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Décisions

TPICE, 2e ch., 6 avril 1995, n° T-80/89

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BASF (AG), Monsanto Company, DSM (NV), DSM Kunststoffen (BV), Orkem (SA), Bayer (AG), Atochem (SA), Den Norske Stats Oljeselskap (AS), Enichem (SpA), Hoechst (AG), Imperial Chemical Industries (plc), Nestlé (Oy), Repsol Quimica (SA), Shell International Chemical Company (Ltd), Montedison (SpA), Chemie Holding (AG), The Dow Chemical Company

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Barrington, Saggio, Briët, Biancarelli

Avocats :

Mes Hermanns, Kaiser, Stanbrook, Ratliff, Cath, Voillemot, Salzmann, Axster, Wisself, Waelbroeck, Waelbroeck, Vandencasteele, de Roux, Léger, Child, Siragusa, Scassellati Sforzolini, Arcidiacono, Hellmann, Voges, Vaughan, Anderson, van Hecke, Van Gerven, Santos, Parker, Celona, Aghina, Ferrari, Lieberknecht, Deringer, Bos.

TPICE n° T-80/89

6 avril 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Les faits à l'origine du recours, la décision attaquée et le déroulement général de la procédure

1 Suite à des vérifications effectuées dans le secteur du polypropylène, les 13 et 14 octobre 1983, en vertu de décisions fondées sur l'article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (ci-après "traité") (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), la Commission a présumé la possibilité d'une infraction à l'article 85 du traité dans le secteur du polyéthylène de basse densité (ci-après "PEBD") et a ouvert un dossier à ce sujet ; elle a alors opéré diverses vérifications dans les locaux des entreprises concernées et adressé plusieurs demandes de renseignements à ces dernières.

2 Le 24 mars 1988, la Commission a ouvert, au titre de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, une procédure d'office à l'encontre de 18 producteurs de PEBD, à savoir Atochem SA (ci-après "Atochem"), BASF AG (ci-après "BASF"), BP Chemicals Ltd (ci-après "BP"), Bayer AG (ci-après "Bayer"), Chemie Holding AG (ci-après "Chemie Holding"), The Dow Chemical Company (ci-après "Dow Chemical"), DSM NV et DSM Kunststoffen BV (ci-après "DSM"), Exxon Chemicals International Inc. (ci-après "Exxon"), Enichem SpA (ci-après "Enichem"), Hoechst AG (ci-après "Hoechst"), Imperial Chemical Industries (ci-après "ICI"), Monsanto Company (ci-après "Monsanto"), Montedison SpA (ci-après "Montedison"), Neste Oy (ci-après "Neste"), Orkem SA (ci-après "Orkem"), Repsol Quimica SA (ci-après "Repsol"), Shell International Chemical Company Ltd (ci-après "Shell International Chemical"), Statoil den Norske Stats Oljeselskap AS (ci-après "Statoil"). Le 5 avril 1988, la Commission a adressé à chacune de ces entreprises la communication des griefs prévue à l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"), dans laquelle elle affirmait que "les 18 entreprises citées auraient participé à un accord de base, exécuté et mis en œuvre par le biais d'un ensemble d'accords et/ou de pratiques concertées constituant une entente, en ce sens que depuis environ 1974 jusqu'à une date inconnue entre novembre 1984 et aujourd'hui, les producteurs du produit thermoplastique brut PEBD qui approvisionnaient le Marché communautaire se seraient réunis régulièrement pour fixer des objectifs de prix et/ou des prix minima, convenir de quotas ou d'objectifs en matière de volumes, coordonner leurs activités commerciales et surveiller la mise en œuvre de ces ententes".

3 Tous les destinataires de la communication des griefs y ont répondu par écrit au cours du mois de juin 1988. A la suite de la réponse par Exxon à la communication des griefs, la Commission a cessé toute poursuite à son encontre. Toutes les autres entreprises destinataires de la communication des griefs, à l'exception de Shell International Chemical, ont présenté une demande d'audition, laquelle s'est tenue à Bruxelles du 12 au 16 septembre 1988, ainsi que le 19 septembre 1988. Le 1er décembre 1988, le comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes a émis son avis sur le projet de décision de la Commission.

4 Le 17 mars 1989, a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes la "décision 89-191-CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.866, PEBD)" (JO 1989, L. 74, p. 21, ci-après "Décision"), qui avait été notifiée aux entreprises en février 1989. La décision ainsi notifiée et publiée comporte, dans son dispositif, notamment les trois articles suivants :

"Article premier

Atochem SA, BASF AG, BP Chemicals Ltd, Bayer AG, Chemie Holding AG, The Dow Chemical Company, DSM NV, Enichem SpA, Hoechst AG, Imperial Chemical Industries plc, Monsanto Company, Montedison SpA, Neste Oy, Orkem SA (auparavant CdF Chimie SA), Repsol Quimica SA, Shell International Chemical Co Ltd et Statoil - Den Norske Stats Oljeselskap AS - ont enfreint les dispositions de l'article 85 du traité en participant (pour les périodes indiquées dans la présente décision) à un accord et/ou à une pratique concertée remontant à environ septembre 1976, en vertu desquels les producteurs approvisionnant en PEBD le territoire du Marché commun ont assisté à des réunions périodiques afin de fixer des prix "cibles" et des quotas "cibles", de planifier des initiatives concertées visant à relever le niveau des prix et à surveiller la mise en œuvre de ces accords collusoires.

Article 2

Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées (si elles ne l'ont déjà fait) et s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leur secteur PEBD, de tout accord ou pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange de renseignements du type généralement couvert par le secret professionnel, au moyen duquel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des livraisons, du niveau des stocks, des prix de vente, des coûts ou des plans d'investissement d'autres producteurs, ou qui leur permettrait de suivre l'exécution de tout accord exprès ou tacite ou de toute pratique concertée se rapportant aux prix ou au partage des marchés dans la Communauté. Tout système d'échange de données générales auquel les producteurs seraient abonnés pour le secteur du PEBD sera géré de manière à exclure toute donnée permettant d'identifier le comportement de producteurs déterminés ; les entreprises s'abstiendront plus particulièrement d'échanger entre elles toute information supplémentaire intéressant la concurrence et non couverte par un tel système.

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées dans la présente décision en raison de l'infraction constatée à l'article 1er :

i) Atochem SA : une amende de 3 600 000 écus ;

ii) BASF AG : une amende de 5 500 000 écus ;

iii) BP Chemicals Ltd : une amende de 750 000 écus ;

iv) Bayer AG : une amende de 2 500 000 écus ;

v) Chemie Holding AG : une amende de 500 000 écus ;

vi) The Dow Chemical Company : une amende de 2 250 000 écus ;

vii) DSM NV : une amende de 3 300 000 écus ;

viii) Enichem SpA : une amende de 4 000 000 écus ;

ix) Hoechst AG : une amende de 1 000 000 écus ;

x) Imperial Chemical Industries plc : une amende de 3 500 000 écus ;

xi) Montedison SpA : une amende de 2 500 000 écus ;

xii) Monsanto Company : une amende de 150 000 écus ;

xiii) Neste Oy : une amende de 1 000 000 écus ;

xiv) Orkem SA : une amende de 5 000 000 écus ;

xv) Repsol Quimica SA : une amende de 100 000 écus ;

xvi) Shell International Chemical Co Ltd : une amende de 850 000 écus ;

xvii) Statoil - Den Norske Stats Oljeselskap AS : une amende de 500 000 écus."

5 Les 17 entreprises visées par la Décision, à l'exception de BP, ont déposé un recours en annulation devant la Cour de justice, entre le 30 mars 1989 et le 10 mai 1989. En application de l'article 3, paragraphe 1, et de l'article 14 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L. 319, p. 1), la Cour a renvoyé ces recours devant le Tribunal, par ordonnances du 15 novembre 1989.

6 Par ordonnance du 8 décembre 1989, le Tribunal (deuxième chambre) a joint au fond l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission à l'égard du recours T-103-89 introduit par Shell International Chemical.

7 Par mesure d'organisation de la procédure du 3 décembre 1991, le Tribunal a invité la Commission à produire, d'une part, le procès-verbal de la réunion du collège des commissaires du 21 décembre 1988 et, d'autre part, le texte de la Décision, telle qu'adoptée par le collège des commissaires.

8 Le 11 décembre 1991, s'est tenue une première réunion préparatoire à la tenue de l'audience, organisée dans le cadre de l'article 64, paragraphe 3, du règlement de procédure.

9 A l'issue de la procédure écrite, les affaires T-80-89, T-81-89, T-83-89, T-87-89, T-88-89, T-90-89, T-93-89, T-95-89, T-97-89, T-99-89, T-100-89, T-101-89, T-103-89, T-105-89, T-107-89 et T-112-89 ont été jointes, aux fins de la procédure orale, par ordonnance du 22 janvier 1992 du président de la deuxième chambre du Tribunal.

10 Par mesure d'instruction du 10 mars 1992, le Tribunal a ordonné à la Commission de produire, dans les versions linguistiques dans lesquelles elle a été adoptée, une "copie certifiée conforme à l'original de la décision de la Commission du 21 décembre 1988 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.866, PEBD), telle qu'elle a été adoptée par le collège des commissaires au cours de sa réunion du 21 décembre 1988 et authentifiée dans les conditions prévues par le règlement intérieur de la Commission".

11 Par mesure d'organisation de la procédure du 2 avril 1992, le Tribunal a invité les requérantes à déposer leurs observations sur les pièces produites par la Commission, en réponse à la mesure d'instruction du 10 mars 1992, et ce compte tenu de l'arrêt du Tribunal du 27 février 1992, BASF e.a./Commission, dit "PVC" (T-79-89, T-84-89, T-85-89, T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-98-89, T-102-89 et T-104-89, Rec. p. II-315).

12 Le 15 mai 1992 une seconde réunion préparatoire à la tenue de l'audience a été organisée.

13 La procédure orale s'est déroulée le 16 juin 1992.

14 Les parties ayant été entendues sur ce point lors de la procédure orale, le Tribunal estime qu'il y a lieu de prononcer la jonction, aux fins de l'arrêt, de l'ensemble des affaires susvisées.

Les conclusions des parties

15 Les parties requérantes concluent, dans leurs requêtes, à ce qu'il plaise au Tribunal :

- à titre principal, annuler la décision de la Commission du 21 décembre 1988 relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité CEE (IV-31.866, PEBD) et, à titre subsidiaire, annuler ou réduire l'amende infligée à l'article 3 de ladite décision ;

- condamner la Commission aux dépens.

En outre, Montedison conclut à ce que la Commission soit condamnée, d'une part, à lui rembourser intégralement les frais exposés au cours de la procédure administrative et, d'autre part, à réparer l'ensemble des dommages ayant résulté, pour elle, de l'exécution de la Décision.

16 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter la requête de Shell International Chemical comme tardive et, par suite, irrecevable ;

- rejeter les autres requêtes comme non fondées ;

- condamner les requérantes aux dépens.

