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Décisions

CJCE, 24 octobre 1995, n° C-70/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bayerische Motorenwerke (AG)

Défendeur :

Ald Auto-Leasing D (GmbH)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodriguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, Edward, Hirsch

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Mancini, Schockweiler (rapporteur), Moitinho de Almeida, Kapteyn, Jann, Ragnemalm, Sevon

Avocat :

Me Mailänder.

CJCE n° C-70/93

24 octobre 1995

LA COUR,

1 Par ordonnance du 19 janvier 1993, parvenue à la Cour le 15 mars suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE et du règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L 15, p. 16, ci-après le " règlement n° 123-85 ").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Bayerische Motorenwerke AG (ci-après " BMW ") à ALD Auto-Leasing D GmbH (ci-après " ALD ") au sujet d'une circulaire adressée par le constructeur automobile BMW à ses distributeurs sous contrat en Allemagne, par laquelle il leur demande de ne pas livrer à des sociétés de leasing mettant des véhicules à la disposition de clients dont le domicile ou le siège social est situé en dehors du territoire contractuel du distributeur concerné.

3 ALD est une société de leasing indépendante des constructeurs automobiles. Elle propose, entre autres, la location en leasing de véhicules de la marque BMW qu'elle achète auprès des distributeurs ou des succursales de la société mère BMW qui lui offrent les meilleures conditions de prix. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que les contrats proposés par ALD ne comportent pas d'option d'achat.

4 Le constructeur BMW vend ses véhicules en Allemagne par l'intermédiaire, d'une part, de succursales et, d'autre part, de distributeurs sélectionnés. Ses ventes sont organisées de la même manière à l'étranger, notamment dans les Etats membres de la Communauté. Aux termes du point 2.4 du contrat conclu par BMW avec ses distributeurs, il est interdit à ceux-ci de " se servir d'un intermédiaire en dehors du territoire convenu eu égard au produit contractuel ".

5 BMW déploie également ses activités dans le domaine du leasing automobile dans la mesure où ce groupe comprend BMW-Leasing GmbH, dont les prestations sont par ailleurs offertes par les distributeurs BMW.

6 L'apparition de sociétés de leasing indépendantes, non soumises de ce fait aux obligations contractuelles auxquelles sont assujettis les membres du réseau BMW (notamment, celle de limiter leur activité à un territoire déterminé), a provoqué, selon BMW, un déséquilibre de son organisation commerciale. En effet, ces sociétés indépendantes concentrent leurs achats auprès de certains distributeurs BMW et donnent les véhicules en leasing à des clients établis en dehors du territoire contractuel de ces distributeurs. Les clients s'adressent ensuite, pour les prestations gratuites d'entretien et de service à la clientèle, au distributeur BMW du territoire contractuel sur lequel ils sont établis. Ces distributeurs, n'étant pas intervenus dans la transaction de vente initiale, ne dégagent ainsi aucune marge bénéficiaire. Aussi se sont-ils plaints auprès de BMW de l'activité perturbatrice pour le réseau des sociétés de leasing indépendantes.

7 A la suite de ces plaintes, BMW a adressé, le 12 février 1988, à l'ensemble de ses distributeurs en Allemagne une circulaire intitulée " Livraison des sociétés de leasing externes ", qui dispose notamment :

" ... il est interdit de traiter avec des souscripteurs d'un contrat de leasing qui ont leur siège en dehors du territoire contractuel et ont été ou sont prospectés par la société externe. Dans ces cas, la société de leasing externe assume en pratique une fonction d'intermédiaire. Or cette fonction dans le cadre de relations commerciales permanentes en dehors du territoire convenu constitue une atteinte au point 2.4 du contrat passé par BMW avec ses revendeurs. Il n'en va autrement que si la demande concernant le véhicule émane du client/preneur en leasing, c'est-à-dire lorsque votre entreprise entretient des relations commerciales avec un client qui tient lui-même à faire intervenir une société de leasing externe. Dans ce cas, la demande n'est pas provoquée par l'intermédiaire, la société de leasing ne faisant qu'exécuter le contrat de leasing concret.

Des relations commerciales analogues dans le cadre du territoire convenu ne posent par contre aucun problème.

