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Décisions

TPICE, 1re ch. élargie, 11 juillet 1996, n° T-528/93

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Métropole télévision (SA), Reti Televisive Italiane (SpA), Sociedade Independente de Comunicaçao (SA), Gestevision Telecinco (SA), Antena 3 de Television

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Union européenne de radio-télévision, Radiotelevisione italiana (SpA), Radiotelevision espanola

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saggio

Juges :

MM. Kirschner, Kalogeropoulos, Moura Ramos, Mme Tiili

Avocats :

Mes Deprez, Dian, Théophile, Mézzanotte, Motzo, Moniz, Machado, Garcia, Vicente, Gutierrez, Centella.

TPICE n° T-528/93

11 juillet 1996

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

L'objet du litige

1 Métropole Télévision SA (ci-après "M6"), requérante dans l'affaire T-528-93, est une chaîne de télévision privée généraliste qui a été autorisée par décision du 26 février 1987 de l'autorité française compétente à exploiter, pour une période de dix ans, un service de télévision à vocation nationale diffusé en clair par voie hertzienne terrestre.

2 Reti Televisive Italiane SpA (ci-après "RTI"), requérante dans l'affaire T-542-93, est une société de droit italien qui a obtenu de l'autorité italienne compétente, le 13 août 1992, trois concessions distinctes pour la diffusion, à l'échelle nationale, des programmes de télévision produits par trois émetteurs (Canale 5, Italia 1 et Retequattro), émis par une seule et même régie et diffusés par des installations interconnectées.

3 Gestevision Telecinco SA (ci-après "Telecinco"), requérante dans l'affaire T-543-93, est une société de droit espagnol qui a été constituée en mars 1989 et autorisée par l'autorité espagnole compétente à exploiter en Espagne pour une période de dix ans, susceptible d'être prorogée, un service de télévision privée.

4 Antena 3 de Television (ci-après "Antena 3"), requérante dans l'affaire T-546-93, est une société de droit espagnol constituée le 7 juin 1988, qui a obtenu de l'autorité espagnole compétente une concession de la gestion indirecte du service public étatique de la télévision pour une période initiale de dix ans.

5 Par leurs recours, les requérantes demandent l'annulation de la décision 93-403-CEE de la Commission, du 11 juin 1993, concernant une procédure en application de l'article 85 du traité CEE (IV-32.150 - UER/Système de l'Eurovision, JO L 179, p. 23, ci-après "décision"), dont le destinataire est l'Union européenne de radiodiffusion, devenue entre-temps l'Union européenne de radio-télévision (ci-après "UER").

6 La décision, prise en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité, déclare que les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, sont inapplicables, pendant la période du 26 février 1993 au 25 février 1998 :

- aux dispositions statutaires et autres règles de l'UER régissant l'acquisition de droits de télévision pour des manifestations sportives ;

- à l'échange d'émissions sportives dans le cadre de l'Eurovision ;

- à l'accès contractuel de tiers à ces émissions.

L'UER et le système de l'Eurovision

7 L'UER est une association professionnelle sans but commercial d'organismes de radio et de télévision, créée en 1950 et ayant son siège social à Genève (Suisse) Conformément à l'article 2 de ses statuts, tels que modifiés le 3 juillet 1992, ses objectifs sont de représenter les intérêts de ses membres dans le domaine des programmes et dans les domaines juridique, technique et autres, et notamment de promouvoir les échanges de programmes de radio et de télévision par tous moyens - par exemple l'Eurovision et l'Euroradio - et toute autre forme de coopération entre ses membres et avec les autres organismes de radiodiffusion ou leurs groupements, ainsi que d'assister ses membres actifs lors des négociations de toute espèce ou de négocier elle-même à leur demande et pour leur compte. A la date de la décision, l'UER comptait, depuis sa fusion avec son homologue d'Europe orientale, 67 membres actifs dans 47 pays situés dans la zone européenne de radiodiffusion, dont la plupart sont des organismes relevant du secteur public.

8 A l'époque de la création de l'UER, les prestations de services de radiodiffusion et de télévision étaient assurées en Europe presque exclusivement par des organismes relevant du secteur public ou chargés d'un service public et bénéficiant souvent d'un monopole. En 1984, à la veille du développement des entreprises de radiodiffusion et de télévision à dominante commerciale qui a marqué la seconde moitié des années 80, l'UER a admis en son sein, pour la première fois, un organisme de télévision privé, la société française Canal Plus.Par ailleurs, en 1986, l'UER a permis à la chaîne de télévision française TF1 de garder sa qualité de membre actif après qu'elle eut été privatisée. Pendant cette même période, à la suite d'importants développements de la technique dans le secteur de l'audiovisuel, celui-ci a perdu sa relative homogénéité initiale. De nouveaux types d'opérateurs, à caractère national, régional ou transfrontalier, parfois spécialisés dans certains genres de programmes (culturels, sportifs, musicaux) ou financés par souscription à un abonnement (télévision "à péage"), ont fait leur apparition sur le marché en vue d'exploiter la distribution de programmes de télévision par câble et par satellite.

9 Les statuts de l'UER ont été modifiés le 9 février 1988, afin, selon l'UER elle-même, de "limiter le nombre des membres d'Eurovision conformément à ses objectifs et son mode d'opération", ceux-ci les caractérisant comme un groupe particulier de radiodiffuseurs.

10 L'article 3 des statuts, dans sa version du 3 juillet 1992, se lit comme suit :

" 1 Il existe deux catégories de membres de l'UER :

- membres actifs

- membres associés.

[...]

3 Peuvent être membres actifs de l'UER les organismes de radiodiffusion ou des groupements de tels organismes d'un pays membre de l'Union internationale des télécommunications (UIT) situé dans la zone européenne de radiodiffusion, telle que définie dans le règlement des radiocommunications annexé à la convention internationale des télécommunications, qui assurent dans ce pays, avec l'autorisation des autorités compétentes, un service de radiodiffusion d'importance et de caractère nationaux et qui, en outre, donnent la preuve qu'ils remplissent toutes les conditions mentionnées ci-après :

a) ils ont pour obligation de desservir la totalité des habitants de leur pays, et en desservent effectivement déjà au moins une partie substantielle tout en faisant tout leur possible pour en achever en temps utile la desserte totale ;

b) ils ont l'obligation d'assurer, et assurent effectivement, une programmation diversifiée et équilibrée, destinée à toutes les couches de la population, incluant une proportion équitable de programmes répondant aux intérêts particuliers/minoritaires des différentes catégories du public, indépendamment du rapport entre le coût et les indices d'écoute des émissions ;

c) ils produisent effectivement et/ou font produire sous leur propre contrôle du contenu une partie substantielle des émissions diffusées".

11 Pour tenir compte des droits acquis par les anciens membres, l'article 21, deuxième alinéa, des statuts de l'UER, tels que modifiés le 9 février 1988, précisait que l'article 3, lui-même modifié, ne porterait pas atteinte au statut des organismes qui, au moment de son entrée en vigueur le 1er mars 1988, étaient déjà membres actifs, mais ne remplissaient pas toutes les conditions y stipulées. Dans la version des statuts de l'UER du 3 juillet 1992, cette disposition figure à l'article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa.

12 L'Eurovision constitue le cadre principal des échanges de programmes entre les membres actifs de l'UER. Elle existe depuis 1954 et correspond à une partie essentielle des objectifs de l'UER Selon l'article 3, paragraphe 6, des statuts, dans sa rédaction du 3 juillet 1992 : "L''Eurovision'est un système d'échange de programmes de télévision organisé et coordonné par l'UER, fondé sur l'engagement des membres de s'offrir mutuellement, à charge de réciprocité, leur couverture des nouvelles importantes, ainsi que leurs reportages d'actualités et leur couverture des événements sportifs et culturels se déroulant sur leur territoire national, dans la mesure où ils peuvent intéresser les autres membres de l'Eurovision, permettant ainsi d'assurer mutuellement un service de haute qualité dans ces domaines à leurs audiences nationales respectives". Sont membres de l'Eurovision les membres actifs de l'UER, ainsi que les consortiums de membres actifs de celle-ci. Tous les membres actifs de l'UER peuvent participer à un système d'acquisition en commun et de partage des droits de télévision (et frais y afférents) pour les manifestations sportives internationales, appelés "droits de l'Eurovision".

