Livv
Décisions

TPICE, 2e ch. élargie, 8 juin 1995, n° T-7/93

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Langnese-Iglo (GmbH)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Mars (GmbH)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Veserdorf

Juges :

MM. Barrington, Saggio, Kirschner, Kalogeropoulus

Avocats :

Mes Heidenhain, Maassen, Satzky Sedemund

TPICE n° T-7/93

8 juin 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

LES FAITS A L'ORIGINE DU RECOURS

1 Par lettre du 6 décembre 1984, le Bundesverband der deutschen Süsswarenindustrie eV - Fachsparte Eiskrem (Association nationale de l'industrie allemande de la confiserie - branche glaces de consommation, ci-après " Association ") a demandé à la Commission de lui adresser une " déclaration formelle " relative à la comptabilité avec l'article 1, du traité des contrats exclusifs conclus par les producteurs allemands de glaces de consommation avec leurs clients. Par lettre du 16 janvier 1985, la Commission a fait savoir à l'Association qu'elles estimait ne pas pouvoir donner suite à la demande de rendre une décision applicable à l'ensemble du secteur.

2 L'entreprise allemande Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG (ci-après " Schöller ") a, par lettre du 7 mai 1985, notifié à la Commission un modèle d'un " accord de livraison " régissant ses rapports avec ses distributeurs détaillants. Le 20 septembre 1985, la direction générale de la concurrence de la Commission a adressé à l'avocat de Schöller une lettre administrative de classement (ci-après " lettre administrative "), dans laquelle on peut lire :

" Vous avez demandé le 2 mai 1985, au nom de la société Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG, conformément à l'article 2 du règlement n° 17, l'obtention d'une attestation négative pour un " accord de livraison de glace ".

Conformément à l'article 4 dudit règlement, vous avez aussi, à titre préventif, notifié le contrat. Vous avez ultérieurement fourni, par lettre du 25 juin 1985, un contrat type devant servir de référence aux contrats que conclura à l'avenir la société Schöller.

Par lettre du 23 août 1985, vous avez clairement indiqué que l'obtention d'achat exclusif à la charge du client contenue dans le contrat type notifié, qui est assortie d'une interdiction de concurrence, peut être résiliée pour la première fois avec un préavis de six mois au plus tard à la fin de la deuxième année du contrat, et ensuite avec le même préavis à la fin de chaque année.

Il ressort des éléments dont la Commission a connaissance et qui, pour l'essentiel, reposent sur ce que vous avez indiqué dans votre demande, que les durées fixes des contrats à conclure à l'avenir ne dépasseront pas deux ans. La durée moyenne de l'ensemble des " accords de livraison de glace " de votre cliente se trouvera donc bien en dessous de la période de cinq ans, condition, dans le règlement (CEE) n° 1984-83 de la Commission du 22 juin 1983 (JO L 173 du 30 juin 1983, p. 5), de l'exemption par catégorie des accords d'achats exclusifs.

Ces éléments montrent bien que les " accords de livraison de glace " conclus par la société Schöller, même en tenant compte du nombre d'accords de même nature, n'ont notamment pas pour effet d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. L'accès d'entreprises tierces au secteur du commerce de détail reste garanti.

Les " accords de livraison de glace " de la société Schöller qui ont été notifiés sont en conséquence compatibles avec les règles de concurrence du traité CEE. Aussi n'y a t-il pas lieu pour la Commission d'intervenir à l'égard des contrats notifiés par votre cliente.

La Commission se réserve toutefois le droit de rouvrir la procédure si certains éléments de droit ou de fait sur lesquels se fonde la présente appréciation devaient se modifier sensiblement.

Nous souhaitons au demeurant indiquer à votre cliente que les " accords de livraison de glace " déjà existants sont soumis à une semblable appréciation et qu'il n'est donc pas nécessaire de la notifier si les durées fixes de ces accords ne dépassent pas deux ans après le 31 décembre 1986 et qu'ils sont ensuite résiliables avec un préavis de six mois maximum à la fin de chaque année.

... "

3 Le 18 septembre 1991, Mars GmbH (ci-après " Mars ") a déposé une plainte auprès de la Commission contre la requérante et contre Schöller, pour infraction aux articles 85 et 86 du traité, et a demandé que des mesures conservatoires soient prises afin de prévenir le préjudice grave et irréparable qui résulterait, selon elle, du fait que la vente de ses glaces de consommation serait fortement entravée en Allemagne par la mise en œuvre d'accords contraires aux règles de concurrence que la requérante et Schöller auraient conclu avec un grand nombre de détaillants.

4 Par décision du 25 mars 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-34.072 - Mars/Langnese et Schöller - Mesures conservatoires) (ci-après " décision du 25 mars 1992 "), la Commission a, en substance, interdit à la requérante et à Schöller, à titre de mesures conservatoires, de faire valoir leurs droits contractuels résultant des accords conclus par ces sociétés ou en leur faveur dans la mesure où les détaillants s'engageaient à proposer à la vente et/ou à vendre exclusivement des glaces de consommation de ces producteurs, à l'égard des articles de glaces de consommation " Mars ", " Snickers ", " Milky Way " et " Bounty ", lorsque ceux-ci sont proposés au consommateur final en portions individuelles. La Commission a, en outre, retiré la bénéfice de l'application du règlement (CEE) n°1984-83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'achat exclusif (JO L 173, p. 5, rectificatif JO 1984, L 79, p. 38, ci-après " règlement n° 1984-83 "), aux accords d'exclusivité conclus par la requérante, dans la mesure nécessaire à l'application de l'interdiction ci-dessus mentionnée.

5 C'est dans ces circonstances que, afin d'adopter, à la suite de la décision du 25 mars 1992, une décision définitive sur les " accords de livraison " en cause, la Commission a arrêté, le 23 décembre 1992, la décision 93-406-CEE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité (IV-34.072 contre Langnese-Iglo GmbH - JO 1993, L 183, p. 19, ci-après " décision "), dont le dispositif est le suivant :

" Article premier

Les accords conclus par Langnese-Iglo GmbH, en vertu desquels les détaillants sis en Allemagne sont tenus, aux fins de la revente de glaces de consommation en conditionnement individuel (1), d'effectuer leurs achats exclusivement auprès de l'entreprise citée (obligation d'exclusivité des points de vente), constituent une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

Article 2

Le bénéfice de l'application des dispositions du règlement (CEE) n° 1984-83 est retiré aux accords mentionnés à l'article 1er remplissant les conditions nécessaires pour bénéficier de l'exemption par catégorie conformément audit règlement.

Article 3

Langnese-Iglo GmbH est tenue de communiquer le libellé des articles 1er et 2 aux revendeurs avec lesquels elle a conclu des accords tels que ceux mentionnés à l'article 1er, en indiquant la nullité des accords concernés, dans un délai de trois mois à dater de la notification de la présente décision.

Article 4

Il est interdit à Langnese-Iglo GmbH de conclure des accords tels que ceux mentionnés à l'article 1er jusqu'au 31 décembre 1997.

... "

6 Le même jour, une décision a été arrêtée à l'égard de Schöller [décision 93-405-CEE de la Commission du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité contre Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG (IV-31.533 et IV-34.072 - JO 1993, p. 1)].

PROCEDURE

7 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 avril 1992, la requérante a introduit un recours visant à l'annulation de la décision du 25 mars 1992 et, par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit une demande de mesures provisoires (affaires T-24-92 et T-24-92 R).

8 Par ordonnance du 16 juin 1992, le président du Tribunal, statuant à titre provisoire, a ordonné des mesures provisoires (Langnese-Iglo et Schöller Lebensmittel/Commission, T-24-92 R et T-28-92 R, Rec. p.II-1839).

9 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 2 février 1993, la partie requérante a informé le Tribunal conformément à l'article 99 du règlement de procédure, qu'elle se désistait de son recours et, par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 1er avril 1993, l'affaire T-24-92 a été radiée du registre du Tribunal.

10 En application de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE, lequel reprend les dispositions de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, la requérante a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 janvier 1993, introduit le présent recours, visant à l'annulation de la décision.

11 Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit une demande de sursis à l'exécution de la décision en vertu des articles 185 du traité et 104 du règlement de procédure du Tribunal.

12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 février 1993, Mars a demandé à être admise à intervenir dans la procédure T-7-93 R, au soutien des conclusions de la Commission. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 février 1993, Mars a également demandé à être admise à intervenir dans l'affaire T-7-93, au soutien des conclusions de la Commission.

13 Par ordonnance du 19 février 1993, le président du Tribunal a admis l'intervention de Mars dans l'affaire T-7-93 R et a statué sur la demande de sursis à exécution introduite par la requérante (Langnese-Iglo et Schöller/Commission, T-7-93 R et T-9-93 R, Rec. p. II-131).

14 Par ordonnance du 12 juillet 1993, le président de la première chambre du Tribunal a admis l'intervention de Mars dans l'affaire T-4-93 et a fait droit à une demande de confidentialité présentée par la requérante, conformément à l'article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

15 Schöller a également introduit un recours visant à l'annulation de la décision dont elle est destinataire (affaire T-9-93). Mars a également été admise à intervenir dans cette affaire.

16 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Le Tribunal a, toutefois, par lettre du 26 septembre 1994, invité les parties à répondre à certaines questions par écrit. La requérante et la partie défenderesse ont répondu aux questions posées par lettres, respectivement, du 21 et du 19 octobre 1994. Par ordonnance du 9 novembre 1994, le président de la deuxième chambre élargie a fait droit à une demande de traitement confidentiel présentée par la requérante conformément à l'article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, en ce qui concerne certaines données figurant dans les réponses des parties aux questions posées.

17 Le traitement confidentiel réservé par les ordonnances du 12 juillet 1993 et du 9 novembre 1994, précitées, à certaines données a été respecté lors de l'audience. Il en est de même dans le présent arrêt.

18 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 16 novembre 1994.

CONCLUSIONS DES PARTIES

19 La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision de la Commission ;

- condamner la Commission aux dépens ;

- condamner la partie intervenante à supporter les frais occasionnés à la requérante du fait de l'intervention.

20 La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal ;

- rejeter comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens de la procédure, y compris ceux de la procédure en référé.

21 La partie intervenante Mars conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens de la procédure, y compris ceux de la procédure en référé.

22 A l'appui de son recours, la requérante fait valoir cinq moyens tirés, en premier lieu, d'une notification irrégulière de la décision, en ce que la Commission aurait omis de notifier certaines annexes ; en deuxième lieu, d'une violation du principe de la protection de la confiance légitime, en ce que la Commission n'aurait pas respecté la position adoptée dans la lettre administrative ; en troisième lieu, d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité ; en quatrième lieu, d'une violation de l'article 85, paragraphe 3 du traité et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission a retiré le bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984-83 pour l'intégralité des accords de livraison litigieux, et, en cinquième lieu, d'une violation de l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, p. 204, ci-après " règlement n° 17 ").

Sur le moyen tiré d'une notification irrégulière de la décision

23 La requérante fait valoir que la notification de la décision est entachée d'un vice, la Commission ayant omis de notifier avec la décision certaines annexes qui y sont visées. Dans sa requête, elle a déclaré se réserver le droit de présenter des observations supplémentaires dans l'hypothèse où ces annexes lui seraient notifiées.

24 Selon la Commission, il s'agit des annexes 1 et 2 aux tableaux Eurostat cités dans le passage correspondant de la communication des griefs du 15 juillet 1992 et transmis avec celle-ci à la requérante, qui, lors de la procédure administrative, ne les a pas contestés.

25 La Commission souligne que la décision ne comporte pas d'annexe et a été notifiée telle quelle. Elle estime que la décision n'est pas entachée, par ailleurs, d'un manque de motivation.

26 Le Tribunal constate que la requérante n'a pas déposé de mémoire en réplique, dans lequel elle aurait pu présenter des observations supplémentaires à l'appui de son grief et, notamment, répondre à l'affirmation de la Commission selon laquelle les annexes en question lui ont été transmises au cours de la procédure administrative. En outre, lors de l'audience, la requérante n'est pas revenue sur cette question.

27 Dans ces circonstances, le Tribunal considère que le moyen manque en fait qu'il doit donc être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une violation du principe de la protection de la confiance légitime.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

28 La requérante fait valoir que le principe de la confiance légitime, qui, selon la jurisprudence constante de la Cour, s'inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté (voir les arrêts du 5 mai 1981, Dürbeck, 112-80, Rec. p. 1095, et du 10 janvier 1992, Kühn, C-177-90, Rec. p.I-35), imposait à la Commission de s'en tenir à la position adoptée dans sa lettre administrative. En effet, la requérante estime que, lorsque la Commission a adressé à des entreprises une lettre administrative de classement, elle ne peut, en vertu de ce principe, s'écarter de l'appréciation portée par ses services que si les circonstances de fait se sont modifiées ou si cette appréciation a été effectuée sur la base d'indications inexactes (voir l'arrêt de la Cour du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31-80, Rec. p. 3775, et en particulier, les conclusions de l'avocat général M. Reischl, p. 3796, 3803.) Selon la requérante, il est évident que la Commission ne peut pas justifier la réouverture de la procédure au motif qu'elle a modifié son appréciation juridique. Si tel était le cas, la délivrance d'une lettre administrative de classement serait dépourvue de sens.

29 La requérante avance, ensuite, que les circonstances de fait caractérisant le marché en cause ne se sont pas sensiblement modifiées depuis la délivrance de la lettre administrative. En ce qui concerne l'entrée sur le marché de Mars et de Jacobs Suchard, la requérante remarque que l'entrée de Mars ne constitue pas une justification objective pour rouvrir la procédure ni pour s'écarter de la position adoptée dans la lettre administrative, étant donné que, aux termes de celle-ci, " l'accès d'entreprises tierces au commerce de détail reste garanti ".

30 Dans ces conditions, compte tenu de ce que la Commission ne serait pas en mesure de démontrer que la lettre administrative a été obtenue sur le fondement d'informations inexactes ou incomplètes ni que les circonstances de droit ou de fait caractérisant le marché des glaces de consommation ont subi un changement sensible depuis sa délivrance, la Commission serait liée par l'appréciation portée dans ladite lettre.

31 Enfin, la requérante fait valoir que, même si la lettre administrative a été adressée à Schöller, la Commission et les participants - dont la requérante - à la procédure entamée par la lettre de l'Association du 6 décembre 1984 étaient cependant convenus que la notification faite par Schöller en mai 1985, concernant les accords de livraison de glaces qu'elle avait conclus, et la demande simultanée de délivrance d'une attestation négative valaient également pour tous les membres de l'Association. La lettre administrative engloberait par conséquent la totalité des contrats d'exclusivité existant sur le marché des glaces de consommation.

