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Décisions

TPICE, 2e ch. élargie, 8 juin 1995, n° T-9/93

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Schöller Lebensmittel GmbH & Co. (KG)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Mars GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Juges :

MM. Barrington, Saggio, Kirschner, Kalogeropoulos

Avocats :

Mes Scholz, Bechtold, Sedemund, Pheasant

TPICE n° T-9/93

8 juin 1995

LE TRIBUNAL,

LES FAITS A L'ORIGINE DU RECOURS

1 La requérante a, par lettre du 7 mai 1985, notifié à la Commission un modèle d'un " accord de livraison " régissant ses rapports avec ses distributeurs détaillants. Le 20 septembre 1985, la direction générale de la concurrence de la Commission a adressé à l'avocat de la requérante une lettre administrative de classement (ci-après " lettre administrative "), dans laquelle on peut lire :

" Vous avez demandé le 2 mai 1985, au nom de la société Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG, conformément à l'article 2 du règlement n° 17, l'obtention d'une attestation négative pour un " accord de livraison de glaces ".

Conformément à l'article 4 dudit règlement, vous avez aussi, à titre préventif, notifié le contrat. Vous avez ultérieurement fourni, par lettre du 25 juin 1985, un contrat type devant servir de référence aux contrats que conclura à l'avenir la société Schöller.

Par lettre du 23 août 1985, vous avez clairement indiqué que l'obligation d'achat exclusif à la charge du client contenue dans le contrat type notifié, qui est assortie d'une interdiction de concurrence, peut être résiliée pour la première fois avec un préavis de six mois au plus tard à la fin de la deuxième année du contrat, et ensuite avec le même préavis à la fin de chaque année.

Il ressort des éléments dont la Commission a connaissance et qui, pour l'essentiel, reposent sur ce que vous avez indiqué dans votre demande, que les durées fixes des contrats à conclure à l'avenir ne dépasseront pas deux ans. La durée moyenne de l'ensemble des " accords de livraison de glaces " de votre cliente se trouvera donc bien en dessous de la période de cinq ans, condition, dans le règlement (CEE) n° 1984/83 de la Commission, du 22 juin 1983 (JO L 173 du 30 juin 1983, p. 5), de l'exemption par catégorie des accords d'achats exclusifs.

Ces éléments montrent bien que les "accords de livraison de glaces" conclus par la société Schöller, même en tenant compte du nombre d'accords de même nature, n'ont notamment pas pour effet d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. L'accès d'entreprises tierces au secteur du commerce de détail reste garanti.

Les " accords de livraison de glaces " de la société Schöller qui ont été notifiés sont en conséquence compatibles avec les règles de concurrence du traité CEE. Aussi n'y a-t-il pas lieu pour la Commission d'intervenir à l'égard des contrats notifiés par votre cliente.

La Commission se réserve toutefois le droit de rouvrir la procédure si certains éléments de droit ou de fait sur lesquels se fonde la présente appréciation devaient se modifier sensiblement.

Nous souhaitons au demeurant indiquer à votre cliente que les 'accords de livraison de glace' déjà existants sont soumis à une semblable appréciation et qu'il n'est donc pas nécessaire de les notifier si les durées fixes de ces accords ne dépassent pas deux ans après le 31 décembre 1986 et qu'ils sont ensuite résiliables avec un préavis de six mois maximum à la fin de chaque année.

... "

2 Le 18 septembre 1991, Mars GmbH (ci-après " Mars ") a déposé une plainte auprès de la Commission contre la requérante et contre Langnese-Iglo GmbH (ci-après " Langnese "), pour infraction aux articles 85 et 86 du traité, et a demandé que des mesures conservatoires soient prises afin de prévenir le préjudice grave et irréparable qui résulterait, selon elle, du fait que la vente de ses glaces de consommation serait fortement entravée en Allemagne par la mise en œuvre d'accords contraires aux règles de concurrence que la requérante et Langnese auraient conclus avec un grand nombre de détaillants.

3 Par décision du 25 mars 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/34.072 - Mars/Langnese et Schöller - Mesures conservatoires, ci-après " décision du 25 mars 1992 "), la Commission a, en substance, interdit à la requérante et à Langnese, à titre de mesures conservatoires, de faire valoir leurs droits contractuels résultant des accords conclus par ces sociétés ou en leur faveur, dans la mesure où les détaillants s'engageaient à acheter, à proposer à la vente et/ou à vendre exclusivement des glaces de consommation de ces producteurs, à l'égard des articles de glaces de consommation " Mars ", " Snickers ", " Milky Way " et " Bounty ", lorsque ceux-ci sont proposés au consommateur final en portions individuelles. La Commission a, en outre, retiré le bénéfice de l'application du règlement (CEE) n° 1984/83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'achat exclusif (JO L 173, p. 5, ci-après " règlement n° 1984/83 "), aux accords d'exclusivité conclus par la requérante, dans la mesure nécessaire à l'application de l'interdiction ci-dessus mentionnée.

4 C'est dans ces circonstances que, afin d'adopter, à la suite de la décision du 25 mars 1992, une décision définitive sur les " accords de livraison " en cause, la Commission a arrêté, le 23 décembre 1992, la décision 93/405/CEE relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité contre Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG (IV/31.533 et IV/34.072 - JO 1993, L 183, p. 1, ci-après " décision "), dont le dispositif est le suivant :

" Article premier

Les accords conclus par Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG, en vertu desquels les détaillants sis en Allemagne sont tenus, aux fins de la revente de glaces de consommation en conditionnement individuel (1), d'effectuer leurs achats exclusivement auprès de l'entreprise citée (obligation d'exclusivité des points de vente), constituent une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.

(1) Au sens des explications relatives au regroupement d'articles, version du 21 mai 1990, de la branche " crème glacée " de la fédération allemande de confiserie.

Article 2

L'exemption prévue à l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE, ne peut être octroyée aux accords mentionnés à l'article 1er.

Article 3

Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG est tenue de communiquer le libellé des articles 1er et 2 aux revendeurs avec lesquels elle a conclu des accords tels que ceux mentionnés à l'article 1er, en indiquant la nullité des accords concernés, dans un délai de trois mois à dater de la notification de la présente décision.

Article 4

Il est interdit à Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG de conclure des accords tels que ceux mentionnés à l'article 1er jusqu'au 31 décembre 1997.

... "

5 Le même jour, une décision a été arrêtée à l'égard de Langnese [décision 93/406/CEE de la Commission, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE contre Langnese-Iglo GmbH (IV/34.072 - JO 1993, L 183, p. 19)].

LA PROCEDURE

6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 avril 1992, la requérante a introduit un recours visant à l'annulation de la décision du 25 mars 1992 et, par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit une demande de mesures provisoires (affaires T-28/92 et T-28/92 R).

7 Par ordonnance du 16 juin 1992, le président du Tribunal, statuant à titre provisoire, a ordonné des mesures provisoires (Langnese-Iglo et Schöller Lebensmittel/Commission, T-24/92 R et T-28/92 R, Rec. p. II-1839).

8 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 2 février 1993, la partie requérante a informé le Tribunal, conformément à l'article 99 du règlement de procédure, qu'elle se désistait de son recours et, par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 1er avril 1993, l'affaire T-28/92 a été radiée du registre du Tribunal.

9 En application de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE, lequel reprend les dispositions de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, la requérante a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 janvier 1993, introduit le présent recours, visant à l'annulation de la décision.

10 Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit une demande de sursis à l'exécution de la décision, en vertu des articles 185 du traité et 104 du règlement de procédure du Tribunal (affaire T-9/93 R).

11 Par requête, déposée au greffe du Tribunal le 3 février 1993, Mars a demandé à être admise à intervenir dans la procédure T-9/93 R, au soutien des conclusions de la Commission. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 février 1993, Mars a également demandé à être admise à intervenir dans l'affaire T-9/93, au soutien des conclusions de la Commission.

12 Par ordonnance du 19 février 1993, le président du Tribunal a admis l'intervention de Mars dans l'affaire T-9/93 R et a statué sur la demande de sursis à exécution introduite par la requérante (Langnese-Iglo et Schöller/Commission, T-7/93 R et T-9/93 R, Rec. p. II-131).

13 Par ordonnance du 12 juillet 1993, le président de la première chambre du Tribunal a admis l'intervention de Mars dans l'affaire T-9/93 et a fait droit à une demande de confidentialité présentée par la requérante en application de l'article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

14 Langnese a également introduit un recours visant à l'annulation de la décision dont elle est destinataire (affaire T-7/93). Mars a également été admise à intervenir dans cette affaire.

15 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Le Tribunal a, toutefois, par lettre du 26 septembre 1994, invité les parties à répondre à certaines questions par écrit. La requérante et la partie défenderesse ont répondu aux questions posées par lettres, respectivement, du 17 et du 19 octobre 1994. Par ordonnance du 9 novembre 1994, le président de la deuxième chambre élargie a fait droit à une demande de traitement confidentiel présentée par la requérante, conformément à l'article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, en ce qui concerne certaines données figurant dans les réponses des parties aux questions posées.

16 Le traitement confidentiel réservé par les ordonnances du 12 juillet 1993 et du 9 novembre 1994, précitées, à certaines données a été respecté lors de l'audience. Il en est de même dans le présent arrêt.

17 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 16 novembre 1994.

CONCLUSIONS DES PARTIES

18 La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision de la Commission ;

- condamner la Commission aux dépens.

19 La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens de la procédure, y compris ceux de la procédure en référé.

20 La partie intervenante Mars conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens de la procédure, y compris ceux de la procédure en référé.

21 A l'appui de son recours, la requérante fait valoir trois moyens tirés, en premier lieu, d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en ce que les accords de livraison litigieux n'auraient pas un effet sensible sur le jeu de la concurrence, en deuxième lieu, d'une violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité, en ce que la Commission a refusé une exemption individuelle pour les accords litigieux, et, en troisième lieu, d'une violation de l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après " règlement n° 17 ").

Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité

22 Le moyen s'articule en trois branches. La requérante fait, tout d'abord, grief à la Commission d'avoir retenu une délimitation du marché de référence trop étroite. Elle ajoute, ensuite, que la Commission a méconnu les effets des accords de livraison sur le jeu de la concurrence. Elle soutient, enfin, que la Commission n'était pas habilitée, par l'article 3 du règlement n° 17, à interdire l'ensemble des accords d'exclusivité existants, y compris ceux qui ne relèvent pas de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité.

Quant à la première branche du moyen, relative à la délimitation du marché

23 La requérante fait valoir que la délimitation tant du marché des produits que du marché géographique faite par la Commission est erronée.

Marché des produits

24 La Commission a, au point 87 de sa décision, délimité le marché des produits comme étant celui des glaces industrielles en conditionnement individuel offertes par tous les canaux de distribution, excepté les services de vente à domicile.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

25 La requérante fait valoir que le marché concerné couvre la glace de consommation en général, indépendamment de la façon selon laquelle elle est fabriquée (industriellement ou artisanalement), du nombre de portions et du conditionnement dans lequel elle est proposée. Il n'existerait aucune différence notable quant aux propriétés, à l'utilisation finale, aux caractéristiques de fabrication et au prix, qui exclurait une quelconque interchangeabilité ou équivalence des produits ou qui pourrait justifier que l'on distingue des marchés différents pour certains types de glaces de consommation.

26 D'après la requérante, la notion de marché des produits doit être définie en fonction des besoins et du point de vue du consommateur. Elle rappelle que, selon la communication de la Commission, du 3 septembre 1986, concernant les accords d'importance mineure qui ne sont pas visés par les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté économique européenne (JO 1986, C 231, p. 2, points 11 et 12, ci-après " communication concernant les accords d'importance mineure "), les produits faisant partie d'un marché doivent être " interchangeables, ce qui doit être apprécié du point de vue des utilisateurs prenant normalement en considération conjointement les propriétés, le prix et l'usage des produits ". Ce serait donc à tort que la Commission affirme que le point de vue du consommateur n'est pas l' " unique " élément permettant de délimiter, en l'espèce, le marché des produits et qu'elle l'examine " sous des angles différents ". Les éléments déterminants pour la délimitation du marché des produits serait le besoin uniforme des consommateurs de déguster une portion de glace et le fait que chaque forme du commerce de détail revend la glace, sans transformation pour l'essentiel, aux consommateurs.

