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Décisions

CJCE, 6e ch., 19 octobre 1995, n° C-19/93 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rendo (NV)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Kakouris

Avocat général :

M. Tesauro.

Juges :

MM. Schockweiler (rapporteur), Kapteyn, Murray, Ragnemalm

CJCE n° C-19/93 P

19 octobre 1995

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 janvier 1993, Rendo NV, Centraal Overijsselse Nutsbedrijven NV et Regionaal Energiebedrijf Salland NV (ci-après "Rendo e.a.") ont, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du 18 novembre 1992, Rendo e.a./Commission (T-16-91, Rec. p. II-2417, ci-après l'"arrêt entrepris") par lequel le tribunal de première instance a rejeté leur recours tendant à l'annulation de la décision 91-50-CEE de la Commission, du 16 janvier 1991, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE [IV-32.732-IJsselcentrale (IJC) et autres, JO L 28, p. 32, ci-après la "décision attaquée"].

2. Il ressort des constatations faites par le tribunal dans l'arrêt entrepris (points 2 à 23) que :

"1. Les entreprises concernées

- Les requérantes sont des sociétés locales de distribution d'électricité aux Pays-Bas. Elles sont approvisionnées en électricité par une entreprise de distribution régionale, dénommée IJsselcentrale (ou IJsselmij, ci-après 'IJC').

- En mai 1988, les requérantes (ou leurs prédécesseurs en droit) ont saisi la Commission d'une plainte au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après 'règlement n° 17'), dirigée, entre autres, contre IJC et la NV Samenwerkende Elektriciteitsproduktiebedrijven (ci-après 'SEP'), partie intervenante dans la présente procédure. Elles alléguaient différentes infractions aux articles 85 et 86 du traité commises par la SEP et les sociétés productrices d'électricité aux Pays-Bas.

- La SEP est une société qui a été créée en 1949 par les entreprises de production d'électricité aux Pays-Bas en vue de structurer leur coopération. Parmi ses tâches statutaires figurent notamment la gestion du réseau de haute tension et la conclusion d'accords avec des entreprises d'électricité étrangères, concernant l'importation et l'exportation d'électricité ainsi que l'utilisation des liaisons internationales du réseau d'interconnexion.

- A la suite de la plainte des requérantes, la Commission a adopté la décision attaquée, qui concerne un accord de coopération (Overeenkomst van Samenwerking, ci-après 'OVS') conclu entre les sociétés de production d'électricité, d'une part, et la SEP, d'autre part.

2) L'accord OVS

- L'accord OVS a été conclu le 22 mai 1986 entre la SEP et ses actionnaires (les prédécesseurs en droit des quatre producteurs d'électricité existant actuellement aux Pays-Bas). L'accord n'a pas été notifié à la Commission.

- L'article 21 de cet accord réserve à la seule SEP l'importation et l'exportation d'électricité et impose à ses participants de stipuler, dans les contrats de fourniture qu'ils passent avec les entreprises distributrices d'énergie électrique, que ces dernières s'abstiendront de se livrer à l'importation ou à l'exportation d'électricité. C'est cette disposition qui fait l'objet de la décision attaquée et du présent litige.

3) Le cadre législatif national

- Dans les motifs de la décision attaquée, la Commission relève que la législation néerlandaise en vigueur à l'époque à laquelle l'OVS a été conclu n'interdisait pas aux entreprises autres que les fournisseurs d'importer elles-mêmes de l'électricité, mais subordonnait une telle importation à une autorisation qui était, en principe, accessible à tout intéressé. La décision attaquée ne contient pas d'indication quant à une éventuelle réglementation des exportations d'électricité.

- Le 8 décembre 1989 sont entrées en vigueur la plupart des dispositions d'une nouvelle loi néerlandaise sur l'électricité (Elektriciteitswet 1989). Selon l'article 2 de cette loi, les concessionnaires (c'est-à-dire les quatre entreprises productrices d'électricité) et la 'société désignée' (c'est-à-dire une société désignée par le ministre des Affaires économiques, conformément à l'article 8 de la loi, pour remplir certaines fonctions définies par la loi) ont pour tâche d'assurer conjointement le fonctionnement fiable et efficace de l'approvisionnement public national en électricité. Par décret ministériel du 20 mars 1990, la SEP a été désignée à cet effet.

