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Décisions

TPICE, 6 avril 1995, n° T-147/89

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société métallurgique de Normandie

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kirschner

Juges :

MM. Bellamy, Vesterdorf, Garcia-Valdecasas, Lenaerts

Avocats :

Mes Collin, Milchior.

TPICE n° T-147/89

6 avril 1995

LES FAITS A L'ORIGINE DU RECOURS

1 La présente affaire a pour objet la décision 89-515-CEE de la Commission, du 2 août 1989, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.553 - Treillis soudés, JO L. 260, p. 1, ci-après "Décision"), par laquelle celle-ci a infligé à quatorze producteurs de treillis soudés une amende pour avoir violé l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le produit faisant l'objet de la Décision est le treillis soudé. Il s'agit d'un produit préfabriqué d'armature, constitué de fils d'acier tréfilés à froid, lisses ou crantés, qui sont assemblés par soudage de chaque point de croisement pour former un réseau. Il est utilisé dans presque tous les domaines de la construction en béton armé.

2 A partir de 1980, un certain nombre d'ententes et de pratiques, qui sont à l'origine de la Décision, se seraient développées dans ce secteur sur les marchés allemand, français et du Benelux.

3 Pour le marché allemand, le Bundeskartellamt a autorisé, le 31 mai 1983, la constitution d'un cartel de crise structurelle des producteurs allemands de treillis soudé, qui, après avoir été prorogé une fois, a pris fin en 1988. Le cartel avait comme objet la réduction des capacités et prévoyait également des quotas de livraison et une régulation des prix qui n'ont toutefois été approuvés que pour les deux premières années de son application (points 126 et 127 de la Décision).

4 La Commission française de la concurrence a donné, le 20 juin 1985, un avis relatif à la situation de la concurrence sur le marché des treillis soudés en France, qui a été suivi par une décision n° 85-6DC, du 3 septembre 1985, du Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget français, imposant des amendes à diverses sociétés françaises pour avoir mis en œuvre des actions et des pratiques ayant pour objet et pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et d'entraver le fonctionnement normal du marché durant la période allant de 1982 à 1984. La Société métallurgique de Normandie (ci-après "SMN") s'est vu imposer une amende de 100 000 FF pour avoir participé, pendant le dernier trimestre de l'année 1982, le début de l'année 1983 et pendant la période allant de juin 1983 à septembre 1984, aux comportements constatés dans la Décision.

5 Les 6 et 7 novembre 1985, en application de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), des fonctionnaires de la Commission ont procédé, simultanément et sans avertissement, à des inspections dans les bureaux de sept entreprises et de deux associations : à savoir, Tréfilunion SA, Sotralentz SA, Tréfilarbed Luxembourg-Saarbrücken SARL, Ferriere Nord SpA (Pittini), Baustahlgewebe GmbH (BStG), Thibo Draad- en Bouwstaalprodukten BV (Thibodraad), NV Bekaert, Syndicat national du tréfilage d'acier (STA) et Fachverband Betonstahlmatten eV ; les 4 et 5 décembre 1985, ils ont procédé à d'autres inspections dans les bureaux des entreprises ILRO SpA, G. B. Martinelli, NV Usines Gustave Boël (afdeling Trébos), Tréfileries de Fontaine-l'Evêque (TFE), Frère-Bourgeois Commerciale SA (FBC), Van Merksteijn Staalbouw BV et ZND Bouwstaal BV.

6 Les éléments trouvés dans le cadre de ces vérifications ainsi que les renseignements obtenus en application de l'article 11 du règlement n° 17 ont amené la Commission à conclure que, entre 1980 et 1985, les producteurs concernés avaient violé l'article 85 du traité par une série d'accords ou de pratiques concertées sur les quotas de livraison et sur les prix du treillis soudé. La Commission a engagé la procédure prévue par l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 et, le 12 mars 1987, la communication des griefs a été envoyée aux entreprises concernées qui y ont répondu. Une audition de leurs représentants a eu lieu les 23 et 24 novembre 1987.

7 Au terme de cette procédure, la Commission a pris la Décision. Selon celle-ci (point 22), les restrictions de la concurrence consistaient en une série d'accords et/ou de pratiques concertées ayant pour objet la fixation de prix et/ou de quotas de livraison ainsi que la répartition des marchés du treillis soudé. Ces ententes avaient, selon la Décision, trait à différents marchés partiels (les marchés français, allemand ou celui du Benelux), mais affectaient le commerce entre Etats membres puisqu'y participaient des entreprises établies dans plusieurs Etats membres. Selon la Décision : "Il s'agit moins en l'espèce d'une entente globale entre tous les producteurs de tous les Etats membres concernés que d'un ensemble d'ententes différentes entre des participants parfois différents eux aussi. Toutefois en réglementant les différents marchés partiels, cet ensemble d'ententes a eu pour effet de réglementer dans une large mesure une partie substantielle du Marché commun".

8 La Décision comporte le dispositif suivant :

"Article premier

Les entreprises Tréfilunion SA, Société métallurgique de Normandie (SMN), CCG (TECNOR), Société de treillis et panneaux soudés (STPS), Sotralentz SA, Tréfilarbed SA ou Tréfilarbed Luxembourg-Saarbrücken SARL, Tréfileries de Fontaine-l'Evêque, Frère-Bourgeois Commerciale SA (maintenant Steelinter SA), NV Usines Gustave Boël, afdeling Trébos, Thibo Draad- en Bouwstaalprodukten BV (maintenant Thibo Bouwstaal BV), Van Merksteijn Staalbouw BV, ZND Bouwstaal BV, Baustahlgewebe GmbH, ILRO SpA, Ferriere Nord SpA (Pittini) et G. B. Martinelli fu G. B. Metallurgica SpA ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE en participant, entre le 27 mai 1980 et le 5 novembre 1985, dans un ou plusieurs cas, à un ou plusieurs accords et/ou pratiques concertées (ententes) qui consistaient à fixer des prix de vente, à restreindre les ventes, à se répartir les marchés et à prendre des mesures visant à appliquer ces ententes et à contrôler cette application.

Article 2

Dans la mesure où elles continuent à exercer une activité dans le secteur des treillis soudés dans la Communauté, les entreprises citées à l'article 1er sont tenues de mettre fin immédiatement aux infractions constatées (si elles ne l'ont pas encore fait) et de s'abstenir à l'avenir, en ce qui concerne cette activité, de tous accords et/ou pratiques concertées ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises citées ci-après pour les infractions constatées à l'article 1er :

1) Tréfilunion SA (TU) : une amende de 1 375 000 écus ;

2) Société métallurgique de Normandie (SMN) : une amende de 50 000 écus ;

3) Société des treillis et panneaux soudés (STPS) : une amende de 150 000 écus ;

4) Sotralentz SA : une amende de 228 000 écus ;

5) Tréfilarbed Luxembourg-Saarbrücken SARL : une amende de 1 143 000 écus ;

6) Steelinter SA : une amende de 315 000 écus ;

7) NV Usines Gustave Boël, afdeling Trébos : une amende de 550 000 écus ;

8) Thibo Bouwstaal BV : une amende de 420 000 écus ;

9) Van Merksteijn Staalbouw BV : une amende de 375 000 écus ;

10) ZND Bouwstaal BV : une amende de 42 000 écus ;

11) Baustahlgewebe GmbH (BStG) : une amende de 4 500 000 écus ;

12) ILRO SpA : une amende de 13 000 écus ;

13) Ferriere Nord SpA (Pittini) : une amende de 320 000 écus ;

14) G. B. Martinelli fu G. B. Metallurgica SpA : une amende de 20 000 écus.

9 Selon la Décision (point 12 et 195), SMN est une filiale à 100 % de Sacilor (actuellement via Unimétal). Son activité principale est la fabrication de produits longs (fil machine et barres). En 1984, elle détenait environ 3 % du marché français du treillis soudé. Actuellement, SMN ne fabrique plus ce produit. SMN a cessé ses activités dans le domaine des treillis soudés à la fin du premier trimestre de 1984, mais elle subsiste en tant qu'entreprise et elle est donc tenue pour responsable des agissements antérieurs à cette date. Les producteurs français de treillis soudés se répartissaient, à l'époque, en deux catégories. La première catégorie regroupait les producteurs dits "intégrés", qui incluaient les filiales des anciens groupes sidérurgiques nationalisés, Sacilor et Usinor. Parmi eux, Tréfilunion et SMN étaient des filiales à 100 % de l'ancien groupe Sacilor, tandis que Chiers-Châtillon-Gorcy (CCG) et la Société des treillis et panneaux soudés (STPS) étaient des filiales, respectivement, à 98 % et à 99,99 %, de l'ancien groupe Usinor. La seconde catégorie était celle des producteurs dits "non intégrés" ou "indépendants", à savoir Fabrique de fer de Maubeuge, Tecta, Gantois, Sotralentz et Tréfileries du Sud-Est.

LA PROCEDURE

10 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 23 octobre 1989, la requérante a introduit le présent recours, visant à l'annulation de la Décision. Dix des treize autres destinataires de cette Décision ont également introduit un recours.

11 Par ordonnances du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé cette affaire ainsi que les dix autres devant le Tribunal, en application de l'article 14 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L. 319, p. 1). Ces recours ont été enregistrés sous les numéros T-141-89 à T-145-89 et T-147-89 à T-152-89.

12 Par ordonnance du 13 octobre 1992, le Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure.

13 Par lettres déposées au greffe du Tribunal entre le 22 avril et le 7 mai 1993, les parties ont répondu aux questions qui leur avaient été posées par le Tribunal.

14 Au vu des réponses fournies à ces questions et sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

15 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 14 au 18 juin 1993.

CONCLUSIONS DES PARTIES

16 La requérante a conclu à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la Décision en ce qui la concerne ;

- subsidiairement, supprimer l'amende infligée par cette décision ;

- très subsidiairement, la réduire ;

- condamner la Commission à tous les dépens.

