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Décisions

TPICE, 3e ch., 27 juin 1995, n° T-186/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Guérin automobiles (EURL)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Biancarelli

Juges :

MM. Schintgen, Briët, Bellamy, Azizi

Avocat :

Me Fourgoux.

Comm. CE, du 13 juin 1994; Comm. CE, du …

13 juin 1994

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

FAITS A L'ORIGINE DU RECOURS

1 Le 10 septembre 1987, la requérante a conclu un contrat de concession à durée indéterminée avec Volvo France SA (ci-après "Volvo France"). Par lettre du 16 mai 1988, Volvo France a résilié ce contrat avec effet au 16 août 1988.

2 Par lettre du 3 août 1992, la requérante a demandé à la Commission, en application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), de constater une infraction à l'article 85 du traité CEE. Dans cette plainte, la requérante a fait valoir que Volvo France avait résilié abusivement le contrat de concession, sous prétexte que la requérante n'avait pas été en mesure de respecter les objectifs de vente fixés à l'article 1.5 dudit contrat.

3 Dans une lettre datée du 29 octobre 1992, M. Temple Lang, directeur à la Direction Générale de la Concurrence de la Commission (DG IV), a informé la requérante qu'il voyait "difficilement, au vu du dossier actuel, une possibilité de soutenir qu'une telle affaire présente un intérêt communautaire suffisant à justifier son traitement par les services de la Commission. Dans ces conditions, en l'absence d'éléments nouveaux de votre part dans un délai de quatre semaines à compter de la date de réception de la présente lettre, ce dossier sera classé sans suite".

4 Par lettre du 11 décembre 1992, la requérante a présenté des observations sur la lettre de la Commission du 29 octobre 1992. Lors de l'audience, la requérante a soutenu que ces observations ont le caractère d'une nouvelle plainte.

5 Par lettre du 21 janvier 1993, M. Temple Lang, se référant à la lettre de la requérante du 11 décembre 1992, a fait valoir qu'il ressort du contenu de cette lettre que "la plainte ne se fonde pas sur les conditions factuelles de la résiliation par Volvo France du contrat en question mais qu'en définitive elle se fonde sur le refus de vente qui désormais est opposé à Guérin automobiles au seul motif d'un réseau de contrats de distribution exclusive et sélective qui, selon Guérin, sont nuls de plein droit car ils débordent substantiellement le cadre exempté par le règlement (CEE) n° 123-85 et ne relèvent pas non plus d'une exemption à titre individuel." Il ajoute: "Je dois vous informer à ce propos que le problème ainsi posé par vous, et qui d'ailleurs fait l'objet d'autres plaintes, est actuellement soumis à l'examen de la Commission, dont le résultat vous sera communiqué à son achèvement."

6 Par lettre du 6 janvier 1994, la requérante a demandé à la Commission de lui communiquer le résultat de l'examen du dossier auquel se réfère la lettre du 21 janvier 1993. Le 24 janvier 1994, elle a adressé à la Commission une lettre de mise en demeure se référant expressément à l'article 175 du traité CE.

7 Suite à cette lettre de mise en demeure, M. Temple Lang a fait savoir à la partie requérante, par lettre du 4 février 1994 ce qui suit:

"Votre plainte concerne des restrictions à la concurrence qui sont inhérentes à la distribution automobile à la fois sélective et exclusive, adoptée notamment par Volvo France et objet de votre plainte, et fondée sur le modèle facultatif offert par le règlement n° 123-85 évoqué par vous. Il vous était indiqué dans ma lettre du 21 janvier 1993, que vous citez aussi, qu'un cas particulier de ce type est déjà soumis à un examen individuel au titre des règles de concurrence du traité. Je vous confirme à nouveau que cet examen est toujours en cours et, le cas échéant, aura valeur de précédent pour des problèmes tels que ceux posés par vous. Et, pour répondre à votre présente lettre de mise en demeure, je vous renouvelle l'assurance que vous serez tenus informés aussitôt qu'aura été franchie une étape significative du déroulement de cet examen."

8 Le 13 juin 1994, le directeur général de la DG IV a envoyé à la partie requérante une communication se référant à l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"). Cette lettre se lit comme suit:

"Objet: Affaire IV-34-423 - Volvo France c. Guérin

Réf.: votre lettre du 24.01.94 (mise en demeure)

Lettre au titre de l'article 6 du règlement (CEE) 99-63

Maître,

J'accuse réception de votre lettre du 24 janvier 1994 concernant la situation de votre cliente Guérin automobiles depuis sa plainte du 11 décembre 1992 contre le contrat type de distribution de Volvo France alléguant des dépassements importants par rapport au cadre exempté par le règlement, ainsi que de votre demande au titre de l'article 175 du traité visant à obtenir de la Commission qu'elle prenne position dans les deux mois sur cette affaire. Cette lettre appelle de ma part les observations qui suivent.

