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Décisions

CJCE, 6 avril 1995, n° C-241/91 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Radio Telefis Eireann, Independent Television Publications (Ltd), Intellectual Property Owners Inc.

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Magill TV Guide (Ltd)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodriguez Iglesias (rapporteur)

Présidents de chambre :

MM. Schockweiler, Kapteyn

Avocat général :

M. Gulmann

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Moitinho de Almeida, Murray

Avocats :

Mes Alexander, van der Wal, Murphy, Reynolds, Tyrrell, Strivens, Barrett, Skinner, Gore, Grimes, Cooke, Leigh.

CJCE n° C-241/91 P

6 avril 1995

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 septembre 1991, Radio Telefis Eireann (ci-après "RTE"), qui a reçu notification de l'arrêt du Tribunal du 10 juillet 1991 (T-69-89, Rec. p. II-485, ci-après l'"arrêt RTE") ce même jour, a formé un pourvoi contre cet arrêt, au motif qu'il aurait été pris en violation du droit communautaire.

2. Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 septembre 1991, Independent Television Publications Ltd (ci-après "ITP"), qui a reçu notification de l'arrêt du Tribunal du 10 juillet 1991 (T-76-89, Rec. p. II-575, ci-après l'"arrêt ITP") le 12 juillet 1991, a formé un pourvoi contre cet arrêt, au motif qu'il aurait été pris en violation du droit communautaire.

3. Par deux requêtes déposées au greffe le 6 janvier 1992, Intellectual Property Owners Inc. (ci-après "IPO") a demandé à intervenir dans les deux affaires à l'appui des conclusions des requérantes. Par deux ordonnances du 25 mars 1992, la Cour a admis ces interventions.

4 Par une ordonnance du président de la Cour du 21 avril 1993, les affaires C-241-91 P et C-242-91 P ont été jointes aux fins de la procédure orale.

5. Etant donné la connexité des deux affaires, il convient, conformément à l'article 43 du règlement de procédure, de les joindre aux fins de l'arrêt.

6. Il ressort des arrêts du Tribunal que la plupart des foyers en Irlande et 30 à 40 % des foyers en Irlande du Nord peuvent capter les émissions de télévision de RTE, d'ITV et de BBC.

7. Au moment des faits, aucun guide général hebdomadaire de télévision n'était disponible sur le marché en Irlande et en Irlande du Nord. Chaque station de télévision faisait publier un guide de télévision exclusivement consacré à ses propres programmes et revendiquait, au titre des législations irlandaise et du Royaume-Uni, la protection du droit d'auteur sur ses grilles de programmes hebdomadaires pour s'opposer à leur reproduction par des tiers.

8. RTE publiait elle-même son guide de télévision hebdomadaire, alors que ITV le faisait par le biais d'ITP, société constituée dans ce but.

9. ITP, RTE et BBC pratiquaient la politique suivante en ce qui concerne la diffusion des grilles de programmes. Elles diffusaient gratuitement, sur demande, auprès de la presse quotidienne ou périodique, les programmes de leurs émissions, accompagnés d'une licence à titre gratuit, qui fixait les conditions dans lesquelles ces informations pouvaient être reproduites. Les programmes quotidiens et, la veille des jours fériés, les programmes de deux jours pouvaient ainsi être publiés dans la presse, sous réserve de certaines conditions relatives au format de cette publication. La publication des "points forts" de la semaine était aussi autorisée. ITP, RTE et BBC veillaient au strict respect des conditions énoncées dans la licence en engageant, le cas échéant, une action judiciaire contre les publications qui ne s'y conformaient pas.

10. Magill TV Guide Ltd (ci-après "Magill") a essayé de publier un guide hebdomadaire général de télévision, mais elle en a été empêchée par les requérantes et BBC, qui ont obtenu des injonctions interdisant la publication des grilles de programmes hebdomadaires.

11. Magill a déposé plainte auprès de la Commission, le 4 avril 1986, sur le fondement de l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après le "règlement n° 17"), en vue de faire constater que les requérantes et BBC abusaient de leur position dominante en refusant d'octroyer des licences pour la publication de leurs grilles de programmes hebdomadaires respectives. La Commission a décidé d'engager la procédure à l'issue de laquelle elle a adopté la décision 89-205-CEE, du 21 décembre 1988, relative à une procédure au titre de l'article 86 du traité CEE (IV-31.851, Magill TV Guide-ITP, BBC et RTE, JO 1989, L 78, p. 43, ci-après la "décision"), qui a fait l'objet du recours devant le Tribunal.

12. Dans cette décision, la Commission a constaté l'infraction à l'article 86 du traité CEE et a enjoint aux trois sociétés de mettre fin à ladite infraction, notamment, "en fournissant aux tiers sur demande et sur une base non discriminatoire leurs programmes d'émissions hebdomadaires établis à l'avance et en permettant la reproduction de ces programmes par ces parties". Il était également indiqué que, si les trois sociétés choisissaient d'accorder des licences de reproduction, les éventuelles redevances devaient être d'un montant raisonnable.

13. Par ordonnance du 11 mai 1989, RTE e.a./Commission (76-89 R, 77-89 R et 91-89 R, Rec. p. 1141), le président de la Cour, à la demande des requérantes, a ordonné le sursis "à l'exécution de l'article 2 de la décision..., dans la mesure où cette disposition oblige les requérantes à mettre fin immédiatement à l'infraction constatée par la Commission en se fournissant mutuellement et en fournissant aux tiers sur demande et sur base non discriminatoire leurs programmes d'émissions hebdomadaires établis à l'avance et en permettant la reproduction de ces programmes par ces parties".

14. En première instance, les deux requérantes ont conclu à l'annulation de la décision de la Commission et à la condamnation de cette dernière aux dépens de l'instance.

15. Le Tribunal a rejeté les recours des requérantes et les a condamnées aux dépens.

16. RTE conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

"1) annuler l'arrêt du Tribunal de première instance;

2) annuler la décision de la Commission du 21 décembre 1988;

3) condamner la Commission et la partie intervenante aux dépens."

