TPICE, 1re ch., 6 avril 1995, n° T-150/89
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
GB Martinelli
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kirschner
Juges :
MM. Bellamy, Vesterdorf, Garcia-Valdecasas, Lenaerts
Avocat :
M. Maccarone.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
LES FAITS A L'ORIGINE DU RECOURS
1 La présente affaire a pour objet la décision 89-515-CEE de la Commission, du 2 août 1989, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.553 - Treillis soudés, JO L.260, p. 1, ci-après "Décision"), par laquelle celle-ci a infligé à quatorze producteurs de treillis soudés une amende pour avoir violé l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Le produit faisant l'objet de la Décision est le treillis soudé. Il s'agit d'un produit préfabriqué d'armature, constitué de fils d'acier tréfilés à froid, lisses ou crantés, qui sont assemblés par soudage de chaque point de croisement pour former un réseau. Il est utilisé presque dans tous les domaines de la construction en béton armé.
2 A partir de 1980, un certain nombre d'ententes et de pratiques, qui sont à l'origine de la Décision, se seraient développées dans ce secteur sur les marchés allemand, français et du Benelux.
3 Les 6 et 7 novembre 1985, en application de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), des fonctionnaires de la Commission ont procédé, simultanément et sans avertissement, à des inspections dans les bureaux de sept entreprises et de deux associations : à savoir, Tréfilunion SA, Sotralentz SA, Tréfilarbed Luxembourg-Saarbrücken SARL, Ferriere Nord SpA (Pittini), Baustahlgewebe GmbH, Thibo Draad- en Bouwstaalprodukten BV (Thibodraad), NV Bekaert, Syndicat national du tréfilage d'acier (STA) et Fachverband Betonstahlmatten eV ; les 4 et 5 décembre 1985, ils ont procédé à d'autres inspections dans les bureaux des entreprises ILRO SpA, G. B. Martinelli, NV Usines Gustave Boël (afdeling Trébos), Tréfileries de Fontaine-l'Evêque, Frère-Bourgeois Commerciale SA, Van Merksteijn Staalbouw BV et ZND Bouwstaal BV.
4 Les éléments trouvés dans le cadre de ces vérifications, ainsi que les renseignements obtenus en application de l'article 11 du règlement n° 17, ont amené la Commission à conclure que, entre 1980 et 1985, les producteurs concernés avaient violé l'article 85 du traité par une série d'accords ou de pratiques concertées portant sur les quotas de livraison et sur les prix du treillis soudé. La Commission a engagé la procédure prévue par l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 et, le 12 mars 1987, une communication des griefs a été envoyée aux entreprises concernées qui y ont répondu. Une audition de leurs représentants a eu lieu les 23 et 24 novembre 1987.
5 Au terme de cette procédure, la Commission a pris la Décision. Selon celle-ci (point 22), les restrictions de la concurrence consistaient en une série d'accords et/ou de pratiques concertées ayant pour objet la fixation de prix et/ou de quotas de livraison ainsi que la répartition des marchés du treillis soudé. Ces ententes avaient, selon la Décision, trait à différents marchés partiels (les marchés français, allemand ou celui du Benelux), mais affectaient le commerce entre Etats membres puisqu'y participaient des entreprises établies dans plusieurs Etats membres. Selon la Décision : "Il s'agit moins en l'espèce d'une entente globale entre tous les producteurs de tous les Etats membres concernés que d'un ensemble d'ententes différentes entre des participants parfois différents eux aussi. Toutefois en réglementant les différents marchés partiels, cet ensemble d'ententes a eu pour effet de réglementer dans une large mesure une partie substantielle du Marché commun."
6 La Décision comporte le dispositif suivant :
"Article premier
Les entreprises Tréfilunion SA, Société métallurgique de Normandie (SMN), CCG (TECNOR), Société de treillis et panneaux soudés (STPS), Sotralentz SA, Tréfilarbed SA ou Tréfilarbed Luxembourg-Saarbrücken SARL, Tréfileries de Fontaine-l'Evêque, Frère-Bourgeois Commerciale SA (maintenant Steelinter SA), NV Usines Gustave Boël, afdeling Trébos, Thibo Draad- en Bouwstaalprodukten BV (maintenant Thibo Bouwstaal BV), Van Merksteijn Staalbouw BV, ZND Bouwstaal BV, Baustahlgewebe GmbH, ILRO SpA, Ferriere Nord SpA (Pittini) et G. B. Martinelli fu G. B. Metallurgica SpA ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE en participant, entre le 27 mai 1980 et le 5 novembre 1985, dans un ou plusieurs cas, à un ou plusieurs accords et/ou pratiques concertées (ententes) qui consistaient à fixer des prix de vente, à restreindre les ventes, à se répartir les marchés et à prendre des mesures visant à appliquer ces ententes et à contrôler cette application.