13 Jusqu'au 1er mars 1988, le bénéfice des services de l'UER et de l'Eurovision était exclusivement réservé à leurs membres. La révision de 1988 a cependant ajouté à l'article 3 un nouveau paragraphe (paragraphe 6) prévoyant un accès contractuel à l'Eurovision dont pourraient bénéficier les membres associés ainsi que les non-membres de l'UER.

14 Il résulte du dossier que, depuis sa création, M6 a présenté cinq fois (en 1987, 1988, 1989, 1990 et 1993) des demandes d'adhésion à l'UER, en tant que membre actif. Sa dernière demande, déposée le 8 février 1993, a été rejetée par lettre du 6 juillet 1993. Cette lettre du secrétaire général de l'UER indiquait notamment que : "Conformément aux lignes directrices internes concernant l'interprétation des critères à remplir pour être membre, M6, en tant qu'organisme de radiodiffusion à vocation commerciale, doit être considérée prima facie (à défaut de preuve du contraire), comme ne remplissant pas les conditions pour être membre actif de l'UER [...] Il est certes apparu au Conseil [d'administration de l'UER] que, depuis 1990, M6 a évolué positivement en ce qui concerne tant la couverture que la programmation, mais le Conseil n'a pas trouvé la preuve nécessaire pour arriver à une conclusion contraire".

15 Par lettre du 27 mars 1990, Antena 3 a présenté à l'UER une demande d'adhésion en tant que membre actif Le 4 avril 1990, l'UER l'a informée que, par suite de la nécessité d'adapter certaines des règles de l'UER, l'admission de nouveaux membres n'interviendrait pas avant le début de 1991. La demande d'admission a été finalement rejetée par décision du conseil d'administration de l'UER, communiquée à la requérante par lettre du 3 juin 1991. Cette lettre indiquait notamment que "cette décision repose sur le fait que votre organisme ne satisfait pas à l'obligation de desservir la totalité des habitants du pays de l'organisme candidat, condition qui est spécifiée en premier lieu dans l'article 3 (3) a) des statuts de l'UER pour être admis comme membre actif".

16 En revanche, RTI et Telecinco n'ont jamais présenté de demande d'adhésion à l'UER.

Les faits à l'origine du litige

17 A la suite d'une plainte de la chaîne de télévision Screensport concernant le refus de l'UER et de ses membres de lui accorder des sous-licences portant sur la retransmission de manifestations sportives, la Commission a envoyé à l'UER, le 12 décembre 1988, une première communication des griefs dans laquelle elle indiquait que l'octroi d'une exemption en faveur des règles régissant l'acquisition et l'utilisation, dans le cadre du système de l'Eurovision, des droits de télévision pour des manifestations sportives pourrait être envisagé pour autant que l'UER et ses membres se soumettraient à l'obligation d'accorder des sous-licences aux non-membres pour une partie substantielle des droits en question, à des conditions raisonnables.

18 Le 3 avril 1989, l'UER a notifié à la Commission les règles régissant l'acquisition des droits de télévision pour des manifestations sportives, l'échange d'émissions sportives dans le cadre de l'Eurovision et l'accès contractuel des tiers à ces émissions et a sollicité en même temps une attestation négative ou, à défaut, une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Selon ces règles, l'accès contractuel des tiers aux droits de télévision pour des manifestations sportives acquis par les membres de l'UER, en vertu d'accords conclus dans le cadre de l'Eurovision, avait lieu à travers un système d'octroi, par l'UER ou par ses membres, de sous-licences permettant aux non-membres de compléter leurs propres programmes sportifs et de nouvelles, dans la mesure où ils n'avaient pas acquis eux-mêmes les droits de retransmission sur le marché. Selon le principe dit "de l'embargo", les non-membres n'obtenaient, en principe, que le droit à la retransmission en différé.

19 Par lettre du 18 juillet 1989, la Commission a invité M6 à lui faire part de ses observations sur les règles, notifiées par l'UER, régissant l'accès contractuel des tiers aux droits de radiodiffusion acquis par celle-ci et ses membres. Le 15 février 1990, M6 a émis des réserves à l'égard de ces règles et a par ailleurs dénoncé la discrimination dont elle serait victime notamment par rapport à d'autres chaînes privées ayant la qualité de membres actifs de l'UER.

20 Par courrier du 29 juillet 1989, la Commission a informé la société qui contrôle RTI (Fininvest) de l'existence du dossier UER/Système de l'Eurovision, ainsi que du système de sous-licences que l'UER s'apprêtait à adopter, en l'invitant à s'exprimer à ce sujet dans un délai de six semaines. Le 29 janvier 1990, Fininvest a présenté ses observations critiques. Elle a notamment fait valoir que les règles régissant l'octroi de sous-licences avaient un caractère très général, ce qui empêchait une évaluation sérieuse à leur égard.

21 Le 3 juillet 1990, l'UER a adopté un premier système d'octroi de sous-licences, à la suite de discussions préalables avec la Commission.

22 Par communication 90-C 251-02, du 5 octobre 1990 (JO C 251, p 2), faite conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, 13, p 204, ci-après "règlement n° 17"), la Commission a annoncé son intention de prendre une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à l'égard des dispositions qui lui avaient été notifiées par l'UER. A la suite d'observations critiques adressées par des tiers, la Commission a organisé les 18 et 19 décembre 1990 une audition réunissant les parties intéressées.

23 M6 a présenté des observations écrites à la Commission par lettre du 5 novembre 1990, émettant "les plus extrêmes réserves sur le système d'octroi de sous-licences à des tiers pour les émissions sportives de l'UER, tel que décrit dans le n° C 251-2 du Journal officiel des Communautés européennes" M6 a également participé à l'audition des 18 et 19 décembre 1990.

24 RTI n'a pas présenté d'observations écrites à la Commission. Elle a toutefois été présente à l'audition des 18 et 19 décembre 1990.

25 Par courrier du 5 novembre 1990, Telecinco a présenté à la Commission ses observations sur le dossier UER/Système de l'Eurovision. Elle a demandé à la Commission de rejeter la demande d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, concernant la réglementation notifiée Telecinco a également assisté à l'audition des 18 et 19 décembre 1990.

26 Antena 3 n'a pas présenté d'observations écrites à la Commission et n'a pas participé à l'audition des 18 et 19 décembre 1990.

27 Le 24 juin 1991, la Commission a envoyé à l'UER une seconde communication des griefs, dans laquelle elle indiquait que le système d'octroi de sous-licences "n'était pas acceptable". Par la suite, l'UER a soumis à la Commission, le 8 novembre 1991, une nouvelle réglementation sur l'accès contractuel des non-membres, dont avaient été retirées, selon la Commission, la plupart des clauses du précédent système d'octroi de sous-licences qui avaient fait l'objet des critiques de la part des tiers intéressés.

28 La décision a été adoptée par la Commission après présentation par l'UER, le 26 février 1993, d'une nouvelle version révisée, en accord avec la Commission, des règles relatives au système d'octroi de sous-licences.

La décision

29 La décision constate que les dispositions statutaires et les règles internes de l'UER qui régissent la négociation et l'acquisition en commun ainsi que le partage des droits de télévision pour des manifestations sportives et les accords y relatifs, conclus au cas par cas entre les membres de cette association, ont pour objet et pour effet de restreindre fortement, voire, dans de nombreux cas, d'éliminer la concurrence entre ceux-ci, en violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité (points 47 à 49). En outre, selon la décision, la négociation et l'acquisition des droits en commun permettent aux membres de l'UER de renforcer leur position sur le marché au détriment de leurs concurrents indépendants (point 51). La décision constate par ailleurs que les règles d'adhésion à l'UER (établies notamment à l'article 3, paragraphe 3, de ses statuts) faussent partiellement la concurrence vis-à-vis des chaînes purement commerciales, qui n'y sont pas admises en tant que membres actifs (point 50). Elle constate enfin que les échanges entre États membres sont affectés en ce sens que le système de l'Eurovision concerne l'acquisition et l'utilisation transfrontalières de droits de télévision et que cela vaut en particulier pour l'acquisition en commun et le partage des droits entre membres de pays différents et pour l'échange entre eux du signal télévisuel correspondant (point 53).

30 Elle considère néanmoins que le système de l'Eurovision et les règles qui le sous-tendent procurent un certain nombre d'avantages, au sens de l'article 85, paragraphe 3, qui tiennent à la fois à l'acquisition en commun et au partage des droits, d'une part, à l'échange du signal et à son transport sur le réseau commun, d'autre part, et à l'accès contractuel accordé aux non-membres enfin (point 58).

