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Décisions

TPICE, 4e ch. élargie, 14 juillet 1995, n° T-275/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Groupement des cartes bancaires (GIE)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Juges :

MM. Schintgen, Garcia-Valdecasas, Azizi, Mme Lindh

Avocats :

Mes Georges, Calvet.

TPICE n° T-275/94

14 juillet 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre élérgie),

FAITS ET PROCÉDURE

1 Le 25 mars 1992, la Commission a adopté la décision 92-212-CEE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/30.717-A - Eurocheque: accord d'Helsinki, JO L 95, p. 50, ci-après "décision" ou "décision du 25 mars 1992"), dont l'article 1er déclare que l'accord conclu, lors de l'Assemblée Eurocheque tenue à Helsinki les 19 et 20 mai 1983, entre les institutions financières françaises et l'Assemblée Eurocheque sur l'acceptation par les commerçants en France des eurochèques tirés sur des institutions financières étrangères (ci-après "accord d'Helsinki"), et qui a été d'application du 1er décembre 1983 au 27 mai 1991, constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE (devenu traité CE, ci-après "traité").

2 Selon l'article 2 de cette décision, la demande d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité en faveur de l'accord mentionné à l'article 1er, pour la période du 16 juillet 1990, date de la notification, au 27 mai 1991, date de l'abandon de l'accord, est rejetée.

3 L'article 3 de la décision inflige une amende de 5 000 000 d'écus au Groupement des cartes bancaires "CB" (ci-après "Groupement") en raison de l'infraction visée à l'article 1er et prévoit que ce montant est à payer à la Commission dans un délai de trois mois à partir de la notification de la décision. Il précise que ce montant porte intérêts de plein droit à partir de l'expiration du délai précité, au taux d'intérêt appliqué par le Fonds européen de coopération monétaire (ci-après "Fecom") à ses opérations en écus, tel qu'arrêté le premier jour ouvrable du mois au cours duquel la décision a été adoptée et publié au Journal officiel des Communautés européennes (JO 1992, C 56, p. 1), majoré de trois points et demi, soit 13,75 %.

4 Par lettre du 25 mars 1992, la Commission a notifié la décision au Groupement, ce qui entraînait pour le requérant l'obligation de verser le montant de l'amende au plus tard le 30 juin 1992, date à partir de laquelle la Commission était en droit d'en poursuivre l'exécution forcée au titre de l'article 192, deuxième alinéa, du traité. Toutefois, dans la lettre précitée, la Commission a fait savoir au Groupement que, conformément à une pratique habituelle, dans l'hypothèse où celui-ci porterait le litige devant le Tribunal, elle s'abstiendrait de prendre des mesures d'exécution forcée tant que l'affaire serait pendante devant cette juridiction, sous la double condition que la créance produise des intérêts à partir du 30 juin 1992, calculés sur base du taux d'intérêt appliqué par le Fecom, majoré d'un point et demi, soit 11,75 %, et qu'une garantie bancaire couvrant la dette tant en principal qu'en intérêts ou majorations soit fournie au plus tard à cette date.

5 Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 25 mai 1992, le Groupement a introduit un recours visant à l'annulation de la décision du 25 mars 1992 en faisant valoir, en substance, que l'accord incriminé n'était pas constitutif d'une entente et que le montant de l'amende, à supposer même l'infraction établie, était totalement disproportionné par rapport à la gravité de celle-ci.

6 Le 24 juin 1992, la banque du Groupement a, sur son ordre et pour son compte, fourni une garantie bancaire conforme au modèle joint à la lettre de la Commission du 25 mars 1992, tant pour l'amende de 5 000 000 d'écus infligée au Groupement par la décision du 25 mars 1992 que pour les intérêts, calculés sur la base du taux Fecom majoré d'un point et demi, à courir sur ce montant à partir du 30 juin 1992 jusqu'au paiement effectif de l'amende.

7 Dans son arrêt du 23 février 1994, CB et Europay/Commission (T-39-92 et T-40-92, Rec. p. II-49), le Tribunal a jugé, en ce qui concerne le Groupement, que l'accord d'Helsinki ne pouvait être regardé comme une entente portant fixation d'un prix identique à observer dans les contrats avec des tiers, mais qu'il constituait une entente sur le principe de la perception d'une commission, contraire en tant que telle à l'article 85, paragraphe 1, sous a), du traité, et il a fixé l'amende infligée au Groupement à l'article 3 de la décision attaquée à 2 000 000 d'écus. Le recours a été rejeté pour le surplus et la Commission a été condamnée à supporter la moitié des dépens du Groupement.

8 Par lettre adressée à la Commission le 5 mai 1994, le Groupement a informé la Commission que, le délai pour former un pourvoi contre la décision du Tribunal du 23 février 1994 ayant expiré le 4 mai 1994, il avait, par virement bancaire du 5 mai 1994, réglé l'amende de 2 000 000 d'écus fixée par le Tribunal. Estimant ainsi avoir exécuté intégralement l'arrêt du Tribunal, le Groupement a fait valoir, en réponse à une demande téléphonique des services comptables de la Commission, que l'obligation de payer des intérêts, telle qu'elle découle de l'arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission (107-82, Rec. p. 3151, points 139 et 143), est fondée sur le souci d'éviter l'introduction de recours manifestement non fondés, dont le seul but serait de retarder le paiement de l'amende, et ne s'applique pas à des recours fondés ou partiellement fondés. Cette constatation se trouverait confirmée par le fait que le taux d'intérêt appliqué par la Commission est supérieur au taux légal en vigueur en France et sur le marché des opérations en écus, entraînant ainsi une sanction supplémentaire pour les personnes ayant introduit un recours. Le Groupement a ajouté que, en tout état de cause, l'amende infligée par l'arrêt ne saurait porter intérêts à partir de la date d'exigibilité de l'amende infligée par la décision de la Commission, la première amende étant juridiquement distincte de la seconde. Il a fait observer que le dispositif de l'arrêt révèle que le Tribunal a "fixé" une amende nouvelle et non pas "réduit" celle fixée par la décision initiale de la Commission. En effet, en déterminant le montant de l'amende en fonction du profit illicite résultant des commissions indûment perçues à l'encaissement des eurochèques étrangers, la Commission aurait sanctionné exclusivement l'entente sur le montant de ces commissions et non pas l'entente sur le principe de la perception d'une commission, simple condition de la première. Or, le Tribunal, en ne retenant que la seule entente sur le principe de la perception d' une commission, aurait infligé une amende pour une infraction que la Commission n'avait pas sanctionnée en tant que telle.