17. ITP conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

"1) annuler l'arrêt rendu par le Tribunal le 10 juillet 1991 dans l'affaire T-76-89, ITP/Commission, et statuer elle-même définitivement sur le litige;

2) déclarer la décision IV-31.851 de la Commission, du 21 décembre 1988 (Magill TV Guide/ITP, BBC et RTE), nulle et de nul effet, et

3) condamner la Commission et/ou la partie intervenante aux dépens exposés par ITP devant le Tribunal, et la Commission aux dépens exposés par ITP devant la Cour."

18. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour de rejeter les pourvois, de condamner chaque requérante aux dépens de l'instance qu'elle a introduite et de condamner IPO aux dépens exposés par la Commission du fait de l'intervention d'IPO.

19. A titre subsidiaire, pour le cas où la Cour, contrairement à ce que soutient la Commission, devrait estimer que les arrêts du Tribunal doivent être cassés sur l'un ou l'autre point, la Commission considère que la Cour devrait confirmer le dispositif des arrêts du Tribunal et procéder à une substitution de motifs, conformément à l'arrêt du 9 juin 1992, Lestelle/Commission (C-30-91 P, Rec. p. I-3755). Selon la Commission, le dispositif des arrêts, qui a confirmé la décision, ne saurait être censuré dans la mesure où le comportement incriminé dans la présente espèce était manifestement abusif, a nui aux intérêts des consommateurs, a évincé du marché le guide de télévision multichaîne proposé par Magill, a restreint les échanges entre Etats membres et avait pour but (du moins de la part de deux des trois requérantes) de restreindre lesdits échanges.

20. IPO conclut à l'annulation des deux arrêts du Tribunal et de la décision de la Commission ainsi qu'à la condamnation de cette dernière aux dépens d'IPO devant la Cour.

21. A l'appui de son pourvoi, RTE invoque trois moyens. Le premier est pris de la violation par le Tribunal de la notion d'abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité, le deuxième, de la violation par le Tribunal de la notion d'affectation du commerce entre Etats membres, et le troisième, du refus de prise en considération, par le Tribunal, de la convention de Berne de 1886.

22. A l'appui de son pourvoi, ITP invoque, outre le premier moyen soulevé par RTE, deux autres moyens. Le premier est pris de la violation par le Tribunal de l'article 3 du règlement n° 17, en ce que le Tribunal a reconnu à la Commission le pouvoir d'imposer à un titulaire de droits intellectuels l'obligation de délivrer des licences obligatoires. Le deuxième est pris de la violation de l'article 190 du traité CEE, en ce que le Tribunal a dit pour droit que la motivation de la décision remplissait les conditions liées au respect des droits de la défense.

23. Dans les deux mémoires en intervention qu'elle a déposés, IPO a spécialement étayé le moyen commun à ITP et à RTE, à savoir la violation par le Tribunal de la notion d'abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité.

Quant à l'existence d'un abus de position dominante

24. En ce qui concerne l'existence d'une position dominante, le Tribunal a jugé que "ITP disposait, grâce au droit d'auteur sur les grilles de programmes des chaînes ITV et Channel 4, qui lui avait été cédé par les sociétés de télévision alimentant lesdites chaînes, du droit exclusif de reproduire et de mettre sur le marché les grilles susvisées. Cette circonstance lui a permis, au moment des faits incriminés, de s'assurer le monopole de la publication de ces mêmes grilles hebdomadaires dans un magazine spécialisé dans les propres programmes d'ITV et de Channel 4, le TV Times". Selon le Tribunal, "il en résulte que la requérante occupait manifestement, à l'époque considérée, une position dominante, tant sur le marché représenté par ses grilles hebdomadaires que sur celui des magazines dans lesquels elles étaient publiées, en Irlande et en Irlande du Nord. En effet, les tiers, tels que la société Magill, désireux d'éditer un magazine général de télévision se trouvaient dans une situation de dépendance économique à l'égard de la requérante, qui avait ainsi la possibilité de s'opposer à l'apparition de toute concurrence effective sur le marché de l'information sur ses programmes hebdomadaires" (arrêt ITP, point 49). En ce qui concerne RTE, le Tribunal est parvenu à la même constatation en des termes quasi identiques (arrêt RTE, point 63).

25. En ce qui concerne l'existence d'un abus de cette position dominante, le Tribunal a estimé qu'il fallait interpréter l'article 86 en liaison avec le droit d'auteur sur les grilles de programmes. Il a rappelé que, en l'absence d'harmonisation des règles nationales ou d'unification dans le cadre de la Communauté, la fixation des conditions et des modalités de la protection du droit d'auteur relève de la compétence nationale (arrêt ITP, points 50 et 51). Les rapports entre les droits nationaux de propriété intellectuelle et les règles générales de droit communautaire sont expressément régis par l'article 36 du traité CEE, qui prévoit la possibilité de déroger aux règles relatives à la libre circulation des marchandises pour des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale sous les réserves de l'article 36, seconde phrase. L'article 36 souligne ainsi que la conciliation entre les exigences de la libre circulation des marchandises et le respect dû aux droits de propriété intellectuelle doit être opérée de manière à protéger l'exercice légitime de ces droits, qui seul est justifié au sens de cet article, et à exclure tout exercice abusif, de nature à cloisonner artificiellement le marché ou à porter atteinte au régime de la concurrence dans la Communauté. Le Tribunal a estimé que l'exercice des droits de propriété intellectuelle conférés par la législation nationale doit, par conséquent, être limité dans la mesure nécessaire à cette conciliation (arrêt ITP, point 52).

26. Le Tribunal relève, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, qu'il résulte de l'article 36 du traité que seules les restrictions à la libre concurrence ou à la libre circulation des marchandises ou des services, inhérentes à la protection de la substance même du droit de propriété intellectuelle, sont admises en droit communautaire. Le Tribunal se fonde notamment sur l'arrêt du 8 juin 1971, Deutsche Grammophon (78-70, Rec. p. 487, point 11), dans lequel la Cour a jugé que, s'il permet des interdictions ou restrictions à la libre circulation des produits justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale, l'article 36 n'admet de dérogations à cette liberté que dans la mesure où elles sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de cette propriété (arrêt ITP, point 54).

27. Le Tribunal fait observer ensuite que la protection de l'objet spécifique du droit d'auteur confère, en principe, à son titulaire le droit de se réserver l'exclusivité de la reproduction de l'œuvre protégée (arrêt ITP, point 55).