32 La Commission remarque, en premier lieu, que la lettre administrative est adressée à Schöller. Pour cette seule raison elle ne la lierait pas vis-à-vis de la requérante. En outre, il ressort, d'après la Commission, de la teneur et du contexte de ladite lettre qu'elle concernait la notification par Schöller de ses " accords de livraison de glaces ".

33 En second lieu, la Commission fait valoir que, ainsi qu'elle l'a indiqué au point 151 de la décision, l'entrée de Mars et de Jacobs Suchard sur le marché constitue une circonstance matérielle justifiant la réouverture de la procédure. A cet égard, la Commission avance que les lettres administratives de classement ne peuvent pas avoir d'effet contraignant plus important que les décisions formelles qu'elles remplacent d'un point de vue fonctionnel dans l'application pratique des règles de concurrence. Elle rappelle que, aux termes de l'article 8, paragraphe 3, sous a) du règlement n° 17, elle peut révoquer ou modifier des décisions formelles d'exemption " si la situation de fait se modifie à l'égard d'un élément essentiel à la décision ". La Commission souligne que la lettre administrative en cause était le résultat d'un examen provisoire et contenait, conformément à une pratique constante, une réserve expresse prévoyant la réouverture de la procédure dans l'hypothèse où " ... certains éléments de droit ou de fait sur lesquels se fonde la présente appréciation se (modifieraient) sensiblement... ".

34 Ce seraient précisément les expériences faites par Mars qui auraient révélé le cloisonnement du marché, et en conséquence, donné lieu à un nouvel examen. D'ailleurs, la Commission serait tenue, en vertu des garanties procédurales prévues à l'article 3 du règlement n° 17 et à l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphe 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après " règlement n° 99-63 "), d'examiner attentivement tous les éléments de fait et de droit que les plaignants portent à sa connaissance (voir l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Autome/Commission, T-24-90, Rec. p.II-2223).

Appréciation du Tribunal

35 Sans qu'il soit nécessaire d'examiner la question de savoir si la requérante pouvait légitimement s'attendre à ce que l'appréciation portée par la Commission dans la lettre administrative adressée à Schöller s'applique également à sa situation juridique ni de procéder à une audition de témoins sur la question, comme l'a proposée la requérante, il suffit de constater que, en tout état de cause, ladite lettre administrative ne pouvait faire obstacle à ce que la Commission puisse examiner la plainte déposée par Mars.

36 En effet, il ressort de la jurisprudence qu'une lettre administrative, telle que celle qui a été adressée à Schöller suite à la notification de ses accords de livraison en 1985, ne constitue ni une décision d'attestation négative ni une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, au sens des articles 2 et 6 du règlement n° 17, la lettre administrative n'ayant pas été adoptée conformément aux dispositions dudit règlement (voir les arrêts de la Cour du 10 juillet 1980, Giry et Guerlain e.a., 253-78 et 1-79 à 3-79, Rec. p. 2327, Marty, 37-79, Rec. p. 2481, Lancôme et Cosparfrance, 99-79, Rec. p. 2511, et l'Oréal, précité). Dans les affaires citées, la Cour a mis l'accent sur le fait que les lettres administratives en question avaient été expédiées sans que les mesures de publicité prévues à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 aient été effectuées et qu'elles n'avaient fait l'objet d'aucune publicité en vertu de l'article 21, paragraphe 1, dudit règlement.

37 Il convient, ensuite, de souligner qu'il s'agit d'une lettre administrative portant à la connaissance de l'entreprise intéressée, à savoir Schöller, l'opinion de la Commission, selon laquelle il n'y avait pas lieu, pour elle, d'intervenir à l'égard des contrats en cause, ces contrats, compte tenu des circonstances de l'espèce, étant compatibles avec les règles de concurrence du traité, et que l'affaire pouvait, dès lors, être classée. A cet égard, le Tribunal considère que le fait que la Commission a mentionné la délivrance de cette lettre administrative, en y ajoutant quelques commentaires, dans son Quinzième Rapport sur la politique de concurrence de 1985 n'en change pas la nature juridique. Le Tribunal relève, par ailleurs, que la requérante a elle-même reconnu, lors de la procédure écrite, que, conformément au point VII de la note complémentaire du formulaire A/B une lettre administrative ne fait qu'indiquer ce que les services de la Commission pensent de l'affaire concernée, sur la base des faits dont ils ont connaissance à ce moment.

38 Le Tribunal constate, enfin, qu'il ressort de la plaidoirie de la Commission, lors de la procédure orale, qu'elle n'a procédé à l'époque, qu'à une analyse provisoire des conditions du marché, fondée, pour l'essentiel, sur les informations fournies par Schöller, y compris en ce qui concerne les données qui ont abouti à la délimitation du marché alors retenu comme pertinent et au calcul du degré de dépendance, entendu comme le pourcentage de points de vente liés par des contrats d'exclusivité et du volume des ventes réalisées par l'intermédiaire de ces points de vente. Dans ce contexte, la Commission s'est d'ailleurs réservée le droit, dans sa lettre administrative, de rouvrir la procédure si certains éléments de droit ou de fait sur lesquels se fondait son appréciation se modifiaient sensiblement. Une telle réserve est, d'ailleurs, conforme à la pratique administrative de la Commission en la matière.

39 Quant à la question de savoir si des modifications de fait sensibles sont intervenues depuis la délivrance de la lettre administrative, le Tribunal constate, d'une part, qu'il ressort du dossier que deux nouveaux concurrents, Mars et Jacobs Suchard, ont ultérieurement fait leur entrée sur le marché. De plus, pour ce qui est de la partie intervenante Mars, il est constant qu'il s'agit d'un concurrent particulier, qui ne propose qu'une gamme limitée de produits et qui a adopté une stratégie commerciale différente de celles de ses principaux concurrents. Le Tribunal constate, d'autre part, que, après le dépôt de la plainte de Mars, la Commission a eu connaissance de l'existence d'obstacles supplémentaires à l'accès au marché, notamment dans le commerce d'alimentation, tenant, d'une part, à l'obligation imposée par la requérante aux détaillants de réserver exclusivement à ses produits l'utilisation des surgélateurs qu'elle met à leur disposition ainsi que, d'autre part, à l'octroi de ristournes en contrepartie d'une exclusivité des ventes.

40 Le Tribunal considère que ces éléments constituaient des circonstances nouvelles, qui justifiaient, notamment à la lumière des problèmes concrets rencontrés par la partie intervenante, une analyse plus approfondie et plus précise des conditions régissant l'accès au marché que celle qui avait été effectuée lors de la délivrance de la lettre administrative. En conséquence, le Tribunal estime que cette lettre n'empêchait pas la Commission de rouvrir la procédure afin d'apprécier, dans le cas concret, la compatibilité des accords de livraison litigieux avec les règles de concurrence.

41 Cette solution est, en outre, conforme à l'obligation qui incombe à la Commission, eu égard aux garanties procédurales prévues à l'article 3 du règlement n° 17 et à l'article 6 du règlement n° 99-63, d'examiner attentivement les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par une partie plaignante, en vue d'apprécier si lesdits éléments font apparaître un comportement de nature à fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et à affecter le commerce entre Etats membres (voir l'arrêt Automec/Commission, précité, point 79).

42 Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.

Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

43 Le moyen s'articule en quatre branches. La requérante fait grief à la Commission d'avoir retenu une délimitation du marché de référence trop étroite et d'avoir méconnu les effets des accords de livraison sur le jeu de la concurrence. Elle soutient que, contrairement à l'avis de la Commission, les accords d'exclusivité ne sont pas susceptibles d'affecter de façon sensible le commerce entre Etats membres et, enfin, que la Commission n'est pas habilitée, par l'article 3 du règlement n° 17, à interdire l'ensemble des accords d'exclusivité existants, y compris ceux qui ne relèvent pas de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité.

Quant à la première branche du moyen relative à la délimitation du marché.

44 La Commission a, au point 90 de sa décision, délimité le marché des produits comme étant celui des glaces industrielles en conditionnement individuel offertes par tous les canaux de distribution, excepté les services de vente à domicile.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

45 La requérante fait valoir que cette délimitation du marché est trop étroite. Elle rappelle que la Commission a, à plusieurs reprises, modifié de manière non négligeable la délimitation du marché des produits en cause. D'après la requérante, le marché en cause doit être délimité uniquement en fonction de la question de savoir si et dans quelle mesure certains produits sont " considérés comme similaires par l'utilisateur en raison de leurs propriétés, de leur prix et de leur usage ". Elle se réfère à cet égard aux articles 3 et 14 du règlement n° 1984-83 ainsi qu'aux articles 3 et 6 du règlement (CEE) n° 1983-83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords de distribution exclusive (JO L 173, p. 1, ci-après " règlement n° 1983-83 "), et à l'arrêt de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission (6-72, rec. p. 125).

46 Il en découle, selon la requérante, que le marché en cause comprend, en l'espèce, toutes les glaces de consommation produites de manière industrielle ou artisanale, les glaces vendues en emballages contenant plusieurs portions individuelles, dits " multipacks ", ainsi qu'une partie des glaces de consommation en conditionnement pour gros consommateurs, destinées à être débitées en boules. Les glaces vendues en portions individuelles sur la voie publique seraient parfaitement interchangeables du point de vue du consommateur. Elles seraient destinées à satisfaire un besoin identique du consommateur, qui régirait à cet égard de manière impulsive.

47 La diversité des canaux de distribution, le lieu de consommation, la manière dont les glaces sont débitées et les autres particularités de la distribution des glaces de consommation prises en considération par la Commission ne seraient, par conséquent, pas déterminantes pour la délimitation du marché en cause.

48 Selon la requérante, il est fréquent que le consommateur rencontre les différents types de glaces de consommation au même endroit, sans qu'il soit en mesure de déterminer de quel type il s'agit. Une partie des glaces en conditionnement individuel provenant de " multipacks " serait consommée au lieu même de l'achat, à savoir sur la voie publique. La requérante estime donc que l'affirmation de la Commission, selon laquelle les " multipacks " interviendraient seulement " pour la satisfaction d'un besoin à domicile " et qu'ils formeraient par conséquent, avec les glaces en conditionnement familial, un marché distinct, est erronée.

49 Quant aux glaces industrielles en conditionnement pour gros consommateur, destinées à être débitées en portions individuelles, elles-mêmes connues sous le nom de glaces " scooping ", la requérante fait valoir que l'affirmation de la Commission, selon laquelle la glace " scooping " n'acquiert ses caractéristiques propres que du fait du service ajouté que constitue en portions, n'est pas pertinente. La requérante reconnaît qu'il est vrai que la manière dont ces glaces sont commercialisées présente quelques particularités. Cependant, il serait faux d'en déduire que les glaces " scooping " et les glaces en conditionnement individuel appartiennent à des marchés différents. En outre, la simple division en portions individuelles à laquelle procède un commerçant dans le commerce traditionnel ne pourrait pas être comparée à un service de restauration au sens de l'arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis (C-234-89, Rec. p.I-935). Les glaces " scooping " vendues sur la voie publique seraient interchangeables avec les glaces en conditionnement individuel. A cet égard, la requérante affirme qu'environ 50 % des glaces industrielles livrées aux gros consommateurs sont débitées en portions individuelles et vendues sur la voie publique.

50 Quant aux glaces de consommation produites de manière artisanale, la requérante fait valoir qu'il est fréquent que, au même endroit, soient offertes au consommateur des glaces artisanales et des glaces industrielles. Il serait, dès lors, faux de prétendre qu'il existe un marché particulier des glaces artisanales parce qu'elles ne constituent pas, selon la Commission, un objet de transaction sur le marché. On ne saurait déduire du fait que ces glaces ne sont pas distribuées par l'intermédiaire du commerce spécialisé traditionnel qu'elles ne trouvent pas dans une situation de concurrence avec les glaces industrielles en conditionnement individuel. Les glaces artisanales feraient donc bien partie du marché des produits en cause.

51 Enfin, la requérante fait valoir que sa délimitation du marché en cause est confirmée par une enquête représentative effectuée en juin et en juillet 1992. D'après cette enquête, les différents types de glaces achetées de manière impulsive ne relèvent pas, du point de vue du consommateur, de marchés différents.

52 La Commission prend comme point de départ, pour la délimitation du marché, le point de vue du consommateur. Ainsi, il faut d'abord, selon la Commission, exclure les glaces de consommation proposées en tant que partie d'un service de restauration, étant donné que ce marché forme, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir l'arrêt Delimitis, précité), un marché distinct. Il s'agit là, selon la Commission, d'une partie des glaces industrielles destinées aux gros consommateurs et des glaces artisanales.

53 Ensuite, la Commission relève que, compte tenu du lien spécifique, inhérent aux produit, existant entre la possibilité de réfrigération et la consommation, le lieu de consommation des glaces revêt une importance décisive pour la détermination de l'interchangeabilité des produits au regard du droit de la concurrence, et ce d'autant plus qu'un besoin d'une manière impulsive et éphémère.

54 Dans ces circonstances, il convient, selon la Commission, d'exclure également les " multipacks ", les glaces en conditionnement familial et les glaces en conditionnement individuel livrées par les services de vente à domicile en vue d'être stockées dans les surgélateurs privés, ces produits n'étant pas disponibles pour la satisfaction d'un besoin hors du domicile. A cet égard, la Commission fait valoir qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que même des produits identiques peuvent appartenir à des marchés de produits distincts lorsqu'ils satisfont à une demande spécifique (voir les arrêts du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6-73 et 7-73, Rec. p. 223, du 13 février 1979; Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461).

55 Cependant, le point de vue du consommateur ne constitue pas, selon la Commission, l'unique élément déterminant. Il faut, d'après elle, également tenir compte tant des différents canaux de distribution par lesquels les glaces de consommation sont proposées au consommateur que des conditions de concurrence différentes qui caractérisent les divers stades de la distribution, étant donné que les accords de livraison litigieux concernent l'accès des producteurs et/ou grossistes au commerce de détail. En effet, étant donné que l'article 85, paragraphe 1, du traité interdit toute restriction au jeu de la concurrence à tout stade du commerce entre le producteur et le consommateur final (voir l'arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, VanLandwyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125), le point de vue du consommateur ne saurait constituer en l'espèce le seul élément décisif pour apprécier les effets des accords de livraison sur la concurrence.