9 Le 27 mai 1994, le Groupement a demandé la mainlevée partielle de la garantie bancaire.

10 Par lettre du 7 juin 1994, la Commission a répondu qu'elle considérait le versement de 2 000 000 d'écus comme un paiement partiel du total de la dette à la date du 6 mai 1994, couvrant les intérêts échus à cette date, à concurrence d'un montant de 433 301,37 écus, ainsi qu'une partie du principal, le restant de ce principal continuant à produire des intérêts depuis le 6 mai 1994 jusqu'au paiement effectif. A cet égard, la Commission a relevé, d'abord, que la pratique qu'elle suit depuis 1981 en matière de sursis au paiement d'amendes en cas de recours contre des décisions infligeant des sanctions pécuniaires, laquelle consiste à exiger le paiement d'intérêts et la fourniture d'une garantie bancaire destinée à garantir le paiement de l'amende majorée des intérêts, a obtenu la caution de la Cour (voir l'arrêt AEG/Commission, précité; les ordonnances du 7 mai 1982, Hasselblad/Commission, 86-82 R, Rec. p. 1555, du 11 novembre 1982, Klöckner-Werke/Commission, 263-82 R, Rec. p. 3995, et du 7 mars 1986, Finsider/Commission, 392-85 R, Rec. p. 959) et que, en l'espèce, le Groupement avait accepté de payer des intérêts en fournissant, le 24 juin 1992, la garantie bancaire. La Commission a, ensuite, constaté que la perception d'intérêts n'était pas une conséquence inévitable liée à l'exercice du droit d'introduire un recours, dès lors que le Groupement était libre de payer l'amende au moment de son exigibilité et de s'exonérer ainsi du paiement des intérêts. Quant au caractère juridiquement distinct de l'amende fixée par le Tribunal par rapport à celle fixée par la Commission, elle a estimé que le Groupement méconnaissait la portée de la compétence de pleine juridiction conférée au Tribunal par l'article 17 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), selon lequel le Tribunal ne peut que supprimer, réduire ou majorer l'amende infligée et non pas fixer une amende nouvelle, distincte de celle imposée par la Commission.

11 Le 16 juin 1994, le Groupement a contesté la thèse soutenue par la Commission dans sa lettre du 7 juin 1994 en ce qui concerne la mise à sa charge des intérêts de retard sur l'amende de 2 000 000 d'écus à partir du 30 juin 1992, ainsi que l'imputation du paiement de 2 000 000 d'écus sur ces intérêts et il s'est réservé le droit de former devant le Tribunal une demande en interprétation de son arrêt du 23 février 1994.

12 Par lettre du 15 juillet 1994, la Commission a mis le Groupement en demeure de régler le restant de sa dette avant le 31 juillet 1994, faute de quoi elle procéderait à l'exécution de la garantie bancaire. Le même jour, la Commission a fait savoir à la banque garante qu'elle donnait son accord à la réduction du montant de la garantie à due concurrence du paiement partiel intervenu.

13 Par lettre du 20 juillet 1994, le Groupement, tout en réitérant son désaccord avec l'analyse de la Commission au sujet des intérêts de retard, a informé la Commission que, en raison du caractère exécutoire de la décision de la Commission qui ne lui laisserait aucune autre alternative, il avait donné instruction à sa banque de virer à la Commission la somme de 443 902,61 écus.

14 C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 août 1994, le Groupement a introduit le présent recours.

15 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

16 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 29 mars 1995.

Conclusions des parties

17 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

1) annuler la décision de la Commission contenue dans les lettres des 7 juin et 15 juillet 1994, par laquelle elle a exigé le paiement d'intérêts de retard sur l'amende de 2 000 000 d'écus fixée par le Tribunal dans son arrêt du 23 février 1994, et ce au titre de la période courant du 30 juin 1992 au jour du règlement de ladite amende, et constater en conséquence que la somme de 433 902,61 écus réglée par le Groupement n'était pas due et doit lui être restituée, majorée d'intérêts calculés au taux Fecom au titre de la période allant du 20 juillet 1994 à la date de restitution effective;

2) subsidiairement, pour le cas où le Tribunal ne ferait pas droit à la demande figurant au point 1 ci-dessus, annuler la décision de la Commission en ce qu'elle repose sur une méthode d'imputation erronée des paiements du Groupement et constater en conséquence que la somme de 10 601,24 écus réglée par le Groupement à ce titre n'était pas due et doit lui être restituée, majorée d'intérêts calculés au taux Fecom au titre de la période allant du 20 juillet 1994 à la date de restitution effective;

3) condamner la Commission à payer l'intégralité des dépens supportés par le Groupement dans le cadre de la présente requête en annulation.

18 La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

1) rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé;

2) condamner la partie requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

Argumentation des parties

19 La Commission, se fondant sur une jurisprudence constante de la Cour (arrêt du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166-86 et 220-86, Rec. p. 6473, point 16), excipe de l'irrecevabilité du recours en annulation dirigé contre les lettres des 7 juin et 15 juillet 1994 au motif que ces lettres ne constituent que la confirmation de la décision de la Commission du 25 mars 1992 et de la lettre de notification du même jour. Elle relève que, dans sa décision du 25 mars 1992, elle a infligé au Groupement une amende de 5 000 000 d'écus, payable dans un délai de trois mois à l'issue duquel celle-ci devait porter intérêts de plein droit au taux Fecom majoré de trois points et demi. Elle relève également que, dans sa lettre de notification du 25 mars 1992, elle a informé le Groupement que, au cas où il introduirait un recours devant le Tribunal, il ne serait procédé à aucune mesure de recouvrement tant que l'affaire serait pendante devant cette juridiction, à la double condition que la créance produise des intérêts à partir du 30 juin 1992 et qu'une garantie bancaire, acceptable par la Commission, couvrant la dette tant en principal qu'en intérêts ou majorations, soit fournie au plus tard à cette date.

20 Ainsi, en fournissant la garantie bancaire sollicitée et en omettant de contester les conditions fixées à l'octroi de cette garantie lors du recours introduit contre la décision du 25 mars 1992, le requérant aurait souscrit à ces conditions et accepté que le montant auquel il serait définitivement condamné soit majoré d'intérêts. Il ne serait, par conséquent, plus recevable à contester le paiement de ces intérêts.