28. Le Tribunal a néanmoins jugé que, s'il est certain que l'exercice du droit exclusif de reproduction de l'œuvre protégée ne présente pas, en soi, un caractère abusif, il en va différemment lorsqu'il apparaît, au vu des circonstances propres à chaque cas d'espèce, que les conditions et modalités d'exercice du droit exclusif de reproduction de l'œuvre protégée poursuivent, en réalité, un but manifestement contraire aux objectifs de l'article 86. Dans une telle hypothèse, poursuit le Tribunal, l'exercice du droit d'auteur ne répond plus à la fonction essentielle de ce droit, au sens de l'article 36 du traité, qui est d'assurer la protection morale de l'œuvre et la rémunération de l'effort créateur, dans le respect des objectifs poursuivis en particulier par l'article 86. Le Tribunal en conclut que, dans ce cas, la primauté qui s'attache au droit communautaire, notamment pour des principes aussi fondamentaux que ceux de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence, l'emporte sur une utilisation, non conforme à ces principes, d'une règle nationale édictée en matière de propriété intellectuelle (arrêt ITP, point 56).

29. Dans la présente espèce, le Tribunal a relevé que les requérantes, en se réservant l'exclusivité de la publication de leurs grilles de programmes hebdomadaires de télévision, faisaient obstacle à la venue sur le marché d'un produit nouveau, à savoir un magazine général de télévision, susceptible de concurrencer leur propre magazine. Les requérantes exploitaient de la sorte leur droit d'auteur sur les grilles de programmes élaborées dans le cadre de l'activité de télédiffusion, pour s'assurer un monopole sur le marché dérivé des guides hebdomadaires de télévision, en Irlande et en Irlande du Nord. Le Tribunal a par ailleurs estimé significatif le fait que les requérantes aient autorisé gratuitement la publication de leurs grilles quotidiennes et des points forts de leurs programmes hebdomadaires dans la presse, en Irlande et au Royaume-Uni.

30. Il a ainsi jugé qu'un comportement de ce type - qui se caractérise par l'obstacle mis à la production et à la commercialisation d'un produit nouveau, pour lequel existe une demande potentielle de la part des consommateurs, sur le marché annexe des guides hebdomadaires de télévision, et par l'exclusion corrélative de toute concurrence dudit marché, dans le seul but de maintenir le monopole de chacune des requérantes - allait manifestement au-delà de ce qui est indispensable à la réalisation de la fonction essentielle du droit d'auteur, telle qu'elle est admise en droit communautaire. En effet, selon le Tribunal, le refus des requérantes d'autoriser les tiers à publier leurs grilles hebdomadaires présentait, en l'occurrence, un caractère arbitraire, dans la mesure où il n'était pas justifié par les exigences propres à l'activité d'édition de magazines de télévision. Les requérantes avaient donc la possibilité de s'adapter aux conditions d'un marché des magazines de télévision ouvert à la concurrence, pour assurer la viabilité commerciale de leur hebdomadaire. Dans ces conditions, les faits incriminés ne pouvaient pas être couverts, en droit communautaire, par la protection résultant du droit d'auteur sur les grilles de programmes (arrêt ITP, point 58).

31. Au vu des considérations qui précèdent, le Tribunal a constaté que, bien que les grilles de programmes aient été couvertes, au moment des faits litigieux, par le droit d'auteur, tel qu'il est consacré par le droit national qui demeure compétent pour déterminer les modalités de cette protection, le comportement incriminé n'était pas susceptible de bénéficier de cette protection, dans le cadre de la nécessaire conciliation qui doit s'opérer entre les droits de propriété intellectuelle et les principes fondamentaux du traité relatifs à la libre circulation des marchandises et à la libre concurrence. En effet, ce comportement poursuivait des objectifs manifestement antinomiques avec ceux de l'article 86 du traité (arrêt ITP, point 60).

32. Le Tribunal a donc rejeté le moyen fondé sur la violation de l'article 86.

33. RTE, soutenue par IPO, fait valoir, en invoquant l'arrêt du 5 octobre 1988, Volvo (238-87, Rec. p. 6211), que l'exercice, par un titulaire de droits intellectuels, de son droit exclusif, et en particulier son refus d'octroyer une licence, ne saurait être considéré en lui-même comme une exploitation abusive d'une position dominante.

34. En effet, selon RTE, ITP et IPO, une des prérogatives essentielles du titulaire du droit d'auteur, sans laquelle ce droit serait vidé de sa substance, est le droit exclusif de reproduction. Ce droit, qui n'a pas été mis en cause par les règles du traité, permet à son titulaire d'être rémunéré par la vente exclusive des produits incorporant l'œuvre protégée et de s'opposer à la concurrence d'un tiers sur ces mêmes produits.

35. ITP conteste que l'exercice du droit exclusif de reproduction présente en soi un caractère abusif au motif qu'il poursuivrait un but manifestement contraire aux objectifs de l'article 86 du traité (arrêt ITP, point 56) puisqu'il est habituel et naturel que les titulaires de droits d'auteur exercent leurs droits en vue de restreindre la concurrence faite à leurs propres produits par d'autres produits réalisés à partir du matériel protégé, y compris sur un marché dérivé. Cela constitue, poursuit-elle, l'essence du droit d'auteur.

36. IPO estime que le droit d'auteur serait par nature bénéfique pour la concurrence et rappelle qu'il n'attribue de droits de propriété exclusifs qu'à l'expression particulière d'une idée ou d'un concept, et non à ce concept ou à cette idée.

37. RTE et IPO rappellent que, en l'absence d'harmonisation, le champ d'application des diverses réglementations nationales en matière de droits d'auteur ne peut être défini que par le législateur de chaque Etat membre. La définition de ce champ d'application ne peut être modifiée par une mesure d'application de l'article 86 du traité, mais seulement par une législation communautaire spécifique.

38. En outre, poursuit RTE, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le droit de première commercialisation a été considéré comme l'objet spécifique de tous les droits de propriété industrielle.

39. RTE soutient que le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle ne doit pas motiver un refus d'octroyer une licence, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal. ITP ajoute que cette thèse du Tribunal n'est pas étayée par la jurisprudence de la Cour et qu'elle porte atteinte, par l'imprécision des critères utilisés, à la sécurité juridique des titulaires de droits d'auteur.