31 L'exemption accordée est assortie de deux conditions. Il s'agit, en premier lieu, de l'obligation pour l'UER et ses membres de n'acquérir collectivement des droits de télévision pour des manifestations sportives que dans le cadre d'accords qui incorporent eux-mêmes une des deux possibilités suivantes : soit ils permettent à l'UER ainsi qu'à ses membres d'accorder l'accès aux droits de télévision à des tiers, soit ils permettent aux titulaires des droits d'accorder cet accès à des tiers conformément au règlement régissant l'accès ou, sous réserve de l'approbation de l'UER, à des conditions plus favorables pour les tiers (article 2, point 1). En second lieu, la décision édicte l'obligation pour l'UER d'informer la Commission de toute modification et addition aux règles notifiées, de toute procédure d'arbitrage concernant les différends survenus dans le cadre du système d'accès et de toute décision concernant des demandes d'adhésion de tiers (article 2, point 2).

Le déroulement de la procédure

32 M6, RTI, Telecinco et Antena 3 ont introduit leurs recours par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement les 5, 16 et 18 octobre 1993.

33 Le 25 janvier 1994, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité dans l'affaire T-546-93.

34 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 9 février, 2 et 10 mars 1994, l'UER, la Radiotelevisione Italiana SpA (ci-après "RAI") et la Radiotelevision Espanola (ci-après "RTVE") ont demandé à intervenir respectivement dans les affaires T-528-93, T-542-93 et dans les deux affaires T-543-93 et T-546-93, au soutien des conclusions de la partie défenderesse. Ces demandes ont été accueillies par ordonnances du président de la deuxième chambre du Tribunal rendues respectivement les 28 mars, 17 mai et 6 mai 1994.

35 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 mars 1994, la Sociedade Independente de Comunicaçao SA (ci-après "SIC") a demandé à intervenir dans l'affaire T-542-93, au soutien des conclusions de RTI. Sa demande a été accueillie par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 13 juin 1994.

36 Par ordonnance du 29 septembre 1994, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé de joindre au fond l'exception soulevée par la Commission dans l'affaire T-546-93.

37 La procédure écrite dans les affaires T-528-93, T-542-93, T-543-93 et T-546-93 s'est achevée respectivement le 19 août 1994, avec le dépôt des observations de M6 sur le mémoire de la partie intervenante UER, le 2 mars 1995, avec le dépôt des observations de la Commission sur le document déposé par la partie intervenante SIC, le 14 août 1994, avec le dépôt des observations de Telecinco sur le mémoire de la partie intervenante RTVE, et le 9 mars 1995, avec le dépôt des observations de la Commission et de la partie intervenante RTVE sur les documents déposés par Antena 3 les 13 et 20 février 1995.

38 Après clôture de la procédure écrite dans chacune des quatre affaires et sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et invité la Commission, à titre de mesures d'organisation de la procédure, à répondre par écrit à deux séries de questions.

39 Par ordonnance du président de la première chambre élargie en date du 11 avril 1995, les présentes affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale.

Conclusions des parties

40 Dans l'affaire T-528-93, M6 conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- à titre préliminaire, donner injonction à la Commission de communiquer les statuts de l'UER et autres règles régissant le système de l'Eurovision ;

- annuler la décision du 11 juin 1993 ;

- condamner la Commission et l'UER aux dépens.

41 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter la demande d'injonction présentée par M6 ;

- rejeter le recours de celle-ci ;

- condamner la requérante aux dépens.

42 Dans l'affaire T-542-93, RTI conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- ordonner à l'UER la production du protocole d'accord conclu entre la RAI et le comité olympique national italien au sujet de la diffusion des manifestations sportives ;

- annuler la décision prise par la Commission le 11 juin 1993 ;

- condamner la défenderesse aux dépens.

43 La Commission demande au Tribunal de :

- déclarer le recours de RTI irrecevable ;

- à titre subsidiaire, rejeter comme irrecevable sa demande de mesure ;d'instruction et rejeter le recours comme non fondé

- condamner la requérante aux dépens ;

- condamner la partie intervenante SIC aux dépens que la Commission a dû exposer du fait de son intervention.

44 Dans l'affaire T-543-93, Telecinco conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours recevable ;

- annuler la décision de la Commission du 11 juin 1993 et, généralement, prendre toutes les mesures que le Tribunal jugera nécessaires pour rétablir le régime communautaire de la concurrence sur le marché pertinent ;

- condamner la défenderesse aux dépens ;

- condamner la partie intervenante RTVE à supporter ses propres dépens.

45 La Commission demande au Tribunal de :

- rejeter le recours de Telecinco ;

- condamner la requérante aux dépens.

46 Dans sa requête présentée dans l'affaire T-546-93, Antena 3 conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision du 11 juin 1993 ;

- condamner la défenderesse aux dépens.

47 Dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission, Antena 3 conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer non fondée l'exception de la Commission et joindre au fond l'examen de la recevabilité du recours ;

- à titre subsidiaire, déclarer le recours recevable ;

- réserver les dépens.

48 La Commission demande au Tribunal de :

- déclarer le recours d'Antena 3 irrecevable ou, à titre subsidiaire, le rejeter comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens.

49 La SIC, partie intervenante à l'appui des conclusions de RTI dans l'affaire T-542-93, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours fondé et, par suite, annuler la décision prise par la Commission le 11 juin 1993 ;

- condamner la défenderesse aux dépens, y compris ceux exposés par la partie intervenante.

50 L'UER, partie intervenante à l'appui des conclusions de la Commission dans l'affaire T-528-93, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours de M6 ;

- condamner la requérante aux dépens, y compris ceux exposés par la partie intervenante.

51 La RAI, partie intervenante à l'appui des conclusions de la Commission dans l'affaire T-542-93, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours de RTI irrecevable ;

- à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner la partie requérante aux dépens, y compris ceux exposés par la partie intervenante.

52 La RTVE, partie intervenante à l'appui des conclusions de la Commission dans les affaires T-543-93 et T-546-93, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter les recours de Telecinco et d'Antena 3 ;

- condamner ces requérantes aux dépens, y compris ceux exposés par la partie intervenante.

Sur la recevabilité

Sur la recevabilité du recours dans l'affaire T-546-93 (Antena 3)

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

53 La Commission, à laquelle se rallie en substance la partie intervenante RTVE, estime que le recours d'Antena 3 est irrecevable, dès lors que la décision ne concerne pas directement et individuellement la requérante au sens de l'article 173 du traité, tel qu'interprété selon une jurisprudence constante depuis l'arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25-62, Rec. p. 197, 223). Au-delà de son appartenance à une catégorie générale et abstraite comprenant toutes les sociétés de télévision concurrentes de l'UER ou de ses membres actifs pour l'acquisition des droits de télévision relatifs à des manifestations sportives internationales, Antena 3 ne justifierait d'aucune qualité qui lui soit particulière ou d'une situation de fait qui la caractériserait par rapport à toute autre personne et, par suite, l'individualiserait d'une manière analogue à celle du destinataire de la décision, au sens de la jurisprudence citée.

54 En premier lieu, la décision ne se prononcerait pas sur la légalité de l'application, à des cas concrets, des règles d'adhésion à l'UER par ses organes de gestion. Par conséquent, le rejet de la demande d'adhésion présentée par Antena 3 ne placerait pas celle-ci dans une situation la caractérisant par rapport à tout autre concurrent de l'UER. En second lieu, la gestion par Antena 3 du service public essentiel de télévision dont le titulaire est l'État espagnol ne lui conférerait pas davantage une qualité particulière susceptible de l'individualiser d'une manière analogue à celle du destinataire de la décision. En effet, elle ne serait pas la seule chaîne de télévision en Espagne possédant cette qualité, et d'autres entreprises européennes se trouveraient dans les mêmes conditions.