21 A cet égard, la Commission réfute la thèse soutenue par le requérant, selon laquelle les intérêts mentionnés dans la décision du 25 mars 1992 et dans la lettre de notification ne visent que l'amende de 5 000 000 d'écus et non pas l'amende de 2 000 000 d'écus fixée ultérieurement par le Tribunal. La Commission considère que, dans la mesure où la garantie bancaire vise à lui assurer le paiement intégral de sa créance, en principal et en intérêts, elle se réfère, même dans le cas où le juge communautaire ne confirme pas l'intégralité de l'amende, aux intérêts calculés sur le montant même de l'amende.

22 La Commission s'interroge également sur la recevabilité de la demande subsidiaire du requérant, tendant à voir annuler les lettres des 7 juin et 15 juillet 1994 pour autant qu'elles appliquent une méthode erronée d'imputation du paiement effectué par le Groupement le 5 mai 1994. A l'audience, le représentant de la Commission a cependant admis que cette imputation ne découle ni de la décision du 25 mars 1992 ni de la lettre de notification du même jour. Il s'en est remis à la sagesse du Tribunal pour apprécier la recevabilité de la demande du requérant à cet égard.

23 Le requérant soutient que, lues ensemble, les lettres de la Commission des 7 juin et 15 juillet 1994 constituent une décision attaquable au sens de l'article 173 du traité. Il rappelle qu'il découle de la jurisprudence que constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation au sens de l'article 173 du traité les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, Rec. p. 2639, point 9).

24 Le requérant fait valoir, à cet égard, que les lettres des 7 juin et 15 juillet 1994, du fait qu'elles l'invitent à payer la somme de 433 301,37 écus, affectent gravement ses intérêts financiers et modifient de façon caractérisée sa situation juridique par rapport à celle engendrée par la décision du 25 mars 1992 et la lettre de notification du même jour. En effet, le caractère contraignant de l'obligation de régler la somme de 433 301,37 écus au titre d'intérêts de retard sur le paiement de l'amende de 2 000 000 d'écus ne résulterait ni de la décision du 25 mars 1992, ni de la lettre de notification de cette décision, ni de l'arrêt du Tribunal du 23 février 1994. Ainsi, en disposant dans sa décision du 25 mars 1992 qu'"une amende de 5 000 000 d'écus est infligée au Groupement" et que "l'amende porte intérêts de plein droit à compter de l'expiration du délai précité (trois mois à compter de la notification de la décision)", la Commission aurait décidé l'application d'intérêts de retard sur l'amende de 5 000 000 d'écus infligée par la décision du 25 mars 1992 sans pour autant en étendre l'application à l'amende fixée ultérieurement par le Tribunal, dans le cadre d'un recours en annulation, en vertu de sa compétence de pleine juridiction.

25 Le requérant ajoute que ce ne serait qu'au moment où la Commission a procédé au recouvrement de l'amende souverainement fixée par le Tribunal qu'aurait été évoquée pour la première fois, au cours d'une conversation téléphonique confirmée par les courriers des 7 juin et 15 juillet 1994, l'éventualité d'une adaptation automatique de l'amende au moyen d'intérêts ayant commencé à courir avant même que le Tribunal ait statué. Il fait observer que la Commission, en qualifiant elle-même sa lettre du 7 juin 1994 de "prise de position de la Commission", admet implicitement que cette dernière constitue un acte susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation.

26 S'agissant de sa demande subsidiaire, le requérant soutient que, en contestant sa recevabilité, la Commission entend soustraire au contrôle du juge communautaire une question de fond qui a trait à la conformité de la décision au droit communautaire.

Appréciation du Tribunal

27 Le Tribunal rappelle, liminairement, qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal que les recours dirigés contre des décisions purement confirmatives de décisions antérieures qui n'ont pas été attaquées dans les délais sont irrecevables(arrêts de la Cour Irish Cement/Commission, précité, point 16, du 25 mai 1993, Foyer culturel du Sart-Tilman/Commission, C-199-91, Rec. p. 2667, points 23 et 24, et arrêt du Tribunal du 15 mars 1995, Cobrecaf e.a./Commission, T-514-93, non encore publié au Recueil, point 44).

28 En l'espèce, il y a, dès lors, lieu de vérifier si, en réclamant le paiement d'intérêts de retard à partir du 30 juin 1992 sur le montant de l'amende fixé par le Tribunal le 23 février 1994, la Commission a introduit un élément nouveau susceptible de produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (arrêt Cobrecaf e.a./Commission, précité, point 45), ou si elle s'est contentée de confirmer la situation engendrée par la décision du 25 mars 1992, la lettre de notification du même jour et la fourniture de la garantie bancaire par le requérant.

29 A cet égard, il convient, tout d'abord, de rappeler que, répondant, dans sa lettre du 7 juin 1994, à l'argument du requérant selon lequel l'obligation découlant de l'arrêt AEG/Commission, précité, de payer des intérêts sur les amendes est limitée aux seuls cas où le juge communautaire rejette le recours comme manifestement non fondé et confirme l'amende infligée par la Commission, la Commission a fait valoir qu'un recours partiellement fondé ne saurait constituer une circonstance exceptionnelle susceptible de "soustraire une entreprise au respect des conditions posées à la suspension du paiement de l'amende". Elle a soutenu, par ailleurs, que ces conditions avaient été cautionnées par la Cour dans ses ordonnances du 6 mai 1982, AEG/Commission (107-82 R, Rec. p. 1549), Hasselblad/Commission, Klöckner Werke/Commission et Finsider/Commission, précitées, et que le requérant les avait acceptées en fournissant la garantie bancaire.

30 Il convient, ensuite, de rappeler que, suite au désaccord manifesté par le requérant, la Commission a répliqué, dans sa lettre du 15 juillet 1994, que "rien ne permet d'interpréter l'arrêt AEG en ce sens que la Cour aurait entendu limiter la perception d'intérêts aux recours manifestement non fondés" et qu'elle a exprimé son étonnement sur le fait que, à supposer qu'une telle interprétation soit fondée, la Cour, en confirmant la pratique qu'elle avait adoptée, ait passé sous silence les limites drastiques qu'il conviendrait de lui assigner.

31 Il apparaît ainsi que ce n'est que la lecture combinée des lettres des 7 juin et 15 juillet 1994, reproduisant l'interprétation de l'arrêt AEG/Commission, précité, défendue par la Commission, qui a permis au requérant de se rendre compte que celle-ci considère que l'obligation de payer des intérêts de retard à partir de la date d'exigibilité de l'amende qu'elle a infligée s'étend également au cas où le juge communautaire en a réduit ultérieurement le montant en accueillant en partie le recours en annulation dirigé contre une telle décision.