56 Dans ces conditions, il convient, selon la Commission, d'exclure du marché des produits, d'une part, les glaces artisanales, puisque ces glaces ne constituent pas un objet de transaction sur le marché, où l'offre se compose de producteurs de glaces industrielles et de grossistes et où la demande est représentée par des détaillants, et, d'autre part, les glaces dites " scooping ", étant donné que le commerce de détail remplit des fonctions de distribution différentes de ce type de glace et des glaces en conditionnement individuel et que les canaux de distribution de ces deux groupes de produits ne se chevauchent que marginalement. A cet égard, la Commission affirme que la structure de la demande peut être prise en considération pour la délimitation du marché (voir l'arrêt Michelin/Commission, précité).

57 Quant aux glaces en conditionnement pour gros consommateurs, la Commission ajoute qu'elles présentent, en outre, des particularités différentes qui justifient leur exclusion du marché de référence.

58 La partie intervenante Mars considère qu'il convient de subdiviser le marché délimité par la Commission en deux sous-marchés : le commerce traditionnel, d'une part, et le commerce d'alimentation de détail, d'autre part, étant donné que la présente procédure ne concerne, en substance, que le sous-marché des glaces en conditionnement individuel, qui sont distribuées dans le commerce traditionnel, l'accès à ce secteur étant fermé aux nouveaux concurrents en raison de l'existence de contrats d'exclusivité.

59 Selon Mars, il convient également de noter que plus de 60 % de toutes les glaces en conditionnement individuel sont distribuées par le biais du commerce traditionnel. A cet égard, Mars ajoute que la Commission a également démontré d'importantes différences structurelles entre les deux sous-marchés, susceptibles, en droit allemand, de justifier une subdivision. D'après Mars, les mêmes produits, lorsqu'ils sont vendus par des canaux de distribution différents, peuvent être classés dans des marchés différents.

Appréciation du Tribunal

60 Afin de vérifier le bien-fondé de la définition du marché retenue par la Commission, au point 90 de sa décision, le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que la délimitation du marché en cause est essentielle pour analyser les effets des contrats d'exclusivité sur le jeu de la concurrence et, notamment, pour analyser les possibilités pour de nouveaux concurrents nationaux et étrangers de s'implanter sur le marché des glaces de consommation ou d'y agrandir leur part de marché (voir l'arrêt Delimitis, précité, points 15 et 16).

61 A cet égard, le Tribunal relève, ensuite, qu'il convient, conformément à la jurisprudence de la Cour, de prendre en considération le point de vue du consommateur. Ainsi, la Cour a jugé, dans une affaire concernant l'application de l'article 86 du traité, que les possibilités de concurrence ne peuvent être appréciées qu'en fonction des caractéristiques des produits en cause, en vertu desquelles ces produits seraient particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et seraient peu interchangeables avec d'autres produits (voir arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, précité). Pour ce qui est de la notion de marché des produits, la Cour a jugé, plus spécifiquement, que cette notion implique qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits faisant partie d'un même marché (voir l'arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité). De plus, en ce qui concerne la possibilité de prendre en considération d'autres éléments, le Tribunal relève qu'il ressort de la jurisprudence qu'on ne saurait, le cas échéant, se limiter à l'examen des seules caractéristiques objectives des produits en cause, mais qu'il faut également prendre en considération les conditions de concurrence et la structure de la demande et de l'offre sur le marché (voir l'arrêt Michelin/Commission, précité, point 37).

62 Il appartient, dès lors, au Tribunal d'examiner le bien-fondé de la délimitation du marché des produits retenue par la Commission à la lumière de ces considérations. A cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission, au point 83 de sa décision, a affirmé que les glaces " scooping " et les glaces artisanales qui sont vendues pour une consommation " immédiate " sur la voie publique, c'est-à-dire hors d'un service de restauration, ainsi que les glaces en conditionnement individuel vendues au même endroit constituent, du point de vue du consommateur, des produits équivalents.

63 Le Tribunal considère, d'une part, que c'est à juste titre que la Commission, en conséquence, a exclu les glaces de consommation proposées en tant que partie d'un service de restauration, à savoir une partie des glaces industrielles en conditionnement pour gros consommateurs et des glaces artisanales, étant donné que ce marché forme, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir l'arrêt Delimitis, précité, point 16), un marché distinct, la consommation de glaces dans les restaurants étant, en règle générale, caractérisée, par une prestation de service et moins souvent soumise à des considérations d'ordre économique que leur achat, par exemple, dans un commerce d'alimentation.

64 D'autre part, le Tribunal estime qu'il faut également exclure, comme la Commission l'a soutenu, les glaces de consommation stockées dans les surgélateurs privés, au domicile des consommateurs, ces glaces n'étant pas disponibles pour la satisfaction d'un besoin hors du domicile, en particulier d'un besoin né de façon impulsive, et n'ayant qu'un certain degré d'interchangeabilité avec les produits vendus sur la voie publique (voir l'arrêt Michelin/Commission, précité points 48 et 49). Il s'agit des glaces en conditionnement familial, produits qui sont, en règle générale, achetés en vue d'être stockés à domicile, et des glaces en conditionnement individuel livrées à domicile. A cet égard, le Tribunal considère que c'est à juste titre que le lieu de consommation a été considéré par la Commission comme un facteur déterminant, en l'espèce, pour la délimitation du marché, étant donné qu'il s'agit de produits dont la durée de conservation en dehors d'une possibilité de réfrigération est très limitée et dont la consommation doit donc obligatoirement avoir lieu dans le voisinage immédiat de la dernière possibilité de conservation par le froid.

65 Ensuite, en ce qui concerne les glaces vendues en " multipacks ", il y a lieu de rappeler que ce type de glace est, en règle générale proposé par le commerce d'alimentation, en vue d'être stocké à domicile, et par les services de vente à domicile. Selon la Commission, il n'est, en conséquence, pas disponible en règle générale pour la satisfaction d'un besoin né de façon impulsive hors du domicile. Le Tribunal constate que la requérante, ayant seulement fait valoir qu'une partie des glaces en portions individuelles provenant de " multipacks " sont consommées au lieu même de l'achat qui peut être la voie publique, sans cependant produire de données chiffrées à cet égard, n'a pas avancé d'éléments de fait suffisants pour infirmer l'affirmation de la Commission. Il s'ensuit que c'est à juste titre que la Commission a exclu les glaces vendues en " multipacks " du marché de référence.

66 Il ressort des points 84 et suivants de la décision que, selon la Commission, au vu des conditions de concurrence différentes qui caractérisent les divers stades de la distribution et les canaux de distribution parallèles par lesquels les produits en question sont proposés au consommateur, il faut également exclure, d'une part, les glaces artisanales dans leur ensemble, c'est-à-dire les glaces artisanales qui sont vendues sur la voie publique hors d'un service de restauration, au motif que, sur un marché qui ne concerne que la vente aux détaillants, ces glaces ne constituent pas un objet de transaction, et, d'autre part, les glaces industrielles en conditionnement pour gros consommateurs, au motif que ce type de glace présente plusieurs particularités par rapport aux glaces industrielles en conditionnement individuel.

67 Quant aux glaces produites de manière artisanale, le Tribunal constate qu'il ressort du dossier que ce type de glace est généralement proposé sur le lieu ou à proximité du lieu de production. Il n'est donc pas englobé dans les accords de livraison litigieux, les glaces artisanales n'étant, ce qui n'est pas contesté par la requérante, ni proposées ni demandées par les différentes formes du commerce de détail. Dans ces circonstances, le Tribunal considère que l'appréciation des effets sur le jeu de la concurrence, notamment quant à l'accès aux détaillants, que les accords de livraison litigieux sont susceptibles d'entraîner, ne saurait être modifiée, si l'on conclut ces glaces dans le marché des produits. Dès lors, c'est à juste titre que la Commission les a exclues du marché des produits.

68 Quant aux glaces industrielles en conditionnement pour gros consommateurs, destinées à être débitées en portions individuelles, à savoir les glaces " scooping ", il convient de rappeler que leur exclusion du marché des produits est justifiée, aux points 87 à 89 de la décision, par trois considérations. En premier lieu, la décision indique que la commerce de détail remplit diverses fonctions de distribution, déterminées par les caractéristiques différentes des produits, ce qui fait que les canaux de distribution des deux groupes d'articles concernés ne se chevauchent que marginalement. En deuxième lieu, la décision relève que la transformation supplémentaire, la division en portions, requise pour les glaces " scooping ", a pour effet que les glaces en conditionnement individuel et les glaces " scooping ", ne sont proposées ensemble, en quantités notables, que dans le secteur de la restauration. De plus, le commerce d'alimentation et le commerce traditionnel spécialisé, qui distribuent la part de loin, la plus importante des glaces industrielles en conditionnement individuel, ne seraient généralement pas équipés pour la vente de glaces en conditionnement pour gros consommateurs. En troisième lieu, la décision affirme qu'il existe, du point de vue de la technique de production, des différences entre les deux catégories de produits.

69 Or, le Tribunal constate que la Commission n'a pas avancé d'éléments de fait susceptibles de démontrer qu'il existe des structures différentes de la demande pour les deux catégories de produits, au sens de l'arrêt Michelin/Commission, précité, qui pourraient, en elles-mêmes, justifier une délimitation du marché qui exclut les glaces " scooping " vendues sur la voie publique. En effet, le Tribunal estime que, bien qu'il existe différents canaux de distribution, cette circonstance n'est pas, en l'espèce, suffisante en soi pour exclure les glaces en conditionnement pour gros consommateurs débitées en portions individuelles pour la consommation hors d'un service de restauration. A cet égard, le Tribunal considère que c'est à juste titre que la requérante a fait valoir que la simple division en portions individuelles, à laquelle procède un commerçant dans le commerce traditionnel, ne constitue pas un " service de restauration " au sens de l'arrêt Delimitis précité. De plus, la Commission n'a pas démontré que l'opération de division en portions affecte le choix du consommateur entre une glace " scooping " et une glace en conditionnement individuel, dans les points de vente où ces glaces sont proposées ensemble, à savoir sur la voie publique. En effet, la Commission a même affirmé que ces deux types de glaces constituent du point de vue du consommateur des produits équivalents (voir ci-dessus point 62). En outre, le Tribunal estime que le fait qu'il puisse exister une différence entre les deux produits quant à la technique de production ne suffit pas, en soi, pour distinguer deux marchés distincts lorsque cette différence n'est pas prise en considération, d'une manière déterminante, par le consommateur.

70 Le Tribunal constate ensuite qu'il ressort du dossier, et, notamment, des informations fournies par la requérante quant aux ventes réalisées dans le commerce traditionnel, suite aux questions posées par le Tribunal, qu'environ 22 % du volume de ce type de glace est vendu sur la voie publique hors d'un service de restauration, c'est-à-dire dans le commerce traditionnel spécialisé. Il s'agit de la moitié environ de l'ensemble des quantités de glaces vendues dans le commerce traditionnel. En effet, il résulte également des réponses de la requérante qu'on trouve, non seulement dans les kiosques mais également dans les boulangeries-pâtissseries, les magasins de confiserie, chez les glaciers, dans les cinémas, les piscines, les stations-service et les petits établissements du secteur du commerce d'alimentation, l'équipement nécessaire pour vendre les glaces " scooping ", ces points de vente étant également en mesure de proposer des glaces en conditionnement individuel. La Commission, quant à elle, a reconnu, au moins implicitement, lors de la procédure écrite, qu'une partie des glaces en conditionnement pour gros consommateurs est proposée sous la forme de glaces " scooping ", pour la consommation immédiate hors d'un service de restauration.

71 En conséquence, la question se pose de savoir si la Commission n'aurait pas dû inclure la partie des glaces en conditionnement pour gros consommateurs débitée en portions individuelles et vendues en concurrence avec les glaces en conditionnement individuel sur la voie publique dans plusieurs types de points de vente, ces deux catégories de produits étant interchangeables du point de vue du consommateur. Toutefois, il convient de rappeler qu'il ressort du point 141 de la décision, qui n'a pas été contesté par la requérante, que les glaces destinées aux gros consommateurs sont distribuées dans le commerce traditionnel par le biais de contrats d'exclusivité. Dans ces circonstances, le Tribunal considère que la décision de ne pas inclure les glaces " scooping " dans le marché de référence n'a pas modifié, de manière substantielle, l'appréciation portée sur les effets des accords de livraison litigieux sur le jeu de la concurrence, notamment quant à la question de savoir si l'accès au marché était fermé ou considérablement entravé par l'existence de ces accords. Le Tribunal considère, dès lors, qu'il n'y a pas lieu d'annuler la décision pour défaut d'inclure les glaces " scooping " dans le marché des produits.

72 Il s'ensuit que, sans qu'il soit nécessaire de procéder à l'audition de témoins proposée par la requérante, la première branche du moyen, tirée d'une délimitation erronée du marché, doit être écartée.

Quant à la deuxième branche du moyen relative à l'effet des contrats d'achat exclusifs sur le jeu de la concurrence :

Exposé sommaire de l'argumentation des parties :

73 La requérante fait valoir, en se référant à la lettre administrative, que les accords de livraison, " ... même en tenant compte du nombre d'accords de même nature, n'ont notamment pas pour effet d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause... " et sont donc compatibles avec l'article 85, paragraphe 1, du traité.

74 Au soutien de cette allégation, la requérante fait valoir que, pour examiner si les contrats d'exclusivité conclus tant par elle-même que par ses concurrents ont pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il convient, conformément à la jurisprudence, de prendre tout d'abord en considération le nombre de points de vente liés par de tels contrats par rapport à ceux qui ne le sont pas, les quantités de produit distribuées par les points de vente ainsi liés et la durée de ces contrats (voir l'arrêt Délimitis, précité).

75 En ce qui concerne le degré de dépendance, la requérante relève que, indépendamment de la question de savoir si l'on adopte la délimitation du marché faite par la Commission ou celle qu'elle a proposée et en partant des éléments sur lesquels est fondée la décision, celui-ci est inférieur à 30 %, chiffre considéré comme acceptable par la Commission dans sa lettre administrative et dans son Quinzième rapport sur la politique de concurrence de 1985, point 19.

76 La requérante estime, en conséquence, que c'est à tort que la Commission, au point 130 de la décision, constate que le degré de dépendance s'élève à (...) %, ce qui ne peut s'expliquer que par le fait que la Commission s'est écartée de l'acceptation donnée jusqu'à présent à cette notion. La Commission ne tiendrait compte, pour déterminer le degré de dépendance, que des quantités de glaces vendues par la requérante dans le commerce traditionnel.

77 En ce qui concerne la durée moyenne des accords de livraison, la requérante soutient qu'elle ne s'élève qu'à environ deux ans et demi, soit la moitié de la durée de cinq ans considérée comme acceptable dans le règlement n° 1984-83. En effet, les gérants de points de vente résilieraient, en règle générale, leurs contrats le plus tôt possible, afin de pouvoir négocier de meilleures conditions.

