative ayant conduit à l'adoption de la décision du 5 décembre 1991 et, d'autre part, des éléments qui avaient été apportés par les parties pendant la procédure devant le Tribunal dans cette affaire, que la conclusion de la Commission selon laquelle les importateurs de voitures de marques japonaises en France métropolitaine et à la Martinique n'avaient disposé d'aucune marge de manœuvre dans la mise en œuvre du régime d'importations reposait sur une erreur manifeste d'appréciation des faits.
68 La Commission a certes affirmé devant le Tribunal que l'administration française aurait pu exercer des pressions indirectes à l'égard des importateurs en leur retirant leur accréditation ou en leur refusant le bénéfice du régime de réception par type pour de nouveaux modèles. Le Tribunal constate toutefois qu'aucun élément du dossier ne permet de conclure que de telles pressions ont, en fait, été exercées à l'égard des importateurset que cette question n'a fait l'objet d'aucune vérification pendant la procédure administrative auprès des autorités françaises ou des importateurs en France métropolitaine. Par conséquent, en l'absence d'une telle instruction, la Commission ne saurait conclure que de telles pressions ont, en fait, été exercées par les autorités françaises.
69 Par ailleurs, le Tribunal relève que la Commission a précisé à l'audience que la décision de l'administration de ne pas accréditer d'autres marques japonaises que celles des cinq importateurs en cause fait partie intégrante de l'arrangement mis en place et peut être considérée comme la "contrepartie" de l'acceptation par les importateurs de la politique voulue par l'administration, ce qui semble exclure, à première vue, l'existence de pressions irrésistibles exercées par les autorités françaises. Ce point trouve d'ailleurs confirmation dans la lettre du ministère de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme du 1er juillet 1987 (annexe 27 à la requête) aux termes de laquelle les importations parallèles de véhicules japonais risquent de porter progressivement atteinte à l'exclusivité de fait, qui a été reconnue aux cinq importateurs accrédités en France métropolitaine "en contrepartie de leurs engagements d'autolimitation". Cette lettre énonce également que ce "développement... risque de conduire rapidement à une remise en cause par les importateurs accrédités de l'ensemble du système d'autolimitation". Or, la possibilité dans le chef des opérateurs économiques de remettre en cause le régime d'importation de voitures japonaises en France métropolitaine indique que ces opérateurs n'étaient pas dépourvus de toute autonomie dans la mise en œuvre du régime d'importation en question.
70 Il convient, dès lors, de conclure que, au vu de la constatation que le Tribunal a faite au point 55 de son arrêt Asia Motor France II, la décision litigieuse ne repose pas, en l'absence d'éléments nouveaux sur le régime d'importation applicable en France métropolitaine, sur des indices objectifs, pertinents et concordants de nature à démontrer que les autorités françaises ont exercé unilatéralement des pressions irrésistibles sur les entreprises concernées afin qu'elles adoptent le comportement dénoncé dans les plaintes.
71 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation des faits en estimant, au vu des éléments à sa disposition, que le comportement des importateurs accrédités en France métropolitaine était à ce point dépourvu d'autonomie qu'il échappe, de ce fait, à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité. A défaut d'éléments démontrant l'existence de pressions irrésistibles, telles que celles décrites au point 65 ci-dessus, qui auraient forcé les importateurs à accepter une limitation de leurs importations, le comportement des importateurs qui se conforme aux souhaits de l'administration française, en tenant compte de l'ensemble des risques et avantages pertinents, doit être considéré comme relevant de l'exercice d'un choix commercial.
72 Dès lors, la décision litigieuse doit être annulée pour autant qu'elle rejette les plaintes de M. Cesbron du 18 novembre 1985 et de M. Cesbron, Asia Motor France, Monin Automobiles et EAS du 29 novembre 1988.