17 Complétant leurs conclusions initiales telles qu'énoncées dans leurs requêtes introductives d'instance, les requérantes concluent, dans leurs observations faisant suite à la demande du Tribunal du 2 avril 1992, à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer que l'acte notifié aux requérantes et publié au Journal officiel des Communautés européennes du 17 mars 1989 (L 74, p. 21 à 44), sous le titre "décision de la Commission du 21 décembre 1988 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.866 - PEBD) (89-191-CEE)" est inexistant ;

- à titre subsidiaire, déclarer cet acte nul et non avenu ;

- condamner la Commission aux dépens.

Les mesures d'organisation de la procédure et d'instruction ordonnées par le Tribunal

A - L'argumentation écrite des parties ayant conduit le Tribunal à adopter la mesure d'organisation de la procédure du 3 décembre 1991

18 Au point IV de la partie A de sa requête, intitulé "Violation de l'obligation d'indiquer les motifs au moment où la décision attaquée est adoptée", BASF se prévaut de l'arrêt de la Cour du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil (131-86, Rec. p. 905, dit "des poules pondeuses"), pour soutenir que l'article 190 du traité fait obligation à la Commission, lorsqu'elle prend une décision, d'adopter les motifs qui font partie intégrante de celle-ci. La requérante en déduit qu'une décision est nulle lorsqu'elle n'est pas motivée, ou lorsque ses motifs sont insuffisants ou incomplets lors de son adoption, ou encore lorsque ces motifs sont modifiés postérieurement à l'adoption de la décision.

19 En l'espèce, la requérante constate que la Décision notifiée est datée du 21 décembre 1988 et est accompagnée d'une lettre de transmission datée du 5 janvier 1989, signée "Pour la Commission, Peter Sutherland, membre de la Commission". Or, elle expose que la Commission lui a envoyé, le 21 décembre 1988, un télex dans lequel elle prétendait avoir adopté une décision le 22 décembre 1988. Tout en n'écartant pas l'hypothèse qu'il puisse s'agir là d'une erreur matérielle, la requérante fait valoir qu'à la date du 21 décembre 1988 les motifs de la décision ont été soit inexistants, soit différents de ceux figurant dans la Décision notifiée. A l'appui de ses allégations, la requérante soutient que, en réponse à une demande de sa part, présentée entre le 21 décembre 1988 et le 3 février 1989, date de la notification, tendant à ce que la Décision lui soit signifiée, il lui aurait été répondu, par des agents de la Commission, que le texte de la Décision en langue allemande n'était pas disponible et qu'en conséquence une telle signification n'était pas possible. Selon la requérante, le laps de temps qui se serait écoulé entre l'adoption de la Décision et sa notification suffirait à établir qu'il aurait été procédé à un véritable remaniement des motifs de la Décision. Il en résulterait que la Décision serait nulle.

20 Ayant relevé que la Commission indique que la Décision a été adoptée sur la base des textes rédigés en langues allemande, anglaise et française, la requérante souligne, dans son mémoire en réplique, que tant en vertu des règles de répartition des compétences conférées aux institutions communautaires qu'en vertu d'une interprétation correcte de l'article 235 du traité, la Commission n'était pas en droit d'habiliter le membre en charge des questions de concurrence à arrêter le texte de la Décision dans les autres langues faisant foi. Afin d'éclaircir l'ensemble de ces points, elle demande au Tribunal d'ordonner à la Commission de produire les projets de la décision du 21 décembre 1988 et de les rendre accessibles aux parties.

21 Dans sa requête, Bayer déduit du laps de temps qui s'est écoulé entre la date de l'adoption de la Décision, qui se situait peu avant la fin du mandat du commissaire compétent, et sa notification, le 10 février 1989, que les motifs de la Décision n'étaient pas encore prêts le 21 décembre 1988. Or, la requérante estime que les motifs font partie intégrante d'une décision et que l'une des conditions de validité d'une décision prise au titre des articles 3 et 15 du règlement n° 17 est qu'elle doit être adoptée dans son ensemble, comportant donc tant ses motifs que son dispositif. La requérante ajoute que, une fois arrêtés, les motifs d'une décision ne peuvent plus faire l'objet de corrections, même si elles semblent nécessaires. En invoquant l'arrêt précité des poules pondeuses, la requérante soutient qu'un acte de la Commission est nul si ses motifs ne sont pas définitivement arrêtés au moment de son adoption. Partant, la requérante suggère d'ordonner à la Commission de produire le projet de la Décision, tel qu'adopté par le collège des commissaires.

22 Dans sa requête, Atochem s'interroge, compte tenu du laps de temps qui s'est écoulé entre le télex annonçant la Décision et la notification de celle-ci, sur le point de savoir si le texte notifié correspond bien au texte sur lequel la Commission s'est prononcée.

23 Enichem fait valoir, dans sa requête, qu'un délai important s'est écoulé entre l'adoption de la Décision et sa notification, de telle sorte que le texte notifié et publié pourrait ne pas correspondre au texte adopté, ce qui entraînerait la nullité de la Décision notifiée aux parties. Enichem demande au juge communautaire d'enjoindre à la Commission de produire le texte, dans la langue de travail de la Commission, sur la base duquel cette dernière a adopté la Décision du 21 décembre 1988. Enichem fait valoir, en outre, que la Décision est antérieure à l'établissement du procès-verbal définitif de l'audition des requérantes par la Commission, lequel n'a été rédigé que le 13 février 1989. La requérante souligne qu'en conséquence ni le comité consultatif, ni le collège des commissaires, ni le membre de la Commission en charge des questions de concurrence n'ont pu prendre connaissance du texte du procès-verbal définitif de l'audition, de sorte que l'audition devant la Commission aurait été privée de toute portée.

24 Hoechst soutient, dans ses requête et réplique, que la motivation de la Décision devait, en application de l'article 190 du traité, expliciter les principaux points de droit et de fait servant de support à la Décision. Cette motivation aurait dû, en outre, exister au moment de l'adoption de la Décision. Il serait, en effet, incompatible avec l'article 190 du traité d'apporter à cette motivation des modifications a posteriori, si celles-ci vont au-delà de simples corrections orthographiques (arrêt des poules pondeuses, précité). La requérante estime qu'en l'espèce elle a tout lieu de penser que ces principes ont été méconnus. En outre, elle note qu'elle a reçu, le 21 décembre 1988, un télex de la Commission comportant le dispositif de la Décision et non ses motifs et faisant état d'une décision du 22 décembre 1988. Elle estime qu'elle est fondée à émettre des doutes sérieux, au vu des informations qui, par ailleurs, lui ont été fournies par d'autres entreprises, également destinataires de la Décision, sur le point de savoir si celle-ci est intervenue sur la base d'une proposition de décision complète, comportant la motivation nécessaire dans la langue faisant foi. La requérante demande, dès lors, que la Commission soit invitée à produire au Tribunal la proposition de décision sur la base de laquelle elle a adopté, le 21 décembre 1988, la Décision. Elle déduit de la défense de la Commission qu'aucune décision n'a été adoptée en langues espagnole, italienne et néerlandaise. Or, selon la requérante, la Décision devait être adoptée dans chacune des langues des destinataires. Dès lors, elle soumet "au Tribunal la question de savoir si la Décision de la Commission ne devait pas être arrêtée sur la base des textes correspondants". Elle estime, en outre, que, compte tenu de l'exposé des faits effectué par la Commission dans son mémoire en défense, se pose la question de savoir si le membre de la Commission en charge des questions de concurrence pouvait valablement arrêter ou a valablement arrêté la Décision dans les autres langues faisant foi, dès lors que son mandat expirait le 5 janvier 1989, soit onze jours avant la date à laquelle les traductions ont été remises au secrétariat général de la Commission. Elle en déduit "que la Décision, qui aurait dû être arrêtée sous la forme d'une décision unique à l'égard de tous les destinataires, est contestable dans son entier".

25 Chemie Holding fait valoir, pour sa part, en invoquant également l'arrêt des poules pondeuses, précité, que, en vertu de l'article 190 du traité, les motifs d'une décision font partie intégrante de celle-ci alors même qu'en l'espèce la version définitive des motifs n'aurait pas encore été disponible le 21 décembre 1988, mais uniquement un projet préparé par le rapporteur compétent qui aurait été, ultérieurement, modifié et traduit en langue allemande. Partant, la requérante estime que la Commission n'a pas valablement adopté la Décision.

26 En réponse à ces différentes argumentations, la Commission, dans ses mémoires en défense et en duplique, après avoir relevé que ce moyen, tiré de prétendus vices ayant entaché la procédure d'adoption de la Décision, est dénué de tout fondement et n'est étayé par aucun élément sérieux, a fait valoir que les projets de Décision ont été soumis à la délibération du collège des commissaires en six langues, à savoir en langues allemande, anglaise, espagnole, française, italienne et néerlandaise ; qu'il ressort du procès-verbal de la séance n° 945 de la Commission que la Décision a été adoptée dans les trois langues allemande, anglaise et française et que le collège des commissaires a chargé le membre compétent en matière de concurrence d'arrêter la Décision dans les autres langues faisant foi ; qu'une telle habilitation est conforme à l'article 27 de son règlement intérieur, dans sa rédaction alors en vigueur, ainsi que la Cour l'aurait d'ailleurs jugé dans son arrêt du 23 septembre 1986, AKZO/Commission (5-85, Rec. p. 2585, point 40). Selon la Commission, en effet, une telle habilitation inclurait nécessairement la possibilité de procéder aux harmonisations linguistiques nécessaires. A la suite de la délibération du collège des commissaires, il aurait été procédé à la traduction de la Décision dans les trois langues officielles non encore disponibles, à savoir les langues danoise, grecque et portugaise. Ces traductions auraient été soumises au secrétariat général le 16 janvier 1989, date à laquelle les différentes versions de la Décision, disponibles dans chacune des langues officielles de la Communauté, auraient été soumises aux juristes linguistes, en vue d'assurer leur concordance. Ces travaux d'harmonisation se seraient eux-mêmes achevés à la fin du mois de janvier 1989. La Commission précise qu'elle est en mesure de soumettre au Tribunal, si celui-ci le désire, les documents auxquels elle se réfère dans ses mémoires. Elle ajoute que la délégation de compétence a été conférée non à M. Sutherland, nommément désigné, mais au membre en charge des questions de concurrence.

27 C'est dans ces conditions que, confronté à ces argumentations écrites divergentes, le Tribunal, placé devant la nécessité, aux fins de répondre aux moyens soulevés par les requérantes, de comparer, d'une part, l'acte notifié aux requérantes et publié au Journal officiel des Communautés européennes et, d'autre part, l'acte adopté et au vu, d'ailleurs, de l'offre de preuve formée par la Commission elle-même, a, dans le cadre de son pouvoir d'instruction (arrêt AKZO/Commission, précité) invité la Commission, le 3 décembre 1991, au titre des mesures d'organisation de la procédure, à produire, d'une part, le procès-verbal de la réunion du collège des commissaires du 21 décembre 1988 et, d'autre part, le texte de la Décision, telle qu'adoptée par le collège des commissaires.