Article 2
Dans la mesure où elles continuent à exercer une activité dans le secteur des treillis soudés dans la Communauté, les entreprises citées à l'article 1er sont tenues de mettre fin immédiatement aux infractions constatées (si elles ne l'ont pas encore fait) et de s'abstenir à l'avenir, en ce qui concerne cette activité, de tous accords et/ou pratiques concertées ayant un objet ou un effet identique ou similaire.
Article 3
Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises citées ci-après pour les infractions constatées à l'article 1er :
1) Tréfilunion SA (TU) : une amende de 1 375 000 écus ;
2) Société métallurgique de Normandie (SMN) : une amende de 50 000 écus ;
3) Société des treillis et panneaux soudés (STPS) : une amende de 150 000 écus ;
4) Sotralentz SA : une amende de 228 000 écus ;
5) Tréfilarbed Luxembourg-Saarbrücken SARL : une amende de 1 143 000 écus ;
6) Steelinter SA : une amende de 315 000 écus ;
7) NV Usines Gustave Boël, afdeling Trébos : une amende de 550 000 écus ;
8) Thibo Bouwstaal BV : une amende de 420 000 écus ;
9) Van Merksteijn Staalbouw BV : une amende de 375 000 écus ;
10) ZND Bouwstaal BV : une amende de 42 000 écus ;
11) Baustahlgewebe GmbH (BStG) : une amende de 4 500 000 écus ;
12) ILRO SpA : une amende de 13 000 écus ;
13) Ferriere Nord SpA (Pittini) : une amende de 320 000 écus ;
14) G. B. Martinelli fu G. B. Metallurgica SpA : une amende de 20 000 écus.
..."
La procédure
7 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 25 octobre 1989, la requérante, G. B. Martinelli, anciennement G. B. Metallurgica SpA (ci-après "Martinelli") a introduit le présent recours, visant à l'annulation de la Décision. Dix des treize autres destinataires de cette Décision ont également introduit un recours.
8 Par ordonnances du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé cette affaire ainsi que les dix autres devant le Tribunal, en application de l'article 14 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L.319, p. 1). Ces recours ont été enregistrés sous les numéros T-141-89 à T-145-89 et T-147-89 à T-152-89.
9 Par ordonnance du 13 octobre 1992, le Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure.
10 Par lettres déposées au greffe du Tribunal entre le 22 avril et le 7 mai 1993, les parties ont répondu aux questions qui leur avaient été posées par le Tribunal.
11 Au vu des réponses fournies à ces questions et sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.
12 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 14 au 18 juin 1993.
Conclusions des parties
13 La requérante a conclu à ce qu'il plaise au Tribunal :
- à titre principal :
compte tenu du fait que Martinelli est une petite entreprise qui a été amenée à adhérer aux accords en cause à la seule fin d'opérer sur le marché français,
donnant acte à la société requérante de ce qu'elle a adhéré à ces accords dans la conviction qu'ils étaient légaux et autorisés en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité,
dire que Martinelli n'est pas responsable des faits qui lui sont reprochés et, par conséquent, annuler la Décision, en annulant l'amende de 20 000 écus infligée à la requérante ;
- à titre subsidiaire :
eu égard au fait que Martinelli n'a jamais concrètement profité de la situation engendrée par les accords intervenus entre les producteurs de treillis soudés,
et donnant acte à Martinelli de ce que, étant parfaitement de bonne foi, elle n'a jamais rien dissimulé à la Commission, mais a toujours admis loyalement les faits qui lui ont été reprochés,
réduire l'amende infligée à Martinelli de manière proportionnelle aux amendes infligées aux sociétés qui ont bénéficié dans une plus large mesure des accords en cause, en tenant compte de la participation effective de la requérante à ces mêmes accords.