Sur la plainte de Somaco du 5 juin 1990 mettant en cause les concessionnaires à la Martinique
73 Aux termes de la plainte, Somaco a été constituée en juin 1988 en vue d'importer à la Martinique des véhicules japonais et coréens de marque Daihatsu, Isuzu, Hyundai, Suzuki et Subaru. Dans sa plainte, Somaco fait valoir qu'elle est victime d'une entente illicite entre les concessionnaires des marques japonaises Toyota, Honda, Mazda, Mitsubishi et Nissan, "couverte par l'administration française, tendant à réserver l'accès des voitures japonaises et coréennes sur le marché martiniquais à cinq marques japonaises". Elle ajoute que ces mêmes concessionnaires "se partagent (le) marché, fixé par l'administration à 15 % des immatriculations, aux dépens de la société Somaco, exclue du marché". Pour soutenir sa plainte, elle a produit deux documents, à savoir le compte-rendu d'une réunion interministérielle tenue le 19 octobre 1987 et le "protocole d'accord" annexé à ce compte-rendu.
74 Il y a lieu de relever, de prime abord, que les requérantes ne contestent pas la décision litigieuse pour autant qu'elle rejette, pour défaut d'intérêt communautaire, le grief relatif à la prétendue impossibilité d'importer à la Martinique des automobiles coréennes de marque Hyundai.
75 En ce qui concerne les importations des voitures japonaises en France, dont la Martinique constitue un département, le Tribunal fait observer que les autorités françaises ont expliqué, dans leur réponse du 11 novembre 1993 à la demande de renseignements de la Commission du 25 août 1993, que seuls cinq importateurs représentant les marques Toyota, Honda, Mitsubishi, Mazda et Nissan ont été accrédités en France. Il s'agit des importateurs, mentionnés au point 2 du présent arrêt, contre lesquels les plaintes des 18 novembre 1985 et 29 novembre 1988 ont été dirigées.
76 Les requérantes ne contestent pas le fait que seuls ces cinq importateurs représentant les cinq marques précitées ont été accrédités par l'administration française. Par ailleurs, il est constant que ces importateurs accrédités sont exclusivement compétents pour délivrer les certificats de conformité aux concessionnaires à la Martinique, d'une part, et que l'obtention d'un certificat de conformité est une condition nécessaire à l'immatriculation à la Martinique d'un véhicule importé, d'autre part.
77 Ainsi, le système décrit aux points 74 et 75 du présent arrêt - indépendamment de la question de savoir s'il a été imposé unilatéralement par les autorités françaises ou s'il repose sur un accord conclu entre les cinq importateurs accrédités et les autorités françaises - empêche que les sociétés voulant importer en France (métropolitaine et à la Martinique) des voitures japonaises autres que les voitures des marques Toyota, Honda, Mazda, Mitsubishi et Nissan accèdent au marché. Dès lors et en tout état de cause, l'impossibilité pour la société Somaco de commercialiser à la Martinique des voitures des marques Daihatsu, Isuzu, Suzuki et Subaru ne découle pas de l'existence d'une éventuelle entente entre les concessionnaires martiniquais visés par la plainte.
78 Il convient de constater, ensuite, que la Commission a, dans sa décision litigieuse, examiné les griefs soulevés dans la plainte bien qu'il ressorte de ce qui précède que la Commission aurait pu s'interroger sur l'intérêt de la société Somaco à faire constater l'infraction alléguée. Ainsi, à la suite de l'annulation de la décision du 5 décembre 1991, la Commission a entamé une nouvelle instruction (voir point 16 ci-dessus). Après avoir examiné les réponses aux demandes de renseignements qu'elle avait adressées aux autorités françaises et aux concessionnaires à la Martinique ainsi que les observations des requérantes sur la communication de la Commission du 10 janvier 1994 conformément à l'article 6 du règlement n° 99-63, la Commission a rejeté cette plainte en invoquant également l'absence d'autonomie des concessionnaires dans la mise en œuvre du régime d'importation en question.
79 Le Tribunal rappelle que, dans son arrêt Asia Motor France II, le Tribunal a constaté que ce motif de rejet était basé sur une erreur manifeste d'appréciation des faits (point 55). Il convient, dès lors, d'examiner si les éléments nouveaux recueillis pendant l'instruction qui a été menée à la suite de l'annulation par le Tribunal de la décision de la Commission du 5 décembre 1991 sont de nature à mettre sous un jour nouveau les documents auxquels, après une première analyse, le Tribunal avait reconnu, dans son arrêt Asia Motor France II, une forte valeur probante quant à l'existence vraisemblable d'un concours de volontés.