17 La défenderesse a conclu à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner la requérante aux entiers dépens de l'instance.

SUR LE FOND

18 La requérante invoque, en substance, trois moyens à l'appui de son recours. Le premier est tiré de la violation des règles de procédure ; le deuxième est tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité et le troisième est pris de la violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

Sur le moyen tiré de la violation des règles de procédure

I - Sur l'absence de traduction des annexes

19 La requérante fait valoir que la communication des griefs comportait en annexe des pièces figurant dans leur langue originale, dont certains extraits ont été traduits tant dans la communication des griefs que dans la Décision. Toutefois, elle considère que le fait de ne pas lui avoir fourni une traduction complète de ces annexes constitue une violation du règlement n° 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (JO 1958, 17, p. 385, ci-après "règlement n° 1"), et notamment de son article 3, qui dispose que les "textes adressés par les institutions à un Etat membre ou à une personne relevant de la juridiction d'un Etat membre sont rédigés dans la langue de cet Etat", ainsi qu'une violation des droits de la défense, qui, selon la jurisprudence "Hoechst" (arrêt de la Cour du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46-87 et 227-88, Rec. p. 2859, point 16), concernent "les procédures contradictoires qui font suite à une communication des griefs".

20 La Commission rétorque que, si la Décision et la communication des griefs constituent des pièces de procédure et entrent donc dans la notion de "textes" au sens du règlement n° 1, les annexes ne sont que des pièces à conviction qu'elle a saisies et sur lesquelles elle s'appuie. Ces annexes devraient donc être mises telles quelles à la disposition des intéressés, c'est-à-dire dans la langue d'origine, ceux-ci pouvant ensuite contester - ou non - l'interprétation qui leur a été donnée. Elle souligne que, en tout état de cause, seules la communication des griefs et la Décision contiennent sa position, telle qu'elle est opposée à leur destinataire.

21 Le Tribunal considère que, comme l'a souligné la Commission à juste titre, tant la Décision que la communication des griefs sont des pièces de procédure prévues en tant que telles aux articles 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et 2, paragraphe 1, du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268), qui définissent la position de la Commission vis-à-vis de leur destinataire. Dès lors, elles doivent être considérées comme des "textes" au sens de l'article 3 du règlement n° 1 et, en conséquence, doivent être adressées à leur destinataire dans la langue de procédure. En revanche, les annexes à la communication des griefs qui n'émanent pas de la Commission doivent être considérées comme des pièces à conviction sur lesquelles la Commission s'appuie et, partant, doivent être portées à la connaissance du destinataire telles qu'elles sont, de façon à ce que le destinataire puisse connaître l'interprétation que la Commission en a faite et sur laquelle elle a basé tant sa communication des griefs que sa Décision. De plus, dans le cas d'espèce, il y a lieu de relever que, comme l'a admis la requérante, tant dans le corps même de la Décision que dans la communication des griefs, figurent en français des extraits pertinents des annexes. Le Tribunal estime que cette présentation a permis à la requérante de savoir avec précision sur quels faits et sur quel raisonnement juridique la Commission s'était fondée et, partant, de défendre utilement ses droits.

22 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

II - Sur la non-communication de certains documents

23 La requérante soutient que la Commission a également violé les droits de la défense parce que ni le télex du 14 juillet 1983, envoyé par Martinelli à Italmet, l'agent en France de Ferriere Nord et de Martinelli [annexe (ann.) 34 à la communication des griefs (c.g), point 57 de la Décision], ni le télex du 3 novembre 1983 de M. Duroux, représentant de Tréfilunion, à M. François, représentant d'Italmet (ann. 35 c.g., point 58 de la Décision) ne lui ont été communiqués, alors que ces documents ont été utilisés par la Commission pour invoquer l'existence d'un accord franco-italien sur la période 1983-1984. Elle ajoute que ses avocats ont pu consulter le dossier auprès des services de la Commission mais qu'il ne leur a pas été possible de consulter l'ensemble des documents détenus par la Commission et, en particulier, ceux que cette dernière considérait comme ne concernant pas les sociétés françaises et les syndicats français qu'ils représentaient. Ainsi, il ne leur aurait pas été possible de prendre connaissance des deux documents susmentionnés.

24 La Commission estime qu'aucune de ces deux annexes à la communication des griefs n'est une preuve indispensable de l'existence des ententes de 1983-1984 et de la participation de la requérante à ces ententes.

25 Le Tribunal constate que les documents mentionnés par la requérante ne lui ont pas été communiqués lors de l'envoi de la communication des griefs. Il en découle que la requérante a pu, à juste titre, estimer qu'ils n'avaient pas d'importance aux fins de l'affaire. Il s'ensuit que ces documents ne peuvent être considérés comme des moyens de preuve valables en ce qui la concerne (arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO Chemie/Commission, C-62-86, Rec. p. I-3359, point 21, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, DSM/Commission, T-8-89, Rec. p. II-1833, point 37). Nonobstant, la question de savoir si ces documents constituent un support indispensable des constatations de fait que la Commission a opérées à l'encontre de la requérante dans la Décision aux fins de l'établissement de l'infraction relève de l'examen par le Tribunal du bien-fondé de ces constatations (arrêt DSM/Commission, précité, point 40).

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité

I - Sur le marché en cause

Arguments des parties

26 La requérante considère que la Commission commet une erreur en présentant le treillis soudé comme un produit similaire dans tous les Etats membres et donc substituable quel que soit son pays d'origine. La requérante fait observer qu'elle fabriquait en France des produits selon une gamme établie par l'Association technique pour le développement de l'emploi du treillis soudé (ci-après "ADETS"), gamme qui correspondait aux produits homologués par le Ministère de l'Industrie français. La requérante explique que la gamme de produits allemands était semblable à la gamme de produits belges et néerlandais, mais très différente de la gamme de produits français, notamment en poids et, par conséquent, qu'il fallait un nombre de m² par tonne de produit et un nombre de points à souder plus important en France, ce qui entraînait des coûts plus élevés dans le premier pays. Ces différences techniques seraient à l'origine de différences de prix entre les deux marchés et, en n'en tenant pas compte, la Commission n'aurait pas analysé correctement le marché en cause.

27 En outre, la requérante fait valoir que le treillis soudé n'est pas un produit directement interchangeable entre les pays, du fait de l'existence de différentes normes et de la nécessité d'obtenir des autorisations, agréments ou homologations pour exporter, ce qui serait contraire à la situation décrite au point 5 de la Décision, où il est indiqué que le commerce intra-communautaire est particulièrement intense dans les régions transfrontalières. Néanmoins, elle reconnaît qu'une telle homologation n'était nécessaire ni pour l'importation ni pour la vente en France des produits en cause, mais uniquement pour leur utilisation dans les marchés publics. La requérante conclut qu'il n'existe pas un marché communautaire de treillis soudés, mais un marché de produits français, un marché de produits allemands, un marché de produits italiens et un marché de produits du Benelux.

28 La Commission estime que, face aux preuves concluantes de l'existence des accords, les considérations de la requérante sur l'interchangeabilité ou non des produits ne permettent pas de mettre en doute la légalité de la Décision. La Commission nie que l'existence de différentes normes techniques dans les différents pays crée de véritables barrières et, se référant à une note de Tréfilunion du 1er décembre 1981 (ann. 5 c.g., point 24 de la Décision), souligne que l'augmentation des prix constatée dans la Décision a été le résultat des ententes elles-mêmes et non des conditions de fabrication des produits en cause. Elle ajoute que, s'il est vrai que l'homologation constitue une entrave aux échanges, il n'en est pas moins certain, d'une part, que c'est Tréfilunion qui a usé de son influence dans l'ADETS pour utiliser cette mesure à l'encontre des producteurs étrangers (voir à cet égard le point 137 de la Décision) et, d'autre part, que l'homologation n'est obligatoire que pour les marchés publics. En tout état de cause, l'exigence d'une homologation devrait conduire les entreprises à ne pas restreindre la concurrence effective qui demeure (arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, points 133 et 134). Enfin, la Commission ajoute que l'existence d'un commerce transfrontalier est une donnée de fait qui apparaît à la lecture de chiffres non contestés par la requérante.

Appréciation du Tribunal

29 Le Tribunal constate, à titre liminaire, que la note de Tréfilunion du 1er décembre 1981 (ann. 5 c.g.) n'a pas été communiquée à la requérante. Néanmoins, il y a lieu de souligner que ce document a été annexé par la requérante à sa requête ; qu'il a été utilisé par la requérante pour sa propre défense dans ses mémoires ; que le même avocat a représenté Tréfilunion, STPS et SMN dans la procédure devant la Commission pendant laquelle il a pris connaissance dudit document ; que l'avocat de la requérante a reconnu, au cours de l'audience, et en réponse à une question du Tribunal, que le document était en sa possession avant d'introduire le recours et qu'il le connaissait et, enfin, que la requérante n'a soulevé aucune objection à l'utilisation de ce document dans ses mémoires. Dans ces circonstances, le Tribunal estime que l'utilisation dudit document ne viole pas les droits de la défense de la requérante.

30 Le Tribunal estime que les considérations avancées par la requérante ne sont pas de nature à infirmer la définition du marché en cause retenue par la Commission dans la Décision. Même s'il existe certaines différences entre les normes applicables, notamment sur le marché français, ce qui pourrait entraîner des différences dans les coûts de production, il y a lieu de relever, en premier lieu, que dans la note du 1er décembre 1981 (ann. 5 c.g., point 24 de la Décision), Tréfilunion elle-même a constaté que "le marché des produits standard en treillis soudé devient un marché européen parce que l'évolution de la réglementation technique tend à uniformiser entre pays les règles de fabrication, de contrôle et d'emploi de ces produits" et que les prix élevés en France en 1981 résultaient d'une situation artificielle car Tréfilunion avait "réussi à endiguer" le flot des pénétrations en faisant accepter un barrage sous forme d'accord entre les producteurs, y compris les étrangers significatifs.