Votre plainte soulève la question, du point de vue des règles de concurrence, de la compatibilité avec le règlement (CEE) n° 123-85 d'un contrat concernant la distribution exclusive et sélective des automobiles tel qu'il est appliqué par Volvo France. A ce sujet, et revenant sur ma lettre du 21 janvier 1993 à laquelle vous vous référez également, je vous confirme qu'un cas particulier est actuellement à l'instruction dans les services de la Commission, posant la question de la conformité au règlement du contrat type de distribution automobile d'un autre constructeur.

Cette autre affaire met en cause plusieurs des clauses ou pratiques évoquées dans votre plainte. Comme vous le savez, la Commission est soumise à des impératifs dans le choix de ses priorités, en raison des moyens limités dont elle dispose. Dès lors, il est conforme à l'intérêt communautaire que soient sélectionnés les cas les plus représentatifs lorsque plusieurs affaires comparables lui sont soumises. Pour cette raison je vous confirme, me référant à l'article 6 du règlement (CEE) n° 99-63, que dans ces circonstances votre plainte ne peut pas faire l'objet d'un traitement individuel à l'heure actuelle.

Par ailleurs, le règlement n° 123-85 est directement applicable par les tribunaux nationaux; dès lors, votre cliente peut porter son litige, ainsi que la question de l'applicabilité de ce règlement au contrat en question, directement devant ces tribunaux.

Il vous appartient de faire vos observations sur la présente lettre. En ce cas, elles devraient me parvenir dans un délai de deux mois."

9 Le 20 juin 1994, la requérante a adressé à la Commission des observations sur la lettre du 13 juin 1994.

Procédure et conclusions des parties

10 C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mai 1994, la requérante a introduit le présent recours.

11 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

12 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique du 7 mars 1995.

13 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- constater, au titre de l'article 175 du traité, que la Commission a négligé de prendre une décision à son égard;

- subsidiairement, annuler les lettres de la Commission des 21 janvier 1993 et 4 février 1994, à supposer qu'elles expriment une décision de ne pas instruire la plainte de la requérante;

- condamner la Commission aux dépens.

14 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- déclarer irrecevable le recours au titre de l'article 173 du traité CE;

- rejeter le recours au titre de l'article 175 comme non fondé ou, subsidiairement, comme étant devenu sans objet depuis l'envoi de la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63;

- condamner la requérante aux dépens de l'instance.

Sur les conclusions principales, fondées sur l'article 175 du traité

En ce qui concerne l'objet des conclusions

Argumentation des parties

15 La Commission, se référant aux arrêts de la Cour du 18 octobre 1979, GEMA/Commission (125-78, Rec. p. 3173, point 21), et du Tribunal du 18 septembre 1992, Asia Motor France e.a./Commission (T-28-90, Rec. p. II-2285, points 35 et 36, ci-après "Asia Motor I"), estime que l'envoi de la lettre du 13 juin 1994, au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, constitue une prise de position, au sens de l'article 175 du traité. Selon la Commission, il n'y a, dès lors, plus lieu de statuer.

16 Elle ajoute que le fait que cette lettre ne constitue pas un acte susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation n'est pas pertinent, puisqu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que peuvent être constitutives d'une carence non seulement l'abstention de prendre des actes susceptibles de produire des effets juridiques et, partant, de faire l'objet d'un recours en annulation, mais également l'abstention de prendre des actes qui n'ont pas de tels effets, si cette abstention crée par elle-même des effets juridiques, notamment si l'acte en question constitue le préalable nécessaire au déroulement d'une procédure devant déboucher sur un acte juridique lui-même attaquable, au sens de l'article 173 du traité (arrêts de la Cour du 12 juillet 1988, Parlement/Conseil, 377-87, Rec. p. 4017, et du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil, 302-87, Rec. p. 5615). Cette jurisprudence n'aboutirait pas, selon la Commission, à une lacune dans la protection juridictionnelle des plaignants puisque, si la Commission n'adopte pas une décision finale de rejet de la plainte suite à l'envoi de la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, le plaignant pourra introduire un nouveau recours en carence pour obtenir cette décision finale.

