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Décisions

TPICE, 1re ch. élargie, 18 septembre 1996, n° T-353/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Postbank (NV)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saggio

Juges :

MM. Bellamy, Kalogeropoulos, Mme Tiili, M. Moura Ramos

Avocats :

Mes Brower, Louis.

Comm. CE, du 23 sept. 1994

23 septembre 1994

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (première chambre élargie),

Faits et procédure

La procédure devant la Commission

1 Postbank NV (ci-après " Postbank "), société établie aux Pays-Bas, est partie à la " Gemeenschappelijke Stortings - en Acceptgiro Procedure " (convention sur la procédure commune de traitement des formules de versement/virement, ci-après " accord GSA "). Cet accord a été conclu entre plusieurs banques néerlandaises et institue une procédure commune de traitement des formulaires de versement/virement au moyen de bulletins de virement préimprimés, lisibles par lecture optique.

2 Le 10 juillet 1991, il a été notifié à la Commission par la Nederlandse Vereniging van Banken (association néerlandaise des banques, ci-après " NVB "), en application de l'article 4 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du Traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après " règlement n° 17 "). Pendant la procédure administrative, il a été modifié, notamment dans son système de tarification.

3 Postérieurement à la notification, la Commission a été saisie de plusieurs plaintes d'utilisateurs du modèle de virement en question. Ces plaintes étaient dirigées contre certaines banques, dont la requérante.

4 La Commission a adressé des demandes de renseignements à la NVB et à d'autres banques néerlandaises, conformément à l'article 11 du règlement n° 17. En particulier, entre 1991 et 1992, elle a demandé et obtenu de la requérante, à trois reprises, des renseignements et documents.

5 Le 14 juin 1993, elle a adressé à la NVB une communication des griefs relative à l'accord GSA et a fixé l'audition des parties concernées au 28 octobre 1993.

6 La NVB a répondu à la communication des griefs par lettre du 17 septembre 1993.

7 L'audition des parties concernées a eu lieu devant la Commission le 28 octobre 1993.

Les procédures devant les juges nationaux et la demande de production, devant ceux-ci, de documents de la procédure administrative pendante devant la Commission.

8 En 1992, NUON Veluwse Nutsbedrijven NV (ci-après " NUON ") et Maatschappij Elektriciteit en Gas Limburg NV (ci-après " Mega Limburg "), entreprises de service public utilisatrices du modèle de virement prévu par l'accord GSA, ont saisi l'Arrondissementsrechtbank te Amsterdam de deux recours mettant en cause la légalité du nouveau système de tarification de ces formulaires et dirigés respectivement contre Postbank et contre ABN Amro Bank NV (ci-après " ABN ").

9 L'Arrondissementsrechtbank a rejeté ces recours par jugements des 20 janvier et 7 avril 1993. NUON et Mega Limburg ont interjeté appel de ces décisions devant le Gerechtshof te Amsterdam.

10 Parallèlement, la Commission a autorisé ces deux entreprises à assister à l'audition du 28 octobre 1993, bien qu'elles ne soient pas formellement plaignantes dans la procédure administrative pendante devant elle. Afin de leur permettre de se préparer à cette audition, elle leur a transmis, par lettre du 4 octobre 1993, la version intégrale de la communication des griefs du 14 juin 1993, mais sans ses annexes. Dans sa lettre, elle précisait que les informations contenues dans ladite communication ne pouvaient être utilisées que dans le cadre de la préparation de l'audition. Elle soulignait qu'" aucune autre utilisation de ces informations, par exemple dans le cadre de procédures judiciaires, n'[était] autorisée " et qu'il était " interdit de laisser des tiers en prendre connaissance de quelque manière que ce soit ".

11 Par lettre du 27 octobre 1993 et lors de l'audition du 28 octobre 1993, la NVB a protesté contre le fait que la Commission ait porté la communication des griefs, dans sa version intégrale, à la connaissance de tiers, sans avoir préalablement donné à l'association des banques la possibilité de s'exprimer sur une telle initiative. Dans sa lettre du 27 octobre 1993, elle faisait valoir notamment que la Commission " aurait dû [la] mettre au courant de son intention d'envoyer la version intégrale de la communication des griefs et aurait dû [lui] donner la possibilité de [s'] opposer à cet envoi ou d'indiquer les passages de la communication des griefs devant être considérés comme secrets d'affaires ". A cet égard, elle a souligné, lors de l'audition devant la Commission, que la direction générale de la concurrence de la Commission (ci-après " DG IV ") avait attendu le 8 octobre 1993 pour informer la NVB de la demande que NUON et de Mega Limburg avaient introduite le 6 septembre 1993. Par conséquent, le " NVB n'[aurait] pas pu réagir à cette lettre lorsqu'elle a remis sa réponse à la communication des griefs, le 17 septembre 1993 ".

12 Par lettre du 30 août 1994, NUON et Mega Limburg ont demandé à la Commission de " les autoriser " à produire devant le Gerechtshof te Amsterdam la version de la communication des griefs que cette institution leur avait transmise, ainsi que le procès-verbal de l'audition du 28 octobre 1993. A l'appui de leur demande, elles contestaient toute compétence de la Commission pour leur interdire de produire ces pièces dans le cadre d'une procédure judiciaire nationale. Elles considéraient qu'il était " malheureux et indésirable qu'alors que toutes les parties au procès [avaient] connaissance de la communication des griefs et du procès-verbal de l'audition, les conseillers du Gerechstshof qui [devaient] [...] se prononcer sur la comptabilité [ de ces accords] avec le droit communautaire de la concurrence, ne [connaissaient] pas ces pièces ". Selon elles, ces documents fournissaient " le point de vue le plus fidèle et le plus indépendant sur le déroulement de la procédure [pendante devant] la Commission " et ils pouvaient donner " l'occasion au Gerechtshof de trouver le moyen de demander des informations plus précises à la Commission ". En outre, elles estimaient qu'une décision de la Commission permettant cette communication ne pourrait pas " nuire aux droits de la défense des banques néerlandaises, étant donné qu'elles [avaient] toujours la possibilité de transmettre, aussi dans le cadre de la procédure nationale, le mémoire en défense qu'elles [avaient] rédigé en réponse à la communication des griefs ".

13 Par télécopie du 23 septembre 1994, la DG IV a fait savoir à NUON et à Mega Limburg que la restriction antérieure contenue dans la lettre du 4 octobre 1993 et relative à " l'utilisation, dans le cadre de procédure judiciaires nationales, de la version de la communication des griefs qui [leur avait] été transmise, [était] apparue non fondée et [était], dès lors, caduque ". Une copie de cette lettre a été envoyée, par courrier ordinaire, à Postbank, laquelle indique l'avoir reçue le 27 septembre 1994.

14 Le 23 septembre 1994, NUON et Mega Limburg ont transmis au Gerecgtshof te Amsterdam copie de la communication des griefs (sans le compte rendu de l'audition) et en ont informé la requérante.

15 Par lettre du 30 septembre 1994, Postbank a demandé à la Commission de revenir sur la décision contenue dans sa lettre du 23 septembre 1994. Elle a souligné notamment que cette décision était " contraire au droit communautaire, notamment à l'article 214 du Traité CE et au règlement n° 17 ". En effet, selon la requérante, la communication des griefs se fondait directement ou indirectement sur des informations que la Commission avait recueillies pendant la procédure administrative et que tant le NVB que Postbank avaient " expressément qualifiées de secrets d'affaires ". Elle se fondait donc sur des renseignements qui, faisait valoir la requérante, ne pouvaient être communiqués à des tiers que s'ils s'avéraient nécessaires au déroulement de la procédure engagée par la Commission (article 20 du règlement n° 17) et si les parties concernées avaient été informées de cette décision et mises en mesure de s'opposer à celle-ci ou de veiller à ce qu'aucun secret d'affaires ne fût divulgué.