14 La Commission a conclu à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours présenté par Martinelli comme non fondé ;
- condamner la requérante aux dépens de l'instance.
Sur le fond
15 Le Tribunal constate que la Décision (points 23, 51, 159 et 160) fait grief à la requérante d'avoir participé à deux séries d'ententes sur le marché français. Ces ententes auraient impliqué, d'une part, les producteurs français (Tréfilunion, STPS, SMN, CCG et Sotralentz) et, d'autre part, les producteurs étrangers opérant sur le marché français (ILRO, Ferriere Nord, Martinelli, Boël/Trébos, Tréfileries de Fontaine-l'Evêque, Frère-Bourgeois Commerciale et Tréfilarbed) et auraient eu pour objet de définir des prix et des quotas, en vue de limiter les importations de treillis soudés en France, et de procéder à un échange d'informations. La première série d'ententes aurait été mise en œuvre entre avril 1981 et mars 1982, la seconde entre le début de l'année 1983 et la fin de l'année 1984. Cette seconde série d'ententes aurait été formalisée par l'adoption en octobre 1983 d'un "protocole d'accord".
16 La requérante soulève trois moyens à l'appui de son recours. Le premier est tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en ce que sa participation aux accords n'aurait pas constitué une infraction à cette disposition. Le deuxième est pris de la violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en ce que sa participation aux accords ne justifierait pas l'imposition d'une amende, qui, en tout état de cause, devrait être réduite. Le troisième est tiré de la violation de l'article 190 du traité CEE.
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité
Arguments des parties
17 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission a violé l'article 85, paragraphe 1, du traité en considérant que sa participation aux accords conclus entre les producteurs de treillis soudé constituait une infraction à cette disposition. En effet, elle aurait été contrainte de souscrire à des accords préexistants conclus par les plus grands producteurs de treillis soudé dans la mesure où il s'agissait pour elle du seul moyen de pénétrer le marché français sur lequel elle n'était pas présente jusqu'alors. Elle espérait pouvoir disposer ainsi des informations indispensables à la conquête de ce marché.
18 Elle relève que, en raison de sa très petite taille sur le marché, elle n'a pu avoir la moindre influence sur les accords conclus à l'initiative des grands producteurs et qu'elle a donc dû accepter passivement leurs décisions.
19 La requérante ajoute que, en raison également de sa taille, sa participation aux accords n'a pu avoir aucune influence ni sur la concurrence ni sur le commerce entre Etats membres. Elle en veut notamment pour preuve qu'elle n'est jamais parvenue à atteindre le quota exagéré qui lui avait été imparti sur le marché français et qui n'aurait été qu'un quota théorique.
20 Elle conteste le point 162 de la Décision, selon lequel "les conséquences de la participation aux ententes ne doivent pas être appréciées séparément pour chacune des entreprises participantes, mais dans le cadre plus général des ententes globales entre tous les participants, en prenant en considération les ententes conclues pour les autres marchés partiels (Benelux et Allemagne). Compte tenu des engagements pris réciproquement avec des producteurs de ces marchés, le comportement d'une entreprise n'ayant qu'une part de marché relativement modeste prend également plus d'importance". En effet, d'une part, ce raisonnement ne saurait lui être applicable dans la mesure où il ne saurait être question de réciprocité dans son chef puisque la Commission lui fait uniquement grief d'avoir participé à une entente sur le seul marché français. D'autre part, elle considère qu'une telle globalisation est inacceptable, la Commission devant prendre en considération la participation individuelle de chaque entreprise.
21 La Commission répond que l'argumentation de la requérante est, pour l'essentiel, dépourvue de pertinence pour ce qui concerne l'établissement de l'infraction, mais qu'elle a été prise en compte au niveau de la détermination du montant de l'amende au titre de la gravité de l'infraction.
22 Au surplus, la Commission considère que l'argument tiré par la requérante de sa petite taille sur le marché repose sur une erreur de droit, la question pertinente n'étant pas de savoir si la participation de la requérante aux accords a été susceptible de restreindre la concurrence, mais bien celle de savoir si les accords auxquels elle admet avoir adhéré ont pu restreindre la concurrence (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6-89, Rec. p. II-1623, point 216).