40. Suivant RTE et IPO, le refus du titulaire du droit, d'accorder une licence, fait partie de l'objet spécifique du droit exclusif. RTE est d'avis qu'il ne constituerait un abus que dans des circonstances très particulières et IPO ajoute que l'usage d'un droit de propriété intellectuelle est justifié s'il relève de l'objet spécifique du droit en question.

41. IPO et RTE critiquent l'approche du Tribunal et de la Commission dans cette affaire, qui consiste à confiner le droit d'auteur dans la simple combinaison du droit à l'attribution de la qualité d'auteur et du droit d'obtenir une rémunération en cas d'exploitation. IPO soutient que cette conception contraste non seulement avec le droit des différents Etats membres, mais également avec la convention de Berne et entraînerait une diminution significative de la protection conférée par le droit d'auteur. ITP ajoute que cette conception passe sous silence le droit de reproduction exclusif et sépare la protection du droit moral de celle du droit patrimonial, ce qui aurait pour conséquence que les cessionnaires du créateur - tels que ITP - ne pourraient se prévaloir d'un tel droit moral, qui est inaliénable, et ne pourraient donc pas exercer le droit de reproduction exclusif.

42. RTE soutient que la demande des consommateurs ne peut pas justifier l'application de l'article 86 du traité au cas d'espèce et que seul le législateur national peut y porter remède, comme cela a d'ailleurs été fait au Royaume-Uni. ITP ajoute que la situation du titulaire du droit d'auteur qui vend son propre produit fabriqué à partir du matériel protégé et qui prive ainsi les consommateurs de la possibilité de l'obtenir ailleurs est habituelle.

43. Ensuite, il n'existe pas, selon IPO, de présomption selon laquelle le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle jouit d'une position dominante au sens de l'article 86 (arrêts du 18 février 1971, Sirena, 40-70, Rec. p. 69, et Deutsche Grammophon, précité). En se fondant notamment sur l'arrêt du 9 novembre 1983, Michelin/Commission (322-81, Rec. p. 3461), IPO estime que la position dominante suppose une situation de puissance économique et conteste donc l'analyse du Tribunal selon laquelle les requérantes disposaient d'une position dominante pour la seule raison qu'elles étaient titulaires de droits d'auteur, sans avoir procédé au moindre examen de la puissance économique sur le marché.

44. IPO reproche à la Commission de n'avoir pas non plus appliqué le critère de position dominante fondé sur la puissance économique mais d'avoir considéré que les requérantes et BBC disposaient d'un monopole de fait. Ainsi, la Commission considérerait qu'un tel monopole est susceptible d'apparaître chaque fois qu'il existe un marché primaire et un marché secondaire et qu'un tiers souhaite se procurer les produits ou les services du marché primaire afin d'exercer une activité commerciale sur le marché secondaire. D'après IPO, la Commission estime qu'une intention de ce genre crée une situation de dépendance économique qui est caractéristique de la position dominante.

45. IPO critique cette conception en ce qu'elle lierait artificiellement la dépendance économique à l'intention d'un tiers, qui aurait toujours la possibilité d'entreprendre une autre activité économique. IPO voit dans la notion de "monopole de fait" une construction artificielle de la Commission pour justifier l'application du droit de la concurrence dans le but de modifier l'objet spécifique du droit d'auteur.

a) Quant à la position dominante

46. En ce qui concerne la position dominante, il faut rappeler tout d'abord que le simple fait d'être titulaire d'un droit de propriété intellectuelle ne saurait conférer une telle position.

47. Toutefois, les informations brutes constituées par l'indication de la chaîne, du jour, de l'heure et du titre des émissions sont la conséquence nécessaire de l'activité de programmation des stations de télévision qui sont donc l'unique source de ces informations pour une entreprise telle que Magill qui souhaiterait les publier en les assortissant de commentaires ou d'images. Par la force des choses, RTE et ITP, ayant cause d'ITV, disposent, ensemble avec BBC, d'un monopole de fait sur les informations servant à confectionner les grilles des programmes de télévision captés par la plupart des foyers en Irlande et 30 à 40 % des foyers en Irlande du Nord. Les requérantes ont ainsi le pouvoir de faire obstacle à l'existence d'une concurrence effective sur le marché des hebdomadaires de télévision, en sorte que c'est à bon droit que le Tribunal a confirmé l'appréciation de la Commission qui avait estimé qu'elles détenaient une position dominante (voir arrêt Michelin/Commission, précité, point 30).

b) Quant à l'abus

48. S'agissant de l'abus, il convient de relever que l'argumentation des requérantes et d'IPO présuppose à tort que, dès lors qu'un comportement d'une entreprise en position dominante relève de l'exercice d'un droit qualifié de "droit d'auteur" par le droit national, ce comportement serait soustrait à toute appréciation au regard de l'article 86 du traité.

49. Il est, certes, exact que, en l'absence d'une unification communautaire ou d'un rapprochement des législations, la fixation des conditions et des modalités de protection d'un droit de propriété intellectuelle relève de la règle nationale et que le droit exclusif de reproduction fait partie des prérogatives de l'auteur en sorte qu'un refus de licence, alors même qu'il serait le fait d'une entreprise en position dominante, ne saurait constituer en lui-même un abus de celle-ci(arrêt Volvo, précité, points 7 et 8).

50. Néanmoins, ainsi qu'il résulte de ce même arrêt (point 9), l'exercice du droit exclusif par le titulaire peut, dans des circonstances exceptionnelles, donner lieu à un comportement abusif.

51. En l'espèce, le comportement reproché aux requérantes est de se prévaloir du droit d'auteur conféré par la législation nationale pour empêcher Magill - ou toute autre entreprise ayant le même projet - de publier des informations (la chaîne, le jour, l'heure et le titre des émissions), assorties de commentaires et d'images, obtenus indépendamment des requérantes, sur une base hebdomadaire.