27 Quant à la glace produite de manière artisanale, la requérante souligne que le choix du consommateur est indépendant de la question de savoir si le vendeur débite une glace fabriquée artisanalement ou industriellement pour la consommation immédiate. Le plaisir attendu de la dégustation d'une portion de glace serait le même dans tous les cas. En outre, les glaces industrielles en portions individuelles se trouvent, selon la requérante, souvent en concurrence avec les glaces fabriquées de manière artisanale dans certains lieux de restauration donnant lieu à des prestations de service multiples, à savoir dans les établissements de restauration rapide, les snack-bars, les wagons-restaurants, etc.

28 Quant aux différents types de glace industrielle, la requérante fait valoir que, du point de vue qualitatif, la glace industrielle est identique quels que soient les différents conditionnements sous lesquels elle est présentée. Peu importe alors, d'après la requérante, la taille et la forme d'emballage dans lesquelles les glaces sont proposées aux consommateurs. Tous ces types de glaces seraient distribués par les différents canaux de distribution existants et tendraient, selon la requérante, à satisfaire un même besoin du point de vue du consommateur. A l'appui de cette thèse, la requérante ajoute, d'une part, que les stations-service proposent en partie, par exemple, de la glace en conditionnement familial et, d'autre part, que les boulangeries, les pâtisseries ou les kiosques peuvent aussi bien débiter en portions individuelles et vendre pour la consommation immédiate tant de la glace fabriquée artisanalement que de la glace industrielle en conditionnement pour gros consommateurs. De surcroît, la requérante estime qu'environ 14 % de tous ses clients, à savoir des détaillants qui vendent pour la dégustation immédiate dans la rue, comme par exemple les stations-service, les kiosques, etc., achètent uniquement la combinaison portions individuelles préemballées et des glaces vendues en emballages contenant plusieurs portions individuelles, dits " multipacks " ce qui montrerait que la délimitation du marché faite par la Commission est erronée.

29 Ensuite, la requérante fait valoir que le lieu où la glace est offerte et dégustée n'a pas d'influence sur la satisfaction des besoins des consommateurs. Le besoin du consommateur de déguster une portion de glace serait le même, que ce besoin apparaisse à son domicile, sur son lieu de travail, dans la rue, en voyage ou ailleurs. Il conviendrait, dès lors, d'inclure tous les différents types de glaces, sans distinction entre les canaux de distribution par lesquels ils sont offerts. Ce serait, dès lors, à tort que la Commission a exclu les glaces livrées par les services de vente à domicile.

30 Enfin, la requérante affirme que c'est à tort que la Commission renvoie à la jurisprudence selon laquelle " même des produits identiques peuvent appartenir à des marchés de produits distincts lorsqu'ils satisfont une demande spécifique " (voir point 79 de la décision). Selon la requérante, il n'existe pas de demande " spécifique " des consommateurs selon les différents types de conditionnement et ceux-ci ne répondent pas " à des besoins économiques eux aussi différents " au sens de la jurisprudence (voir l'arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461).

31 La Commission prend comme point de départ, pour la délimitation du marché, le point de vue du consommateur. Ainsi, il faut d'abord, selon la Commission, exclure les glaces de consommation proposées en tant que partie d'un service de restauration, étant donné que ce marché forme, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir l'arrêt du 28 février 1991, Delimitis, C-234/89, Rec. p. I-935), un marché distinct. Il s'agit là, selon la Commission, d'une partie des glaces industrielles destinées aux gros consommateurs et des glaces artisanales.

32 Ensuite, la Commission relève que, compte tenu du lien spécifique, inhérent au produit, existant entre la possibilité de réfrigération et la consommation, le lieu de consommation des glaces revêt une importance décisive pour la détermination de l'interchangeabilité des produits au regard du droit de la concurrence, et ce d'autant plus qu'un besoin naît souvent d'une manière impulsive et éphémère.

33 Dans ces circonstances, il convient, selon la Commission, d'exclure également les " multipacks ", les glaces en conditionnement familial et les glaces en conditionnement individuel livrées par les services de vente à domicile en vue d'être stockées dans les surgélateurs privés, ces produits n'étant pas disponibles pour la satisfaction d'un besoin hors du domicile. A cet égard, la Commission fait valoir qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que même des produits identiques peuvent appartenir à des marchés de produits distincts lorsqu'ils satisfont à une demande spécifique (voir les arrêts du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, Hoffmann-La Roche/Commission, précité, et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461).

34 Cependant, le point de vue du consommateur ne constitue pas, selon la Commission, l'unique élément déterminant. Il faut, d'après elle, également tenir compte tant des différents canaux de distribution par lesquels les glaces de consommation sont proposées au consommateur que des conditions de concurrence différentes qui caractérisent les divers stades de la distribution, étant donné que les accords de livraison litigieux concernent l'accès des grossistes et/ou des producteurs au commerce de détail. En effet, étant donné que l'article 85, paragraphe 1, du traité interdit toute restriction au jeu de la concurrence à tout stade du commerce entre le producteur et le consommateur final (voir l'arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125), le point de vue du consommateur ne saurait constituer en l'espèce le seul élément décisif pour apprécier les effets des accords de livraison sur la concurrence.

35 Dans ces conditions, il convient, selon la Commission, d'exclure du marché des produits, d'une part, les glaces artisanales, puisque ces glaces ne constituent pas un objet de transaction sur le marché où l'offre se compose de producteurs de glaces industrielles et de grossistes et où la demande est représentée par des détaillants, et, d'autre part, les glaces dites " scooping ", étant donné que le commerce de détail remplit des fonctions de distribution différentes à l'égard de ce type de glace et des glaces en conditionnement individuel et que les canaux de distribution de ces deux groupes de produits ne se chevauchent que marginalement. A cet égard, la Commission affirme que la structure de la demande peut être prise en considération pour la délimitation du marché (voir l'arrêt Michelin/Commission, précité).

36 Quant aux glaces en conditionnement pour gros consommateurs, la Commission ajoute qu'elles présentent, en outre, des particularités différentes qui justifient leur exclusion du marché de référence.

37 La partie intervenante Mars considère qu'il convient de subdiviser le marché délimité par la Commission en deux sous-marchés : le commerce traditionnel, d'une part, et le commerce d'alimentation de détail, d'autre part, étant donné que la présente procédure ne concerne, en substance, que le sous-marché des glaces en conditionnement individuel, qui sont distribuées dans le commerce traditionnel, l'accès à ce secteur étant fermé aux nouveaux concurrents en raison de l'existence de contrats d'exclusivité.

38 Selon Mars, il convient également de noter que plus de 60 % de toutes les glaces en conditionnement individuel sont distribuées par le biais du commerce traditionnel. A cet égard, Mars ajoute que la Commission a également démontré d'importantes différences structurelles entre les deux sous-marchés, susceptibles, en droit allemand, de justifier une subdivision. D'après Mars, les mêmes produits, lorsqu'ils sont vendus par des canaux de distribution différents, peuvent être classés dans des marchés différents.

Appréciation du Tribunal

39 Afin de vérifier le bien-fondé de la définition du marché retenue par la Commission au point 87 de sa décision, le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que la délimitation du marché en cause est essentielle pour analyser les effets des contrats d'exclusivité sur le jeu de la concurrence et, notamment, pour analyser les possibilités pour de nouveaux concurrents nationaux et étrangers de s'implanter sur le marché des glaces de consommation ou d'y agrandir leur part de marché (voir l'arrêt Delimitis, précité, points 15 et 16).

40 A cet égard, le Tribunal relève, ensuite, qu'il convient, conformément à la jurisprudence de la Cour, de prendre en considération le point de vue du consommateur. Ainsi, la Cour a jugé, dans une affaire concernant l'application de l'article 86 du traité, que les possibilités de concurrence ne peuvent être appréciées qu'en fonction des caractéristiques des produits en cause, en vertu desquelles ces produits seraient particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et seraient peu interchangeables avec d'autres produits (voir arrêt de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215). Pour ce qui est de la notion de marché des produits, la Cour a jugé, plus spécifiquement, que cette notion implique qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits faisant partie d'un même marché (voir l'arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité). De plus, en ce qui concerne la possibilité de prendre en considération d'autres éléments, le Tribunal relève qu'il ressort de la jurisprudence qu'on ne saurait, le cas échéant, se limiter à l'examen des seules caractéristiques objectives des produits en cause, mais qu'il faut également prendre en considération les conditions de concurrence et la structure de la demande et de l'offre sur le marché (voir l'arrêt Michelin/Commission, précité, point 37).

41 Il appartient, dès lors, au Tribunal d'examiner le bien-fondé de la délimitation du marché des produits retenue par la Commission à la lumière de ces considérations.A cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission, au point 80 de sa décision, a affirmé que les glaces " scooping " et les glaces artisanales qui sont vendues pour une consommation " immédiate " sur la voie publique, c'est à dire hors d'un service de restauration, ainsi que les glaces en conditionnement individuel vendues au même endroit constituent, du point de vue du consommateur, des produits équivalents.

42 Le Tribunal considère, d'une part, que c'est à juste titre que la Commission, en conséquence, a exclu les glaces de consommation proposées en tant que partie d'un service de restauration, à savoir une partie des glaces industrielles en conditionnement pour gros consommateurs et des glaces artisanales, étant donné que ce marché forme, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir l'arrêt Delimitis, précité, point 16), un marché distinct, la consommation de glaces dans les restaurants étant, en règle générale, caractérisée par une prestation de service et moins souvent soumise à des considérations d'ordre économique que leur achat, par exemple, dans un commerce d'alimentation.

43 D'autre part, le Tribunal estime qu'il faut également exclure, comme la Commission l'a soutenu, les glaces de consommation stockées dans les surgélateurs privés, au domicile des consommateurs, ces glaces n'étant pas disponibles pour la satisfaction d'un besoin hors du domicile, en particulier d'un besoin né de façon impulsive, et n'ayant qu'un certain degré d'interchangeabilité avec les produits vendus sur la voie publique (voir l'arrêt Michelin/Commission, précité, points 48 et 49). Il s'agit des glaces en conditionnement familial, produits qui sont, en règle générale, achetés en vue d'être stockés à domicile, et des glaces en conditionnement individuel livrées à domicile. A cet égard, le Tribunal considère que c'est à juste titre que le lieu de consommation a été considéré par la Commission comme un facteur déterminant, en l'espèce, pour la délimitation du marché, étant donné qu'il s'agit de produits dont la durée de conservation en dehors d'une possibilité de réfrigération est très limitée et dont la consommation doit donc obligatoirement avoir lieu dans le voisinage immédiat de la dernière possibilité de conservation par le froid.

44 Ensuite, en ce qui concerne les glaces vendues en " multipacks ", le Tribunal constate qu'il ressort de la décision que ce type de glace est, en règle générale, proposé par le commerce d'alimentation et par les services de vente à domicile et n'est, en conséquence, pas disponible pour la satisfaction d'un besoin impulsif hors du domicile. Certes, la requérante a fait valoir qu'environ 14 % de tous ses clients achètent uniquement la combinaison portions individuelles préemballées et " multipacks ". Toutefois, il ressort des réponses de la requérante aux questions posées, à cet égard, par le Tribunal, d'une part, que ce pourcentage ne vise pas seulement les détaillants du commerce traditionnel mais également ceux du commerce d'alimentation et, d'autre part, qu'en 1993 seul un nombre très limité de détaillants du commerce traditionnel a vendu la combinaison mentionnée. De surcroît, étant donné que la requérante n'a pas contesté, lors de la procédure orale, l'affirmation faite par la Commission dans ses réponses aux questions du Tribunal, selon laquelle les " multipacks " ne représentent qu'environ 4 % du volume total des ventes réalisées avec la catégorie de clients à laquelle la requérante s'est référée, le Tribunal considère que c'est à juste titre que la Commission a considéré que les " multipacks " ne sont, en règle générale, pas destinés à la consommation immédiate et, en conséquence, a exclu les glaces présentées sous ce conditionnement du marché des produits.