Appréciation du Tribunal
23 Le Tribunal constate liminairement que la requérante a reconnu, dans ses propres conclusions, avoir adhéré aux accords conclus entre producteurs de treillis soudé et qu'elle ne conteste pas l'objet de ceux-ci, à savoir fixer des prix et des quotas.
24 L'article 85, paragraphe 1, du traité interdit comme étant incompatibles avec le Marché commun tous accords entre entreprises ou pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction et à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.
25 Il résulte du texte de cette disposition que les seules questions pertinentes sont celles de savoir si les accords auxquels la requérante a participé avec d'autres entreprises avaient pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence et s'ils étaient susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres. Par conséquent, la question de savoir si la participation individuelle de la requérante à ces accords pouvait, malgré sa petite taille, restreindre la concurrence ou affecter le commerce entre Etats membres est dépourvue de pertinence(arrêt Enichem Anic/Commission, précité, points 216 et 224).
26 Or, la requérante ne conteste pas que les accords auxquels elle a adhéré avaient pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence ni qu'ils étaient susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres, ce qu'attestent les nombreux documents relatifs à des réunions auxquelles participaient des producteurs de différents Etats membres (voir notamment les points 32 à 35, 53 et 54 de la Décision) et le fait que la requérante admet s'être "adaptée aux ententes" et avoir eu un comportement "orthodoxe" dans le cadre de l'entente". L'allégation de la requérante concernant l'éventuel caractère théorique de son quota n'infirme pas ce raisonnement.
27 Il convient d'ailleurs de relever que l'article 85, paragraphe 1, du traité n'exige pas que les restrictions de concurrence constatées aient effectivement affecté sensiblement les échanges entre Etats membres, mais requiert uniquement qu'il soit établi que ces accords sont de nature à avoir eu un tel effet(arrêt de la Cour du 1er février 1978, Miller/Commission, 19-77, Rec. p. 131, point 15).
28 Il résulte de ce qui précède que, ainsi que l'a constaté la Décision, en adhérant à des accords qui avaient pour objet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun et qui étaient susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres, la requérante a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité.
29 Le moyen doit donc être rejeté.
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 15 du règlement n° 17
30 Ce moyen comporte trois branches. La première a trait à l'absence de propos délibéré ou de négligence dans le chef de la requérante, la deuxième au rôle limité qu'elle a joué et la troisième au principe d'égalité de traitement.
I - Sur l'absence de propos délibéré ou de négligence dans le chef de la requérante
Arguments des parties
31 La requérante soutient qu'il ne saurait lui être fait grief d'avoir agi de propos délibéré ou par négligence, dans la mesure où elle a adhéré aux accords dans la conviction qu'ils répondaient aux exigences de l'article 85, paragraphe 3, du traité. En effet, elle était convaincue que ces accords, dans la mesure où ils la concernaient, étaient uniquement destinés à mieux répartir les ressources économiques et ne visaient pas à imposer des restrictions d'aucune sorte à la libre circulation des biens, d'autant plus qu'elle y avait adhéré pour pouvoir pénétrer sur le marché français. Cette conviction aurait été renforcée par le fait que les articles 2595 et suivants du Code civil italien autorisent, sous certaines conditions, les accords destinés à assurer une meilleure distribution des ressources nationales et à contrôler l'évolution de la concurrence.
32 Elle ajoute que sa bonne foi est corroborée par le fait qu'elle n'a jamais considéré comme "confidentiels" les documents en sa possession relatifs aux accords incriminés, mais les a toujours spontanément présentés à la Commission.
33 La Commission soutient qu'il n'est pas nécessaire d'avoir conscience de commettre une infraction à l'article 85 du traité pour que celle-ci puisse être sanctionnée par une amende (arrêt Miller/Commission, précité).
34 Elle ajoute qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour que la référence à la législation italienne n'est pas pertinente en l'espèce (arrêt du 11 janvier 1990, Sandoz Prodotti Farmaceutici/Commission, C-277-87, Rec. p. I-45).
35 La Commission fait valoir, enfin, que la requérante n'a pu imaginer que les accords en question pouvaient bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité puisqu'ils n'ont pas été notifiés alors qu'ils n'étaient pas dispensés de notification au titre de l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17.