52. Parmi les circonstances retenues par le Tribunal en vue de considérer ce comportement comme abusif, il convient de relever en premier lieu qu'il n'existait, d'après les constatations du Tribunal, aucun substitut réel ou potentiel à un guide hebdomadaire de télévision offrant une information sur les programmes de la semaine à venir. A cet égard, le Tribunal a confirmé la constatation de la Commission suivant laquelle la liste complète des programmes pour une période de 24 heures, voire de 48 heures en fin de semaine ou la veille de jours fériés, publiée dans certains quotidiens et journaux du dimanche, ainsi que les rubriques de télévision de certains magazines renfermant, en outre, les "points forts" des programmes de la semaine ne sont que dans une faible mesure susceptibles de se substituer à une information préalable des téléspectateurs sur l'ensemble des programmes hebdomadaires. Seul un guide hebdomadaire de télévision offrant une information complète sur les programmes de la semaine à venir permet aux usagers de prévoir à l'avance les émissions qu'ils souhaitent suivre et, le cas échéant, de planifier en conséquence leurs activités de loisirs de la semaine. Le Tribunal a par ailleurs établi l'existence d'une demande potentielle spécifique, constante et régulière, de la part des consommateurs (voir arrêts RTE, point 62, et ITP, point 48).

53. Ainsi les requérantes - qui étaient, par la force des choses, les seules sources de l'information brute sur la programmation, matière première indispensable pour créer un guide hebdomadaire de télévision - ne laissaient au téléspectateur voulant s'informer des offres de programmes pour la semaine à venir d'autre possibilité que d'acheter les guides hebdomadaires de chaque chaîne et d'en retirer lui-même les données utiles pour faire des comparaisons.

54. Le refus, par les requérantes, de fournir des informations brutes en invoquant les dispositions nationales sur le droit d'auteur a donc fait obstacle à l'apparition d'un produit nouveau, un guide hebdomadaire complet des programmes de télévision, que les requérantes n'offraient pas, et pour lequel existait une demande potentielle de la part des consommateurs, ce qui constitue un abus suivant l'article 86, deuxième alinéa, sous b), du traité.

55. En deuxième lieu, ce refus n'était justifié ni par l'activité de radiodiffusion télévisuelle ni par celle d'édition de magazines de télévision (arrêts RTE, point 73, et ITP, point 58).

56. Enfin, et en troisième lieu, comme l'a également constaté le Tribunal, par leur comportement, les requérantes se sont réservé un marché dérivé, celui des guides hebdomadaires de télévision, en excluant toute concurrence sur ce marché (voir arrêt du 6 mars 1974, Commercial Solvents/Commission, 6-73 et 7-73, Rec. p. 223, point 25), puisque les requérantes déniaient l'accès à l'information brute, matière première indispensable pour créer un tel guide.

57. Etant donné l'ensemble de ces circonstances, le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en qualifiant le comportement des requérantes d'abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité.

58. Il s'ensuit que, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la motivation des arrêts entrepris dans la mesure où elle est fondée sur l'article 36 du traité, le moyen basé sur la violation, par le Tribunal, de la notion d'abus de position dominante doit être rejeté comme non fondé.

Quant à l'affectation du commerce entre Etats membres (deuxième moyen du pourvoi C-241-91 P)

59. En ce qui concerne l'affectation du commerce entre Etats membres, le Tribunal, après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour (arrêt RTE, point 76), a constaté (point 77) que "le comportement incriminé a modifié la structure de la concurrence sur le marché des guides de télévision, en Irlande et en Irlande du Nord, ce qui a affecté le flux d'échanges potentiels entre l'Irlande et le Royaume-Uni".

60. Le Tribunal a motivé cette conclusion par la répercussion du refus de la requérante d'autoriser les tiers à publier ses grilles sur la structure de la concurrence sur le territoire de l'Irlande et de l'Irlande du Nord. Elle aurait ainsi exclu toute concurrence potentielle sur le marché en cause, "ce qui a eu pour effet de maintenir le cloisonnement des marchés... (d')Irlande et (d')Irlande du Nord". Il a relevé que l'effet sensible de la politique incriminée sur les courants d'échange potentiels entre l'Irlande et le Royaume-Uni était attesté par l'existence d'une demande spécifique pour un magazine général de télévision. Il a ajouté que "le territoire géographique en cause, sur lequel un marché unique des services de télédiffusion est déjà réalisé, représente corrélativement un marché unique de l'information sur les programmes de télévision, compte tenu en particulier de la grande facilité des échanges du point de vue linguistique" (point 77).

61. RTE rappelle que le droit communautaire de la concurrence n'a pas pour but de remédier à des situations qui sont purement internes à un Etat membre et conteste l'affirmation du Tribunal selon laquelle elle aurait effectivement maintenu "le cloisonnement des marchés représentés respectivement par l'Irlande et par l'Irlande du Nord". RTE soutient en effet avoir pratiqué une seule et même politique relativement à la fourniture de grilles de programmes hebdomadaires et à l'octroi de licences, sans avoir égard au lieu d'établissement des entreprises concernées. Elle nie avoir jamais entravé les exportations et les importations de guides de télévision.

62. RTE rappelle également les données suivantes, étayées par les constatations de la Commission et du Tribunal:

i) en dehors de l'Irlande, les programmes de RTE ne sont reçus que dans une partie de l'Irlande du Nord, qui représente moins de 1,6 % du marché de la télévision au Royaume-Uni, et moins de 0,3 % du marché communautaire;

ii) suivant les constatations de la High Court d'Irlande, le signal de RTE était reçu par 30 à 40 % de la population d'Irlande du Nord;

iii) les ventes des guides de télévision de RTE au Royaume-Uni sont inférieures à 5 % des ventes en Irlande.

63. Elle ajoute qu'elle n'a pas de programmes ni de publicités visant l'Irlande du Nord ou diffusés vers elle. Ce n'est qu'à cause d'un débordement ("overspill") que ses programmes peuvent être reçus en Irlande du Nord par environ 100 000 foyers; RTE vend 5 000 exemplaires de son guide de télévision sur ce territoire.

64. Ces données démontrent, suivant RTE, l'importance marginale des ventes transfrontalières des guides hebdomadaires contenant ses programmes.