16 Par lettre du 3/4 octobre 1994, la DG IV a répondu qu'elle ne voyait aucune raison de revenir sur la position qu'elle avait adoptée dans sa lettre du 23 septembre 1994. Dans celle-ci, précisait-elle, elle avait voulu uniquement indiquer que des parties déjà en possession de certains documents, en l'occurrence la communication des griefs (à l'exclusion des annexes) et le procès-verbal de l'audition, " ne [pouvaient] être empêchées de produire ces documents devant le juge national " car elles n'étaient pas tenues de " demander une autorisation à cet effet ".

L'introduction de la procédure devant le Tribunal

17 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours tendant à l'annulation de la décision de la Commission contenue dans la lettre du 23 septembre 1994 (ci-après " décision "), ainsi que de la décision confirmative du 3/4 octobre 1994.

18 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal également le 22 octobre 1994, elle a introduit, en vertu des articles 185 et 186 du traité, une demande de sursis à l'exécution de l'acte attaqué, ainsi qu'une demande d'injonction à l'adresse de la Commission, tendant à ce que cette institution maintienne l'interdiction dont elle avait assorti la transmission de la communication des griefs à NUON et à Mega Limburg quant à l'utilisation de cette pièce dans le cadre de procédures judiciaires nationales et, par conséquent, à ce qu'elle ordonne à celles-ci de récupérer les documents en cause auprès des instances judiciaires nationales ou des tiers qui en auraient reçu copie.

19 Par ordonnance du 1er décembre 1994, Postbank/Commission (Tetra Pak-353-94 R, Rec. p. II-1141), le juge des référés a partiellement accueilli cette demande. Il a, d'une part, ordonné le sursis à l'exécution de la décision et, d'autre part, enjoint à la Commission " de transmettre sans délai une copie de l'ordonnance " aux destinataires de la lettre du 23 septembre 1994.

20 La Commission a envoyé une copie de cette ordonnance à NUON et à Mega Limburg le 2 décembre 1994.

La poursuite des procédures nationales

21 Par télécopie du 5 décembre 1994, la requérante a informé la Commission que NUON et Mega Limburg avaient l'intention de produire les pièces litigieuses lors des procédures orales devant le Gerechtshof te Amsterdam. Pour les en empêcher, la défenderesse leur a donc envoyé, le même jour, une télécopie de l'ordonnance du président du tribunal afin de les aviser du sursis à l'exécution de la décision contenue dans la lettre du 23 septembre 1994.

22 Néanmoins, pendant la procédure orale, NUON et Mega Limburg ont produit la communication des griefs nonobstant l'opposition de Postbank et de ABN.

23 Par arrêts du 16 février 1995, le Gerechtshof a rejeté les appels de NUON (affaire NUON contre Postbank) et de Mega Limburg (affaire Mega Limburg contre ABN). Il a décidé de ne pas tenir compte de la communication des griefs aux fins du jugement.

La poursuite de la procédure devant le Tribunal

24 Entre-temps, la procédure écrite dans la présente affaire a suivi un cours régulier. Le Tribunal a ensuite décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

25 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal à l'audience du 14 décembre 1995.

Conclusions des parties

26 La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision de la Commission contenue dans les lettres du 23 septembre 1994 et du 3/4 octobre 1994 ;

- condamner la Commission aux dépens.

27 La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- à titre principal, déclarer le recours irrecevable ;

- à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

- en tout état de cause, condamner la requérante aux dépens de l'instance.

Sur la recevabilité

28 La Commission conteste la recevabilité du présent recours en invoquant quatre moyens. Le premier est tiré de la tardiveté du recours, le deuxième de l'absence d'acte faisant grief, le troisième de l'absence d'intérêt à agir de la requérante et le quatrième de l'absence d'objet du litige.

Sur les premier et deuxième moyens d'irrecevabilité, tirés respectivement de la tardiveté du recours et de l'absence d'acte faisant grief

Exposé sommaire des arguments des parties

29 Pour démontrer la tardiveté du recours et l'absence d'acte faisant grief, la Commission part de la prémisse que les actes attaqués sont des décisions interprétatives, d'une part, de la décision par laquelle elle a autorisé NUON et Mega Limburg à participer à l'audition du 28 octobre 1993 et, d'autre part, de sa décision du 4 octobre 1993 par laquelle elle leur a envoyé une copie de la communication des griefs, en considérant implicitement que cette communication, privée de ses annexes, ne contenait pas des secrets d'affaires. Elle fait valoir que, si, comme le prétend la requérante, ces documents avaient effectivement contenu des secrets d'affaires, ce serait la possibilité pour les entreprises tierces d'en prendre connaissance qui aurait lésé les intérêts de la requérante, et non leur production ultérieure devant le juge national. Selon elle, même s'il fallait admettre que la situation juridique de la requérante pourrait être affectée par la production ne serait pas la conséquence de la lettre du 23 septembre 1994, puisque l'avocat du NUON et de Mega Limburg aurait tout aussi bien pu y avoir recours sans s'assurer au préalable que les services de la Commission partageaient son interprétation de la situation de fait et de droit existante. En effet, la Commission ne serait pas compétente pour interdire ou autoriser une telle utilisation.

30 Il en résulte, d'après la Commission, d'une part, que, puisque les actes attaqués ne sont que des décisions interprétatives, impropres à modifier des décisions antérieures, le recours est irrecevable en ce qu'il est formé contre des actes purement confirmatifs de deux décisions antérieures non attaquées dans les délais (arrêt de la Cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166-86 et 220-86, Rec. p. 6473, et ordonnance de la Cour du 21 novembre 1990, Infortec/Commission, C-12-90, Rec. p. I-4265, point 10). D'autre part, la décision ne pourrait pas faire l'objet d'un recours en annulation, au sens de l'article 173 du Traité, puisqu'elle n'affecterait nullement les intérêts de la requérante (arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e. a./Commission, Tetra Pak-10-92, Tetra Pak-11-92, Tetra Pak-12-92 et Tetra Pak-15-92, Rec. p. II-2667, point 28).

31 La requérante conteste l'ensemble du raisonnement de la Commission. La décision attaquée produirait des effets juridiques affectant directement ses intérêts, pour plusieurs raisons. En premier lieu, la décision aurait entraîné la divulgation de ses secrets d'affaires, étant donné que la communication des griefs, dont la Commission a permis la production devant les Juges néerlandais, reproduirait des informations que Postbank avait expressément qualifiées de secrets d'affaires quand elle les avait transmises à la Commission. En second lieu, selon l'arrêt de la Cour du 24 juin 1986, Akzo Chemie/Commission (53/85, Rec. p. 1965), un acte produirait des effets juridiques et devrait être considéré comme une décision, au sens de l'article 173 du traité, lorsqu'il refuse le bénéfice d'une protection prévue par le droit communautaire. La décision attaquée serait donc susceptibles de recours, étant donné que, en autorisant NUON et Mega Limburg à utiliser la communication des griefs et le procès-verbal d'audition dans le cadre d'une procédure judiciaire nationale, elle porterait atteinte à la protection dont la requérante peut se prévaloir en vertu des articles 214 du traité et 20 du règlement n° 17. Le fait que, par cette décision, la Commission ait retiré l'interdiction qu'elle avait émise dans sa lettre du 4 octobre 1993, en la considérant comme privée de fondement juridique, ne signifierait pas que ladite décision n'a pas d'effets juridiques. En troisième lieu, la décision en cause ne pourrait pas être considérée comme ayant un contenu purement interprétatif. En effet, elle donnerait suite à la demande que NUON et Mega Limburg ont adressée à la Commission par lettre du 30 août 1994 et qui visait expressément à obtenir une autorisation d'utiliser la communication des griefs du 14 juin 1993 et le procès-verbal de l'audition du 28 octobre 1993 dans le cadre de procédures nationales.