31 En deuxième lieu, il convient de souligner que la requérante admet, dans sa requête, que les différents marchés nationaux peuvent être alimentés par des producteurs communautaires ayant adapté leurs outils de production aux normes en cause et elle reconnaît que l'homologation n'est nécessaire en France que pour les marchés publics.

32 En troisième lieu, il y a lieu de constater que l'importance du commerce de treillis soudés entre les Etats membres est mise en exergue dans le tableau du point 4 de la Décision ainsi que dans les tableaux repris aux points 7, 8, 9 et 10, dont les chiffres ne sont pas contestés par la requérante.

33 Enfin, de nombreux documents invoqués par la Commission attestent du souci de la requérante de limiter les importations en provenance des autres Etats membres, ce qui démontre que les affirmations de la requérante manquent en fait.

34 Au vu de ce qui précède, le Tribunal estime que l'analyse du marché faite par la Commission n'est pas erronée et que, par conséquent, le grief de la requérante doit être rejeté.

II - Sur l'établissement des ententes

A - Sur le marché français pour la période 1981-1982

Acte attaqué

35 La Décision (points 23 à 50 et point 159) fait grief à la requérante d'avoir participé, entre avril 1981 et mars 1982, à une première série d'ententes sur le marché français. Ces ententes auraient impliqué, d'une part, les producteurs français (Tréfilunion, STPS, SMN, CCG et Sotralentz) et, d'autre part, les producteurs étrangers opérant sur le marché français (ILRO, Ferriere Nord, Martinelli, Boël/Trébos, TFE, FBC et Tréfilarbed). Elles auraient eu pour objet de définir des prix et des quotas, en vue de limiter les importations des treillis soudés en France.

Arguments des parties

36 La requérante ne conteste pas sa participation aux différentes réunions auxquelles font référence les divers documents mentionnés dans la Décision. Toutefois, en ce qui concerne les quotas, elle soutient que les documents cités par la Commission démontrent en réalité l'inverse de sa thèse. En effet, le tableau figurant à l'annexe 6 à la communication des griefs (point 29 de la Décision) ferait apparaître, pour la période d'avril 1980 à avril 1982, une évolution aléatoire des livraisons des quatre producteurs français intégrés tandis qu'il ressortirait du point 26 de la Décision que, après avoir connu une augmentation de janvier 1981 à juillet-août 1981, les importations sont restées stables au cours des quatre derniers mois de l'année. De telles données, appuyées par différents tableaux que fournit la requérante, concernant les chiffres des livraisons de treillis soudés sur le marché français, réfuteraient la thèse d'une répartition des marchés. En outre, la requérante fait valoir que l'annexe 6, susvisée, ne concerne que des producteurs français, ce qui empêche qu'elle soit considérée comme preuve d'une entente avec des producteurs étrangers.

37 En ce qui concerne les prix, la requérante soutient qu'un accord n'est pas prouvé. Elle fait valoir qu'une augmentation de prix était nécessaire pour reconstituer des marges positives, ainsi qu'il ressort de la note de Tréfilunion du 1er décembre 1981 (ann. 5 c.g., points 24, 27 et 28 de la Décision), et fait observer qu'il n'était pas étonnant que d'autres sociétés aient pu suivre Tréfilunion, puisque celle-ci était la société la plus importante sur le marché français, que ses barèmes de prix étaient régulièrement publiés dans le journal Le moniteur des travaux publics et que les rabais étaient calculés à partir desdits barèmes. Au surplus, la requérante fait observer que le télex du 9 mars 1982 d'Italmet à Ferriere Nord (ann. 18 c.g., point 41 de la Décision) indique que, pour appliquer un rabais temporaire de 325 FF, il n'était pas nécessaire de "demander la permission de leurs partenaires italiens, belges et allemands".

38 La requérante estime que la Décision est entachée d'une insuffisance de motivation en ce qu'elle ne permet pas de savoir si la Commission a considéré que les faits litigieux avaient pris fin en avril ou en juin 1982. Elle relève que, si le point 23 mentionne comme durée la période d'avril 1981 à mars 1982, aux points 42 à 45, la Décision fait état de discussions sur la prorogation des prétendus accords, tandis que, au point 159, elle ne vise que les ententes datant de 1981-1982. La requérante fait observer que ce n'est qu'après l'introduction de son recours que la Commission a précisé que la période d'infraction retenue s'était achevée en mars 1982 et souligne que le Tribunal doit prendre ce fait en considération pour réduire l'amende au cas où il n'annulerait pas la Décision.

39 La Commission fait valoir, en ce qui concerne les quotas, qu'elle ne s'est pas seulement basée sur le tableau figurant à l'annexe 6 à la communication des griefs (point 29 de la Décision), qui lui a d'ailleurs permis de connaître les quotas alloués aux producteurs français, mais également sur la note de Tréfilunion du 1er décembre 1981 (ann. 5 c.g., points 24, 27 et 28 de la Décision) et sur le compte rendu de la réunion du comité exécutif de Tréfilunion du 2 mars 1982 (ann. 7 c.g., point 29 de la Décision), documents qui lui ont permis d'interpréter ledit tableau et qui prouvent, de manière incontestable, l'existence d'une entente sur les quotas.

40 En ce qui concerne les prix, la Commission fait observer qu'ils étaient fixés par les rabais qui faisaient l'objet de négociations dans le cadre de l'entente, ainsi qu'il ressort du mémorandum de M. Marie, directeur de Tréfilunion, du 9 avril 1981 (ann. 12 et 12 A c.g., point 34 de la Décision ; voir aussi ann. 21, 22 et 23 c.g., points 41 et 43 de la Décision). S'agissant du point 41 de la Décision, la Commission considère qu'il démontre tout à fait le contraire de ce que prétend la requérante ; en effet, elle se demande pourquoi il serait nécessaire de préciser au cours d'une réunion que les producteurs français "n'étaient pas tenus de demander la permission de leurs partenaires" si les entreprises prenaient librement leurs décisions sans se concerter.

41 En ce qui concerne la durée de l'infraction, la Commission relève que la Décision, à deux reprises (points 23 et 29), précise que le premier ensemble d'ententes de 1981-1982 a duré d'avril 1981 à mars 1982. Elle ajoute que, même si l'infraction semble avoir continué après cette date, elle n'a retenu que cette période et qu'il va de soi que l'amende ne concerne pas la période postérieure au 31 mars 1982.

Appréciation du Tribunal

42 A titre liminaire, le Tribunal constate que la requérante se base sur les chiffres contenus dans des tableaux qu'elle a fournis sans contester une partie des preuves apportées à son encontre par la Commission.

43 Le Tribunal estime que l'ensemble des documents avancés par la Commission permet d'établir que la requérante a participé aux ententes sur le marché français pendant la période 1981-1982. En effet, il ressort de deux télex du 17 mars 1981 et du 9 avril 1981 (ann. 9 et 11 c.g., points 32 et 33 de la Décision) ainsi que du mémorandum de M. Marie du 9 avril 1981 (ann. 12 c.g., point 34 de la Décision) que Tréfilunion, entreprise chef de file du groupe Sacilor, société mère de la requérante, a participé à une réunion tenue à Paris le 1er avril 1981 avec des producteurs italiens et belges, au cours de laquelle ont été accordés avec les producteurs italiens les quotas, les prix catalogue, les rabais, les primes de pénétration ainsi qu'un échange d'informations en ce qui concernait le marché français des treillis soudés.

44 En outre, il y a lieu de rappeler les termes de la note interne datée du 1er décembre 1981 (ann. 5 c.g., points 24, 27 et 28 de la Décision) de Tréfilunion, qui indique notamment que "Tréfilunion a réussi à endiguer le flot des pénétrations en élaborant et faisant accepter un barrage sous forme d'accords entre les producteurs, y compris les étrangers significatifs. Il s'ensuit une situation à caractère artificiel, dans laquelle les prix sont devenus relativement élevés sur notre marché en 1981 et les tonnages des pénétrants sensiblement maintenus à leur niveau de 1980". La même note ajoute que "le maintien salutaire de l'accord sur les prix signifie, pour les producteurs français, au minimum une autolimitation de leurs tonnages sur leur marché, au niveau actuel". La note contient aussi le passage suivant : "Dans les discussions entre producteurs de différents pays et portant sur des parts de marché à concéder, l'argumentation des pénétrants profitant de positions acquises est évidemment très forte. L'exemple offert en France dans le cadre de la récente entente démontre l'intérêt de ces prises de position préalables."

45 Ces preuves documentaires très claires sont corroborées par une note de Ferriere Nord, relative à une réunion du 18 février 1982 à Paris (ann. 16 c.g., point 38 de la Décision), faisant état de ce que M. Marie, à cette occasion, avait souligné que "l'accord conclu au début de 1981 a donné les résultats espérés tant au niveau de la quantité qu'à celui des prix".

46 Enfin, le Tribunal relève que, comme l'a souligné la Commission à juste titre, la Décision (points 23 et 29) a précisé que l'accord a duré du mois d'avril 1981 jusqu'au mois de mars 1982. Par conséquent, la requérante ne saurait se plaindre du fait que la durée de sa participation n'a pas été précisée dans la Décision.

47 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a établi, à suffisance de droit, la participation de la requérante aux ententes qui avaient pour objet de définir des prix et des quotas sur le marché français pendant la période d'avril 1981 à mars 1982.

48 Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté.