45 Il ressort des points 81 et suivants de la décision que, selon la Commission, au vu des conditions de concurrence différentes qui caractérisent les divers stades de la distribution et les canaux de distribution parallèles par lesquels les produits en question sont proposés au consommateur, il faut également exclure, d'une part, les glaces artisanales dans leur ensemble, c'est-à-dire les glaces artisanales qui sont vendues sur la voie publique hors d'un service de restauration, au motif que, sur un marché qui ne concerne que la vente aux détaillants, ces glaces ne constituent pas un objet de transaction, et, d'autre part, les glaces industrielles en conditionnement pour gros consommateurs, au motif que ce type de glace présente plusieurs particularités par rapport aux glaces industrielles en conditionnement individuel.

46 Quant aux glaces produites de manière artisanale, le Tribunal constate qu'il ressort du dossier que ce type de glace est généralement proposé sur le lieu ou à proximité du lieu de production. Il n'est donc pas englobé dans les accords de livraison litigieux, les glaces artisanales n'étant, ce qui n'est pas contesté par la requérante, ni proposées aux ni demandées par les différentes formes du commerce de détail. Dans ces circonstances, le Tribunal considère que l'appréciation des effets sur le jeu de la concurrence, notamment quant à l'accès aux détaillants, que les accords de livraison litigieux sont susceptibles d'entraîner, ne saurait être modifiée si l'on inclut ces glaces dans le marché des produits. Dès lors, c'est à juste titre que la Commission les a exclues du marché des produits.

47 Quant aux glaces industrielles en conditionnement pour gros consommateurs, destinées à être débitées en portions individuelles, à savoir les glaces " scooping ", il convient de rappeler que leur exclusion du marché des produits est justifiée, aux points 84 à 86 de la décision, par trois considérations. En premier lieu, la décision indique que le commerce de détail remplit diverses fonctions de distribution, déterminées par les caractéristiques différentes des produits, ce qui fait que les canaux de distribution des deux groupes d'articles concernés ne se chevauchent que marginalement. En deuxième lieu, la décision relève que la transformation supplémentaire, la division en portions, requise pour les glaces " scooping ", a pour effet que les glaces en conditionnement individuel et les glaces " scooping " ne sont proposées ensemble, en quantités notables, que dans le secteur de la restauration. De plus, le commerce d'alimentation et le commerce traditionnel spécialisé, qui distribuent la part de loin la plus importante des glaces industrielles en conditionnement individuel, ne seraient généralement pas équipés pour la vente de glaces en conditionnement pour gros consommateurs. En troisième lieu, la décision affirme qu'il existe, du point de vue de la technique de production, des différences entre les deux catégories de produits.

48 Or, le Tribunal constate que la Commission n'a pas avancé d'éléments de fait susceptibles de démontrer qu'il existe des structures différentes de la demande pour les deux catégories de produits, au sens de l'arrêt Michelin/Commission, précité, qui pourraient, en elles-mêmes, justifier une délimitation du marché qui exclut les glaces " scooping " vendues sur la voie publique. En effet, le Tribunal estime que, bien qu'il existe différents canaux de distribution, cette circonstance n'est pas, en l'espèce, suffisante en soi pour exclure les glaces en conditionnement pour gros consommateurs débitées en portions individuelles pour la consommation hors d'un service de restauration. A cet égard, le Tribunal considère que c'est à juste titre que la requérante a fait valoir que la simple division en portions individuelles à laquelle procède un commerçant dans le commerce traditionnel, ne constitue pas un " service de restauration " au sens de l'arrêt Delimitis, précité. De plus, la Commission n'a pas démontré que l'opération de division en portions affecte le choix du consommateur entre une glace " scooping " et une glace en conditionnement individuel, dans les points de vente où ces glaces sont proposées ensemble, à savoir sur la voie publique. En effet, la Commission a même affirmé que ces deux types de glaces constituent, du point de vue du consommateur, des produits équivalents (voir ci-dessus point 41). En outre, le Tribunal estime que le fait qu'il puisse exister une différence entre les deux produits quant à la technique de production ne suffit pas, en soi, pour distinguer deux marchés distincts lorsque cette différence n'est pas prise en considération, d'une manière déterminante, par le consommateur.

49 Le Tribunal constate, ensuite, qu'il ressort du dossier que les glaces " scooping " sont également, au moins pour partie, vendues sur la voie publique hors d'un service de restauration, c'est-à-dire dans le commerce traditionnel spécialisé. Il ressort également du dossier que l'on trouve, non seulement dans les kiosques mais également dans les boulangeries-pâtisseries, les magasins de confiserie, chez les glaciers, dans les cinémas, les piscines et les stations-service l'équipement nécessaire pour vendre les glaces " scooping ", ces points de vente étant par ailleurs également en mesure de proposer des glaces en conditionnement individuel. La Commission, quant à elle, a reconnu, au moins implicitement, lors de la procédure écrite, qu'une partie des glaces en conditionnement pour gros consommateurs est proposée, sous la forme de glaces " scooping ", pour la consommation immédiate hors d'un service de restauration.

50 En conséquence, la question se pose de savoir si la Commission n'aurait pas dû inclure la partie des glaces en conditionnement pour gros consommateurs débitée en portions individuelles et vendues en concurrence avec les glaces en conditionnement individuel sur la voie publique dans plusieurs types de points de vente, ces deux catégories de produits étant interchangeables du point de vue du consommateur. Toutefois, il convient de rappeler qu'il ressort du point 140 de la décision, qui n'a pas été contesté par la requérante, que les glaces destinées aux gros consommateurs sont distribuées dans le commerce traditionnel par le biais de contrats d'exclusivité. Dans ces circonstances, le Tribunal considère que la décision de ne pas inclure les glaces " scooping " dans le marché de référence n'a pas modifié, de manière substantielle, l'appréciation portée sur les effets des accords de livraison litigieux sur le jeu de la concurrence, notamment quant à la question de savoir si l'accès au marché était fermé ou considérablement entravé par l'existence de ces accords. Le Tribunal considère, dès lors, qu'il n'y a pas lieu d'annuler la décision pour défaut d'inclure les glaces " scooping " dans le marché des produits.

51 Il s'ensuit que le grief de la requérante relatif à la délimitation du marché des produits ne saurait être retenu.

Marché géographique

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

52 D'après la requérante, si l'on retient la définition du marché des produits qu'elle propose, entendu comme étant celui de la glace de consommation au sens large, il convient également de ne pas limiter le marché géographique au marché national allemand, compte tenu, d'une part, de ce que la Commission a pris en considération, dans sa décision, le fait que la requérante, Langnese et Mars n'opèrent pas qu'en Allemagne mais aussi dans de nombreux autres pays, et, d'autre part, de ce que le développement du marché intérieur européen va continuer à réduire les différences nationales existantes.

53 La Commission soutient que le marché géographique est le marché allemand. Elle fait, d'abord, valoir que la requérante admet, elle-même, qu'il continue à y avoir des différences à l'échelon national. Ensuite, la distribution des glaces de consommation, y compris les accords de livraison litigieux conclus par la requérante, serait entièrement organisée dans le cadre national. D'ailleurs, les structures du marché et la présence sur le marché différeraient selon les Etats membres. Enfin, la Commission ajoute que les réglementations en matière de fabrication des glaces de consommation ne sont pas harmonisées.

Appréciation du Tribunal

54 Il convient, d'emblée, de relever qu'il ressort de la décision, sans que cela ait été contesté par la requérante, à la fois que la distribution des glaces industrielles est toujours assurée au niveau national et que les caractéristiques nationales se reflètent dans les différences de structure de marché, d'assortiment et de prix. Il est également constant que les accords litigieux sont conclus au niveau national. Compte tenu, en outre, de ce que la requérante n'a pas explicitement contesté la pertinence d'une délimitation du marché géographique limitée au marché allemand lorsque le marché des produits est défini comme étant celui des glaces industrielles en conditionnement individuel, le Tribunal considère que c'est à bon droit et en conformité avec la jurisprudence que la Commission a retenu le marché allemand comme étant le marché géographique concerné (voir, en ce sens, l'arrêt Delimitis, précité, point 18, et l'arrêt Michelin, précité, points 25 à 28). Dès lors, le grief relatif à la délimitation du marché géographique ne saurait être retenu.

55 Il s'ensuit que la première branche du moyen, tirée d'une délimitation erronée du marché, doit être écartée.

Quant à la deuxième branche du moyen, relative à l'effet des contrats d'achat exclusif sur le jeu de la concurrence

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

56 La requérante fait valoir que, indépendamment de la délimitation du marché en cause, la Commission n'a pas procédé à une analyse du marché suffisamment approfondie et conforme aux critères dégagés par la jurisprudence de la Cour. Au soutien de cette allégation, la requérante rappelle qu'il ressort de l'arrêt Delimitis, précité, que les effets des réseaux d'accords existant sur un marché sur l'accès à ce marché dépendent du rapport entre le nombre de points de vente liés par des engagements et le nombre de points de vente non liés, de la durée des engagements souscrits, ainsi que du rapport entre les quantités de produits concernées par des engagements et celles qui ne le sont pas.

57 Selon la requérante, la Commission ne saurait se borner à constater que ses accords de livraison couvrent environ (...) % (plus de 10 %) des points de vente existant sur le marché de référence et du volume des ventes qui sont réalisées par leur intermédiaire.

58 En effet, d'après la requérante, il découle de la jurisprudence de la Cour que l'examen de la question de savoir si un contrat d'achat exclusif a des effets restrictifs sur la concurrence ne dépend pas seulement des effets directement liés au contrat individuel, mais du contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d'autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence. Ce contexte global comprendrait, d'une part, les accords que le même producteur a conclus avec d'autres clients (voir les arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, et du 19 avril 1988, Erauw-Jacquery, 27/87, Rec. p. 1919) et, d'autre part, les contrats similaires conclus par les autres producteurs avec leurs clients (voir les arrêts de la Cour du 12 décembre 1967, Brasserie de Haecht, 23/67, Rec. p. 525, et Delimitis, précité). De plus, l'effet cumulatif produit par des accords similaires sur le marché ne serait qu'un élément parmi d'autres. C'est à la lumière de ces principes qu'il convient, selon la requérante, d'analyser l'effet des accords de livraison sur l'accès des concurrents au marché.

59 A cet égard, se référant au marché de la glace de consommation en Allemagne, la requérante affirme, en premier lieu, que le degré de dépendance, à savoir les quantités de glaces en conditionnement individuel vendues dans le cadre des accords de livraison contestés par la Commission, est particulièrement faible. La requérante estime que, même s'il l'on retient la délimitation du marché effectuée par la Commission, les contrats d'achat exclusif de ses concurrents ne couvrent guère plus de 18 % des quantités vendues sur le marché. Le degré de dépendance qu'entraînent les contrats conclus par la requérante ne s'élèverait qu'à environ (...) %. Le degré de dépendance de 30 %, jugé acceptable par la Commission, dans le Quinzième Rapport sur la politique de concurrence de 1985, ne serait donc pas dépassé. La requérante ajoute que c'est à tort que la Commission inclut les quantités vendues par l'intermédiaire de grossistes dans ses calculs du degré de dépendance, étant donné que ces derniers concluent des accords d'achat exclusif en leur nom propre et sous leur propre responsabilité.

60 En second lieu, la requérante considère que la Commission n'a pas suffisamment tenu compte de la durée relativement courte des accords de livraison. Il ressortirait des dispositions des contrats litigieux qu'ils peuvent être dénoncés à la fin de chaque année civile après l'expiration de la deuxième année suivant leur entrée en vigueur. D'après la requérante, deux tiers des contrats en cours à un moment donné ont ainsi une durée fixe inférieure à un an. En outre, un tiers de l'ensemble des contrats d'exclusivité serait résilié chaque année et l'accès aux points de vente concernés serait donc ouvert à tout concurrent.

61 Compte tenu de ces circonstances, l'accès au commerce spécialisé traditionnel n'est, selon la requérante, ni entravé ni fermé par le réseau de contrats d'exclusivité existant.