55 Par ailleurs, la Commission rappelle que, contrairement à M6, RTI et Telecinco, Antena 3 n'a pas présenté des observations à la suite de la publication effectuée conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 et n'a pas été présente à l'audition organisée par la Commission les 18 et 19 décembre 1990. La Commission reconnaît que, en principe, dans le cadre du droit de la concurrence, la participation d'une entreprise non destinataire d'une décision à la procédure administrative ayant abouti à celle-ci n'est pas le seul élément d'individualisation au sens de l'article 173 du traité. Cependant, elle estime que, en l'espèce, le seul élément susceptible d'individualiser Antena 3 et de la rendre, dès lors, recevable à introduire son recours aurait été précisément sa participation, au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, à la procédure d'adoption de la décision. Si Antena 3 avait exercé les droits procéduraux qui lui sont reconnus par cette disposition, elle serait ipso facto individualisée d'une manière analogue à celle du destinataire de la décision (arrêt de la Cour du 22 octobre 1986, Metro/Commission, 75-84, Rec. p. 3021, points 20 à 23).

56 Antena 3 fait valoir que, même si la décision ne pouvait pas être considérée comme une décision de rejet de ses plaintes déposées auprès de la Commission conformément à l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17, en date du 27 février et du 2 mars 1992, elle serait néanmoins individuellement concernée au sens de la jurisprudence Plaumann, indépendamment du fait qu'elle n'a pas participé volontairement à la procédure d'adoption de la décision.

57 La question réellement pertinente ne serait pas la participation ou non à la procédure administrative d'adoption d'une décision, mais celle de savoir dans quelle mesure cette participation contribue à placer les tiers non destinataires de la décision, selon les termes de la jurisprudence Plaumann, dans "une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire". A cet égard, pour déclarer le requérant recevable à introduire un recours contre une décision de la Commission adressée à une autre personne, la Cour, dans son arrêt du 25 octobre 1977, Metro/Commission (26-76, Rec. p. 1875), aurait tenu compte non seulement du dépôt, par le requérant, d'une plainte au titre de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17, mais aussi, notamment, du rejet de la demande d'admission au système de distribution litigieux qu'il avait présentée. Dans son arrêt du 22 octobre 1986, Metro/Commission, précité, la Cour aurait admis que la qualité pour agir du requérant n'était pas seulement liée à la présentation d'observations au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, mais également, en particulier, au rejet de sa demande d'admission au système de distribution en question.

58 En l'espèce, Antena 3 appartiendrait à une catégorie plus restreinte que celle constituée par toutes les autres chaînes de télévision se trouvant dans un rapport de concurrence avec l'UER ou ses membres. En effet, elle appartiendrait à la catégorie parfaitement identifiable des personnes qui, antérieurement à l'adoption de la décision, ont demandé leur admission à l'UER et à l'Eurovision, ont vu leur demande rejetée de façon discriminatoire alors qu'elles réunissaient objectivement les conditions requises à cet effet et, par suite, se sont trouvées exclues de ce système. Le contenu même de la décision contredirait la thèse de la Commission selon laquelle l'application concrète des règles d'adhésion à l'UER ne fait pas l'objet de cette décision. Il ressortirait du point 83 de la décision que l'application de ces règles "d'une manière adéquate, raisonnable et non discriminatoire" constitue un préalable à l'octroi et au maintien de l'exemption accordée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Par ailleurs, en sa qualité particulière de gestionnaire du "service public essentiel de la télévision, relevant de l'État", partagée en Espagne avec le seul membre de l'UER, Antena 3 se distinguerait de toute autre chaîne de télévision. Dans ces conditions, son recours devrait être déclaré recevable.

Appréciation du Tribunal

59 Conformément à l'article 173 du traité, toute personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement. La décision ayant été adressée à l'UER, il convient d'examiner si Antena 3 remplit les deux conditions imposées par ce texte.

60 Selon une jurisprudence constante les dispositions du traité concernant le droit d'agir des justiciables ne sauraient être interprétées restrictivement, et, partant, dans le silence du traité, une limitation à cet égard ne saurait être présumée. Les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (voir l'arrêt de la Cour, Plaumann/Commission, précité, p 223, et l'arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC ea/Commission, T-447-93, T-448-93 et T-449-93, Rec. p. II-1971, point 34).

61 En l'espèce, Antena 3 est une entreprise concurrente de l'UER ainsi que de l'ensemble de ses membres au sein du Marché commun. Dans le cadre plus restreint du marché espagnol, elle est un concurrent direct de la RTVE, seul membre actif de l'UER opérant sur ce marché. Il en résulte que la décision, dans la mesure où elle permet, par le biais des règles statutaires exemptées, d'exclure Antena 3 de la jouissance des avantages concurrentiels découlant de l'appartenance à l'UER, l'affecte dans sa position concurrentielle. Antena 3 doit, de ce fait, être qualifiée de tiers intéressé au sens de l'article 19, paragraphe 3, première phrase, du règlement n° 17, ainsi que le reconnaît la Commission elle-même. En cette qualité, Antena 3 avait donc le droit d'être associée par la Commission à la procédure administrative d'adoption de la décision. En cette même qualité, elle doit être considérée comme individuellement concernée par celle-ci au sens de l'article 173 du traité(voir, par analogie, arrêts de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198-91, Rec. p. I-2487, points 24 à 26, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203, points 18 à 20 voir également, dans le même sens, l'ordonnance de la Cour du 30 septembre 1992, Landbouwschap/Commission, C-295-92, Rec. p. I-5003, point 12).

62 Aucun argument en sens contraire ne saurait être tiré du fait que Antena 3 ne s'est pas prévalue en l'espèce des droits procéduraux que lui accordait l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 et n'a pas présenté des observations écrites ou orales au cours de la procédure administrative d'adoption de la décision. En effet, subordonner la qualité à agir des tiers qualifiés bénéficiant de droits procéduraux au cours d'une procédure administrative à leur participation effective à cette procédure reviendrait à introduire une condition de recevabilité supplémentaire, sous la forme d'une procédure précontentieuse obligatoire, laquelle n'est pas prévue à l'article 173 du traité (voir les arrêts du Tribunal du 27 avril 1995, Comité central d'entreprise de la Société générale des grandes sources ea/Commission, T-96-92, Rec. p. II-1213, points 35 et 36, et Comité central d'entreprise de la société anonyme Vittel ea/Commission, T-12-93, Rec. p. II-1247, points 46 et 47).

63 La qualité pour agir d'Antena 3 est en outre confirmée par le fait qu'elle a demandé l'adhésion à l'UER et a vu sa demande rejetée avant l'adoption de la décision. En effet, cette circonstance spécifique est également de nature à individualiser Antena 3 d'une manière analogue à celle du destinataire de la décision, indépendamment de la question de savoir si celle-ci se prononce ou non sur la légalité de l'application à des cas concrets, par les organes de l'UER, des règles d'adhésion que la décision a exemptées (voir les arrêts précités du 25 octobre 1977, Metro/Commission, point 13, et du 22 octobre 1986, Metro/Commission, points 18 à 23).

64 Antena 3 est par ailleurs directement concernée par la décision. Sur ce point, il suffit d'observer qu'il existe un lien de causalité directe entre celle-ci, qui n'appelle aucun acte d'application, et l'affectation de la position concurrentielle de Antena 3.

65 Il résulte de ce qui précède que le recours introduit par Antena 3 doit être déclaré recevable.

Sur la recevabilité du recours dans l'affaire T-542-93 (RTI)

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

66 La Commission, à laquelle se rallie la partie intervenante RAI, s'interroge sur la recevabilité du recours au motif que RTI s'est abstenue, d'une part de présenter des observations écrites à la suite de la publication visée à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 et, d'autre part, de faire tout commentaire sur le dossier au cours de l'audition organisée par la Commission les 18 et 19 décembre 1990.

67 En premier lieu, la publication prévue à l'article 19, paragraphe 3, aurait pour but de lui permettre de disposer, avant de prendre une décision, de tous les éléments de fait et de droit pour statuer en toute connaissance de cause. Admettre le recours d'un tiers intéressé qui ne s'est pas prévalu des droits procéduraux que lui confère le règlement n° 17 et, dès lors, de sa propre initiative, n'a pas présenté d'observations écrites au cours de la procédure administrative reviendrait à dénaturer l'action du juge communautaire. Le contrôle exercé par celui-ci ne porterait plus sur le respect des droits en question, mais constituerait une procédure de rechange par rapport à celle prévue par le règlement. La seule hypothèse où la participation active d'un tiers intéressé pourrait ne pas être considérée comme condition nécessaire à l'exercice de son droit d'agir en justice serait celle où l'intéressé n'a pas eu connaissance, pour des motifs qui ne lui sont pas imputables, de l'existence de la procédure.