28 En annexes 4 et 5 à sa réponse à la mesure d'organisation de la procédure, enregistrée au greffe du Tribunal le 10 février 1992, la Commission a produit :

a) les pages 41 à 43 du procès-verbal, rédigé en langue française, de la séance n° 945 du collège des commissaires du 21 décembre 1988, coté COM(88) PV 945 final. Ce procès-verbal est accompagné d'une "page de couverture" dont il ressort, d'une part, que les pages 41 à 43 sont incluses dans la partie I du procès-verbal de la réunion qui comporte 60 pages et, d'autre part, que ce procès-verbal a été approuvé par le collège des commissaires le 22 décembre 1988. Cette première page est revêtue des signatures du président et du secrétaire général de la Commission. La copie produite est certifiée conforme à l'original par le secrétaire général de la Commission et revêtue d'un timbre à l'en-tête de celle-ci ;

b) un extrait d'un document coté SEC(88) 2033, OJ 945, point 15, daté du 19 décembre 1988 et intitulé "note à l'attention de MM. les membres de la Commission" assorti d'un document, coté annexe III, intitulé "modifications to be included in point 27 - PVC, in point 34 - LDPE" (modifications à inclure au point 27 PVC, au point 34 PEBD) ;

c) trois projets de décision, datés du 14 décembre 1988, rédigés en langues allemande, anglaise et française et cotés C (88) 2498.

29 Dans ses commentaires relatifs au deuxième des documents susmentionnés, coté SEC(88) 2033, commentaires qui font l'objet d'une page de garde, la Commission fait valoir qu'il apparaît des termes "sous réserve d'une modification à apporter au texte cf. annexe III ci-jointe" que le texte de l'alinéa à inclure au point 34 de la décision PEBD avait été approuvé par les chefs de cabinet et soumis aux commissaires avec le reste du projet de Décision. La Commission poursuit en précisant que le procès-verbal de la séance de la Commission se réfère au procès-verbal de la réunion des chefs de cabinet et qu'aucun élément du procès-verbal de la séance de la Commission ne permet de conclure que les recommandations émises par les chefs de cabinet n'ont pas été entièrement suivies. Selon la Commission, cela prouve que l'alinéa complémentaire a effectivement été soumis à la Commission, qui l'a approuvé au cours de sa réunion du 21 décembre 1988.

30 Au sujet du document coté C (88) 2498, qui reprend les versions en langues allemande, anglaise et française du projet de Décision soumis au collège des commissaires, la Commission indique que les versions en langues espagnole, italienne et néerlandaise de ce texte étaient effectivement disponibles le 21 décembre 1988 et que cette circonstance n'est nullement contredite par le fait que lesdites versions de la Décision ne sont parvenues aux services chargés de la révision linguistique que le 16 janvier 1989. Selon la Commission, conformément aux pratiques internes de ses services, les neuf versions linguistiques de la Décision ont été simultanément envoyées à la révision linguistique. La Commission ajoute que, en l'occurrence, ce retard n'était dû qu'au fait que les versions en langues danoise, grecque et portugaise n'ont été disponibles qu'à la mi-janvier 1989 (page de garde de l'annexe 5 de la réponse de la Commission du 6 février 1992).

B - Les circonstances ayant conduit le Tribunal à ordonner la mesure d'instruction du 10 mars 1992

31 Dans ses écritures, confirmées d'ailleurs par ses déclarations lors de la procédure orale, la Commission a indiqué que, le 21 décembre 1988, le collège des commissaires a été saisi d'un second projet de décision, relatif à une procédure d'application de l'article 85 du traité dans le secteur du polychlorure de vinyle [décision 89-190-CEE (IV-31.865, PVC)]. A cet égard, elle a indiqué que la décision relative au secteur du PVC et la Décision incriminaient des infractions largement semblables et que les vérifications ayant permis de les déceler, ainsi que les différentes étapes de la procédure administrative, se sont, en outre, déroulées de façon parallèle. De même, il convient de relever que, tant dans leurs écrits qu'au cours de la procédure orale, les parties requérantes ont insisté sur la similitude entre ce litige et celui qui a également été soumis au contrôle juridictionnel du Tribunal dans l'affaire PVC, précitée. Dans cette dernière affaire, le Tribunal a jugé ce qui suit :

"1) L'acte notifié aux requérantes, publié au Journal officiel des Communautés européennes, L. 74, du 17 mars 1989 (p. 1) et intitulé "Décision 89-190-CEE de la Commission du 21 décembre 1988 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.865, PVC)", est déclaré inexistant.

2) Les recours sont rejetés comme irrecevables.

3) La Commission est condamnée aux dépens."

32 Au vu, d'une part, de la similitude ainsi établie et reconnue entre les deux litiges et, d'autre part, des documents déposés par la Commission en réponse à la mesure d'organisation de la procédure sus-analysée, le Tribunal a ordonné, le 10 mars 1992, "à la Commission de produire au plus tard le mardi 31 mars 1992 à 12 heures copie certifiée conforme de l'original de la décision de la Commission du 21 décembre 1988 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.866, PEBD) (89-191-CEE), telle qu'elle a été adoptée par le collège des commissaires au cours de sa réunion du 21 décembre 1988 et authentifiée dans les conditions prévues par le règlement intérieur de la Commission, et ceci dans les versions linguistiques dans lesquelles cette décision a été adoptée".

33 Le 31 mars 1992, la Commission a versé au dossier une copie certifiée conforme à l'original de ce qui constitue, selon elle, la décision de la Commission du 21 décembre 1988 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.866, PEBD), dans les six langues faisant foi, à savoir les langues allemande, anglaise, espagnole, française, italienne et néerlandaise. La page de garde de chacune des versions linguistiques de cet acte est revêtue de la formule d'authentification, conformément à l'article 12 du règlement intérieur de la Commission selon la rédaction alors en vigueur. Cette authentification n'est pas datée. Elle est établie en langue française et indique que "la... décision a été adoptée par la Commission lors de sa 945e réunion tenue à Bruxelles, le 21 décembre 1988". Il faut encore relever que, pour chacune des versions linguistiques, la formule d'authentification indique le nombre de pages que compte l'acte visé. De même, sur chacune des versions linguistiques, la formule d'authentification est suivie des signatures du président et du secrétaire général de la Commission et, en outre, chaque page de garde est revêtue d'un timbre à l'entête de cette dernière.

34 Dans la lettre du 31 mars 1992, accompagnant les documents ainsi soumis au Tribunal, la Commission indique que les textes ainsi produits sont identiques à ceux qui ont été notifiés aux requérantes et qu'ils comportent, dès lors, les modifications linguistiques introduites par les juristes linguistes. La page de garde serait une copie certifiée conforme de l'authentification effectuée conformément à l'article 12 du règlement intérieur de la Commission. La Commission a reconnu, dans cette même lettre, que cette authentification est de date récente et a été effectuée dans le seul but de permettre à la Commission de se conformer à l'ordonnance du Tribunal.

35 En outre, il convient de rappeler, sur ce point, que la Commission a maintenu, dans sa réponse à la mesure d'organisation de la procédure du 3 décembre 1991, que l'authenticité du texte de la Décision, telle que notifiée aux parties requérantes, est garantie, d'une part, au moyen de la signature du procès-verbal de la réunion de la Commission par le président et par le secrétaire général de la Commission et, d'autre part, au moyen de la signature du secrétaire général apposée sur la dernière page de la Décision. De même, la Commission soutient, en s'appuyant sur l'arrêt de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Chemical Iberica e.a./Commission (97-87 à 99-87, Rec. p. 3165, point 59), qu'il n'existe aucune disposition obligeant le membre en charge des questions de concurrence à signer le texte de la décision notifiée, mais que ce dernier peut, au contraire, se borner à signer la lettre de couverture (page de garde de l'annexe 4 à la réponse de la Commission du 6 février 1992).

C - La mesure d'organisation de la procédure du 2 avril 1992 et les observations écrites des requérantes sur les conséquences à tirer des documents produits par la Commission

36 Le 2 avril 1992, le Tribunal a transmis aux requérantes les documents sus-analysés produits par la Commission en réponse à la mesure d'instruction du 10 mars 1992, assortis des commentaires de cette dernière, et il a demandé à celles d'entre elles qui avaient soulevé le moyen relatif à l'existence de disparités entre les différentes versions linguistiques de la Décision, ainsi qu'entre le projet de Décision en possession de la Commission à cette date et le texte notifié à chacune d'entre elles, de lui faire savoir si, au vu des pièces produites par la Commission, elles maintenaient ce moyen, auquel cas elles étaient invitées à fournir, à l'appui de leurs allégations, un tableau synoptique faisant apparaître les différences incriminées entre l'acte adopté et l'acte notifié.

37 De même, le Tribunal a-t-il invité les requérantes, conformément à l'article 64, paragraphe 3, sous b), du règlement de procédure, à déposer leurs observations écrites sur les pièces ainsi produites, en réponse à la mesure d'instruction, et ce compte tenu de l'arrêt PVC, précité.

38 A la suite de cette demande, BASF, Bayer, Enichem, Chemie Holding, Hoechst, Atochem, Dow Chemical, Neste et Shell International Chemical ont soumis au Tribunal une analyse comparant le texte de l'acte qui leur avait été notifié au texte du projet de décision soumis au collège des commissaires le 21 décembre 1988. Pour chacune des versions linguistiques, respectivement analysée par lesdites requérantes, celles-ci ont conclu que tant les motifs que le dispositif de l'acte notifié avaient été modifiés par rapport au projet soumis à la Commission et que ces modifications dépassaient de loin la portée de simples modifications grammaticales ou syntaxiques, admises par la jurisprudence, précitée, de la Cour (arrêt des poules pondeuses).

39 Plus précisément, l'ensemble des requérantes a relevé qu'un nouvel alinéa avait été inséré au point 34 de l'acte attaqué, et ceci dans chacune des versions linguistiques faisant foi. En se basant notamment sur les points 44 à 47 de l'arrêt PVC, précité, concernant une insertion analogue dans l'acte relatif au secteur du PVC adopté le même jour, les requérantes ont soutenu que la Commission ne parvenait pas à établir que le collège des commissaires aurait effectivement approuvé l'insertion dudit alinéa, qui apportait une modification substantielle à l'acte attaqué, modification dont le texte, établi en français et en anglais, avait été arrêté au cours de la réunion spéciale des chefs de cabinet du 19 décembre 1988 (Doc. SEC(88) 2033).

40 Certaines requérantes, à savoir BASF, Hoechst, Bayer, Enichem et Chemie Holding, ont donc, d'une part, confirmé ou maintenu ce moyen ainsi soulevé et, d'autre part, complété ce moyen, afin de faire valoir que lesdites discordances enfreignaient le principe de l'intangibilité des actes adoptés par la Commission. Les autres requérantes ont fait valoir que, au vu des pièces produites par la Commission, elles invoquaient le moyen tiré de la violation du principe d'intangibilité des actes.