80 Aux fins de l'examen du bien-fondé du motif de rejet de la plainte, le Tribunal constate, d'abord, qu'aucune disposition réglementaire n'a imposé aux concessionnaires de voitures japonaises à la Martinique le comportement dénoncé dans la plainte.
81 Il y a lieu d'examiner, ensuite, s'il apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants que les autorités nationales ont exercé unilatéralement des pressions irrésistibles sur les concessionnaires concernés afin qu'ils adoptent le comportement dénoncé dans la plainte.
82 A l'examen des éléments qualifiés par la Commission d'"éléments nouveaux" dans son mémoire en défense (points 12 à 17) et sa duplique (points 8 à 10), le Tribunal relève, en premier lieu, une lettre du 19 août 1982 du secrétaire d'Etat auprès du ministre chargé des départements et territoires d'outre-mer adressée au président du groupement des importateurs de véhicules étrangers Antilles-Guyane qui confirme que, afin de modérer le taux de pénétration des véhicules de marques japonaises sur le marché des départements d'outre-mer, l'administration française y a instauré, en 1982, des mesures semblables mais pas identiques à celles mises en place en France métropolitaine. L'auteur de cette lettre explique que "(c)ompte tenu de la spécificité de ces départements et des volumes de vente élevés atteints en 1980 et 1981, la part des marques japonaises devrait être réduite... dans un premier temps, pour 1982, à 15 %".
83 Il ressort, de plus, que, pour ce qui concerne le marché martiniquais, les importations de voitures japonaises ont été limitées à 15 % du nombre total de véhicules immatriculés dans ce département, au moins jusqu'en 1991. Il convient de citer, à titre d'exemple, une lettre de la préfecture de la Région Martinique datée du 29 décembre 1987 (annexe 3.1 à la duplique) et une lettre de la même autorité au concessionnaire de Mazda de janvier 1991 (annexe 2.3 à la duplique) qui font état de ce plafond de 15 %.
84 Le Tribunal constate, ensuite, qu'il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la lettre du 19 août 1982 du secrétaire d'Etat auprès du ministre chargé des départements et territoires d'outre-mer, que le quota global de 15 % des véhicules immatriculés à la Martinique a été unilatéralement imposé par les autorités françaises aux importateurs locaux. Ce point n'a même pas été contesté dans la plainte de Somaco qui fait état d'un quota fixé par l'administration française à 15 %. Par ailleurs, le défaut d'autonomie dans le chef des concessionnaires est encore corroboré par le fait que la limitation des importations de voitures japonaises à 15 % du marché martiniquais amputait aux concessionnaires 50 % de leur marché. Il n'est, en effet, pas contesté que le taux de pénétration des voitures japonaises à la Martinique était voisin de 30 % avant l'instauration du régime d'importation dénoncé.
85 Il ressort, de plus, des pièces produites par la Commission que les autorités publiques ont pendant la même période réparti le quota global de 15 % parmi les marques représentées par les cinq concessionnaires mis en cause par la plainte. Ainsi, les documents cités aux points 13 à 16 du mémoire en défense et au point 12 de la duplique soutiennent la constatation de la Commission selon laquelle la répartition du quota global entre les concessionnaires martiniquais n'était pas le fruit d'une concertation entre ces entreprises, le cas échéant, avec le soutien des autorités françaises, mais a été imposée unilatéralement aux concessionnaires par ces autorités, notamment le ministère de l'Industrie, direction "industries mécaniques" (DIMME), sur proposition du préfet de la Région Martinique. La fixation des quotas individuels pour chaque concessionnaire par les autorités publiques est encore corroborée par la lettre du 3 septembre 1986 du concessionnaire des voitures Nissan adressée au préfet de la Martinique (annexe 1.6 à la duplique), selon laquelle ce concessionnaire se plaint du fait que "le quota qui [lui] est alloué est beaucoup trop faible et ne permet pas à [son] entreprise de se développer normalement d'autant qu'il est en constante diminution". En effet, si les concessionnaires se divisaient entre eux le marché martiniquais, le concessionnaire des voitures Nissan s'adresserait directement aux autres concessionnaires en vue d'obtenir une augmentation de son quota, et non aux autorités publiques.
