Livv
Décisions

TPICE, 12 juillet 1996, n° T-52/96 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Sogecable (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Cablunopa (SA), Cable i Televisiò Catalunya (SA), Santander de Cable (SA), Suez de Cable (SA), Antena 3 TV (SA).

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saggio

Avocats :

Mes Lage, Allendesalazar Corcho, Garcia-Gallardo, Julià Insenser, Veloso, Jiménez de Parga, Pappalardo, Merola.

TPICE n° T-52/96 R

12 juillet 1996

Faits

1 La requérante, Sogecable, SA (ci-après "Sogecable"), anciennement Sociedad de Television Canal Plus, SA, est une société de droit espagnol dont le capital social est détenu à 50 % par les sociétés Canal Plus SA (ci-après "Canal Plus France") et Promatora de Informaciones, SA (ci-après "Prisa").

2 Le 26 juillet 1995, Telefonica d'Espana, SA, une entreprise publique offrant des services dans le secteur des télécommunications (ci-après "Telefonica"), et sa filiale Telecartera, SA, d'une part, et les deux sociétés Sociedad de Gestion de Cable, SA, et Sociedad de Television Canal Plus, SA (ci-après "Canal Plus Espagne"), d'autre part, ont signé des accords qui ont entraîné une opération de concentration réalisée par l'acquisition du contrôle commun de la Sociedad General de Cablevision, SA (ci-après "opération de concentration Cablevision").

3 Le 26 octobre 1995, cette opération de concentration a été notifiée par ces entreprises, conformément aux dispositions nationales du droit de la concurrence, aux autorités espagnoles compétentes.

4 L'entreprise Telefonica a transmis, le même jour, une lettre à la direction "entente, abus de position dominante et autres distorsions de concurrence II" de la direction générale de la concurrence (DG IV) de la Commission, dans le cadre de l'instruction d'une plainte déposée par un concurrent contre cette opération de concentration. Dans cette lettre, qui était accompagnée d'une copie des actes notifiés aux autorités espagnoles, ladite entreprise a affirmé que l'opération de concentration Cablevision constitue une concentration au sens de l'article 3 du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1990, L. 257, p. 13, ci-après "règlement n° 4064-89"), mais que, de l'avis de Telefonica et de Canal Plus Espagne, cette concentration n'était pas de dimension communautaire au sens de l'article 1er de ce même règlement.

5 Par lettre du 6 février 1996, le directeur général de la DG IV a communiqué à Canal Plus Espagne que, d'après les informations dont disposaient les services de la Commission, l'opération de concentration Cablevision est une concentration de dimension communautaire au sens du règlement n° 4064-89. D'une part, il leur a rappelé de procéder, dans les plus brefs délais, à la notification de l'opération de concentration conformément aux dispositions dudit règlement, et, d'autre part, il leur a fait remarquer le pouvoir de la Commission d'infliger, dans le cadre de la procédure de contrôle des concentrations, des amendes et des astreintes. Le 7 février 1996, les services de la Commission ont informé les autorités espagnoles compétentes du contenu de cette lettre.

6 Le porte-parole du membre de la Commission en charge des questions de concurrence a expliqué le contenu et la portée de la décision du 6 février 1996 lors d'entretiens avec des journalistes, les 8 et 9 février 1996.

7 Le 1er mars 1996, les autorités espagnoles ont autorisé, à certaines conditions, cette opération en la considérant comme une concentration affectant uniquement le marché national. Le 11 mars 1996, elles ont transmis une copie de cette décision aux services de la Commission.

8 Le 29 mars 1996, la Commission a adressé aux entreprises concernées une communication des griefs et a fixé la date de l'audition des parties, au sens de l'article 18 du règlement n° 4064-89. Dans cette communication, la Commission leur a précisé, par ailleurs, son pouvoir d'adopter des mesures provisoires et d'imposer des astreintes aux termes du règlement n° 4064-89.

9 Le 31 mai 1996, Sogecable a notifié l'opération de concentration Cablevision à la Commission, conformément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89.

Procédure

10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 avril 1996, l'entreprise Sogecable a introduit un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission des 6 et 7 février 1996 ainsi que de la déclaration publique du porte-parole du membre de la Commission en charge des questions de concurrence du 8 février 1996.