68 En second lieu, le défaut de tout commentaire de RTI au cours de l'audition des 18 et 19 décembre 1990 équivaudrait à un acquiescement ou, à tout le moins, à un manque d'intérêt de sa part à l'égard de la procédure excluant qu'elle puisse être considérée comme individuellement concernée par la décision.

69 Enfin, l'irrecevabilité du recours devrait être constatée en considération, a contrario, de l'arrêt du Tribunal du 19 mai 1994, Air France/Commission (T-2-93, Rec. p. II-323, points 44 à 46). Dans le cas d'espèce, il n'existerait aucun des trois éléments de fait auxquels le Tribunal a subordonné la recevabilité d'un recours, à savoir la participation active de la requérante à la procédure précontentieuse, l'appréciation de la Commission tenant expressément compte de la situation de la requérante et l'implication active de celle-ci dans la situation de fait faisant l'objet d'une telle appréciation.

70 RTI fait remarquer tout d'abord qu'elle se trouve dans un rapport de concurrence directe sur le marché italien avec l'unique membre italien de l'UER, la RAI, en ce qui concerne tant l'acquisition des droits de télévision que la vente des espaces publicitaires. Un tel rapport de concurrence n'aurait donc pas un caractère général. Il serait spécifiquement influencé par les règles relatives à l'organisation et au fonctionnement de l'UER.

71 Le dépôt d'observations à la suite d'une communication au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 ainsi que la participation active à une audition pourraient certes conforter l'idée qu'un tiers est effectivement concerné par une procédure, et même éventuellement fonder une présomption d'existence d'un intérêt légitime. Cependant, ils ne pourraient en aucun cas être élevés au rang de condition nécessaire à l'établissement d'un intérêt à agir. A cet égard, l'arrêt du 22 octobre 1986, Metro/Commission, précité (point 21), devrait être interprété en ce sens que la participation à la procédure administrative constitue un élément additionnel concourant à l'établissement de la preuve d'un intérêt légitime à agir en justice et non pas une condition sine qua non de l'existence d'un tel intérêt.

72 En conséquence, dès lors que RTI aurait prouvé qu'elle se trouve dans une position comparable à celle du destinataire de la décision, eu égard aux effets particuliers de celle-ci sur sa situation individuelle, il ne serait plus nécessaire de recourir à la présomption résultant de la participation à la procédure précontentieuse.

73 A tout le moins, contrairement aux affirmations de la Commission, la participation à une procédure administrative pourrait se concrétiser dans le simple fait d'assister à son déroulement. En l'espèce, le fait que RTI n'a pas pris de position spécifique ni formulé des appréciations critiques aurait été une conséquence de l'impossibilité dans laquelle elle se serait trouvée, pour des motifs objectifs qui ne lui seraient pas imputables, d'apprécier avec la précision nécessaire la portée d'une éventuelle décision d'exemption au moment de la publication faite au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17. Une telle attitude ne saurait, en tout état de cause, être assimilée à un acquiescement, lequel, outre qu'il pourrait uniquement être envisagé à l'égard de mesures définitives attaquables en justice, devrait résulter d'une acceptation expresse ou d'actes incompatibles avec la volonté de faire usage d'une voie de recours.

Appréciation du Tribunal

74 Dans le cas d'espèce, il ne saurait être contesté que RTI est individuellement concernée par la décision au sens de l'article 173 du traité.

75 En tant que chaîne de télévision concurrente de l'UER et de l'ensemble de ses membres au sein du Marché commun, ainsi que de l'unique membre actif de l'UER dans le cadre plus restreint du marché italien, RTI est affectée dans sa position concurrentielle par la décision, dans la mesure où celle-ci permet, par le biais des règles statutaires exemptées, de l'exclure de la jouissance des avantages concurrentiels découlant de l'appartenance à l'UER. De ce fait, elle avait la qualité de tiers intéressé au sens de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 et avait donc le droit d'être associée par la Commission à la procédure d'adoption de la décision, situation qui l'individualise de manière analogue à celle du destinataire de la décision (voir, ci-dessus, point 61).

76 Le seul fait que RTI se soit contentée d'assister au déroulement de l'audition organisée par la Commission sans prendre une position spécifique ne saurait remettre cette conclusion en cause. En effet, le droit procédural prévu par l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 n'est soumis à aucune condition tenant à son mode d'exercice.

77 RTI est par ailleurs directement concernée par la décision litigieuse, de la même façon que la requérante dans l'affaire T-546-93 (voir, ci-dessus, point 64).

78 Il résulte de ce qui précède que le recours introduit par RTI doit être déclaré recevable.

Sur le fond

79 M6 invoque quatre moyens d'annulation tirés, le premier, d'une violation des règles de procédure relatives à l'adoption de la décision, le deuxième, des erreurs et insuffisances de motivation entachant la décision, le troisième, d'une application erronée de l'article 85, paragraphe 3, du traité, et, le quatrième, d'une violation de l'article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales.

80 RTI invoque quatre moyens. Le premier est tiré d'une violation des formes substantielles, en ce que la Commission n'aurait pas respecté la règle procédurale prévue par l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17. Le deuxième moyen est tiré d'un détournement de pouvoir, en ce que la Commission aurait exercé les pouvoirs que le traité lui confère en vue de la sauvegarde de la concurrence dans le but de réglementer le secteur concerné. Le troisième moyen est tiré d'une erreur de fait lors de l'appréciation des circonstances justifiant l'application de l'article 85, paragraphe 3. Le quatrième moyen est tiré d'une application erronée de l'article 85, paragraphe 3, qui aurait été déterminée par l'erreur de fait alléguée.

81 Telecinco invoque six moyens, le premier tiré d'une violation des formes substantielles, le deuxième d'une erreur de fait manifeste, le troisième d'une violation du régime communautaire de la concurrence, en particulier des articles 85, paragraphe 3, 86 et 90 du traité, le quatrième d'une violation du principe général de l'égalité des entreprises, le cinquième d'un détournement de pouvoir et le sixième de l'incompétence de la Commission pour adopter la décision.

82 Antena 3 invoque quatre moyens. En premier lieu, la décision serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des circonstances de fait. En second lieu, elle ferait une interprétation manifestement erronée et une application incorrecte de l'article 90, paragraphe 2, du traité. En troisième lieu, elle ferait une interprétation manifestement erronée et une application incorrecte de l'article 85, paragraphe 3. En quatrième lieu, elle serait entachée d'un détournement de pouvoir.

83 Le Tribunal estime qu'il y a lieu d'examiner le moyen commun aux quatre recours, tiré en substance d'une interprétation erronée et d'une application incorrecte de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Il conviendra d'examiner successivement les deux branches de ce moyen qui ont trait, d'une part, au caractère discriminatoire des règles d'adhésion à l'UER, lequel aurait dû faire obstacle à une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, sous a), et, d'autre part, à la prise en considération, aux fins de l'application de cette disposition, de la notion de mission particulière d'intérêt public qui, selon la décision, est impartie aux membres de l'UER.

Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité

1 Les règles d'adhésion à l'UER au regard de l'article 85, paragraphe 3, sous a), du traité

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

84 L'ensemble des requérantes soutient en substance que l'examen auquel la Commission a procédé pour exempter les règles établissant les conditions d'adhésion, en tant que membre actif, à l'UER, telles qu'elles figurent à l'article 3, paragraphe 3, des statuts de cette association, comporte à la fois des erreurs de fait et de droit et des omissions.

85 En premier lieu, la décision aurait constaté à tort que ces règles reflètent une distinction essentielle entre chaînes de télévision investies d'une mission particulière d'intérêt public, comme les membres de l'UER, et les nouvelles chaînes de télévision commerciales qui ne satisferaient généralement pas aux conditions prévues par ces règles. Or, selon M6 et Antena 3, il ne ressortirait pas des statuts de l'UER que les membres de celle-ci doivent être investis d'une mission particulière d'intérêt public. Il s'agirait donc d'une nouvelle condition, ajoutée de façon injustifiée par la décision Jointe aux règles d'adhésion de nouveaux membres prévues par l'article 3, paragraphe 3, des statuts, cette condition renforcerait le caractère discriminatoire de l'UER et du système de l'Eurovision, en ce qu'elle permettrait de priver a priori les nouvelles chaînes de la qualité de membre actif de l'UER, à cause de leur caractère commercial, même si elles remplissent effectivement les conditions établies par cette disposition pour le devenir. Ce caractère discriminatoire serait confirmé par l'article 6, paragraphe 1, des statuts de l'UER, lequel reconnaît ouvertement que tous les membres de cette association ne remplissent pas les conditions d'adhésion. L'exemple concret en serait Canal Plus.