86 Le Tribunal constate, ensuite, que l'étanchéité du système ainsi mis en place par les autorités publiques a été assurée par le fait que les cinq importateurs accrédités de voitures japonaises en France métropolitaine, en se conformant aux instructions données par les autorités nationales, n'ont envoyé au concessionnaire de "leur" marque à la Martinique qu'un nombre de certificats de conformité correspondant exactement au quota que le DIMME avait fixé pour ce concessionnaire. Ce point est d'ailleurs confirmé par la lettre du 19 août 1982 du secrétaire d'Etat auprès du ministre chargé des départements et territoires d'outre-mer selon laquelle "les volumes de vente prévisionnels de chaque marque sont notifiés par le ministère de la Recherche et de l'Industrie aux importateurs métropolitains qui s'engagent à délivrer aux importateurs locaux le nombre correspondant de certificats permettant l'immatriculation des véhicules".
87 Eu égard au fait que les importateurs accrédités des cinq marques japonaises sont exclusivement compétents pour délivrer les certificats de conformité aux concessionnaires à la Martinique, d'une part, et que l'obtention d'un certificat de conformité est une condition nécessaire à l'immatriculation à la Martinique d'un véhicule importé, d'autre part, les concessionnaires martiniquais ne pouvaient qu'accepter les conséquences de l'arrangement mis en place entre les importateurs accrédités et les autorités françaises.
88 Il résulte de ce qui précède que la conclusion de la Commission selon laquelle les concessionnaires de la Martinique mis en cause par la plainte de Somaco "ne disposaient d'aucune autonomie dans la mise en œuvre du régime d'importation en question" repose, à première vue, sur des indices objectifs, pertinents et concordants.
89 Il convient d'examiner, ensuite, si les requérantes ont produit des éléments "discordants" de nature à démontrer l'existence d'une marge d'autonomie dans le chef des concessionnaires de voitures japonaises quant à la répartition du quota global fixé par les autorités françaises à 15 % pour les importations des voitures japonaises à la Martinique.
90 Les requérantes invoquent, en premier lieu, le compte-rendu de la réunion interministérielle du 19 octobre 1987 et du "protocole d'accord" annexé à ce compte-rendu.
91 Il convient de rappeler que les termes mêmes utilisés dans ces documents tendent à faire croire que les concessionnaires de voitures japonaises mis en cause dans la plainte avaient conclu une entente sur la répartition du quota de 15 % fixé par l'administration française. Se basant sur les termes de ces documents, le Tribunal avait ainsi conclu dans son arrêt Asia Motor France II (point 44) que ces documents "constituent, à première vue, un indice sérieux de l'existence d'une réelle autonomie de comportement" dans le chef des opérateurs économiques concernés.
92 Dans sa décision litigieuse, la Commission explique toutefois que, à la lumière des éléments nouveaux qui ont été portés à sa connaissance dans le cadre de l'instruction qu'elle a menée à la suite du prononcé de l'arrêt Asia Motor France II, le compte-rendu de la réunion interministérielle du 19 octobre 1987 et le "protocole d'accord" y annexé, replacés dans leur contexte, n'altèrent pas le caractère exclusivement étatique du régime d'importation. A cet effet, elle fait valoir que la réunion du 19 octobre 1987, qui s'est tenue sur convocation du préfet, "avait comme seul objet la question adjacente des modalités de la "restitution" par la société CCIE, représentant local de Toyota, de 487 véhicules vendus par celle-ci en excédent depuis 1982 par rapport au nombre d'importations qui lui avait été assigné, restitution exigée par l'Administration".
93 Le Tribunal constate que, entre 1982 et 1986, le concessionnaire à la Martinique de la marque Toyota a dépassé considérablement le quota qui lui avait été attribué (voir notamment annexes 3.2 et 3.6 à la duplique). Le dépassement du quota n'est, d'ailleurs, pas contesté par les requérantes. Il est également constant que ce concessionnaire a été en mesure de vendre des véhicules au-delà de son quota annuel en immatriculant les véhicules excédant son quota au moyen de plaques provisoires (plaques "WW").