- L'article 34 de la loi sur l'électricité, entré en vigueur le 1er juillet 1990, dispose que la 'société désignée' est la seule à pouvoir importer de l'énergie électrique destinée à la distribution publique (à l'exception de l'électricité fournie avec une tension inférieure à 500 V). La loi interdit donc aux sociétés de distribution d'importer de l'électricité destinée à la distribution publique. Selon la décision attaquée, il découle, en revanche, dudit article 34 que certains consommateurs finaux peuvent importer de l'énergie électrique pour leur propre consommation et qu'ils n'ont plus besoin d'autorisation à cet effet. Il ressort de l'article 47 que les entreprises qui exploitent des lignes d'électricité doivent mettre celles-ci à la disposition de quiconque en fait la demande pour transporter l'électricité ainsi importée.

- La loi sur l'électricité de 1989 ne réglemente pas l'exportation d'électricité. La Commission en a déduit, conformément aux indications fournies par le gouvernement néerlandais, que celle-ci est libre tant pour les distributeurs que pour les consommateurs finaux. Toutefois, à la différence de ce qui se passe pour l'importation, la loi ne prévoit pas d'obligation de transport à cet égard.

4) La procédure administrative

- La plainte déposée en mai 1988 par les requérantes trouve son origine dans des procédures civiles engagées en raison de l'application, par IJC, d'une interdiction d'importation et d'exportation combinée à une obligation d'achat exclusif, ainsi que de l'imposition d'une taxe, dénommée supplément de péréquation des coûts (egalisatiekostentoeslag). Elle était dirigée contre les trois éléments suivants :

1) l'interdiction explicite d'importation figurant tant dans la convention générale SEP de 1971 (article 2) que dans l'accord de coopération ('OVS') de 1986 (article 21) ;

2) l'obligation d'achat exclusif découlant des accords passés par les plaignantes avec IJC, obligation qui découle, selon les plaignantes, notamment des stipulations de l'OVS en la matière ;

3) le droit d'IJC de fixer les prix unilatéralement et le supplément de péréquation imposé unilatéralement aux plaignantes.

- Par lettre du 14 juin 1989, signée par un chef de division à la direction générale de la concurrence (ci-après 'DG IV'), la Commission a informé les requérantes qu'elle avait adressé, le 8 juin 1989, une communication des griefs à la SEP et aux autres parties à l'OVS. La lettre précisait que cette procédure n'avait pas pour objet le supplément de péréquation, au motif que cette charge n'affectait pas de manière significative le commerce entre Etats membres.

5) La décision attaquée

- La décision attaquée a pour objet l'article 21 de l'OVS, dans la mesure où il se rapporte, ou est appliqué par la SEP, aux importations faites par des consommateurs privés et où cette disposition a pour effet, par le contrôle exercé par la SEP sur les réseaux d'interconnexion, d'entraver les importations et les exportations faites par ces consommateurs ainsi que les exportations faites par les distributeurs (point 20, dernier alinéa). Elle a donc trait aux deux premiers griefs soulevés par les requérantes dans leur plainte. En revanche, la décision ne concerne pas le troisième grief invoqué dans la plainte, à savoir le supplément de péréquation imposé par IJC (point 1, avant-dernier alinéa).

- Par la décision attaquée, la Commission constate, en premier lieu, que l'OVS est un accord entre entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et que l'interdiction d'importation et d'exportation d'énergie électrique effectuées par des entreprises autres que la SEP constitue une restriction de la concurrence.