86 En second lieu, les requérantes soutiennent que la Commission a omis de procéder à un examen objectif, et de la situation des chaînes non membres de l'UER, et de celle de ses membres au regard des règles d'adhésion exemptées. Si elle l'avait fait, elle aurait forcément constaté que, d'une part, nombre de chaînes non membres ont des caractéristiques identiques à celles de certains membres de l'UER, sans pour autant avoir été admises à cette association, et que, d'autre part, certains membres de l'UER ne remplissent pas en réalité les conditions exigées par l'article 3, paragraphe 3, des statuts. A cet égard, RTI et Telecinco font observer que la législation italienne et la législation espagnole imposent aux concessionnaires privés de télévision des obligations particulièrement strictes en ce qui concerne la programmation diversifiée ainsi que la production propre. Par ailleurs, les limites à la diffusion de messages publicitaires seraient les mêmes pour les membres et pour les non-membres de l'UER. Cela suffirait pour remettre en cause la constatation de la Commission selon laquelle il y aurait dans ces domaines des différences substantielles entre les chaînes commerciales et les chaînes affiliées à l'UER.

87 D'après Antena 3, l'omission d'un tel examen serait en contradiction avec le point 83 de la décision qui impose à la Commission de vérifier, pendant la période d'exemption, si les règles d'adhésion à l'UER sont appliquées d'une manière adéquate, raisonnable et non discriminatoire. En accordant l'exemption, la Commission aurait nécessairement considéré, sans aucun examen préalable, que cette condition était remplie.

88 La Commission réplique que la notion de mission particulière d'intérêt public ne vise, dans le contexte de la décision, qu'à résumer les règles d'adhésion retenues par les statuts de l'UER et que, par conséquent, elle ne saurait constituer une condition supplémentaire pour être membre actif de cette association. Une telle notion désignerait les obligations ou charges auxquelles est subordonnée l'appartenance à l'UER en vertu de l'article 3, paragraphe 3, de ses statuts et ne se confondrait en aucun cas avec la notion d'entreprise publique ou avec la notion d'entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général figurant à l'article 90, paragraphe 2, du traité.

89 S'agissant des critiques relatives au contenu et à l'étendue de son examen des règles d'adhésion à l'UER, la Commission soutient à titre liminaire que, aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 3, elle n'avait pas l'obligation de procéder à une analyse systématique de la mise en œuvre de ces règles par l'UER elle-même. Par suite, elle aurait pu légitimement adopter la décision sans examiner l'application de l'article 3, paragraphe 3, des statuts de l'UER au cas par cas.

90 Plus concrètement, la Commission n'aurait pas été tenue de prouver que chacun des membres de l'UER satisfaisait aux conditions prévues par les règles statutaires en question. Le fait que, pour des raisons historiques, un membre de l'UER - comme Canal Plus - ne remplisse pas toutes les conditions prévues à l'article 3, paragraphe 3, des statuts n'invaliderait pas globalement son analyse. La Commission admet cependant sans réserve que, à l'heure actuelle, il peut exister des chaînes de télévision privées satisfaisant également aux conditions dont il s'agit. Elle fait enfin observer qu'elle ne s'est jamais prononcée sur la question de savoir s'il existe une discrimination en faveur de certains membres de l'UER qui ne répondraient pas entièrement aux critères d'adhésion actuellement en vigueur.

91 En revanche, la Commission reconnaît qu'il lui appartient de veiller à ce que les règles d'adhésion à l'UER exemptées par la décision soient respectées par tous les intéressés. A ce propos elle souligne que la décision a imposé à l'UER l'obligation d'informer la Commission de toute décision concernant des demandes d'adhésion de tiers. Dans l'hypothèse où une demande d'adhésion à l'UER ferait l'objet d'un refus injustifié, il ne s'ensuivrait pas l'annulation de la décision. Celle-ci serait en réalité violée par l'UER, son destinataire.

92 La partie intervenante UER estime que les décisions d'admission ou de rejet adoptées par elle sur la base des règles d'adhésion litigieuses ont à juste titre été examinées par la Commission non pas dans le but de vérifier leur bien-fondé au cas par cas, mais dans celui de limiter le groupe de coopération à ce qui est nécessaire, voire indispensable pour assurer une cohésion et un fonctionnement lui permettant d'atteindre ses objectifs. Le bon fonctionnement du système exempté ainsi que le maintien d'une concurrence substantielle dépendraient du dénominateur commun aux membres de l'UER, à savoir l'accomplissement d'une mission particulière d'intérêt public.

- Appréciation du Tribunal

93 A titre liminaire, il convient de procéder à deux rappels. En premier lieu, l'octroi par la Commission d'une décision individuelle d'exemption suppose que l'accord ou la décision d'association d'entreprises remplisse cumulativement les quatre conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité. Il suffit que l'une des quatre conditions fasse défaut pour que l'exemption doive être refusée(arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, point 61 ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO ea/Commission, C-137-95 P, Rec. p. I-0000, point 34 arrêts du Tribunal du 15 juillet 1994, Matra Hachette/Commission, T-17-93, Rec. p. II-595, point 104, et du 21 février 1995, SPO ea/Commission, T-29-92, Rec. p. II-289, points 267 et 286). En second lieu, dans les cas, comme celui de l'espèce, où les institutions de la Communauté disposent d'un pouvoir d'appréciation afin d'être en mesure de remplir leurs fonctions, le respect des garanties conférées par l'ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importance d'autant plus fondamentale parmi ces garanties figure notamment l'obligation pour l'institution compétente d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce (voir l'arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universitaet München, C-269-90, Rec. p. I-5469, points 14 et 26, et l'arrêt du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44-90, Rec. p. II-1, point 86).

94 Il convient de rappeler ensuite que, selon le point 50 de la décision, les règles d'adhésion à l'UER "faussent partiellement la concurrence vis-à-vis des chaînes purement commerciales, qui ne sont pas admises en tant que membres" et qui, par suite, ne peuvent pas participer à la rationalisation et aux économies que permet le système de l'Eurovision. Selon les points 72 et suivants, les restrictions de concurrence résultant de ces règles d'adhésion présentent néanmoins un caractère indispensable au sens de l'article 85, paragraphe 3, sous a), du traité.

95 Afin d'apprécier la légalité de la décision à cet égard, le Tribunal doit d'abord examiner, ainsi que la Commission devait le faire, si ces règles d'adhésion (citées ci-dessus au point 10) ont un caractère objectif et suffisamment déterminé permettant une application uniforme et non discriminatoire à l'égard de tous les membres actifs potentiels, conformément à une jurisprudence bien établie (voir, par exemple, l'arrêt du 25 octobre 1977, Metro/Commission, précité, point 20). En effet, l'appréciation correcte du caractère indispensable des restrictions de concurrence résultant de ces règles ne peut intervenir que si cette condition préalable est remplie.

96 A la lecture de la décision, le Tribunal constate d'emblée que la Commission s'est abstenue de procéder à un tel examen.

97 Il constate ensuite que les trois conditions exigées par l'article 3, paragraphe 3, des statuts de l'UER, tenant à la desserte de la population, à la programmation et à la production des émissions diffusées, n'ont pas un contenu suffisamment déterminé. En effet, se référant en substance à des critères quantitatifs non chiffrés, elles présentent un caractère vague et imprécis. Dès lors, en l'absence d'autres précisions, elle ne sont pas de nature à fonder une application uniforme et non discriminatoire.

98 Le fait que l'UER, ainsi qu'elle l'a affirmé au cours de l'audience, s'est vue elle-même dans la nécessité d'édicter, postérieurement, une note interprétative de la première condition d'adhésion ("ligne directrice interne" fixant à 90 % l'obligation de desserte de la population) confirme cette appréciation.

99 Dans ces conditions, la Commission aurait dû conclure qu'elle n'était même pas en mesure d'apprécier si les restrictions correspondantes étaient indispensables au sens de l'article 85, paragraphe 3, sous a), du traité. Par suite, elle ne pouvait pas les exempter à ce titre.