78 Par ailleurs, la requérante affirme que l'existence d'un faisceau de contrats similaires, même si son incidence sur les possibilités d'accès au marché est importante, ne saurait, d'après la position adoptée par la Cour dans son arrêt Delimitis, précité, suffire à elle seule pour conclure que le marché en cause est inaccessible. Ce serait l'ensemble des circonstances de droit et de fait qui serait déterminant. Cela est également vrai, d'après la requérante, lorsqu'il s'agit de contrats d'exclusivité conclus par une entreprise ayant une forte position sur le marché. la requérante ajoute, en outre, que sa part de marché est nettement en-dessous de la prétendue part de marché indiquée au point 95 de la décision.

79 En ce qui concerne l'ensemble des circonstances de fait et de droit, qui aurait dû être pris en considération, la requérante fait valoir que la décision ignore certains éléments essentiels concernant la liberté d'accès aux points de vente.

80 En premier lieu, il existe, selon la requérante, de nombreux points de vente non liés par des contrats d'exclusivité. Un grand nombre de ces points de vente seraient immédiatement accessibles à tout concurrent. A cela s'ajouterait la possibilité, pour les producteurs qui sont prêts à faire les investissements nécessaires, de créer de nouveaux débouchés.

81 En deuxième lieu, la Commission aurait également omis de tenir suffisamment compte du fait que le marché des glaces de consommation a bénéficié d'une croissance rapide au cours des dernières années, ce qui serait particulièrement vrai sur le territoire de l'ancienne Réplique démocratique allemande. Toutefois, la création de nouveaux débouchés exigerait que le producteur puisse proposer une gamme étendue de glaces, fournir les prestations requises de distribution et mettre à la disposition des points de vente du commerce spécialisé traditionnel les surgélateurs nécessaires pour le stockage des produits.

82 Les difficultés rencontrées par Mars pour pénétrer le marché ne seraient, dès lors, pas dues aux contrats d'exclusivité conclus par la requérante et ses concurrents, mais à la stratégie adoptée par Mars, qui consisterait, entre autres, à éviter de procéder aux investissements nécessaires et à n'étendre son activité que dans les points de vente vendant déjà des glaces de consommation.

83 En troisième lieu, en ce qui concerne les autres prétendus obstacles à l'accès au marché, évoqués par la Commission au point 135 de la décision, à savoir la technologie nécessaire à la production de glaces en conditionnement individuel et les préférences des consommateurs résultant des efforts publicitaires réalisés au cours des années antérieures, la requérante fait valoir, d'une part, que Mars dispose sans nul doute de tous les moyens requis, technologiques et autres, pour la production de glaces de consommation et, d'autre part, qu'elle peut profiter de sa très forte notoriété qui est plus grande que la sienne.

84 Compte tenu de ces circonstances l'accès au commerce spécialisé traditionnel n'est, selon la requérante, ni entravé ni fermé par le réseau de contrats d'exclusivité existant.

85 Aux points 71 à 74 de sa décision, la Commission constate, d'abord que l'obligation d'achat exclusif imposée par la requérante aux revendeurs constitue une restriction de la concurrence tant entre produits de même marque qu'entre produits de marques différentes. Les offres portant sur des produits émanant d'autres fournisseurs ne peuvent, selon la Commission, par conséquent pas être prises en considération par le revendeur, eu égard, à l'interdiction contractuelle qui le lie. D'après la Commission, les obligations d'achat exclusif rendent difficiles ou empêchent la création des structures de distribution indépendantes nécessaires à l'accès de nouveaux concurrents au marché en cause ou au renforcement d'une position déjà établie sur le marché. L'obligation contractuelle d'acheter exclusivement les produits objet du contrat entraînerait ipso facto l'interdiction de distribuer des produits concurrents. La combinaison de l'une et de l'autre renforcerait, dans le cas d'espèce, la restriction de concurrence.

86 La Commission constate, ensuite, au point 104 de sa décision , que le chiffre d'affaires de la requérante et la part de marché que représentent les accords de livraison litigieux sont largement supérieurs aux seuils prévus dans sa communication les accords d'importance mineure qui ne sont pas visés par les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté économique européenne (JO 1986, C 231, p. 2, ci-après " communication concernant les accords d'importance mineure "). Ces faits suffiraient pour conclure que les accords de livraison limitent de manière sensible les possibilités des concurrents allemands et des concurrents des autres Etats membres de s'établir sur le marché de référence ou d'accroître la part qu'ils y détiennent et que, par conséquent, ils tombent sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité. D'après la Commission, un examen des effets exercés par les réseaux d'accords de même nature conclus par d'autres entreprises sur le marché de référence n'est, en l'espèce, pas nécessaire.

87 Dans ses mémoires et lors de l'audience, la Commission a ajouté qu'en effet ce n'est que lorsque le réseau d'accords de même nature de l'entreprise dont les contrats font l'objet de l'examen au regard du droit de la concurrence ne remplit pas par lui-même la condition de l'effet sensible que les effets cumulatifs de réseaux parallèles doivent être pris en considération, conformément à la jurisprudence (voir les arrêts du 12 décembre 1967, Brasserie de Haecht, 23-67, Rec. p. 525, et Delimitis, précité).

88 La partie intervenante Mars reconnaît que le degré de dépendance se situe entre 25 % et 30 %, que l'on retienne la délimitation du marché effectuée par la Commission ou celle effectuée par la requérante. Cependant, ce chiffre ne refléterait pas les véritables conditions du marché dans le commerce traditionnel car les calculs seraient fondés sur une moyenne.

89 Il convient, d'après Mars, d'analyser de manière spécifique la situation dans le commerce traditionnel, étant donné que plus de 60 % de toutes les glaces en conditionnement individuel sont distribuées par l'intermédiaire de ce marché que c'est seulement sur cette partie en cause que la requérante a conclu des accords de livraison.

90 Dans le commerce traditionnel, le degré de dépendance s'élevait pour l'année 1990, d'après les études effectuées par l'intervenante, à plus de 70 %. En outre, il faudrait tenir compte des parts de marché de la requérante et du degré de concentration. D'après Mars, la requérante a atteint, en 1992, une part de marché de 60 % pour la vente de glaces en conditionnement individuel dans le commerce traditionnel. La part de Schöller se serait élevé à 33,4 %. Ces deux grands producteurs disposeraient donc d'une part de marché commune de plus de 90 %. Il ne fait aucun doute, selon Mars, que la requérante et Schöller occupent une position dominante sur ce marché. On ne saurait, dès lors, sérieusement mettre en doute le fait que les contrats d'exclusivité conclus par la requérante tombent sur le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

91 De surcroît, un nouveau concurrent arrivant sur le marché serait confronté avec le problème que, pour le détaillant lié par un contrat d'exclusivité, il s'agit d'une " décision du tout ou rien ". Peu de commerçants seraient prêts à renoncer à la gamme des produits du concurrent dominant et à opter pour les produits moins connus du nouveau concurrent.

92 Le simple fait que, Mars, selon ses propres dires, dispose dans le commerce d'alimentation de détail pour les " multipacks ", pour lesquels il n'existe pas de contrats d'exclusivité d'une part de marché d'environ 17 % qui est donc dix fois plus élevée que sa part de marché relative aux barres glacées dans le commerce traditionnel (environ 1,7 %) constituerait une preuve suffisante de ce que l'accès au commerce traditionnel serait fermé.

93 En réponse à l'affirmation de la requérante, selon laquelle le marché en cause serait en expansion, Mars soutient que, de manière générale, pour apprécier la possibilité pour une entreprise faisant son entrée sur le marché d'accéder au commerce spécialisé traditionnel, on ne saurait se fonder sur la possibilité théorique de créer des débouchés. Il convient à cet égard, selon Mars, de rappeler que les points de vente les plus intéressants du point de vue économique sont précisément liés par des contrats d'exclusivité.

Appréciation du Tribunal

94 Il convient, à titre liminaire, de relever que c'est à juste titre que, aux points 71 à 73 de la décision, la Commission a considéré que la clause contenue dans les accords de livraison, prévoyant que le détaillant s'engage à ne vendre dans son point de vente que des produits directement achetés auprès de la requérante, contient tant une obligation d'achat exclusive qu'une interdiction de concurrence, qui sont susceptibles d'entraîner une restriction de la concurrence, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, à la fois entre produits de même marque et entre produits de marques différentes.

95 Dans ces conditions, il appartient au Tribunal de rechercher si la Commission a établi à suffisance de fait et en droit que les accords de livraison litigieux ont, ainsi qu'elle affirme, un effet sensible sur le jeu de la concurrence sur le marché.

96 A cet égard, le Tribunal constate, tout d'abord, que la requérante détient une forte position sur le marché de référence. Ainsi qu'il ressort du dossier, la requérante, qui est une filiale de Deustche Univeler GmbH, laquelle fait partie du groupe international Unilever figurant parmi les plus gros producteurs mondiaux de biens de consommation, a réalisé en 1990 et 1991 un chiffre d'affaires, dans le domaine des glaces de consommation de plus d'un milliard de DM. Selon les points 27, 33 et 95 de la décision, la part du marché de référence occupée par la requérante s'élevait en 1991 à environ (...) % tant dans le commerce d'alimentation que dans le commerce traditionnel. A cet égard, il convient de relever que, bien que la requérante ait contesté détenir une telle part de marché, puisqu'elle estime qu'il convient de délimiter le marché d'une manière plus large, comprenant toutes les glaces de consommation produites de manière industrielle ou artisanale, elle n'a, cependant, pas explicitement contesté la part du marché des glaces industrielles en conditionnement individuel que lui attribue la Commission dans le cadre de la délimitation du marché à laquelle celle-ci a procédé. Pour ce qui est de l'importance quantitative des accords litigieux sur le marché de référence, le Tribunal constate qu'il ressort du dossier que, sur l'ensemble du marché de référence, tel que défini par la Commission, environ (...) % (plus de 15 %) des points de vente sont liés à la requérante et que le volume des ventes réalisées par la requérante par l'intermédiaire de ces points de vente représente également (...) % (plus de 15 %) du volume total des ventes sur le marché.

97 Selon la Commission, ces dernières données suffisent pour conclure que les accords limitent de manière sensible les possibilités des concurrents allemands et des concurrents des autres Etats membres de s'établir sur le marché de référence ou d'accroître la part qu'ils y détiennent, sans qu'il soit nécessaire d'examiner, l'effet cumulatif produit par les réseaux parallèles mis en place par les autres fournisseurs de glaces de consommation, étant donné que la part du marché couverte par les accords litigieux, représentant déjà environ (...) % (plus de 15 %) du marché de référence, ainsi que le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises participantes sont nettement supérieurs aux seuils prévus dans la communication concernant les accords d'importance mineure.

98 Or, il y a lieu de rappeler que cette communication ne vise qu'à définir les accords qui, selon la Commission, n'ont pas d'effet sensible sur la concurrence ou le commerce entre Etats membres. Le Tribunal considère qu'on ne saurait toutefois en déduire, avec certitude, qu'un réseau de contrats d'achat exclusif est automatiquement susceptible d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence de manière sensible du seul fait que les seuils qui y sont prévus sont dépassés. D'ailleurs, il ressort du libellé même du point 3 de ladite communication qu'il est tout à fait possible que, dans des cas d'espèce, des accords conclus entre des entreprises qui dépassent les seuils indiqués n'affectent le commerce entre Etats membres ou la concurrence que dans une mesure insignifiante et, par voie de conséquence, ne tombent pas sous le coup des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

99 S'agissant de la question de savoir si des contrats d'achat exclusif tombent sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il convient, conformément à la jurisprudence, d'examiner si l'ensemble des accords similaires conclus sur le marché de référence et des autres éléments du contexte économique et juridique dans lequel s'inscrivent les contrats en cause fait apparaître que ces contrats ont pour effet cumulatif de fermer l'accès à ce marché pour de nouveaux concurrents nationaux et étrangers. Si l'examen fait apparaître que cela n'est pas le cas, les contrats individuels constituant le faisceau d'accords ne sauraient porter atteinte au jeu de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En revanche, si l'examen relève que le marché est difficilement accessible, il convient, ensuite, d'analyser dans quelle mesure les accords litigieux contribuent à l'effet cumulatif produit, étant entendu que ne sont interdits que les contrats qui contribuent de manière significative à un éventuel cloisonnement du marché (voir l'arrêt Delimitis précité, points 23 et 24).

100 Il y a lieu, ensuite de rappeler que, comme l'a jugé la Cour dans son arrêt Brasserie de Haecht, précité, l'appréciation des effets d'un contrat exclusif implique la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d'autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence.

101 Pour ce qui est de l'incidence de réseaux de contrats d'exclusivité sur l'accès au marché, il ressort, en outre, de la jurisprudence de la Cour, d'une part, qu'elle dépend, notamment, du nombre des points de vente liés par contrat aux producteurs par rapport à celui des détaillants qui ne le sont pas, des quantités sur lesquels ces engagements portent, ainsi que de la proportion entre ces quantités et celles qui sont écoulées par les détaillants non liés. D'autre part, le degré de dépendance qui découle d'un réseau d'accords d'achat exclusif, bien qu'il soit d'une certaine importance pour l'appréciation du cloisonnement du marché, en constitue cependant qu'un élément parmi d'autres, du contexte économique et juridique dans lequel un contrat ou bien, comme dans le cas d'espèce, un réseau de contrats doit être apprécié (voir l'arrêt Delimitis, points 19 et 20).

102 Quant au degré de dépendance, le Tribunal considère que celui-ci doit être déterminé en l'espèce en tenant compte des possibilités d'accès aux détaillants sur l'ensemble du marché de référence, tel qu'il a été préalablement délimité par la Commission, à savoir tant dans le commerce traditionnel que dans le commerce d'alimentation, la délimitation du marché ayant pour fonction de définir le cadre dans lequel doivent être appréciés les effets que produisent les accords litigieux sur le jeu de la concurrence.

103 A cet égard, le Tribunal constate, en premier lieu, que, comme il a été indiqué ci-dessus (point 96), si l'on tient compte du volume des ventes de glaces en conditionnement individuel réalisées dans le marché de référence, on obtient un degré de dépendance d'environ (...) % (plus de 15 %), imputable aux contrats d'achat exclusif conclus par la requérante, et que, si l'ont tient compte du rapport entre le nombre des points de vente liés à la requérante et le nombre total de points de vente, le degré de dépendance s'élève à environ (...) % (plus de 15 %).