94 Il ressort aussi des pièces du dossier que les autorités françaises, après avoir constaté les abus du régime d'immatriculation provisoire par le concessionnaire de la marque Toyota, ont décidé au plus tard en mars 1987 d'imputer dorénavant la délivrance des carnets d'immatriculation provisoire (WW) au quota alloué à chaque marque (voir, notamment, lettres de la préfecture de la Région Martinique datées du 11 mars 1987, adressées respectivement au concessionnaire de la marque Mitsubishi (extrait cité dans les réponses de la Commission du 23 novembre 1995 aux questions du Tribunal) et au concessionnaire de la marque Mazda (annexe 2.2 à la duplique)).
95 En ce qui concerne ensuite l'apurement du dépassement du quota que le concessionnaire de la marque Toyota a pu réaliser en abusant du système d'immatriculation provisoire, entre 1982 et 1986, le Tribunal estime que la Commission a pu raisonnablement conclure que la réunion du 19 octobre 1987 à l'initiative du préfet de la Région Martinique (annexe 3.7 à la duplique) constituait également la manifestation par l'autorité publique de sa volonté de faire respecter le système d'importation qu'elle avait imposé unilatéralement. Bien qu'il soit vrai que le protocole d'accord fait état d'un plafond de 15 % et d'une clé de répartition pour ces 15 %, il n'en résulte pas nécessairement que les concessionnaires ont conclu une entente relevant de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En effet, les pièces qui ont été révélées lors de la nouvelle instruction sont de nature à soutenir la thèse selon laquelle les concessionnaires ont cru nécessaire de "codifier" la politique non écrite d'importation imposée unilatéralement par les autorités publiques depuis 1982, en vue d'éviter à l'avenir des problèmes analogues à ceux qui se sont produits avec le concessionnaire de la marque Toyota.
96 Il s'ensuit que les requérantes, qui se bornent à se fonder sur les termes mêmes du compte-rendu de la réunion interministérielle du 19 octobre 1987 et du "protocole d'accord" y annexé, pour démontrer l'existence d'une infraction à l'article 85, n'ont pas établi l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation des faits commise par la Commission lorsqu'elle a conclu, dans sa décision litigieuse, que ces documents, replacés dans leur contexte, n'altèrent pas le caractère exclusivement étatique du régime d'importation.
97 Il convient, ensuite, de constater qu'aucun autre document invoqué par les requérantes n'est de nature à ébranler la thèse de la Commission selon laquelle les concessionnaires de la Martinique "ne disposaient d'aucune autonomie dans la mise en œuvre du régime d'importation en question".
98 Ainsi, en ce qui concerne d'abord la lettre du ministère de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme du 1er juillet 1987 (annexe 27 à la requête), le Tribunal constate que ce document, qui est certes pertinent pour l'examen des griefs soulevés dans les plaintes mettant en cause les importateurs de voitures japonaises en France métropolitaine, ne contient toutefois aucune indication sur le régime d'importation applicable à la Martinique.