32 Par ailleurs, Postbank met en exergue que, contrairement à ce qu'affirme la Commission, la décision faisant l'objet du présent recours n'est pas la décision de transmettre la communication des griefs et le procès-verbal de l'audition à NUON et à Mega Limburg, mais plutôt la décision d'autoriser des entreprises tierces à produire ces pièces dans le cadre de procédures judiciaires nationales. Postbank relève à ce propos que, au moment où elle a appris que la Commission avait transmis la version intégrale de cette communication des griefs aux deux entreprises susmentionnées, vingt jours après que celles-ci en eurent pris possession, elle a également appris que la Commission avait, lors de cette transmission, expressément interdit à ces entreprises d'utiliser les informations contenues dans la pièce en question en dehors du cadre de la préparation de l'audition et de les divulguer de manière directe ou indirecte à des tiers. La requérante aurait donc décidé de n'introduire aucun recours contre cet acte parce qu'elle considérait qu'une éventuelle action judiciaire " ne lui aurait rien apporté ".

Appréciation du Tribunal

33 Pour statuer sur le bien-fondé de ces deux premiers moyens d'irrecevabilité, il convient, à titre liminaire, de rappeler que seuls constituent des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation, au sens de l'article 173 du traité, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires. Un recours d'une personne physique ou morale est recevable uniquement si l'acte attaqué est de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (voir notamment l'arrêt Cimenteries CBR e. a./Commission, précité, point 28).

34 Selon la partie défenderesse, le présent recours serait irrecevable essentiellement pour deux raisons. D'une part, la décision attaquée ne serait qu'une décision interprétative ne produisant aucun effet juridique obligatoire. D'autre part, elle n'affecterait nullement la situation juridique de la requérante, compte tenu du fait qu'elle ne porterait pas atteinte à la protection tant de secrets d'affaires que des informations confidentielles prétendument contenus dans la communication des griefs.

35 Contrairement à ce qu'affirme la partie défenderesse, la lettre du 23 septembre 1994 a un contenu décisionnel et affecte directement les intérêts de Postbank. En effet, d'une part, elle partiellement retiré la décision de la Commission contenue dans la lettre du 4 octobre 1993, puisqu'elle a aboli l'interdiction, énoncée dans ce dernier acte, d'utiliser la communication des griefs dans le cadre de procédures judiciaire nationales. D'autre part, faisant suite à une demande de NUON et de Mega Limburg tendant à obtenir l'" autorisation " de transmettre la communication des griefs et le procès-verbal de l'audition au Gerechtshof te Amsterdam, elle comporte une appréciation de la Commission sur l'inexistence de tout obstacle à la production, devant le juge national, de ces documents.

36 Par ailleurs, en ce qui concerne les allégations de la Commission portant sur l'absence de toute atteinte aux intérêts de la requérante, et notamment à ses secrets d'affaires, elles relèvent du fond et non de la recevabilité du présent recours. En effet, elles concernent l'existence et la portée de l'obligation de la Commission de respecter le secret professionnel pour ce qui est des informations transmises par la requérante et d'autres banques parties à l'accord GSA, et contenues notamment dans la communication des griefs. Elles comportent donc une analyse de la comptabilité, avec les articles 214 du traité et 20 du règlement n° 17, de la décision d'" autoriser " NUON et Mega Limburg à produire devant les autorités nationales des documents contenant des informations qualifiées de confidentielles par la requérante. L'examen de cette compatibilité constitue l'objet même du présent litige.

37 Sur la base de ce qui précède, le Tribunal estime que la décision a produit des effets juridiques obligatoires susceptibles d'affecter la situation juridique de la requérante et peut donc faire l'objet d'un recours en annulation en vertu de l'article 173 du traité.

38 Ayant été introduit le 22 octobre 1994, à savoir moins d'un mois après la communication de la décision à la requérante, le présent recours a été présenté dans le délai prévu par le traité.

39 Il en résulte que les premier et deuxième moyens d'irrecevabilité doivent être rejetés.

Sur le troisième moyen d'irrecevabilité, tiré de l'absence d'intérêt à agir de la requérante

Exposé sommaire des arguments des parties

40 La Commission fait valoir, à titre subsidiaire, que la requérante n'est titulaire d'" aucun intérêt admissible " à l'annulation de la décision, puisque celle-ci concerne la production des documents litigieux au cours de deux procédures nationales et que Postbank n'est défenderesse que dans une seule de ces procédures. Le présent recours serait donc irrecevable, en tant que dirigé contre la décision que la Commission aurait rendue à l'égard de Mega Limburg, qui a agi uniquement contre ABN.

41 La requérante conteste ce moyen. A la suite de la décision, les secrets d'affaires et les informations confidentielles relatives à Postbank seraient divulgués au même titre par la production de la communication des griefs dans l'affaire Mega Limburg contre ABN que par sa production dans l'affaire NUON contre Postbank ou dans d'autres affaires. Le fait qu'elle n'est pas partie à l'une des deux procédures nationales en cause serait donc sans pertinence.

Appréciation du Tribunal

42 Ce troisième moyen d'irrecevabilité, tiré de l'absence d'intérêt à agir de la requérante, est manifestement privé de fondement. En effet, la production de la communication des griefs dans le cadre d'une procédure nationale, dans laquelle Postbank n'est pas partie, entraîne la transmission d'informations, le cas échéant confidentielles, au même titre que la production du même document dans une procédure nationale dans laquelle la requérante est partie. De ce fait, la circonstance que Postbank n'est pas partie dans une des deux procédures nationales susvisées n'a aucune pertinence en ce qui concerne l'intérêt à agir de la requérante.

43 Il s'ensuit que le troisième moyen d'irrecevabilité doit être rejeté.

Sur le quatrième moyen d'irrecevabilité, tiré de l'absence d'objet de litige

Exposé sommaire des arguments des parties

44 Dans sa duplique, la défenderesse affirme que le présent recours est devenu sans objet dans sa totalité puisque le Gerechtshof te Amsterdam a rendu, le 16 février 1995, deux arrêts définitifs dans les procédures nationales susmentionnées, Mega Limburg contre ABN et NUON contre Postbank. Les procédures dans le cadre desquelles les documents en cause ont été produits étant terminées, la demande en annulation formée par la requérante serait désormais sans objet.

45 Dans ses réponses aux questions posées par le Tribunal, la requérante a relevé qu'elle conserve un intérêt actuel à l'annulation de la décision, dès lors que plusieurs entreprises plaignantes ou intervenantes dans la procédure administrative sont en possession de la communication des griefs. Ces entreprises pourraient toujours se décider à utiliser ce document devant le juge néerlandais à l'appui de leurs arguments. Déjà deux d'entre elles auraient entamé contre Postbank une procédure qui serait pendante devant le Gerechtshof te Amsterdam. Elles auraient fait valoir les mêmes arguments que ceux invoqués par NUON et Mega Limburg dans les affaires qui viennent de s'achever et auraient envisagé la possibilité de produire la communication des griefs en cause. L'annulation de la décision attaquée aurait donc pour effet d'empêcher la transmission de ce document aux autorités judiciaires nationales et toute divulgation ultérieure des informations confidentielles qui y sont contenues.