41 En outre, l'ensemble des requérantes ont invoqué, dans leurs observations, un premier moyen additionnel, tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte. Ce premier moyen additionnel s'articule en deux branches.

42 En premier lieu, les requérantes contestent la compétence ratione materiae du membre en charge des questions de concurrence pour adopter les actes notifiés et publiés en langues espagnole, italienne et néerlandaise.

43 A cet égard, l'ensemble des requérantes soutient que la Décision n'a jamais été adoptée par le collège des commissaires en langues espagnole, italienne ou néerlandaise, dès lors que, au cours de la réunion du 21 décembre 1988, le collège n'a eu à sa disposition que les versions en langues allemande, anglaise et française du projet de décision. Les requérantes font valoir que, aux termes de l'article 27, paragraphe 1, du règlement intérieur de la Commission, dans sa rédaction alors en vigueur, lequel ne pourrait être interprété de façon extensive, le membre en charge des questions de concurrence ne peut être habilité à arrêter seul les versions linguistiques de l'acte attaqué dans les langues faisant foi, qui n'étaient pas encore disponibles au moment de la délibération collégiale du 21 décembre 1988, dès lors qu'une telle habilitation dépasse le cadre des mesures préparatoires ou de gestion visées par l'article 27 du règlement intérieur de la Commission et violerait le principe de la collégialité.

44 En second lieu, les requérantes contestent, dans le cadre de la seconde branche du premier moyen additionnel, la compétence ratione temporis du membre en charge des questions de concurrence pour adopter les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes. A cet égard, analysant les explications de la Commission relatives au déroulement de la procédure d'adoption et de révision de la Décision, les requérantes en déduisent que l'ensemble des versions linguistiques de cet acte n'ont été, en fait, disponibles qu'à partir du 16 janvier 1989. Elles en concluent que l'ensemble des actes, tels que notifiés dans chacune des six langues faisant foi, ont nécessairement été adoptés après le 5 janvier 1989, date à laquelle est venu à expiration le mandat de M. Sutherland, membre en charge des questions de concurrence. En se fondant sur l'arrêt PVC, précité, les requérantes soutiennent que la mention dactylographiée "Pour la Commission, Peter Sutherland, membre de la Commission", apposée au bas des actes notifiés, en admettant même qu'elle puisse, en l'absence de toute griffe manuscrite de M. Sutherland, valoir signature de ce dernier, a nécessairement été apposée soit postérieurement à la date d'expiration du mandat de celui-ci, soit avant le 5 janvier 1989, c'est-à-dire à une date à laquelle les actes, tels que notifiés et publiés, n'existaient pas. Selon les requérantes, l'acte attaqué aurait donc été adopté par une autorité incompétente ratione temporis.

45 Dans le cadre d'un deuxième moyen additionnel, les requérantes constatent que, nonobstant l'ordonnance du Tribunal du 10 mars 1992, lui enjoignant de produire un tel document dans chacune des versions linguistiques faisant foi, la Commission n'a nullement produit de copie certifiée conforme à l'original de la Décision, qui aurait été authentifiée dans les conditions prévues par l'article 12 de son règlement intérieur alors en vigueur, selon lequel "les actes adoptés par la Commission, en séance..., sont authentifiés, dans la langue ou les langues où ils font foi, par les signatures du président et du secrétaire exécutif".

46 Arguant du fait que l'acte déclaré inexistant par l'arrêt PVC était issu de circonstances absolument analogues à celles ayant conduit à l'acte présentement attaqué, les requérantes font valoir que le Tribunal devrait donc être amené à transposer le raisonnement suivi dans cet arrêt aux faits de l'espèce.

47 S'appuyant sur ledit arrêt, les requérantes soutiennent que seule l'authentification de la Décision, conformément aux dispositions de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission, combinée avec le procès-verbal de la séance de la Commission, établi et signé conformément à l'article 10 du règlement intérieur de la Commission, où il est fait mention de l'adoption de cet acte, permettrait, en premier lieu, d'acquérir une connaissance certaine de l'existence matérielle de cet acte et de son contenu ainsi que la certitude que cet acte correspond à la volonté du collège des commissaires. En deuxième lieu, l'authentification permettrait, par la datation de l'acte et l'apposition des signatures du président et du secrétaire général, de s'assurer de la compétence de son auteur. En troisième lieu, en conférant à l'acte son caractère exécutoire, l'authentification assurerait sa pleine incorporation dans l'ordre juridique communautaire.

48 A cet égard, les requérantes refusent d'admettre que la lettre de couverture de la Décision, datée du 5 janvier 1989 et signée par M. Sutherland, puisse, d'une quelconque façon, remplacer l'authentification prévue par le règlement intérieur de la Commission, cette lettre ne pouvant, selon elles, être assimilée à la Décision en tant que telle.

49 Elles formulent la même observation à l'égard du cachet "ampliation certifiée conforme", accompagné de la signature non datée de M. Williamson, secrétaire général de la Commission, apposé sur la première page de chacune des six versions linguistiques de la Décision dans les langues faisant foi, déposées par la Commission le 31 mars 1992.

50 Dans le cadre d'un troisième moyen additionnel, les requérantes refusent de reconnaître toute valeur légale à la formule d'authentification signée par le secrétaire général et M. Delors, président de la Commission, apposée a posteriori sur ces mêmes documents déposés le 31 mars 1992.

51 Relevant que la Commission reconnaît que ladite authentification a été ajoutée dans le seul but de lui permettre de se conformer à l'ordonnance du Tribunal du 10 mars 1992, les requérantes soutiennent que la validité de la procédure d'authentification est subordonnée à la considération qu'il y soit procédé avant la notification aux destinataires concernés et que l'apposition a posteriori d'une telle formule d'authentification tardive contribue, au contraire, à accroître la confusion existante quant à la datation et au contenu de l'acte attaqué.

52 Sur ce point, certaines des requérantes insistent sur le fait que cette authentification tardive n'est nullement datée et que la même formule en français a été apposée sur chacune des versions linguistiques de la Décision, alors que, selon elles, aux termes de la disposition précitée du règlement intérieur de la Commission, l'authentification doit être formulée dans la langue correspondant à chacune des versions linguistiques de l'acte tel qu'adopté.

53 Finalement, les requérantes avancent un quatrième moyen additionnel, tiré du fait que, en l'absence de décision dûment adoptée et authentifiée, l'acte attaqué ne leur a pas été valablement notifié.

Sur la recevabilité

En ce qui concerne la recevabilité du recours T-103-89, Shell International Chemical/Commission

Argumentation des parties

54 La Commission soulève une exception d'irrecevabilité à l'encontre du recours de Shell International Chemical (T-103-89), au motif qu'il a été introduit en dehors du délai de deux mois et de dix jours dont disposait la société en vertu de l'article 173, troisième alinéa, du traité et de l'annexe II au règlement de procédure de la Cour relative aux délais de distance.

55 Elle produit, à l'appui de son exception, un avis de réception de lettre recommandée, signé et daté par un représentant des autorités postales du Royaume-Uni, faisant apparaître que la Décision aurait été notifiée à la société requérante le samedi 11 février 1989. Appliquant la méthode de computation de délais de recours qui résulte, notamment, de l'arrêt de la Cour du 15 janvier 1987, Misset/Conseil (152-85, Rec. p. 223), selon laquelle un délai exprimé en mois de calendrier expire le jour qui, dans le mois indiqué, porte le même chiffre que le jour qui constitue le point de départ du délai, la Commission conclut que le délai de recours dont disposait la requérante, soit, en l'espèce, deux mois et dix jours, a expiré le vendredi 21 avril 1989 à 24 heures. Le recours, introduit le lundi 24 avril 1989, serait, dès lors, tardif.

56 Dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, la requérante ne conteste ni la durée du délai de recours applicable, ni la méthode de computation de ce délai préconisée par la Commission. Elle conteste, toutefois, que la Décision lui ait été notifiée le samedi 11 février 1989. Elle affirme que la date du 11 février 1989, qui est celle à laquelle le courrier litigieux a été reçu par les services postaux, a été apposée, par erreur, par un fonctionnaire des services postaux, dans le cadre de l'avis réservé au destinataire. Elle affirme, en outre, que le courrier a été délivré, et donc la Décision notifiée, le lundi 13 février 1989. A l'appui des ses affirmations, la requérante produit, entre autres, une déposition sous serment signée par le directeur du service clientèle du district postal sud-est de Londres.

57 Dans ses observations complémentaires, la Commission admet que la requérante avance des preuves, à première vue convaincantes, susceptibles de conduire le Tribunal à écarter le moyen de preuve constitué par l'avis de réception postal.

Appréciation du Tribunal

58 Ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante, l'application stricte des règles communautaires concernant les délais de procédure répond à l'exigence de sécurité juridique et à la nécessité d'éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l'administration de la justice (arrêt de la Cour du 26 novembre 1985, Cockerill-Sambre/Commission, 42-85, Rec. p. 3749, point 10). Il est également de jurisprudence constante que les délais de recours ne sont à la disposition ni du juge ni des parties et présentent un caractère d'ordre public (arrêt du Tribunal du 29 mai 1991, Bayer/Commission, T-12-90, Rec. p. II-219, ainsi que arrêt de la Cour du 15 décembre 1994, Bayer/Commission, C-195-91 P, non encore publié au Recueil).

59 Lorsqu'il s'agit de déterminer la date de la notification d'une décision, qui, aux termes de l'article 173, troisième alinéa, du traité, fait courir le délai de recours devant le Tribunal, il est de jurisprudence constante qu'une décision est dûment notifiée lorsqu'elle est communiquée à son destinataire et que celui-ci est mis en mesure d'en prendre connaissance. Dans ce contexte, le Tribunal relève que, selon la jurisprudence, l'envoi par lettre recommandée avec avis de réception postal constitue un mode de notification approprié, dès lors qu'il permet de déterminer avec certitude le point de départ du délai (arrêt du Tribunal Bayer/Commission, précité).

60 Le Tribunal constate, à l'examen de l'avis de réception postal produit par la Commission, que le cadre intitulé "date et signature du destinataire" porte la date du 11 février 1989, mais n'est revêtu d'aucune signature. En outre, la déposition sous serment signée par le directeur du service clientèle du district postal sud-est de Londres, ainsi que les documents y joints, établissent suffisamment que la date du 11 février 1989 a, en fait, été apposée dans ce cadre, par erreur, par un fonctionnaire des services postaux, au moment de la réception du pli à un bureau de poste de Londres, et non par un représentant de la requérante au moment de la remise du pli à celle-ci. Il en résulte que les informations figurant dans ledit avis de réception postal quant à la date de remise du pli sont erronées et doivent, de ce fait, être écartées.

61 Les éléments de preuve produits par la requérante - en particulier, la déposition sous serment susvisée du représentant des services postaux - établissent, quant à eux, que le courrier contenant la décision litigieuse a été remis à la requérante le lundi 13 février 1989. C'est donc à cette date que la Décision a été notifiée à la requérante, au sens de l'article 173, troisième alinéa, du traité.