32 Le Tribunal considère, par conséquent, que les lettres attaquées ne se bornent pas à confirmer les conditions auxquelles, dans sa lettre de notification de la décision du 25 mars 1992, la Commission a subordonné la suspension du paiement de l'amende au cours de la procédure contentieuse, mais contiennent un élément nouveau dans la mesure où elles révèlent une position de la Commission que ni la décision du 25 mars 1992, ni la lettre de notification du même jour n'avaient fait apparaître de manière claire et explicite.

33 Il s'ensuit que la demande principale visant à l'annulation des lettres des 7 juin et 15 juillet 1994 est recevable.

34 Par voie de conséquence, la demande subsidiaire, concernant l'imputation du paiement effectué par le requérant le 5 mai 1994, laquelle se rattache intimement à la demande principale, doit être considérée comme étant également recevable. En tout état de cause, le Groupement n'a pu prendre connaissance de l'imputation à laquelle avait procédé la Commission qu'à la lecture de la lettre du 7 juin 1994.

35 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le recours est recevable.

Sur le fond

Sur la demande principale visant à l'annulation des lettres des 7 juin et 15 juillet 1994

36 Le requérant invoque en substance trois moyens à l'appui de son recours. Le premier moyen est tiré de l'absence de base légale en matière d'imposition d'intérêts de retard sur le montant de l'amende fixé par le juge communautaire; le deuxième moyen est tiré de l'incompétence des auteurs et signataires des lettres attaquées; et le troisième moyen est pris de ce que l'imposition d'intérêts de retard sur le montant de l'amende fixé par le juge communautaire constitue une entrave au droit de recours.

Premier moyen: absence de base légale

- Argumentation des parties

37 Le requérant soutient que l'obligation de payer des intérêts de retard sur une amende ne découle d'aucun texte de droit communautaire et ne se justifie, selon la jurisprudence de la Cour (arrêt AEG/Commission, précité), qu'au regard de la nécessité d'éviter l'introduction de recours manifestement non fondés, dont l'unique but serait de retarder le paiement de l'amende. Or, tel ne saurait être le cas en l'espèce, dès lors que, en fixant l'amende infligée au Groupement à 40 % de celle infligée par la Commission et en mettant à charge de la Commission la moitié des dépens du Groupement, le Tribunal a accueilli dans une très large mesure le recours du Groupement.

38 S'agissant des ordonnances Hasselblad/Commission, Klöckner Werke/Commission et Finsider/Commission, précitées, invoquées par la Commission à l'appui de sa demande de paiement d'intérêts, le requérant fait, tout d'abord, observer qu'elles ne concernent que la faculté, reconnue à la Commission, d'exiger une garantie bancaire en cas de suspension du paiement de l'amende et non pas l'application d'intérêts de retard à l'amende fixée par le juge communautaire. S'agissant de l'ordonnance du 5 juillet 1983, Usinor/Commission (78-83 R, Rec. p. 2183), le requérant fait, ensuite, valoir que, en subordonnant la suspension du paiement d'une fraction de l'amende "à la condition que le requérant constitue au préalable une garantie bancaire destinée à garantir le paiement de l'amende prononcée par cette décision et des intérêts de retard éventuels", la Cour a visé uniquement les intérêts applicables à l'amende infligée par la décision de la Commission et non pas ceux applicables à l'amende fixée par le juge communautaire dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction.

39 A cet égard, le requérant soutient, en l'espèce, que l'amende fixée par l'arrêt du Tribunal du 23 février 1994 est juridiquement distincte de celle infligée par la décision de la Commission du 25 mars 1992. Il fait observer, tout d'abord, que le point 147 et le dispositif de l'arrêt du 23 février 1994 utilisent, à propos de l'amende, le terme "fixer" et non pas le terme "réduire". Il se réfère, ensuite, au point 147 de l'arrêt du Tribunal, qui constate que "l'amende de 5 000 000 d'écus n'est pas adéquate par rapport à la nature et à la gravité intrinsèque de l'infraction", et relève, en outre, que le Tribunal n'a pas fait siennes les circonstances aggravantes retenues par la Commission. Enfin, le requérant fait remarquer que la Commission admet elle-même que la majoration de l'amende que le Tribunal a la faculté d'infliger, le cas échéant, ne produit des intérêts qu'à compter de la date de l'arrêt.

40 Le requérant estime que la Commission, en soutenant que le Tribunal ne saurait supprimer une amende infligée par la Commission pour "lui substituer la sienne propre", méconnaît la compétence de pleine juridiction conférée au juge communautaire ainsi que la portée des articles 172 du traité et 17 du règlement n° 17. Il se réfère à cet égard aux conclusions de l'avocat général M. Warner sous l'arrêt de la Cour du 12 juillet 1979, BMW Belgium/Commission (32-78, 36-78 à 82-78, Rec. p. 2435, 2494), selon lequel "les pouvoirs conférés à la Cour par l'article 17 du règlement n° 17 sont des plus larges et suffisent, (selon nous), à lui permettre de faire en toute hypothèse ce qu'elle considère être de bonne justice".

41 La Commission rappelle, tout d'abord, que les décisions qu'elle adopte prennent effet dès leur notification et que, en vertu de l'article 185 du traité, les recours formés devant le juge communautaire n'ont pas d'effet suspensif. Dès lors, la Commission aurait la faculté de poursuivre, dès la notification d'une décision comportant des amendes, le recouvrement de ces dernières et il appartiendrait, le cas échéant, aux parties de demander le sursis à l'exécution de l'acte attaqué conformément à l'article 107, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

42 La Commission rappelle, ensuite, que, en matière de recours contre des décisions imposant des amendes, elle a modifié en 1981 son attitude initiale, qui consistait à différer le paiement de l'amende jusqu'à la décision de la Cour, en imposant une double condition à ce sursis, à savoir, le paiement d'intérêts de retard et la fourniture d'une garantie bancaire couvrant le montant de l'amende majoré des intérêts (voir Douzième Rapport sur la concurrence, point 60). Elle ajoute que, dans ses ordonnances AEG/Commission, Hasselblad/Commission, Klöckner Werke/Commission et Finsider/Commission, précitées, la Cour a reconnu que cette nouvelle ligne de conduite générale était, sauf circonstances exceptionnelles, justifiée.