104 Quant à l'effet cumulatif résultant d'autres accords similaires sur le marché, le Tribunal constate, en second lieu, que les contrats d'achat exclusif similaires conclus par Schöller, l'autre principal producteur de glaces en Allemagne, couvrent, pour leur part environ (...) % (plus de 10 %) du marché de référence indépendant, si l'on considère le pourcentage de points de vente liés ou du volume des ventes réalisé par ces points de vente.

105 Dès lors, il y a lieu de constater que les réseaux des contrats d'achat exclusif mis en place par les deux principaux producteurs affectent environ (...) % du marché, ce qui dépasse le degré de dépendance de 30 % considéré comme acceptable par la Commission lors de l'envoi à Schöller de la lettre administrative, telle qu'elle a été ensuite commentée au point 19 du Quinzième Rapport sur la politique de concurrence de 1985.

106 Cependant, comme il a été indiqué ci-dessus (point 101), le degré de dépendance ne constitue qu'un élément, parmi d'autres, du contexte économique et juridique dans lequel un réseau de contrats doit être apprécié. Il faut, en outre, analyser les conditions en vigueur sur le marché et, notamment, les possibilités réelles et concrètes pour de nouveaux concurrents de s'infiltrer sur celui-ci malgré l'existence d'un réseau de contrats d'achat exclusif.

107 Pour ce qui est de ces éléments, la Commission a relevé l'existence d'obstacles supplémentaires importants à l'accès au marché, tant dans le commerce d'alimentation que dans le commerce traditionnel. Il ressort, à cet égard, des points 135 à 138 de la décision que l'accès au marché pour de nouveaux concurrents est rendu plus difficile par l'existence d'un système de prêt portant sur un grand nombre de surgélateurs, mis par la requérante à la disposition des détaillants tant dans le commerce d'alimentation que dans le commerce traditionnel [environ (...) au total, dont (...) dans le commerce traditionnel et (...) dans le commerce d'alimentation, selon le point 58 de la décision], à charge pour les détaillants de les utiliser exclusivement pour les produits de la requérante.

108 Le Tribunal estime que c'est à juste titre que la Commission a considéré qu'il s'agit là d'un élément contribuant à rendre plus difficile l'accès au marché. En effet, cette circonstance a nécessairement pour conséquence que tout nouveau concurrent arrivant sur le marché doit, soit convaincre le détaillant d'échanger le surgélateur installé par la requérante pour un autre, ce qui implique une renonciation au chiffre d'affaires réalisé avec les produits de l'ancien fournisseur, soit obtenir que le détaillant accepte d'installer un surgélateur supplémentaire, ce qui peut se révéler impossible, notamment en raison d'un manque d'espace dans les petits points de vente. De plus, si le nouveau concurrent ne peut offrir qu'une gamme de produits limitée, ce qui est le cas pour la partie intervenante, il peut s'avérer difficile pour lui de convaincre le détaillant de résilier son contrat avec l'ancien fournisseur.

109 A cela s'ajoute qu'il ressort du dossier que la requérante, dans le commerce d'alimentation, au moins jusqu'à la saison 1992, a assuré par l'octroi de ristournes (...) % des ventes de glaces en conditionnement individuel, tout en maintenant l'exclusivité.

110 En outre, il ressort du dossier qu'il existe, dans le commerce traditionnel, un grand nombre de détaillants individuels dont le chiffre d'affaires moyen est relativement faible. L'établissement d'un système de distribution rentable suppose donc qu'un nouveau concurrent réunisse un grand nombre de détaillants concentrés dans une aire géographique définie qui peuvent être approvisionnés par l'intermédiaire de dépôts régionaux ou d'entrepôts centraux. L'absence d'intermédiaires indépendants a pour effet que ce morcellement de la demande représente un obstacle supplémentaire à l'accès au marché. Enfin, la Commission a, à juste titre, pris en considération que les produits de la requérante bénéficient de marques jouissant d'une grande notoriété.

111 Au vu de l'ensemble de ces circonstances et compte tenu de la durée effective des accords litigieux, qui est d'environ deux ans et demi, le Tribunal considère qu'il résulte de l'examen de l'ensemble des contrats similaires conclus sur le marché de référence ainsi que des autres éléments du contexte économique et juridique dans lequel ces contrats s'inscrivent, tels qu'ils ont été analysés ci-dessus aux points 107 à 110, que les accords d'achat exclusif conclus par la requérante sont susceptibles d'affecter de manière sensible le jeu de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

112 Au vu de la forte position qu'occupe la requérante sur le marché de référence et, notamment, de la part de marché qu'elle détient, le Tribunal estime que ces accords contribuent de manière significative à un cloisonnement du marché.

113 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal considère dès lors, que c'est à bon droit que la Commission a estimé que les accords litigieux entraînent un restriction sensible du jeu de la concurrence sur le marché de référence. Partant, il n'y a pas eu lieu de procéder à cet égard, à l'audition de témoins proposée par la requérante et la partie intervenante.

114 Il y a donc lieu de rejeter la deuxième branche du moyen.

Quant à la troisième branche du moyen relative à l'absence d'affectation du commerce entre Etats membres

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

115 La requérante fait valoir que les accords de livraison ne sont pas susceptibles d'avoir une incidence négative sensible sur les échanges entre les Etats membres. L'obligation d'achat exclusive ne serait, en effet, susceptible d'avoir une telle incidence qu'en cas de réimportation par des intermédiaires étrangers, qui, d'après la requérante, n'existent pas et n'existeront vraisemblablement pas à l'avenir.

116 S'agissant de l'obligation de non-concurrence que comportent ces accords, la requérante fait valoir de plus, d'une part, que la Commission n'a avancé aucune preuve de ce qu'il existerait, dans d'autres Etats membres, des entreprises qui souhaiteraient vendre ses produits sur le marché allemand et, d'autre part, que les quelques livraisons transfrontalières de glaces de consommation sont, pour la plupart, des livraisons internes à un groupe d'entreprises, qui ne constituent donc pas des échanges entre Etats membres au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. A cet égard, la requérante ajoute, en se référant au point 75 de la décision, qu'une entreprise allemande qui fabrique les produits qu'elle destine au marché allemand dans des lieux de production situés en France n'en devient pas pour autant une entreprise française.

117 La Commission constate, dans la décision, que l'obligation d'achat exclusif et l'obligation de non concurrence que comportent les accords litigieux constituent une restriction à la concurrence susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres puisque ces accords sont de nature à cloisonner le marché allemand à l'égard des glaces provenant d'autres Etats membres comme, en l'espèce, des glaces de Mars, qui sont fabriquées en France.

118 Enfin, selon la Commission, il découle de la jurisprudence qu'elle n'a pas besoin d'apporter la preuve que les accords ont, en fait, sensiblement affecté les échanges entre les Etats membres. Elle rappelle que l'article 85, paragraphe 1, du traité n'exige pas cette " preuve, qui, dans la plupart des cas, ne saurait d'ailleurs que difficilement être administré à suffisance de droit, mais demande qu'il soit établi que ces accords sont de nature à avoir un tel effet " (voir l'arrêt de la Cour du 1er février 1978, Miller/Commission, 19-77, Rec. p. 131).

Appréciation du Tribunal

119 Il convient, d'emblée, de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, pour être susceptible d'affecter entre Etats membres au sens de l'article 85, paragraphe 1 du traité, un accord entre entreprises doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle sur les courants d'échanges entre Etats membres, et cela de manière à faire craindre qu'il puisse entraver la réalisation d'un marché unique entre Etats membres (voir, en dernier lieu, l'arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77-92, Rec. p. II-549, point 39, et également l'arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. p. 2545, point 22).

120 Le Tribunal estime, à cet égard, que l'effet cumulatif résultant de l'existence d'un réseau de contrats d'exclusivité, qui s'étend à l'ensemble du territoire d'un État membre et couvre environ (...) % du marché de référence (voir ci-dessus point 105), est susceptible d'empêcher la pénétration de concurrents venant d'autres Etats membres et donc de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interprétation économique voulue par le traité (voir dans le même sens, l'arrêt de la Cour du 17 octobre 1972, Cementhandelaren/Commission, 8-72, Rec. p. 977).

121 Le tribunal considère, dès lors, que c'est à bon droit que la décision constate, au point 75, que les accords litigieux sont de nature à cloisonner le marché allemand à l'égard des glaces d'autres Etats membres, par exemple vis-à-vis des glaces de Mars qui sont fabriqués en France.

122 Quant à l'argument de la requérante, selon lequel il s'agirait, pour la partie intervenante Mars, de livraisons transfrontalières internes à un groupe d'entreprises, qui ne constitueraient pas des échanges entre Etats membres, il convient de rappeler qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que de telles livraisons peuvent affecter le commerce entre Etats membres. Ainsi, la Cour a jugé, dans son arrêt du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission (240-82 à 242-82, 261-82, 262-82 et 269-82, Rec. p. 3831, point 49), que, même en l'absence de cloisonnement des marchés, des accords de prix entre entreprises établies dans un État membre et ne couvrant que le marché de cet État affectent les échanges entre Etats membre au sens de l'article 85 du traité, dès lors qu'ils portent, ne serait-ce que pour partie, sur un produit provenant d'un autre État membre et alors même que les participants auraient obtenu le produit auprès d'une société de leur groupe.

123 Le Tribunal estime que cette jurisprudence s'applique également aux livraisons transfrontalières d'un opérateur économique qui ne participe pas à des accords d'exclusivité.

124 Il s'ensuit que la troisième branche du moyen est dénuée de fondement.

Quant à la quatrième branche du moyen relative à la prétendue obligation pour la Commission de scinder les contrats individuels, de manière à ce qu'une partie des contrats échappent à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

125 La requérante fait valoir que la Commission n'est pas habilitée, par l'article 3 du règlement n° 17, à interdire des contrats d'exclusivité qui ne relèvent pas de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Selon elle, il découle de l'arrêt Delimitis, précité qu'un certain nombre ou une certaine catégorie de contrats d'exclusivité, quelle que soit la manière dont on définit ce nombre ou cette catégorie, ne sont pas visés par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Ce serait dès lors, à tort que la Commission, au point 107 de la décision, a interdit l'intégralité des accords existants, sans examiner ni déterminer quelle partie des accords entre dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

126 Selon la requérante, il est également faux de dire que l'article 85, paragraphe 2, du traité s'oppose, pour des raisons de sécurité juridique, à une scission des contrats faisant partie d'un réseau d'accords, ce que l'ordonnance du président du Tribunal du 16 juin 1992, rendue dans l 'affaire qui a précédé l'introduction du présent recours (voir ci-dessus point 8), ferait clairement apparaître.

127 Pour sa part, la Commission fait valoir que, conformément à la constatation opérée au point 107 de la décision, l'effet sensible sur la concurrence relevé en l'espèce concerne l'ensemble des accords de livraison conclus par la requérante. En présence d'un réseau d'accords de même nature passés par un seul et même fabricant, l'effet sensible serait présent ou non, sans qu'il soit possible d'extraire certains éléments. L'article 85, paragraphe 1, du traité ne permettrait pas de scinder des contrats individuels ou des réseaux d'accords de manière qu'une partie " non sensible " puisse être soustraite à l'interdiction qu'il édicte, une telle scission ayant d'ailleurs un caractère arbitraire.

128 La Commission ajoute, en outre, que l'article 85, paragraphe 2, du traité s'oppose à une scission pour des raisons de sécurité juridique, en particulier dans le cas de réseaux d'accords.

Appréciation du Tribunal

129 Il convient, d'emblée, de relever qu'il ressort de la jurisprudence qu'un réseau de contrats d'achat exclusif mis en place par un seul fournisseur peut échapper à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, à condition qu'il ne contribue pas de manière significative, avec l'ensemble des contrats similaires relevés sur le marché, y compris ceux des autres fournisseurs, à fermer l'accès au marché pour de nouveaux concurrents nationaux et étrangers (voir l'arrêt Delimitis, précité, points 23 et 24). Le Tribunal considère que cela implique que, en présence d'un réseau d'accords similaires conclus par un seul producteur, l'appréciation portée sur les effets de ce réseau sur le jeu de la concurrence s'applique à l'ensemble des contrats individuels constituant le réseau. De surcroît, il convient d'ajouter que la Commission est tenue, aux fins d'apprécier l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, du traité, d'examiner les données réelles du cas d'espèce et ne saurait se baser sur des situations hypothétiques. A cet égard, le Tribunal estime que, comme l'a remarqué la Commission, le fait, en l'espèce, de scinder les contrats litigieux en différentes catégories hypothétiques pourrait relever de l'arbitraire.

130 S'agissant ensuite, de l'ordonnance du président du Tribunal du 16 juin 1992, précitée, invoquée par la requérante pour démontrer que des raisons de sécurité juridique ne s'opposent pas à une scission de ses contrats, il y a lieu de rappeler que cette ordonnance, qui a suspendu l'application de la décision de la Commission du 25 mars 1992, sauf en ce qui concerne les points de vente exclusifs de la requérante et de Schöller, dans les stations-services, a été rendue dans le cadre d'une demande en référé. La demande ordonnée, arrêtée au terme d'une mise en balance des différents intérêts des parties au litige, était destinée à pallier un risque de préjudice grave et irréparable tant pour Mars que pour la requérante. L'ordonnance avait ainsi une finalité particulière et le Tribunal considère, en conséquence, qu'elle ne peut être invoquée pour affirmer que la Commission était tenue de scinder les contrats individuels en vue d'apprécier s'ils tombaient sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

131 Le Tribunal estime, dès lors, qu'un faisceau de contrats similaires doit être apprécié dans son ensemble et, en conséquence, que c'est à juste titre que la Commission n'a pas procédé à un fractionnement des contrats. Il s'ensuit que cette branche du moyen doit être écartée.

132 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré d'un violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, doit être écarté.

Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité

133 La requérante fait valoir que, dans l'hypothèse où les accords litigieux tomberaient néanmoins, sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité, ils pourraient bénéficier soit d'une exemption par catégorie en vertu du règlement n° 1984-83, soit d'une exemption individuelle. Le moyen s'articule en quatre branches. la requérante estime, en premier lieu, que c'est à tort que la Commission a considéré que tous les accords litigieux sont conclus pour une durée indéterminée et que, par conséquent, conformément à l'article 3, sous d) du règlement n° 1984-83, l'exemption prévue par ce règlement ne leur est pas applicable. En deuxième lieu, la requérante soutient que la Commission ne saurait retirer le bénéfice de l'exemption prévue par le règlement n° 1984-83 en vertu de l'article 14, sous a) et b), dudit règlement, étant donné que ces dispositions seraient inapplicables en l'espèce, la requérante ayant, à cet égard, soulevé une exception d'illégalité. En troisième lieu, la requérante fait valoir que, à supposer même que lesdites dispositions soient applicables, la Commission n'était pas en droit de retirer le bénéfice de l'exemption par catégorie car les conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité sont remplies. A cet égard, elle affirme, en outre, que les accords sont susceptibles de bénéficier d'une exemption individuelle. En quatrième et dernier lieu, la requérante fait valoir que la Commission, en retirant le bénéfice de l'exemption par catégorie pour l'ensemble des accords litigieux, a violé le principe de proportionnalité.