46 Par ailleurs, la requérante rappelle que, comme l'a jugé la Cour, un requérant justifie d'un intérêt suffisant à attaquer une décision dès lors qu'il peut craindre que l'irrégularité alléguée ne se reproduise (arrêts de la Cour du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92-78, Rec. p. 777, du 26 avril 1988, Apesco/Commission, 207-86, Rec. p. 2151, et Akzo Chemie/Commission, précité).

Appréciation du Tribunal

47 En l'espèce, les procédures nationales dans lesquelles les entreprises NUON et Mega Limburg ont produit la communication des griefs, suite à la décision attaquée, ont été clôturées par les arrêts du Gerechtsfof te Amsterdam du 16 février 1995. Ces arrêt sont définitifs, aucune des parties n'ayant formé un pourvoi devant le Hoge Raad der Nederland. En outre, il ressort du dossier que le Gerechtsfof n'a pas pris en considération la communication des griefs aux fins de son jugement. La position procédurale de Postbank n'a donc nullement été affectée par la transmission des documents en cause. Partant, la partie requérante ne justifie plus d'un intérêt, actuel ou potentiel, en relation avec les procédures nationales dans lesquelles NUON et Mega Limburg ont produit ce document à la suite de la décision de la Commission.

48 Cependant, le Tribunal estime que, comme la requérante l'a suggéré à plusieurs reprises par écrit et lors de la procédure orale, son intérêt à l'annulation de la décision doit être examiné en relation avec la portée générale de l'acte en cause. A cet égard, il y a lieu de relever que, dans sa décision du 23 septembre 1994, la Commission a expressément aboli l'interdiction, figurant dans sa lettre du 4 octobre 1993, de produire la communication des griefs devant les autorités judiciaires nationales, laissant en tout état de cause subsister l'interdiction de transmettre ce même document aux tiers. Cette abolition se fonde sur une appréciation relative à l'absence de toute obligation de la Commission d'interdire la transmission de ce document et du procès-verbal de l'audition aux autorités judiciaires nationales. Elle produit ainsi des effets précis qui consistent dans la suppression de tout obstacle à une telle transmission. La décision attaquée doit donc être interprétée en ce sens qu'elle ne porte pas sur la transmission de ces pièces de la procédure administrative dans le cadre d'une procédure nationale déterminée, mais plutôt sur leur production devant tout juge national.

49 Partant, considérant la portée de cette décision et le fait que plusieurs entreprises sont en possession, notamment, de la communication des griefs, il n'est pas exclu qu'elles puissent l'utiliser dans d'autres procédures nationales. Dans cette perspective, la requérante conserve un intérêt actuel à maintenir le présent recours.

Par suite, le litige n'est pas privé d'objet.

50 Il ressort de ce qui précède que le quatrième moyen d'irrecevabilité doit être rejeté.

Sur le fond

51 Au soutien de son recours, la requérante invoque cinq moyens. Le premier moyen est tiré de la violation des articles 214 du Traité et 20 du règlement n° 17, le deuxième d'un détournement de pouvoir, le troisième de la violation du principe de la protection de la confiance légitime, le quatrième de la violation de l'article 190 du traité et, enfin, le cinquième de la violation des articles 185 du traité et 20, paragraphe 2, du règlement n° 17.

Sur le premier moyen tiré de la violation des articles 214 du traité et 20 du règlement n° 17

52 Le premier moyen comprend deux branches. Dans le cadre de la première branche, la requérante fait valoir que, en autorisant, par lettre du 23 septembre 1994, NUON et Mega Limburg à produire devant les juges nationaux la version intégrale de la communication des griefs et du procès-verbal de l'audition du 28 octobre 1993, la Commission a violé les articles 214 du traité et 20, paragraphe 1, du règlement n° 17. Dans le cadre de la seconde branche, la requérante fait valoir que, en permettant la transmission des documents en question au Gerechtshof d'Amsterdam, la Commission a violé les articles 214 du Traite et 20, paragraphe 2, du règlement n° 17, étant donné que ces documents contiennent des passages qui auraient été considérés comme des secrets d'affaires tant par la requérante que par la Commission.

Sur la première branche du premier moyen, tirée de la violation de l'article 20? paragraphe 1, du règlement n° 17

- Exposé sommaire des arguments des parties

53 Dans le cadre de cette première branche, la requérante fait valoir que, en autorisant, par lettre du 23 septembre 1994, deux entreprises tierces à produire devant les juges nationaux la version intégrale de la communication des griefs et du procès-verbal de l'audition du 28 octobre 1993, la Commission a violé l'article 20, paragraphe 1, du règlement n° 17, aux termes duquel les informations recueillies pendant la procédure administrative " ne peuvent être utilisés que dans le but pour lequel elles ont été demandées ".

54 Pour étayer sa thèse, elle souligne, à titre liminaire, que la communication des griefs et le procès-verbal de l'audition contiennent des informations empruntées à la notification de l'accord GSA ou transmises à la Commission en réponse à des demandes de renseignements. Or, selon la jurisprudence de la Cour (arrêt du 16 juillet 1992, Association Espanola de Banca privada e. a., C-67/91, Rec. p. I-4785, ci-après " arrêt AEB "), l'article 20, paragraphe 1, du règlement n° 17 s'applique non seulement aux informations recueillies en application des articles 11, 12, 13 et 14 du même, mais également à celles empruntées à des notifications. L'article 20, paragraphe 1, serait donc applicable en l'espèce.

55 Elle observe ensuite, en premier lieu, que les informations en cause ont été utilisées dans des procédures nationales, c'est-à-dire en dehors de la procédure engagée devant la Commission. Une telle utilisation serait donc contraire à l'article 20, paragraphe 1, précité (arrêt AEB, précité, point 38, et arrêt de la Cour du 19 mai 1994, SEP/Commission, C-36-92 P, Rec. p. I-1911, points 25 et suivants).

56 En second lieu, Postbank fait valoir que, même si l'interdiction énoncée à l'article 20, paragraphe 1, ne s'adresse pas directement aux juges des Etats membres, ceux-ci doivent néanmoins la respecter. En effet, l'utilisation, devant eux ou par eux, des informations recueillies par la Commission comporterait la violation de ses droits de la défense et du principe de protection de la confiance légitime qui gouverne la collaboration entre la Commission et les entreprises (arrêt AEB).

57 Enfin, la requérante soutient que, en l'espèce, la Commission a enfreint à plusieurs reprises les principes qu'elle a définis en 1993 dans sa " communication relative à la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l'application des articles 85 et 86 du traité CEE " (JO C-39, p. 6, ci-après " communication sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales " ou " communication "). Plus précisément, elle aurait méconnu les principes de neutralité et d'objectivité qui régissent les procédures judiciaires, en violant notamment son obligation de ne pas donner une suite favorable aux demandes d'informations qui n'émanent pas directement ou indirectement d'une juridiction nationale.

58 La Commission conteste tous ces arguments.

59 Elle fait valoir, à titre liminaire, que la référence, faite par la partie adverse, à l'article 20, paragraphe 1, du règlement n° 17, est incorrecte, puisque Postbank ne lui reproche pas d'avoir utilisé de façon irrégulière les informations recueillies, mais plutôt de les avoir divulguées. Or, selon les conclusions de l'avocat général M. Lenz sous l'arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, une telle divulgation relèverait uniquement du paragraphe 2 de ce même article.