B - Sur le marché français pour la période 1983-1984

Acte attaqué

49 La Décision (points 51 à 76 et 160) fait grief à la requérante d'avoir participé à une seconde série d'ententes impliquant, d'une part, les producteurs français (Tréfilunion, STPS, SMN, CCG et Sotralentz) et, d'autre part, les producteurs étrangers opérant sur le marché français (ILRO, Ferriere Nord, Martinelli, Boël/Trébos, TFE/FBC - commercialisant la production de TFE - et Tréfilarbed). Ces ententes auraient eu pour objet de définir des prix et des quotas, en vue de limiter les importations de treillis soudés en France. Cette série d'ententes aurait été mise en œuvre entre le début de l'année 1983 et la fin de l'année 1984 et aurait été formalisée par l'adoption, en octobre 1983, d'un "protocole d'accord" conclu pour la période du 1er juillet 1983 au 31 décembre 1984. Ce protocole regrouperait les résultats des différentes négociations entres les producteurs français, italiens, belges et l'Arbed concernant les quotas et les prix à appliquer sur le marché français. Il fixerait les quotas des producteurs français intégrés à 60,50 %, dont 40,50 % pour le groupe Sacilor (Tréfilunion + SMN), 20 % pour le groupe Usinor (CCG + STPS), ceux des producteurs français non intégrés à 18 % et ceux de la Belgique, de l'Italie et de l'Allemagne à 13,95 % de la consommation sur le marché français "dans le cadre d'une convention établie entre ces producteurs et la profession française".

Arguments des parties

50 La requérante ne nie pas les contacts que la Commission a relevés aux points 52 et 53 de la Décision (ann. 27 et 28 c.g.) entre elle et les producteurs italiens lors de la période dite de "préparation du terrain" et, en particulier, dans le cadre de la réunion du 23 février 1983, mais elle rejette la thèse selon laquelle ces contacts auraient abouti à la conclusion d'un accord relatif à une répartition de 39 % du marché français entre les producteurs français non intégrés, les producteurs belges, italiens et allemands.

51 En ce qui concerne les contacts avec Tréfilarbed, exposés aux points 55 de la Décision, qui auraient abouti à un accord sur le quota de Tréfilarbed, la requérante fait observer que cet accord avait pour objet, selon la Décision, de permettre une amélioration rapide des prix, ce que la Commission prétendrait démontrer par les faits rappelés au point 56. La requérante estime que la Commission ne fournit aucun document à l'appui de ces données et qu'il y a donc une absence totale de preuves sur ce point.

52 Quant au protocole d'accord d'octobre 1983, la requérante relève que ce texte n'a pas été signé et que, si l'accord a existé, il n'a jamais eu d'effets ni sur les parts de marché ni sur les prix. Elle ajoute que, selon l'avis de la Commission française de la concurrence, les producteurs étrangers avaient refusé de s'associer à cette entente et que la Commission n'a pas tenu compte de cette constatation, sans préciser quels seraient les éléments de fait nouveaux qui lui auraient permis de conclure à la participation d'entreprises non françaises à cette entente.

53 En ce qui concerne les quotas, la requérante nie l'existence d'un accord du fait de l'évolution erratique de la part de marché des producteurs français, qui ressort, selon elle, tant des données figurant dans le rapport Jenny, établi par la Commission française de la concurrence, que de la note établie le 10 août 1984 en vue de la préparation du budget de Tréfilunion pour 1985 et 1986 (ann. 39 c.g., point 62 de la Décision).

54 En ce qui concerne les prix, la requérante soutient que la Commission n'a pas prouvé l'existence d'un accord ayant eu pour effet d'aboutir à une concertation à leur sujet et que les soi-disant directives en matière de prix n'ont pas été respectées par les parties à la prétendue entente. En outre, la requérante fait valoir que la Commission ne peut renvoyer aux documents cités aux points 57 et 58 de la Décision pour prouver l'existence d'une entente sur les prix. S'agissant du point 57, elle fait observer qu'un accord sur les prix conclu en octobre 1983 ne peut avoir été déjà appliqué de façon rétroactive en juillet ; s'agissant du point 58, elle souligne que l'annexe 35 à la communication des griefs ne lui a pas été communiquée.

55 La Commission fait observer, en ce qui concerne la période de préparation du terrain, qu'il est indéniable que les producteurs français intégrés et les producteurs italiens sont parvenus à un accord sur leurs parts de marché respectives au cours de la réunion du 23 février 1983 (ann. 27 à 29 c.g., points 53 et 54 de la Décision) et que cela ne constitue que la première étape d'un accord global, avec d'autres participants.

56 Quant à l'accord avec Tréfilarbed, la Commission fait observer que, contrairement à ce qu'affirme la requérante, ce n'est pas dans les faits rappelés au point 56 qu'elle a vu la preuve du ralliement de Tréfilarbed à l'accord, mais dans l'échange de correspondance entre Sacilor et Tréfilunion, d'une part, et l'Arbed, d'autre part (ann. 30 à 33 c.g.).

57 Quant au protocole d'accord, la Commission relève qu'il a été trouvé chez Tréfilunion et Tréfilarbed et qu'il a été signé par ce dernier. Cependant, même non signé, il ne perdrait pas sa force probante. A cet égard, elle fait valoir que les parts de marché par entreprise qu'indique le protocole sont exactement celles qui ont été décidées lors de la réunion franco-italienne du 23 février 1983 et entérinées par des échanges de télex avec Tréfilarbed en juin 1983 et que le protocole se réfère à cette "convention" préalablement établie [point 61, sous ii), de la Décision]. En ce qui concerne l'avis de la Commission française de la concurrence, la Commission estime qu'elle n'est en rien liée par ses conclusions, surtout s'agissant d'entreprises non françaises et elle rappelle qu'elle a obtenu des preuves supplémentaires qui n'étaient pas en possession des autorités françaises.

58 En ce qui concerne les quotas et les prix, la Commission fait valoir que les nombreuses preuves documentaires auxquelles elle s'est référée prouvent que les ententes ont fonctionné conformément aux modalités prévues par le protocole, que les directives de prix ont été appliquées et qu'une hausse des prix est intervenue grâce à l'accord sur les quotas.

Appréciation du Tribunal

59 Le Tribunal considère que l'ensemble des documents avancés par la Commission - sans qu'il soit besoin d'utiliser des documents non communiqués à la requérante et notamment les annexes 34 et 35 à la communication des griefs - est suffisamment révélateur de l'existence des accords litigieux, de la participation de la requérante ainsi que de la mise en œuvre du contenu des accords. Face à ces preuves, les affirmations de la requérante ne sauraient être considérées comme fondées.

60 Quant à la période dite de "préparation du terrain", le Tribunal estime qu'il résulte des documents fournis par la Commission sur la réunion du 23 février 1983 entre les producteurs intégrés français avec ILRO, Martinelli et Ferriere Nord (ann. 27 à 29 c.g., points 53 et 54 de la Décision) que les deux parties sont arrivées à un accord sur la répartition du marché français. En effet, au cours de cette réunion, il a été convenu que 61 % du marché français seraient pour les producteurs français intégrés et que les 39 % restants se répartiraient comme suit : 19 % pour les producteurs français non intégrés, 3 % pour les producteurs belges, 7 % pour les allemands et 10 % pour les italiens, soit environ 23 000 tonnes par an. Il est évident que, à l'époque, il n'existait pas d'accord de la part des producteurs belges, allemands et des producteurs français non intégrés puisqu'ils n'étaient pas présents lors de la réunion au cours de laquelle les accords ont été adoptés, mais cette circonstance n'infirme pas l'existence d'un accord entre les producteurs français intégrés et les producteurs italiens. En même temps, ceux-ci se sont mis d'accord sur "une remontée" des prix à partir d'avril 1983. En ce qui concerne l'accord avec Tréfilarbed, il suffit de constater que la requérante ne conteste pas les nombreux documents (ann. 30 à 33 c.g.) qui attestent de l'existence de contacts entre les producteurs français et Tréfilarbed et de la conclusion d'un accord attribuant à Tréfilarbed un quota de 7,55 % sur le marché français.

61 Quant au protocole d'accord, il y a lieu de relever l'existence de différentes statistiques (ann. 42 et 43 c.g., points 64 et 65 de la Décision), indiquant mensuellement, pour chacun des membres de l'accord, leurs chiffres de ventes sur le marché français et leurs parts de marché. Ces tableaux contiennent des chiffres qui correspondent exactement au contenu du protocole d'accord. A ces éléments, il convient d'ajouter le fait que les chiffres de vente de la requérante figurent sous la rubrique "total contractants" et qu'ils sont comparés, en termes absolus et en termes de part de marché, avec des chiffres figurant dans la colonne intitulée "références".

62 Ces éléments sont corroborés par le fait qu'il ressort d'un télex du 13 avril 1984 que les producteurs français ont convié, par la voie de M. Marie, les producteurs étrangers à une réunion pour le 15 mai 1984, dont l'objet était "d'établir un bilan de notre coopération, faire un tour d'horizon du marché européen et construire, à partir du constat de celui-ci, un calendrier des hausses dont les valeurs restent à établir et l'interpénétration des marchés" (ann. 47 c.g., point 67 de la Décision).

63 S'agissant de l'avis de la Commission française de la concurrence, le Tribunal ne saurait retenir l'argument de la requérante. En premier lieu, comme l'a souligné la Commission à juste titre, elle pouvait arriver à ses propres conclusions, en fonction des preuves dont elle disposait, qui n'étaient pas nécessairement les mêmes que celles dont disposait la Commission française de la concurrence ; en second lieu, la Commission ne saurait être liée par les conclusions des autorités nationales.

64 Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi, à suffisance de droit, la participation de la requérante aux ententes sur le marché français pendant la période 1983-1984, ententes qui avaient pour objet de définir des prix et des quotas en vue de limiter les importations de treillis soudés en France.

65 Il y a donc lieu de rejeter le grief de la requérante.

C - Sur l'échange d'informations reproché au point 161 de la Décision

Acte attaqué

66 Selon la Décision (point 161), l'échange indirect d'informations sur les livraisons, pratiqué dans le cadre de l'application des ententes sur le marché français datant de 1983-1984, entre les membres de l'ADETS (y compris l'importateur Tréfilarbed) et dont l'ADETS assurait la coordination, constitue une pratique concertée au sens des principes développés par la Cour dans son arrêt dans l'affaire des entreprises sucrières européennes (arrêt du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, points 173 et 174). D'après la Décision, la communication individuelle à des concurrents de données relatives à des entreprises individuelles au sujet de quantités vendues constitue une restriction et une falsification de la concurrence qui, en l'occurrence, étant donné la participation de Tréfilarbed, était susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres.