Il en résulte pour le déroulement de vos activités commerciales les conséquences suivantes :

1. Sur la base du contrat conclu, il vous incombe en principe de vous assurer, lors de la conclusion de contrats avec des sociétés de leasing externes, du lieu du domicile ou du siège de chaque client. S'il est situé en dehors du territoire convenu, il y a en principe lieu de renvoyer la société au membre légalement compétent de l'organisation commerciale.

...

3. Toute atteinte de ce type au contrat conclu nous autorise à le résilier conformément au point 11.5, après en avoir averti la personne concernée.

... "

8 ALD a considéré que cette circulaire portait atteinte tant au droit de la concurrence allemand qu'à l'article 85 du traité CEE. Elle a donc saisi le Landgericht Frankfurt am Main afin que celui-ci enjoigne à BMW de cesser son comportement anti-concurrentiel. Sur le fondement du droit national, le Landgericht a fait droit à l'action en cessation d'ALD, estimant que l'invitation à ne pas livrer, dans certaines conditions, aux sociétés de leasing indépendantes constituait un appel au boycott de ces sociétés, émis en vue de leur nuire de manière non équitable, qui était contraire au droit de la concurrence allemand.

9 BMW a, sans succès, interjeté appel de cette décision devant l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main.

10 BMW a donc formé un pourvoi en " Révision " devant le Bundesgerichtshof qui a confirmé en partie les décisions des juridictions inférieures. Selon le Bundesgerichtshof, la circulaire contient, en effet, une invitation à un refus de vente qui dépasse le cadre des obligations contractuelles des distributeurs et concerne principalement ALD qui est la plus importante société de leasing indépendante en Allemagne. Le Bundesgerichtshof a cependant refusé de considérer que cette circulaire constituait pour autant un appel au boycott réprimé par le droit allemand, qui suppose que soit prouvée la volonté de nuire de manière inéquitable aux sociétés de leasing indépendantes. D'après lui, cette volonté n'existe pas dès lors que le comportement de BMW demeure dans les limites des pratiques anti-concurrentielles autorisées par le droit communautaire dans le cadre d'un système de distribution sélective. Ainsi, de l'avis du Bundesgerichtshof, la compatibilité de la circulaire avec le droit communautaire et notamment avec le règlement n° 123-85 peut remettre en cause la condamnation de ladite circulaire au regard du droit national.

11 BMW estime que, d'une part, l'invitation à ne pas livrer est couverte par le règlement communautaire d'exemption et que, d'autre part, l'exemption accordée par le droit communautaire fait obstacle à l'application par la juridiction nationale de la réglementation allemande plus stricte en matière de concurrence.

12 Cependant, en l'absence d'une exemption explicite, dans le règlement n° 123-85, d'engagements tels que celui imposé aux distributeurs BMW par la circulaire, le Bundesgerichtshof doute que ce règlement puisse justifier le comportement de BMW.

13 Sur la base de ces considérations, il a décidé de surseoir à statuer et a invité la Cour à se prononcer à titre préjudiciel sur les questions suivantes :

" 1) Est-il contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE - compte tenu également du règlement (CEE) n° 123-85 - qu'un constructeur automobile, qui vend ses véhicules par l'intermédiaire d'un système de distribution obligatoire sélectif, convienne avec ses distributeurs sous contrat que les sociétés de leasing indépendantes ne doivent pas être livrées lorsqu'elles mettent les véhicules à la disposition de clients souscrivant un contrat de leasing dont le domicile ou le siège social se situe en dehors du territoire contractuel du distributeur concerné, ou qu'un constructeur automobile invite lesdits distributeurs à adopter un tel comportement ?

2) En cas de réponse négative à la question 1 : le règlement (CEE) n° 123-85 s'oppose-t-il à ce qu'une juridiction nationale interdise à un constructeur automobile d'adresser à ses distributeurs une invitation de la teneur exposée dans la question 1, au motif que cette invitation constitue selon les dispositions nationales en matière de restrictions à la concurrence une invitation illégale à refuser la livraison ? "

Sur la première question préjudicielle

14 Par la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche en premier lieu à savoir si l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il empêche un constructeur automobile qui vend ses véhicules par l'intermédiaire d'un système de distribution sélective de convenir avec ses distributeurs sous contrat qu'ils ne livrent pas de véhicules aux sociétés de leasing indépendantes lorsque, sans concéder d'option d'achat, elles les mettent à la disposition de preneurs en leasing dont le domicile ou le siège social se situe en dehors du territoire contractuel du distributeur concerné, ou d'inviter lesdits distributeurs à adopter un tel comportement. Le cas échéant, elle se demande en second lieu si le règlement n° 123-85 doit être interprété en ce sens qu'il exempte un tel accord.