43 La Commission réfute, à cet égard, l'interprétation tirée par le requérant de la jurisprudence de la Cour en soulignant que les ordonnances citées concernent aussi bien l'obligation de payer des intérêts de retard que celle de constituer une garantie bancaire destinée à garantir le paiement de l'amende et de ses intérêts. En outre, l'arrêt AEG/Commission, précité, ne saurait être lu comme limitant la perception d'intérêts de retard au seul cas où le recours est déclaré manifestement non fondé. En effet, les conclusions de l'avocat général M. Reischl sous l'arrêt AEG/Commission, (Rec. p. 3226), que la Cour a suivies dans son arrêt, ne comporteraient aucune allusion à une telle limite.

44 S'agissant du caractère prétendument distinct de l'amende infligée par la Commission par rapport à celle fixée par le juge communautaire dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, la Commission rappelle que la compétence de pleine juridiction inscrite à l'article 172 confère au juge communautaire, selon les termes mêmes de l'article 17 du règlement n° 17, la faculté de "supprimer, réduire ou majorer l'amende ou l'astreinte infligée", mais ne lui permet pas pour autant de substituer à l'amende infligée par la Commission une amende propre, juridiquement distincte de la première. Contrairement à l'allégation du requérant, selon laquelle la majoration de l'amende constituerait la preuve du caractère distinct de l'amende infligée par la Commission par rapport à celle infligée par le juge communautaire, la majoration de l'amende impliquerait nécessairement que l'augmentation décidée par le juge communautaire porte sur l'amende infligée par la Commission.

45 La Commission ajoute que, malgré l'utilisation par le Tribunal du terme "fixer" en rapport avec l'amende, le dispositif et le point 147 de l'arrêt du 23 février 1994 doivent être lus à la lumière du point 142 de l'arrêt, dans lequel le Tribunal a jugé que "dans ces conditions, il appartient au Tribunal d'examiner, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, s'il y a lieu de réduire l'amende infligée au Groupement".

* Appréciation du Tribunal

46 Il convient de rappeler, liminairement, que, en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission dispose du pouvoir d'infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, ou de l'article 86 du traité, ou contreviennent à une charge imposée dans le cadre d'une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

47 Le pouvoir dont la Commission est investie à cet égard comprend la faculté de déterminer la date d'exigibilité de l'amende et celle de la prise de cours des intérêts de retard, de fixer le taux de ces intérêts et d'arrêter les modalités d'exécution de sa décision en exigeant, le cas échéant, la constitution d'une garantie bancaire couvrant le montant en principal et en intérêts de l'amende infligée.

48 En effet, en l'absence d'un tel pouvoir, l'avantage que les entreprises seraient susceptibles de tirer du paiement tardif des amendes aurait pour effet d'affaiblir des sanctions infligées par la Commission dans le cadre de la tâche, qui lui est dévolue par l'article 89 du traité, de veiller à l'application des règles de concurrence. Ainsi, l'application d'intérêts de retard aux amendes se justifie pour éviter que l'effet utile du traité ne soit déjoué par des pratiques mises unilatéralement en œuvre par des entreprises tardant à payer les amendes auxquelles elles ont été condamnées.

49 De surcroît, si la Commission ne disposait pas du pouvoir d'assortir les amendes d'intérêts de retard, les entreprises tardant à payer leurs amendes seraient avantagées par rapport à celles qui s'acquittent du paiement de leurs amendes à l'échéance qui leur a été impartie.

50 Il convient de rappeler, ensuite, que, en vertu de l'article 192 du traité, les décisions de la Commission qui comportent, à la charge des personnes autres que les États, une obligation pécuniaire forment titre exécutoire.

51 Il y lieu de rappeler, encore, que, en vertu de l'article 185 du traité, les recours formés devant le juge communautaire n'ont pas d'effet suspensif.

52 Il s'ensuit que les décisions de la Commission ont force exécutoire dès leur notification et que les amendes qu'elles comportent sont exigibles à l'expiration du délai fixé par la Commission dans sa décision. C'est, dès lors, à bon droit que la Commission a imposé des intérêts de retard en cas de non-paiement de l'amende dans le délai fixé à cet effet dans sa décision du 25 mars 1992, prise conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

53 C'est également à bon droit que, dans les cas où les entreprises introduisent un recours contre les décisions leur infligeant une amende, la Commission exige, conformément à la ligne de conduite générale qu'elle s'impose depuis 1981, la constitution d'une garantie bancaire destinée à garantir le paiement éventuel de l'amende, augmentée, le cas échéant, des intérêts de retard (voir les ordonnances AEG/Commission, Hasselblad/Commission, Kloeckner Werke/Commission et Finsider/Commission, précitées).

54 Il s'ensuit que l'entreprise qui introduit un recours contre une décision de la Commission lui infligeant une amende a le choix: soit de payer l'amende au moment de son exigibilité à charge, s'il y a lieu, de payer des intérêts de retard au taux fixé par la Commission dans sa décision (dans le cas d'espèce, le taux Fecom, majoré de trois points et demi) soit de demander le sursis à l'exécution de la décision en application de l'article 185, deuxième phrase, du traité et de l'article 104 du règlement de procédure du Tribunal soit, enfin, au cas où la Commission lui en donne la possibilité, de constituer une garantie bancaire destinée à garantir le paiement de l'amende et des intérêts de retard, conformément aux conditions fixées par la Commission (dans le cas d'espèce, le taux applicable aux intérêts de retard était le taux Fecom, majoré d'un point et demi).

55 En l'espèce, il est constant que le requérant, après l'introduction du recours T-39-92 dirigé contre la décision de la Commission du 25 mars 1992, a opté pour la constitution d'une garantie bancaire destinée à garantir le paiement de l'amende et des intérêts de retard.

56 Le requérant soutient cependant que la constitution de cette garantie bancaire n'a pu produire des effets qu'à l'égard de l'amende infligée par la Commission dans sa décision du 25 mars 1992 et non pas à l'égard de l'amende fixée par le Tribunal dans son arrêt du 23 février 1994.

57 Il convient par conséquent d'examiner si, comme le prétend le requérant, l'amende infligée par la Commission est juridiquement distincte de celle fixée par le juge communautaire dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction et si cette distinction est de nature à limiter la portée des effets de la garantie bancaire constituée par le requérant.