65. Par ailleurs, à la suite de la nouvelle politique d'octroi de licences suivie par RTE, les éléments suivants ont pu être constatés:

i) les ventes en Irlande de Radio Times et de TV Times, en provenance du Royaume-Uni, ont diminué;

ii) les ventes en Irlande du Nord du RTE Guide, en provenance d'Irlande, n'ont pas augmenté; d'une manière générale, l'insertion des grilles de programmes de RTE dans un guide général n'a pas d'influence sur les ventes d'un tel guide en Irlande du Nord;

iii) aucun autre éditeur n'a fait usage de la possibilité nouvelle de publier des guides de télévision hebdomadaires généraux, contenant également les programmes de RTE, et de les vendre au-delà de la frontière.

66. RTE déduit de ces informations que sa politique d'octroi de licences, condamnée par la Commission, soit était dépourvue d'effets sur les échanges entre l'Irlande et le Royaume-Uni, soit n'exerçait qu'un effet insignifiant sur ces échanges. Or, poursuit RTE, la Commission doit prouver que le commerce entre Etats membres est affecté de manière sensible (arrêt du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27-76, Rec. p. 207), ce dont le Tribunal n'a pourtant pas tenu compte. Elle constate que les arguments de la Commission sur ce point ne se réfèrent qu'aux ventes en Grande-Bretagne, à ITP et à BBC.

67. Il convient de rappeler tout d'abord que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un pourvoi ne peut, en vertu de l'article 168 A du traité et de l'article 51 du statut de la Cour de justice, s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation des règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits (arrêt du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53-92 P, Rec. p. I-667, point 10). Les arguments invoqués par RTE, dans la mesure où ils visent à remettre en cause l'appréciation des faits à laquelle s'est livré le Tribunal, doivent donc être écartés.

68. Il n'en reste pas moins que la condition d'affectation du commerce entre Etats membres est une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour.

69. Pour que la condition d'affectation du commerce entre Etats membres soit remplie, il n'est pas nécessaire que le comportement incriminé ait effectivement affecté ce commerce de manière sensible. Il suffit d'établir que ce comportement est de nature à avoir un tel effet (arrêts Michelin/Commission, précité, point 104, et du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41-90, Rec. p. I-1979, point 32).

70. En l'espèce, le Tribunal a constaté que la requérante a exclu tout concurrent potentiel sur le marché géographique constitué par un Etat membre et une partie d'un autre Etat membre, à savoir l'Irlande et l'Irlande du Nord, et a donc modifié la structure de la concurrence sur ce marché, ce qui a affecté le flux d'échanges potentiels entre l'Irlande et le Royaume-Uni. Le Tribunal en a déduit à juste titre que la condition d'affectation du commerce entre Etats membres était remplie.

71. Il s'ensuit que le moyen pris de la violation, par le Tribunal, de la notion d'affectation du commerce entre Etats membres doit être rejeté.

Quant à la convention de Berne (troisième moyen du pourvoi C-241-91 P)

72. En ce qui concerne la convention de Berne (ci-après la "convention"), RTE avait soutenu devant le Tribunal que son article 9, paragraphe 1, consacrait le droit exclusif de reproduction et que le paragraphe 2 n'autorisait les Etats signataires à permettre la reproduction que dans certains cas spéciaux, à condition que cette reproduction ne soit pas incompatible avec l'exploitation normale de l'œuvre et ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. RTE en déduisait que l'article 2 de la décision attaquée était incompatible avec la convention, dans la mesure où il portait atteinte à l'exploitation normale de son droit d'auteur et où il causait un préjudice grave à ses intérêts légitimes (arrêt RTE, point 100).

73. En réponse à ces arguments, le Tribunal a examiné la question de l'applicabilité de la convention. Il a constaté tout d'abord que la Communauté n'y était pas partie. Après avoir rappelé l'article 234 du traité CEE et la jurisprudence de la Cour (arrêt RTE, point 102), il a relevé que, "dans la présente espèce, qui concerne l'Irlande et le Royaume-Uni, l'article 234 du traité s'applique, en vertu de l'article 5 de l'acte d'adhésion, aux conventions conclues avant... le 1er janvier 1973". Il en a déduit que, "dans les rapports intracommunautaires, les dispositions de la convention de Berne, ratifiée par l'Irlande et par le Royaume-Uni avant le 1er janvier 1973, ne sauraient porter atteinte aux dispositions du traité.... L'argument selon lequel l'article 2... de la décision est contraire à l'article 9, paragraphe 1, de la convention de Berne, doit donc être rejeté, sans même qu'il soit nécessaire de l'examiner au fond". En ce qui concerne le deuxième paragraphe de l'article 9, le Tribunal a observé "qu'il a été introduit par l'acte de Paris de 1971, auquel le Royaume-Uni est partie depuis le 2 janvier 1990, et que l'Irlande n'a pas ratifié". Le Tribunal a rappelé alors qu'une convention conclue postérieurement à l'adhésion en dehors des formes de l'article 236 du traité CEE ne saurait porter atteinte aux dispositions de celui-ci (arrêt RTE, point 103).

74. Le Tribunal a par conséquent rejeté comme non fondé le moyen pris de la violation de la convention (arrêt RTE, point 104).

75. RTE fait valoir que l'article 9, paragraphe 2, de la convention, telle que modifiée à Paris en 1971, n'autorise qu'il soit porté atteinte au droit exclusif de reproduction des auteurs que par voie législative, dans des cas spéciaux, lorsqu'une telle reproduction ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.

76. Selon RTE, la convention ne comporte pas de définition de ce qu'elle protège mais n'exclut que les "faits divers qui ont le caractère de simples informations de presse" (article 2, paragraphe 8), exception qui doit être interprétée de manière restrictive. Il appartiendrait ainsi au législateur et aux juridictions nationales de définir le champ d'application de la convention au niveau national.

77. RTE fait valoir que l'obligation imposée par la décision de la Commission n'a pas été prévue par une législation dont les termes seraient suffisamment clairs pour définir les circonstances dans lesquelles et les conditions auxquelles la reproduction serait autorisée. La décision elle-même ne saurait être considérée comme une "législation". L'application du droit de la concurrence ne remplit pas les conditions de l'article 9, paragraphe 2. Le titulaire du droit d'auteur doit pouvoir savoir, sur la base d'une législation explicite, s'il peut être ou non obligé d'accorder des licences obligatoires. Une disposition telle que l'article 86 du traité, qui se borne à prévoir une obligation générale et qu'il faut préciser et adapter dans chaque cas d'espèce, ne remplit pas les conditions imposées par l'article 9, paragraphe 2, de la convention. Seule une législation communautaire pourrait fournir une base législative appropriée.