62 Aux points 68 à 71 de sa décision, la Commission constate, d'abord, que l'obligation d'achat exclusif imposée par la requérante aux revendeurs constitue une restriction de la concurrence tant entre produits de même marque qu'entre produits de marques différentes. Les offres portant sur des produits émanant d'autres fournisseurs ne peuvent, selon la Commission, par conséquent pas être prises en considération par le revendeur, eu égard à l'interdiction contractuelle qui le lie. D'après la Commission, les obligations d'achat exclusif rendent difficiles ou empêchent la création des structures de distribution indépendantes nécessaires à l'accès de nouveaux concurrents au marché en cause ou au renforcement d'une position déjà établie sur le marché. L'obligation contractuelle d'acheter exclusivement les produits objet du contrat entraînerait ipso facto l'interdiction de distribuer des produits concurrents. La combinaison de l'une et de l'autre renforcerait, dans le cas d'espèce, la restriction de concurrence.

63 La Commission constate, ensuite, au point 105 de sa décision, que le chiffre d'affaires de la requérante et la part de marché que représentent les accords de livraison litigieux sont largement supérieurs aux seuils prévus dans sa communication concernant les accords d'importance mineure. Ces faits suffiraient pour conclure que les accords de livraison limitent de manière sensible les possibilités des concurrents allemands et des concurrents des autres Etats membres de s'établir sur le marché de référence ou d'accroître la part qu'ils y détiennent et que, par conséquent, ils tombent sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité. D'après la Commission, un examen des effets exercés par les réseaux d'accords de même nature conclus par d'autres entreprises sur le marché de référence n'est, en l'espèce, pas nécessaire.

64 Dans ses mémoires et lors de l'audience, la Commission a ajouté qu'en effet ce n'est que lorsque le réseau d'accords de même nature de l'entreprise dont les contrats font l'objet de l'examen au regard du droit de la concurrence ne remplit pas par lui-même la condition de l'effet sensible que les effets cumulatifs de réseaux parallèles doivent être pris en considération, conformément à la jurisprudence (voir les arrêts Brasserie de Haecht et Delimitis, précités).

65 La partie intervenante Mars reconnaît que le degré de dépendance se situe entre 25 % et 30 %, que l'on retienne la délimitation du marché effectuée par la Commission ou celle effectuée par la requérante. Cependant, ce chiffre ne refléterait pas les véritables conditions du marché dans le commerce traditionnel car les calculs seraient fondés sur une moyenne.

66 Il convient, d'après Mars, d'analyser de manière spécifique la situation dans le commerce traditionnel, étant donné que plus de 60 % de toutes les glaces en conditionnement individuel sont distribuées par l'intermédiaire de ce marché et que c'est seulement sur cette partie du marché en cause que la requérante a conclu des accords de livraison.

67 Dans le commerce traditionnel, le degré de dépendance s'élevait pour l'année 1990, d'après les études effectuées par l'intervenante, à plus de 70 %. En outre, il faudrait tenir compte des parts de marché de la requérante et du degré de concentration. D'après Mars, la requérante a atteint, en 1992, une part de marché de 33,4 % pour les ventes de glaces en conditionnement individuel dans le commerce traditionnel. La part de Langnese se serait élevée à 60 %. Ces deux grands producteurs disposeraient donc d'une part de marché commune de plus de 90 %. Il ne fait aucun doute, selon Mars, que la requérante et Langnese occupent une position dominante sur ce marché. On ne saurait, alors, sérieusement mettre en doute le fait que les contrats d'exclusivité conclus par la requérante tombent sur le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

68 En ce qui concerne les principaux arguments avancés par la requérante pour démontrer que l'accès au commerce spécialisé traditionnel n'est ni fermé ni entravé, Mars fait observer, premièrement, que les points de vente les plus intéressants du point de vue économique sont précisément liés par des contrats d'exclusivité. Deuxièmement, Mars affirme que la durée effective des contrats est beaucoup plus longue que les estimations présentées par la requérante, dépassant probablement dix ans. En effet, en règle générale, les détaillants ne décideraient pas de résilier leurs contrats.

69 De surcroît, un nouveau concurrent arrivant sur le marché serait confronté avec le problème que, pour le détaillant lié par un contrat d'exclusivité, il s'agit d'une " décision du tout ou rien ". Peu de commerçants seraient prêts à renoncer à la gamme des produits du concurrent dominant et à opter pour les produits moins connus du nouveau concurrent.

70 Le simple fait que, Mars, selon ses propres dires, dispose dans le commerce d'alimentation de détail pour les " multipacks ", pour lesquels il n'existe pas de contrats d'exclusivité, d'une part de marché d'environ 17 %, qui est donc dix fois plus élevée que sa part de marché relative aux barres glacées dans le commerce traditionnel (environ 1,7 %), constituerait une preuve suffisante de ce que l'accès au commerce traditionnel serait fermé.

Appréciation du Tribunal

71 Il convient, à titre liminaire, de relever que c'est à juste titre que, aux points 68 à 70 de la décision, la Commission a considéré que la clause contenue dans les accords de livraison, prévoyant que le détaillant s'engage à ne vendre dans son point de vente que des produits directement achetés auprès de la requérante, contient tant une obligation d'achat exclusive qu'une interdiction de concurrence, qui sont susceptibles d'entraîner une restriction de la concurrence, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, à la fois entre produits de même marque et entre produits de marques différentes.

72 Dans ces conditions, il appartient au Tribunal de rechercher si la Commission a établi à suffisance de fait et en droit que les accords de livraison litigieux ont, ainsi qu'elle l'affirme, un effet sensible sur le jeu de la concurrence sur le marché.

73 A cet égard, le Tribunal constate, tout d'abord, que la requérante détient une forte position sur le marché de référence. Ainsi qu'il ressort de la décision, la requérante a réalisé en 1991 un chiffre d'affaires total de (...) (plus d'un milliard) de DM, dont (...) (plus de 900 millions) de DM dans le domaine des glaces de consommation. Le groupe du même nom a réalisé, pour la même période, un chiffre d'affaires consolidé de (...) (plus de 1,5 milliards) de DM. A cela s'ajoute que le groupe Südzucker, qui détient directement et indirectement 49 % du capital de la requérante, a déclaré un chiffre d'affaires de 4,54 milliards de DM. Selon les points 31 et 35 de la décision, la part que détenait la requérante sur le marché de référence s'élevait en 1991 à environ (...) % dans le commerce d'alimentation et à (...) % (plus de 25 %) dans le commerce traditionnel. Il convient de relever que la requérante, lors de la procédure orale, a confirmé ce dernier chiffre dans l'hypothèse où l'on adopte la délimitation du marché retenue par la Commission. Pour ce qui est de l'importance quantitative des accords litigieux sur le marché de référence, le Tribunal constate qu'il ressort du dossier que, sur l'ensemble de celui-ci, tel qu'il a été défini par la Commission, la requérante a lié, par ces accords, environ (...) % (plus de 10 %) des points de vente et que le volume vendu par la requérante par l'intermédiaire de ces points de vente représente également environ (...) % (plus de 10 %) du volume total des ventes sur ce marché.

74 Selon la Commission, ces dernières données suffisent pour conclure que les accords limitent de manière sensible les possibilités des concurrents allemands et des concurrents des autres Etats membres de s'établir sur le marché de référence ou d'accroître la part qu'ils y détiennent, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'effet cumulatif produit par les réseaux parallèles mis en place par les autres fournisseurs de glaces de consommation, étant donné que la part du marché couverte par les accords litigieux, représentant déjà environ (...) % (plus de 10 %) du marché de référence, ainsi que le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises participantes sont nettement supérieurs aux seuils prévus dans la communication concernant les accords d'importance mineure.

75 Or, il y a lieu de rappeler que cette communication ne vise qu'à définir les accords qui, selon la Commission, n'ont pas d'effet sensible sur la concurrence ou le commerce entre Etats membres. Le Tribunal considère qu'on ne saurait toutefois en déduire, avec certitude, qu'un réseau de contrats d'achat exclusif est automatiquement susceptible d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence de manière sensible du seul fait que les seuils qui y sont prévus sont dépassés. D'ailleurs, il ressort du libellé même du point 3 de ladite communication qu'il est tout à fait possible que, dans des cas d'espèce, des accords conclus entre des entreprises qui dépassent les seuils indiqués n'affectent le commerce entre Etats membres ou la concurrence que dans une mesure insignifiante et, par voie de conséquence, ne tombent pas sous le coup des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

76 S'agissant de la question de savoir si des contrats d'achat exclusif tombent sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il convient, conformément à la jurisprudence, d'examiner si l'ensemble des accords similaires conclus sur le marché de référence et des autres éléments du contexte économique et juridique dans lequel s'inscrivent les contrats en cause fait apparaître que ces contrats ont pour effet cumulatif de fermer l'accès à ce marché pour de nouveaux concurrents nationaux et étrangers. Si l'examen fait apparaître que cela n'est pas le cas, les contrats individuels constituant le faisceau d'accords ne sauraient porter atteinte au jeu de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En revanche, si l'examen relève que le marché est difficilement accessible, il convient, ensuite, d'analyser dans quelle mesure les accords litigieux contribuent à l'effet cumulatif produit, étant entendu que ne sont interdits que les contrats qui contribuent de manière significative à un éventuel cloisonnement du marché (voir l'arrêt Delimitis, précité, points 23 et 24).

77 Il y a lieu, ensuite, de rappeler que, comme l'a jugé la Cour dans son arrêt Brasserie de Haecht, précité, l'appréciation des effets d'un contrat exclusif implique la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d'autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence.

78 Pour ce qui est de l'incidence de réseaux de contrats d'exclusivité sur l'accès au marché, il ressort, en outre, de la jurisprudence de la Cour, d'une part, qu'elle dépend, notamment, du nombre des points de vente liés par contrat aux producteurs par rapport à celui des détaillants qui ne le sont pas, des quantités sur lesquelles ces engagements portent, ainsi que de la proportion entre ces quantités et celles qui sont écoulées par les détaillants non liés. D'autre part, le degré de dépendance qui découle d'un réseau d'accords d'achat exclusif, bien qu'il soit d'une certaine importance pour l'appréciation du cloisonnement du marché, ne constitue cependant qu'un élément, parmi d'autres, du contexte économique et juridique dans lequel un contrat ou bien, comme dans le cas d'espèce, un réseau de contrats doit être apprécié (voir l'arrêt Delimitis, précité, points 19 et 20).

79 Quant au degré de dépendance, entendu comme le pourcentage de points de vente liés par des contrats d'exclusivité et du volume des ventes réalisées par l'intermédiaire de ces points de vente, le Tribunal considère que ce degré doit être déterminé en l'espèce en tenant compte des possibilités d'accès aux détaillants sur l'ensemble du marché de référence, tel qu'il a été préalablement délimité par la Commission, à savoir tant dans le commerce traditionnel que dans le commerce d'alimentation, la délimitation du marché ayant pour fonction de définir le cadre dans lequel doivent être appréciés les effets que produisent les accords litigieux sur le jeu de la concurrence.

80 A cet égard, le Tribunal constate, en premier lieu, que, comme il a été indiqué ci-dessus (point 73), si l'on tient compte du volume des ventes de glaces en conditionnement individuel réalisées dans le marché de référence, on obtient un degré de dépendance d'environ (...) % (plus de 10 %), imputable aux contrats d'achat exclusifs conclus par la requérante. Quant à l'effet cumulatif résultant d'autres accords similaires sur le marché, le Tribunal constate, en second lieu, que les contrats d'achat exclusif similaires conclus par Langnese, l'autre principal producteur de glaces en Allemagne, couvrent, pour leur part, environ (...) % du marché de référence.

81 Dès lors, il y a lieu de constater que les réseaux des contrats d'achat exclusif mis en place par les deux principaux producteurs affectent environ (...) % du marché, ce qui dépasse le degré de dépendance de 30 % considéré comme acceptable par la Commission lors de l'envoi à la requérante de la lettre administrative, telle qu'elle a été ensuite commentée au point 19 du Quinzième Rapport sur la politique de concurrence de 1985.

82 Cependant, comme il a été indiqué ci-dessus (point 78), le degré de dépendance ne constitue qu'un élément, parmi d'autres, du contexte économique et juridique dans lequel un réseau de contrats doit être apprécié. Il faut, en outre, analyser les conditions en vigueur sur le marché et, notamment, les possibilités réelles et concrètes pour de nouveaux concurrents de s'infiltrer sur celui-ci malgré l'existence d'un réseau de contrats d'achat exclusif.