62 En application de la méthode de computation de délais retenue par la Cour dans l'arrêt Misset/Conseil, précité, le délai de recours de deux mois et de dix jours, dont disposait la requérante, a donc expiré le 23 avril 1989. Toutefois, le Tribunal constate que le 23 avril 1989 était un dimanche et que, aux termes de l'article 80, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour dans sa rédaction alors en vigueur, si un délai prend fin un dimanche, l'expiration en est reportée le jour ouvrable suivant. Il résulte de ce qui précède que la requête de la requérante, reçue à la Cour le lundi 24 avril 1989, a été déposée dans les délais.

63 Dès lors, le recours T-103-89 doit être déclaré recevable.

En ce qui concerne la recevabilité des moyens additionnels soulevés par les parties requérantes dans leurs observations déposées à la suite de la mesure d'organisation de la procédure du 2 avril 1992

64 Ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, les requérantes ont développé quatre moyens nouveaux dans les observations qu'elles ont déposées à la suite de la mesure d'organisation de la procédure du 2 avril 1992. Ces observations concernent les conséquences à tirer des documents produits par la Commission, en réponse à la mesure d'instruction du 10 mars 1992.

65 Aux termes de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

66 Or, le Tribunal constate que les quatre moyens nouveaux sont tous fondés sur des éléments de fait qui, ayant trait au fonctionnement interne de la Commission, ont été relevés par la défenderesse au cours de la procédure, notamment en réponse à la mesure d'instruction diligentée par le Tribunal.

67 Il en résulte que les quatre moyens additionnels soulevés par les requérantes doivent être, en tout état de cause, déclarés recevables.

Sur le fond

Sur les conclusions visant à faire constater l'inexistence de l'acte notifié aux requérantes ou, à titre subsidiaire, la nullité de la décision litigieuse

68 Le Tribunal constate qu'à l'appui de leurs conclusions les requérantes avaient initialement invoqué, dans leurs requêtes introductives d'instance, trois groupes de moyens, tirés de la violation des droits fondamentaux, de la méconnaissance des formes substantielles et de ce que la Commission aurait procédé à une appréciation et à une qualification juridique des faits insuffisantes ou erronées au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Ainsi qu'exposé, elles ont soulevé, dans leurs observations faisant suite à la mesure d'organisation de la procédure du 2 avril 1992, quatre moyens additionnels.

69 Le Tribunal estime qu'il convient de répondre, tout d'abord, à certains des moyens additionnels, tels que soulevés par les requérantes. A cet égard, il convient d'examiner, en premier lieu, le moyen tiré d'une violation du principe de l'intangibilité de l'acte adopté, en deuxième lieu, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte, et, en troisième lieu, le moyen tiré des irrégularités entachant la procédure d'authentification de l'acte. Ensuite, en quatrième lieu, le Tribunal examinera le moyen tiré de l'inexistence de l'acte, en tenant compte également des conclusions résultant de l'examen des trois autres moyens.

70 Préalablement à l'examen de ces moyens, il importe de souligner que l'arrêt PVC, précité, a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour, formé par la Commission le 29 avril 1992. Par arrêt du 15 juin 1994, la Cour a annulé l'arrêt du Tribunal, au motif que le Tribunal avait commis une erreur de droit en déclarant la décision en cause inexistante. La Cour a toutefois annulé la décision que le Tribunal avait déclaré inexistante, à savoir, la décision 89-190-CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.865, PVC), au motif qu'elle avait été adoptée en violation des formes substantielles (arrêt Commission/BASF e.a., C-137-92 P, Rec. p. I-2555).

A - En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du principe de l'intangibilité de l'acte adopté

71 Plusieurs des requérantes ont soutenu que l'acte notifié et publié au Journal officiel des Communautés européennes présentait certaines discordances par rapport à l'acte adopté. Ces discordances, allant au-delà de simples corrections d'ordre orthographique ou syntaxique, traduiraient une violation manifeste du principe de l'intangibilité de l'acte adopté et entacheraient de nullité l'ensemble de la Décision (voir ci-dessus, points 18 à 25).

72 Tout en reconnaissant la réalité des modifications mises à jour par les requérantes, la Commission soutient que lesdites modifications n'ont nullement affecté les droits des entreprises concernées qui ne sauraient donc s'en prévaloir afin de contester la validité de la Décision. La Commission estime, en effet, que les droits des entreprises sont exclusivement déterminés par les actes tels que notifiés. La Commission fait, en outre, valoir que lesdites modifications soit sont d'ordre purement syntaxique ou grammatical, soit trouvent leur origine dans les propositions faites par la réunion spéciale des chefs de cabinet du 19 décembre 1988. Au soutien de son argumentation, elle produit l'ensemble des pièces précédemment analysées (voir ci-dessus, points 26 et 33).

73 Le Tribunal considère que le principe de l'intangibilité de l'acte, une fois adopté par l'autorité compétente, constitue un facteur essentiel de sécurité juridique et de stabilité des situations juridiques dans l'ordre communautaire, aussi bien pour les institutions communautaires que pour les sujets de droit qui voient leur situation juridique et matérielle affectée par une décision desdites institutions. Seul, le respect rigoureux et absolu de ce principe permet d'acquérir la certitude que, postérieurement à son adoption, l'acte ne pourra être modifié que dans le respect des règles de compétence et de procédure et que, par voie de conséquence, l'acte notifié ou publié constituera une copie exacte de l'acte adopté, reflétant ainsi fidèlement la volonté de l'autorité compétente.

74 Dans ce contexte, le Tribunal relève que la Cour a précisé dans son arrêt Commission/BASF e.a., précité, que le respect du principe de collégialité de la Commission, et spécialement la nécessité que les décisions soient délibérées par l'ensemble des membres de la Commission, intéresse nécessairement les sujets de droit concernés par les effets juridiques que produisent ces décisions, en ce sens que leurs destinataires doivent être assurés que ces décisions ont été effectivement adoptées par le collège et correspondent exactement à la volonté de ce dernier (point 64). La Cour a souligné que tel est particulièrement le cas des actes, qualifiés expressément de décisions, que la Commission est amenée à prendre, en vertu des articles 3, paragraphe 1, et 15, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 17 à l'égard des entreprises ou des associations d'entreprises, en vue d'assurer le respect des règles de concurrence et qui ont pour objet de constater une infraction à ces règles, d'émettre des injonctions à l'égard de ces entreprises et de leur infliger des sanctions pécuniaires (point 65).

75 Dans ce même arrêt, la Cour a également rappelé que de telles décisions doivent être obligatoirement motivées, en vertu de l'article 190 du traité, et que, conformément à une jurisprudence constante, cette disposition exige que la Commission expose les raisons qui l'ont amenée à arrêter une décision, afin de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle et de faire connaître tant aux Etats membres qu'aux ressortissants intéressés les conditions dans lesquelles elle a fait application du traité (point 66).

76 La Cour a, en outre, précisé que le dispositif d'une décision en matière de concurrence ne peut se comprendre et sa portée être mesurée qu'à la lumière de ses motifs et que le dispositif et la motivation d'une décision constituant, dès lors, un tout indivisible, c'est uniquement au collège qu'il appartient, en vertu du principe de collégialité, d'adopter à la fois l'un et l'autre. Se référant à son arrêt des poules pondeuses, précité, la Cour a rappelé que le respect de cette obligation implique que seules des adaptations purement orthographiques ou grammaticales peuvent encore être apportées au texte d'un acte, après son adoption formelle par le collège, toute autre modification étant du ressort exclusif de ce dernier (points 67 et 68).

77 Enfin, le Tribunal relève que, sur la base des considérations qui précèdent, la Cour a rejeté l'argument de la Commission, selon lequel, dans le processus de décision, le collège des commissaires peut se limiter à manifester sa volonté d'agir d'une certaine manière, sans avoir à intervenir dans la rédaction de l'acte qui l'entérine et dans sa mise en forme définitive. La Cour a observé, à cet égard, que l'élément intellectuel et l'élément formel constituant un tout indissociable, la mise en forme écrite de l'acte est l'expression nécessaire de la volonté de l'autorité qui l'adopte (points 69 et 70).

78 En l'espèce, le Tribunal constate, en premier lieu, que l'ensemble des pièces produites par la Commission et analysées ci-dessus (voir ci-dessus, points 28 et 30), établissent que les trois projets soumis à la délibération du collège des commissaires, datés du 14 décembre 1988, présentent certaines discordances avec les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes. Le Tribunal constate, d'ailleurs, que ces discordances ne sont pas, dans leur principe, contestées par la défenderesse, soit qu'elle estime, pour certaines, qu'elles sont de portée tout à fait mineure, soit que ces modifications n'affectent en rien, selon elle, les droits et obligations des entreprises, tels que déterminés par le contenu de l'acte notifié.

79 Le Tribunal constate, en second lieu, que, selon les termes mêmes du procès-verbal de la séance n° 945 du collège des commissaires, la Commission, saisie par M. Sutherland, membre en charge des questions de concurrence, à la date du 21 décembre 1988, des projets de décision cotés C (88) 2498, a, à cette date :

- décidé que les 17 entreprises désignées dans l'affaire PEBD ont enfreint l'article 85 du traité, déterminé le montant des amendes qu'il convenait de leur infliger, et approuvé le principe de l'injonction à adresser aux entreprises d'avoir à mettre fin à l'infraction ;

- adopté une décision concernant l'affaire IV-31.866, PEBD dans chacune des trois langues, allemande, anglaise et française, faisant foi à l'égard de certaines des requérantes, ces décisions étant "reprises" aux documents C (88) 2498, précités ;

- habilité le membre de la Commission en charge des questions de concurrence à adopter le texte de la décision dans les autres langues officielles de la Communauté ;

- pris connaissance de l'examen de l'affaire par les chefs de cabinet des commissaires, lors de la réunion spéciale et de la réunion hebdomadaire de ceux-ci du 19 décembre 1988.

80 C'est au vu de ces constatations de fait qu'il y a lieu, pour le Tribunal, de procéder à l'appréciation juridique du moyen tiré de la violation du principe de l'intangibilité de l'acte adopté, dans ses versions arrêtées en langues allemande, anglaise et française.

81 A cet égard, le Tribunal constate qu'il ressort d'un examen comparatif des projets de décision du 14 décembre 1988, tels qu'adoptés par le collège des commissaires, aux termes du procès-verbal de la séance n° 945 en langues allemande, anglaise et française, d'une part, et de la Décision telle que notifiée et publiée, d'autre part, que celle-ci a fait l'objet de nombreuses modifications, postérieurement à son adoption. Cet examen comparatif confirme l'exactitude des tableaux de discordances produits par BASF, Bayer, Enichem, Chemie Holding, Hoechst, Atochem, et Dow Chemical, d'ailleurs non contestés par la Commission, qui s'est limitée à souligner le caractère non substantiel des modifications apportées.