Arguments des parties

67 La requérante soutient que la rédaction de la Décision ne lui permet pas de savoir si elle a été condamnée pour avoir participé à cet échange indirect d'informations. Elle fait valoir que, si tel est le cas, la Commission a fait une application erronée des principes de l'arrêt Suiker Unie e.a./Commission. En effet, selon cette jurisprudence, seul serait contraire aux règles du traité l'échange d'informations ayant pour objet ou pour effet d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent, c'est-à-dire, concernant le futur. Or, en l'espèce, l'échange indirect d'informations pratiqué entre les membres de l'ADETS concernait le passé et non le futur, ainsi que la Décision l'établit en se référant aux "livraisons individuelles effectuées sur le marché français". En outre, la requérante considère que l'imputation de cette infraction implique qu'elle a été sanctionnée plusieurs fois pour les mêmes faits.

68 La Commission soutient qu'elle n'a pas condamné cet échange en tant que tel, mais qu'il constitue un des éléments de la mise en œuvre des ententes sur le marché français en 1983-84. Il s'agirait d'une preuve supplémentaire de leur existence et, en outre, il en aurait renforcé les effets et assuré la mise en œuvre, concourant ainsi à augmenter la gravité de l'infraction constatée à l'encontre de la requérante. Quant à la jurisprudence Suiker Unie e.a./Commission, la Commission estime que, s'il est vrai que l'échange d'informations concernait les quantités réalisées par chaque entreprise (c'est-à-dire effectivement "le passé"), il n'en est pas moins vrai qu'il avait pour objectif de définir les livraisons à venir de chacun dans le cadre du respect des quotas. La Commission considère que cette distinction entre informations passées et informations futures est artificielle et sans pertinence. Enfin, la Commission fait observer qu'il n'y a aucun cumul de sanctions puisqu'elle n'a pas condamné à la fois puis séparément l'échange d'informations, d'une part, et les ententes sur les quotas et les prix, d'autre part, mais retenu que ces ententes comportaient, entre autres dispositions, un système d'échange d'informations.

69 La requérante, dans sa réplique, fait observer que la Commission, dans son mémoire en défense, a exposé que l'échange d'informations reproché au point 161 de la Décision n'a pas été condamné en tant que tel, mais simplement en ce qu'il constituait "un des éléments de la mise en œuvre de l'entente sur le marché français de 1983-1984". Selon la requérante, le Tribunal devrait constater que la rédaction du point 161 indique qu'il s'agissait non d'un élément constituant une circonstance aggravante mais d'une pratique concertée, ce qui semble constituer une infraction distincte et devrait, de ce fait, annuler cette partie de la Décision dont la Commission ne saurait modifier la motivation.

70 La Commission rétorque qu'elle n'a procédé à aucun changement de motivation au stade du mémoire en défense, que ses explications n'ont constitué qu'une clarification et que le point 161 de la Décision est clair à cet égard puisqu'il indique que l'échange d'informations a été pratiqué dans le cadre de l'application des accords dénoncés.

Appréciation du Tribunal

71 Le Tribunal estime que l'interprétation du point 161 de la Décision n'amène pas à considérer que ledit point impute à la requérante l'échange indirect d'informations comme une infraction distincte à sa participation aux ententes de quotas et de prix mises en œuvre sur le marché français pendant la période 1983-1984, telle que cette participation a été constatée au point 160 de la Décision.

72 En premier lieu, il convient de relever que c'est à juste titre que le point 161 qualifie l'échange d'informations de pratique concertée au sens des principes développés par la Cour dans l'arrêt Suiker Unie e.a./Commission. A cet égard, le Tribunal constate en effet que, comme la Commission l'a souligné,l'échange d'informations ne concernait pas seulement les livraisons déjà effectuées, mais avait pour objectif de permettre un contrôle permanent des livraisons en cours dans le but d'assurer une efficacité adéquate de l'accord, ainsi qu'il ressort de l'annexe I du protocole d'accord, selon laquelle, "pour assurer un fonctionnement aussi satisfaisant que possible de l'accord, il est nécessaire que soient fournis... les renseignements statistiques qui lui sont indispensables : déclarations décadaires... des commandes livrées et de celles enregistrées" et selon laquelle "ces déclarations permettront au secrétariat de tenir le planning de la profession en cumul". Conformément aux principes énoncés dans l'arrêt Suiker Unie e.a./Commission, un tel échange d'informations constitue clairement une pratique concertée ayant pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.

73 En second lieu, le Tribunal estime que le fait que l'échange d'informations constitue une pratique concertée et qu'il soit qualifié comme tel au point 161 ne signifie pas, comme le prétend à tort la requérante, que la Décision doive être interprétée dans le sens qu'il s'agirait d'une infraction distincte de celle mentionnée au point 160. En effet, le point 161 précise que l'échange indirect d'informations en cause a été pratiqué entre les membres de l'ADETS dans le cadre de l'application de l'accord visé au point 160 et cette précision doit être interprétée comme s'intégrant dans l'exposé des circonstances dans lesquelles l'échange d'informations a eu lieu et non en ce sens que l'échange d'informations n'aurait pas fait partie de l'accord en question.

74 Il y a donc lieu de rejeter le grief de la requérante.

III - Sur l'absence de caractère sensible de la restriction de la concurrence et d'affectation du commerce entre Etats membres

Arguments des parties

75 La requérante conteste l'affirmation faite au point 159 de la Décision, selon laquelle les ententes mises en œuvre pendant la période 1981-1982 avaient "affecté sensiblement le commerce entre Etats membres étant donné qu'(elles concernaient) directement la régulation des flux des produits transfrontaliers". Selon la requérante, l'absence d'interchangeabilité ou de substituabilité des produits en cause entre les pays, du fait, notamment, de la nécessité d'obtenir en France une homologation, en fonction d'une gamme établie par l'ADETS, gamme qui était différente des gammes établies pour les produits allemands, belges et néerlandais, et qui conduisait à une augmentation des coûts de fabrication des produits français, rend impossible le fait qu'il y ait eu une affectation du commerce intra-communautaire. Or, en l'absence d'une telle affectation, l'article 85, paragraphe 1, ne pourrait s'appliquer.

76 Subsidiairement, la requérante fait valoir que la Commission n'a pas prouvé l'existence d'accords de quotas et encore moins que ceux-ci ont eu pour effet de contingenter des importations en France, lesquelles ont, au contraire, augmenté. Quant aux accords sur les prix, la requérante affirme que Tréfilunion détenait une position de leader, que ses prix étaient publiés et qu'elle s'alignait sur eux. Elle souligne que la Commission a rappelé dans sa décision 84-405-CEE, du 6 août 1984, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-30.350 - Zinc Producer Group, JO L. 220, p. 27, ci-après "décision "zinc"), qu'une telle situation n'enlève pas aux entreprises la possibilité de déterminer de manière indépendante la politique qu'elles ont l'intention d'adopter dans le Marché commun. Elle rappelle que la Commission a ainsi indiqué à cette occasion que, "en pareilles circonstances, un comportement de prix parallèles dans un oligopole qui produit des biens homogènes ne fournira pas en lui-même une preuve suffisante d'une pratique concertée". La requérante estime que tel est exactement le cas du treillis soudé. En tout état de cause, à son avis, un comportement de prix parallèles sur le marché ne pourrait même pas constituer une infraction.

77 La Commission estime que, face aux preuves concluantes de l'existence des accords, les considérations de la requérante sur l'interchangeabilité ou non des produits ne peuvent pas mettre en doute la légalité de la Décision (voir, ci-dessus, point 28). La Commission nie que l'existence de différentes normes techniques dans les différents pays crée de véritables barrières et, se référant à la note de Tréfilunion du 1er décembre 1981 (ann. 5 c.g.), souligne que l'augmentation des prix constatée dans la Décision a été le résultat des ententes elles-mêmes et non des conditions de fabrication des produits en cause.

78 La Commission ne conteste pas que le treillis soudé est un produit homogène (du moins à l'intérieur de chaque catégorie) et que les producteurs sont en situation d'oligopole, comme dans le contexte de la décision "zinc" précitée, mais estime que cela ne suffit pas pour conclure à l'absence d'entente dans le cas présent. En l'espèce, en effet, les preuves dont elle dispose ne se limiteraient pas aux comportements qu'elle a constatés en matière de prix, mais incluraient aussi des documents qui démontrent l'existence d'une entente. Elle rappelle que, selon la même décision "zinc", "une preuve suffisante peut-être obtenue à partir d'une fixation de prix parallèle combinée à d'autres indices tels que des contacts entre entreprises sur les changements de prix souhaitables, préalablement à ceux-ci, ou un échange d'informations renforçant les contacts de ce type". Elle rappelle également que, si un "comportement parallèle" ne constitue pas une infraction, il est néanmoins l'indice d'une entente. La pratique concertée serait l'infraction et sa preuve serait le comportement parallèle. Le fait que Tréfilunion ait eu une position de leader n'expliquerait pas le parallélisme des prix, puisque les prix pratiqués comportaient des rabais par rapport à ces barèmes.

Appréciation du Tribunal

79 A titre liminaire, le Tribunal rappelle que les arguments de la requérante concernant l'analyse prétendument erronée du marché en cause par la Commission ont déjà été rejetés (voir, ci-dessus, points 30 et suivants).

80 L'article 85, paragraphe 1, du traité interdit comme étant incompatibles avec le Marché commun tous accords entre entreprises ou pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction et à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.