60 En outre le règlement n° 17 ne serait pas applicable en l'espèce, étant donné qu'il concerne uniquement les procédures d'application des articles 85 et 86 du traité devant la Commission et les autorités des Etats membres. Il ne contiendrait que des règles relatives aux relations entre la Commission et les autorités nationales (arrêt AEB). Il ne concernerait donc pas les juridictions nationales qui, dans le cadre d'un conflit entre particuliers, peuvent appliquer les articles 85 et 86 en vertu de leur effet direct (arrêt de la Cour du 30 janvier 1974, BRT, 127/73, Rec. p. 51). De plus, l'utilisation de la communication des griefs par un juge national serait compatible tant avec la tâche qui lui incombe de protéger les droits des particuliers dans les relations juridiques régies par les articles 85 et 86 du traité, qu'avec le principe général de la collaboration entre les juridictions nationales et la Commission. De même, elle ne porterait aucune atteinte à la protection des droits de la défense des entreprises.

61 Quant au grief relatif à la violation de la communication sur la collaboration entre la Commission et les juridictions nationales, la défenderesse répond que cette communication ne s'applique pas en l'espèce. En effet, elle porterait plutôt sur l'hypothèse où un juge nationale demandes des informations à la Commission. Dans la présente affaire, une partie tierce, étrangère à la procédure administrative et disposant d'une pièce de celle-ci, l'aurait produite devant le juge national. Une telle hypothèse relèverait des règles de procédure des Etats membres et non du droit communautaire.

- Appréciation du Tribunal

62 Dans le cadre de la première branche du premier moyen, la requérante fait valoir une prétendue violation de l'article 20, paragraphe 1, du règlement n° 17, qui édicte une interdiction d'utiliser les informations recueillies en application des articles 11, 12, 13 et 14, dans un but différent de celui pour lequel elles ont été demandées. Cette interdiction implique l'impossibilité pour la Commission et les autorités nationales légalement détentrices de ces informations de les utiliser pour un motif étranger à celui pour lequel elles ont été recueillies (voir les arrêts précités AEB, point 37, et SEP/Commission, point 28).

63 Pour savoir si, dans un cas comme celui de l'espèce, l'article 20, paragraphe 1, du règlement n° 17 comporte l'obligation pour la Commission d'interdire aux entreprises, auxquelles cette institution a transmis certains documents de la procédure administrative, de les produire dans une procédure judiciaire nationale, il faut interpréter cet article à la lumière du principe de la coopération loyale qui, en vertu de l'article 5 du traité, régit les relations entre les Etats membres et les institutions. En effet, la présente affaire vise un exemple de coopération entre la Commission et les juges nationaux, dans la mesure où ces juges, grâce à la production desdits documents par une des parties à la procédure judiciaire, pourront les utiliser dans le cadre de leur appréciation de l'existence d'éventuelles violations des articles 85 et 86 du traité.

64 Le principe de coopération loyale, qui découle de l'article 5, précité, impose aux institutions communautaires, et surtout à la Commission chargée de veiller à l'application des dispositions du traité, d'offrir un concours actif à toute autorité judiciaire nationale qui agit pour la poursuite d'infractions à une réglementation communautaire. Ce concours, qui se présente sous plusieurs formes, peut consister, le cas échéant, dans la communication aux juges nationaux de documents acquis par les institutions dans l'accomplissement de leurs fonctions(voir l'ordonnance de la Cour du 13 juillet 1990, Zwartveld e. a., C-2-88 Imm., Rec. p. I-3365, points 16 à 22).

65 Dans le cadre d'une procédure d'application des règles communautaires de la concurrence, ce principe implique notamment, comme il ressort de la jurisprudence de la Cour, que le juge national a le droit de s'informer auprès de la Commission sur l'état d'une procédure éventuellement engagée et celui d'obtenir de cette institution les données économiques et juridiques que celle-ci est en mesure de lui fournir(arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I-935, point 53, et du 12 décembre 1995, Dijkstra e. a., C-319-93, C-40-94 et C-224-94, Rec. p. I-4471, point 36).

66 Or, contrairement à ce que prétend la partie requérante, une telle collaboration, entre la Commission et les juges nationaux, sort du champ d'application du règlement n° 17. Ce règlement ne vise que les relations entre la Commission et les autorités des Etats membres visés à l'article 88 du traité, lesquelles exercent des compétences parallèles à celles de la Commission. En effet, selon une jurisprudence bien établie, les autorités nationales auxquelles se réfère ce règlement n'incluent nullement les juges nationaux qui appliquent les articles 85 et 86 du traité sur la base de leur effet direct (voir, à cet égard, les arrêts de la Cour BRT, précité, points 15 à 20, du 10 juillet 1980, Marty, 37-79, Rec. p. 2481, point 13, et du 30 avril 1986, Asjes e. a., 209-84, 210-84, 211-84, 212-84 et 213-84, Rec. p. 1425, points 55 et 56). Partant, l'article 20, paragraphe 1, précité, ne saurait être interprété comme faisant obligation à la Commission d'interdire aux entreprises de produire des documents de la procédure administrative dans le cadre d'une procédure judiciaire nationale.

67 En tout état de cause, si cette disposition, qui impose à la Commission et aux autorités des Etats membres de n'utiliser les informations recueillies pendant la procédure administrative que " dans le but pour lequel elles ont été demandées ", était interprétée comme le suggère la requérante, en ce sens qu'elle interdirait toute utilisation par un juge national des informations recueillies, une telle interprétation serait non seulement inconciliable avec le principe de coopération loyale, mais porterait également atteinte aux droits des justiciables nés de l'effet direct des articles 85, paragraphe 1, et 86 du Traité dans les relations entre particuliers, que les juridictions nationales doivent sauvegarder (arrêt BRT, précité, point 16).

68 Ladite interdiction aurait certes pour fonction d'assurer la protection des entreprises justifiant d'un intérêt à la non-divulgation des informations confidentielles, et notamment des secrets d'affaires, transmis à la Commission pendant la procédure administrative en cause. Toutefois, l'exigence d'une telle protection ne peut pas l'emporter sur le droit des entreprises, détentrices de ces informations, de se défendre dans le cadre d'une procédure judiciaire nationale.

69 Par ailleurs, cette interdiction n'est pas indispensable pour protéger les données confidentielles et les secrets d'affaires. En effet, lorsque ces documents de la procédure administrative sont produits dans une procédure nationale, les juges nationaux sont censés garantir la protection des informations confidentielles, notamment des secrets d'affaires, dans la mesure où, pour assurer le plein effet des normes de droit, communautaire en vertu du principe de coopération énoncé à l'article 5 du traité, ces autorités sont tenues de protéger les droits que ces normes confèrent aux particuliers (voir notamment l'arrêt du 19 juin 1990, Factortame, C-213-89, Rec. p. I-2433, points 18 à 21).