58 Il convient de relever qu'il ressort déjà du libellé de l'article 17 du règlement n° 17 que la compétence de pleine juridiction conférée au juge communautaire en matière d'application des règles de concurrence, laquelle lui permet de supprimer, réduire ou majorer l'amende infligée par la Commission, se rapporte et se limite à l'amende initialement infligée par la Commission.

59 Il convient, ensuite, de relever que, dans le cadre du droit de la concurrence, le juge communautaire n'a pas le pouvoir d'infliger une amende il a compétence de pleine juridiction uniquement pour se prononcer sur les amendes fixées par une décision de la Commission. Enfin, l'argument du requérant selon lequel, en cas de majoration de l'amende, la portion majorée de l'amende ne produit des intérêts qu'à partir de l'arrêt ne saurait fonder la thèse qu'il soutient. En effet, la portion majorée de l'amende n'étant elle-même exigible qu'à partir du prononcé de l'arrêt, les intérêts y afférents ne peuvent, en vertu du principe selon lequel l'accessoire suit le principal, courir qu'à partir de cette date.

60 Le Tribunal en conclut que le juge communautaire n'est pas compétent, dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 172 du traité et par l'article 17 du règlement n° 17, pour substituer à l'amende infligée par la Commission une amende nouvelle, juridiquement distincte de celle-ci.

61 Ni l'usage du terme "fixer" au point 147 et dans le dispositif de l'arrêt du Tribunal, ni la circonstance que le juge communautaire peut tenir compte d'éléments postérieurs à la décision lorsqu'il prononce une amende moins élevée que celle infligée par la Commission, ne sont de nature à infirmer cette conclusion.

62 En effet, s'agissant de l'utilisation du terme "fixer", il convient de rappeler qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour (arrêt du 26 avril 1988, Asteris e.a. et Grèce/Commission, 97-86, 193-86, 99-86 et 215-86, Rec. p. 2181, point 27) que le dispositif d'un arrêt doit être lu à la lumière des motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire dans la mesure où ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif.

63 Or, force est de constater que, au point 142 de son arrêt du 23 février 1994, le Tribunal a indiqué clairement que, puisqu'il n'avait retenu, contrairement à la Commission, qu'une seule entente prohibée à la charge du Groupement, il lui appartenait d'examiner, dans l'exercice de sa pleine compétence, s'il y avait lieu de réduire l'amende infligée au Groupement. En outre, en tenant compte d'une moindre gravité de l'infraction finalement retenue à l'encontre du Groupement pour déterminer un montant moins élevé de l'amende, le Tribunal a clairement fait apparaître dans la motivation relative aux amendes que sa décision visait à réduire l'amende initialement infligée par la Commission et non pas à lui substituer une nouvelle amende distincte. Par conséquent, l'on ne saurait attribuer au terme "fixer" le sens que lui prête le requérant.

64 S'agissant de la possibilité pour le juge communautaire de tenir compte d'éléments postérieurs à la décision de la Commission, notamment du comportement adopté par une partie sanctionnée postérieurement à cette décision, pour prononcer une amende moins élevée que celle retenue par la Commission, il convient de relever que cette circonstance n'est pas de nature à conférer à l'amende fixée par le Tribunal un caractère juridiquement distinct par rapport à celle infligée par la Commission. Il suffit de relever, à cet égard, que, dans son arrêt du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission (6-73 et 7-73, Rec. p. 223), invoqué par le requérant à l'appui de sa thèse, la Cour a précisément "réduit" l'amende infligée par la Commission tout en prenant en considération l'attitude adoptée par la partie sanctionnée postérieurement à la décision.

65 Il résulte de tout ce qui précède que, en l'espèce, l'amende fixée par le Tribunal ne constitue pas une nouvelle amende juridiquement distincte de celle infligée par la Commission dans sa décision du 25 mars 1992 et qu'elle n'est pas de nature à limiter la portée des effets de la garantie bancaire constituée par le requérant. C'est, dès lors, à bon droit que la Commission exige le paiement d'intérêts de retard à partir de la date d'exigibilité de sa décision calculés sur le montant de l'amende fixé par le Tribunal dans son arrêt du 23 février 1994.

66 Par conséquent, le moyen tiré de l'absence de base légale doit être rejeté.

Deuxième moyen: incompétence des signataires des lettres des 7 juin et 15 juillet 1994

* Argumentation des parties

67 Le requérant fait valoir que la décision attaquée, telle qu'elle résulte des lettres des 7 juin et 15 juillet 1994, ne saurait être assimilée à une simple mesure d'administration ou de gestion susceptible d'être prise en vertu d'une habilitation, mais constitue une décision de principe (voir l'arrêt de la Cour du 23 septembre 1986, Akzo Chemie/Commission, 5-85, Rec. p. 2585, points 29 et 34 à 39), dans la mesure où elle révèle une véritable prise de position de la part de la Commission qui ne repose sur aucune base légale et constitue, de surcroît, une entrave au droit de recours des justiciables. Il estime, dès lors, que la décision litigieuse a été adoptée d'une manière illégale, du fait qu'elle a été prise par un membre du service juridique et par le comptable de la Commission, ces derniers n'étant pas habilités à engager la Commission dans le cadre d'une décision.

68 La Commission répond que les lettres attaquées se limitent à rappeler au requérant l'obligation de payer des intérêts de retard qu'il a contractée en fournissant la garantie bancaire à la suite de la lettre de notification de la décision du 25 mars 1992 et ne constituent pas une décision au sens de l'article 189 du traité. A l'audience, la Commission a précisé, en réponse à une question du Tribunal, que, à supposer même que les lettres attaquées puissent être considérées comme étant constitutives d'une décision susceptible de faire l'objet d'un recours, une telle décision constituerait, en tout état de cause, une simple mesure de gestion ou d'administration susceptible d'être prise en vertu d'une habilitation.

* Appréciation du Tribunal

69 Le Tribunal rappelle, tout d'abord, que, en vertu de l'article 11 de son règlement intérieur 93-492-Euratom, CECA, CEE, du 17 février 1993 (JO L 230, p 15), la Commission peut habiliter un ou plusieurs de ses membres à prendre, en son nom et sous son contrôle, des mesures d'administration ou de gestion clairement définies, à condition que le principe de sa responsabilité collégiale soit pleinement respecté. En effet, la délégation de signature à l'intérieur d'une institution constitue une mesure relative à l'organisation interne des services de l'administration communautaire, conforme à l'article 11 du règlement intérieur 93-492, du 17 février 1993, précité (voir, par exemple, arrêts du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48-69, Rec. p. 619, et du 17 octobre 1972, Cementhandelaren/Commission, 8-72, Rec. p. 977), et des fonctionnaires peuvent être habilités à prendre, au nom et sous le contrôle de la Commission, des mesures de gestion ou d'administration.