- Pour ce qui est, en deuxième lieu, de l'incidence de la loi sur l'électricité de 1989 sur l'accord OVS, la Commission relève que la SEP considère que la nouvelle loi n'a en rien modifié la portée de l'article 21 de l'OVS. Quant aux importations d'électricité, elle fait observer que, si la loi interdit qu'elles soient effectuées par d'autres que par la SEP lorsqu'elles sont destinées à la distribution publique, elles sont, en revanche, libres lorsqu'elles sont effectuées par des consommateurs finaux pour leur propre consommation. Elle en déduit que l'article 21 de l'accord OVS est appliqué, dans ce domaine, d'une manière qui outrepasse la loi. Quant aux exportations, la Commission relève que le gouvernement néerlandais a fait savoir qu'elles sont totalement libres, aussi bien pour les sociétés de distribution que pour les consommateurs privés, et que ce régime s'applique tant pour l'électricité fournie par le réseau public que pour celle produite par les consommateurs eux-mêmes. A la différence du régime prévu pour les importations, dans la limite où celles-ci sont admissibles, la loi sur l'électricité n'édicte pas d'obligation de transport pour les exportations. L'exportateur potentiel, souligne la Commission, doit donc s'entendre avec la SEP au sujet de l'utilisation du réseau de haute tension à cet effet, et le rôle joué par la SEP à cet égard dépend de la façon dont elle applique l'article 21 de l'OVS. La Commission déduit de cet ensemble de constatations que le maintien de l'article 21 de l'OVS, en liaison avec le régime instauré par la nouvelle loi, constitue toujours une infraction à l'article 85.

- En troisième lieu, la Commission examine la question de savoir si l'article 90, paragraphe 2, du traité s'oppose, en l'espèce, à l'application de l'article 85, paragraphe 1.

- Elle constate à ce sujet que tant la SEP que les sociétés de production qui en font partie sont des entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général. S'agissant des importations et exportations effectuées par les consommateurs finaux privés, elle considère néanmoins que l'application de l'article 85 à l'OVS ne ferait pas échec à l'accomplissement de la mission impartie à ces entreprises. Elle estime que le contrôle absolu sur les importations et exportations dont la SEP dispose en vertu de l'article 21 de l'OVS n'est pas indispensable pour l'accomplissement de sa mission en général.

- Pour ce qui est, en revanche, des importations destinées à la distribution publique, la Commission constate que l'interdiction faite aux sociétés de production et de distribution d'importer sans passer par la SEP est à présent fixée à l'article 34 de la loi sur l'électricité de 1989.

- Elle en tire la conséquence suivante :

"Dans le cadre de la présente procédure engagée conformément au règlement n° 17, la Commission s'abstiendra de se prononcer sur la question de savoir si cette restriction à l'importation se justifie au regard de l'article 90, paragraphe 2, du traité, car ce faisant elle préjugerait la question de la compatibilité de la nouvelle loi avec le traité CEE, ce qui n'est pas l'objet de la présente procédure" (point 50 de la décision).

- Pour la même raison, la Commission déclare qu'elle ne peut pas se prononcer sur l'interdiction d'exporter faite aux sociétés de production dans le domaine de l'approvisionnement public. Une interdiction d'exporter faite aux sociétés de production dans le domaine de l'approvisionnement public peut être déduite de l'obligation de livraison qui leur est imposée par l'article 11 de la loi sur l'électricité de 1989. Cette disposition oblige les producteurs à ne livrer leur électricité qu'à la SEP et à ne livrer l'électricité qui leur est livrée par la SEP qu'aux entreprises de distribution (point 51, premier alinéa, de la décision).

- Enfin, quant à l'interdiction d'exporter faite aux sociétés de distribution par l'article 21 de l'OVS, aussi bien en dehors que dans le domaine de l'approvisionnement public, la Commission la considère comme contraire à l'économie de la nouvelle loi, qui libère précisément les exportations, et estime qu'il est donc douteux que les parties à l'OVS puissent la maintenir et continuer à l'appliquer. Dans l'hypothèse où cette interdiction serait néanmoins maintenue, la Commission estime qu'elle ne saurait être justifiée par l'article 90, paragraphe 2 (points 51, deuxième et troisième alinéas, et 52 de la décision).