70 Une telle conclusion n'est pas en contradiction avec l'arrêt AEB, invoqué par la requérante. En effet, dans cet arrêt, la Cour est partie de la prémisse que le règlement n° 17 porte notamment sur " les conditions dans lesquelles les autorités nationales peuvent agir de façon à ne pas entraver les procédures diligentées par la Commission et en assurer, au contraire, l'efficacité dans le respect des droits des intéressés " (point 31). Faisant ensuite application de cette règle générale, elle a jugé (point 37) que les autorités des Etats membres sont tenues, en tant qu'" autorités légalement détentrices " des renseignements recueillis par la Commission pendant la procédure administrative, de respecter le secret professionnel, conformément à l'article 20 du règlement n° 17. Elle a précisé (points 42 et 43) que ces autorités ne peuvent pas utiliser ces informations comme moyens de preuve, mais uniquement comme indices justifiant l'ouverture d'une procédure nationale. Or, même si, dans le dispositif de cet arrêt ainsi que dans plusieurs points de la motivation concernant l'obligation de ces autorités nationales de respecter le secret professionnel, la Cour se réfère " aux Etats membres ", une telle référence ne peut pas être interprétée dans le sens que la Cour a voulu imposer aux juges nationaux les mêmes limitations que celles applicables aux autorités administratives. En effet, une telle interprétation extensive irait au-delà des termes de l'arrêt qui, comme il ressort de ce qui précède, concerne uniquement les relations entre la Commission et les autorités des Etats membres exerçant des fonctions correspondantes à celles exercées par la Commission dans le domaine de la concurrence.

71 En outre, s'agissant de l'argument de la requérante selon lequel la décision attaquée, autorisant des entreprises à utiliser devant les juges nationaux les informations recueillies pendant la procédure administrative, méconnaîtrait les droits de la défense ainsi que le principe de protection de la confiance légitime qui gouverne la collaboration entre la Commission et les entreprises (voir le point 56, in fine), il n'est pas davantage fondé.

72 En effet, pour ce qui est des droits de la défense dont Postbank est titulaire dans le cadre des procédures nationales, il y a lieu de relever que, même si la production par l'une des parties à cette procédure des documents contenant les informations susvisées est de nature à affaiblir la position des entreprises concernées par celles-ci, il appartient néanmoins au juge national de garantir, sur la base des règles internes de procédure, la protection des droits de la défense de ces entreprises. A cet égard, s'agissant, par exemple, d'un cas comme celui de l'espèce, le juge national peut notamment tenir compte du caractère provisoire de l'avis de la Commission exprimé dans la communication des griefs et de la possibilité de suspendre la procédure nationale dans l'attente de l'adoption, par cette institution, d'une position définitive. Le prétendu effet préjudiciable de la transmission de certains documents aux juges nationaux ne peut donc nullement justifier que la Commission interdise purement et simplement une telle production.

73 Pareillement, la production des documents en cause ne porte pas atteinte aux droits de la défense de la requérante dans le cadre de la procédure administrative. La " confiance légitime " à laquelle Postbank fait référence concerne, notamment selon la jurisprudence AEB invoquée par la requérante, tant le droit des entreprises d'être informées en entendues, dans le cadre des enquêtes en matière de concurrence, sur les buts poursuivis par la Commission que le droit à ce que " les renseignements [...] recueillis ne soient pas ultérieurement détournés du cadre juridique de [chaque] demande [de renseignement] " (arrêt AEB, précité, point 36). Or, le Tribunal estime que la transmission des documents en cause, et notamment la communication des griefs, à des autorités judiciaires nationales ne produit aucun effet dans le cadre de la procédure administrative, dans la mesure où cette transmission ne prive pas les entreprises concernées du droit d'être informées et entendues par la Commission sur toutes les données factuelles et juridiques figurant dans ces documents. En outre, comme il ressort de ce qui précède, puisque le règlement n° 17 n'est pas applicable dans le cadre de la coopération entre la Commission et les juges nationaux, les limitations qu'il édicte en ce qui concerne l'utilisation des informations recueillies par la Commission ne peuvent nullement être imposées à ces juges.

74 Enfin, la requérante n'est pas fondée à invoquer un conflit entre la décision et la communication sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales, précitée, en vue de démontrer, sous un autre profil, une prétendue violation de l'article 20, paragraphe 1, précité.

75 Dans cette communication, et notamment dans le chapitre intitulé " coopération entre les juridictions nationales et la Commission ", cette institution a reconnu, à titre liminaire, être " tenue, en vertu de l'article 5 du traité [tel qu'interprété par l'ordonnance de la Cour Zwartveld e. a. et par l'arrêt de la Cour Delimitis, précités], à une obligation de coopération loyale avec les autorités judiciaires des Etats membres chargées de veilleurs à l'application et au respect du droit communautaire dans l'ordre juridique national " (voir point 33). Elle a ainsi donné des indications générales sur l'exercice de son devoir de coopération et, plus précisément, sur les renseignements qu'elle entend fournir aux juges nationaux. Au point 42 de cette communication, invoqué par la requérante, la défenderesse a notamment précisé que, dans le respect des principes de neutralité et d'objectivité inspirant les procédures judiciaires nationales, elle " ne donnera une suite favorable aux demandes d'informations que lorsqu'elles émanent d'une juridiction nationale, soit directement, soit indirectement [...] ".

76 Il ressort ainsi des termes mêmes de la communication que la Commission ne s'est pas imposée l'obligation d'interdire, aux entreprises participant à la procédure administrative, la production devant les juridictions nationales des documents reçus pendant cette procédure, mais qu'elle a uniquement entendu préciser les conditions dans lesquelles elle allait traiter les demandes d'informations éventuellement adressées par ces juridictions ou par l'une des parties à la procédure nationale.

77 Il ressort de tout ce qui précède que la première branche du premier moyen n'est pas fondée.

Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de la violation des articles 214 du traité et 20, paragraphe 2, du règlement n° 17.

- Exposé sommaire des arguments des parties

78 Dans le cadre de cette seconde branche, la requérante fait valoir que, en permettant la transmission de la communication des griefs au Gerechtshof te Amsterdam, la Commission a violé les articles 214 du traité et 20, paragraphe 2, du règlement n° 17, étant donné que le document en cause contient des passages qui ont été considérés comme des secrets d'affaires tant par la requérante que par la Commission.

79 Selon la requérante, l'interdiction, prévue par les articles 214 du traité et 20, paragraphe 2, du règlement n° 17, s'étend à toute divulgation en dehors du cadre de la procédure d'application du droit de la concurrence engagée devant la Commission et, par voie de conséquence, à la transmission à des juges nationaux des informations couvertes par le secret professionnel (arrêt Delimitis, précité, point 53, et communication sur la collaboration entre la Commission et les juridictions nationales). Il s'ensuivrait que la défenderesse était tenue d'assortir l'envoi de la communication des griefs et du procès-verbal de l'audition à NUON et à Mega Limburg de la condition (effectivement indiquée dans sa lettre du 4 octobre 1993) de ne pas utiliser ces documents dans le cadre de procédures judiciaires nationales et de ne pas laisser des tiers en prendre connaissance directement ou indirectement. A défaut, elle aurait dû, conformément à l'arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, consulter, avant cette transmission, toutes les banques qui avaient indiqué la présence de secrets d'affaires dans les informations qu'elles avaient fournies.

80 La Commission répond que les articles 214 du traité et 20, paragraphe 2, du règlement n° 17 visent uniquement les informations qui, par leur nature, relèvent du secret professionnel. Comme il est affirmé dans les conclusions de l'avocat général sous l'arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, ces informations doivent revêtir une certaine importance et ne pas pouvoir être rendues accessibles à des tiers étrangers à l'entreprise sans que cela comporte pour celle-ci des inconvénients.