Quant à la première branche du moyen relative à la durée des contrats litigieux

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

134 S'agissant de la durée des contrats d'exclusivité, la requérante affirme, à titre liminaire, que, étant donné que la durée fixe de deux ans prévue dans certains contrats litigieux correspond en pratique, malgré la clause de prorogation automatique d'un an, à leur durée effective, les gérants des points de vente résiliant leur contrat le plus tôt possible afin de tenter d'obtenir une amélioration de leurs conditions contractuelles, ce serait donc à tort que la Commission a considéré que tous les accords de livraison sont conclus pour une durée indéterminée et que, par conséquent, conformément à l'article 3 sous d), du règlement n° 1984-83, l'exemption prévue par le règlement ne leur est pas applicable. En effet, la requérante estime que, si le gérant d'un point de vente résilie son contrat et si la relation contractuelle est rétablie par la suite, il y a un nouveau contrat fixant une nouvelle durée déterminée.

135 En tout état de cause, les réserves soulevées par la Commission à cet égard, au point 112 de la décision, n'auront, d'après la requérante, bientôt plus d'objet. En effet, les seuls contrats posant problème seraient les contrats qui prévoient une durée fixe de deux ans et une prorogation automatique d'un an à la fin de chaque échéance. La requérante a souligné, lors de la procédure écrite, qu'elle est en train de changer sa pratique contractuelle en adoptant une clause qui prévoit que la durée du contrat ne peut en aucun cas dépasser cinq ans.

136 La Commission fait valoir que, comme elle l'a indiqué au point 112 de sa décision, les accords du type " contrats avec durée fixe de deux ans au maximum et prorogation automatique " sont conclus " pour une durée indéterminée " au sens de l'article 3, sous d), du règlement n° 1984-83, leur expiration dépendant d'un événement futur incertain. La possibilité de résilier ces contrats chaque année, moyennant un certain délai au cours de la période de prorogation automatique, ne changerait pas l'appréciation juridique. La Commission est, dès lors, d'avis que ces accords de livraison ne peuvent pas bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984-83.

Appréciation du Tribunal

137 Il convient de rappeler qu'il ressort du libellé de l'article 3, sous d), du règlement n° 1984-83 que l'exemption par catégorie prévue par ledit règlement n'est pas applicable lorsque l'accord en question est conclu pour une durée indéterminée. A cet égard, le Tribunal considère qu'il n'y a pas, en pratique, de différence entre, d'une part, un contrat conclu expressément pour une durée indéterminée, avec possibilité pour les parties de résilier leurs relations contractuelles, forme exclue par l'article 3, sous d), du règlement n° 1984-83 du bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par ce même règlement, et, d'autre part, un contrat qui fait l'objet, comme dans le cas d'espèce, après deux ans de renouvellements tacites aussi longtemps qu'il n'est pas résilié par un cocontractants. Dans les deux cas, les cocontractants ne sont pas obligés, mais sont libres, s'ils le désirent, de reconsidérer leur relation contractuelle et d'évaluer les autres possibilités existant sur le marché. Or, cet examen que l'article 3 sous d), du règlement n° 1984-83 a pour but d'imposer, peut donner l'occasion à de nouveaux concurrents d'accéder à des détaillants déliés de tout engagement. Il y a, de plus, lieu de considérer, comme la Commission l'a fait au point 113 de la décision, que l'élément déterminant pour l'appréciation de ces contrats au regard du droit de la concurrence est que la durée n'est pas certaine puisqu'elle dépend de l'initiative de l'une des parties du contrat.

138 Il s'ensuit que les contrats soumis à des renouvellements tacites qui peuvent dépasser cinq ans doivent être considérés comme ayant été conclus pour une durée indéterminée et ne peuvent, dès lors, bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984-83. La première branche du moyen doit donc être rejetée.

Quant à la deuxième branche du moyen relative à l'inapplicabilité des dispositions de l'article 14, sous a) et sous b), du règlement n° 1984-83

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

139 La requérante fait valoir que la Commission ne peut pas, en ce qui concerne les contrats dont la durée est conforme aux exigences de l'article 3 du règlement n° 1984-83 et qui peuvent en conséquence bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par ledit règlement, retirer le bénéfice de cette exemption, au motif que l'accès au commerce spécialisé traditionnel est entravé de manière importante en raison des contrats d'exclusivité que ses concurrents et elle-même ont conclus, ni au motif que les produits glacés distribués par le canal du commerce spécialisé traditionnel ne sont pas " soumis à la concurrence effective " d'autres produits glacés, car les dispositions correspondantes, à savoir l'article 14, sous 1) et sous b), du règlement n° 1984-83 n sont inapplicables, étant donné qu'elles sont dépourvues de fondement juridique.

140 Au soutien de cette allégation, la requérante fait valoir que la base juridique de l'article 14 du règlement n°1984-83, à savoir l'article 7 du règlement n° 19-65-CEE du Conseil, du 2 mars 1965, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, ci-après " règlement n° 19-65 "), prévoit que la Commission ne peut retirer le bénéfice d'une exemption par catégorie que lorsque les accords bénéficiant d'une telle exemption " ont ... certains effets qui sont incompatibles avec les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité ".

141 Cependant, fait observer la requérante, l'article 14, sous a) du règlement n° 1984-83 exige, de plus, que les produits en cause soient soumis à la " concurrence effective " d'autres produits. Or, l'article 85, paragraphe 3 du traité exige seulement, pour qu'un accord puisse bénéficier d'une exemption, qu'il ne donne pas aux entreprises intéressées " ... la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence " . De plus l'article 14, sous b), dudit règlement pose comme condition que l'accord exempté n'entrave pas de manière importante " l'accès d'autres fournisseurs aux différents stades de la distribution... ", exigence qu'on ne trouve pas dans l'article 85, paragraphe 3, du traité. Même s'il est sans doute possible d'interpréter l'article 14, sous a), dans un sens conforme à l'article 85, paragraphe 3, du traité, cela n'est toutefois pas possible, selon la requérante, en ce qui concerne l'article 14, sous b). Dès lors, ce serait à tort que la Commission a motivé sa décision en se référant aux dispositions de l'article 14 du règlement n° 1984-83, car un règlement de la Commission qui n'est pas couvert par la disposition habilitante sur laquelle il est fondé est illégal et, dès lors, inapplicable, en tout ou en partie, à moins qu'il puisse être interprété dans le sens de cette disposition (voir l'arrêt de la Cour du 10 mars 1971, Tradax, 38-70, Rec. p. 145).

142 Selon la Commission, le contenu normatif de l'article 14 du règlement n° 1984-83 et celui de l'article 7 du règlement n° 19-65 sont identiques, de sorte que la question de l'inapplicabilité de la première disposition ne se pose pas. D'une part, les dispositions de l'article 14, sous a) et sous b), du règlement n° 1984-83 n'auraient qu'un caractère indicatif, en tant qu'elles décrivent quelques unes des situations dans lesquelles la Commission peut faire usage de son pouvoir de retirer le bénéfice de l'exemption prévue par le règlement [voir la communication relative aux règlements (CEE) n° 1983-83 et (CEE) n° 1984-83 de la Commission du 22 juin 1983, concentrant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories respectivement d'accords de distribution exclusive et d'accords d'achats exclusifs (JO 1984, C 101, p. 2)]. D'autre part, il ressort, toujours selon la Commission, de la jurisprudence de la Cour que, si l'élimination de la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause constitue un obstacle à l'exemption, cela vaut également pour les différents stades de la distribution au sens de l'article 14, sous b), du règlement n° 1984-83 (voir les arrêts de la Cour du 13 juillet 1966, Italie/Conseil et Commission, 32-65, rec. p. 563, et Europemballage et Continental Ca/Commission, précité).

143 En outre, la Commission estime qu'il ressort de l'arrêt Europemballage et Continental Can/Commission que le souci des auteurs du traité de conserver au marché, dans le cas où des restrictions de la concurrence sont admises, les possibilités d'une concurrence effective ou potentielle, n'exclut pas les différents stades de la distribution.

Appréciation du Tribunal

144 Il y a lieu, à titre liminaire, de rappeler que la question de savoir si la Commission a retiré à tort le bénéfice d'une exemption par catégorie, en vertu des dispositions de l'article 14, sous a) et b), du règlement n° 1984-83, au motif que ces dispositions sont inapplicables en l'espèce, ne concerne que les contrats qui sont conclus pour une durée maximale de cinq ans et qui remplissent donc, selon la Commission, les conditions énoncées par l'article 3, sous d), dudit règlement (voir point 114 de la décision), les contrats types " contrats avec durée fixe de deux ans au maximum et prorogation automatique " ainsi que les contrats d'une durée supérieure à cinq ans, n'étant pour leur part, pas couverts par l'exemption prévue par l'article 1er dudit règlement.

145 Le Tribunal constate d'abord, qu'il ressort, d'une part, de l'article 14, sous a) et b), du règlement n° 1984-83 que la Commission est habilitée à retirer le bénéfice de l'exemption prévue par ce règlement, qui n'est pas subordonnée, par définition, à la vérification que les conditions de l'exemption requises par l'article 85, paragraphe 3, du traité sont effectivement remplies, lorsqu'elle constate, après un examen individuel d'un cas concret, que les accords exemptés par le règlement ne remplissent pas toutes les conditions exigées par ledit article 85, paragraphe 3, du traité.

146 Une telle réglementation est conforme à l'article 7 du règlement n° 19-65, base juridique de l'article 14 du règlement n° 1984-83, qui prévoit que la Commission peut retirer le bénéfice de l'application d'un règlement d'exemption par catégorie lorsqu'elle constate que des accords ou pratiques concertées ont certains effets qui sont incompatibles avec les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité.

147 Il ressort, d'autre part, du libellé, de l'article 14 du règlement n° 1984-83 que les dispositions contenues sous les points a) et b), introduites par l'adverbe " notamment ", constituent une énumération, à titre d'exemples, des cas dans lequel les entreprises peuvent s'attendre à ce qu'une décision de la Commission leur retire le bénéfice de l'exemption par catégorie.

148 Il y a ensuite, lieu de rappeler que la Cour a jugé, dans son arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, précité, à propos de la quatrième condition requise pour bénéficier d'une exemption à l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité, que " le souci des auteurs du traité de conserver au marché, dans le cas où des restrictions de la concurrence sont admises, les possibilités d'une concurrence effective ou potentielle est expressément précisé dans l'article 85, paragraphe 3, sous b) du traité ". la condition du maintien d'une concurrence effective, au sens de l'article 14, sous a), du règlement n° 1984-83, est, dès lors, couverte par l'habilitation conférée par l'article 7 du règlement n° 19-65.

149 Il s'ensuit que l'argument de la requérante tiré d'une prétendue innaplicabilité dudit article 14, sous a), du règlement n° 1984-83, ne saurait être retenu.

150 Il ressort également de la jurisprudence, d'une part, que le principe de la liberté de la concurrence concerne les différents stades et aspects de celle-ci (voir l'arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 55-64 et 58-64, Rec. p. 429) et, d'autre part, que le libellé de l'article 85, paragraphe 1, du traité n'établit aucune distinction entre opérateurs concurrents au même stade, ou entre opérateurs non concurrents situés à des stades différents, et qu'on ne saurait distinguer là ou le traité ne distingue pas (voir l'arrêt Italie/Conseil et Commission, précité).

151 Il en découle que l'article 85, paragraphe 1, du traité, a vocation à s'appliquer à tous les stades du processus économique et également aux rapports de concurrence entre fournisseurs portant, comme dans le cas d'espèce, sur l'accès aux différents point de vente.

152 Étant donné que, selon l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité, les dispositions du paragraphe 1 ne peuvent être déclarées inapplicables à des accords donnant " à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence ", le Tribunal considère, à la lumière des considérations qui précèdent, que la Commission peut également retirer le cas échéant, en vertu de l'article 85, paragraphe 3, sous b) du traité, le bénéfice d'une exemption par catégorie lorsque l'accès d'autres fournisseurs aux différents points de vente est entravé de manière importante au sens de l'article 14, sous b), du règlement n° 1984-83.

153 L'argument de la requérante, selon lequel l'article 14, sous b), du règlement n° 1984-83 n'est pas couvert par l'habilitation prévue par l'article 7 du règlement n° 19-65, est, dès lors, dénué de fondement.

154 Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter la deuxième branche du moyen.

Quant à la troisième branche du moyen relative à la question de savoir si les accords de livraison satisfont aux conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

155 La requérante fait valoir que l'article 7 du règlement n° 19-65, qui fait référence aux articles 6 et 8 du règlement n° 17, doit être interprété en ce sens que la Commission ne peut retirer le bénéfice d'une exemption par catégorie que si elle apporte la preuve que les conditions de l'article 85, paragraphe 2, du traité n'étaient pas remplies dès le départ ou ont cessé par la suite de l'être, ce qu'elle n'aurait pas fait en l'espèce.

156 La requérante en déduit que, tant que la Commission n'a pas prouvé que l'une des conditions d'application de l'article 8, paragraphe 3, du règlement n° 17 est remplie elle ne peut retirer le bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984-83.

157 D'après la requérante, les contrats d'exclusivité en cause continuent à être couverts par l'article 85, paragraphe 3, du traité et sont donc également susceptibles de bénéficier d'une exemption individuelle. Dans ce contexte, la requérante précise que les accords de livraison qu'elle a conclus ne sont pas soumis à l'obligation de notification à la Commission. Ces accords entreraient, en effet, dans la catégorie visée à l'article 14, paragraphe 2, sous 1), du règlement n° 17, même si elle fait partie d'un groupe international.