100 Pour les mêmes raisons, la Commission ne se trouve pas en état de vérifier pendant la période d'exemption, conformément au point 83 de la décision, "si les conditions d'exemption sont toujours remplies et si, en particulier, les conditions d'adhésion [...] sont appliquées d'une manière adéquate, raisonnable et non discriminatoire". D'ailleurs, elle a reconnu au cours de l'audience qu'elle n'a donné aucune suite aux informations qui lui sont parvenues en vertu de l'article 2, point 2, de la décision, concernant les décisions prises par l'UER à l'égard des demandes d'adhésion de tiers.

101 Au surplus, le point 83 de la décision montre que la Commission s'est à tort estimée dispensée d'examiner la mise en œuvre par l'UER des règles d'adhésion litigieuses à l'égard des candidatures des nouvelles chaînes de télévision, avant d'octroyer l'exemption. En effet, l'obligation qu'elle s'y est imposée de vérifier, en tant que condition du maintien de l'exemption litigieuse, si les conditions d'adhésion sont appliquées d'une manière adéquate, raisonnable et non discriminatoire aurait dû la conduire à s'estimer également tenue de procéder à une telle vérification avant l'octroi de cette exemption. Une telle démarche s'imposait, d'autant plus que l'attribution de la qualité de membre actif de l'UER a lieu "par décision de l'assemblée générale se prononçant sur proposition du conseil d'administration" (article 3, paragraphe 12, des statuts de l'UER), situation qui place les candidats à l'adhésion à l'UER dans la dépendance des décisions prises à ce sujet par un organe représentant les membres actifs de cette association (voir en ce sens l'arrêt La Cinq/Commission, précité, point 89).

102 Il résulte de ce qui précède que, en n'examinant pas d'abord si les règles d'adhésion avaient un caractère objectif et suffisamment déterminé susceptible d'une application uniforme et non discriminatoire, afin de pouvoir apprécier ensuite si elles étaient indispensables au sens de l'article 85, paragraphe 3, sous a), du traité, la Commission a fondé sa décision sur une interprétation erronée de cette disposition.

103 La première branche du moyen tiré de la violation de celle-ci doit en conséquence être accueillie.

2 La notion de mission particulière d'intérêt public au regard de l'article 85, paragraphe 3, sous a), du traité

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

104 Les requérantes font valoir en substance que la notion de "mission particulière d'intérêt public" qui caractériserait les membres de l'UER, outre qu'elle est discriminatoire, est étrangère à l'analyse relevant de la compétence de la Commission au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. La décision se serait fondée sur une telle notion pour favoriser les entreprises, la plupart publiques, qui sont membres de l'UER, en les soustrayant au champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en violation du principe d'égalité. La Commission n'aurait pas octroyé l'exemption si elle n'avait pas reconnu aux sociétés membres de l'UER, et à elles seules, cette caractéristique commune.

105 Par le biais d'une telle notion, la Commission aurait en outre appliqué erronément en l'espèce l'article 85, paragraphe 3, pour octroyer une dérogation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du traité, alors que les membres de l'UER ne seraient pas des entreprises chargées de la mission particulière de gérer des services d'intérêt économique général au sens de cette dernière disposition.

106 A cet égard, Telecinco soutient qu'une entreprise ne saurait être considérée comme accomplissant une mission particulière d'intérêt public que dans les cas où une autorité publique lui impose juridiquement des missions ou des tâches qu'autrement elle n'assumerait pas volontairement. Les décisions volontairement prises ou les obligations volontairement assumées par les chaînes de télévision à l'égard de leur couverture territoriale, de leur programmation ou de leur production propre ne pourraient donc pas être considérées comme des aspects d'une mission particulière d'intérêt public impartie à ces chaînes. Dans ces conditions, un examen des régimes juridiques nationaux auxquels sont soumises les différentes chaînes de télévision membres de l'UER suffirait pour conclure que l'accomplissement d'une mission particulière d'intérêt public ne saurait être considéré comme une caractéristique commune à tous les membres de l'UER et à eux seuls.

107 Dans ce contexte, il est également fait grief à la décision d'avoir omis d'examiner le financement public privilégié (aides publiques, subventions, autorisations de déficits budgétaires, etc) dont jouiraient la plupart des membres de l'UER. Selon la partie intervenante SIC, si des charges spécifiques sont éventuellement imposées aux membres de l'UER par les pouvoirs publics, des compensations très précises leur sont par ailleurs accordées par ces derniers. Ces compensations constitueraient un élément pertinent du cas d'espèce que la Commission aurait dû examiner avec soin et impartialité.

108 La Commission relève que si les règles de concurrence du traité doivent s'appliquer de la même manière aux entreprises publiques et aux entreprises privées, cela ne signifie toutefois pas qu'elle ne puisse prendre en considération, dans le cadre d'une procédure d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, les particularités du secteur économique dans lequel opèrent les entreprises, publiques ou privées, et les charges et obligations qu'elles supportent, sans préjudice des dispositions spécifiques de l'article 90, paragraphe 2. Plus précisément, elle estime qu'elle peut prendre en considération, au titre de l'article 85, paragraphe 3, dans le cadre d'un secteur concret, la position d'un groupe d'entreprises dans leurs relations entre elles et avec les tiers, sans pour autant violer le principe d'égalité. Une telle prise en considération des particularités d'un secteur économique n'impliquerait toutefois pas que, dans un autre secteur économique, un accord ou une pratique restrictive ayant le même objet doive nécessairement bénéficier d'une exemption.

109 Par ailleurs, la décision ne préjugerait pas la question de savoir si les membres de l'UER peuvent ou non être considérés comme des entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

110 En tout état de cause, la décision ne se fonderait qu'à titre subsidiaire sur la "mission d'intérêt public", expression qui, dans son contexte, ne serait qu'une façon de résumer les conditions prévues par l'article 3, paragraphe 3, des statuts de l'UER pour être membre actif de cette association. En l'espèce, la Commission se serait limitée à apprécier les effets positifs des décisions et accords litigieux et, à titre subsidiaire, à tenir compte, dans le cadre de l'examen de leur caractère indispensable, des obligations auxquelles est subordonnée l'appartenance à l'UER.

111 Enfin, la Commission n'aurait pas procédé à une analyse détaillée du prétendu système de financement privilégié des membres de l'UER dans le contexte de l'article 85, paragraphe 3, parce que le contexte approprié à une telle analyse serait celui des articles 92 et 93 du traité. En toute hypothèse, la preuve du caractère privilégié d'un tel système n'aurait pas été apportée par les requérantes.

112 La partie intervenante RAI rappelle que, en vertu d'une pratique constante de la Commission, approuvée notamment par l'arrêt du 25 octobre 1977, Metro/Commission, précité (point 43), les appréciations auxquelles elle se livre pour l'application de l'article 85, paragraphe 3, tiennent également compte des aspects extraconcurrentiels de la situation, notamment de nature socio-économique. Or, ce serait précisément la protection du pluralisme, mission jugée essentielle dans le cadre de la politique audiovisuelle communautaire, qui rendrait inévitable l'appréciation des différences entre chaînes de télévision poursuivant une mission d'intérêt public et chaînes purement commerciales. En tout état de cause, la décision se fonderait avant tout sur les bénéfices strictement économiques découlant des décisions et des accords exemptés.

113 La partie intervenante RTVE soutient qu'on ne saurait assimiler la notion de "service public" à la notion d'"obligation de service public". Cette dernière notion serait reprise dans la terminologie communautaire dans l'expression "service d'intérêt économique général", tel qu'il figure à l'article 90, paragraphe 2, du traité. Or, la décision ne partirait jamais du principe que tous les membres de l'UER sont des radiodiffuseurs investis d'une mission d'intérêt économique général impliquant leur soumission à des obligations statutaires en vertu d'un acte officiel. Elle constaterait que certains membres de l'UER se trouvent dans cette situation, mais se limiterait à retenir comme élément distinguant les membres de l'UER des chaînes commerciales la volonté que s'imposent eux-mêmes les premiers d'offrir des programmes variés incluant nécessairement les sports moins attrayants, indépendamment du rapport entre leur coût de production et leur rentabilité.