81 En l'espèce, il n'y aurait eu aucune divulgation produisant de tels inconvénients. A cet égard, la Commission fait valoir que l'obligation de respecter le secret professionnel est en l'occurrence atténuée, étant donné qu'il ne s'agit pas de la production d'un document dans le cadre d'une procédure nationale, mais plutôt de la transmission de certaines informations à des entreprises tierces auxquelles l'article 19 du règlement n° 17 donne le droit d'être entendues. Or, dans un tel cas, selon la jurisprudence de la Cour (arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, point 27), " la Commission pourrait communiquer des informations couvertes par le secret professionnel, pour autant que cette communication soit nécessaire au bon déroulement de l'instruction ". Partant, il n'y aurait aucune violation des articles 20, paragraphe 2, ru règlement n° 17 et 214 du traité. La production ultérieure de la communication des griefs par NUON et Mega Limburg devant les juges nationaux concernait le juge national et non la Commission, qui n'aurait la possibilité ni de l'empêcher ni de l'autoriser. L'appréciation de l'admissibilité d'une telle production ne relèverait donc que du droit national. En tout état de cause, puisqu'en l'espèce ce document aurait été produit au cours d'une procédure judiciaire opposant des parties qui, toutes, disposaient dudit document, il n'y aurait eu aucune divulgation au sens de l'article 20, paragraphe 2, précité.

82 Par ailleurs, la Commission relève que la requérante lui reproche non seulement la violation du secret professionnel, tel que prévu par les dispositions invoquées, mais également la violation du principe général de protection des secrets d'affaires. A cet égard, la défenderesse affirme, à titre principal, que les secrets d'affaires figurant dans la communication des griefs, à supposer qu'ils existent, ont perdu leur protection lorsqu'ils ont été rendus publics par la transmission de ce document à NUON et à Mega Limburg. A titre subsidiaire, elle soutient que la version de la communication des griefs qui a été transmise à NUON et à Mega Limburg ne contenait aucun secret d'affaires, dans la mesure où elle ne comprenait pas les annexes de cette communication.

83 La requérante réplique, à cet égard, premièrement, que, en l'espèce, il ne lui est pas nécessaire d'invoquer la violation du principe général de protection des secrets d'affaires. la Commission elle-même aurait reconnu la présence, dans la communication des griefs, d'informations confidentielles relevant de son secret professionnel. Deuxièmement, elle fait valoir que la transmission, aux entreprises intéressées, en 1993, de la communication des griefs, qui comportait une divulgation limitée, non générale, des informations y figurant, n'a pas privé définitivement ces informations de la protection qui leur était due au titre du secret professionnel. Partant, la transmission aux juges nationaux de ces mêmes informations, en 1994, présenterait le caractère d'une violation du secret professionnel.

- Appréciation du Tribunal

84 Dans le cadre de cette seconde branche du premier moyen, la requérante fait valoir que, en n'interdisant pas à NUON et à Mega Limburg de produire, devant le Gerechtshof te Amsterdam, la communication des griefs du 14 juin 1993 et le procès-verbal de l'audition du 28 octobre 1993, la Commission a violé tant l'article 214 du Traité que l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 17. A l'inverse, la Commission soutient qu'elle n'a nullement violé le secret professionnel ni divulgué de secrets d'affaires de Postbank, étant donné que, d'une part, les dispositions invoquées par la partie adverse ne s'appliqueraient pas en l'espèce et que, d'autre part, les documents en cause ne contiendraient aucun secret d'affaires ayant gardé une quelconque importance commerciale.

85 Pour statuer sur cette seconde branche, il convient de rappeler, à titre liminaire, les dispositions, pertinentes en l'espèce, qui concernent le secret professionnel liant la Commission dans le cadre de la procédure d'application des règles communautaires de la concurrence. Le traité énonce, en son article 214 : " Les membres des institutions de la Communauté, les membres des comités ainsi que les fonctionnaires et agents de la Communautés sont tenus, même après la cessation de leurs fonctions, de ne pas divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, et notamment les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leurs prix de revient. " En outre, l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 17 dispose : " sans préjudice des dispositions des articles 19 et 21 [qui concernent respectivement l'audition des intéressés et des tiers et la publication des décisions], la Commission et les autorités compétentes des Etats membres ainsi que leurs fonctionnaires et autres agents sont tenus de ne pas divulguer les informations qu'ils ont recueillies en application [de ce] règlement et qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel. "

86 Les informations couvertes par le secret professionnel peuvent être tant des informations confidentielles que des secrets d'affaires. En effet, l'article 214 du traité, précité, s'applique à toutes " les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel ". Il vise notamment " les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient ". Il fait ainsi expressément référence à des informations qui, en principe, en raison de leur contenu, relèvent de la catégorie des secrets d'affaires, telle qu'énoncée par la jurisprudence de la Cour (arrêt Akzo Chemie/Commission, précité).

87 Les secrets d'affaires sont des informations dont non seulement la divulgation au public mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l'information peut gravement léser les intérêts de celui-ci. Selon une jurisprudence constante, en vertu d'un principe général dont s'inspirent les règles de procédure du droit de la concurrence, " une protection toute spéciale " doit être assurée aux secrets d'affaires, auxquels font expressément référence les articles 19, paragraphe 3 et 21, paragraphe 2, du règlement n° 17 (voir notamment l'arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, points 28 et 29). Aussi, lorsqu'elle est appelée à établir, dans des cas concrets, l'existence de secrets d'affaires dans les documents dont la transmission à des tiers est en cause, la Commission doit soumettre cette transmission à une procédure appropriée visant à garantir l'intérêt légitime des entreprises concernées à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués.

88 En l'espèce, la requérante et les autres banques concernées ont, à plusieurs reprises, invoqué la présence d'informations confidentielles et de secrets d'affaires dans la communication des griefs. En particulier, par lettre du 27 octobre 1993, adressée à la Commission, et lors de l'audition du 28 octobre 1993, la NVB, l'association néerlandaise des banques, avait protesté contre l'envoi de la communication des griefs à NUON et à Mega Limburg, en faisant valoir notamment que cette communication contenait des secrets d'affaires et que donc un tel document ne pouvait être transmis, dans sa version intégrale, à des entreprises tierces. En outre, après que la Commission a expressément supprimé, par lettre du 23 septembre 1994, tout obstacle à la production en justice de ce document par NUON et à Mega Limburg, Postbank lui a demandé de revenir sur cette décision, en rappelant que la communication des griefs se fondait sur des informations que la NVB et elle-même avaient " expressément qualifiées de secrets d'affaires ". La Commission, pour sa part, considère en revanche que la version de la communication des griefs qu'elle a transmise à NUON et à Mega Limburg, en étant expurgée de ses annexes, ne contient aucun secret d'affaires. Par ailleurs, malgré les contestations de la requérante et de la NVB, la Commission a transmis ce document à NUON et à Mega Limburg. Par la suite, elle n'a pas informé les banques concernées du fait que les deux entreprises susvisées lui avaient demandé de pouvoir produire ce document dans le cadre d'une procédure nationale et, enfin, elle ne leur a fait part de sa réponse affirmative qu'après avoir communiqué la décision attaquée à NUON et à Mega Limburg.