11 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 26 avril 1996, la requérante a introduit, en vertu des articles 185 et 186 du traité CE, la présente requête en référé visant, d'une part, au sursis à l'exécution de la décision contenue dans ladite déclaration du 8 février 1996 du porte-parole du membre de la Commission en charge des questions de concurrence et, d'autre part, à l'adoption des mesures provisoires nécessaires pour que la Commission n'arrête, à son égard, aucun acte ou décision en vertu des articles 8, 13, 14 et 15 du règlement n° 4064-89, avant que le Tribunal ne se soit prononcé sur la validité de la décision attaquée par le recours au principal.

12 La Commission a présenté ses observations écrites par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 mai 1996.

13 Le 12 juin 1996, les entreprises Cableuropa, SA, Cable i Televisio de Catalunya, SA, Santander de Cable, SA, Jerez de Cable, SA, et, le 13 juin 1996, Antena 3 TV, SA, ont demandé à intervenir dans la présente procédure en référé. Le président du Tribunal les a admises à intervenir le 14 juin 1996.

14 Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 14 juin 1996.

En droit

15 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L. 319, p. 1), telle que modifiée par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L. 144, p. 21), et par la décision 94-149-CECA, CE du Conseil, du 7 mars 1994 (JO L. 66, p. 29), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

16 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux articles 185 et 186 du traité doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l'octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger la décision sur le fond (voir, en dernier lieu, l'ordonnance du président du Tribunal du 4 juin 1996, SCK et FNK/Commission, T-18-96 R, Rec. p. II-407, point 15).

Arguments des parties

Sur la recevabilité

17 En premier lieu, la requérante soutient que le recours en référé est recevable, dans la mesure où sa demande de sursis porte sur la décision attaquée dans le recours principal qui était destinée à produire des effets juridiques obligatoires modifiant sensiblement sa situation juridique. Les principaux effets de cette décision consisteraient en une obligation, pour Sogecable, de notifier l'opération de concentration Cablevision à la Commission, conformément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89, et de suspendre cette opération, comme le prévoit l'article 7, paragraphe 1, de ce même règlement (à cet égard, la requérante invoque, dans son recours principal, les arrêts de la Cour du 30 juin 1992, Espagne/Commission, C-312-90, Rec. p. I-4117, et du Tribunal du 24 mars 1994, Air France/Commission, T-3-93, Rec. p. II-121).

18 En second lieu, elle invoque la recevabilité de sa demande de mesures provisoires introduite sur le fondement de l'article 186, dans la mesure où cette demande se réfère à l'affaire principale, conformément aux termes de l'article 104, paragraphe 1, deuxième alinéa. Ainsi, le fait que l'acte attaqué déclare que l'opération de concentration est de dimension communautaire serait nécessaire à l'adoption de tous les actes visés par le règlement n° 4064-89, et ce serait à ces actes que se réfère la demande de mesures provisoires. La requérante renvoie, à ce propos, aux ordonnances en référé du 11 octobre 1973, Miles Druce/Commission (160-73 R et 161-73 R, Rec. p. 1049), et du 16 mars 1974, Miles Druce/Commission (160-73 R II, 161-73 R II et 170-73 R II, Rec. p. 281), dans lesquelles le juge des référés a accordé des mesures provisoires concernant une décision future de la Commission portant sur l'autorisation d'une concentration en vertu de l'article 66 du traité CECA.

19 La Commission conteste la recevabilité de la requête en référé. Elle relève, à titre principal, que l'acte dont la requérante demande le sursis à l'exécution n'est pas l'acte attaqué dans le recours au principal. En effet, dans les conclusions de ce dernier recours, Sogecable demanderait au Tribunal d'annuler la décision de la Commission contenue dans les lettres des 6 et 7 février 1996, que les déclarations du porte-parole du membre de la Commission en charge des questions de concurrence a rendu publique le jour suivant. En revanche, dans le petitum de la présente demande en référé, la requérante demanderait uniquement le sursis de la décision contenue dans les déclarations du 8 février 1996.