Appréciation du Tribunal
36 Le Tribunal rappelle que, pour qu'une infraction aux règles de concurrence du traité puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n'est pas nécessaire que l'entreprise ait eu conscience d'enfreindre ces règles, il suffit qu'elle n'ait pu ignorer que sa conduite avait pour objet de restreindre la concurrence(arrêts de la Cour du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, 246-86, Rec. p. 2117, point 41, et du 8 février 1990, Tipp-Ex/Commission, C-279-87, Rec. p. I-261 ; arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Chemie Linz/Commission, T-15-89, Rec. p. II-1275, point 350).
37 En l'espèce, eu égard à la gravité intrinsèque et au caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, et en particulier à ses points a) et c), le Tribunal considère que la requérante ne saurait prétendre qu'elle n'a agi ni par négligence ni de propos délibéré. De plus, elle ne saurait se prévaloir de ce qu'elle était convaincue que les accords auxquels elle a adhéré devaient bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Elle ne pouvait en effet ignorer ni que pour pouvoir bénéficier d'une exemption ces accords devaient être notifiés à la Commission, ni que ces accords ne pouvaient bénéficier de la dispense de notification prévue par l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17.
38 Quant à l'argument tiré des dispositions du code civil italien, il y a lieu d'ajouter qu'une loi nationale ne peut justifier un comportement interdit par le traité. Une erreur éventuelle de la requérante sur ce point ne saurait infirmer le fait qu'elle devait savoir que son comportement restreignait la concurrence au sens de la jurisprudence de la Cour, précitée.
39 Le grief ne peut donc pas être accueilli.
II - Sur le caractère limité du rôle joué par la requérante
Arguments des parties
40 La requérante souligne que les documents mentionnés par la Commission aux points 31 à 45 et 51 à 70 de la Décision montrent qu'elle n'a jamais pris l'initiative des accords et qu'elle n'a fait qu'adhérer à des accords existants entre les grands producteurs européens dans la mesure où il s'agissait du seul moyen de pénétrer le marché français.
41 Elle considère que la Commission aurait dû tenir compte de ce rôle limité et passif et distinguer son sort de celui des grandes entreprises qui avaient pris l'initiative de ces accords.
42 La Commission rétorque qu'elle n'a ni reconnu que la requérante avait joué un rôle "insignifiant" dans le cadre des ententes pas plus qu'elle ne lui a reproché d'avoir pris "l'initiative des accords". Elle souligne cependant que la requérante a joué un rôle actif dans la phase de négociation, de conclusion et d'exécution des ententes, comme le prouvent les documents énumérés aux points 31 à 45 et 51 à 70 de la Décision.
43 Elle fait valoir que, parmi les multiples facteurs dont elle a tenu compte pour fixer le montant des amendes, figurent l'importance, le degré d'implication, la durée de la participation et le rôle joué lors des négociations des ententes par chacune des entreprises, ainsi que leur participation à la mise en œuvre de celles-ci.
44 La Commission affirme, enfin, que le fait d'avoir adhéré aux accords en vigueur en vue de pouvoir exporter vers la France ne constitue nullement une circonstance atténuante pour la requérante et encore moins une cause d'exemption.
Appréciation du Tribunal
45 Le Tribunal constate que la requérante n'a avancé aucun élément pour contredire les preuves produites par la Commission pour établir le rôle actif qu'elle a joué dans les ententes.
46 A cet égard, il convient de souligner que l'importance de ce rôle ressort notamment des documents relatifs à la préparation et aux résultats de la réunion qui s'est tenue à Paris le 1er avril 1981. Au nombre de ces documents, figurent un télex adressé le 25 mars 1981 par la requérante à Italmet, l'agent en France de Ferriere Nord et de la requérante (point 32 de la Décision), un télex adressé le 9 avril 1981 à la requérante par Italmet (point 33 de la Décision), un mémorandum daté du 9 avril 1981 rédigé par M. Marie de Tréfilunion (point 34 de la Décision), ainsi qu'un tableau émanant de cette dernière intitulé "Importation du treillis soudé en provenance d'Italie" (point 35 de la Décision). Ces documents montrent que la requérante a pris une part active dans la préparation et la conclusion des accords de prix et de quotas conclus lors de la réunion du 1er avril 1981 par les producteurs français, italiens et belges, pour l'année suivante.