89 Pour apprécier si, dans ce contexte, la conduite de la Commission comporte une violation du secret professionnel, comme le soutient Postbank, il convient de relever que les articles 214 du traité et 20, paragraphe 2, du règlement n° 17 n'imposent pas à cette institution d'interdire aux entreprises tierces de produire, dans le cadre d'une procédure judiciaire nationale, les documents, reçus confidentielles et des secrets d'affaires. Ces dispositions, même si elles empêchent les entreprises de transmettre ces documents aux tiers, n'interdisent nullement leur communication aux juges nationaux. En effet, d'une part, l'article 20, paragraphe 2, n'est pas applicable en l'espèce puisque, comme cela a déjà été souligné, toute forme de coopération, directe et indirecte, entre la Commission et les autorités judiciaires nationales sort du champ d'application de ce règlement. D'autre part, l'article 214 du Traité, qui interdit à tous les fonctionnaires et agents des instituions de révéler à des tiers des informations confidentielles et des secrets d'affaires, ne peut pas être interprété dans le sens que, en vertu de son obligation de respecter le secret professionnel, la Commission serait tenue d'interdire aux entreprises toute production, devant les juges nationaux, de documents reçus pendant la procédure administrative. Une telle interprétation pourrait compromettre la coopération entre les autorités judiciaires nationales et les institutions communautaires, telle qu'elle est prévue par l'article 5 du traité, et surtout affecter le droit des opérateurs économiques à une protection, par les juges nationaux, des droits qui leur sont attribués en vertu de l'effet direct des articles 85 et 86 du traité.

90 Cependant, en offrant sa coopération aux juges nationaux, la Commission ne peut en aucun cas affaiblir les garanties conférées aux particuliers par les dispositions communautaires relatives au secret professionnel(voir l'arrêt Delimitis, précité, point 53). Le respect de telles garanties impose à la Commission, saisie par une entreprises d'une demande concernant l'exercice de la faculté de produire devant ces juges des documents contenant des informations confidentielles et des secrets d'affaires, de prendre toutes les précautions nécessaires pour qu'il ne soit nullement porté atteinte au droit des entreprises concernées à la protection de ces informations, par et au cours de la transmission de ces documents au juge nationale. Ces précautions peuvent consister, notamment, à signaler à celui-ci les documents ou les passages de documents qui contiennent des informations confidentielles ou des secrets d'affaires. Comme il a déjà été rappelé, il appartient ensuite au juge national de garantir la protection du caractère confidentiel ou de secrets d'affaires de ces informations.

91 En particulier, dans un cas comme celui de l'espèce où, pendant la procédure administrative, les entreprises concernées ont invoqué l'existence de secrets d'affaires, la Commission, conformément à la règle générale énoncée dans l'arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, doit mettre ces entreprises en mesure de faire valoir leur point de vue. Elle doit notamment leur offrir la possibilité tant de signaler les passages des documents dont la transmission au juge national, en l'absence de toute précaution, pourrait leur causer un préjudice, que d'indiquer la nature et la portée de ce préjudice.

92 Il ressort de l'ensemble des considérations qui précèdent que, contrairement aux allégations de la requérante, dans le cadre de la procédure d'application des règles communautaires de la concurrence, la Commission n'enfreint pas, en principe, l'article 214 du traité, lorsqu'elle s'abstient d'interdire la communication aux juges nationaux de documents contenant des informations confidentielles et des secrets d'affaires. Cette institution méconnaît son obligation de respecter le secret professionnel uniquement si elle permet la transmission de tels documents aux autorités judiciaires nationales sans prendre les précautions nécessaires, y compris, le cas échéant, de nature procédurale, en de protéger l'éventuel caractère confidentiel ou de secret d'affaires de ces informations.

93 Cependant, dans certains cas, il est possible que, même si la Commission prenait toutes les précautions susvisées, la protection des tiers ainsi que des Communautés ne pourrait pas être pleinement assurée. Dans ces hypothèses exceptionnelles, la Commission peut, selon la jurisprudence de la Cour, refuser la communication de documents aux autorités judiciaires nationales. Un tel refus se justifie uniquement lorsqu'il constitue la seule mesure apte à assurer la " protection des droits des tiers ", qui, en principe, revient aux juges nationaux, ou " lorsque la divulgation de ces données serait susceptible d'entraver le fonctionnement et l'indépendance des Communautés ", dont l'appréciation relève, en revanche, de la compétence exclusive des institutions communautaires concernées (voir, à cet égard, l'ordonnance de la Cour du 6 décembre 1990, Zwartveld e. a., Commission c-2-88 Imm., Rec. paragraphe. I-4405, points 10 et 11, ainsi que l'arrêt de la Cour du 7 novembre 1985, Adams/Commission, 145-83, Rec. p. 3539, points 43 et 44).

94 Dans le cas présent, où les banques, parties à la procédure administrative, ont à plusieurs reprises manifesté leur opposition à une éventuelle divulgation des informations contenues notamment dans la communication des griefs, forces est de constater que la Commission, même si elle contestait la présence de secrets d'affaires dans les documents en cause, aurait dû examiner attentivement le point de vue de ces entreprises relatif à la production en justice de ces documents et prendre toutes les précautions nécessaires pour que l'intérêt desdites entreprises à la non-divulgation des informations qu'ils contenaient soit protégé. Plus précisément, eu égard au fait que, au cours de la procédure administrative, d'une part, cette institution avait transmis la communication des griefs à NUON et à Mega Limburg sans mettre les entreprises concernées, et notamment Postbank, en mesure de faire valoir leur point de vue sur la présence, dans ce documents, de secrets d'affaires (en contradiction avec l'arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, point 29) et, d'autre part, la NVB a signalé la présence de tels secrets après avoir eu connaissance de la transmission de cette communication des griefs auxdites entreprises, la défenderesse aurait dû informer les banques, visées par ce document, de la demande de NUON et de Mega Limburg relative à la production de la communication des griefs et du procès-verbal de l'audition dans des procédures judiciaires nationales. En outre, au vu des éventuelles observations des banques relatives à la présence, dans ces documents, de secrets d'affaires, elle aurait dû immédiatement notifier à ces banques une décision dûment motivée.

95 Dès lors que la Commission était censée, aux fins de la transmission de la communication des griefs et du procès-verbal de l'audition aux entreprises tierces, suivre la procédure indiquée par la Cour dans l'arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, et qu'elle s'est abstenue de le faire, cette institution était également, et à plus forte raison, tenue par la suite, après avoir été saisie par certaines de ces entreprises d'une demande d'" autorisation " de produire ces documents dans des procédures judiciaires nationales, d'adopter les mesures nécessaires pour éviter tout risque de divulgation des secrets d'affaires éventuellement contenus dans ces documents. Or, il ressort du dossier que la défenderesse n'a pas informé la requérante de cette demande de NUON et de Mega Limburg et qu'elle n'a communiqué sa réponse affirmative à la NVB que quatre jours après l'avoir transmise à ces entreprises.

96 Il s'ensuit que, en l'espèce, la Commission a méconnu son obligation de secret professionnel, en s'abstenant de mettre Postbank en mesure de faire valoir son point de vue sur la production en justice des documents en cause et en omettant d'adopter toute mesure destinée à protéger le caractère confidentiel ou de secrets d'affaires des informations donc les banques concernées sollicitaient, en revanche, la protection.

97 La deuxième branche du premier moyen du présent recours est donc fondée.

98 Dans ces conditions, la décision de la Commission contenue dans la lettre du 23 septembre 1994 et confirmée par la lettre du 3/4 octobre 1994 doit être annulée, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens soulevés par la partie requérante.

Sur les dépens

99 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ces conclusions et la requérante ayant conclu en ce sens, il y a lieu de mettre les dépens à la charge de la partie défenderesse.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête :

1) La décision de la Commission contenue dans ses lettres du 23 septembre 1994 et du 3/4 octobre 1994, adressées, respectivement, aux entreprises NUON Veluwse Nutsbedrijven NV et Maatschappij Elektriciteit en Gas Limburg NV et au conseil de Postbank NV, est annulée.

2) La Commission est condamnée aux dépens.