78. RTE soutient que la convention fait partie des règles de droit relatives à l'application du traité, au sens de l'article 173 du traité CEE. A l'appui de cette thèse, RTE se réfère à de nombreuses déclarations de la Commission, d'où il ressort que la convention bénéficie d'un large consensus international (voir le préambule à la proposition de décision du Conseil concernant l'adhésion des Etats membres à la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques dans l'acte de Paris du 24 juillet 1971 et à la convention internationale de Rome sur les droits des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion du 26 octobre 1961, JO 1991, C 24, p. 5). D'après RTE, la Commission a toujours considéré cette convention comme fixant un niveau minimal de protection. Elle fait référence à la proposition de directive du Conseil concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur (JO 1989, C 91, p. 4, spécialement p. 8 et 10), et à la directive 91-250-CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur (JO L 122, p. 42). L'article 1er bis de la proposition modifiée de décision du Conseil concernant l'adhésion des Etats membres à la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques dans l'acte de Paris du 24 juillet 1971 et à la convention internationale de Rome sur les droits des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion du 26 octobre 1961 (JO 1992, C 57, p. 13), a été rédigé en ces termes par la Commission: "Dans l'exercice de ses compétences, en matière de droit d'auteur et de droits voisins, la Communauté s'inspire des principes et se conforme aux dispositions de la convention de Berne..." La proposition de directive du Conseil concernant la protection juridique des bases de données, adoptée le 29 janvier 1992, constitue une base législative à l' imposition de licences obligatoires. RTE constate que, dans tous les domaines autres que le droit de la concurrence, la Communauté respecte la convention.

79. RTE considère ainsi que, bien que la Communauté ne soit pas partie à la convention, il convient de tenir compte, dans le cadre du droit communautaire, des règles de cette convention (arrêts du 14 mai 1974, Nold/Commission, 4-73, Rec. p. 491, et du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46-87 et 227-88, Rec. p. 2859).

80. RTE fait valoir que la Communauté ne peut pas, d'un côté, obliger les Etats membres à adhérer et à se conformer à la convention et, de l'autre, adopter des mesures qui ne lui seraient pas conformes.

81. Elle estime enfin que l'examen de la portée des articles 234 et 236 ne serait pertinent que s'il était établi que des obligations résultant de la convention entraient en conflit avec certaines dispositions du traité CEE.

82. IPO partage cette opinion et fait valoir qu'une harmonisation du droit national de la propriété intellectuelle ne peut être réalisée que par des moyens législatifs, à savoir par un acte du Conseil pris conformément à la procédure prévue à l'article 100 A, ou à l'article 235 du traité CEE. Une décision individuelle de la Commission au titre du droit de la concurrence ne constitue pas la voie adéquate pour résoudre cette question.

83. Il convient de relever d'abord, comme l'a fait le Tribunal, que la Communauté n'est pas partie à la convention pour la protection des œuvres littéraires et artistiques.

84. Ensuite, en ce qui concerne le Royaume-Uni et l'Irlande, il est vrai qu'ils étaient déjà parties à ladite convention à la date de leur adhésion à la Communauté et que, en vertu de l'article 5 de l'acte d'adhésion, l'article 234 du traité s'applique donc à cette convention. Cependant, il résulte d'une jurisprudence constante que les dispositions d'une convention conclue antérieurement à l'entrée en vigueur du traité ou, selon le cas, antérieurement à l'adhésion d'un Etat membre, ne peuvent être invoquées dans les rapports intracommunautaires, dès lors que, comme en l'espèce, les droits des Etats tiers ne sont pas en cause (voir notamment arrêt du 22 septembre 1988, Deserbais, 286-86, Rec. p. 4907, point 18).

85. Enfin, l'acte de Paris, qui a modifié l'article 9, paragraphes 1 et 2, de cette convention, disposition invoquée par RTE, n'a été ratifié par le Royaume-Uni qu'après son adhésion à la Communauté et ne l'a toujours pas été par l'Irlande.

86. C'est donc à bon droit que le Tribunal a relevé que cet article ne pouvait être invoqué pour limiter la compétence de la Communauté, telle que prévue par le traité CEE, puisque celui-ci ne pouvait être révisé que conformément à la procédure de l'article 236.

87. Il s'ensuit que le moyen relatif à la violation, par le Tribunal, de la convention, doit être rejeté comme non fondé.

Sur les pouvoirs conférés à la Commission par l'article 3 du règlement n° 17 (deuxième moyen du pourvoi C-242-91 P)

88. Le deuxième moyen, première branche, d'ITP est pris de la violation, par le Tribunal, de l'article 3 du règlement n° 17, en ce qu'il aurait jugé que cette disposition permettait à la Commission d'imposer des licences obligatoires, gérées par elle-même, qui portent sur des droits de propriété intellectuelle créés par les législations des Etats membres. En se fondant sur l'arrêt du 14 septembre 1982, Keurkoop (144-81, Rec. p. 2853), ITP soutient que seuls les parlements d'Irlande et du Royaume-Uni peuvent supprimer ou remplacer le droit d'auteur qu'ils ont conféré.

89. La seconde branche de ce moyen est prise de la violation du principe de proportionnalité, en ce que le Tribunal a jugé que la décision de la Commission ne l'avait pas méconnu (arrêt ITP, points 78 à 81). ITP soutient que le Tribunal aurait dû prendre en compte les considérations suivantes: la décision a supprimé le droit exclusif de reproduction d'ITP, mais aussi son droit de première commercialisation, particulièrement important en l'espèce, puisque la durée de vie utile du produit est de dix jours. Il n'y a aucune réciprocité entre ITP et les concurrents (autres que BBC et RTE) auxquels il lui est imposé d'octroyer des licences. Nombre de ces mêmes concurrents, en particulier les journaux diffusés à l'échelon national, réalisent des chiffres d'affaires et des bénéfices très supérieurs à ceux d'ITP. Leurs droits d'auteur ont une valeur économique certaine et ils sont protégés de la reproduction.