- Ayant constaté qu'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, n'est pas envisageable, la Commission a arrêté la décision attaquée, dont le dispositif prévoit notamment :

"Article premier

L'article 21 de l'accord de collaboration passé le 22 mai 1986 entre les prédécesseurs en droit des quatre sociétés actuelles de production d'électricité, d'une part, et NV Samenwerkende Elektriciteitsproduktiebedrijven, d'autre part, et tel qu'appliqué en liaison avec le contrôle de fait et l'influence de fait exercés sur les livraisons internationales d'électricité, constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, dans la mesure où ledit article 21 a pour objet ou pour effet d'entraver les importations effectuées par des consommateurs industriels privés et les exportations de la production en dehors du domaine de l'approvisionnement public effectuées par des sociétés de distribution et des consommateurs industriels privés, et notamment des autoproducteurs.

Article 2

Les sociétés visées à l'article 3 prennent toute mesure utile pour mettre fin à l'infraction définie à l'article 1er. A cet effet, elles soumettent à la Commission, dans un délai de trois mois suivant la notification de la présente décision, des propositions visant à mettre fin à l'infraction.

Aux termes de l'article 3 de la décision, la SEP et les quatre producteurs d'électricité établis aux Pays-Bas sont les destinataires de la décision, qui a en outre été communiquée aux requérantes."

3. Il résulte de l'arrêt entrepris (point 30) que Rendo e.a. ont conclu à ce qu'il plaise au tribunal :

- "annuler la décision de la Commission du 16 janvier 1991, uniquement dans la mesure où la Commission ne s'est pas prononcée sur l'application de l'article 21 de l'OVS aux importations et aux exportations effectuées par des sociétés de distribution, parmi lesquelles les requérantes, dans le domaine de l'approvisionnement public ;

- ordonner à la Commission, d'une part, de déclarer encore à ce stade, par voie de décision, conformément à l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, que l'article 21 de l'accord visé à l'article 1er de la décision attaquée, tel qu'appliqué en liaison avec le contrôle de fait et l'influence de fait exercés sur les livraisons internationales d'électricité, constitue aussi une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où ledit article 21 a pour objet ou pour effet d'entraver les importations et les exportations effectuées par des sociétés de distribution dans le domaine de l'approvisionnement public, et, d'autre part, d'obliger les sociétés énumérées à l'article 3 de la décision à mettre fin aux infractions constatées ;

- à tout le moins, prendre toutes mesures qu'il jugera utiles pour une bonne administration de la justice ;

- condamner la Commission aux dépens".

4. La Commission a conclu au rejet du recours et à la condamnation solidaire des requérantes aux dépens.

5. Le tribunal a examiné successivement la recevabilité et le bien-fondé du premier chef de conclusion en distinguant entre la période antérieure et celle postérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité.

6. En ce qui concerne la recevabilité, le tribunal a relevé dans l'arrêt entrepris (points 57 à 62) que

- "Le recours est donc recevable pour autant qu'il vise l'annulation de la décision de la Commission de s'abstenir de se prononcer, pour la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité, sur les restrictions à l'importation découlant, pour les entreprises distributrices, de l'article 21 de l'OVS.

- S'agissant de la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi, la décision attaquée ne contient aucune indication sur la suite que la Commission entend réserver à la plainte, dans la mesure où celle-ci vise les restrictions à l'importation découlant du seul article 21 de l'OVS. Elle ne se prononce ni sur un rejet définitif des griefs y relatifs ni sur un renvoi quelconque de l'examen de ces restrictions dans le cadre d'une autre procédure.

- Par ailleurs, la décision attaquée, si elle a été adoptée à la suite de la plainte des requérantes, n'a que partiellement le même objet que celle-ci. D'une part, la Commission a pris en considération des griefs non soulevés par les requérantes et, d'autre part, elle n'a traité qu'une partie des griefs effectivement avancés. Ainsi, ni la charge d'égalisation ni les reproches tirés d'une violation de l'article 86 du traité ne font l'objet d'un examen en droit dans la décision.

- Dans ces circonstances, la décision attaquée ne saurait être interprétée comme une réponse à des éléments de la plainte qui ne sont mentionnés ni dans les motifs ni dans le dispositif de la décision, tels qu'ils ont été approuvés par le collège de la Commission.