83 Pour ce qui est de ces éléments, la Commission a relevé l'existence d'obstacles supplémentaires importants à l'accès au marché, tant dans le commerce d'alimentation que dans le commerce traditionnel. Il ressort, à cet égard, des points 100 et 134 à 137 de la décision, que l'accès au marché pour de nouveaux concurrents est rendu plus difficile par l'existence d'un système de prêt portant sur un grand nombre de surgélateurs, mis par la requérante à la disposition des détaillants tant dans le commerce d'alimentation que dans le commerce traditionnel [en 1991, environ (...) au total, dont (...) dans le commerce traditionnel et (...) dans le commerce d'alimentation, selon le point 57 de la décision], à charge pour les détaillants de les utiliser exclusivement pour les produits de la requérante.

84 Le Tribunal estime que c'est à juste titre que la Commission a considéré qu'il s'agit là d'un élément contribuant à rendre plus difficile l'accès au marché. En effet, cette circonstance a nécessairement pour conséquence que tout nouveau concurrent arrivant sur le marché doit, soit convaincre le détaillant d'échanger le surgélateur installé par la requérante pour un autre, ce qui implique une renonciation au chiffre d'affaires réalisé avec les produits de l'ancien fournisseur, soit obtenir que le détaillant accepte d'installer un surgélateur supplémentaire, ce qui peut se révéler impossible, notamment en raison d'un manque d'espace dans les petits points de vente. De plus, si le nouveau concurrent ne peut offrir qu'une gamme de produits limitée, ce qui est le cas pour la partie intervenante, il peut s'avérer difficile pour lui de convaincre le détaillant de résilier son contrat avec l'ancien fournisseur.

85 En outre, il ressort du dossier qu'il existe, dans le commerce traditionnel, un grand nombre de détaillants individuels dont le chiffre d'affaires moyen est relativement faible. L'établissement d'un système de distribution rentable suppose donc qu'un nouveau concurrent réunisse un grand nombre de détaillants concentrés dans une aire géographique définie qui peuvent être approvisionnés par l'intermédiaire de dépôts régionaux ou d'entrepôts centraux. L'absence d'intermédiaires indépendants a pour effet que ce morcellement de la demande représente un obstacle supplémentaire à l'accès au marché. Enfin, la Commission a, à juste titre, pris en considération que les produits de la requérante bénéficient de marques jouissant d'une grande notoriété.

86 Dans ces circonstances, le Tribunal considère que l'examen de l'ensemble des contrats similaires conclus sur le marché ainsi que des autres éléments caractérisant le contexte économique et juridique dans lequel ils s'inscrivent, tels qu'ils ont été analysés ci-dessus, aux points 83 à 85, démontre que les accords d'achat exclusif conclus par la requérante sont susceptibles d'affecter de manière sensible le jeu de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

87 Au vu de la forte position qu'occupe la requérante sur le marché de référence et, notamment, de la part de marché qu'elle détient, le Tribunal estime que ces accords contribuent de manière significative à un cloisonnement du marché.

88 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal considère, dès lors, que c'est à bon droit que la Commission a estimé que les accords litigieux entraînent une restriction sensible du jeu de la concurrence sur le marché de référence.

89 Il y a donc lieu de rejeter la deuxième branche du moyen.

Quant à la troisième branche du moyen, relative à la prétendue obligation pour la Commission de scinder les contrats individuels de manière qu'une partie d'entre eux échappent à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

90 La requérante fait valoir que la Commission ne peut interdire que des accords qui tombent sur le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité, et cela uniquement si la restriction de la concurrence dépasse un seuil à partir duquel elle est sensible.

91 D'après la requérante, une telle analyse s'impose d'autant plus en l'espèce que, d'une part, la Commission a également interdit les contrats d'exclusivité parallèles conclus par Langnese, qui ont été pris en considération pour examiner l'effet cumulatif produit par des accords similaires, et, d'autre part, il aurait été concevable d'examiner, après l'ordonnance rendue par le président du Tribunal le 16 juin 1992, dans une procédure en référé dans l'affaire qui a précédé l'introduction de la présente affaire (voir ci-dessus point 7), si, en excluant les contrats conclus avec les stations-service, les clauses d'exclusivité figurant dans les autres contrats ont toujours un effet sensible sur le jeu de la concurrence.

92 La Commission fait valoir qu'elle n'était pas obligée de définir un seuil en dessous duquel les accords de livraison de glace conclus par la requérante étaient compatibles avec l'article 85 du traité.

93 A l'appui de cette thèse, la Commission affirme, au point 107 de la décision, que l'effet sensible sur la concurrence concerne l'ensemble des accords de livraison conclus par la requérante. La Commission est d'avis que, en présence d'un réseau d'accords de même nature passés par un seul producteur, l'effet sensible est présent ou ne l'est pas, sans qu'il soit possible d'extraire certains éléments. L'article 85, paragraphe 1, du traité ne permettrait pas de scinder des contrats individuels ou des réseaux d'accords de manière qu'une partie " non sensible " puisse être soustraite à l'interdiction prévue par ledit article.

94 La Commission ajoute, à cet égard, que la requérante n'a pas pu fournir de critères susceptibles de permettre de scinder l'ensemble des accords. Une telle scission relèverait, d'après elle, de l'arbitraire. Elle ajoute que l'article 85, paragraphe 2, du traité s'oppose à une scission pour des raisons de sécurité juridique, en particulier dans le cas de réseaux d'accords.

Appréciation du Tribunal

95 Il convient, d'emblée, de relever qu'il ressort de la jurisprudence qu'un réseau de contrats d'achat exclusif mis en place par un seul fournisseur peut échapper à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, à condition qu'il ne contribue pas de manière significative, avec l'ensemble des contrats similaires relevés sur le marché, y compris ceux des autres fournisseurs, à fermer l'accès au marché pour de nouveaux concurrents nationaux et étrangers (voir l'arrêt Delimitis, précité, points 23 et 24). Le Tribunal considère que cela implique que, en présence d'un réseau d'accords similaires conclus par un seul producteur, l'appréciation portée sur les effets de ce réseau sur le jeu de la concurrence s'applique à l'ensemble des contrats individuels constituant le réseau. De surcroît, il convient d'ajouter que la Commission est tenue, aux fins d'apprécier l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, du traité, d'examiner les données réelles du cas d'espèce et ne saurait se baser sur des situations hypothétiques. A cet égard, le Tribunal estime que, comme l'a remarqué la Commission, le fait, en l'espèce, de scinder les contrats litigieux en différentes catégories hypothétiques pourrait relever de l'arbitraire.

96 S'agissant, ensuite, de la question de savoir si la Commission aurait dû examiner l'effet restrictif sur la concurrence résultant du réseau de contrats mis en place par la requérante suite à l'interdiction d'un réseau similaire de Langnese, il suffit de rappeler qu'il découle de l'arrêt Delimitis, précité, que lorsque la Commission constate, comme dans le cas d'espèce, que l'ensemble des contrats similaires conclus sur le marché ainsi que d'autres éléments du contexte économique et juridique sont susceptibles d'affecter de manière sensible le jeu de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et, ensuite, estime à bon droit que les accords de livraison d'un producteur contribuent de manière significative à ce cloisonnement du marché, les accords litigieux de ce producteur tombent dans leur ensemble sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Cette constatation ne saurait être modifiée du fait que la Commission interdit simultanément un réseau de contrats similaires mis en place par un autre producteur.

97 S'agissant, enfin, de l'ordonnance du président du Tribunal du 16 juin 1992, précitée, invoquée par la requérante au soutient des ses arguments, il y a lieu de rappeler que cette ordonnance, qui a suspendu l'application de la décision de la Commission du 25 mars 1992, sauf en ce qui concerne les points de vente exclusifs de la requérante et de Langnese dans les stations-service, a été rendue dans le cadre d'une demande en référé. La mesure ordonnée, arrêtée au terme d'une mise en balance des différents intérêts des parties au litige, était destinée à pallier un risque de préjudice grave et irréparable tant pour Mars que pour la requérante. L'ordonnance avait ainsi une finalité particulière et le Tribunal considère, en conséquence, qu'elle ne peut être invoquée pour affirmer que la Commission était tenue de scinder les contrats individuels en vue d'apprécier s'ils tombaient sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

98 Le Tribunal estime, dès lors, qu'un faisceau de contrats similaires doit être apprécié dans son ensemble et, en conséquence, que c'est à juste titre que la Commission n'a pas procédé à un fractionnement des contrats. Il s'ensuit que cette branche du moyen n'est pas fondée.

99 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité doit être écarté.

Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité

100 La requérante fait valoir que, dans l'hypothèse où les accords litigieux tomberaient sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité, ils pourraient bénéficier d'une exemption, soit par catégorie en vertu du règlement n° 1984/83, soit individuelle. Le moyen s'articule en trois branches. La requérante estime, en premier lieu, que la Commission ne saurait s'écarter de l'appréciation contenue dans sa lettre administrative délivrée suite à la notification des accords litigieux en 1985. En deuxième lieu, la requérante fait valoir que les accords litigieux ne sont pas conclus, comme l'a considéré à tort la Commission, pour une durée indéterminée au sens de l'article 3, sous d), du règlement n° 1984/83 et que, en conséquence, ils sont susceptibles de bénéficier d'une exemption par catégorie en vertu du règlement n° 1984/83. Enfin, la requérante soutient, en troisième lieu, que le refus d'octroyer une exemption individuelle constitue une violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

Sur la première branche du moyen, tirée d'une prétendue obligation pour la Commission de ne pas s'écarter de l'appréciation portée dans la lettre administrative

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

101 A l'appui de son affirmation selon laquelle la Commission ne pouvait s'écarter, en ce qui concerne l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, de l'appréciation contenue dans la lettre administrative qu'elle lui avait adressée, la requérante fait valoir, d'abord, que la délivrance d'une lettre administrative ne saurait placer les entreprises qui l'acceptent dans une position moins favorable à celle qui serait la leur si elles avaient pu obtenir de la Commission une décision formelle. A cet égard, la requérante, renvoyant à l'article 8, paragraphe 3, du règlement n° 17, souligne que la Commission ne peut révoquer ou modifier postérieurement une décision formelle d'exemption que si la situation de fait se modifie à l'égard d'un élément essentiel à la décision ou si la décision repose sur des indications inexactes ou a été obtenue frauduleusement. Selon la requérante il découle, en particulier, de cette disposition qu'une modification de la position juridique ne suffirait pas pour révoquer une décision d'exemption. Elle ajoute qu'une telle restriction vaut également pour l'appréciation contenue dans une lettre administrative de classement.

102 Quant aux affirmations présentées par la Commission au points 149 et 150 de la décision, la requérante souligne, d'une part, que les éléments de fait présentés dans la notification étaient complets et conformes aux règles applicables à l'époque. En outre, les circonstances de fait n'auraient pas sensiblement changé depuis la délivrance de la lettre administrative en 1985.

103 De plus, la requérante affirme qu'elle a exposé, dans la notification, toutes les circonstances que la Commission tient aujourd'hui encore pour essentielles, à savoir les parts de marché et les quantités vendues par l'intermédiaire des points de vente liés. La requérante rappelle qu'elle avait calculé un degré de dépendance de 17 % pour l'ensemble du marché de la glace fabriquée industriellement. Si la Commission avait, à l'époque, limité le marché de la glace à la glace industrielle en conditionnement individuel comme elle le fait aujourd'hui, elle aurait pu constater, à partir des indications fournies par la requérante, que le degré de dépendance obtenu était alors supérieur aux 17 % indiqués par la requérante. La requérante ajoute que la Commission a dû réfléchir en ce sens à l'époque puisque, dans son Quinzième Rapport sur la politique de concurrence de 1985, elle fait état d'un degré de dépendance de 30 %.