82 La comparaison des trois projets du 14 décembre 1988, rédigés en langues allemande, anglaise et française, et adoptés, selon les termes du procès-verbal de la séance n° 945, par la Commission, le 21 décembre 1988, montre, en effet, que la décision adoptée en langues allemande, anglaise et française présente des discordances sensibles avec la Décision, telle que notifiée et publiée. En admettant même que les modifications apportées à l'acte adopté en langues allemande, anglaise et française par le collège des commissaires aient pu avoir pour objet d'harmoniser les textes notifiés et publiés dans les différentes langues faisant foi, ces modifications sont néanmoins irrégulières, dès lors qu'elles sont postérieures à l'adoption de l'acte, qu'elles excèdent largement, pour certaines d'entre elles, les limites de simples corrections orthographiques ou syntaxiques et qu'elles portent ainsi directement atteinte au principe de l'intangibilité de l'acte adopté par l'autorité compétente.

83 Parmi les discordances relevées, notamment dans la plaidoirie commune des requérantes, plusieurs ne peuvent, en effet, être regardées comme des corrections d'ordre purement syntaxique ou orthographique. Au nombre de celles-ci, le Tribunal relève notamment les modifications suivantes, apportées respectivement aux textes allemand, anglais et français du projet de décision daté du 14 décembre 1988, et ceci après que la Commission a adopté ce projet, ainsi qu'il résulte du procès-verbal, précité, de sa 945e séance :

i) modifications au texte du projet du 14 décembre 1988 adopté en langue allemande (les références sont données dans la version du projet de décision adopté en langue allemande, produit par la Commission le 7 février 1992 et daté du 14 décembre 1988) :

- page 19, point 14, cinquième alinéa dans le texte notifié et publié, la phrase "Auch Repsol wurde offiziell eingeladen" ("Repsol était également officiellement invitée") a été ajoutée ;

- page 24, point 31, septième alinéa : la phrase "Die Kommission erkennt nicht an, dass diese Hersteller ein solch umfangreiches Unternehmen ohne eine globale Koordinierung oder Leitung ihrer Preispolitik durchgeführt haben können" ("La Commission n'admet pas que ces producteurs puissent avoir mené des activités aussi importantes sans coordination globale de leur politique en matière de prix") a été remplacée, dans l'acte notifié et publié, par la phrase "Die Kommission erkennt nicht an, dass diese Hersteller den Vertrieb eines derart preisanfalligen Erzeugnisses ohne interne Leitung ihrer Preispolitik durchgeführt haben können" ("La Commission n'admet pas que ces producteurs puissent avoir mené des activités concernant ce produit sensible aux prix sans direction interne de leur politique en matière de prix") ;

- page 48, point 64, premier alinéa : un cinquième tiret, ne figurant pas dans le texte du projet du 14 décembre 1988, "- die Sitzungen blieben ausserst geheim" ("- les réunions se tenaient dans le plus grand secret") a été ajouté dans le texte publié et notifié, alors que le texte du cinquième tiret existant dans le projet de décision a été déplacé afin de constituer le second alinéa du point 64 du texte notifié et publié ;

ii) modifications au texte du projet du 14 décembre 1988 adopté en langue anglaise (les références sont données dans la version du projet de décision adopté en langue anglaise, produit par la Commission le 7 février 1992 et daté du 14 décembre 1988) :

- page 2, point 2, premier alinéa : dans la seconde phrase de cet alinéa, le membre de phrase "and in some cases produce inside the EEC" ("et dans certains cas le fabriquent dans la CEE"), figurant dans le projet, a été supprimé dans l'acte notifié et publié ;

- page 22, point 31, septième alinéa : la deuxième phrase de cet alinéa "The Commission does not accept that these producers could have conducted such an important business with no overall co-ordination of direction of their pricing policy" ("La Commission n'admet pas que ces producteurs puissent avoir mené des activités aussi importantes sans coordination globale de leur politique en matière de prix"), figurant dans ce projet, a été remplacée par la phrase "The Commission does not accept that these producers could have conducted business in this price-sensitive product without any internal direction of their pricing policy" ("La Commission n'admet pas que ces producteurs puissent avoir mené des activités concernant ce produit sensible aux prix sans direction interne de leur politique en matière de prix"), figurant dans l'acte notifié et publié ;

- page 27, point 37 : le second alinéa "In the present case, the continuing restrictive arrangements of the LDPE producers over a period of years are clearly referable in their essential characteristics to the proposal made in 1976 and constitute its implementation in practice" ("En l'espèce, les arrangements restrictifs permanents appliqués par les producteurs de PEBD pendant plusieurs années se rattachent incontestablement par leurs caractéristiques essentielles à la proposition de 1976 dont ils constituent la mise en œuvre pratique") a été remplacé par le texte suivant, dans l'acte notifié et publié : "In the present case, the continuing restrictive arrangements of the LDPE producers over a period of years clearly originate in the proposal made in 1976 and constitute its implementation in practice" ("En l'espèce, les arrangements restrictifs permanents appliqués par les producteurs de PEBD pendant plusieurs années se rattachent incontestablement à la proposition de 1976 dont ils constituent la mise en œuvre pratique") ;

iii) modifications au texte du projet du 14 décembre 1988 adopté en langue française (les références sont données dans la version du projet de décision adopté en langue française, produit par la Commission le 7 février 1992, et daté du 14 décembre 1988) :

- page 2, point 2, premier alinéa : dans la seconde phrase de cet alinéa, le membre de phrase "et dans certains cas les y fabriquent", figurant dans ce projet, a été supprimé dans l'acte notifié et publié ;

- page 23, point 31, septième alinéa : la deuxième phrase de cet alinéa, "La Commission n'admet pas que ces producteurs puissent avoir mené des activités aussi importantes sans coordination globale de leur politique en matière de prix", figurant dans ce projet, a été remplacée par la phrase : "La Commission n'admet pas que ces producteurs puissent avoir mené des activités concernant ce produit sensible aux prix sans direction interne de leur politique en matière de prix", figurant dans l'acte notifié et publié ;

- page 34, point 46, troisième alinéa, deuxième phrase : le membre de phrase entre tirets "tels que le "gel" de la clientèle ou le renvoi de nouveaux clients", figurant dans le projet a été remplacé par le membre de phrase entre tirets "tels que le "gel" de la clientèle ou la fin de non-recevoir opposée à des demandes", figurant dans l'acte notifié et publié.

84 Dès lors que les modifications ainsi apportées, d'une part, sont postérieures à l'adoption de l'acte, le 21 décembre 1988, et, d'autre part, ne présentent pas un caractère purement orthographique ou syntaxique, elles ont nécessairement été ajoutées par une personne incompétente pour ce faire et, par suite, elles affectent le caractère intangible de l'acte adopté par le collège des commissaires, sans qu'il y ait lieu d'examiner la portée, l'importance ou le caractère substantiel de ces modifications, ainsi qu'il ressort des arrêts des poules pondeuses et BASF e.a./Commission, précités.

85 Par ailleurs, il ressort de l'instruction que, outre celles qui viennent d'être analysées, certaines des modifications, qui apparaissent dans les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes, concernent l'ensemble des versions adoptées, selon les termes du procès-verbal de la séance n° 945, le 21 décembre 1988, en langues allemande, anglaise et française.

86 En outre, le Tribunal constate qu'au quatrième alinéa du point 34 des motifs des actes notifiés et publiés au Journal officiel des Communautés européennes figure un alinéa entièrement nouveau, ce qui, pour certaines des langues faisant foi, et notamment pour la version italienne, ressort d'ailleurs clairement d'une présentation typographique différente de l'acte notifié, pour le passage en cause. Cet alinéa nouveau concerne le point de savoir si, dans le cas où, comme en l'espèce, une procédure engagée au titre de l'article 85 du traité concerne plusieurs entreprises, la Commission peut faire droit, à l'égard des autres entreprises intéressées par la même procédure, à la renonciation, formée par une des entreprises, à la confidentialité s'attachant aux informations la concernant ou si, au contraire, des considérations d'ordre public s'opposent à ce que, dans une telle hypothèse, la Commission accède à la demande dont elle est saisie par l'entreprise au bénéfice de laquelle joue la confidentialité. Ce problème, délicat et controversé, a été abordé par la Commission à la page 52 de son Dix-huitième Rapport sur la politique de concurrence.

87 Selon l'alinéa ajouté dans les actes notifiés : "Il faudrait préciser que tout renoncement de la part d'entreprises au caractère confidentiel de leurs documents d'affaires internes est subordonné à l'intérêt public, qui exige que des concurrents ne soient pas informés réciproquement de leurs activités et de leurs politiques commerciales, de telle manière que la concurrence entre eux soit restreinte."

88 Le procès-verbal de la réunion du collège des commissaires du 21 décembre 1988, produit devant le Tribunal, montre que, s'il est établi, selon les termes mêmes du procès-verbal de la séance n° 945, que la Commission a adopté les projets datés du 14 décembre 1988, lesquels, tels qu'adoptés dans chacune des trois langues faisant foi, ne comportent pas l'alinéa litigieux, il est seulement établi que la Commission a pris connaissance de l'examen de l'affaire par les chefs de cabinet, à l'occasion d'une réunion spéciale de ceux-ci du 19 décembre 1988. A cet égard, le Tribunal relève que, si la Commission a versé aux débats des documents qualifiés d'extraits certifiés conformes à l'original du procès-verbal de la réunion spéciale des chefs de cabinet du 19 décembre 1988 et si, au nombre de ces pièces, figure, en annexe III, un document reproduisant, en langues anglaise et française, l'alinéa litigieux, les documents produits n'établissent nullement que cet amendement aurait été adopté ou proposé par les chefs de cabinet, en vue d'être soumis à la délibération du collège des commissaires.

89 En admettant même que l'amendement dont il s'agit ait pu être soumis et proposé au collège des commissaires, lors de sa délibération du 21 décembre 1988 - ce qui, de toute façon, ne saurait être le cas pour ce qui concerne le texte de la Décision adoptée en langue allemande, dès lors que, ainsi qu'il vient d'être exposé, l'annexe III n'est rédigée qu'en langues anglaise et française -, le Tribunal considère que les termes mêmes du procès-verbal de la réunion, précédemment analysés (voir ci-dessus, point 79), ne permettent pas de conclure que le collège des commissaires, en adoptant les projets du 14 décembre 1988 qui ne contiennent pas cet alinéa, a également entendu adopter ledit amendement. Par suite, l'incorporation de celui-ci dans l'ensemble des actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes est nécessairement postérieure au 21 décembre 1988 et constitue une méconnaissance manifeste du principe de l'intangibilité de l'acte adopté par l'autorité compétente. Cette adjonction à la motivation de la Décision, qui n'est ni d'ordre syntaxique ni d'ordre grammatical, affecte ainsi la validité de l'ensemble des actes notifiés comme celle de l'acte publié au Journal officiel des Communautés européennes, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt des poules pondeuses, précité, sans qu'il soit besoin d'examiner son caractère substantiel, au demeurant non contestable.

90 Il résulte de ce qui précède qu'il convient de faire droit au premier moyen d'annulation additionnel soulevé par les requérantes.