90. Il convient de relever que l'application de l'article 3 du règlement n° 17 doit se faire en fonction de la nature de l'infraction constatée et peut aussi bien comporter l'ordre d'entreprendre certaines activités ou prestations, illégalement omises, que l'interdiction de continuer certaines activités, pratiques ou situations, contraires au traité (arrêt Commercial Solvents/Commission, précité, point 45).

91. En l'espèce, la Commission, ayant constaté que le refus de fournir à des entreprises telles que Magill les informations brutes contenues dans les grilles de programmes de télévision constituait un abus de position dominante, pouvait, en vertu de cet article et afin d'assurer l'effet utile de sa décision, obliger les requérantes à fournir lesdites informations. En effet, ainsi que le Tribunal l'a relevé à bon droit, l'imposition de cette obligation - assortie par ailleurs de la possibilité de subordonner l'autorisation de publication à certaines conditions, dont le paiement d'une redevance - constituait le seul moyen de mettre fin à l'infraction.

92. C'est également à bon droit que, sur la base des mêmes constatations de fait, le Tribunal a écarté l'atteinte alléguée au principe de proportionnalité.

93. En effet, ainsi que le Tribunal l'a relevé à juste titre, dans le cadre de l'application de l'article 3 du règlement n° 17, le principe de proportionnalité signifie que les charges imposées aux entreprises, pour mettre fin à une infraction au droit de la concurrence, ne doivent pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, à savoir le rétablissement de la légalité au regard des règles qui, en l'espèce, ont été méconnues (arrêt ITP, point 80).

94. En estimant, au point 81 du même arrêt, que, à la lumière des constatations relevées ci-dessus, l'injonction adressée à la requérante constituait une mesure appropriée et nécessaire pour mettre fin à l'infraction, le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit.

Quant à la motivation (troisième moyen du pourvoi C-242-91 P)

95. Le troisième moyen d'ITP est pris de la méconnaissance de l'article 190 du traité par le Tribunal, en ce qu'il a jugé que la décision était suffisamment motivée (arrêt ITP, points 64 et 65), alors que la Commission s'est contentée d'affirmer que l'exercice du droit d'auteur était en dehors du champ d'application de l'objet spécifique de ce droit pour en déduire que l'exercice du droit d'auteur consistant uniquement à refuser d'octroyer une licence de reproduction constituait un abus de position dominante.

96. Selon ITP, la question cruciale de savoir si un simple refus de licence pouvait constituer un abus a été traitée de manière sommaire par la Commission. Il n'y a eu aucune analyse de la situation spéciale des titulaires de droits d'auteur dans le contexte de l'application de l'article 86 du traité. ITP maintient que cette façon de faire n'est pas conforme aux exigences formulées par l'arrêt du 21 novembre 1991, Technische Universität München (C-269-90, Rec. p. I-5469). ITP prétend toujours ignorer ce que la Commission entendait en décrivant sa manière d'utiliser ses droits d'auteur comme ne rentrant pas dans l'objet spécifique du droit de propriété intellectuelle.

97. ITP ajoute que le caractère insuffisamment motivé de la décision a été mis en évidence par les nombreux motifs que la Commission a avancés au cours de la procédure devant le Tribunal. Si la Commission pouvait légalement agir de la sorte, l'article 190 du traité serait vidé de sa substance. ITP soutient que le Tribunal a développé sa propre motivation juridique en faisant abstraction de la décision.

98. Conformément à une jurisprudence constante, les décisions de la Commission qui ont pour objet de constater une infraction aux règles de concurrence, d'émettre des injonctions et d'infliger des sanctions pécuniaires doivent être obligatoirement motivées en vertu de l'article 190 du traité, qui exige que la Commission expose les raisons qui l'ont amenée à arrêter une décision, afin de permettre à la Cour et au Tribunal d'exercer leur contrôle et de faire connaître tant aux Etats membres qu'aux ressortissants intéressés les conditions dans lesquelles elle a fait application du traité(voir arrêt du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C-137-92 P, Rec. p. I-2555, point 66).

99. Par ailleurs, il ne saurait être exigé de la Commission qu'elle discute tous les points de fait ou de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative(arrêt du 11 juillet 1989, Belasco e. a. /Commission, 246-86, Rec. p. 2117, point 55).

100. Le Tribunal a relevé notamment, au point 64 de l'arrêt ITP, que, "en ce qui concerne la notion d'abus, la Commission a clairement indiqué, dans la décision, les raisons pour lesquelles elle a constaté qu'en utilisant son droit exclusif de reproduction des grilles comme l'instrument d'une politique contraire aux objectifs visés par l'article 86, la requérante est allée au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection de la substance même du droit d'auteur et a commis un abus au sens de l'article 86". Il a donc estimé que, "contrairement aux allégations de la requérante, la motivation de la décision attaquée permet... aux intéressés de connaître les principaux éléments de fait et de droit à la base des constatations effectuées par la Commission, et donne au Tribunal la possibilité d'exercer son contrôle juridictionnel. Elle remplit de ce fait les conditions liées au respect des droits de la défense, telles qu'elles sont définies de manière constante par la jurisprudence."

101. Les critiques formulées par la requérante ne font pas apparaître que ces appréciations du Tribunal seraient entachées d'une erreur de droit.

102. Il convient d'ajouter que, dans la mesure où ces critiques portent sur l'insuffisance de l'analyse juridique de la situation que la Commission aurait effectuée dans sa décision, elles reprennent en substance les arguments avancés pour contester la qualification du comportement des requérantes comme un abus de position dominante, arguments qui ont déjà été rejetés ci-dessus dans le cadre de l'examen du premier moyen.

103. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 190 du traité doit donc être rejeté.

104. Il convient dès lors de rejeter les pourvois dans leur ensemble.

Sur les dépens

105. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner chacune aux dépens relatifs au pourvoi qu'elles ont introduit. Quant à IPO, qui est intervenue à l'appui des requérantes, il convient, conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission qui résultent de l'intervention d'IPO.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête:

1. Les pourvois sont rejetés.

2. Radio Telefis Eireann (RTE) et Independent Television Publications Ltd (ITP) sont condamnées chacune aux dépens relatifs au pourvoi qu'elles ont introduit.

3. Intellectual Property Owners Inc. (IPO) supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission motivés par son intervention.