47 Par ailleurs, le rôle joué par la requérante dans la mise en œuvre des ententes est également illustré par le télex qu'elle a adressé le 14 juillet 1983 à Italmet (point 57 de la Décision). Par ce télex, la requérante autorise Italmet à vendre des panneaux standard "moyennant 400 FF sur les prix de liste Tréfilunion, pour livraison deuxième moitié de septembre, à moins que vous n'ayez vendu le solde de quota de production".
48 Au surplus, le Tribunal considère que c'est à bon droit que la Commission a indiqué, au point 203 de la Décision, que, dans la fixation des amendes, elle a tenu compte de l'intensité et de la durée de l'implication des entreprises participantes, ainsi que de leur situation financière et économique.
49 Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.
III - Sur la violation du principe d'égalité de traitement
Arguments des parties
50 La requérante soutient que l'amende qui lui a été infligée est disproportionnée par rapport aux amendes qui ont été infligées à ILRO et Ferriere Nord.
51 D'une part, elle relève qu'ILRO s'est vu infliger une amende qui ne représente que 0,05 % de son chiffre d'affaires annuel en treillis soudé alors qu'elle-même s'est vu infliger une amende représentant 1,5 % de celui-ci. Or, la participation d'ILRO à l'infraction aurait été beaucoup plus importante que la sienne en ce qu'ILRO se serait trouvée à l'origine des accords, aurait exporté en deux mois plus de treillis soudé que la requérante en cinq ans et aurait tiré des accords un bénéfice considérable à la différence de la requérante. Elle ajoute, au stade de la réplique, que la Commission ne saurait justifier cette différence de traitement ni en se référant aux sanctions illégales prises par les autorités françaises à l'encontre d'ILRO, puisqu'elles ont été annulées par le juge administratif, ni en se prévalant du non-respect des accords par ILRO, sous peine de favoriser doublement cette entreprise, qui a obtenu une diminution de l'amende et a tiré un profit du non-respect des accords.
52 D'autre part, la requérante fait valoir que Ferriere Nord s'est vu infliger une amende ne représentant que 1 % de son chiffre d'affaires sans que rien ne puisse justifier cette différence de traitement.
53 La Commission répond que la différence de traitement observée entre ILRO et la requérante est due aux facteurs suivants : le non-respect par ILRO des accords conclus qui aurait contribué à ébranler l'entente, le fait qu'elle n'a pu établir qu'ILRO ait encouragé la prorogation des ententes de 1981-1982, le fait qu'ILRO a aidé la Commission dans ses investigations, en y collaborant de manière décisive, le fait qu'elle avait été victime de mesures de rétorsion de la part des autorités françaises et, enfin, le fait qu'elle a cessé de participer à l'entente en mai 1984 (voir les points 44, 64, 65, 66 et 204 de la Décision). Ces facteurs devraient être mis en parallèle avec le respect scrupuleux des accords par la requérante.
54 Elle ajoute que la prise en compte, comme circonstance atténuante, du non-respect des accords anticoncurrentiels est fondée sur l'idée que c'est la concurrence qui doit être sauvegardée et que le non-respect d'accords anticoncurrentiels contribue doublement à la sauvegarde de la concurrence en diminuant l'effet des accords et en contribuant à leur ébranlement.
55 La Commission expose, encore, qu'il est sans importance qu'elle n'ait précisé qu'à l'audience le fait que c'est ILRO qu'elle visait au point 204 de le Décision, selon lequel "une entreprise a aidé la Commission dans ses investigations". En effet, le Tribunal aurait admis ce procédé dans son arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission (T-7-89, Rec. p. II-1711, point 358).
56 Elle souligne, enfin, que la différence de traitement relative entre la requérante et Ferriere Nord résulte de ce que cette dernière exporte vers la France une proportion beaucoup moins importante de sa production que la requérante.
Appréciation du Tribunal
57 Le Tribunal rappelle que, selon la jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, pour qu'il y ait violation du principe d'égalité de traitement, il faut que des situations comparables aient été traitées de manière différente (arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, point 295).