B - En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte

91 Dans leurs mémoires écrits, certaines des entreprises requérantes ont expressément soulevé le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des actes notifiés et publiés. Ainsi, Hoechst a soutenu que la défense présentée par la Commission, en réponse au moyen soulevé par les requérantes et tiré de la violation de l'intangibilité de l'acte, conduit à poser la question de savoir si le membre de la Commission en charge des questions de concurrence pouvait valablement adopter les décisions dans certaines des langues faisant foi. Ces requérantes ont également relevé que le mandat de M. Sutherland expirait le 5 janvier 1989, alors que, selon les indications fournies par la Commission, la Décision, dans les différentes langues officielles, n'aurait été remise au secrétariat général de la Commission que le 16 janvier 1989, soit onze jours plus tard.

92 Au cours de la procédure orale, l'ensemble des requérantes a invoqué, à l'appui de ce moyen, le raisonnement suivi sur ce point par le Tribunal dans son arrêt PVC, précité, au terme duquel il a conclu, en premier lieu, à l'incompétence ratione materiae du membre de la Commission en charge des questions de concurrence pour adopter les actes notifiés et publiés en langues italienne et néerlandaise et, en second lieu, à l'incompétence ratione temporis du même membre de la Commission pour adopter les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes (arrêt PVC, précité, points 54 à 65).

93 Pour sa part, la Commission a soutenu, dans ses écrits, que les actes ont été régulièrement adoptés, dans trois des langues faisant foi, par le collège des commissaires et que l'article 27 de son règlement intérieur constitue la base légale des décisions adoptées en langues espagnole, italienne et néerlandaise qui ont été ainsi compétemment adoptées par le membre en charge des questions de concurrence, dûment habilité à cet effet par le collège. Elle a précisé, à cet égard, que le mandat donné à M. Sutherland n'était pas personnel et qu'il était conféré au membre en charge des questions de concurrence.

94 Au cours de la procédure orale, la Commission a, par ailleurs, fait valoir que, contrairement au contenu explicite du procès-verbal de la séance n° 945 de la Commission du 21 décembre 1988, celle-ci a adopté la Décision dans l'ensemble des langues faisant foi.

95 L'examen du premier moyen a fait apparaître, comme il vient d'être dit, l'existence de discordances entre les actes adoptés, d'une part, et les actes notifiés et publiés, d'autre part, ces modifications provenant nécessairement de tiers par rapport au collège des commissaires et ayant été apportées postérieurement à l'adoption, par ce dernier, des actes attaqués. C'est à la lumière de ces constatations qu'il appartient au Tribunal d'examiner le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des actes notifiés et publiés, tel que soulevé par les requérantes. Ce moyen, qui, en tout état de cause, est d'ordre public, comprend lui-même deux branches. Il convient, en effet, de distinguer entre la compétence ratione materiae et la compétence ratione temporis de l'auteur des actes notifiés et publiés, tels que déférés au Tribunal par les requérantes.

1. Quant à la compétence ratione materiae du membre de la Commission en charge des questions de concurrence pour adopter les actes notifiés et publiés en langues espagnole, italienne et néerlandaise

96 En vertu des dispositions de l'article 3 du règlement n° 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (JO 1958, 17, p. 385), dans sa version alors en vigueur, modifié, en dernier lieu, par le point XVIII de l'annexe I à l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JO 1994, C. 241, p. 21, modifié par la décision du Conseil de l'Union européenne, du 1er janvier 1995, portant adaptation des instruments à l'adhésion de nouveaux Etats membres à l'Union européenne, JO 1995, L. 1, p. 1, ci-après "règlement n° 1"), "les textes adressés par les institutions... à une personne relevant de la juridiction d'un Etat membre sont rédigés dans la langue de cet Etat". Par ailleurs, en application de l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, dans sa rédaction alors en vigueur, un acte adopté par la Commission, selon la procédure écrite ou en séance, doit être authentifié par les signatures du président et du secrétaire exécutif, dans la ou les langues où il fait foi.

97 Le Tribunal estime qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que, dans le cas où, comme en l'espèce, la Commission entend adopter, par un acte matériellement unique, une décision qui fait foi à l'égard de plusieurs personnes morales relevant de régimes linguistiques différents, la décision doit, sauf à rendre toute authentification impossible, être adoptée dans chacune des langues où elle fait foi. En l'espèce, il n'est pas possible de retenir les affirmations de la Commission faites au cours de la procédure orale, selon lesquelles la Décision a été adoptée dans l'ensemble des langues faisant foi, dès lors qu'il ressort des termes mêmes du procès-verbal de la séance n° 945 du collège des commissaires, approuvé par ce dernier le 22 décembre 1988, que la Décision n'a pas été adoptée par le collège des commissaires dans les langues espagnole, italienne et néerlandaise, qui seules font foi à l'égard, respectivement, de Repsol, Enichem, Montedison et DSM.

98 En vertu des dispositions de l'article 27, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, dans sa rédaction applicable aux faits de la cause, "la Commission peut, à condition que le principe de sa responsabilité collégiale soit pleinement respecté, habiliter ses membres à prendre en son nom et sous son contrôle, des mesures de gestion ou d'administration clairement définies".

99 Le Tribunal constate que, dans son arrêt Commission/BASF e.a., précité, la Cour a jugé que, à la différence des décisions ordonnant à une entreprise de se soumettre à une vérification, qui, en tant que mesures d'instruction, peuvent être considérées comme de simples mesures de gestion, les décisions constatant une infraction à l'article 85 ne peuvent, sans violer le principe de collégialité, faire l'objet d'une habilitation au sens de l'article 27 précité du règlement intérieur de la Commission, en faveur du seul membre en charge des questions de concurrence (point 71).

100 Il résulte, en effet, de l'examen des dispositions, précitées, du premier alinéa de l'article 27 du règlement intérieur de la Commission, en combinaison avec celles du second alinéa du même article, relatif aux délégations susceptibles d'être accordées aux fonctionnaires, que le collège des commissaires pourrait seulement, le cas échéant, donner délégation à l'un de ses membres en vue de l'adoption de la décision dans les langues officielles de la Communauté, telles que définies à l'article 1er du règlement n° 1 autres que les langues faisant foi, soit, en l'espèce, les langues danoise, grecque et portugaise, dès lors que les décisions arrêtées dans ces trois langues ne produisent aucun effet juridique et ne valent pas titre exécutoire à l'égard d'une ou de plusieurs entreprises citées dans le dispositif de la décision.

101 Toute autre est la portée de l'adoption de la décision dans la langue faisant foi. En effet, une décision constatant une infraction à l'article 85 du traité, émettant des injonctions à l'égard de plusieurs entreprises, leur infligeant des sanctions pécuniaires importantes et valant titre exécutoire à cet effet affecte de façon caractérisée les droits et obligations de ces dernières, ainsi que leur patrimoine. Elle ne saurait être regardée comme une simple mesure d'administration ou de gestion et, par suite, être compétemment adoptée par un seul membre, sans méconnaître directement le principe de collégialité, expressément rappelé par l'article 27, précité, du règlement intérieur de la Commission.

102 Il résulte de ce qui précède que l'acte adopté par le membre en charge des questions de concurrence, en langues espagnole, italienne et néerlandaise, dans les conditions définies par le mandat à lui conféré par la délibération du 21 décembre 1988 émane d'une autorité incompétente ratione materiae.

2. Quant à la compétence ratione temporis du membre de la Commission en charge des questions de concurrence pour adopter les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes

103 Si le membre en charge des questions de concurrence n'a pas, comme il vient d'être dit, qualité pour adopter seul, dans les langues faisant foi, une décision d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il a, sans nul doute, qualité pour signer les copies de l'acte arrêté par le collège des commissaires, en vue de leur notification aux destinataires de l'acte, dans les conditions prévues par l'article 12, troisième alinéa, du règlement intérieur de la Commission, dans sa rédaction alors en vigueur. Toutefois, en l'espèce, il ressort tant des mémoires de la Commission que des précisions fournies par cette dernière lors de la procédure orale, que le texte de l'acte préparé dans les différentes langues, qu'il s'agisse des six langues faisant foi ou des trois autres langues officielles, n'a été définitivement établi et transmis au secrétariat général de la Commission - qui lui-même l'a alors transmis aux juristes linguistes pour révision, dans les conditions prévues par l'arrêt de la Cour des poules pondeuses, précité - que le 16 janvier 1989, les travaux des juristes linguistes s'étant achevés à la fin du mois de janvier 1989.

104 Dans ces conditions, le Tribunal constate que la défenderesse, en réponse aux allégations précises des requérantes, n'a pas été en mesure d'établir l'existence d'un acte achevé et susceptible d'être notifié et publié, antérieurement à une date comprise entre le 16 janvier 1989 et le 31 janvier 1989. Dès lors, les actes notifiés, dans chacune des six langues faisant foi, doivent nécessairement être regardés comme ayant été adoptés postérieurement au 5 janvier 1989, date à laquelle venait à expiration le mandat de M. Sutherland.

105 Par suite, la mention dactylographiée "Pour la Commission, Peter Sutherland, membre de la Commission", apposée au bas des actes notifiés, en admettant même qu'elle puisse, en l'absence de toute griffe manuscrite de M. Sutherland, valoir signature de ce dernier, a nécessairement été apposée soit postérieurement à la date d'expiration de son mandat, soit avant le 5 janvier 1989, c'est-à-dire à une date à laquelle les actes, tels que notifiés et publiés, n'existaient pas. La circonstance que, à la date du 5 janvier 1989, M. Sutherland a signé la lettre d'envoi aux requérantes d'actes non encore définitivement arrêtés est sans aucune incidence juridique, dès lors que cette lettre d'accompagnement ne s'incorpore pas à l'acte litigieux et ne produit aucun effet juridique. De même, la circonstance, alléguée par la Commission, que l'habilitation a été conférée au membre en charge des questions de concurrence et non personnellement à M. Sutherland est sans aucune incidence sur la réponse à apporter au moyen. En effet, en admettant même le bien-fondé de l'argumentation de la défenderesse, il aurait incombé alors au membre en charge des questions de concurrence qui a succédé à M. Sutherland, et dont le mandat a commencé le 6 janvier 1989 de procéder à la signature des actes, à supposer qu'il eût compétence pour ce faire. Tel n'a pas été le cas en l'espèce. Dès lors, le Tribunal constate que les actes notifiés aux requérantes et publiés au Journal officiel des Communautés européennes, le 17 mars 1989, émanent nécessairement d'une autorité incompétente ratione temporis.

106 Il ne pourrait être remédié à ce vice que dans l'hypothèse où la défenderesse établirait qu'il n'affecte que la copie notifiée aux destinataires ou l'exemplaire transmis, aux fins de publication au Journal officiel des Communautés européennes, à l'Office des publications officielles des Communautés européennes mais qu'en revanche la décision originale a été dûment et compétemment signée. Dans cette hypothèse, en effet, l'incompétence du signataire des actes notifiés et publiés pourrait être utilement combattue. Seule une telle production, venant confirmer la présomption de validité qui s'attache aux actes communautaires, corollaire du formalisme rigoureux qui caractérise leur adoption, aurait, en l'espèce, été de nature à effacer le vice d'incompétence manifeste qui entache la Décision, telle que notifiée aux requérantes et publiée au Journal officiel des Communautés européennes. Pour les raisons qui seront exposées ci-après, le Tribunal ne peut que constater que cette preuve n'a pu, en l'espèce, être rapportée par la défenderesse.