81 Il résulte du texte de cette disposition que les seules questions pertinentes sont celles de savoir si les accords auxquels la requérante a participé avec d'autres entreprises avaient pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence et s'ils étaient susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6-89, Rec. p. II-1623, points 216 et 224).

82 Le Tribunal rappelle qu'il résulte de ses appréciations relatives à l'établissement des ententes que la Commission a établi, à suffisance de droit, la participation de la requérante à des ententes sur le marché français pendant la période 1981-1982 qui avaient pour objet de restreindre la concurrence à l'intérieur du Marché commun, notamment par la fixation de prix et de volumes de vente.

83 Le Tribunal rappelle également qu'il est de jurisprudence constante que, pour qu'une décision, un accord ou une entente soit susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, ils doivent, sur la base d'un ensemble d'éléments de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre Etats membres et cela de manière à faire craindre qu'ils puissent entraver la réalisation d'un marché unique entre Etats membres (arrêt Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 170).

84 Il convient d'ailleurs de relever que l'article 85, paragraphe 1, du traité n'exige pas que les restrictions de concurrence constatées aient effectivement affecté sensiblement les échanges entre Etats membres, mais requiert uniquement qu'il soit établi que ces accords sont de nature à avoir un tel effet(arrêt de la Cour du 1er février 1978, Miller/Commission, 19-77, Rec. p. 131, 152).

85 En tout état de cause, il y a lieu de souligner que les restrictions de concurrence constatées étaient susceptibles de détourner les courants commerciaux de l'orientation qu'ils auraient autrement connu puisqu'elles avaient pour objet et ont eu pour effet de contingenter les importations. En effet, le Tribunal constate que, comme il ressort des constatations faites lors de l'établissement des ententes, celles-ci ont consisté dans la mise en œuvre d'un contingentement des importations et dans la fixation de prix sur les différents marchés. En outre, lesdites ententes ont concerné directement la régulation des flux des produits transfrontaliers et des producteurs allemands, belges, italiens, français et néerlandais y ont participé. C'est, dès lors, à juste titre, que la Commission a constaté que les ententes auxquelles a participé la requérante ont été susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres.

86 A titre surabondant, le Tribunal constate que le fait que Tréfilunion détenait une position de leader et que ses prix étaient publiés n'infirme pas les constatations faites lors de l'établissement des ententes, auxquelles la Commission a procédé sur la base de plusieurs documents allant à l'encontre des thèses de la requérante.

87 Le grief de la requérante doit donc être rejeté.

IV - Sur les faits justificatifs

Arguments des parties

88 La requérante estime que la Cour a admis, dans son arrêt du 8 juin 1982, Nungesser et Eisele/Commission (258-78, Rec. p. 2015, ci-après "arrêt semences de maïs"), l'application d'une règle de raison selon laquelle, en dehors des cas d'exemptions prévus par l'article 85, paragraphe 3, du traité, certaines circonstances spécifiques peuvent conduire à laisser inappliqué l'article 85, paragraphe 1, alors même que les clauses litigieuses étaient auparavant considérées comme restrictives de concurrence. Cette jurisprudence serait applicable par analogie au cas d'espèce, où il s'agissait d'une situation d'oligopole dans laquelle les producteurs allemands auraient, au moins à compter de 1983, bénéficié d'une situation préférentielle. Le cartel de crise structurelle aurait en effet fixé des quotas de livraisons uniquement pour le marché intérieur allemand et, ainsi, aurait favorisé les exportations du fait de l'existence, pour les entreprises allemandes, d'une restitution de 80 DM/tonne si elles n'épuisaient pas leurs quotas. La requérante se serait donc trouvée confrontée à la nécessité de réagir à cette concurrence et son comportement aurait été, en conséquence, justifié. Cette situation rendrait inapplicable l'article 85, paragraphe 1, au moins à compter de 1983.

89 La Commission rétorque que c'est à tort que la requérante prétend que, en raison de circonstances particulières, telle l'existence du cartel de crise allemand à compter de 1983, l'article 85 ne devrait pas s'appliquer aux comportements des autres entreprises ayant eu pour objet de "répondre à cette forme de concurrence". En effet, l'existence d'une infraction aux règles de la concurrence du fait de certains opérateurs ne peut en aucun cas justifier une infraction du fait d'autres opérateurs sans que cela n'ait rien à voir avec une quelconque "règle de raison" telle que croit la déceler la requérante dans l'arrêt semences de mais. La Commission rappelle que toutes les ententes visées à l'article 85, paragraphe 1, du traité sont interdites de plein droit, quelles que soient les raisons pour lesquelles elles ont été conclues. La Commission fait observer que, dans l'arrêt semences de maïs, il s'agissait d'un cas très particulier, totalement différent de la présente espèce et que l'on ne saurait donc en déduire l'existence d'une quelconque "règle de raison" qui permettrait de soustraire des ententes restrictives de concurrence à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, sous prétexte que d'autres ententes existent dans le même secteur de produits.

Appréciation du Tribunal

90 Il convient de rappeler que la Commission a établi à suffisance de droit que les ententes constatées avaient un objet anticoncurrentiel au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Par ailleurs, il importe de souligner que le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité et, en particulier, à ses points a) et c), s'oppose, en tout état de cause, à l'application d'une "règle de raison", à supposer qu'une telle règle trouve à s'appliquer dans le cadre du droit communautaire de la concurrence, puisqu'elle devrait, dans cette hypothèse, être considérée comme une infraction per se aux règles de la concurrence (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Montedipe/Commission, T-14-89, Rec. p. II-1155, point 265).

91 Par conséquent, le grief de la requérante ne peut être accueilli.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 15 du règlement n° 17

I - Sur la prise en compte insuffisante du contexte économique et juridique

Arguments des parties

92 La requérante soutient que la Commission aurait du tenir compte du contexte économique et juridique du secteur de la construction et du secteur du fil machine. D'une part, elle relève que le secteur de la construction, source principale de demande pour le treillis soudé, a été confronté, en France ainsi que dans les autres pays de la Communauté, à une grave crise, entre 1976 et 1985, ce qui a entraîné une forte réduction de la demande du treillis soudé. D'autre part, elle relève le lien étroit existant entre le treillis soudé et le fil machine, pour lequel existait un régime de quotas et de prix en vigueur et une réglementation des prix. Elle ajoute que, entre juin et octobre 1982, il y a eu en France un blocage des prix du treillis soudé. Elle fait observer que, face à cette situation, elle a été obligée d'entamer un plan de restructuration en vue d'améliorer sa productivité, de réduire ses effectifs et d'adapter ses produits pour tenir compte des nouveaux besoins et de l'évolution technologique, avant de, finalement, cesser ses activités. Elle fait valoir que, si ces accords de restructuration n'ont pas été signés ni notifiés à la Commission, cette circonstance ne devait pas constituer un obstacle à leur prise en considération. A cet égard, elle relève que la situation de l'espèce n'est pas différente de celle à l'origine de la décision "zinc" ou de la décision 84-380-CEE de la Commission, du 4 juillet 1984, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-30.810 - Fibres synthétiques, JO L. 207, p. 17, ci-après "décision "fibres synthétiques", dans lesquelles la Commission aurait admis que, même dans le cadre d'accords non notifiés, il est permis de prendre en considération le fait que des accords de limitation et de contrôle de la production, même s'ils n'ont pas conduit à une amélioration de la structure de l'offre, ont pu effectivement avoir eu pour but d'aider les entreprises à sortir d'une situation économique difficile (point 100 de la décision "zinc").

93 Au surplus, la requérante fait valoir qu'il ressort de la décision 84-388-CEE de la Commission, du 23 juillet 1984, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-30.988 - Accords et pratiques concertées dans le secteur du verre plat dans les pays du Benelux, JO L. 212, p. 13, ci-après "décision "verre plat") qu'il n'est pas nécessaire qu'ait existé un véritable plan faisant l'objet d'un accord formel entre les entreprises concernées et qu'il n'est pas non plus besoin de démontrer l'existence d'un lien de causalité entre l'accord litigieux et la restructuration pour que les sanctions puissent être réduites.

94 La Commission répond que, dans la Décision (points 200 à 202), elle a tenu compte, pour déterminer le montant de l'amende, de la situation de crise existant dans le secteur du treillis soudé. Elle ajoute que les décisions citées par la requérante concernent des situations distinctes : dans la décision "fibres synthétiques", elle a accordé une exemption en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à une entente de réduction coordonnée de capacité qui lui avait été notifiée ; dans la décision "zinc", elle a interdit une entente de quotas et de prix en application de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

95 La Commission fait valoir que le Douzième Rapport sur la politique de la concurrence indique qu'elle peut accepter des accords qui prévoient une réduction coordonnée des surcapacités, qui contiennent un programme de fermeture détaillé et contraignant et qui ne limitent pas autrement la liberté de décision individuelle des entreprises. Toutefois, elle estime que le plan de restructuration allégué par la requérante ne peut être qualifié d'accord de réduction coordonnée de surcapacités en période de crise structurelle et que, en tout état de cause, ni la requérante ni aucun autre participant aux ententes ne lui ont rien notifié en ce sens.

96 Sur le contrôle des prix autorisé par le droit français en vigueur à l'époque, la Commission fait observer que la période où les prix ont été bloqués (14 juin au 31 octobre 1982) ne couvre pas la période qu'elle a retenue comme ayant été la période d'infraction.

Appréciation du Tribunal

97 Le Tribunal relève que la Commission a déclaré, dans la Décision, avoir tenu compte d'un ensemble de circonstances applicables à toutes les entreprises, ce qui l'a conduit à limiter les amendes à un montant qui se situerait nettement au-dessous du montant qui se justifierait dans des circonstances normales(point 208 de la Décision). Parmi ces circonstances, la Décision cite le fait que le prix du treillis soudé dépend, à raison de 75 à 80 %, du prix du fil machine, produit soumis à des quotas de production ; la situation de recul structurel de la demande ; l'existence de capacités excédentaires et de fluctuations à court terme du marché ; la rentabilité peu satisfaisante du secteur (point 201 de la Décision), ainsi que l'interdépendance entre le treillis soudé et le rond à béton (point 202 de la Décision).