104 La Commission ne peut pas, non plus, selon la requérante, justifier une réouverture de la procédure par l'arrivée de Mars sur le marché. Lorsque la Commission examine des accords d'achat exclusif et les considère acceptables, il serait permis de penser qu'elle le fait en tenant compte de la question de savoir si l'accès de concurrents actuels ou potentiels au marché est exclu ou si leurs possibilités d'expansion sur le marché sont effectivement entravées. La plainte de Mars aurait donc dû être analysée au préalable lors de la vérification effectuée au titre de l'année 1985, si celle-ci avait eu lieu correctement.

105 Etant donné que la Commission n'a pas établi que la situation de fait s'est modifiée depuis la délivrance de la lettre administrative au regard d'un élément essentiel à la décision, elle serait liée par l'appréciation portée dans ladite lettre administrative.

106 La Commission estime, à titre liminaire, que, eu égard aux circonstances de l'espèce, la lettre administrative ne la lie pas. A cet égard, elle soutient que les lettres administratives de classement ne peuvent pas avoir un effet contraignant plus important que les décisions formelles qu'elles remplacent d'un point de vue fonctionnel dans l'application pratique des règles de concurrence. Elle rappelle que, aux termes de l'article 8, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 17, elle peut révoquer ou modifier des décisions formelles d'exemption " si la situation de fait se modifie à l'égard d'un élément essentiel à la décision ". Elle souligne que la lettre administrative a été délivrée sans ouverture officielle de la procédure, sans publication en vertu de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 et sans consultation préalable du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes. Elle ajoute encore que ladite lettre, étant le résultat d'un examen provisoire, contient, conformément à une pratique constante, une réserve expresse prévoyant la réouverture de la procédure dans l'hypothèse où " ... certains éléments de droit ou de fait sur lesquels se fonde la présente appréciation devaient se modifier sensiblement... ".

107 Dans ces circonstances, la Commission estime que c'est à bon droit qu'elle a pu considérer, au point 149 de sa décision, qu'il convenait de rouvrir la procédure au motif que l'exposé des faits dans la notification était incomplet, dans la mesure où ni l'existence de l'accord sur la reconnaissance mutuelle des accords d'exclusivité conclus au sein de la branche " crème glacée " ni l'importance et la portée des restrictions relatives à l'utilisation des surgélateurs installés dans le commerce d'alimentation, qui lui auraient permis d'identifier d'autres obstacles à l'accès au marché, ne lui avaient été signalées.

108 La Commission fait également valoir, au point 150 de sa décision, que l'entrée de Mars et de Jacobs Suchard sur le marché constitue une circonstance matérielle nouvelle, justifiant la réouverture de la procédure, puisque c'est précisément les expériences faites par Mars qui ont révélé le cloisonnement du marché et, en conséquence, donné lieu à un nouvel examen.

109 Par ailleurs, la Commission serait tenue, en vertu des garanties procédurales prévues à l'article 3 du règlement n° 17 et de l'article 6 du règlement n° 99-63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268), d'examiner attentivement tous les éléments de fait et de droit que les plaignants portent à sa connaissance (voir l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24/90, Rec. p. II-2223). Dès lors, ce serait à tort que la requérante fait valoir que la lettre administrative imposait le rejet de la plainte de Mars.

Appréciation du Tribunal

110 Il convient de relever, tout d'abord, qu'il ressort de la jurisprudence qu'une lettre administrative, telle que celle qui a été adressée à la requérante suite à la notification de ses accords de livraison en 1985, ne constitue ni une décision d'attestation négative ni une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, au sens des articles 2 et 6 du règlement n° 17, la lettre administrative n'ayant pas été adoptée conformément aux dispositions dudit règlement (voir les arrêts de la Cour du 10 juillet 1980, Giry et Guerlain e.a., 253/78 et 1/79 à 3/79, Rec. p. 2327, Marty, 37/79, Rec. p. 2481, Lancôme et Cosparfrance, 99/79, Rec. p. 2511, et du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31/80, Rec. p. 3775). Dans les affaires citées, la Cour a mis l'accent sur le fait que les lettres administratives en question avaient été expédiées sans que les mesures de publicité prévues à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 aient été effectuées et qu'elles n'avaient fait l'objet d'aucune publication en vertu de l'article 21, paragraphe 1, dudit règlement.

111 Il convient, ensuite, de souligner qu'il s'agit d'une communication portant à la connaissance de la requérante l'opinion de la Commission, selon laquelle il n'y avait pas lieu, pour elle, d'intervenir à l'égard des contrats en cause, ces contrats étant, compte tenu des circonstances de l'espèce, compatibles avec les règles de concurrence du traité, et que l'affaire pouvait, dès lors, être classée. A cet égard, le Tribunal considère que le fait que la Commission a mentionné la délivrance de cette lettre administrative, en y ajoutant quelques commentaires, dans son Quinzième Rapport sur la politique de concurrence de 1985 n'en change pas la nature juridique.

112 Le Tribunal constate, enfin, qu'il ressort de la plaidoirie de la Commission, lors de la procédure orale, qu'elle n'a procédé, à l'époque, qu'à une analyse provisoire des conditions du marché, fondée, pour l'essentiel, sur les informations fournies par la requérante, y compris en ce qui concerne les données qui ont abouti à la délimitation du marché alors retenu comme pertinent et au calcul du degré de dépendance. Dans ce contexte, la Commission s'est d'ailleurs réservée le droit, dans sa lettre administrative, de rouvrir la procédure si certains éléments de droit ou de fait sur lesquels se fondait son appréciation se modifiaient sensiblement. Une telle réserve est, d'ailleurs, conforme à la pratique administrative de la Commission en la matière.

113 Quant à la question de savoir si des modifications de fait sensibles sont intervenues depuis la délivrance de la lettre administrative, le Tribunal constate, d'une part, qu'il ressort du dossier, que deux nouveaux concurrents, Mars et Jacobs Suchard, ont ultérieurement fait leur entrée sur le marché. De plus, pour ce qui est de la partie intervenante Mars, il est constant qu'il s'agit d'un concurrent particulier, qui ne propose qu'une gamme limitée de produits et qui a adopté une stratégie commerciale différente de celles de ses principaux concurrents. Le Tribunal constate, d'autre part, que, après le dépôt de la plainte de Mars, la Commission a eu connaissance de l'existence d'obstacles supplémentaires à l'accès au marché, notamment dans le commerce d'alimentation, tenant, en ce qui concerne la requérante, à l'obligation qu'elle imposait aux détaillants de réserver exclusivement à ses produits l'utilisation des surgélateurs qu'elle mettait à leur disposition.

114 Le Tribunal considère que ces éléments constituaient des circonstances nouvelles, qui justifiaient, notamment à la lumière des problèmes concrets rencontrés par la partie intervenante, une analyse plus approfondie et plus précise des conditions régissant l'accès au marché que celle qui avait été effectuée lors de la délivrance de la lettre administrative. En conséquence, le Tribunal estime que cette lettre n'empêchait pas la Commission de rouvrir la procédure afin d'apprécier, dans le cas concret, la compatibilité des accords de livraison litigieux avec les règles de concurrence.

115 Cette solution est, en outre, conforme à l'obligation qui incombe à la Commission, eu égard aux garanties procédurales prévues à l'article 3 du règlement n° 17 et à l'article 6 du règlement n° 99-63, d'examiner attentivement les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par une partie plaignante, en vue d'apprécier si lesdits éléments font apparaître un comportement de nature à fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et à affecter le commerce entre Etats membres (voir l'arrêt Automec/Commission, précité, point 79).

116 Sans qu'il soit nécessaire d'examiner la question de savoir si la notification de la requérante était incomplète, il découle de ce qui précède que la première branche du moyen doit être écartée.

Quant à la deuxième branche du moyen, relative à l'allégation selon laquelle les accords litigieux sont susceptibles de bénéficier d'une exemption par catégorie

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

117 La requérante fait valoir, à cet égard, que ses accords ne sont pas conclus " pour une durée indéterminée ", au sens de l'article 3, sous d), du règlement n° 1984/83, comme la Commission l'a considéré.

118 D'après la requérante, lorsqu'un contrat est conclu, tout d'abord, pour une durée déterminée et, à l'expiration de celle-ci, est prorogé pour une durée déterminée, à savoir une année, son terme n'est pas incertain, mais déterminé. La requérante soutient que l'article 3, sous d), du règlement n° 1984/83 n'exclut pas que les accords conclus pour des durées déterminées puissent, chaque fois, être renouvelés pour de nouvelles périodes. Selon la requérante, il est indifférent que la prorogation du contrat soit automatique ou s'opère uniquement en vertu d'une déclaration explicite du revendeur, dès lors que le droit des parties de mettre fin au contrat à l'expiration d'une durée déterminée n'est pas contesté.

119 Dans ce contexte, la requérante a ajouté que la Commission ne saurait la priver du droit d'invoquer l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984/83, étant donné que la Commission n'a pas intégré le retrait de cette exemption, en vertu de l'article 14 dudit règlement, dans le dispositif de la décision.

120 La Commission fait valoir que, comme elle l'a indiqué au point 112 de la décision, les accords de livraison ne peuvent pas bénéficier d'une exemption par catégorie en vertu du règlement n° 1984/83 au motif que les accords du type " contrats avec durée fixe de deux ans au maximum avec prorogation automatique à l'issue de cette période " sont conclus " pour une durée indéterminée " au sens de l'article 3, sous d), dudit règlement. Leur expiration dépendrait d'un événement futur incertain, à savoir de l'initiative de l'une des parties. D'après la Commission, une telle interprétation de l'article 3, sous d) est d'ailleurs conforme au point 39 de la communication relative aux règlement (CEE) n° 1983-83 et (CEE) n° 1984/83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories respectivement d'accords de distribution exclusive et d'accords d'achat exclusif (JO 1984, C 101, p. 2).

121 La Commission souligne que, en tout état de cause, la requérante ne peut invoquer le règlement n° 1984/83 alors qu'elle a refusé de lui octroyer une exemption individuelle en vertu de l'article 6 du règlement n° 17. Cette conséquence découlerait de la nature même des règlements d'exemption par catégorie, étant donné que l'exemption par catégorie n'est pas subordonnée à la vérification, cas par cas, que les conditions de l'exemption requises par le traité sont effectivement remplies. En conséquence, une décision de refus d'une exemption individuelle, prise après une appréciation concrète des contrats en question au regard des conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, empêcherait la requérante de se prévaloir d'une exemption par catégorie.

Appréciation du Tribunal

122 Sans qu'il soit nécessaire d'examiner la question de savoir si la requérante peut se prévaloir de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984/83 tant que la Commission n'en a pas retiré le bénéfice, en vertu de l'article 14 dudit règlement, dans le dispositif de la décision, il suffit de constater que, en tout état de cause, les accords qui font l'objet du présent recours sont conclus pour une durée indéterminée au sens de l'article 3, sous d), dudit règlement, de sorte qu'ils ne peuvent pas bénéficier de l'exemption qu'il prévoit.

123 En effet, il convient de rappeler qu'il ressort du libellé de l'article 3, sous d), du règlement n° 1984/83 que l'exemption par catégorie prévue par ledit règlement n'est pas applicable lorsque l'accord en question est conclu pour une durée indéterminée. A cet égard, le Tribunal considère qu'il n'y a pas, en pratique, de différence entre, d'une part, un contrat conclu expressément pour une durée indéterminée, avec possibilité pour les parties de résilier leurs relations contractuelles, forme exclue par l'article 3, sous d), du règlement n° 1984/83 du bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par ce même règlement, et, d'autre part, un contrat qui fait l'objet, comme dans le cas d'espèce, après deux ans de renouvellements tacites aussi longtemps qu'il n'est pas résilié par un des cocontractants. Dans les deux cas, les cocontractants ne sont pas obligés, mais sont libres, s'ils le désirent, de reconsidérer leur relation contractuelle et d'évaluer les autres possibilités existant sur le marché. Or, cet examen, que l'article 3, sous d), du règlement n° 1984/83 a pour but d'imposer, peut donner l'occasion à de nouveaux concurrents d'accéder à des détaillants déliés de tout engagement. Il y a, de plus, lieu de considérer, comme la Commission l'a fait au point 113 de la décision, que l'élément déterminant pour l'appréciation de ces contrats au regard du droit de la concurrence est que la durée n'est pas certaine puisqu'elle dépend de l'initiative de l'une des parties au contrat.