Sur l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité

15 En vertu d'une jurisprudence constante, établie par les arrêts du 30 juin 1966, société technique minière (LTM) (56-65, Rec. p. 337), et du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56-64 et 58-64, Rec. p. 429), les accords entre opérateurs situés à des stades différents du processus économique, encore appelés accords verticaux, peuvent constituer des accords au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et tomber sous le coup de l'interdiction édictée par cette disposition.

16 En outre, dans l'arrêt du 17 septembre 1985, Ford/Commission (25-84 et 26-84, Rec. p. 2725, point 21), la Cour a considéré qu'une invitation adressée par un constructeur automobile à ses distributeurs sous contrat constitue non pas un acte unilatéral qui échapperait au champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, mais un accord au sens de cette disposition, lorsqu'elle s'insère dans un ensemble de relations commerciales continues régies par un accord général préétabli.

17 Il ressort du dossier que, en l'espèce, l'invitation à ne pas livrer les sociétés de leasing indépendantes, contenue dans la circulaire du 12 février 1988, entre dans le cadre des relations contractuelles entre BMW et ses distributeurs. La circulaire renvoie d'ailleurs expressément et à maintes reprises au contrat de concession. L'invitation qu'elle contient s'insère en conséquence dans un ensemble de relations commerciales continues régies par un accord général préétabli.

18 Cette invitation doit par conséquent être considérée comme un accord au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Pour déterminer si cet accord est prohibé par cette disposition, il y a lieu d'examiner si l'interdiction de livrer qui en résulte a pour objet ou pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence à l'intérieur du Marché commun et si elle est susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres.

19 S'agissant de la condition relative à la restriction de la concurrence, il convient de relever que, en vertu de l'accord en cause, les distributeurs BMW ne peuvent livrer des véhicules de la marque BMW à des sociétés de leasing indépendantes que lorsque les véhicules sont mis à la disposition de preneurs en leasing ayant leur siège à l'intérieur du territoire contractuel du distributeur concerné. En conséquence, d'une part, seul le distributeur sur le territoire duquel le preneur en leasing a son siège est habilité par le constructeur à livrer à ALD des véhicules de la marque BMW, à l'exclusion de tous les autres distributeurs sous contrat de BMW. Il convient d'observer que cela équivaut à une protection territoriale absolue pour le distributeur BMW sur le territoire duquel le client d'ALD est établi. D'autre part, l'accord réduit la liberté d'action commerciale de chaque distributeur dans la mesure où il restreint, pour chacun, le choix de ses clients aux seules sociétés de leasing qui ont conclu des contrats avec des preneurs en leasing établis à l'intérieur de son territoire contractuel.

20 S'agissant de l'affectation du commerce intra-communautaire, il y a lieu de relever que l'accord en cause, dès lors qu'il concerne des produits, tels les véhicules de la marque BMW, qui font l'objet d'importants échanges internationaux, est susceptible à un double titre d'affecter le commerce entre Etats membres. D'abord, cet accord lie l'ensemble des distributeurs BMW dans une partie substantielle du Marché commun (l'Allemagne) et contribue, ce faisant, au cloisonnement du marché allemand. Comme la Cour l'a jugé à plusieurs reprises, des pratiques restrictives de la concurrence, qui s'étendent à l'ensemble du territoire d'un Etat membre, ont, par leur nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité(voir arrêt du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. p. 2545, point 22). Ensuite, l'accord en cause a pour effet de restreindre la possibilité, pour les sociétés de leasing étrangères, d'acheter des véhicules de la marque BMW en Allemagne. En effet, ces sociétés seraient d'une certaine manière frappées par une interdiction d'exportation puisque les distributeurs BMW allemands ne peuvent leur livrer des véhicules que dans les cas où le preneur en leasing a son siège sur le territoire contractuel du distributeur concerné.