98 Au surplus, le Tribunal estime que la requérante ne saurait se prévaloir des trois décisions de la Commission "fibres synthétiques", "zinc" et "verre plat" dans la mesure où ces décisions visent des hypothèses qui diffèrent fondamentalement de celle du cas d'espèce. En effet, d'une part, la décision "fibres synthétiques" concerne une entente de réduction coordonnée de capacités, qui avait été notifiée et qui a bénéficié d'une exemption en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité. D'autre part, dans les décisions "zinc" et "verre plat", la Commission a interdit une entente de quotas et de prix, bien que, comme dans le cas d'espèce, la situation de crise ait été prise en considération comme circonstance atténuante. Par ailleurs, le Tribunal estime que le prétendu plan de restructuration de la requérante ne peut être considéré comme un accord de réduction coordonnée de surcapacités et que, en tout état de cause, les producteurs disposaient de la faculté de notifier à la Commission leurs ententes en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, ce qui aurait, le cas échéant, permis à la Commission de statuer sur la conformité de celles-ci aux critères définis par cette disposition. La requérante n'ayant pas fait usage de cette faculté, elle ne saurait se prévaloir de la situation de crise pour justifier la mise en place d'ententes secrètes contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

99 Enfin, le Tribunal relève que la requérante ne saurait se prévaloir de l'argument tiré de l'existence des normes de droit national autorisant le contrôle des prix, car, d'une part, comme il ressort d'une jurisprudence bien établie, la circonstance que le comportement d'entreprises ait été connu, autorisé ou même encouragé par des autorités nationales est, en tout état de cause, sans influence au regard de l'applicabilité de l'article 85 du traité ou, le cas échéant, de son article 86(arrêts de la Cour du 10 janvier 1985, Leclerc e.a., 229-83, Rec. p. 1, et du 29 janvier 1985, Cullet, 231-83, Rec. p. 305 ; arrêt du Tribunal du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission, T-7-92, Rec. p. II-669, point 71) et, d'autre part, comme l'a souligné la Commission à juste titre, la période où les prix ont été bloqués n'a pas été considérée comme une période d'infraction par la Décision.

100 Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté.

II - Sur l'existence d'un cas de force majeure et sur la prétendue inaction de la Commission

Arguments des parties

101 La requérante soutient que le fait que le marché allemand du treillis soudé fait lui-même l'objet d'un cartel de crise structurelle, autorisé par le Bundeskartellamt, publié au Bulletin des Communautés européennes et toléré par la Commission pendant quatre ans, a constitué une situation de force majeure qui l'a amenée à penser que ce cartel était licite tant au regard du droit allemand qu'au regard du droit communautaire, alors qu'aucune solution juridique similaire n'existait pour les producteurs français dans le cadre du droit français. Elle estime que l'on devrait appliquer par analogie l'arrêt du 16 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission (6-73 et 7-73, Rec. p. 223, ci-après "arrêt Zoja"), dans lequel la Cour a réduit l'amende infligée aux requérantes pour sanctionner le retard mis par la Commission à réagir entre la plainte, déposée par un tiers, la société Zoja, et sa décision d'engager la procédure.

102 La Commission répond que l'existence du cartel allemand ne peut justifier une entente comme celle reprochée à la requérante, parce que l'existence d'une infraction au règles de la concurrence, du fait de certains opérateurs, ne peut en aucun cas justifier une infraction du fait d'autres opérateurs. Elle fait valoir que le cartel allemand était une entente nationale qui avait respecté les procédures nationales et qui avait bénéficié d'une autorisation du Bundeskartellamt, tandis que les producteurs français avaient conclu des ententes qui incluaient des producteurs étrangers et que, dès lors, le commerce intra-communautaire était inévitablement affecté. Elle ajoute que, si les producteurs français désiraient bénéficier d'une "solution juridique similaire" dans le cadre du droit communautaire, ils auraient dû respecter les procédures prévues par ce droit. Au surplus, la Commission précise que le cartel allemand a été publié dans le Treizième Rapport sur la politique de la concurrence (et non au Bulletin des Communautés européennes), qui n'est paru qu'en 1984 (n° 188, p. 127). La requérante ne pourrait arguer de cette publication pour tenter de justifier ainsi son comportement en 1981-1982 et 1983-1984.

103 Quant à sa prétendue inaction, la Commission prétend qu'il ne s'est écoulé que deux ans entre le moment où elle a reçu notification du cartel par le Bundeskartellamt et le moment où elle a commencé ses investigations. La Commission soutient avoir agi dès qu'elle a eu connaissance des effets perturbateurs du cartel allemand sur les échanges intra-communautaires.

104 La Commission estime que le parallèle avec l'affaire Zoja n'est pas pertinent. Dans cette affaire, la Cour avait reproché à la Commission d'avoir retenu une durée d'infraction de deux ans, c'est-à-dire jusqu'à la date de la Décision, alors qu'elle avait été saisie d'une plainte six mois seulement après le début de ladite infraction. Dans le cas présent, la Commission a considéré que les infractions reprochées à la requérante ont été commises entre mai 1980 et mars 1984. La durée de l'infraction retenue pour le calcul du montant de l'amende ne couvrirait donc pas une période postérieure à la date à laquelle la Commission a eu connaissance des faits reprochés à la requérante.

105 Enfin, la Commission fait valoir que l'incitation à exporter constituée par le cartel de crise allemand, dans la mesure où elle a influencé le comportement d'entreprises établies dans d'autres Etats membres, a été prise en compte pour modérer le montant de l'amende (point 206 de la Décision).

Appréciation du Tribunal

106 Le Tribunal ne saurait admettre l'argument de la requérante selon lequel l'existence du cartel de crise structurelle en Allemagne aurait été à l'origine d'une situation de force majeure. En effet, il est de jurisprudence constante que la notion de force majeure doit être entendue dans le sens de circonstances étrangères à celui qui l'invoque, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n'auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées (voir l'arrêt de la Cour du 22 septembre 1988, Jensen, 199-87, Rec. p. 5045, 5070). Dans le cas d'espèce, aucune des circonstances énumérées configurant la notion de "force majeure" ne saurait être appliquée au cartel de crise allemand, qui était un accord national soumis aux normes et procédures allemandes et qui a produit ses effets selon lesdites normes.

107 En l'espèce, eu égard à la gravité intrinsèque et au caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, et en particulier à ses points a) et c), le Tribunal considère que la requérante ne saurait se prévaloir de ce qu'elle était convaincue que les accords auxquels elle avait adhéré étaient licites. Elle ne pouvait en effet ignorer ni que pour pouvoir bénéficier d'une exemption ces accords devaient être notifiés à la Commission, ni que ces accords ne pouvaient bénéficier de la dispense de notification prévue par l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17.

108 En outre, le Tribunal souligne que, même à supposer que la Commission ait manqué à certaines de ses obligations découlant de l'article 155 du traité CEE, en omettant de veiller à l'application du droit communautaire en matière de concurrence, cette circonstance ne saurait justifier des infractions éventuelles au même droit, comme en l'espèce par la requérante (voir à cet égard l'arrêt Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 84).

109 Enfin, le Tribunal constate que la Décision a aussi tenu compte, en tant que circonstance atténuante, du fait de l'existence du cartel de crise structurelle en Allemagne, situation qui a amené les parties des autres Etats membres à chercher de leur côté à se protéger, mais qui ne justifie pas les mesures illicites qu'elles ont prises (point 206 de la Décision).

110 Le grief doit donc être rejeté.

III - Sur l'absence d'individualisation des critères de détermination du montant de l'amende

111 La requérante soutient que la Décision ne permet pas de savoir exactement pour quelles infractions ni pour quelle durée une amende a été infligée à chaque société. Elle souligne qu'elle n'a pas participé à la prétendue entente franco-allemande de 1985 ni à l'entente concernant le marché du Benelux. Enfin, la requérante fait valoir que, outre le manque total d'explications sur l'établissement de l'assiette de l'amende, la Commission n'a donné aucune précision sur le poids qu'elle a accordé aux circonstances atténuantes qu'elle a retenues.

112 La Commission fait valoir que la requérante ne saurait se plaindre d'une absence de motivation puisqu'il ressort de la Décision qu'elle n'a pas retenu la participation de la requérante à l'entente sur le marché du Benelux ni à l'entente sur le marché allemand de 1985. Il en résulte que l'amende infligée à la requérante est relative aux infractions commises par elle sur le marché français en 1981-1982 et en 1983-1984, tout en prenant en considération la cessation de ses activités dans le domaine des treillis soudés au premier trimestre 1984.

113 Le Tribunal estime que l'argument de la requérante n'est pas fondé. A cet égard, il suffit de constater que le point 159 de la Décision indique avec précision que la requérante, entre autres entreprises, a participé aux ententes mises en œuvre sur le marché français en 1981-1982, que le point 160 indique également qu'elle a participé aux ententes mises en œuvre sur le marché français en 1983-1984 tandis que la requérante n'est pas mentionnée aux points qui précisent les entreprises participantes aux autres ententes.

114 Le Tribunal constate également que, dans la partie de la Décision consacrée à l'appréciation juridique, la Commission expose les différents critères de l'évaluation de la gravité des infractions imputées à la requérante ainsi que les diverses circonstances qui ont atténué les conséquences économiques des infractions. Par conséquent, le Tribunal considère que la Décision, prise dans son ensemble, a fourni à la requérante les indications nécessaires pour savoir si elle est ou non fondée et permet au Tribunal d'exercer son contrôle de légalité. En ce qui concerne les circonstances atténuantes, il y a lieu de rappeler que, dans sa réponse écrite aux questions posées par le Tribunal, la Commission a indiqué que la requérante n'a bénéficié d'aucune circonstance atténuante individuelle.