- Par conséquent, le tribunal constate que la décision attaquée ne se prononce nullement sur les restrictions à l'importation applicables durant la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité. Elle n'a donc pas produit d'effets juridiques à cet égard et, dans cette mesure, une décision de la Commission fait défaut.

- Par conséquent, le recours doit être rejeté comme irrecevable pour autant qu'il vise l'annulation d'une prétendue décision de la Commission de s'abstenir de statuer sur les restrictions à l'importation applicables durant cette période."

7. En ce qui concerne le bien-fondé du refus de la Commission de statuer sur l'interdiction d'importer de l'électricité pendant la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité, le tribunal a jugé (points 98, 99, 102, 105, 106, 107, 111 et 112 de l'arrêt entrepris) que

- "... il convient de relever, en premier lieu, que la thèse selon laquelle la Commission serait tenue d'adopter, une fois qu'elle a constaté une infraction, une décision obligeant les entreprises concernées à y mettre fin est contraire au texte même de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, selon lequel la Commission peut adopter une telle décision. De même, l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne confère pas à l'auteur d'une demande présentée en vertu dudit article le droit d'obtenir de la Commission une décision quant à l'existence de l'infraction alléguée (voir l'arrêt de la Cour du 18 octobre 1979, GEMA/Commission, 125-78, Rec. p. 3173, 3189)" (point 98).

- "Il ne pourrait en aller autrement que si l'objet de la plainte relevait des compétences exclusives de la Commission. Pour ce qui est de l'application de l'article 90, paragraphe 2, la Cour a considéré, dans son arrêt du 18 juin 1991, ERT (C-260-89, Rec. p. I-2925, I-2962), qu'il appartient au juge national d'apprécier si des pratiques contraires à l'article 86 d'une entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général peuvent être justifiées par les nécessités découlant de la mission particulière impartie à cette entreprise. Il ressort de cette jurisprudence que la Commission n'est pas investie d'une compétence exclusive pour faire application de l'article 90, paragraphe 2, première phrase, du traité (voir également l'arrêt de la Cour du 11 avril 1989, Ahmed Saeed, 66-86, Rec. p. 803, 853). Il s'ensuit qu'en l'espèce le juge néerlandais est également compétent pour examiner la question soulevée dans la plainte des requérantes" (point 99).

- "A cet égard, le tribunal constate que les articles 21 de l'OVS et 34 de la loi sur l'électricité contiennent, tous deux, des restrictions à l'importation d'électricité par les entreprises de distribution. L'article 21 de l'OVS entend assurer, par le biais des contrats de fourniture conclus par les participants à l'accord avec les distributeurs, que ces derniers n'importent pas d'électricité, à l'exception, éventuellement, de quelques livraisons d'importance mineure dans les régions frontalières. L'article 34 de la loi sur l'électricité, en réservant à la seule SEP l'importation d'électricité destinée à l'approvisionnement public, interdit cette activité aux distributeurs, à l'exception de l'importation d'électricité d'une tension de moins de 500 V. La portée de l'interdiction inscrite dans l'OVS diffère donc légèrement de celle qui est fixée dans la loi sur l'électricité" (point 102).

- "Dans ces circonstances, l'examen de la compatibilité de la loi nationale avec le droit communautaire revêtait un caractère prioritaire par rapport à celui de l'OVS. En effet, aussi longtemps que l'incompatibilité de cette loi avec le traité n'est pas établie, la constatation selon laquelle l'OVS constitue une infraction n'est susceptible de produire des effets pratiques que dans la mesure où les restrictions qu'il prévoit dépassent celles qui découlent de la loi" (point 105).

- "Cela résulte notamment du fait que la Commission ne saurait obliger des entreprises, en vue de mettre fin à une infraction à l'article 85, à adopter un comportement contraire à une loi nationale, sans porter sur celle-ci une appréciation au regard du droit communautaire" (point 106).

- "Or, la question de la compatibilité avec le traité de l'article 34 de la loi sur l'électricité est susceptible de faire l'objet d'un débat à caractère politique et institutionnel. La procédure appropriée dont dispose la Commission pour traiter de questions mettant en jeu des intérêts d'ordre public national est celle de l'article 169 du traité, dans laquelle les Etats membres sont directement impliqués et dans laquelle il appartient à la Cour de constater, le cas échéant, qu'une loi nationale constitue une violation du traité" (point 107).