20 A titre subsidiaire, la Commission, soutenue par les parties intervenantes, déduit l'irrecevabilité de la requête en référé de son rattachement au recours principal qui est lui-même manifestement irrecevable. Elle fait valoir à cet égard que, contrairement à ce que prétend la requérante, les lettres attaquées des 6 et 7 février 1996, dont le contenu a été rendu public par le porte-parole du commissaire chargé de la politique de la concurrence le jour suivant, ne constituent, ni dans leur ensemble ni séparément, un acte définitif de la Commission au sens de la jurisprudence citée par la requérante. Plus précisément, la lettre du directeur général de la DG IV du 6 février ne constituerait pas une prise de position définitive de cette institution sur la nature de l'opération de concentration Cablevision, mais uniquement une communication des services de la Commission qui, sur la base des informations dont ils disposaient à l'époque, conseillaient aux parties de notifier l'opération aux termes de l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89. Ce ne serait qu'après cette notification que les services de la Commission pourraient adopter une décision définitive comme le prévoient les articles 6 et 8 du règlement n° 4064-89.

21 En outre, la défenderesse souligne que, en l'espèce, l'obligation de suspension de l'opération ne découle pas de ladite prise de position des services de la Commission, mais plutôt de l'article 7 du règlement n° 4064-89 qui prévoit l'obligation pour les entreprises concernées de ne pas réaliser l'opération de concentration avant la notification de celle-ci à la Commission, et cela indépendamment de la qualification que cette institution peut donner à l'opération. Il s'ensuivrait que les faits de la présente affaire diffèrent de ceux de l'affaire Cenemesa, invoquée par la requérante (arrêt Espagne/Commission, précité), dans laquelle la Cour a expressément considéré que l'acte de la Commission qualifiant des aides comme nouvelles était un acte produisant des effets juridiques, étant donné que l'obligation de suspension du versement de l'aide ne découlait pas du traité mais de l'acte de la Commission contenant une telle qualification. Il en découle que la Commission n'aurait adopté aucune décision disposant la suspension de l'opération en cause, mais elle aurait uniquement signalé, notamment dans la communication des griefs du 29 mars 1996, la possibilité de l'adoption d'une telle décision. Dès lors, la défenderesse considère, au regard de la jurisprudence IBM (arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, Rec. p. 2639), que, même si l'acte en cause peut provoquer une modification unilatérale du comportement des entreprises intéressées ou des entreprises tierces, il n'est pas susceptible de recours, faute de produire d'autres effets juridiques que ceux qui découlent automatiquement du règlement n° 4064-89.

22 De plus, la Commission affirme que le caractère provisoire de l'acte ne serait remis en cause ni par le contenu de la lettre du 7 février 1996, adressée par le directeur général de la DG IV au Président du Tribunal de la concurrence espagnol, laquelle est une simple lettre d'information destinée aux autorités espagnoles compétentes en matière de concurrence, ni par les déclarations du porte-parole du membre de la Commission en charge des questions de concurrence du 8 février 1996, qui, en se limitant à informer la presse de l'activité d'instruction des services de la Commission, ne saurait pas transformer en acte définitif un acte préparatoire.

23 Enfin, la Commission met en exergue que la présente demande de mesures provisoires est, en tout état de cause, irrecevable compte tenu du fait que celle-ci vise en réalité à obtenir la suspension de la procédure que la Commission a engagée sur la base des articles 4, 7, 8, 14 et 15 du règlement n° 4064-89. En effet, conformément à l'ordonnance du président du Tribunal du 22 novembre 1995, Atlantic Container ea/Commission (T-395-94 R II, Rec. p. II-2893), les parties ne seraient pas habilitées à faire usage du droit que leur confèrent les articles 185 et 186 du traité pour demander la suspension tant d'une procédure en cours que de toute éventuelle décision définitive adoptée dans le cadre d'une telle procédure. D'après la défenderesse, la possibilité de suspendre une procédure en cours empêcherait la Commission d'exercer les fonctions qui lui sont attribuées dans le cadre de l'application des règles communautaires de concurrence, d'une part, et compromettrait sérieusement le système de répartition des compétences établi par le traité, d'autre part.