58 Or, en l'espèce, force est de constater que les différences entre les situations d'ILRO et de la requérante mises en évidence par la Commission sont suffisantes pour justifier la différence de traitement observée entre ces deux entreprises.
59 S'il est vrai que, présentée en termes de pourcentage du chiffre d'affaires pour le produit concerné (0,05 % contre 1,5 %), la différence de traitement apparaît plus considérable qu'en termes de chiffres absolus (13 000 contre 20 000 écus), le Tribunal considère néanmoins que la requérante ne saurait prétendre que le principe d'égalité de traitement a été violé. En effet, les amendes constituent un instrument de la politique de concurrence de la Commission. C'est pourquoi celle-ci doit pouvoir disposer d'une marge d'appréciation dans la fixation de leur montant afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence.
60 Dans cette perspective, il y a lieu de constater que la Commission a, en l'espèce, diminué sensiblement le montant de l'amende infligée à ILRO parce que son comportement avait atténué le préjudice porté à la concurrence par l'infraction à laquelle elle avait participé, notamment en ce qu'elle n'a pas respecté les accords de prix et de quotas conclus et a coopéré à la procédure d'établissement de l'infraction qui a permis à la Commission de mettre fin à celle-ci. Pour qu'une telle diminution du montant de l'amende puisse avoir les effets escomptés, il faut qu'elle puisse être suffisamment importante en termes absolus. Dans le cas de la requérante, de telles circonstances atténuantes font défaut.
61 Le Tribunal considère que, en ce qui concerne l'entreprise Ferriere Nord, les différences de pourcentages d'exportation des deux entreprises sur le marché français par rapport à leur production totale justifient l'imposition d'un niveau différent d'amendes.
62 Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 190 du traité
Arguments des parties
63 La requérante soutient que la Décision n'est pas motivée à suffisance de droit à l'égard des producteurs italiens. Elle relève que, à la différence de ce qu'elle a fait pour les autres entreprises, impliquées dans le marché français, la Commission n'a consacré aux producteurs italiens que trois lignes de commentaires insignifiants, qui ne reposaient sur aucune enquête.
64 La Commission répond qu'elle était uniquement tenue d'indiquer de manière synthétique les caractéristiques pertinentes ou frappantes des différentes entreprises par rapport à la sanction qui était infligée, dans la mesure où cela s'avérait nécessaire, pour encadrer ou déterminer le rôle de chacune d'entre elles dans le cadre de cette entente. Elle estime avoir donné une description suffisamment précise de la situation des entreprises italiennes et d'en avoir repris les caractéristiques essentielles. Elle ajoute que leur situation était plus simple puisqu'il ne leur était pas fait grief d'avoir participé à une entente sur le marché italien.
Appréciation du Tribunal
65 Le Tribunal rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante que l'objet de l'obligation de motivation des décisions faisant grief est de permettre au juge d'exercer son contrôle sur la légalité de ces décisions et de fournir aux intéressés les indications nécessaires pour savoir si elles sont ou non bien fondées (arrêts du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44-90, Rec. p. II-1, point 42, et du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission, T-7-92, Rec. p. II-669, point 30). Par conséquent, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait et de droit et les considérations qui l'ont amenée à prendre une décision d'application des règles de concurrence.
66 En l'espèce, force est de constater que la requérante procède à une lecture de la Décision qui isole artificiellement une partie de celle-ci, alors que, la Décision constituant un tout, chacune de ses parties doit être lue à la lumière des autres. En effet, le Tribunal considère que la Décision, prise dans son ensemble, a fourni aux intéressées les indications nécessaires pour savoir si elle est ou non bien fondée et lui a permis d'exercer son contrôle sur sa légalité.
67 En outre, il importe de relever, avec la Commission, que la brièveté des passages consacrés dans la Décision à la requérante est due au fait que les entreprises italiennes, contrairement aux autres entreprises, n'ont participé aux ententes que sur un seul marché.
68 Par conséquent, le grief doit être rejeté.
69 Au vu de tout ce qui précède, le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu d'annuler l'amende de 20 000 écus infligée à la requérante ni de la réduire.
70 Par conséquent, le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
71 Aux termes de l'article 87 du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La requérante est condamnée aux dépens.