124 Il s'ensuit que les contrats soumis à des renouvellements tacites qui peuvent dépasser cinq ans doivent être considérés comme ayant été conclus pour une durée indéterminée et ne peuvent, dès lors, bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984/83.La deuxième branche du moyen doit donc être rejetée.

Quant à la troisième branche du moyen, relative à la question de savoir si les accords de livraison satisfont aux conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

125 La requérante fait valoir que, étant donné que les accords de livraison satisfont aux conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, ils doivent bénéficier d'une exemption individuelle.

126 La requérante affirme, tout d'abord, que les accords de livraison entraînent une amélioration de la distribution des glaces de consommation. En effet, ce serait ces accords qui rendraient possible un approvisionnement régulier sur l'ensemble du territoire, même pour les petits points de vente. A cet égard, la requérante fait valoir que, sans les accords litigieux, elle serait obligée, pour des raisons de coût, de cesser d'approvisionner environ 42 % de ses clients, ceux-ci ayant un chiffre de ventes annuel trop faible. La requérante estime que la livraison des petits points de vente ne serait pas relayée par les fabricants locaux ou les grossistes, comme le prétend la Commission. En ce qui concerne les grossistes, la requérante ajoute que l'approvisionnement régulier sur tout le territoire des petits points de vente ne présente guère d'intérêt pour eux, les grossistes ne vendant des glaces que comme articles d'accompagnement destinés à compléter l'assortiment de clients qui achètent d'autres articles surgelés en quantité importante.

127 De surcroît, la Commission ne tiendrait pas suffisamment compte, dans la décision, de la nécessité d'avoir un surgélateur pour vendre des glaces de consommation. Lorsque les détaillants ne sont ni en mesure ni disposés à acheter eux-mêmes ces surgélateurs, ceux-ci pourraient, le cas échéant, être mis à leur disposition par le producteur, à condition qu'il puisse avoir l'assurance que l'approvisionnement du point de vente permettra d'atteindre un chiffre de ventes minimal donné. Cela supposerait que le point de vente en question soit lié par un contrat d'achat exclusif. La requérante estime que la mise à disposition des surgélateurs aux détaillants entraîne une ouverture du marché.

128 Ensuite, la requérante fait valoir qu'il existe une pression de la concurrence sur le marché, tel qu'il a été délimité par la Commission, qui garantit la répercussion des avantages sur les utilisateurs, étant donné que les accords de livraison ne révèlent qu'un degré de dépendance d'environ 30 % et que les engagements sont eux-mêmes limités dans le temps. De plus, les utilisateurs pourraient, grâce au système de distribution de la requérante, profiter à la fois d'un nombre élevé de points de vente de glaces de consommation sur l'ensemble du territoire et d'une gamme de produits complète dans ces points de vente. En effet, chaque producteur serait, sans les accords litigieux, obligé de ne proposer au commerce de détail que les articles les plus demandés.

129 Enfin, la requérante fait valoir que les contrats d'exclusivité n'entraînent aucune élimination de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité. Dans ce contexte, la requérante fait valoir que c'est à tort que la Commission, en se référant à l'arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, précité, affirme qu'il suffit qu'il n'existe pas de concurrence effective sur le marché pour que soit remplie la condition négative énoncée par l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité. En effet, le contexte général de l'arrêt montrerait que cette condition ne cesse d'être remplie que dans le cas où toute chance sérieuse de concurrence est substantiellement écartée, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce.

130 En tout état de cause, la requérante estime qu'il existe une " concurrence effective " sur le marché de référence. A cet égard, elle souligne que c'est à tort que la Commission, dans son analyse, n'a pas tenu suffisamment compte des points de vente non liés et totalement libres de tout engagement, dans le commerce d'alimentation, par l'intermédiaire desquels est distribué quelque 39 % du volume total du marché. En outre, un degré de dépendance ne dépassant pas 30 % n'indiquerait pas une " élimination " de la concurrence. Enfin, le seul fait que deux producteurs détiennent des parts importantes d'un marché ou d'un segment de marché ne permettrait pas de présumer que la concurrence est absente ou limitée.

131 La Commission considère, pour sa part, que les conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité pour obtenir une exemption individuelle n'étaient pas remplies.

132 La Commission affirme, d'abord, que les accords de livraison ne contribuent pas à améliorer la distribution des produits au sens de l'article 85, paragraphe 3, ces accords ne comportant pas des avantages objectifs et concrets pour l'intérêt général, tel que défini pas l'arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, Rec. p. 429), susceptibles de compenser les inconvénients pour la concurrence qui leur sont propres.

133 Compte tenu de la forte position qu'occupe la requérante sur le marché, la Commission considère que les avantages qui peuvent s'attacher à des accords d'achat exclusif, à savoir un renforcement de la concurrence entre les produits de marques différentes, ne se vérifient pas en l'espèce. Au contraire, la concurrence sur le marché serait restreinte par l'existence d'un réseau d'accords d'achat exclusif constituant un important obstacle à l'accès au marché et, en conséquence, la position de la requérante vis-à-vis de ses concurrents se trouverait considérablement renforcée. De surcroît, la Commission considère que l'approvisionnement régulier des consommateurs sur l'ensemble du territoire ne sera pas mis en péril en cas de disparition des accords d'exclusivité.

134 Ensuite, la Commission fait valoir que, du fait que les contrats d'exclusivité aboutissent à un système de distribution homogène et transparent, on ne saurait supposer que les utilisateurs participent de façon équitable au profit résultant des accords. En effet, les entreprises ne seraient pas obligées de répercuter le profit résultant desdits accords en l'absence d'une pression exercée par une concurrence effective. En outre, les accords restreindraient les possibilités de choix des consommateurs, ceux-ci ne trouvant que l'assortiment de glaces d'un producteur donné dans les points de vente liés.

135 Enfin, la Commission considère que la condition négative énoncée par l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité est remplie, puisqu'une concurrence effective n'existe pas sur le marché de référence. En ce qui concerne, d'une part, le commerce d'alimentation, la Commission fait valoir que les fortes positions occupées par la requérante et Langnese, qui réalisent ensemble plus de deux tiers du volume des ventes dans ce canal de distribution, ainsi que la concentration de la demande constituent un obstacle important à l'accès au marché. S'agissant, d'autre part, du commerce traditionnel, la Commission considère que l'accès au marché est en grande partie entravé par l'effet cumulatif résultant de l'ensemble des accords d'exclusivité en vigueur. A cet égard, la Commission estime qu'environ (...) % (plus de 55 %) du volume des ventes dans le commerce traditionnel est écoulé par l'intermédiaire des accords d'achat exclusif. En outre, elle affirme que les surgélateurs installés par la requérante et par Langnese sur l'ensemble du marché entraînent également des restrictions de concurrence.

136 La partie intervenante Mars conteste que la conclusion de contrats d'exclusivité et la mise en œuvre d'un système de distribution propre au producteur soient indispensables à une distribution efficace et rationnelle des glaces de consommation produites de manière industrielle. En effet, lesdits systèmes de distribution constitueraient une situation tout à fait exceptionnelle, les produits dits " d'impulsion " étant, en règle générale, livrés par le producteur aux entrepôts centraux des grossistes qui groupent et livrent les commandes aux différents points de vente. D'après les renseignements de Mars, ce serait uniquement en Allemagne, au Danemark et en Italie que la requérante a conclu des contrats d'exclusivité relatifs aux points de vente.

137 Selon Mars, c'est à tort que la requérante affirme que les grossistes n'ont ni la volonté ni les moyens d'approvisionner le commerce traditionnel. Si les grossistes ne sont pas en mesure d'approvisionner le nombre de points de vente nécessaire pour parvenir à une distribution rationnelle, c'est, selon elle, à cause des contrats d'exclusivité litigieux qui lient un grand nombre de points de vente.

138 Le système appliqué par la requérante aurait pour effet d'empêcher presque totalement l'accès de nouveaux concurrents au marché des glaces dites " d'impulsion ", qui engendre des bénéfices très importants. Enfin, il découle, selon Mars, de la jurisprudence de la Cour que ce n'est pas parce qu'une entreprise a créé un marché qu'elle a le droit de préserver sa position sur le marché par la conclusion de contrats d'exclusivité (voir l'arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité).

Appréciation du Tribunal

139 Afin d'apprécier si la Commission était en droit de refuser l'octroi d'une exemption individuelle, il convient, tout d'abord, de rappeler qu'une décision d'exemption individuelle est notamment subordonnée à la condition que les quatre conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité soient réunies cumulativement par l'accord en cause, de telle sorte qu'il suffit que l'une des quatre conditions fasse défaut pour que l'exemption doive être refusée (voir, par exemple, l'arrêt du Tribunal du 15 juillet 1994, Matra Hachette/Commission, T-17/93, Rec. p. II-595, point 104).

140 Le Tribunal rappelle, ensuite, que la Commission détient un large pouvoir d'appréciation en la matière. Le pouvoir exclusif conféré à la Commission, en vertu de l'article 9 du règlement n° 17, d'octroyer une exemption, en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité, comporte nécessairement des appréciations complexes en matière économique. Le contrôle juridictionnel de ces appréciations doit respecter ce caractère en se limitant à l'examen de la matérialité des faits et des qualifications juridiques que la Commission en déduit. Le contrôle juridictionnel s'exerce donc, en premier lieu, sur la motivation des décisions, qui, à l'égard desdites appréciations, doit préciser les faits et considérations sur lesquels elles sont basées (voir l'arrêt Consten et Grundig/Commission, précité). C'est à la lumière de ces principes, dégagés par la jurisprudence, qu'il convient de vérifier si la décision ne se fonde pas sur des faits matériels inexacts, n'est pas entachée d'erreurs de droit ou d'erreurs manifestes d'appréciation (voir l'arrêt Matra Hachette/Commission, précité, point 104).

141 Il résulte, en outre, d'une jurisprudence bien établie que, dans le cas où une exemption est recherchée en vertu de l'article 85, paragraphe 3, il appartient en premier lieu aux entreprises intéressées de présenter à la Commission les éléments de preuve de nature à établir que l'accord remplit les conditions posées par l'article 85, paragraphe 3, du traité (voir, par exemple, les arrêts de la Cour du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, Rec. p. 2545, et du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, Rec. p. 19).

142 S'agissant de l'examen de la première des quatre conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, le Tribunal rappelle que, aux termes de cette disposition, les accords susceptibles d'être exemptés sont ceux " qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique ". Il y a lieu, à cet égard, de relever qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'amélioration ne saurait être identifiée à tous avantages que les partenaires retirent de l'accord quant à leur activité de production ou de distribution. Cette amélioration doit notamment présenter des avantages objectifs sensibles, de nature à compenser les inconvénients que comporte l'accord sur le plan de la concurrence (voir l'arrêt Consten et Grundig/Commission, précité).

143 Le Tribunal relève qu'en l'espèce l'examen de cette première condition fait l'objet des points 115 à 121 de la décision. Bien qu'il ressorte du cinquième considérant du règlement n° 1984/83 que les accords d'achat exclusif entraînent en général une amélioration de la distribution, le fournisseur étant en mesure de planifier la vente de ses produits de manière plus exacte et plus longtemps à l'avance et ainsi d'assurer aux revendeurs un approvisionnement régulier pendant la durée de l'accord, et à supposer même que la requérante soit tenue de mettre fin, pour des raisons de coût, à l'approvisionnement de certains petits points de vente si elle est obligée de renoncer à l'approvisionnement exclusif de ceux-ci, la Commission considère, néanmoins, que les contrats litigieux ne comportent pas des avantages objectifs et concrets pour l'intérêt général susceptibles de compenser les inconvénients pour la concurrence qui leur sont propres.

144 Au soutien de cette affirmation, la Commission a souligné, d'une part, que, compte tenu de la forte position qu'occupe la requérante sur le marché de référence, les accords litigieux n'ont pas, contrairement à l'attente exprimée dans le sixième considérant du règlement n° 1984/83, pour effet d'intensifier la concurrence entre produits de marques différentes. En effet, la Commission a, à juste titre, considéré que le réseau d'accords en cause constitue un important obstacle à l'accès au marché, qui a pour effet de restreindre la concurrence.