24 L'entreprise intervenante Antena 3 TV s'est également exprimée en ce sens. Selon cette entreprise, la demande de mesures provisoires, dans la mesure où elle vise en réalité à obtenir une dérogation à l'obligation de suspension qui découle de l'obligation de notification, devrait être déclarée irrecevable. En effet, la Commission serait compétente, d'une part, pour examiner, dans le cadre d'une telle procédure, les mesures provisoires demandées par les parties afin d'éviter qu'une ou plusieurs entreprises concernées par une opération de concentration ne subissent un préjudice grave et, d'autre part, pour se prononcer sur l'existence d'une opération soumise à l'obligation de notification. Ainsi, demander au Tribunal d'octroyer des mesures provisoires avant que la Commission ne se soit prononcée sur une éventuelle demande de dispense de l'obligation de suspension ou sur l'existence d'une concentration de dimension communautaire reviendrait à demander au Tribunal d'exercer un pouvoir de nature administrative, qui affecterait la répartition des compétences entre les différentes institutions communautaires.

Sur l'urgence

25 Quant à l'urgence, la requérante fait valoir que, compte tenu de la situation actuelle dans laquelle elle apparaît comme l'auteur de deux infractions graves au droit communautaire, s'étant abstenue de notifier et de suspendre l'opération de concentration Cablevision, elle risque de subir des préjudices graves et irréversibles. En premier lieu, la prise de position de la Commission sur la dimension communautaire de l'opération de concentration Cablevision porterait gravement atteinte à sa réputation, compte tenu du fait que cette décision aurait été largement diffusée notamment dans la presse. En deuxième lieu, la décision attaquée nuirait gravement à l'activité de Sogecable, étant donné qu'elle aurait entraîné la paralysie immédiate d'importants projets d'affaires et fait échouer l'entrée d'associés dans une série de sociétés de télécommunications locales servies par Cablevision. En troisième lieu, la menace de la suspension des activités de cette entreprise mettrait celle-ci dans l'impossibilité d'acquérir de nouveaux clients. Il s'ensuivrait qu'une telle décision désavantagerait irréversiblement sa position concurrentielle dans le marché des services dans le secteur de la télécommunication par câble. En effet, dans un marché émergeant, tel que celui en l'espèce, l'expulsion d'un opérateur peut irrémédiablement transformer la structure du marché et ainsi préjuger sa position concurrentielle.

26 La Commission conteste l'existence des préjudices graves et irréparables invoqués par la requérante. Quant au prétendu préjudice moral, elle relève qu'elle n'a pas tenu la requérante, dans aucun document public, pour l'auteur des deux infractions auxquelles celle-ci fait référence. En outre, la défenderesse met en doute que Sogecable, en tant que personne morale, puisse subir des préjudices moraux et affirme que, en tout état de cause, ces prétendus dommages pourraient toujours être réparés par le versement d'une indemnité assortie d'intérêts.

27 En outre, relativement aux autres préjudices invoqués par la requérante, la défenderesse observe que la requérante n'a démontré ni l'existence ni les conséquences du prétendu climat d'incertitude. Aucun élément ne prouverait en particulier que l'acte attaqué ait pu faire obstacle à l'entrée d'associés dans les sociétés locales. De plus, la Commission relève que Sogecable n'a pas démontré l'existence d'un acte dans lequel celle-ci aurait exprimé son intention de suspendre l'opération de concentration de Cablevision et que, en tout état de cause, même en cas d'adoption d'une telle décision, la requérante pourrait toujours en demander le sursis à l'exécution.

28 Les entreprises intervenantes partagent cette dernière observation de la Commission. Elles ajoutent également que, en réalité, Cablevision ainsi que les autres entreprises participant à l'opération de concentration en cause n'auraient jamais cessé d'opérer sur le marché espagnol.

Sur le fumus boni juris

29 Pour ce qui est du fumus boni juris, la requérante fait valoir un moyen unique tiré de la violation de l'article 5, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89. Elle affirme que la Commission a qualifié l'opération de concentration Cablevision comme étant de dimension communautaire en considérant, de manière erronée, que Sogecable est une entreprise contrôlée conjointement par Prisa et Canal Plus France.

30 Or, contrairement à ce qu'estime la partie défenderesse, seule Prisa aurait le droit de gérer les affaires de Sogecable, aux termes de l'article 5, paragraphe 4, sous b), quatrième tiret, précité (...)(1). Il s'ensuivrait que la Commission ne peut, sur la base de simples présomptions, appliquer ladite disposition du règlement n° 4064-89.