- Appréciation du Tribunal

114 Dans le cadre du pouvoir de contrôle qui est normalement le sien, le Tribunal estime qu'il y a encore lieu d'examiner à titre surabondant, eu égard au fait qu'il vient de constater une violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité justifiant l'annulation de la décision, si la notion de mission particulière d'intérêt public, telle qu'elle a été retenue par la décision, constitue ou non un élément pertinent susceptible d'être pris en considération pour l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, notamment en ce qui concerne la condition prévue sous a). Dans la négative, le Tribunal devra en conclure que la Commission aura commis une erreur de droit en tenant compte d'un tel élément, de nature à fausser son appréciation du caractère indispensable des restrictions de concurrence qu'elle a exemptées (voir les arrêts du Tribunal La Cinq/Commission, précité, point 63, et du 2 mai 1995, NTN Corporation et Koyo Seiko/Conseil, T-163-94 et T-165-94, Rec. p. II-1381, points 113 et 114).

115 A la simple lecture de la décision, il y a lieu de constater que, contrairement à l'affirmation de la Commission, la notion de mission particulière d'intérêt public qu'elle a retenue s'avère un élément fondamental dans la motivation de ladite décision. En effet, selon celle-ci (points 5, 11, 19, 20, 45, 60, 72 et 74), l'accomplissement d'une telle mission particulière d'intérêt public permet l'accès à la qualité de membre actif de l'UER, et les contraintes liées à une telle mission sont de nature à justifier un statut spécial pour l'UER au regard des règles de concurrence. La notion de mission particulière d'intérêt public, telle que définie par la Commission, préside donc à la définition du cercle des bénéficiaires de l'exemption litigieuse.

116 D'après la décision, la mission particulière d'intérêt public est caractérisée en particulier par "l'obligation d'assurer une programmation variée, comprenant des émissions à caractère culturel, éducatif et scientifique ainsi que des émissions destinées à un public minoritaire, et celle de desservir l'ensemble de la population nationale, quel que soit le coût" (point 5). La décision reprend ainsi en substance les éléments de la mission particulière de gestion de services d'intérêt économique général prévue par l'article 90, paragraphe 2, du traité, telle qu'interprétée par le juge communautaire, à savoir, notamment, le "profit de tous les usagers, sur l'ensemble du territoire de l'État membre concerné [...] sans égard aux situations particulières et au degré de rentabilité économique de chaque opération individuelle" (voir l'arrêt de la Cour du 19 mai 1993, Corbeau, C-320-91, Rec. p. I-2533, point 15). Pour admettre que la condition relative à l'article 85, paragraphe 3, sous a), du traité était remplie, la Commission a donc pris en considération des éléments relevant du champ d'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

117 Or, dans la mesure où, selon la décision elle-même (point 78), l'article 90, paragraphe 2, n'est pas applicable, des éléments relevant en substance de cet article ne sauraient constituer en l'espèce, sans autre justification, un critère d'application de l'article 85, paragraphe 3.

118 La Commission peut certes se fonder, dans le cadre d'une appréciation globale, sur des considérations liées à la poursuite de l'intérêt public afin d'octroyer une exemption en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Toutefois, dans le cas d'espèce, elle aurait dû démontrer que de telles considérations exigeaient l'exclusivité des droits de transmission des manifestations sportives, admise par la décision au profit des membres de l'UER, et que cette exclusivité était indispensable pour permettre à ceux-ci d'obtenir un rendement équitable de l'investissement (point 71).

119 Or, dans sa réponse à une question écrite du Tribunal concernant la nécessité d'une telle exclusivité, la Commission, se référant au point 24 de la décision, s'est limitée à affirmer qu'au-dessous d'un certain "seuil", l'acquisition, à des prix très élevés, de droits de télévision sur des manifestations sportives "n'est plus économiquement justifiable", et que "la notion de rendement équitable ne s'exprime pas en un chiffre précis", mais correspond plutôt à un "équilibre financier global des radiodiffuseurs".

120 Il résulte de ces affirmations que la Commission ne s'est pas fondée sur un minimum de données économiques concrètes qu'auraient pu constituer les chiffres des investissements engagés par les membres de l'UER dans leurs contextes nationaux économiquement différents ainsi que les calculs spécifiques établissant un rapport entre ces investissements et les revenus liés à la diffusion des manifestations sportives. Dans ces conditions, la motivation de la Commission à cet égard n'est même pas susceptible d'être contrôlée, dans les limites que la jurisprudence a fixées, par le juge communautaire.

121 En toute hypothèse, la Commission ne serait fondée à prendre en considération, à fin d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, les charges et obligations découlant pour les membres de l'UER d'une mission d'intérêt public que si elle examinait également, avec soin et impartialité, ainsi que l'exige la jurisprudence citée ci-dessus (au point 93 in fine), les autres éléments pertinents du dossier, comme l'éventuelle existence d'un système de compensation financière de ces charges et obligations, sans préjudice des articles 92 et 93 du traité. Or, la Commission a expressément affirmé qu'il n'était pas nécessaire d'examiner le prétendu financement privilégié des membres de l'UER dans le cadre de l'article 85, paragraphe 3, au motif que le seul cadre approprié à cet effet serait celui des articles 92 et 93 du traité.

122 En outre, en exemptant des règles d'adhésion ne se prêtant pas à une application uniforme et non discriminatoire (voir ci-dessus, point 97), la décision n'exclut pas, soit que des radiodiffuseurs investis d'une mission d'intérêt public reconnue par les autorités nationales compétentes soient privés des avantages résultant de l'appartenance à l'UER, soit que d'autres radiodiffuseurs n'ayant pas une telle qualité continuent à en bénéficier.

123 Il s'ensuit que, en admettant en l'espèce comme critère d'octroi d'une exemption des règles de l'article 85, paragraphe 1, du traité le seul accomplissement d'une mission particulière d'intérêt public définie, en substance, par référence à la mission de gestion de services d'intérêt économique général visée par l'article 90, paragraphe 2, du traité, la Commission a fondé son raisonnement sur une interprétation erronée de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Cette erreur de droit est de nature a fausser l'appréciation qu'elle a portée sur le caractère indispensable des restrictions de concurrence qu'elle a exemptées.

124 La seconde branche du moyen tiré de la violation de cette disposition doit donc être accueillie.

125 Il résulte des considérations développées en ce qui concerne les deux branches du moyen examiné que c'est sur la base d'une interprétation erronée de l'article 85, paragraphe 3, du traité que la Commission a conclu que les restrictions de concurrence qu'elle a exemptées, et en particulier celles résultant des règles d'adhésion à l'UER, présentaient un caractère indispensable au sens de cette disposition.

126 Par conséquent, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens invoqués ni de procéder aux mesures d'instruction demandées par les requérantes, il convient d'annuler la décision.

Sur les dépens

127 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

128 La Commission ayant succombé en ses moyens et les parties requérantes ainsi que la SIC, partie intervenante dans l'affaire T-542-93, ayant conclu à ce qu'elle soit condamnée à supporter leurs dépens, il y a lieu de la condamner à ses propres dépens ainsi qu'à ceux exposés par les requérantes et par la SIC.

129 M6 ayant conclu à ce que l'UER soit condamnée à supporter les dépens liés à son intervention dans l'affaire T-528-93, il y a lieu de condamner celle-ci à ses propres dépens ainsi qu'à ceux exposés par M6 dans le cadre de ladite intervention. RTI n'ayant pas conclu à la condamnation de la RAI aux dépens liés à son intervention dans l'affaire T-542-93, cette partie intervenante ne supportera que ses propres dépens. Dans le cadre de son intervention dans l'affaire T-543-93, la RTVE ne supportera que ses propres dépens, conformément aux conclusions en ce sens de Telecinco Enfin, Antena 3 n'ayant pas conclu à ce que la RTVE soit condamnée aux dépens liés à son intervention dans l'affaire T-546-93, cette partie intervenante ne supportera également que ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête :

1) La décision 93-403-CEE de la Commission, du 11 juin 1993, concernant une procédure en application de l'article 85 du traité CEE (IV/32150 - UER/Système de l'Eurovision), est annulée.

2) La Commission supportera ses propres dépens, ceux exposés par les requérantes et ceux exposés par la partie intervenante Sociedade Independente de Comunicaçao SA.

3) Reti Televisive Italiane SpA supportera les dépens qu'elle a exposés dans le cadre de l'intervention de la Radiotelevisione italiana SpA Gestevision Telecinco SA et Antena 3 de Television supporteront les dépens qu'elles ont respectivement exposés dans le cadre des interventions de la Radiotelevision espanola.

4) La partie intervenante Union européenne de radio-télévision supportera ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la requérante Métropole télévision SA dans le cadre de son intervention. Les parties intervenantes Radiotelevisione italiana SpA et Radiotelevision espanola supporteront leurs propres dépens.