107 Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire droit, en ses deux branches, au deuxième moyen d'annulation additionnel soulevé par les requérantes tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte.

C - En ce qui concerne le moyen tiré des irrégularités ayant entaché la procédure d'authentification de l'acte adopté par la Commission

Argumentation des parties

108 A l'encontre de la production, par la Commission, le 31 mars 1991, d'une copie de l'acte attaqué, revêtue, pour chacune des versions linguistiques faisant foi, de la formule, non datée, d'authentification, rédigée en langue française, les parties requérantes font valoir que l'authentification prévue à l'article 12 du règlement intérieur de la Commission dans sa rédaction alors en vigueur doit intervenir avant la notification de l'acte attaqué.

109 Plus précisément, elles soutiennent que le président et le secrétaire général de la Commission ont apposé tardivement leur signature sur une copie de l'acte attaqué, qu'ils ne sont nullement habilités à modifier postérieurement les textes de décisions qui ont été arrêtés par la Commission ou à approuver des modifications faites par des tiers et qu'ils ne peuvent conférer audit texte l'apparence de l'authenticité, suscitant ainsi le risque d'induire les tiers en erreur quant à la date de l'adoption de l'acte attaqué et quant à son contenu, tel qu'arrêté lors de son adoption.

110 Partant, elles contestent qu'en l'espèce l'authentification, intervenue tardivement, respecte les exigences de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission, dans sa rédaction alors en vigueur.

111 A l'opposé, la Commission soutient que l'authentification, prévue à l'article 12 de son règlement intérieur, constitue une procédure interne qui ne concerne nullement les tiers, qui ne sauraient donc se prévaloir d'une quelconque irrégularité intervenue à cet égard.

112 En outre, la défenderesse fait valoir que l'article 12 de son règlement intérieur ne mentionne pas la date à laquelle l'authentification des décisions adoptées doit intervenir, et qu'à l'égard des tiers les effets juridiques d'une décision adoptée par la Commission ne résultent nullement de son authentification mais de sa notification à ses destinataires, telle que prévue à l'article 191, second alinéa, du traité CEE.

113 Selon la Commission, l'authentification d'une décision adoptée par la Commission implique qu'elle s'approprie cette décision comme ayant été régulièrement adoptée par elle. Partant, elle conclut au rejet de ce moyen.

Appréciation du Tribunal

114 Le Tribunal relève que la formule d'authentification apposée sur chacune des versions linguistiques de l'acte attaqué faisant foi n'est nullement datée. Par ailleurs, la Commission a expressément admis que l'authentification avait été effectuée dans le seul but de lui permettre de se conformer à la mesure d'instruction diligentée par le Tribunal dans son ordonnance du 10 mars 1992, précitée.

115 De même, le Tribunal relève-t-il que la formule d'authentification est apposée sur le texte en langues espagnole, italienne et néerlandaise de l'acte attaqué, alors même que le procès-verbal de la 945e réunion de la Commission, déposé au Tribunal le 6 février 1992, établit que les projets de décision soumis au collège des commissaires au cours de cette réunion avaient seulement été adoptés en langues allemande, anglaise et française.

116 Or, l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, dans sa rédaction alors en vigueur, prévoit que les actes adoptés par la Commission sont authentifiés, dans la ou les langues où ils font foi, par les signatures du président et du secrétaire général. En outre, selon le second alinéa de cette disposition, le texte de ces actes doit être annexé au procès-verbal de la Commission où il est fait mention de leur adoption.

117 Sur ce point, il importe de rappeler que la Cour a jugé, dans l'arrêt Commission/BASF e.a., précité, que l'authentification des actes, telle que prévue à l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, a pour but d'assurer la sécurité juridique, en figeant, dans les langues faisant foi, le texte adopté par le collège et qu'elle permet ainsi de vérifier, en cas de contestation, la correspondance parfaite entre des textes notifiés ou publiés avec le texte adopté par le collège et, par là même, avec la volonté de leur auteur (point 75). La Cour a également jugé, dans ce même arrêt, qu'il découle de ce qui précède que l'authentification des actes, visée à l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, constitue une forme substantielle, au sens de l'article 173 du traité, dont la violation peut donner lieu à un recours en annulation (point 76).

118 Or, il est établi que, en l'espèce, l'acte litigieux n'a pas été authentifié avant que le procès-verbal de la 945e réunion de la Commission ait été signé. Au contraire, il apparaît que l'acte litigieux a été authentifié non seulement postérieurement à sa notification aux entreprises concernées et postérieurement à sa publication au Journal officiel, mais également postérieurement à l'introduction des recours en annulation et à la notification de l'ordonnance du Tribunal du 10 mars 1992.

119 Il en résulte que l'authentification des documents soumis au Tribunal le 31 mars 1992 ne permet pas de déterminer de façon précise la date à laquelle l'acte attaqué a été adopté, ainsi que son contenu, et qu'elle ne répond donc pas aux exigences de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission.

120 Partant, une telle authentification tardive ne saurait être considérée comme satisfaisant aux prescriptions de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission. Le Tribunal conclut donc à l'absence d'un acte dûment authentifié selon la disposition, précitée, du règlement intérieur de la Commission, à la date de sa notification aux entreprises concernées.

121 Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen d'annulation additionnel soulevé par les requérantes, tiré des vices ayant entaché la procédure d'authentification de la Décision, doit être accueilli.

D - En ce qui concerne le moyen tiré de l'inexistence de l'acte

122 Le Tribunal estime que les requérantes soulignent, à juste titre (voir ci-dessus, points 45 à 50) que l'acte déclaré inexistant par l'arrêt PVC, précité, a été élaboré et adopté dans des circonstances analogues à celles ayant présidé à l'adoption de l'acte présentement attaqué. Il relève que les requérantes font valoir que le Tribunal devrait, dès lors, être amené à transposer le raisonnement suivi par lui dans cet arrêt aux faits de l'espèce, pour conclure à l'inexistence de l'acte.

123 Toutefois, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, l'arrêt du Tribunal du 27 février 1992, BASF e.a/Commission, précité, a fait l'objet d'un pourvoi et a été annulé par arrêt de la Cour Commission/BASF e.a., précité. Dans cet arrêt, la Cour a rappelé que les actes des institutions communautaires jouissent d'une présomption de légalité et, partant, produisent des effets juridiques, même s'ils sont entachés d'irrégularités, aussi longtemps qu'ils n'ont pas été annulés ou retirés (point 48). La Cour a jugé que, par exception à ce principe, les actes entachés d'une irrégularité dont la gravité est si évidente qu'elle ne peut pas être tolérée par l'ordre juridique communautaire doivent être réputés n'avoir produit aucun effet juridique, même provisoire, c'est-à-dire être regardés comme juridiquement inexistants(point 49). Toutefois, elle a estimé que la gravité des conséquences qui s'attachent à la constatation de l'inexistence d'un acte des institutions de la Communauté implique que, pour des raisons de sécurité juridique, cette constatation soit réservée à des hypothèses tout à fait extrêmes(point 50). Appliquant ces principes à la décision PVC, la Cour a, d'abord, constaté que "le Tribunal n'a pas mis en doute que la Commission, au cours de la réunion du 21 décembre 1988, ainsi que l'atteste le procès-verbal y relatif, a effectivement décidé d'adopter le dispositif qui y est repris, quels que puissent être les vices dont cette décision était entachée" (point 51). Elle a ensuite jugé que "qu'elles soient considérées isolément ou même dans leur ensemble, les irrégularités de compétence et de forme relevées par le Tribunal, qui concernent la procédure d'adoption de la décision, n'apparaissent pas d'une gravité à ce point évidente que ladite décision doive être regardée comme juridiquement inexistante" (point 52). La Cour a, dès lors, estimé que le Tribunal avait commis une erreur de droit en déclarant la décision en cause inexistante (point 53).

124 Appliquant les principes ainsi dégagés par la Cour de justice aux faits des présentes affaires, le Tribunal ne peut que rejeter les conclusions des requérantes tendant à la constatation de l'inexistence de la Décision. En ce qui concerne, tout d'abord, le dispositif de la Décision, le Tribunal note que les modifications apportées au texte adopté par le collège des commissaires ne dépassent pas les adaptations orthographiques ou grammaticales permises par la jurisprudence de la Cour (arrêt Commission/BASF e.a., précité, point 68). En ce qui concerne les autres vices de compétence et de forme constatés ci-dessus dans le présent arrêt, le Tribunal considère qu'ils sont très similaires à ceux constatés dans l'affaire PVC, de sorte qu'ils ne sauraient justifier une déclaration d'inexistence.

E - Sur les conclusions tendant à la nullité de la décision litigieuse

125 Il résulte de ce qui a été dit plus haut (voir, ci-dessus, points 90, 107 et 121) que le Tribunal considère comme fondés les trois moyens additionnels soulevés par les requérantes, tirés d'une violation du principe de l'intangibilité de l'acte adopté, de l'incompétence de l'auteur de l'acte et des irrégularités ayant entaché la procédure d'authentification de l'acte. Il résulte également du raisonnement ayant conduit le Tribunal à retenir le bien-fondé de ces moyens que la Décision a été adoptée en violation des principes de collégialité dans l'adoption des décisions par la Commission et de la protection de la sécurité juridique, ainsi qu'en violation de l'article 190 du traité et des formes substantielles.

126 Pour l'ensemble de ces motifs, la décision 89-191-CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.866, PEBD) doit être annulée.

Sur les conclusions de Montedison aux fins d'indemnité

127 La requérante dans le recours T-105-89, Montedison, demande au Tribunal de condamner la Commission à rembourser, à titre de dommages et intérêts, les frais exposés dans la procédure administrative et à réparer tous les dommages résultant de l'exécution de la Décision ou de l'obligation, en cas de paiement différé, de fournir des garanties.

128 A l'examen des mémoires de la requérante, le Tribunal constate que cette demande n'est soutenue par aucun argument, non plus que par une évaluation du préjudice allégué lui permettant de statuer utilement sur de telles conclusions. Dans ces circonstances, la demande ne peut qu'être rejetée comme irrecevable.

Sur les dépens

129 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses conclusions et les parties ayant conclu en ce sens, il y a lieu de mettre les dépens à la charge de l'institution.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1) L'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission dans l'affaire T-103-89 est rejetée.

2) La décision 89-191-CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.866, PEBD) est annulée.

3) Les conclusions tendant à la constatation de l'inexistence de la décision 89-191-CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.866, PEBD) sont rejetées.

4) Les conclusions aux fins d'indemnité présentées dans l'affaire T-105-89 sont rejetées comme irrecevables.

5) La Commission est condamnée aux dépens.