158 D'abord, la requérante affirme, en se référant aux cinquième et sixième considérants du règlement n° 1984-83, que les accords de livraison entraînent une amélioration de la distribution des produits. La requérante expose en effet, que c'est grâce à ces accords qu'un approvisionnement régulier sur tout le territoire et l'offre d'une large gamme de glaces de consommation de haute qualité sont rendus possibles. Sans la mise en place des réseaux de distribution existants, dont une composante essentielle est la dépendance exclusive dans laquelle se trouvent les points de vente vis-à-vis d'un producteur déterminé, un grand nombre de petits et moyens points de vente n'auraient jamais accepté de vendre des glaces de consommation. Si chaque point de vente était libre de vendre, de temps en temps, les produits d'autres producteurs, l'efficacité du système de distribution ne pourrait pas être assurée, parce qu'il ne serait pas possible de maintenir sa rentabilité. En conséquence, l'approvisionnement constant des points de vente en gammes complètes de produits serait mis en péril. La requérante affirme que la création, par les contrats d'exclusivité, de nouveaux débouchés pour les glaces de consommation constitue également contrairement à l'avis de la Commission, un avantage objectif pour l'intérêt général.

159 Ensuite, la requérante considère, en se référant à la jurisprudence de la Cour (voir l'arrêt du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26-76, Rec. p. 1875), qu'un approvisionnement régulier constitue pour les utilisateurs un avantage suffisant pour pouvoir être considéré comme une partie équitable du profit résultant des améliorations provoquées par une restriction de concurrence admise par la Commission. En outre, elle affirme que, si les contrats d'exclusivité étaient supprimés, les frais de distribution et les prix à la consommation augmenteraient considérablement au détriment des consommateurs.

160 Enfin, l'appréciation de l'existence d'une concurrence effective sur le marché en cause ne dépend pas, d'après la requérante, de la question de savoir si et dans quelle mesure l'accès au commerce spécialisé traditionnel est entravé de manière importante en raison des contrats d'exclusivité existants. Même dans une telle hypothèse, dont elle conteste la réalité, une concurrence effective pourrait néanmoins trouver à s'exercer sur le marché des glaces de consommation. En effet, selon la requérante, il existe une concurrence effective en matière de prix, de qualité et de gammes de produits et de services sur le marché, ce que la mobilité de sa part de marché et de celle de Schöller ferait clairement apparaître.

161 La requérante estime que, au vu de ces observations, le bénéfice de l'exemption par catégorie ne pourrait pas non plus être retiré, même si, contrairement à sa thèse, les dispositions de l'article 14, sous a) et b), du règlement n° 1984-83 étaient applicables.

162 La Commission considère, au contraire, qu'il y avait lieu de retirer, en vertu de l'article 14 du règlement n° 1984-83, le bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par ce règlement, puisque les accords de livraison ne remplissent pas les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité.

163 A cet égard, la Commission rappelle à titre liminaire, que l'exemption par catégorie, à l'inverse de l'exemption individuelle, n'est pas subordonnée, par définition à la vérification cas par cas que les conditions de l'exemption requises par le traité sont effectivement remplies. Il serait, dès lors, faux de prétendre que les conditions prévues par l'article 8, paragraphe 3, du règlement n° 17, en ce qui concerne la révocation d'une exemption individuelle, sont déterminantes en cas de retrait de l'exemption par catégorie en vertu de l'article 14 du règlement n° 1984-83. D'après la Commission, il fallait, conformément à ce dernier article, examiner si, dans le cas d'espèce, les accords de livraison avaient des effets incompatibles avec les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité, ce que précisément elle a fait.

164 La Commission affirme, d'abord, que les accords de livraison ne contribuent pas à améliorer la distribution des produits au sens de l'article 85, paragraphe 3, ces accords ne comportant pas des avantages objectifs et concrets pour l'intérêt général, tel que défini par l'arrêt Consten et Grundig/Commission, précité, susceptibles de compenser les inconvénients pour la concurrence qui leur sont propres.

165 Compte tenu de la forte position qu'occupe la requérante sur le marché, la Commission considère que les avantages qui peuvent s'attacher à des accords d'achat exclusif, à savoir un renforcement de la concurrence entre les produits de marques différentes, ne se vérifient pas en l'espèce. Au contraire, la concurrence sur le marché serait restreinte par l'existence d'un réseau d'accords d'achat exclusif constituant un important obstacle à l'accès au marché et, en conséquence, la position de la requérante vis-à-vis de ses concurrents se trouverait considérablement renforcée. De surcroît, la Commission considère que l'approvisionnement régulier des consommateurs sur l'ensemble du territoire ne serait pas mis en péril en cas de disparition des accords d'exclusivité.

166 Ensuite, la Commission fait valoir que, du fait que les contrats d'exclusivité aboutissent à un système de distribution homogène et transparent, on ne saurait supposer que les utilisateurs participent de façon équitable au profit résultant des accords. En effet, les entreprises ne seraient pas obligées de répercuter le profit résultant desdits accords en l'absence d'une pression exercée par une concurrence effective. En outre, les accords restreindraient les possibilités de choix des consommateurs, ceux-ci ne trouvant que l'assortiment de glaces d'un producteur donné dans les points de vente liés.

167 Enfin, la Commission considère que la condition négative prévue à l'article 85, paragraphe 3, sous b) du traité est remplie, puisqu'une concurrence effective n'existe pas sur le marché de référence. En ce qui concerne, d'une part, le commerce d'alimentation, la Commission fait valoir que les fortes positions occupées par la requérante et par Schöller, qui réalisent ensemble plus de deux tiers du volume des ventes dans ce canal de distribution, ainsi que la concentration de la demande constituent un obstacle important à l'accès au marché. S'agissant, d'autre part, du commerce traditionnel, l'accès au marché serait en grande partie entravé par l'effet cumulatif de l'ensemble des accords d'exclusivité en vigueur. Si l'on examine les ventes effectuées par la requérante par l'intermédiaire des revendeurs liés par les contrats d'exclusivité, y compris les grossistes, par rapport aux quantités totales vendues par la requérante en 1991, on obtient, d'après la Commission un pourcentage de points de vente liés par contrats d'exclusivité de (...) % (plus de 50 %).

168 L'effet de cloisonnement du marché résultant de contrats d'exclusivité pourrait être atténué par une durée de validité relativement courte des contrats, ce qui ne serait cependant pas le cas en l'espèce, les contrats ayant des durées fixes allant jusqu'à deux ans avec possibilité de prorogation pour une durée indéterminée. En outre, la Commission estime que le système de prêts de surgélateurs, mis en place par la requérante et par Schöller sur l'ensemble du marché entraîne également des restrictions de concurrence.

169 La partie intervenante Mars conteste que la conclusion de contrats d'exclusivité et la mise en œuvre d'un système de distribution propre au producteur soient indispensable à une distribution efficace et rationnelle sur le marché de référence des glaces de consommation produites de manière industrielle. Mars affirme que les systèmes de transport propres aux producteurs, tels que ceux mis en place par la requérante et par Schöller, constituent une situation tout à fait exceptionnelle. Les produits dits " d'impulsion " seraient, en règle générale, livrés par le producteur aux entrepôts centraux des grossistes qui grouperaient et livreraient les commandes aux différents points de vente.

170 Mars rappelle, à cet égard, que le groupe Unilever, dont la requérante fait partie, a demandé, dans une lettre du 30 octobre 1974, à sa filiale irlandaise de mettre fin aux contrats d'exclusivité relatif aux points de vente et de se limiter à l'exclusivité relative à l'utilisation des surgélateurs. Cela montrerait que les contrats d'exclusivité ne sont pas nécessaires.

171 Selon Mars, c'est à tort que la requérante affirme que les grossistes n'ont ni la volonté ni les moyens d'approvisionner le commerce traditionnel. Si les grossistes ne sont pas en mesure d'approvisionner le nombre de points de vente nécessaire pour parvenir à une distribution rationnelle, c'est, selon elle, à cause des contrats d'exclusivité litigieux qui lient un grand nombre de points de vente.

172 Le système appliqué par la requérante aurait pour effet d'empêcher presque totalement l'accès de nouveaux concurrents au marché des glaces dites " d'impulsion ", qui engendre des bénéfices très importants. Enfin, il découle, selon Mars, de la jurisprudence de la Cour que ce n'est pas parce qu'une entreprise a créé un marché qu'elle a le droit de préserver sa position sur ce marché par la conclusion de contrats d'exclusivité (voir l'arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité).

Appréciation du Tribunal

173 Il y a lieu, à titre liminaire, d'examiner l'argument de la requérante selon lequel l'article 7 du règlement n° 19-65 doit être interprété en ce sens que la Commission doit, dans l'exercice du pouvoir que lui confère l'article 14 du règlement n° 1984-83, respecter les conditions prévues à l'article 8, paragraphe 3, du règlement n° 17, de sorte qu'elle ne peut retirer le bénéfice d'une exemption par catégorie que si la situation de fait se modifie à l'égard d'un élément essentiel à l'exemption.

174 Le Tribunal rappelle, à cet égard, que, aux termes de l'article 8, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 17, la Commission peut révoquer ou modifier une décision d'exemption si la situation de fait se modifie à l'égard d'un élément essentiel à la décision. S'agissant d'une condition concernant la révocation de décisions formelles, prises en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, la disposition n'a pas vocation à s'appliquer lorsque la Commission décide de retirer le bénéfice d'une exemption par catégorie, puisque, dans ce cas, il n'y a pas de décision formelle à révoquer. De plus, le Tribunal constate que, comme la Commission l'a fait observer, une exemption par catégorie n'est pas subordonnée, par définition, à la vérification, cas par cas, que les conditions de l'exemption requises par le traité sont effectivement remplies (voir, à cet égard, l'arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Tetra Pak/Commission, T-51-89, Rec. p. II-309).

175 Dans ces circonstances, il y a, dès lors, lieu de constater que l'article 7 du règlement n° 19-65 ne peut pas être interprété en ce sens qu'une décision de retrait du bénéfice d'une exemption par catégorie ne peut intervenir que dans le respect de la condition prévue à l'article 8, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 17. L'argument de la requérante en ce sens ne saurait donc être accueilli.

176 Afin d'apprécier, ensuite, si la Commission était en droit de retirer le bénéfice de l'exemption par catégorie, il y a lieu d'examiner l'analyse de la Commission quant à la question de savoir si les accords litigieux remplissent ou non les conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, auxquelles renvoient les articles 7 du règlement n° 19-65 et 14 du règlement n° 1984-83. Il y a lieu de souligner que, si cet examen fait apparaître que les accords litigieux ne remplissent pas les conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, ce résultat impliquera également qu'ils ne peuvent pas, contrairement à ce que soutient la requérante, bénéficier d'une exemption individuelle.

177 A cet égard, il convient tout d'abord, de rappeler que l'octroi par la Commission d'une décision d'exemption individuelle est notamment subordonné à la condition que les quatre conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité soient réunies cumulativement par l'accord en cause, de telle sorte qu'il suffit que l'une des quatre conditions fasse défaut pour que l'exemption doive être refusée (voir, par exemple, l'arrêt du Tribunal du 15 juillet 1994, Matra Hachette/Commission, T-17-93, Rec. p.II-595, point 104).

178 Le Tribunal rappelle, ensuite, que la Commission détient un large pouvoir d'appréciation en la matière. Le pouvoir exclusif conféré à la Commission, en vertu de l'article 9 du règlement n° 17, d'octroyer une exemption, en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité comporte nécessairement des appréciations complexes en matière économique. Le contrôle juridictionnel de ces appréciations doit respecter ce caractère en se limitant à l'examen de la matérialité des faits et des qualifications juridiques que la Commission en déduit. Le contrôle juridictionnel s'exerce donc, en premier lieu, sur la motivation des décisions, qui, à l'égard desdites appréciations, doit préciser les faits et considérations sur lesquels elles sont basées (voir l'arrêt Consten et Grundig/Commission, précité). C'est à la lumière de ces principes, dégagés par la jurisprudence, qu'il convient de vérifier si la décision ne se fonde pas sur des faits matériels inexacts, n'est pas entachée d'erreurs de droit ou d'erreurs manifestes d'appréciation (voir l'arrêt Matra Hachette/Commission, précité, point 104).

179 Il résulte, en outre, d'une jurisprudence bien établie que, dans le cas où une exemption est recherchée en vertu de l'article 85, paragraphe 3, il appartient en premier lieu aux entreprises intéressées de présenter à la Commission les éléments de preuve de nature à établir que l'accord remplit les conditions posées par l'article 85, paragraphe 3, du traité (voir, par exemple, les arrêts de la Cour Remia e.a./Commission, précité et du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19).

180 S'agissant de l'examen de la première des quatre conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, le Tribunal rappelle que, aux termes de cette disposition, les accords susceptibles d'être exemptés sont ceux " qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique ". Il y a lieu, à cet égard, de relever qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'amélioration ne saurait être identifiée à tous avantages que les partenaires retirent de l'accord quant à leur activité de production ou de distribution. Cette amélioration doit notamment présenter des avantages objectifs sensibles, de nature à compenser les inconvénients que comporte l'accord sur le plan de la concurrence (voir l'arrêt Consten et Grundig/Commission, précité).

181 Le Tribunal relève qu'en l'espèce l'examen de cette première condition fait l'objet des points 116 à 122 de la décision. Bien qu'il ressorte du cinquième considérant du règlement n° 1984-83 que les accords d'achat exclusif entraînent en général une amélioration de la distribution, le fournisseur étant en mesure de planifier la vente de ses produits de manière plus exacte et plus longtemps à l'avance et, ainsi, d'assurer aux revendeurs un approvisionnement régulier pendant la durée de l'accord, et à supposer même que la requérante soit tenue de mettre fin, pour des raisons de coût, à l'approvisionnement de certains petits points de vente si elle est obligée de renoncer à l'approvisionnement exclusif de ceux-ci, la Commission considère, néanmoins, que les contrats litigieux ne comportent pas des avantages objectifs et concrets pour l'intérêt général susceptibles de compenser les inconvénients pour la concurrence qui leur sont propres.

182 Au soutien de cette affirmation, la Commission a souligné, d'une part, que, compte tenu de la forte position qu'occupe la requérante sur le marché de référence, les accords litigieux n'ont pas, contrairement à l'attente exprimée dans le sixième considérant du règlement n° 1984-83, pour effet d'intensifier la concurrence entre produits de marques différentes.En effet, la Commission a, à juste titre, considéré que le réseau d'accords en cause constitue un important obstacle à l'accès au marché, qui a pour effet de restreindre la concurrence.Bien que la requérante ait fait valoir, à cet égard, que la création de nouveaux débouchés pour les glaces de consommation comporte des avantages objectifs pour l'intérêt général, tel qu'il a été défini par la jurisprudence, le Tribunal considère que la requérante n'a, cependant, pas avancé d'éléments de fait de nature à contester sérieusement l'analyse faite par la Commission en ce qui concerne les obstacles à l'accès au marché qu'entraînent les accords de livraison et, en conséquence, l'affaiblissement de la concurrence qui en découle.