- "Il s'ensuit que la décision litigieuse de la Commission apparaît justifiée. Il y a lieu d'ajouter qu'un tel résultat ne porte pas atteinte à la protection juridictionnelle due aux particuliers ayant saisi la Commission d'une plainte au titre de l'article 3 du règlement n° 17. Certes, il est possible que la procédure au titre de l'article 169 du traité aboutisse à des résultats que les parties plaignantes considéreront comme insuffisants. Cependant, il convient de rappeler que la plainte des requérantes n'a nullement été rejetée, mais est encore pendante devant la Commission. Le cas échéant, les requérantes pourront donc demander la continuation de la procédure ouverte au titre des règlements n° 17 et 99-63, dans laquelle elles pourront pleinement faire valoir leurs droits procéduraux. Le tribunal ne méconnaît pas que l'exercice de ces droits procéduraux souffrirait, dans cette hypothèse, d'un retard considérable, qui est cependant inévitable étant donné que la procédure au titre de l'article 169 du traité revêt, dans le cas d'espèce, un caractère prioritaire par rapport à la procédure en vertu de l'article 3 du règlement n° 17" (point 111).

"Dans ces circonstances, l'examen de la décision litigieuse par le tribunal n'a pas révélé que la Commission ait commis une erreur de droit ou de fait, ou une erreur manifeste d'appréciation, en s'abstenant de se prononcer sur la question de savoir si les restrictions à l'importation en cause se justifient au regard de l'article 90, paragraphe 2, du traité. Le moyen tiré d'une violation du droit communautaire de la concurrence et de certains principes généraux de droit n'est donc pas fondé" (point 112).

8. Sur demande des parties requérantes, la procédure a été suspendue jusqu'au mois de janvier 1995 pour examiner les suites à tirer de l'arrêt du 27 avril 1994, Almelo e.a. (C-393-92, Rec. p. I-1477).

9. Dans l'arrêt Almelo e.a. la Cour, statuant sur des questions à elle soumises par le Gerechtshof te Arnhem (Pays-Bas) a, entre autres, dit pour droit que :

a) L'article 85 du traité CEE s'oppose à l'application, par une entreprise de distribution régionale d'énergie électrique, d'une clause d'achat exclusif figurant dans les conditions générales de vente qui interdit à un distributeur local d'importer de l'électricité destinée à la distribution publique et qui, compte tenu de son contexte économique et juridique, affecte le commerce entre Etats membres.

b) L'article 86 du traité CEE s'oppose à l'application, par une entreprise de distribution régionale d'énergie électrique, au cas où celle-ci appartiendrait à un groupe d'entreprises détenant une position dominante collective dans une partie substantielle du Marché commun, d'une clause d'achat exclusif figurant dans les conditions générales de vente qui interdit à un distributeur local d'importer de l'électricité destinée à la distribution publique et qui, compte tenu de son contexte juridique et économique, affecte le commerce entre Etats membres.

c) L'article 90, paragraphe 2, du traité CEE doit être interprété en ce sens que l'application, par une entreprise régionale de distribution d'énergie électrique, d'une telle clause d'achat exclusif échappe aux interdictions des articles 85 et 86 du traité CEE, dans la mesure où cette restriction à la concurrence est nécessaire pour permettre à cette entreprise d'assurer sa mission d'intérêt général. Il appartient à la juridiction de renvoi d'examiner si cette condition est remplie.

10. Les requérantes font valoir trois moyens tirés d'une motivation erronée de l'arrêt, de l'absence de motivation de la priorité donnée à la procédure de l'article 169 du traité et d'une erreur de droit commise par le tribunal.