21 Au vu des considérations qui précèdent, il apparaît que l'accord en cause a pour objet et pour effet de restreindre de manière sensible le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun et est susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres.

22 Il y a dès lors lieu de répondre à la première partie de la première question préjudicielle que l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il empêche un constructeur automobile qui vend ses véhicules par l'intermédiaire d'un système de distribution sélective de convenir avec ses distributeurs sous contrat qu'ils ne livrent pas de véhicules aux sociétés de leasing indépendantes lorsque, sans concéder d'option d'achat, elles les mettent à la disposition de preneurs en leasing dont le domicile ou le siège social se situe en dehors du territoire contractuel du distributeur concerné, ou d'inviter lesdits distributeurs à adopter un tel comportement.

Sur le règlement n° 123-85

23 En second lieu, la juridiction nationale demande en substance si un tel accord est exempté par le règlement n° 123-85.

24 Le règlement n° 123-85 exempte de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité les accords par lesquels le fournisseur charge le revendeur (autorisé) de promouvoir la distribution des produits contractuels sur un territoire déterminé et s'engage à lui réserver, dans le cadre de ce territoire, la livraison des véhicules automobiles et de leurs pièces de rechange (article 1er). Il exempte également l'obligation imposée aux distributeurs de ne pas vendre des véhicules automobiles de marques concurrentes (article 3, point 3) et de ne pas vendre les produits contractuels à des vendeurs qui n'appartiennent pas au réseau de distribution (article 3, point 10), à moins qu'il ne s'agisse d'intermédiaires, c'est-à-dire d'opérateurs qui agissent au nom et pour le compte de consommateurs finaux et qui reçoivent, à cette fin, un mandat écrit (article 3, point 11).

25 En revanche, aucune des dispositions du règlement ne régit explicitement le leasing. Seul l'article 13, qui définit les termes utilisés dans le règlement, prévoit au point 12 que " " distribuer " et " vendre " " incluent d'autres formes de commercialisation telles que le crédit-bail (leasing) ".

26 Combinant cette disposition avec l'article 3, point 10, sous a), du règlement, qui permet au constructeur d'interdire à ses distributeurs de livrer des produits contractuels à un revendeur n'appartenant pas au réseau de concession, BMW assimile en premier lieu les sociétés de leasing indépendantes à des revendeurs ne faisant pas partie de son réseau de distribution. Il serait dès lors licite d'interdire aux distributeurs d'approvisionner des sociétés de leasing indépendantes. Par conséquent, l'interdiction de livrer résultant de l'accord serait couverte par le règlement n° 123-85.

27 Cet argument ne saurait être retenu.

28 Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que, compte tenu du principe général d'interdiction des ententes anticoncurrentielles édicté à l'article 85, paragraphe 1, du traité, les dispositions à caractère dérogatoire insérées dans un règlement d'exemption par catégorie ne sauraient faire l'objet d'une interprétation extensive et ne peuvent être interprétées de façon à étendre les effets du règlement au-delà de ce qui est nécessaire à la protection des intérêts qu'elles visent à garantir.

29 Ensuite, les sociétés de leasing qui n'offrent pas d'option d'achat ne peuvent être considérées comme des revendeurs de véhicules neufs, seuls visés par le règlement n° 123-85, tant qu'elles se bornent à acheter des véhicules pour satisfaire les demandes de leurs clients et ne constituent pas des stocks qu'elles offrent à une clientèle attirée à cet effet.

30 Enfin, comme l'a souligné à juste titre la Commission, la définition figurant à l'article 13, point 12, concerne uniquement les rapports entre le constructeur et le distributeur. Cette disposition vise en effet à empêcher le distributeur de contourner certaines de ses obligations contractuelles en recourant au leasing. Ainsi, l'article 13, point 12, a pour but d'éviter que le distributeur élude son obligation de ne pas vendre des véhicules d'une autre marque (article 3, point 3, du règlement) en donnant en leasing des véhicules d'une marque concurrente. De même, il garantit le respect de son obligation de ne pas prospecter activement en dehors du territoire qui lui a été imparti (article 3, point 8, du règlement), en l'empêchant de pratiquer le leasing de produits contractuels en dehors de sa zone. Dès lors, l'article 13, point 12, est dénué de pertinence pour apprécier si les sociétés de leasing indépendantes sont des revendeurs extérieurs au système de distribution au sens de l'article 3, point 10, sous a), du règlement.