183 D'autre part, il ressort du point 121 de la décision que la Commission a considéré que l'approvisionnement des petits points de vente qui seraient éventuellement abandonnés par la requérante, pour des raisons de coût, serait assuré soit par d'autres fournisseurs, par exemple de petits producteurs locaux, soit par des intermédiaires indépendants commercialisant plusieurs assortiments.

184 Dans ce contexte, il convient de rappeler que la partie intervenante Mars, a relevé qu'il est tout à fait exceptionnel que les produits dits " d'impulsion " soient distribués par un système de transport propre aux producteurs. De fait, il est constant entre les parties que c'est uniquement en Allemagne, au Danemark et en Italie que les entreprises du groupe Unilever ont conclu des contrats d'exclusivité relatifs aux points de vente.

185 Il est utile de relever que, en ce qui concerne la lettre du 30 octobre 1974, invoquée par Mars, par laquelle le groupe Unilever a demandé à sa filiale irlandaise de mettre fin aux contrats d'exclusivité relatifs aux points de vente et de se limiter à l'exclusivité relative à l'utilisation des surgélateurs, la requérante a expliqué, lors de la procédure écrite, que la meilleure manière pour procéder à la distribution de glaces de consommation sur les différents marchés nationaux des Etats membres a, par le passé, été résolue de différentes façons par les sociétés du groupe Unilever. A cet égard, la requérante a ajouté qu'elle a adopté sa propre position en tenant compte des conditions matérielles en vigueur sur le marché allemand.

186 Toutefois, la requérante n'a pas démontré de manière convaincante quelles étaient les conditions particulières en Allemagne qui avaient entraîné la nécessité de créer un système de distribution propre aux producteurs et elle n'a pas non plus avancé d'éléments susceptibles d'infirmer l'affirmation de la Commission quant à la volonté et à la capacité des grossistes d'assurer une distribution de glaces de consommation couvrant tout le territoire. Le Tribunal estime, dès lors, que la requérante n'a pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les accords litigieux ne remplissent pas la première condition énoncée par l'article 85, paragraphe 3, du traité. S'estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, le Tribunal considère qu'il n'y a pas lieu de procéder à l'audition de témoins sur la nécessité d'un système de distribution propre aux producteurs ou sur la stratégie commerciale de la partie intervenante, comme l'a proposé la requérante, ni sur la volonté et la capacité des grossistes d'approvisionner les détaillants dans le commerce traditionnel ou sur les restrictions du jeu de la concurrence qu'entraînent les contrats d'exclusivité, comme l'a proposé la partie intervenante.

187 Les accords litigieux ne remplissant pas la première branche des conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, il y a lieu, dès lors, de rejeter la troisième branche du moyen, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si la Commission a commis une erreur manifeste en ce qui concerne l'appréciation des autres conditions prévues par cette disposition, étant donné qu'il suffit que l'une des quatre conditions fasse défaut pour que l'exemption doive être refusée.

Quant à la quatrième branche du moyen relative à la question de savoir si l'interdiction totale des accords de livraison est contraire au principe de proportionnalité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

188 La requérante fait valoir que, en retirant le bénéfice de l'exemption par catégorie, la Commission ne peut interdire, conformément à l'article 3 du règlement n° 17, les contrats d'exclusivité jusqu'alors exemptés que dans la mesure où ces contrats sont pas susceptibles de bénéficier d'une exemption. La fait que la Commission a retiré l'intégralité du bénéfice de l'exemption par catégorie, sans accorder aucune exemption partielle, ne serait pas seulement incompatible avec les principes fixés par la Cour dans son arrêt Delimitis, mais également avec le principe de proportionnalité. D'après la requérante, la Commission est tenue de vérifier d'office, si, parmi les accords de livraison, un certain nombre peuvent néanmoins bénéficier d'une exemption individuelle du fait de l'absence d'effet cumulatif évoqué par la Cour dans l'affaire précitée.

189 A cet égard, la requérante renvoie à l'ordonnance du président du Tribunal du 16 juin 1992, qui, selon elle, indique, l'une des nombreuses possibilités qui permettent de ramener un réseau de contrats d'exclusivité à un niveau admis par les règles de concurrence.

190 La Commission a considéré, au point 148 de la décision, que, en raison de la forte position qu'occupe la requérante sur le marché et des protections multiples dont elle bénéficie, l'intégralité des contrats ne remplit pas les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité.

191 En outre, la Commission a soutenu, lors de la procédure écrite, que le retrait du bénéfice de l'exemption par catégorie n'est pas une mesure disproportionnée. A cet égard, la Commission a ajouté qu'elle n'est pas légalement tenue, dans le cadre de l'examen de l'article 85, paragraphe 3, du traité, de donner des indications sur d'éventuelles solutions alternatives.

Appréciation du Tribunal

192 Il convient, d'emblée, de rappeler que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché (voir l'arrêt de la Cour du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15-83, Rec. p. 2171).

193 S'agissant, en premier lieu, de la question de savoir si la Commission est tenue de vérifier d'office si un certain nombre d'accords de livraison, après le retrait du bénéfice d'une exemption par catégorie, peuvent néanmoins bénéficier d'une exemption individuelle du fait de l'absence d'effet cumulatif évoqué par la Cour, dans son arrêt Delimitis, précité, il y a lieu de rappeler qu'il appartient en premier lieu aux entreprises intéressées de présenter à la Commission les éléments de preuve de nature à établir qu'un accord remplit les conditions posées par l'article 85, paragraphe 3, du traité (voir ci-dessus point 179). S'il est vrai que, pour sa part la Commission peut donner aux entreprises des indications sur d'éventuelles solutions alternatives, elle n'est pas légalement tenue de le faire et, moins encore, d'accepter des propositions qu'elle estime incompatibles avec les conditions de l'article 85, paragraphe 3 (voir l'arrêt VBVB et VBBB/Commission, précité). Le Tribunal estime que cette jurisprudence doit s'appliquer également en l'espèce, de sorte que la Commission , dans une procédure d'application de l'article 85 du traité, n'est pas tenue d'indiquer quels accords ne contribuent que de manière non significative à l'éventuel effet cumulatif produit par des accords similaires sur le marché. De surcroît, comme il est d'ailleurs indiqué ci-dessus au point 129, une telle scission des contrats similaires serait susceptible de relever de l'arbitraire, la Commission étant tenue d'examiner de manière concrète l'incidence effective sur le jeu de la concurrence du réseau de contrats.

194 Pour les raisons déjà exposées ci-dessus, au point 130, l'ordonnance du président du Tribunal du 16 juin 1992 ne saurait être invoquée à l'appui de l'argument de la requérante.

195 En l'occurrence, la Commission a considéré que l'intégralité des contrats ne remplit pas les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité. A cet égard, le Tribunal constate que la requérante n'a pas avancé d'éléments de fait susceptibles de démontrer qu'un certain nombre d'accords remplissaient les conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité. Dans ces circonstances, le Tribunal considère que la requérante n'a pas démontré que la décision de la Commission est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ou constitue une violation du principe de proportionnalité. Il y a donc lieu de rejeter la quatrième branche du moyen.

196 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient d'écarter le quatrième moyen.

Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 3 du règlement n° 17

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

197 Selon la requérante, l'article 4 de la décision est totalement dépourvu de base juridique. Il n'existerait pas de fondement juridique qui habilite la Commission à interdire à l'avenir toute conclusion par la requérante d'un quelconque contrat d'exclusivité.

198 Se référant à l'arrêt Delimitis, la requérante soutient qu'il est également inconcevable que tout contrat d'exclusivité qu'elle pourrait conclure à l'avenir avec un point de vente du commerce spécialisé traditionnel soit incompatible avec l'article 85, paragraphe 1, du traité, et cela indépendamment de l'effet de l'ensemble des contrats similaires conclus sur le marché de référence et des autres éléments caractérisant le contexte économique et juridique en l'espèce.

199 La requérante fait, ensuite, valoir que l'interdiction d'accords incompatibles avec l'article 85 ou l'article 86 du traité peut uniquement se faire dans le cadre de l'article 3 du règlement n° 17. Cependant, cette disposition n'habiliterait la Commission qu'à interdire des accords existants et non pas à interdire des accords futurs. La requérante fait observer, en outre, que ni l'article 85, paragraphe 1 du traité, ni l'article 14 du règlement n° 1984-83 ne constituent une base légale pour l'interdiction de contrats futurs.

200 En outre, la requérante fait valoir que la décision est constitutive, à cet égard, d'une inégalité de traitement, dans la mesure où ses concurrents peuvent continuer à conclure des contrats d'exclusivité, qui, soit ne sont pas visés par l'article 85, paragraphe 1, du traité, soit peuvent bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984-83.

201 La Commission a expliqué, au point 154 de la décision, que l'interdiction faite à la requérante de conclure, jusqu'au 31 décembre 1997, de nouveaux accords de livraison tels que ceux existants, déclarés incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, du traité, est justifiée par le fait que " la mesure d'interdiction (édictée à l'article 1er de la décision ) serait toutefois vide de sens s'il était permis à L-I (la requérante) de remplacer immédiatement les "accords de livraison" actuels par d'autres ".

202 La Commission conteste que l'article 3 du règlement n° 17 ne constituent pas une base juridique valable. Le pouvoir que cet article confère à la Commission doit, d'après elle, être exercé de la manière la plus efficace et la mieux appropriée aux circonstances de chaque situation donnée (voir l'ordonnance de la Cour du 17 janvier 1980, Camera Care/Commission, 792-79 R, Rec. 119).

203 Selon la Commission, ce pouvoir impliquerait le droit d'adresser aux entreprises certaines injonctions, de faire ou de ne pas faire, en vue de mettre fin à l'infraction. Les obligations particulières ainsi mises à charge doivent, d'après la Commission, être définies en fonction des exigences liées au rétablissement de la légalité (voir l'arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, dit " pâte de bois ", C-89-85, C-104-85, C-114-85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307).

204 Dans le cas d'espèce, l'interdiction serait justifiée par la nécessité d'empêcher une tentative de contournement de l'interdiction prononcée à l'article 1er de la décision. En effet, par le biais du règlement n° 1984/83, la requérante pourrait, à tout moment, se procurer le bénéfice d'une exemption par catégorie pour de nouveaux contrats d'exclusivité si l'article 4 de la décision n'avait pas été adopté. La période pendant laquelle cette interdiction doit s'appliquer devrait être suffisamment longue pour permettre une modification substantielle des conditions du marché.

Appréciation du Tribunal

205 Il convient, d'emblée, de rappeler qu'il ressort du libellé de l'article 2 du règlement n° 17 que, " si la Commission constate ... une infraction aux dispositions de l'article 85 ou de l'article 86 du traité, elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée. Le Tribunal considère que cette disposition ne confère à la Commission que le pouvoir d'interdire des contrats d'exclusivité existants qui sont incompatibles avec les règles de concurrence.

206 S'agissant du rétablissement d'un réseau de contrats d'achat exclusif, il convient de relever qu'il ressort de la jurisprudence concernant l'application de l'article 85, paragraphe 1, que, même dans le cas où l'examen de l'ensemble des contrats similaires conclus sur le marché de référence et des autres éléments du contexte économique et juridique fait apparaître que le marché en cause est difficilement accessible, les contrats d'achat exclusif d'un fournisseur dont la contribution à un effet cumulatif est insignifiante ne tombent pas sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1 (voir l'arrêt Delimitis, précité, point 23 et 24).

207 Il s'ensuit que l'article 85, paragraphe 1, ne s'oppose pas, en règle générale, à la conclusion de contrats d'achat exclusif, pourvu qu'elle ne contribue pas de manière significative à un cloisonnement du marché. Dans ce contexte, il y a lieu d'écarter l'argumentation de la Commission, selon laquelle l'interdiction de toute conclusion de contrats futurs est justifiée par la nécessité d'empêcher une tentative de contournement de l'interdiction des contrats existants, prononcée dans l'article 1er de la décision attaquée, par le biais du règlement n° 1984-83.

208 En effet, le règlement n° 1984-83, en tant qu'acte normatif de portée générale, permet aux entreprises de bénéficier d'une exemption par catégorie pour certains contrats d'exclusivité qui répondent, en principe, aux conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3. Conformément à la hiérarchie des normes, la Commission n'est pas habilitée, par la voie d'une décision individuelle, à restreindre ou limiter les effets juridiques d'un tel acte normatif, à moins que celui-ci fournisse explicitement une base légale à cet effet. Bien que l'article 14 du règlement n° 1984-83 confère à la Commission le pouvoir de retirer le bénéfice de l'application dudit règlement si elle constate que, dans un cas déterminé un accord exempté a cependant certains effets qui sont incompatibles avec les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité, l'article 14 ne prévoit toutefois aucune base légale permettant de retirer le bénéfice d'une exemption par catégorie à des accords futurs.

209 En outre, le Tribunal estime qu'il serait contraire au principe de l'égalité de traitement, qui est un des principes fondamentaux du droit communautaire, d'exclure pour certaines entreprises le bénéfice, à l'avenir, d'un règlement d'exemption par catégorie, tandis que d'autres entreprises, comme en l'espèce, la partie intervenante, pourraient continuer à conclure des accords d'achat exclusif tels que ceux interdits par la décision. Une telle interdiction serait, dès lors susceptible de porter atteinte à la liberté économique de certaines entreprises et de créer des distorsions de concurrence sur le marché, contrairement aux objectifs du traité.

210 Pour l'ensemble de ces raisons, le Tribunal considère que le moyen invoqué est fondé. Il y a, dès lors, lieu pour le Tribunal d'annuler l'article 4 de la décision.

211 Il ressort des considérations qui précèdent qu'il convient de rejeter le recours comme non fondé, sauf en ce qu'il tend à l'annulation de l'article 4 de la décision.

Sur les dépens

212 Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l'espèce, la requérante ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, la totalité des dépens afférents à l'instance, y compris ceux relatifs à la procédure en référé et ceux de la partie intervenante, à l'exception d'un quart de l'ensemble des dépens exposés par la partie défenderesse. Celle-ci supportera ainsi un quart de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) L'article 4 de la décision 93-406-CEE de la Commission, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE contre Langnese-Iglo GmbH (IV-34.072) est annulé.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) La partie requérante supportera l'ensemble des dépens de l'instance, y compris ceux relatifs à la procédure en référé ainsi que ceux de la partie intervenante, à l'exception d'un quart de l'ensemble des dépens exposés par la partie défenderesse.

4) La partie défenderesse supportera un quart de ses propres dépens.