31 La requérante relève, à titre subsidiaire, que, même en admettant l'existence d'un contrôle conjoint par Prisa et Canal Plus France sur Sogecable, les chiffres d'affaires de ces deux entreprises ne pourraient être cumulés avec celui de Sogecable afin d'établir la dimension communautaire de l'opération de concentration Cablevision. En effet, l'article 5, paragraphe 4, sous b), quatrième tiret, précité, ne s'appliquerait que dans le cas où le contrôle est exercé par une seule entreprise, étant donné que le contrôle conjoint devrait être pris en considération uniquement dans des cas spécifiquement précisés par le législateur. L'argument de la Commission, selon lequel l'utilisation du pluriel "entreprises" au point c) du même article 5, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89 l'autorise à additionner les chiffres d'affaires des entreprises qui exercent conjointement la gestion des affaires des entreprises concernées, serait dénué de fondement. Le point c) concernerait, en effet, uniquement les entreprises qui sont contrôlées par celle prise en considération aux fins de ce calcul, mais ne pourrait pas s'étendre aux entreprises qui contrôlent celle-ci.

Appréciation du juge des référés

32 Pour apprécier la recevabilité et le bien-fondé de la présente demande de mesures provisoires, il convient d'abord de préciser les contours de son objet.

33 Dans sa requête en référé, Sogecable conclut, premièrement, au "sursis à l'exécution de la décision de la Commission du 8 février 1996" et, deuxièmement, à l'adoption de "mesures provisoires nécessaires pour que la Commission n'arrête aucun acte découlant du fait qu'elle a affirmé sa compétence dans cette décision et, en particulier, pour qu'elle n'arrête aucun acte ou décision (interlocutoire, finale ou conservatoire) en vertu des articles 8, 13, 14 et 15 du règlement n° 4064-89 avant que le Tribunal ne se soit prononcé sur la validité de la décision attaquée dans le cadre de la procédure principale".

34 S'agissant de la première demande, la requérante a précisé, en réponse aux questions posées lors de l'audition, qu'elle vise la suspension de la décision de la Commission qui est contenue à la fois dans les lettres des 6 et 7 février 1996 et dans les affirmations du porte-parole reprises par le communiqué de presse de l'agence FECHA du 8 février 1996. Cette décision porterait sur la constatation de la dimension communautaire de l'opération de concentration Cablevision et ferait remarquer, en rappelant l'obligation de notification, la possibilité d'infliger des amendes et des astreintes.

35 Or, force est de constater que, en fait, la seule décision pertinente en l'espèce est celle contenue dans la lettre du 6 février 1996 par laquelle le directeur général de la DG IV a communiqué à Canal Plus Espagne que les services de la Commission estimaient, sur la base des informations dont ils disposaient, que la concentration Cablevision est une opération à dimension communautaire, qui doit faire l'objet de la procédure de contrôle prévue par le règlement n° 4064-89. En outre, le directeur général a rappelé à Canal Plus Espagne son obligation de notifier cette opération aux termes de l'article 4 de ce même règlement ainsi que le pouvoir de la Commission d'infliger, en l'absence en particulier de notification, des amendes et des astreintes. En effet, la lettre du 7 février 1996, par laquelle le directeur général a informé les autorités espagnoles du contenu de celle envoyée à la requérante, et les déclarations du porte-parole, dont le but aurait été de clarifier informellement pour la presse la portée de ladite décision, paraissent, à première vue, être des actes confirmatifs de la décision du 6 février 1996 n'ayant, en tant que tels, aucune pertinence dans le cadre de l'examen de la présente demande de mesures provisoires.

36 Dans la mesure où l'acte dont la requérante demande la suspension est la décision du 6 février 1996 et que les entreprises intéressées ont procédé à la notification de l'opération de concentration Cablevision le 31 mai 1996, il y a lieu de constater que la demande de sursis à l'exécution n'a pour objet que la décision portant sur la soumission de cette opération à la procédure de contrôle prévue par le règlement n° 4064-89.