145 D'autre part, il ressort du point 120 de la décision que la Commission a considéré que l'approvisionnement des petits points de vente qui seraient éventuellement abandonnés par la requérante, pour des raisons de coût, serait assuré soit par d'autres fournisseurs, par exemple par de petits producteurs locaux, soit par des intermédiaires indépendants commercialisant plusieurs assortiments. De plus, la Commission rappelle que la requérante elle-même a reconnu qu'elle continue à approvisionner même de très petits points de vente dont le chiffre de ventes annuel oscille autour de 300 DM, lorsque leur situation géographique est favorable.

146 Dans ce contexte, il convient de rappeler que la partie intervenante Mars a relevé qu'il est tout à fait exceptionnel que les produits dits " d'impulsion " soient distribués par un système de transport propre aux producteurs. De fait, il est constant entre les parties que c'est uniquement en Allemagne, au Danemark et en Italie que des entreprises du groupe Unilever y compris Langnese ont conclu des contrats d'exclusivité relatifs aux points de vente.

147 Bien que la requérante ait fait valoir qu'elle sera obligée, pour des raisons de coût, de cesser d'approvisionner un certain nombre de petits points de vente si elle doit renoncer à ses accords d'achat exclusif, le Tribunal considère qu'elle n'a néanmoins pas avancé d'éléments de nature à mettre en évidence qu'une telle situation serait susceptible de mettre en péril l'approvisionnement régulier en glaces de consommation en conditionnement individuel de l'ensemble du territoire et, en particulier, que les petits points de vente concernés ne seraient pas approvisionnés par la suite par d'autres fournisseurs ou par des grossistes, à titre de simple conséquence de la libre concurrence qui régnerait alors. La requérante n'a pas non plus démontré de manière convaincante quelles sont les conditions particulières en Allemagne qui ont entraîné la nécessité de créer un système de distribution des glaces d'alimentation propre aux producteurs. Le Tribunal estime, dès lors, que la requérante n'a pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les accords litigieux ne remplissent pas la première condition énoncée par l'article 85, paragraphe 3, du traité. S'estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, le Tribunal considère qu'il n'y a pas lieu de procéder à l'audition de témoins sur la volonté et la capacité des grossistes d'approvisionner les détaillants dans le commerce traditionnel ou sur les restrictions du jeu de la concurrence qu'entraînent les contrats d'exclusivité, notamment sur la possibilité pour un nouveau concurrent de s'établir et de se faire connaître dans le commerce traditionnel, comme l'a proposé la partie intervenante.

148 Les accords litigieux ne remplissant pas la première des conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité, il y a lieu, dès lors, de rejeter la troisième branche du moyen, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si la Commission a commis une erreur manifeste en ce qui concerne l'appréciation des autres conditions prévues par cette disposition, étant donné qu'il suffit que l'une des quatre conditions fasse défaut pour que l'exemption doive être refusée.

149 Il découle de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter dans son ensemble le présent moyen tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 3 du règlement n° 17

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

150 A l'appui de ce moyen la requérante fait d'abord valoir que l'article 3 du règlement n° 17 ne confère pas à la Commission le droit de lui imposer de communiquer le libellé des articles 1er et 2 de la décision aux revendeurs avec lesquels elle a conclu des accords d'exclusivité. Selon la requérante, c'est à elle de choisir comment elle se conformera à la décision de la Commission d'interdire ces accords.

151 Quant à l'article 4 du dispositif de la décision, la requérante fait valoir que, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, la Commission peut uniquement l'obliger " à mettre fin à l'infraction constatée ". Il n'y aurait pas de base juridique pour interdire la conclusion de nouveaux accords qui, de l'avis de la Commission, seraient contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité et ne rempliraient pas les conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3, du traité. De même, la Commission ne pourrait pas interdire la conclusion de nouveaux accords bénéficiant de l'exemption prévue par le règlement n° 1984/83, sans retirer auparavant le bénéfice de cette exemption en vertu de l'article 14 dudit règlement.

152 En tout état de cause, la requérante considère que l'article 4 de la décision ne peut interdire la conclusion de nouveaux accords d'achat exclusif qui seraient modifiés, en ce qui concerne la durée, de telle manière qu'il ne fasse aucun doute, même en adoptant le point de vue de la Commission, qu'ils entrent dans le champ d'application du règlement n° 1984/83.

153 La Commission a expliqué, au point 154 de la décision, que l'interdiction faite, à l'article 4 du dispositif, à la requérante de conclure, jusqu'au 31 décembre 1997, de nouveaux accords de livraison tels que ceux existants, déclarés incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, du traité, est justifiée par le fait que " la mesure d'interdiction serait toutefois vide de sens, s'il était permis à SLG (la requérante) de remplacer immédiatement les accords de livraison actuels par d'autres ".

154 La Commission conteste que l'article 3 du règlement n° 17 ne constitue pas une base juridique valable. Le pouvoir que cet article confère à la Commission doit, d'après elle, être exercé de la manière la plus efficace et la mieux appropriée aux circonstances de chaque situation donnée (voir l'ordonnance de la Cour du 17 janvier 1980, Camera Care/Commission, 792/79 R, Rec. p. 119).

155 Selon la Commission, ce pouvoir impliquerait le droit d'adresser aux entreprises certaines injonctions, de faire ou de ne pas faire, en vue de mettre fin à l'infraction. Les obligations particulières ainsi mises à charge doivent, d'après la Commission, être définies en fonction des exigences liées au rétablissement de la légalité. En outre, la Commission affirme que l'article 3 du règlement n° 17 l'habilite à prendre toutes les mesures qui s'avèrent nécessaires afin de mettre fin à l'infraction constatée et que celles-ci peuvent consister tant en des mesures positives qu'en des mesures négatives (voir l'arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, dit " pâte de bois ", C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307).

156 L'interdiction édictée par l'article 4 de la décision serait, en l'espèce, justifiée par la nécessité d'empêcher une tentative de contournement de l'interdiction prononcée à l'article 1er de la décision. En effet, par le biais du règlement n° 1984/83, la requérante pourrait, à tout moment, se procurer le bénéfice d'une exemption par catégorie pour de nouveaux contrats d'exclusivité si l'article 4 de la décision n'avait pas été adopté. A cet égard, la Commission ajoute que l'interdiction est accessoire et vise seulement à éviter une répétition inutile de la procédure administrative qui a abouti au refus de l'exemption individuelle. L'article 4 de la décision n'irait pas au-delà de ce qui est nécessaire pour rétablir une situation conforme au traité.

157 Enfin, la Commission fait valoir que l'article 3 de la décision tire la conséquence nécessaire de l'interdiction des accords de livraison. La communication supplémentaire que doit faire la requérante à ses cocontractants donnerait son utilité à la renonciation en apportant la clarté nécessaire.

Appréciation du Tribunal

158 Il convient, tout d'abord, d'examiner l'allégation de la requérante selon laquelle l'article 3 du règlement n° 17 ne constitue pas une base juridique permettant à la Commission d'arrêter l'article 3 de la décision, aux termes duquel la requérante " ... est tenue de communiquer le libellé des articles 1er et 2 aux revendeurs avec lesquels elle a conclu des accords tels que ceux mentionnés à l'article 1er, en indiquant la nullité des accords concernés, dans un délai de trois mois à dater de la notification de la présente décision ". A cet égard, il y a lieu de rappeler qu'il ressort du libellé de l'article 3 du règlement n° 17 que, " si la Commission constate... une infraction aux dispositions de l'article 85 ou de l'article 86 du traité, elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée ". Le Tribunal considère que cet article confère également à la Commission le pouvoir d'exiger une communication telle que celle imposée par l'article 3 de la décision dans le but d'assurer une application efficace de la décision. Compte tenu, par ailleurs, de ce qu'il s'agit d'une disposition conforme à la pratique administrative de la Commission en la matière, il y a donc lieu d'écarter le grief de la requérante relatif à la validité de l'article 3 de la décision.

159 En ce qui concerne, ensuite, la question de savoir si l'article 4 de la décision, aux termes duquel il est interdit à la requérante de conclure des accords tels que ceux considérés, à l'article 1er de la décision, comme étant contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité, est dépourvue de base juridique, le Tribunal considère que l'article 3 du règlement n° 17, cité au point 158, ne confère à la Commission que le pouvoir d'interdire des contrats d'exclusivité existants qui sont incompatibles avec les règles de concurrence.

160 S'agissant du rétablissement d'un réseau de contrats d'achat exclusif, il convient de relever qu'il ressort de la jurisprudence concernant l'application de l'article 85, paragraphe 1, que, même dans le cas où l'examen de l'ensemble des contrats similaires conclus sur le marché de référence et des autres éléments du contexte économique et juridique fait apparaître que le marché en cause est difficilement accessible, les contrats d'achat exclusif d'un fournisseur dont la contribution à un effet cumulatif est insignifiante ne tombent pas sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1 (voir l'arrêt Delimitis, précité, points 23 et 24).

161 Il s'ensuit que l'article 85, paragraphe 1, ne s'oppose pas, en règle générale, à la conclusion de contrats d'achat exclusif, pourvu qu'elle ne contribue pas de manière significative à un cloisonnement du marché. Dans ce contexte, il y a lieu d'écarter l'argumentation de la Commission, selon laquelle l'interdiction de toute conclusion de contrats futurs est justifiée par la nécessité d'empêcher une tentative de contournement de l'interdiction des contrats existants, prononcée dans l'article 1er de la décision attaquée, par le biais du règlement n° 1984/83.

162 En effet, le règlement n° 1984/83, en tant qu'acte normatif de portée générale, permet aux entreprises de bénéficier d'une exemption par catégorie pour certains contrats d'exclusivité qui répondent, en principe, aux conditions énoncées par l'article 85, paragraphe 3. Conformément à la hiérarchie des normes, la Commission n'est pas habilitée, par la voie d'une décision individuelle, à restreindre ou limiter les effets juridiques d'un tel acte normatif, à moins que celui-ci fournisse explicitement une base légale à cet effet. Bien que l'article 14 du règlement n° 1984/83 confère à la Commission le pouvoir de retirer le bénéfice de l'application dudit règlement si elle constate que, dans un cas déterminé, un accord exempté a cependant certains effets qui sont incompatibles avec les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité, l'article 14 ne prévoit toutefois aucune base légale permettant de retirer le bénéfice d'une exemption par catégorie à des accords futurs.

163 En outre, le Tribunal estime qu'il serait contraire au principe de l'égalité de traitement, qui est un des principes fondamentaux du droit communautaire, d'exclure pour certaines entreprises le bénéfice, à l'avenir, d'un règlement d'exemption par catégorie, tandis que d'autres entreprises, comme, en l'espèce, la partie intervenante, pourraient continuer à conclure des accords d'achat exclusif tels que ceux interdits par la décision. Une telle interdiction serait, dès lors, susceptible de porter atteinte à la liberté économique de certaines entreprises et de créer des distorsions de concurrence sur le marché, contrairement aux objectifs du traité.

164 Pour l'ensemble de ces raisons, le Tribunal considère que le moyen invoqué est fondé. Il y a, dès lors, lieu pour le Tribunal d'annuler l'article 4 de la décision.

165 Il ressort des considérations qui précèdent qu'il convient de rejeter le recours comme non fondé, sauf en ce qu'il tend à l'annulation de l'article 4 de la décision.

Sur les dépens

166 Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l'espèce, la requérante ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, la totalité des dépens afférents à l'instance, y compris ceux relatifs à la procédure en référé et ceux de la partie intervenante, à l'exception d'un quart de l'ensemble des dépens exposés par la partie défenderesse. Celle-ci supportera ainsi un quart de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) L'article 4 de la décision 93/405/CEE de la Commission, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE contre Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG (IV/31.533 et IV/34.072) est annulé.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) La partie requérante supportera l'ensemble des dépens de l'instance, y compris ceux relatifs à la procédure en référé ainsi que ceux de la partie intervenante, à l'exception d'un quart de l'ensemble des dépens exposés par la partie défenderesse.

4) La partie défenderesse supportera un quart de ses propres dépens.