31 L'exemption prévue à l'article 3, point 10, sous a), du règlement ne couvre donc pas l'invitation de BMW à ne pas livrer des sociétés de leasing indépendantes telles qu'ALD.

32 BMW soutient en second lieu que cette invitation est également couverte par l'article 3, points 8 et 9, du règlement.

33 Cette disposition permet au constructeur d'interdire à ses distributeurs, d'une part, d'entretenir, en dehors de leur territoire contractuel, des dépôts pour la distribution des produits contractuels et d'y prospecter la clientèle et, d'autre part, de confier à des tiers la distribution de produits contractuels en dehors du territoire convenu.

34 A cet égard, il convient d'observer d'abord que la livraison de véhicules de la marque BMW par des distributeurs du réseau à des sociétés de leasing indépendantes dont les clients potentiels seraient situés en dehors de leur territoire contractuel ne constitue pas l'entretien d'un dépôt en vue de la distribution de produits contractuels hors du territoire convenu. Ensuite, les sociétés de leasing indépendantes ne constituent pas des tiers auxquels les distributeurs pourraient confier la distribution de véhicules de la marque BMW en dehors du territoire convenu. En effet, ces sociétés indépendantes du réseau BMW n'interviennent pas pour le compte d'un distributeur en dehors de son territoire convenu mais exercent leur activité en leur nom propre et pour leur propre compte en sorte qu'elles sont à considérer comme des utilisateurs finaux.

35 L'article 3, points 8 et 9, du règlement ne couvre pas, par conséquent, l'invitation à ne pas livrer adressée par BMW à ses distributeurs.

36 Il y a lieu de relever encore que, s'agissant des restrictions territoriales imposées par le constructeur aux distributeurs, le règlement n° 123-85 dispose expressément, à son neuvième considérant :

" Les restrictions imposées aux activités du distributeur en dehors du territoire convenu l'amènent à mieux assurer la distribution et le service dans un territoire convenu et contrôlable, à connaître le marché d'une manière plus proche de l'optique de l'utilisateur et à orienter son offre en fonction des besoins (article 3, points 8 et 9). La demande de produits contractuels doit toutefois pouvoir rester mobile et non régionalisée. Les distributeurs doivent pouvoir satisfaire non seulement la demande de ces produits dans le territoire convenu, mais aussi celle émanant de personnes et d'entreprises sises dans d'autres territoires du Marché commun ".

37 Il apparaît ainsi que, bien que le règlement n° 123-85 offre aux constructeurs d'importants moyens de protection de leurs réseaux, il ne les autorise cependant pas à cloisonner leurs marchés. En l'espèce, l'invitation contenue dans la circulaire a pour objet et pour effet de cantonner la distribution de véhicules de la marque BMW par les distributeurs allemands du réseau aux limites de leur territoire contractuel et de répercuter cette interdiction sur les clients de ces distributeurs qui déploient une activité de leasing en dehors du réseau de BMW. Elle n'est donc pas susceptible d'une exemption accordée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité par le règlement n° 123-85.

38 En conséquence, il convient de répondre à la seconde partie de la première question préjudicielle que le règlement n° 123-85 doit être interprété en ce sens qu'il n'exempte pas un tel accord.

Sur la seconde question préjudicielle

39 La seconde question se posant uniquement dans l'hypothèse où l'accord en cause est exempté de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité par le règlement n° 123-85, il n'y a pas lieu d'y répondre.

Sur les dépens

40 Les frais exposés par les gouvernements allemand, français et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 19 janvier 1993, dit pour droit : L'article 85, paragraphe 1, du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il empêche un constructeur automobile qui vend ses véhicules par l'intermédiaire d'un système de distribution sélective de convenir avec ses distributeurs sous contrat qu'ils ne livrent pas de véhicules aux sociétés de leasing indépendantes lorsque, sans concéder d'option d'achat, elles les mettent à la disposition de preneurs en leasing dont le domicile ou le siège social se situe en dehors du territoire contractuel du distributeur concerné, ou d'inviter lesdits distributeurs à adopter un tel comportement. Le règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles doit être interprété en ce sens qu'il n'exempte pas un tel accord.