37 S'agissant de la seconde demande, il ressort des conclusions de la requête en référé que la requérante sollicite l'intervention du juge des référés pour que soit interdit à la Commission, même à titre provisoire, d'exercer les compétences, qui lui sont reconnues par le règlement n° 4064-89, concernant l'adoption d'actes et de décisions à caractère interlocutoire, conservatoire et final. Il en découle que cette demande vise, en réalité, la suspension de la procédure administrative de contrôle à laquelle l'opération de concentration Cablevision est soumise. Elle a, par conséquent, pour finalité d'assurer le même but que la demande portant sur la suspension de ladite décision du 6 février 1996.

38 Or, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si la décision attaquée, tout en étant un acte à caractère manifestement préparatoire, produit des effets juridiques tels qu'ils affectent de manière caractérisée les intérêts de la requérante et justifient, par voie de conséquence, la recevabilité tant du recours principal en annulation que celle de la présente demande en référé (voir, à cet égard, l'arrêt IBM/Commission, précité, point 23), il y a lieu d'examiner si les mesures demandées, ayant pour but de suspendre la procédure administrative engagée par la Commission aux fins du contrôle de l'opération de concentration Cablevision, sont conformes aux principes qui régissent la répartition des compétences entre les différentes institutions communautaires.

39 A cet égard, il convient de rappeler que les compétences du juge communautaire consistent à exercer un contrôle juridictionnel sur les actes que la Commission prend en sa qualité d'autorité administrative, mais elles ne s'étendent pas à l'appréciation des questions sur lesquelles cette institution ne s'est pas encore prononcée. Un tel pouvoir comporterait, en effet, une anticipation des débats au fond et une confusion des différentes phases des procédures administrative et judiciaire incompatibles avec le système de répartition des compétences entre la Commission et les juridictions communautaires ainsi qu'avec les exigences d'une bonne administration de la justice et d'un déroulement régulier de la procédure administrative (voir l'arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64-89, Rec. p. II-367, point 46).

40 Ainsi, dans un cas comme celui de l'espèce, le juge des référés ne peut, en principe, donner suite à une demande de mesures provisoires qui vise à empêcher la Commission d'exercer ses pouvoirs d'enquête et de sanction immédiatement après l'ouverture d'une procédure administrative et avant même qu'elle n'ait adopté les actes interlocutoires ou définitifs, dont on désire éviter l'exécution.En effet, en adoptant de telles mesures, le juge des référés n'opérerait pas dans le cadre du contrôle de l'activité de l'institution défenderesse, mais il se substituerait plutôt à celle-ci dans l'exercice de compétences à caractère purement administratif.Il s'ensuit que la requérante ne peut pas, en l'espèce, en vertu des articles 185 et 186 du traité, demander qu'il soit imposé à l'institution défenderesse de surseoir à l'exécution de la décision portant ouverture d'une procédure administrative et de lui interdire, même à titre provisoire, l'exercice de ses compétences dans le cadre d'une telle procédure (voir les ordonnances du président du Tribunal du 6 décembre 1989, Cosimex/Commission, T-131-89 R, Rec. 1990, p. II-1, point 12, du 14 décembre 1993, Gestevision Telecinco/Commission, T-543-93 R, Rec. p. II-1409, point 24, et Atlantic Container ea/Commission, précitée, point 39).

41 Un tel droit pourrait lui être reconnu uniquement dans le cas où cette demande présente des éléments de nature à permettre au juge des référés de constater l'existence de circonstances exceptionnelles, justifiant l'adoption des mesures sollicitées (voir, à cet égard, l'ordonnance du président du Tribunal du 23 mars 1992, Cimenteries CBR ea/Commission, T-10-92 R, T-11-92 R, T-12-92 R, T-14-92 R et 15-92 R, Rec. p. II-1571, point 54).

42 A cet égard, il y a lieu de relever que, en l'espèce, la requérante n'a fourni aucun élément de preuve qui démontre l'existence de circonstances exceptionnelles, qui pourraient fonder l'adoption des mesures sollicitées. La présente demande de mesures provisoires ne peut pas être déclarée recevable sur ce fondement.

43 Sur la base de tout ce qui précède et sans qu'il soit nécessaire d'analyser le bien-fondé de la demande en référé, il y a lieu de constater que les conditions permettant, en droit, d'accorder les mesures sollicitées ne sont pas satisfaites en l'espèce et que, par conséquent, la demande doit être rejetée.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.