17 Lors de l'audience, la Commission a fait valoir que la requérante n'a pas pu se méprendre sur la portée exacte de la lettre du 13 juin 1994, du fait que l'article 6 du règlement n° 99-63, qui sert de base juridique à cette lettre, dispose expressément que la Commission communique une telle lettre à la partie plaignante lorsqu'elle considère ne pas pouvoir donner une suite favorable à la plainte.

18 La requérante rétorque que la lettre du 13 juin 1994 ne peut constituer une prise de position, tant en raison du fait qu'elle se réfère expressément à l'article 6 du règlement n° 99-63 qu'eu égard aux termes utilisés dans celle-ci. A cet égard, elle fait valoir qu'il est illogique de prétendre, tout à la fois, d'une part, que la lettre de la Commission du 29 octobre 1992, qui précisait que, "dans un délai de quatre semaines à compter de la date de réception de la présente lettre, le dossier sera classé sans suite", n'est qu'une simple réponse d'attente et, d'autre part, que la lettre du 13 juin 1994, qui ne contient aucune déclaration expresse de rejet de la plainte, constitue une prise de position. Elle ajoute que la Commission, en précisant, dans sa lettre du 13 juin 1994, que la plainte "ne peut faire l'objet d'un traitement individuel à l'heure actuelle", a voulu limiter dans le temps les effets de cette lettre et lui a ainsi donné un caractère provisoire.

19 Elle fait encore valoir que la lettre du 13 juin 1994 ne s'appuie que sur une clause de style, à savoir l'intérêt communautaire de l'affaire et des considérations financières, pour justifier le rejet éventuel de la plainte et qu'elle n'est donc pas suffisamment motivée. De ce fait, cette lettre ne saurait être considérée comme une prise de position sur la plainte à l'origine du litige.

20 La requérante estime également que la lettre du 13 juin 1994 n'a pas mis fin à la carence, en raison du fait que, deux mois seulement après le dépôt de la plainte, les services de la Commission lui ont adressé la lettre du 29 octobre 1992, laquelle laisse entendre que ses auteurs avaient l'intention de classer la plainte, ce qui ferait apparaître que celle-ci n'a pas fait l'objet par la Commission d'un examen attentif (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24-90, Rec. p. II-2223, ci-après "Automec II", et du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission, T-7-92, Rec. p. II-669, ci-après "Asia Motor II"). De plus, en rattachant, de façon informelle, la plainte de la requérante à un autre dossier, la Commission aurait abandonné ou reporté sine die, sans justification, l'analyse des griefs articulés spécifiquement à l'encontre de Volvo France, refusant ainsi à la requérante le bénéfice de la protection juridique que lui confère l'article 85 du traité.

21 Elle ajoute qu'admettre que la lettre du 13 juin 1994 met fin à la carence permet à la Commission de s'affranchir de tout contrôle en matière de pratiques anticoncurrentielles. Elle estime que le flou des réponses de la Commission relève d'une stratégie délibérée, visant à la priver de recours juridictionnel. La DG IV chercherait à se mettre à l'abri, d'une part, d'un recours en annulation, en qualifiant les lettres des 21 janvier 1993 et 4 février 1994 de simples "réponses d'attente", et, d'autre part, d'un recours en carence en déclarant que sa lettre du 13 juin 1994 constitue une véritable prise de position. Selon la requérante, ce comportement témoigne d'un détournement de pouvoir et d'une violation de l'esprit du traité CE, de la part des services de la Commission, qui justifient, à eux seuls, le recours en carence intenté par la requérante.

Appréciation du Tribunal

22 Le Tribunal constate qu'il est établi et non contesté que, au moment de l'introduction de la requête, les conclusions en carence étaient recevables. Il convient cependant d'examiner si une prise de position de la Commission, survenue en cours d'instance, les a ultérieurement privées de leur objet initial.

23 A cet égard, il convient, à titre liminaire, de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que, exception faite du cas où l'objet de la plainte relève des compétences exclusives de la Commission, l'article 3 du règlement n° 17 ne confère pas à l'auteur d'une demande présentée en vertu dudit article le droit d'obtenir une décision de la Commission, au sens de l'article 189 du traité CE, quant à l'existence ou non d'une infraction à l'article 85 et/ou à l'article 86 du traité(arrêts GEMA/Commission, précité, point 17, Automec II, précité, points 75 et 76, et arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, Rendo e.a./Commission, T-16-91, Rec. p. II-2417, point 98). En outre, cette solution ne fait pas obstacle à ce que la partie requérante obtienne, sur sa plainte, une décision de la Commission susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation, conformément au principe général du droit à un recours juridictionnel effectif (voir, notamment, arrêts de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222-84, Rec. p. 1651, point 18, et du 19 mars 1991, Commission/Belgique, C-249-88, Rec. p. I-1275, point 25).