70 Or, il découle de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal (arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF ea, C-137-92 P, Rec. p. I-2555, points 64 et 65, et arrêt du Tribunal du 27 février 1992, BASF ea/Commission, T-79-89, T-84-89, T-85-89, T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-98-89, T-102-89 et T-104-89, Rec. p. II-315, point 59) que les mesures qui créent des droits et obligations à l'égard des justiciables constituent des décisions qui doivent être délibérées en commun par les membres de la Commission, tandis que les mesures qui se bornent à entériner ces décisions constituent, en tant que mesures accessoires, des mesures de gestion susceptibles d'être prises en vertu d'une habilitation (arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, point 38).

71 Contrairement à ce que soutient le requérant, une décision par laquelle la Commission exige le paiement d'intérêts de retard à la suite d'un arrêt du Tribunal confirmant partiellement une décision infligeant une amende assortie d'intérêts de retard doit être, en tant que mesure d'exécution de la décision initiale fixant l'amende et les intérêts, considérée comme une simple mesure d'administration et de gestion.

72 En outre, le requérant n'a fourni aucune indication qui permette de croire que l'administration communautaire se serait départie de l'observation des règles régissant la matière en déléguant à son service juridique et comptable la charge de procéder au recouvrement des amendes.

73 Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence des signataires des lettres des 7 juin et 15 juillet 1994 doit être rejeté.

Troisième moyen: entrave au droit de recours

* Argumentation des parties

74 Le requérant fait valoir que la majoration d'intérêts appliquée par la Commission constitue une entrave au droit de recours en ce qu'elle sanctionne un opérateur économique au seul motif qu'il a formé un recours en annulation, dont le Tribunal a pourtant largement admis le bien-fondé, et représente une véritable sanction se surajoutant à l'amende. Il fait observer que, dans la mesure où le montant des intérêts est proportionnel à la durée de la procédure devant le Tribunal, il constitue une sanction supplémentaire alors que cette durée n'est pas imputable à la partie qui fait usage de son droit de recours.

75 Le requérant conteste, ensuite, qu'il aurait pu se soustraire à la charge des intérêts en payant l'amende dès son exigibilité, dès lors que le paiement immédiat de l'amende, en raison de l'immobilisation non rémunérée de 3 000 000 d'écus, lui aurait fait subir une perte financière qu'il évalue à 450 000 écus, du fait que la Commission refuse d'assumer la charge des intérêts se rapportant aux amendes indûment payées. Le requérant prétend que, par conséquent, l'économie du coût qu'aurait engendré l'immobilisation des sommes exigées de manière injustifiée par la Commission constitue le seul avantage qu'il ait retiré de la fourniture d'une garantie bancaire.

76 Le requérant fait grief à la Commission de comparer, aux fins de justifier l'application à la première amende d'un taux d'intérêt réduit, l'entreprise qui forme un recours et choisit de fournir une garantie bancaire et celle qui ne forme pas de recours et refuse d'honorer l'obligation de payer l'amende. Elle considère qu'il est vain de comparer la situation d'une entreprise dont le recours, comme en l'espèce, est largement accueilli par le Tribunal à celle d'une entreprise qui, de mauvaise foi, refuse de payer l'amende sans pour autant l'attaquer par un recours.

77 Finalement, le requérant soutient qu'il appartient au Tribunal d'imposer ou non la charge d'intérêts de retard lorsqu'il fixe l'amende dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, la Commission n'étant pas autorisée à atténuer les effets des arrêts qui lui sont défavorables au moyen d'une réévaluation systématique de l'amende fixée par le Tribunal.

78 La Commission fait observer, tout d'abord, qu'il convient de distinguer, non pas entre les entreprises qui forment un recours et celles qui n'en forment pas, mais entre les entreprises qui paient l'amende qui leur est infligée dès son échéance et celles qui ne la paient pas. En effet, les entreprises qui choisissent de constituer une garantie bancaire se verraient attribuer le bénéfice d'un taux d'intérêt plus favorable que celui dont se trouvent chargées les entreprises qui refusent de payer l'amende imposée. Selon la Commission, les frais bancaires relatifs à la constitution d'une garantie bancaire ne sont pas de nature à annihiler cet avantage.

79 La Commission fait observer que le Groupement n'a pas contesté, dans le cadre de son recours T-39-92, le caractère "extrêmement pénalisant" du taux d'intérêt qu'elle applique. En tout état de cause, le requérant aurait pu se soustraire au paiement du taux d'intérêt imposé par la Commission en empruntant la somme à un taux moins élevé et en payant l'amende dès son échéance.

80 La Commission ajoute que la thèse soutenue par le requérant, selon laquelle elle n'est fondée à percevoir des intérêts de retard que dans les seuls cas où le recours est rejeté dans son intégralité, conduirait à favoriser les entreprises dont le recours serait, même dans une infime mesure, accueilli par rapport à celles qui payeraient tardivement leur amende, puisque les premières se trouveraient libérées de toute obligation de payer des intérêts malgré le paiement tardif d'une partie de l'amende. En outre, cette thèse viderait de sa substance le principe inscrit à l'article 185 du traité.

* Appréciation du Tribunal

81 Il convient, tout d'abord, de rappeler que le pouvoir dont dispose la Commission, en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, d'infliger des amendes implique celui d'exiger des intérêts de retard en cas de non-paiement de l'amende.

82 Ainsi, en accordant à l'entreprise qui introduit un recours contre une décision lui infligeant une amende la faculté de s'exonérer du paiement immédiat de l'amende moyennant fourniture d'une garantie bancaire destinée à garantir le paiement de l'amende et des intérêts y afférents, la Commission lui octroie le bénéfice d'un privilège qui ne résulte ni des dispositions du traité ni de celles du règlement n° 17.

83 De surcroît, le Tribunal relève, d'une part, que le taux d'intérêt imposé par la Commission en cas de fourniture d'une garantie bancaire est inférieur à celui exigé en cas de non-paiement de l'amende (11,75 %) et, d'autre part, que l'entreprise sanctionnée dispose de la faculté de payer l'amende dès son exigibilité et d'éviter ainsi d'être contrainte à payer des intérêts de retard.

84 Le requérant soutient toutefois que l'entreprise dont le montant de l'amende est réduit par le juge communautaire encourt une sanction plus sévère que l'entreprise qui s'abstient de former un recours ou celle dont le recours est rejeté.