11. La Commission s'interroge sur la recevabilité du pourvoi et conteste le bien-fondé des moyens.

Sur la recevabilité du pourvoi

12. A l'audience de la Cour du 1er juin 1995, la Commission, sans soulever formellement une exception d'irrecevabilité, s'est interrogée sur l'intérêt des requérantes à maintenir le pourvoi. A cet égard, elle a indiqué que, depuis l'introduction du pourvoi, elle avait engagé une procédure à l'encontre du royaume des Pays-Bas, au titre de l'article 169 du traité, qui concerne l'interdiction d'importer imposée par la loi sur l'électricité. En outre, la Cour aurait dit pour droit, dans l'arrêt Almelo e.a., que l'article 90, paragraphe 2, du traité peut être appliqué par le juge national, ce qui permettrait à Rendo e.a. de contester devant lui la clause d'achat exclusif.

13. La Cour peut soulever d'office le défaut d'intérêt d'une partie à introduire ou à poursuivre un pourvoi, en raison d'un fait postérieur à l'arrêt du tribunal de nature à enlever à celui-ci son caractère préjudiciable pour le demandeur au pourvoi, et déclarer le pourvoi irrecevable ou sans objet pour ce motif. En effet, l'existence d'un intérêt à agir du requérant suppose que le pourvoi soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l'a intenté.

14. En ce qui concerne l'intérêt des requérantes à maintenir le pourvoi, il y a lieu de relever que la Cour ne s'est pas encore prononcée sur le recours en manquement introduit par la Commission contre le royaume des Pays-Bas.

15. S'agissant de la seconde branche de l'exception soulevée, il y a lieu de rappeler que, dans l'arrêt Almelo e.a., la Cour a constaté l'incompatibilité avec le traité de l'application, par une entreprise de distribution régionale d'énergie électrique, d'une clause d'achat exclusif figurant dans les conditions générales de vente, qui interdit à un distributeur local d'importer de l'électricité destinée à la distribution publique. Cet arrêt oblige ainsi le juge de renvoi à constater la nullité de la clause en question dans les rapports contractuels entre les parties au litige au principal.

16. Cet arrêt est intervenu dans une procédure ayant un objet du moins partiellement différent. Il ne saurait dès lors affecter l'intérêt des requérantes à poursuivre l'annulation de l'arrêt qui a rejeté leur recours contre une décision de la Commission relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité.

Sur le moyen tiré d'une motivation erronée de l'arrêt

17. Les requérantes soutiennent que l'arrêt entrepris est entaché d'une motivation erronée. En effet, le tribunal aurait jugé que, si l'objet de la plainte avait relevé de la compétence exclusive de la Commission, les parties plaignantes auraient été en droit d'obtenir une décision définitive de la Commission quant à l'existence de l'infraction alléguée pour la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité. A cet égard, le tribunal aurait écarté la compétence exclusive de la Commission pour appliquer l'article 90, paragraphe 2, première phrase, du traité, sans avoir égard à la seconde phrase de cette disposition.

18. Il convient de relever que, replacée dans le contexte du raisonnement du tribunal, la référence à l'article 90, paragraphe 2, première phrase, du traité ne saurait être interprétée en ce sens que le tribunal a entendu opérer une distinction entre ces deux phrases et admettre que la Commission a une compétence exclusive pour appliquer la seconde phrase.

19. Comme la Commission le souligne à juste titre, ce moyen du pourvoi est fondé sur une lecture inexacte du point 99 de l'arrêt du tribunal devant lequel la question d'une application de la seconde phrase de l'article 90, paragraphe 2, du traité ne s'est d'ailleurs pas posée.

20. Il résulte de ce qui précède que ce moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré d'un défaut de motivation de la priorité donnée à la procédure de l'article 169 du traité

21. Les requérantes soutiennent que le tribunal n'a pas suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles la Commission pouvait donner la priorité à la procédure au titre de l'article 169 du traité par rapport à celle prévue à l'article 3 du règlement n° 17.

22. A cet égard, il convient de souligner que le tribunal s'est limité à relever, aux points 105 à 107 de l'arrêt entrepris, que la constatation de l'incompatibilité avec le traité de l'OVS ne serait pas susceptible de produire des effets pratiques, aussi longtemps que l'incompatibilité de la loi sur l'électricité avec le traité n'est pas établie. Or, la procédure appropriée pour faire constater la contrariété de cette loi au traité serait celle de l'article 169 du traité.