24 Ainsi que le Tribunal l'a relevé, aux points 45 à 47 de son arrêt du 10 juillet 1990, Automec/Commission (T-64-89, Rec. p. II-367, ci-après "Automec I"), le déroulement de la procédure régie par les articles 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 et 6 du règlement n° 99-63 comporte trois phases successives. Pendant la première phase, qui suit le dépôt d'une plainte, la Commission examine la plainte, en vue de déterminer la suite qu'elle y réservera. Cette phase peut comprendre un échange de vues informel entre la Commission et la partie plaignante, visant à préciser les éléments de fait et de droit qui font l'objet de la plainte et à donner à la partie plaignante l'occasion de développer ses arguments et allégations, le cas échéant à la lumière d'une première réaction des services de la Commission. Suit une deuxième phase, matérialisée par l'envoi au plaignant de la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63, par laquelle la Commission indique à la partie plaignante les motifs pour lesquels, lorsque tel est le cas, il ne lui paraît pas justifié de donner une suite favorable à sa demande et lui donne l'occasion de présenter, dans un délai qu'elle fixe, ses observations éventuelles. Le rejet définitif de la plainte constitue la troisième phase du déroulement de la procédure. Ce dernier acte constitue une décision, au sens de l'article 189 du traité, et est, dès lors, susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation (arrêts de la Cour du 11 octobre 1983, Demo-Studio Schmidt/Commission, 210-81, Rec. p. 3045, du 28 mars 1985, CICCE/Commission, 298-83, Rec. p. 1105, du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142-84 et 156-84, Rec. p. 4487; arrêts du Tribunal Automec I, précité, point 47, et du 18 mai 1994, BEUC et NCC/Commission T-37-92, Rec. p. II-285, point 30).

25 Le Tribunal constate que, à la date à laquelle il statue, il ne ressort pas des pièces du dossier que la Commission aurait adopté une décision, au sens de l'article 189 du traité, en réponse à la plainte de la requérante. Cette constatation n'est, cependant, pas suffisante par elle-même pour conclure à la carence de l'institution défenderesse, dès lors que, dans certaines circonstances, un acte qui n'est pas, lui-même, susceptible de recours en annulation, peut, toutefois, constituer une prise de position mettant fin à la carence, s'il constitue le préalable nécessaire au déroulement d'une procédure devant déboucher sur un acte juridique lui-même susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation, dans les conditions prévues à l'article 173 du traité (arrêts du 12 juillet 1988, Parlement/Conseil, précité, points 7 et 10, et du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil, précité, point 16). Il convient donc, pour le Tribunal, de rechercher si, dans les circonstances de l'espèce, est intervenu un acte de la Commission qui, même s'il n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation, a mis fin à la carence.

26 A cet égard, il importe de rappeler que la Cour a jugé, dans son arrêt du 18 octobre 1979, GEMA/Commission (précité, point 21), qu'une lettre adressée par la Commission à la partie plaignante, au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, constitue une prise de position, au sens de l'article 175 du traité, bien qu'elle ne puisse pas faire l'objet d'un recours en annulation(arrêt BEUC et NCC/Commission, précité, point 30). C'est donc à tort que la requérante prétend que la lettre du 13 juin 1994, parce qu'elle se réfère expressément à l'article 6 du règlement n° 99-63, ne peut en aucun cas constituer une prise de position sur la plainte, au sens de l'article 175 du traité.

27 S'agissant de la qualification de la lettre du 13 juin 1994, il convient, tout d'abord, de rappeler que l'article 6 du règlement n° 99-63 dispose que "lorsque la Commission, saisie d'une (plainte)..., considère que les éléments qu'elle a recueillis ne justifient pas d'y donner une suite favorable, elle en indique les motifs aux (plaignants) et leur impartit un délai pour présenter par écrit leurs observations éventuelles".