99 Quant aux autres documents mentionnés dans la requête, tels que le procès-verbal de la réunion du conseil général de la Martinique du 27 janvier 1983 ou la déclaration du 26 février 1991 du directeur général de la Sigam, concessionnaire de la marque Nissan, le Tribunal constate que certains extraits cités concernent uniquement les relations entre les autorités publiques et les importateurs en France métropolitaine. La lettre adressée en janvier 1981 au président de la République française par le groupement des importateurs de véhicules étrangers Antilles-Guyane fait état de l'inquiétude des importateurs locaux vis-à-vis de l'intention des autorités publiques d'établir un quota global d'importation et n'est, dès lors, pas de nature à démontrer l'existence d'une entente entre les concessionnaires visant à répartir un quota global, qui n'avait pas encore été fixé à ce moment. D'autres documents, comme le compte-rendu de la réunion du 1er octobre 1987 à la préfecture de la Martinique et le télex du 22 septembre 1987 du préfet de la Martinique, ont trait au problème du dépassement par le concessionnaire de la marque Toyota du quota qui lui avait été attribué. Même s'il est vrai que ce problème a été "débattu... avec les concessionnaires" (télex du 22 septembre 1987 du préfet de la Martinique), il n'en ressort toutefois pas que ces concessionnaires ont conclu une entente relevant de l'article 85 du traité. En effet, la proposition formulée dans le compte-rendu de la réunion du 1er octobre 1987 pour résoudre le problème du dépassement du quota - proposition qui avait reçu l'"assentiment de l'ensemble des concessionnaires" - n'a été reprise ni dans le compte-rendu de la réunion du 19 octobre 1987 ni dans le "protocole d'accord" s'y rapportant. Cet élément conforte la thèse selon laquelle les autorités publiques elles-mêmes ont non seulement fixé le quota global de 15 % pour la Martinique et la répartition de ce quota parmi les concessionnaires, mais ont également imposé unilatéralement le système d'apurement de l'excès de quota du concessionnaire de la marque Toyota. L'exercice de pressions irrésistibles par les autorités publiques est d'ailleurs également confirmé par l'extrait du télex adressé par le concessionnaire de Mazda à MM. Géraud et Archambault (pièce non produite et non datée, extrait p. 29 de la requête). En effet, l'extrait cité par les requérantes démontre que le régime d'importation appliqué à la Martinique ne repose pas sur un accord entre concessionnaires, mais a été imposé unilatéralement par les pouvoirs publics.
100 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation des faits n'est pas fondé pour autant que ce moyen a trait à la décision de la Commission de rejeter la plainte de Somaco du 5 juin 1990.
Sur le moyen tiré d'un défaut de motivation
Arguments des parties
101 Les requérantes font valoir que la décision litigieuse est insuffisamment motivée en ce que, d'une part, elle ne justifie pas la reprise du premier motif de rejet de la décision du 5 décembre 1991 en dépit de l'arrêt Asia Motor France II, et, en ce que, d'autre part, elle ne répond pas aux arguments que les requérantes avaient présentés au soutien de leurs plaintes, en particulier ceux qu'elles avaient avancés dans leurs observations sur la lettre que la Commission avait adressée aux requérantes le 10 janvier 1994 au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63.
102 La Commission répond que la décision litigieuse identifie clairement les raisons pour lesquelles elle conclut au rejet des plaintes. Elle rappelle qu'il n'est pas nécessaire qu'une décision de rejet d'une plainte aborde chacun des arguments soulevés par les plaignants mais qu'il suffit qu'elle expose les faits et considérations revêtant une importance essentielle dans son économie (arrêt BAT et Reynolds/Commission, précité).
Appréciation du Tribunal
103 Il ressort d'une jurisprudence constante que la motivation d'une décision faisant grief doit permettre, d'une part, à son destinataire de connaître les justifications de la mesure prise, afin de faire valoir, le cas échéant, ses droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée et, d'autre part, au juge communautaire d'exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt Asia Motor France II, point 30).
104 A cet égard, ainsi que le Tribunal l'a rappelé dans l'arrêt Asia Motor France II (point 31), la Commission n'est pas obligée, dans la motivation des décisions qu'elle est amenée à prendre pour assurer l'application des règles de concurrence, de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent à l'appui de leur demande, mais il suffit qu'elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision.
105 Le Tribunal rappelle que la décision litigieuse rejette les plaintes au motif que les importateurs et les concessionnaires visés par ces plaintes ne disposaient "d'aucune marge de manœuvre dans la mise en œuvre du régime d'importation" qui revêtait un "caractère exclusivement étatique". La décision litigieuse indique les éléments sur lesquels cette prise de position est fondée, permettant ainsi aux requérants de contester le bien-fondé de la décision et au Tribunal d'exercer son contrôle de légalité. Il s'ensuit que le moyen tiré d'un défaut de motivation doit être rejeté.
Sur les conclusions en indemnité
106 Le Tribunal relève qu'en vertu de l'article 19 du statut de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal toute requête doit indiquer l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations à l'appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu'un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir, à titre d'exemple, l'ordonnance du Tribunal du 29 novembre 1993, Koelman/Commission, T-56-92, Rec. p. II-1267, point 21).