85 Il convient, à cet égard, de relever que l'entreprise dont le recours est rejeté supporte la charge des intérêts au taux réduit sur la totalité du montant de l'amende et que l'entreprise qui ne forme pas de recours supporte la charge d'intérêts au taux plein sur ce même montant. En revanche, lorsque le juge communautaire réduit le montant de l'amende infligée par la Commission en faisant droit en partie au recours, la charge d'intérêts au taux réduit supportée par l'entreprise se trouve proportionnellement ramenée au montant de l'amende ainsi fixé.

86 Il convient d'ajouter, en outre, que tant l'absence de différence de nature juridique de l'amende lorsqu'elle est révisée par le juge communautaire que le principe de l'effet non suspensif des recours s'opposent à ce que la Commission libère l'entreprise, dont le recours a été accueilli en partie, de l'obligation qui lui incombe de payer, à dater de l'exigibilité de l'amende infligée par la Commission, des intérêts sur le montant de l'amende fixé par le juge communautaire et à ce qu'elle annihile la portée des effets de la garantie bancaire fournie par l'entreprise sanctionnée.

87 Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'obligation de payer des intérêts de retard sur le montant de l'amende fixé par le juge communautaire constitue une entrave au droit de recours n'est pas fondé.

88 Il résulte de tout ce qui précède que la demande principale visant à l'annulation des lettres des 7 juin et 15 juillet 1994 doit être rejetée.

Sur la demande subsidiaire relative à la méthode d'imputation des paiements effectués par le Groupement

Argumentation des parties

89 Le requérant fait grief à la Commission d'avoir imputé le paiement de l'amende de 2 000 000 d'écus, effectué par le Groupement le 5 mai 1994, d'abord, sur les intérêts et, ensuite, sur le principal, l'obligeant de la sorte à payer des intérêts sur le restant de la somme. A cet égard, le requérant fait valoir qu'une telle façon d'agir est dépourvue de toute base légale en droit communautaire. En outre, en admettant qu'elle se soit inspirée du droit français en la matière, spécialement de l'article 1254 du Code civil français, la Commission n'aurait pu appliquer aux amendes un texte qui régit les obligations civiles. Le requérant ajoute que, lorsqu'un débiteur a déclaré payer sur le capital, le créancier qui a reçu cette déclaration ne peut plus contester l'imputation. Il en serait également ainsi lorsqu'il résulte d'un acte quelconque provenant du créancier que ce dernier a consenti à ce que l'imputation se fasse sur le capital. En l'espèce, le Groupement aurait clairement déclaré payer sur le capital puisque, dans sa lettre du 5 mai 1994, il a fait observer que la somme de 2 000 000 d'écus ne saurait porter intérêts.

90 En dernier lieu, le requérant relève encore que, en considérant la méthode utilisée comme étant conforme à un principe de bonne gestion financière, la Commission confond ses fonctions d'administration et de gestion avec celles qu'elle exerce en tant qu'autorité régulatrice du marché, qui lui confèrent des pouvoirs répressifs qui ne peuvent être exercés selon des principes de gestion financière.

91 La Commission soutient que la méthode d'imputation à laquelle elle a procédé découle d'un usage général communément admis dont le principe est inscrit notamment en droit civil français. En tant que méthode généralement admise en matière financière, elle n'aurait pas besoin d'autre base légale en droit communautaire. Cette règle résulterait également des dispositions de procédure interne de la Commission relatives au recouvrement des amendes et astreintes et elle n'aurait jamais fait l'objet d'une contestation quelconque. Le requérant n'avancerait, d'ailleurs, aucun moyen d'ordre juridique ou pratique de nature à mettre en cause, au regard du droit communautaire, la méthode qu'elle a appliquée.

92 S'agissant de l'argument du requérant selon lequel il aurait déclaré dans sa lettre du 5 mai 1994 qu'il avait payé sur le capital, la Commission rappelle que ce n'est qu'au cas où le créancier donne son accord à ce que la dette s'impute d'abord sur le capital que tel pourrait être le cas. Or, en l'espèce, la Commission n'aurait jamais consenti à voir imputer la somme de 2 000 000 d'écus d'abord sur le capital.

Appréciation du Tribunal

93 Le Tribunal constate, d'une part, qu'il est constant entre les parties que le paiement de 2 000 000 d'écus effectué par le Groupement le 5 mai 1994 a été imputé, d'abord, sur les intérêts et, ensuite, sur le capital et, d'autre part, que cette méthode d'imputation des paiements constitue une méthode généralement admise dans les ordres juridiques nationaux.

94 Le Tribunal estime, en outre, que la Commission, qui dispose du pouvoir d'assortir l'obligation de payer les amendes qu'elle inflige de la charge d'intérêts en cas de non-paiement de celles-ci, dispose également du pouvoir de décider de l'imputation des paiements effectués en relation avec ces amendes à la condition de ne pas enfreindre des règles ou des principes généraux du droit communautaire.

95 En l'espèce, le Tribunal constate que le requérant n'avance aucun élément de nature à établir que la Commission, en se basant sur des règles communément admises dans la plupart des ordres juridiques nationaux pour procéder à l'imputation de paiements, aurait violé une règle de droit communautaire ou un principe général du droit.

96 Au contraire, le requérant affirme, en substance, que l'entreprise aurait la faculté, en s'acquittant du principal de l'amende, de consolider le montant des intérêts de retard au motif que la décision de la Commission du 25 mars 1992 ne prévoit pas que les paiements partiels doivent être imputés d'abord sur les intérêts de retard. Or, force est de constater que cette thèse aboutirait en fait à priver de tout effet utile le pouvoir découlant pour la Commission de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 d'exiger le paiement d'intérêts de retard. Dès lors que l'on ne saurait admettre qu'un tel résultat ait été voulu par le législateur communautaire, la thèse du requérant doit être rejetée.

97 S'agissant, enfin, de l'argument du requérant selon lequel la Commission aurait accepté que son paiement de 2 000 000 d'écus s'effectue, d'abord, sur le capital et, ensuite, sur les intérêts, le Tribunal constate que cet argument est resté à l'état de pure affirmation et ne se trouve étayé par aucune pièce du dossier.

98 Il s'ensuit que la demande subsidiaire doit également être rejetée comme non fondée.

99 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

100 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé en ses conclusions et la Commission ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) Le requérant supportera l'ensemble des dépens.