28 Or, le Tribunal constate que la lettre du 13 juin 1994, dont l'intitulé se réfère explicitement à l'article 6 du règlement n° 99-63, satisfait à toutes les exigences formelles prévues à cet article. En effet, d'une part, elle indique au plaignant, après avoir rappelé les griefs soulevés dans sa plainte du 11 décembre 1992, les motifs du rejet de celle-ci, à savoir le fait i) qu'un cas particulier, qui met en cause plusieurs clauses ou pratiques du même type que celles évoquées dans la plainte, est à l'instruction par les services de la Commission, ii) que, lorsque plusieurs affaires similaires sont soumises à l'appréciation de la Commission, l'intérêt communautaire commande que celle-ci s'intéresse aux affaires les plus représentatives et iii) que le règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L 15, p. 16) est directement applicable par les tribunaux nationaux; d'autre part, la communication du 13 juin 1994 impartit à la plaignante un délai, fixé en l'espèce à deux mois, pour présenter, par écrit, ses observations éventuelles. Il convient de constater ensuite que, dans le corps même de la lettre, le directeur général de la DG IV se réfère une seconde fois explicitement à l'article 6 du règlement n° 99-63.

29 Dès lors, bien que, comme le relève, à juste titre, la requérante, la lettre du 13 juin 1994 n'envisage pas expressément un rejet de la plainte, il ressort clairement de la double référence à l'article 6 du règlement n° 99-63, du respect des exigences formelles prévues par cette disposition, du contenu de cette lettre ainsi que du contexte dans lequel elle s'inscrivait que la Commission considérait, à la date à laquelle elle a adressé à la requérante la communication dont il s'agit, que les éléments qu'elle avait recueillis ne justifiaient pas qu'il soit donné une suite favorable à la plainte dont la requérante l'avait saisie.

30 Il s'ensuit que la lettre de la Commission datée du 13 juin 1994 constitue une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63.

31 La circonstance que la lettre du 13 juin 1994 prévoit que la plainte ne peut pas faire l'objet d'un traitement individuel "à l'heure actuelle" n'est pas de nature à remettre en cause cette qualification.Il convient de rappeler, en effet, qu'une lettre au titre de l'article 6 ne fixe pas définitivement la position de la Commission (voir, notamment, l'arrêt de la Cour du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission, C-39-93 P, Rec. p. I-2681, point 28, et l'arrêt Automec I, précité, point 46). Dès lors, l'utilisation des termes "à l'heure actuelle" dans la lettre du 13 juin 1994 ne fait que confirmer qu'il s'agit d'une prise de position adoptée par les services de la Commission au moment de la rédaction de ladite lettre, même si cet acte ne constitue pas une décision de rejet définitif de la plainte.

32 Par suite, en adressant à la plaignante, le 13 juin 1994, une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, la Commission doit être considérée comme ayant pris position sur la plainte, au sens de l'article 175, deuxième alinéa, du traité(arrêt GEMA/Commission, précité).

33 A supposer même que, comme le prétend la requérante, la lettre du 13 juin 1994 ne soit pas suffisamment motivée et qu'elle ait été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière, de tels griefs, même s'ils pourraient éventuellement être pertinents dans le cadre d'un recours introduit en vertu de l'article 173 du traité, sont dépourvus de pertinence par rapport à la question de savoir si la Commission a pris position au sens de l'article 175 du traité.

34 S'agissant, enfin, de l'argument de la requérante, selon lequel admettre que la lettre du 13 juin 1994 met fin à la carence reviendrait à permettre à la Commission de s'affranchir de tout contrôle juridictionnel, il convient de souligner que la requérante, qui a présenté, dans le délai qui lui a été imparti pour ce faire, par la lettre du 13 juin 1994, des observations en réponse à la communication qui lui a été adressée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, est désormais en droit d'obtenir une décision de la Commission se prononçant de façon définitive sur la plainte. Or, une telle décision peut, si la requérante s'y croit fondée, faire l'objet d'un recours en annulation devant le Tribunal (voir, à cet égard, les conclusions de M. le juge Edward, faisant fonction d'avocat général, sous l'arrêt Automec II, précité, Rec. p. II-2226, points 22 et 23).

35 Il résulte de tout ce qui précède que la lettre de la Commission du 13 juin 1994, intervenue postérieurement à l'introduction du recours en carence, a privé celui-ci de son objet initial. Il n'y a donc plus lieu de statuer à son sujet (voir arrêt Asia Motor I, précité).

36 Le Tribunal n'ayant pas fait droit aux conclusions principales du recours, fondées sur l'article 175 du traité, il convient de statuer sur les conclusions subsidiaires, fondées sur l'article 173 du traité, tendant à l'annulation des correspondances adressées à la requérante par la Commission les 21 janvier 1993 et 4 février 1994.