23. Il résulte de ces considérations que le tribunal n'a pas entendu établir une hiérarchie entre la procédure prévue au règlement n° 17 et la procédure en manquement d'Etat, qui visent d'ailleurs des personnes et des actes distincts, mais a jugé que la Commission pouvait, à bon droit, considérer que la procédure la plus appropriée, pour examiner la question de la compatibilité de la loi sur l'électricité avec le traité, était celle du recours en manquement.

24. Il s'ensuit que ce moyen doit également être rejeté.

Sur le moyen relatif à une erreur de droit dans l'arrêt

25. Les requérantes soutiennent que le tribunal a commis une erreur de qualification de la décision attaquée en jugeant que celle-ci ne se prononce nullement sur les restrictions à l'importation applicables durant la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité, alors que la Commission a elle-même admis, d'après le point 34 de l'arrêt entrepris, "que la décision attaquée contient un rejet partiel et implicite de la plainte des requérantes". Ce serait dès lors à tort que le tribunal aurait déclaré le recours irrecevable sur ce point.

26. A cet égard, il y a lieu de relever que la qualification juridique d'un acte opérée par le tribunal, en particulier la constatation que cet acte ne produit pas d'effet juridique, est une question de droit qui peut être soulevée dans le cadre d'un pourvoi.

27. Pour statuer sur le bien-fondé de ce moyen, il convient de rappeler que la Cour a eu l'occasion de juger que, même si la Commission n'est pas tenue d'adopter une décision établissant l'existence d'une infraction aux règles de concurrence ni de procéder à l'instruction de la plainte lorsqu'elle est saisie au titre du règlement n° 17, elle est toutefois tenue d'examiner attentivement les moyens de fait et de droit soulevés par l'auteur de la plainte pour vérifier l'existence d'un comportement anti-concurrentiel. De plus, en cas de classement sans suite, la Commission est obligée de motiver sa décision afin de permettre au tribunal de vérifier si elle a commis des erreurs de fait ou de droit ou encore un détournement de pouvoir.

28. Dans ces conditions, une institution, qui est dotée du pouvoir de constater une infraction et de la sanctionner et qui peut être saisie sur plainte de particuliers, comme c'est le cas de la Commission en droit de la concurrence, adopte nécessairement un acte qui produit des effets juridiques lorsqu'elle procède au classement total ou partiel de cette plainte (voir arrêt du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission, C-39-93 P, Rec. p. I-2681, point 27, et jurisprudence citée).

29. De ce qui précède, il résulte que le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la décision attaquée, en ce qui concerne les restrictions à l'importation applicables durant la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité, n'avait pas produit d'effet juridique et que le recours devait être déclaré irrecevable sur ce point.

30. Le moyen est dès lors fondé, de sorte qu'il y a lieu d'annuler l'arrêt sur ce point.

Sur le renvoi de l'affaire au tribunal

31. Aux termes de l'article 54, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice,

"Lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé, soit renvoyer l'affaire devant le tribunal pour qu'il statue."

32. Le litige n'étant pas en état d'être jugé, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le tribunal.

Sur les dépens

33. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé dans deux des trois moyens du pourvoi et ayant obtenu l'annulation partielle de l'arrêt du tribunal par un troisième moyen, il y a lieu de faire supporter à chaque partie ses propres dépens afférents à la présente instance.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

déclare et arrête :

1) L'arrêt du tribunal de première instance rendu le 18 novembre 1992 dans l'affaire T-16-91 est annulé en ce qu'il a été jugé que la décision 91-50-CEE de la Commission, du 16 janvier 1991, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE [IV-32.732 - Ijsselcentrale (IJC) et autres], en ce qui concerne les restrictions à l'importation applicables durant la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité, n'avait pas produit d'effet juridique et que le recours devait être déclaré irrecevable sur ce point.

2) Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

3) L'affaire est renvoyée devant le tribunal de première instance.

4) Chacune des parties supportera ses propres dépens afférents à la présente instance.