107 Il ressort de la jurisprudence que, pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d'identifier le comportement que le requérant reproche à l'institution, les raisons pour lesquelles il estime qu'un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu'il prétend avoir subi ainsi que le caractère et l'étendue de ce préjudice (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64-89, Rec. p. II-367, point 73).
108 Il ressort également de la jurisprudence qu'une requête qui manque de la précision nécessaire doit être déclarée irrecevable et qu'une violation de l'article 19 du statut de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal compte parmi les fins de non-recevoir que le Tribunal peut soulever d'office, à tout moment, en vertu de l'article 113 dudit règlement de procédure (arrêt Automec/Commission, précité, points 73 et 74).
109 En l'espèce, le Tribunal constate que l'argument développé par les requérantes dans leur requête à l'appui de leurs conclusions en indemnité se lit, dans son ensemble, comme suit :
"Les entreprises plaignantes distinguent le préjudice imputable à l'attitude des entreprises membres de l'entente et du gouvernement français et celui mettant directement en jeu la responsabilité de la Commission.
Le préjudice total subi par les entreprises du fait de l'entente peut être évalué à ce jour à :
Asia Motor France : 259 552 000 écus
M. Cesbron : 244 292 000 écus
Monin Automobiles : 82 231 000 écus
EAS : 76 177 000 écus
Somaco : 2 153 500 écus
Le préjudice, augmenté des intérêts de droit, dont la Commission est responsable, dû aux retards et prises de décisions illégales, peut être raisonnablement évalué à l'intérêt usuel de ces sommes appliqué par la Communauté (9,75 %) pendant la durée qui sépare la décision de classement du 5 décembre 1991 de l'arrêt à intervenir jusqu'à la date du prononcé de l'arrêt."
110 Le Tribunal estime que ni l'argumentation ainsi développée par les requérantes ni la requête considérée dans son ensemble ne permettent d'identifier, avec le degré de clarté et de précision requis, le comportement fautif imputé à la Commission ou le caractère du préjudice prétendument subi.
111 Il s'ensuit que les conclusions en indemnité doivent être rejetées comme irrecevables.
Conclusions
112 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler la décision litigieuse pour autant qu'elle rejette les plaintes de M. Cesbron du 18 novembre 1985 et de M. Cesbron, Asia Motor France, Monin Automobiles et EAS du 29 novembre 1988 et, pour le surplus, de rejeter le recours.
Sur les dépens
113 Les requérantes demandent au Tribunal de condamner la Commission aux dépens tant de la présente procédure que de la procédure ayant abouti à l'arrêt Asia Motor France II.
114 Il résulte de l'article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, qui prévoit qu'il est statué sur les dépens dans l'arrêt ou l'ordonnance qui met fin à l'instance, que le Tribunal ne peut statuer, dans le présent arrêt, que sur les dépens encourus dans la présente procédure. Par conséquent, il convient de rejeter le chef de conclusions des requérants tendant à la condamnation de la Commission aux dépens de la procédure ayant abouti à l'arrêt Asia Motor France II.
115 En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon le paragraphe 3 du même article, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours ayant été partiellement accueilli et les parties ayant l'une et l'autre conclu à la condamnation de l'autre aux dépens, le Tribunal estime qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supportera ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens des requérantes.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Les conclusions tendant à ce que le Tribunal constate l'existence d'une infraction sont rejetées comme irrecevables.
2) Les conclusions en carence sont rejetées comme irrecevables.
3) La décision litigieuse est annulée pour autant qu'elle rejette la plainte de M. Cesbron du 18 novembre 1985 et la plainte de M. Cesbron, Asia Motor France, Monin Automobiles et EAS du 29 novembre 1988.
4) Pour le surplus, les conclusions en annulation sont rejetées comme non fondées.
5) Les conclusions en indemnité sont rejetées comme irrecevables.
6) Les conclusions tendant à la condamnation de la Commission aux dépens de la procédure ayant conduit à l'arrêt du Tribunal du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission (T-7-92, Rec. p. II-669), sont rejetées comme non fondées.
7) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens des requérantes.