Sur les conclusions subsidiaires en annulation

Sur la recevabilité

Argumentation des parties

37 La requérante, se référant à l'arrêt de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission (26-76, Rec. p. 1875), estime que ses conclusions, tendant à l'annulation des correspondances en date des 21 janvier 1993 et 4 février 1994 sont recevables. Elle soutient, en effet, que ces lettres de la Commission constituent des décisions de rejet de sa plainte. Elle ajoute qu'il en irait ainsi quand bien-même la lettre du 13 juin 1994 aurait mis fin à la carence, dès lors que les lettres litigieuses produisent les mêmes effets de droit que la lettre du 13 juin 1994.

38 La Commission estime que le recours en annulation formé à l'encontre des lettres des 21 janvier 1993 et 4 février 1994 est manifestement irrecevable, dès lors que ces lettres n'ont aucun caractère décisionnel. Elle ajoute que, même si ces lettres présentaient un caractère décisionnel, le recours devrait être déclaré irrecevable pour tardiveté.

Appréciation du Tribunal

39 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation, au sens de l'article 173 du traité, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires, de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, Rec. p. 2639, point 9; arrêts du Tribunal Automec I, précité, point 42, et du 24 mars 1994, Air France/Commission, T-3-93, Rec. p. II-121, point 43). Plus particulièrement, lorsqu'il s'agit d'actes ou de décisions dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases, notamment au terme d'une procédure interne, ne constituent, en principe, des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation que les mesures qui fixent définitivement la position de l'institution au terme de cette procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale (arrêt IBM/Commission, précité; arrêt BEUC et NCC/Commission, précité, point 27).

40 En l'espèce, il convient de relever que les lettres des 21 janvier 1993 et 4 février 1994 constituent de simples lettres d'attente qui relèvent de la première des trois phases de la procédure régie par les articles 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 et 6 du règlement n° 99-63, telles que précédemment rappelées. De telles lettres ne constituent, dès lors, pas des actes produisant des effets juridiques obligatoires, de nature à affecter les intérêts de la requérante, mais des actes préparatoires qui, comme tels, ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel(voir, notamment, l'arrêt Automec I, précité, point 45).

41 Il convient d'ajouter, au surplus, que cette conclusion ne serait pas remise en cause dans l'hypothèse où, comme le prétend la requérante, les lettres des 21 janvier 1993 et 4 février 1994 devraient être regardées comme des communications au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, eu égard au fait qu'une communication au titre de cette disposition, ne peut pas faire l'objet d'un recours en annulation(arrêts Automec I, précité, point 46, et BEUC et NCC/Commission, précité, point 30).

42 Il s'ensuit que les conclusions en annulation doivent être rejetées comme irrecevables.

43 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête, pour autant que celles-ci sont fondées sur l'article 175 du traité, et que le recours doit être rejeté comme irrecevable, pour autant qu'il vise à l'annulation des lettres de la Commission des 21 janvier 1993 et 4 février 1994.

Sur les dépens

44 Le Tribunal rappelle, d'une part, que, aux termes de l'article 87, paragraphe 6, de son règlement de procédure, il règle librement les dépens, en cas de non-lieu à statuer, et, d'autre part, que, aux termes de l'article 87, paragraphe 3, de ce même règlement, il peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

45 En l'espèce, le Tribunal constate que la Commission n'a pas donné suite, dans le délai prévu à l'article 175 du traité, à la mise en demeure que la partie requérante lui a adressée le 24 janvier 1994, alors même qu'elle était dûment informée de la substance de la plainte depuis décembre 1992. Par ailleurs, ce n'est que le 13 juin 1994, soit postérieurement à l'introduction du présent recours, que la Commission a notifié à la partie requérante une prise de position au sujet de sa plainte, conformément à l'article 6 du règlement n° 99-63. De même, c'est à la suite du comportement précité de la Commission que la requérante a estimé utile de présenter, à titre subsidiaire, des conclusions en annulation de la décision attaquée.

46 Il résulte de ce qui précède qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supportera ses propres dépens, ainsi que les dépens de la partie requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),

déclare et arrête:

1) Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête, pour autant que celles-ci sont fondées sur l'article 175 du traité.

2) Le surplus des conclusions de la requête est rejeté comme irrecevable.

3) La Commission est condamnée aux dépens.