115 Il y a donc lieu de rejeter le grief de la requérante.

IV - Sur le caractère excessif de l'amende

A - Sur la prise en compte du chiffre d'affaires de la requérante

Arguments des parties

116 La requérante fait observer que la Commission n'a pas précisé si elle retenait comme base le chiffre d'affaires global de l'entreprise ou uniquement celui concernant la France. La requérante, se référant aux conclusions de l'avocat général M. Van Gerven sous l'arrêt de la Cour du 8 février 1990, Tipp-Ex/Commission (C-279-87, Rec. p. I-261,I-262), se plaint du fait que seul un recours juridictionnel contre une décision de la Commission permet de connaître le mode de calcul d'une amende jugée excessive.

117 La Commission répond qu'elle a retenu comme base de calcul de l'amende le chiffre d'affaires en treillis soudés réalisé par les entreprises sur le marché géographique en cause, c'est-à-dire, celui de la "Communauté à six" (France, Allemagne, Italie et Benelux), et ce parce que l'ensemble du marché géographique global a été affecté par l'ensemble des ententes. Elle explique que, compte tenu de la gravité de l'infraction, elle a retenu pour calculer le montant de l'amende un pourcentage égal à 2 % de ce chiffre d'affaires, soit 3 130 000 FF x 2 %, soit encore une somme de 64 000 écus, de laquelle a été retranché le montant de l'amende déjà infligée en France par le Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, soit environ 15 000 écus (100 000 FF). L'amende infligée à SMN s'élèverait ainsi à 50 000 écus, ce qui représenterait 1,57 % de son chiffre d'affaires sur le marché géographique retenu. En outre, la Commission affirme que le pourcentage du chiffre d'affaires pris en compte pour établir l'amende est tout à fait comparable à ceux appliqués dans les affaires citées par la requérante.

118 Au stade de la réplique, la requérante a fait valoir, en premier lieu, que les explications fournies par la Commission dans son mémoire en défense font apparaître que les passages de la Décision relatifs au montant de l'amende n'ont pas été correctement rédigés et motivés. En second lieu, elle a fait observer qu'il ne lui est pas possible de vérifier de quelle manière la Commission est arrivée à l'assiette de l'amende indiquée, et ce parce qu'elle ne lui a jamais demandé de communiquer ses chiffres d'affaires en treillis soudés sur le marché géographique en cause. La Commission n'aurait pas non plus précisé quelle(s) année(s) elle a pris en considération, ni la date à laquelle elle s'est référée pour établir ses montants en écus.

119 La Commission répond qu'il n'est pas exact qu'elle n'a jamais demandé à la requérante son chiffre d'affaires en treillis soudés sur le marché géographique en cause. Il ressort d'une lettre de l'avocat de la requérante du 1er juin 1989 (annexe 3 à la duplique) que c'est la requérante elle-même qui n'a pas fourni ces données, en arguant de la faiblesse de ses exportations vers les autres pays de la Communauté. La Commission a donc dû procéder elle-même à une évaluation de ce chiffre d'affaires et a considéré qu'il était égal au chiffre d'affaires total réalisé pour les treillis soudés, les exportations vers les pays tiers déclarées étant égales à 0 (annexe 2 à la duplique). Elle a donc converti en écus le chiffre d'affaires déclaré en francs francs, en employant le taux de 1 écu = 6, 83 FF en vigueur fin 1984 (annexe 4 à la duplique).

120 La Commission rappelle que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 autorise à imposer des amendes allant jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires total de l'entreprise (arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, point 118, et Tipp-Ex/Commission, précité) et qu'elle a, en l'espèce, appliqué une double limitation, quant au marché géographique (uniquement la Communauté à six) et quant au produit en cause (treillis soudés).

Appréciation du Tribunal

121 Le Tribunal rappelle que, selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut infliger des amendes de mille écus au moins et d'un million d'écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. Pour déterminer le montant de l'amende à l'intérieur de ces limites, ladite disposition prescrit de prendre en considération la gravité et la durée de l'infraction. Le concept du chiffre d'affaires ayant été interprété par la Cour comme se référant au chiffre d'affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 119), il y a lieu de conclure que la Commission, qui n'a pas pris en compte le chiffre d'affaires global réalisé par la requérante, mais seulement le chiffre d'affaires se rapportant aux treillis soudés dans la Communauté à six, et qui n'a pas dépassé la limite de 10 %, n'a pas, dès lors, méconnu les dispositions de l'article 15 du règlement n° 17, eu égard à la gravité et la durée de l'infraction.

122 Quant au grief de la requérante concernant le manque de motivation de la Décision quant au mode de calcul de l'amende, il y a lieu de rappeler que la Commission doit tenir compte, lors de la publication de ses décisions, de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués (article 21, paragraphe 2, du règlement n° 17) et qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour que la Commission n'est pas obligée d'indiquer, lors de la procédure administrative, les critères sur la base desquels elle envisage d'imposer l'amende (voir l'arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, points 17 à 21).

123 Par conséquent, le Tribunal estime que, bien qu'il soit souhaitable que les entreprises - afin de pouvoir arrêter leur position en toute connaissance de cause - puissent connaître en détail, selon tout système que la Commission jugerait opportun, le mode de calcul de l'amende qui leur a été infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission - ce qui serait contraire au principe de bonne administration - dans le cas d'espèce, et compte tenu de la jurisprudence citée, des éléments contenus dans la Décision et du manque de coopération de la requérante (voir, à cet égard, le point suivant), le grief concernant le manque de motivation ne saurait être retenu.

124 A titre surabondant, il y a lieu de relever que la requérante ne saurait contester la façon dont la Commission a fait les calculs, lors de l'établissement de l'amende, en ce qui concerne son chiffre d'affaires sur le marché en cause, puisqu'il résulte de la lettre du conseil de la requérante du 1er juin 1989 que celle-ci n'a volontairement pas communiqué le chiffre de ses exportations sur le Marché communautaire à la Commission. En outre, il y a lieu de constater que la requérante n'a pas fait état d'erreurs en ce qui concerne les chiffres présentés par la Commission dans le cadre de la présente procédure.

125 Il y a donc lieu de rejeter le grief de la requérante.

B - Sur la prise en compte de la valeur ajoutée par les producteurs de treillis soudés

126 La requérante fait valoir que la Commission aurait dû tenir compte du fait que la valeur ajoutée apportée par les producteurs de treillis soudés n'était que d'environ 20 %, cette faible valeur ajoutée résultant d'une réglementation communautaire. Elle estime que la comparaison de l'amende et de la valeur ajoutée du produit fait apparaître son caractère exorbitant et que le fait que la concurrence ne puisse exister que sur une partie très faible des coûts de fabrication réduit de manière très importante la gravité de toute entente éventuelle.

127 La Commission répond que l'affirmation de la requérante n'est étayée par aucune justification et ne trouve aucun fondement dans l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Au surplus, elle estime que le fait que la concurrence par les prix ne peut jouer que sur une partie limitée des coûts de production constitue une circonstance aggravante.

128 Le Tribunal constate que la Décision (point 201) a tenu compte, afin de réduire le niveau général des amendes, du fait que le prix du treillis soudé dépend, à raison de 75 à 80 %, du prix du fil machine, pour lequel il existait, pendant toute la période considérée, des quotas de production qui avaient été introduits d'office par la Commission, en application de l'article 58 du traité CECA, en tant qu'élément de sa politique visant à surmonter la crise structurelle de l'industrie sidérurgique.

129 Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté

C - Sur la prise en compte de l'amende imposée par les autorités françaises

130 La requérante avait relevé, dans sa requête, que la Commission avait indiqué avoir tenu compte de nombreuses circonstances atténuantes, dont, par application de l'arrêt de la Cour du 13 février 1969, Walt Wilhelm e.a. (14-68, Rec. p. 1), les amendes déjà prononcées par les autorités françaises, mais que, toutefois, elle se réservait la possibilité de préciser sa position sur l'application de cette jurisprudence lorsque la Commission aurait précisé ses modalités de calcul.

131 La Commission souligne que les amendes déjà infligées en France ont été déduites de l'amende totale qu'elle aurait normalement dû fixer ; il n'y aurait donc aucune atteinte aux principes posés par la Cour dans l'arrêt Walt Wilhelm e.a.

132 Le Tribunal rappelle que la jurisprudence de la Cour a admis la possibilité d'un cumul de sanctions suite à l'existence de deux procédures parallèles, poursuivant des fins distinctes, dont l'admissibilité résulte du système particulier de répartition des compétences entre la Communauté et les Etats membres dans la matière des ententes. Cependant, la Cour a établi qu'une exigence générale d'équité implique que, en fixant le montant de l'amende, la Commission soit obligée de tenir compte de sanctions qui auraient déjà été supportées par la même entreprise pour le même fait, lorsqu'il s'agit de sanctions infligées pour infractions au droit des ententes d'un Etat membre et, par conséquent, commises sur le territoire communautaire (voir à cet égard les arrêts Walt Wilhelm e.a., précité, point 11, et du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, 7-72, Rec. p. 1281, point 3).

133 Force est de constater qu'il en a été ainsi dans le cas d'espèce, où la Commission a tenu compte, au point 205 de la Décision, de l'amende déjà infligée par les autorités françaises, qui avait été imposée par la décision n° 85-6DC, précitée, du Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget français, prise explicitement sur la base de l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483, du 30 juin 1945, et, partant, dans le cadre du droit national de la concurrence visant les effets des ententes sur le marché intérieur.

134 Au surplus, le Tribunal constate que la requérante n'a apporté ultérieurement aucune précision concernant l'application de l'arrêt Walt Wilhelm e.a.

135 Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté.

136 Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

SUR LES DEPENS

137 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.

Par ces motifs, LE TRIBUNAL (première chambre) déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens.