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Décisions

TPICE, 1re ch., 6 avril 1995, n° T-144/89

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cockerill-Sambre (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kirschner

Juges :

MM. Bellamy, Vesterdorf, Garcia-Valdecasas, Lenaerts

Avocats :

Mes Waelbroeck, Vandencasteele.

TPICE n° T-144/89

6 avril 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

Les faits à l'origine du recours

1 La présente affaire a pour objet la décision 89-515-CEE de la Commission, du 2 août 1989, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV- 31553 ° Treillis soudés, JO L. 260, p. 1, ci-après "Décision"), par laquelle celle-ci a infligé à quatorze producteurs de treillis soudés une amende pour avoir violé l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Le produit faisant l'objet de la Décision est le treillis soudé. Il s'agit d'un produit préfabriqué d'armature, constitué de fils d'acier tréfilés à froid, lisses ou crantés, qui sont assemblés par soudage de chaque point de croisement pour former un réseau. Il est utilisé dans presque tous les domaines de la construction en béton armé.

2 A partir de 1980, un certain nombre d'ententes et de pratiques, qui sont à l'origine de la Décision, se seraient développées dans ce secteur sur les marchés allemand, français et du Benelux.

3 Pour le marché allemand, le Bundeskartellamt a autorisé, le 31 mai 1983, la constitution d'un cartel de crise structurelle des producteurs allemands de treillis soudé, qui après avoir été prorogé une fois, a pris fin en 1988. Le cartel avait comme objet la réduction des capacités et prévoyait également des quotas de livraison et une régulation des prix qui n'ont toutefois été approuvés que pour les deux premières années de son application (points 126 et 127 de la Décision).

4 La Commission française de la concurrence a émis, le 20 juin 1985, un avis relatif à la situation de la concurrence sur le marché des treillis soudés en France, qui a été suivi par une décision n°85-6-DC, du 3 septembre 1985, du Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget français, imposant des amendes à diverses sociétés françaises pour avoir mis en œuvre des actions et des pratiques ayant pour objet et pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et d'entraver le fonctionnement normal du marché durant la période allant de 1982 à 1984.

5 Les 6 et 7 novembre 1985, en application de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n°17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n°17"), des fonctionnaires de la Commission ont procédé, simultanément et sans avertissement, à des inspections dans les bureaux de sept entreprises et de deux associations: à savoir, Tréfilunion SA, Sotralentz SA, Tréfilarbed Luxembourg-Saarbruecken SARL, Ferriere Nord SpA (Pittini), Baustahlgewebe GmbH (BStG), Thibo Draad- en Bouwstaalprodukten BV, NV Bekaert, Syndicat national du tréfilage d'acier (STA) et Fachverband Betonstahlmatten eV les 4 et 5 décembre 1985, ils ont procédé à d'autres inspections dans les bureaux des entreprises ILRO SpA, G B Martinelli, NV Usines Gustave Boël (afdeling Trébos), Tréfileries de Fontaine-l'Évêque (TFE), Frère-Bourgeois Commerciale SA (FBC), Van Merksteijn Staalbouw BV et ZND Bouwstaal BV.

6 Les éléments trouvés dans le cadre de ces vérifications ainsi que les renseignements obtenus en application de l'article 11 du règlement n°17 ont amené la Commission à conclure que, entre 1980 et 1985, les producteurs concernés avaient violé l'article 85 du traité par une série d'accords ou de pratiques concertées sur les quotas de livraison et sur les prix du treillis soudé. La Commission a engagé la procédure prévue par l'article 3, paragraphe 1, du règlement n°17 et, le 12 mars 1987, la communication des griefs a été envoyée aux entreprises concernées qui y ont répondu. Une audition de leurs représentants a eu lieu les 23 et 24 novembre 1987.

7 Au terme de cette procédure, la Commission a pris la Décision. Selon celle-ci (point 22), les restrictions de la concurrence consistaient en une série d'accords et/ou de pratiques concertées ayant pour objet la fixation de prix et/ou de quotas de livraison ainsi que la répartition des marchés du treillis soudé. Ces ententes avaient, selon la Décision, trait à différents marchés partiels (les marchés français, allemand ou celui du Benelux), mais affectaient le commerce entre États membres puisqu'y participaient des entreprises établies dans plusieurs États membres. Selon la Décision: "Il s'agit moins en l'espèce d'une entente globale entre tous les producteurs de tous les États membres concernés que d'un ensemble d'ententes différentes entre des participants parfois différents eux aussi Toutefois en réglementant les différents marchés partiels, cet ensemble d'ententes a eu pour effet de réglementer dans une large mesure une partie substantielle du Marché commun."

8 La Décision comporte le dispositif suivant:

"Article premier

Les entreprises Tréfilunion SA, Société métallurgique de Normandie (SMN), CCG (TECNOR), Société de treillis et panneaux soudés (STPS), Sotralentz SA, Tréfilarbed SA ou Tréfilarbed Luxembourg-Saarbruecken SARL, Tréfileries de Fontaine-l'Évêque, Frère-Bourgeois Commerciale SA (maintenant Steelinter SA), NV Usines Gustave Boël, afdeling Trébos, Thibo Draad- en Bouwstaalprodukten BV (maintenant Thibo Bouwstaal BV), Van Merksteijn Staalbouw BV, ZND Bouwstaal BV, Baustahlgewebe GmbH, ILRO SpA, Ferriere Nord SpA (Pittini) et G B Martinelli fu G B Metallurgica SpA ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE en participant, entre le 27 mai 1980 et le 5 novembre 1985, dans un ou plusieurs cas, à un ou plusieurs accords et/ou pratiques concertées (ententes) qui consistaient à fixer des prix de vente, à restreindre les ventes, à se répartir les marchés et à prendre des mesures visant à appliquer ces ententes et à contrôler cette application.

Article 2

Dans la mesure où elles continuent à exercer une activité dans le secteur des treillis soudés dans la Communauté, les entreprises citées à l'article 1er sont tenues de mettre fin immédiatement aux infractions constatées (si elles ne l'ont pas encore fait) et de s'abstenir à l'avenir, en ce qui concerne cette activité, de tous accords et/ou pratiques concertées ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises citées ci-après pour les infractions constatées à l'article 1er:

1) Tréfilunion SA (TU): une amende de 1 375 000 écus

2) Société métallurgique de Normandie (SMN): une amende de 50 000 écus

3) Société des treillis et panneaux soudés (STPS): une amende de 150 000 écus

4) Sotralentz SA: une amende de 228 000 écus

5) Tréfilarbed Luxembourg-Saarbruecken SARL: une amende de 1 143 000 écus

6) Steelinter SA: une amende de 315 000 écus

7) NV Usines Gustave Boël, afdeling Trébos: une amende de 550 000 écus

8) Thibo Bouwstaal BV: une amende de 420 000 écus

9) Van Merksteijn Staalbouw BV: une amende de 375 000 écus

10) ZND Bouwstaal BV: une amende de 42 000 écus

11) Baustahlgewebe GmbH (BStG): une amende de 4 500 000 écus

12) ILRO SpA: une amende de 13 000 écus o

13) Ferriere Nord SpA (Pittini): une amende de 320 000 écus

14) G B Martinelli fu G B Metallurgica SpA: une amende de 20 000 écus.

"

9 Selon la Décision [points 14 et 195, sous e)], Tréfileries de Fontaine-l'Évêque (TFE) est une unité de production appartenant au groupe Cockerill Sambre, auquel appartient également l'entreprise Frère-Bourgeois Commerciale SA (FBC), qui commercialise les treillis soudés fabriqués par TFE. La Décision ajoute que, à partir du 1er avril 1986, FBC a changé son nom par Steelinter SA, société qui a déposé le présent recours Par acte du 30 décembre 1989, Cockerill Sambre a déclaré vouloir dissoudre volontairement Steelinter. Suite à cette décision, Cockerill Sambre a déclaré formellement vouloir reprendre l'instance entamée par Steelinter Il sera donc fait référence à la requérante indistinctement sous le nom de FBC ou TFE.

La procédure

10 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 18 octobre 1989, la requérante a introduit le présent recours, visant à l'annulation de la Décision. Dix des treize autres destinataires de cette décision ont également introduit un recours.

11 Par ordonnances du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé cette affaire ainsi que les dix autres devant le Tribunal, en application de l'article 14 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L. 319, p. 1). Ces recours ont été enregistrés sous les numéros T-141-89 à T-145-89 et T-147-89 à T-152-89.

12 Par ordonnance du 13 octobre 1992, le Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure.

13 Par lettres déposées au greffe du Tribunal entre le 22 avril et le 7 mai 1993, les parties ont répondu aux questions qui leur avaient été posées par le Tribunal.

14 Au vu des réponses fournies à ces questions et sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

15 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 14 au 18 juin 1993.

Conclusions des parties

16 La requérante a conclu à ce qu'il plaise au Tribunal:

à titre principal:

° annuler la Décision et condamner la Commission aux dépens

à titre subsidiaire:

° annuler l'article 3 de la décision en ce qu'il inflige à la requérante une amende de 315 000 écus ou, à tout le moins, réduire l'amende à un montant symbolique et, en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens.

17 La Commission a conclu à ce qu'il plaise au Tribunal:

° rejeter le recours comme non fondé

° condamner la requérante aux dépens.

Sur le fond

18 La requérante invoque en substance deux moyens à l'appui de son recours. Le premier est tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité le second est pris de la violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n°17.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité: l'établissement des ententes

I ° Sur le marché français

A ° Pour la période 1981-1982

Acte attaqué

19 La Décision (points 23 à 50 et 159) fait grief à la requérante d'avoir participé, entre avril 1981 et mars 1982, à une première série d'ententes sur le marché français. Ces ententes auraient impliqué, d'une part, les producteurs français (Tréfilunion, STPS, SMN, CCG et Sotralentz) et, d'autre part, les producteurs étrangers opérant sur le marché français (ILRO, Ferriere Nord, Martinelli, Boël/Trébos, TFE, FBC et Tréfilarbed). Elles auraient eu pour objet de définir des prix et des quotas, en vue de limiter les importations des treillis soudés en France.

Arguments des parties

20 La requérante soutient que la Commission n'a pas établi sa participation à des réunions ou à d'éventuels accords. Elle fait valoir qu'elle n'avait aucun intérêt à participer à un accord de répartition du marché français puisque son outil de production n'était pas adapté aux spécifications des normes françaises et que ce n'est qu'en 1982, grâce à une hausse substantielle des prix en France lui permettant de devenir concurrentielle en dépit d'un outil mal adapté, qu'elle a pu y développer ses ventes.

21 Elle expose que le fait qu'un quota lui ait été alloué à son insu dans une note du 23 octobre 1981 [annexe (ann) 1 à la communication des griefs (cg), point 48 de la Décision] est dépourvu de valeur probante dans la mesure où un accord de quotas exige, pour son fonctionnement pratique, que même les entreprises qui n'y souscrivent pas se voient allouer un quota forfaitaire. En outre, elle conteste la valeur probante du document, parce qu'il provient d'une entreprise tierce. Enfin, elle soutient que le quota qui lui a été alloué ne reflétait aucune réalité économique, puisque, comme il ressort du document en question, ses livraisons se situent très largement au-dessous du quota retenu (58 tonnes au lieu de 4 000).

22 Par ailleurs, la requérante considère que la Commission ne peut retenir à son encontre une note manuscrite portant sur la réunion qui s'est tenue à Paris le 1er avril 1981 (ann 25 cg), car le point 49 de la Décision qui s'y réfère débute par les mots "Pour ce qui est des usines Gustave Boël". Au surplus, elle ajoute que cette note ne se réfère pas expressément à elle-même, mais à "Charleroi" et qu'à supposer qu'on puisse l'assimiler à "Charleroi", la note en question ne saurait constituer la preuve de ce que la réunion ait eu lieu, de son objet, du fait qu'elle y ait participé non plus que de l'adoption d'un quelconque accord. Enfin, elle fait observer que la note indique que le volume de 8 000 tonnes pour les producteurs belges était "déjà négocié" et que, dès lors, il n'y avait aucune raison de discuter des quotas si l'accord existait déjà.

23 La Commission répond que le quota de 4 000 tonnes alloué à la requérante n'est pas un quota "fictif" alloué unilatéralement in abstracto pour de simples nécessités purement comptables et qu'il ressort de la note du 23 octobre 1981 que la part des producteurs belges était bien incluse "dans les derniers arrangements".

24 En ce qui concerne le point 49 de la Décision, la Commission considère que le fait qu'il commence par une référence à une autre entreprise peut être considéré comme un défaut de technique de rédaction, mais que ce défaut n'empêche pas qu'il soit, ainsi que la note qui y est mentionnée, utilisé à l'encontre de la requérante. La Commission fait encore observer que l'assimilation de "Charleroi" à la requérante est évidente parce que le siège de celle-ci était établi à Charleroi et que, dans le langage courant, il est fréquent d'identifier une entreprise par le nom de l'endroit où elle est établie. Enfin, la Commission relève que le fait que les quotas aient déjà été négociés n'empêche pas que la réunion ait visé d'autres aspects tels que des modalités pratiques de fonctionnement ou la répartition des quotas.

Appréciation du Tribunal

25 Le Tribunal constate que les documents avancés par la Commission permettent d'établir que la requérante a participé aux ententes sur le marché français en 1981 et en 1982. En effet, il ressort de la note de Ferriere Nord (ann 25 cg, point 49 de la Décision), relative à une réunion qui s'est tenue à Paris le 1er avril 1981 entre les producteurs français, italiens et belges qu'à ce moment un volume de 8 000 tonnes avait "déjà" été "négocié" pour les producteurs belges. S'agissant de l'utilisation faite par la Commission de ce document, la requérante ne saurait contester l'assimilation opérée entre "Charleroi" et elle-même En effet, dans le langage courant, il est fréquent de se référer à une personne morale ou à une institution par le nom de l'endroit où elle est établie ou du bâtiment qu'elle occupe. Par ailleurs, la requérante ne saurait prétendre que le point 49 de la Décision et le document qui y est mentionné ne peuvent être retenus à son encontre. En effet, même si la rédaction de la Décision n'est pas la plus appropriée, il faut rappeler que cette note a été communiquée à la requérante, ce qui implique que la Commission la considère comme une preuve utilisée à son encontre. Enfin, quant à la portée des termes "déjà négocié", il convient de souligner, comme l'a fait à juste titre la Commission, qu'une réunion de ce type peut avoir un contenu très varié, hormis la négociation des quotas et, de ce fait, la conclusion tirée par la requérante sur l'absence de raison pour discuter des quotas est dépourvue de pertinence.

26 Une autre note, datée du 23 octobre 1981, de Tréfilunion (ann 1 cg, points 46 et 48 de la Décision), montre par ailleurs que, selon les "accords récents", le quota de l'autre producteur belge était de 4 000 tonnes.

27 C'est donc à bon droit que la Commission a déduit de ces deux documents que la requérante s'était vu octroyer un quota de 4 000 tonnes aux termes des accords conclus, dont, selon le second document, Tréfilarbed s'est plainte qu'ils réservaient "une part trop belle aux producteurs italiens et belges".

28 Quant à l'argument tiré de ce que les livraisons de la requérante se situaient largement au-dessous de son prétendu quota, il convient d'observer qu'un quota comporte une interdiction de livrer certaines quantités et non une obligation de livrer ces quantités. C'est pourquoi il est possible de négocier un quota dans l'espoir de pouvoir l'épuiser sans toutefois y parvenir en raison des circonstances. A cet égard, force est de constater que, si la requérante a déclaré n'avoir aucun intérêt à participer aux accords sur le marché français, elle a admis qu'une hausse substantielle des prix lui a permis d'augmenter ses ventes, puisque, à ces prix, elle était concurrentielle. Cela montre, d'une part, l'intérêt qu'elle avait de participer à une entente et cela explique, d'autre part, pourquoi elle n'a pu épuiser le quota qu'elle avait négocié dans l'espoir qu'une augmentation des prix lui permettrait d'être concurrentielle et de l'épuiser.

29 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a établi à suffisance de droit la participation de la requérante aux ententes qui avaient pour objet de définir des prix et des quotas sur le marché français durant la période 1981-1982.

30 Il y a donc lieu de rejeter le grief de la requérante.

B ° Pour la période 1983-1984

Acte attaqué

31 La Décision (points 51 à 76 et 160) fait grief à la requérante d'avoir participé à une seconde série d'ententes impliquant, d'une part, les producteurs français (Tréfilunion, STPS, SMN, CCG et Sotralentz) et, d'autre part, les producteurs étrangers opérant sur le marché français (ILRO, Ferriere Nord, Martinelli, Boël/Trébos, TFE, FBC, et Tréfilarbed). Ces ententes auraient eu pour objet de définir des prix et des quotas, en vue de limiter les importations de treillis soudés en France. Cette série d'ententes aurait été mise en œuvre entre le début de l'année 1983 et la fin de l'année 1984 et aurait été formalisée par l'adoption, le 14 octobre 1983, d'un "protocole d'accord" conclu pour la période du 1er juillet 1983 au 31 décembre 1984. Ce protocole regrouperait les résultats des différentes négociations entres les producteurs français, italiens, belges et l'Arbed concernant les quotas et les prix à appliquer sur le marché français et fixerait les quotas de la Belgique, de l'Italie et de l'Allemagne à 13,95 % de la consommation sur le marché français "dans le cadre d'une convention établie entre ces producteurs et la profession française". La requérante n'aurait plus respecté ces ententes après juin 1984 (point 76 de la Décision).

Arguments des parties

32 La requérante soutient n'avoir pris aucune part à d'éventuels accords sur le marché français en 1983-1984.

33 Elle fait valoir que le télex du 24 mai 1983, mentionné au point 55 de la Décision, ne lui a pas été communiqué et que, par conséquent, il ne peut être utilisé à son encontre. Elle ajoute qu'en tout état de cause ce document prouve non pas l'existence d'un accord, mais bien l'absence d'accord puisqu'il précise que "l'accord est virtuellement acquis", ce qui ne signifie pas acquis.

34 A propos du protocole d'accord d'octobre 1983, la requérante estime qu'il ne contient pas d'accords, mais une liste des accords qui devront être conclus. Il n'existerait aucune preuve de l'existence de la convention prévue par ledit protocole et encore moins de la participation de la requérante à celle-ci.

35 En outre, s'agissant des documents contenant ses statistiques de livraison et ses parts de marché (ann 41 et 42 cg, point 62 de la Décision), elle soutient qu'ils ne démontrent en rien sa participation au protocole d'accord. Elle fait valoir qu'elle a fourni, à titre gracieux, à l'Association technique pour le développement de l'emploi du treillis soudé (ci-après "ADETS"), ses chiffres d'exportation à destination de la France, dans des buts statistiques. Elle relève que ces tableaux contiennent des colonnes relatives aux pénalités et aux reports, dans une limite de 15 % des non-épuisements des quotas d'une période sur l'autre, dans lesquelles elle ne figure pas, ce qui démontrerait qu'elle n'avait pas de quota.

36 Enfin, la requérante fait observer que, dans son avis, la Commission française de la concurrence a conclu, alors même qu'elle avait en sa possession le protocole d'accord, que les producteurs étrangers avaient refusé de participer à ces accords.

37 La Commission rétorque que la preuve de la participation de la requérante aux ententes de 1983-1984 résulte de la combinaison de plusieurs documents mentionnés dans la Décision. Il s'agissait, en premier lieu, du télex du 24 mai 1983, à propos duquel la Commission répond à la requérante qu'il importe peu de savoir à quelle date exacte les producteurs belges ont donné leur accord sur le montant de leur propre quota Ce télex constituerait la preuve que les producteurs belges ont participé aux discussions et, de ce fait, à l'entente de répartition du marché français. Il s'agirait, en deuxième lieu, du protocole d'accord d'octobre 1983, dont la Commission souligne qu'il vise expressément dans son préambule la régulation des importations belges, italiennes et allemandes. Il s'agirait, en troisième lieu, des tableaux de l'ADETS, à propos desquels la Commission expose que l'argumentation de la requérante concernant le rattrapage des avances/retards est non fondée, parce que la règle des 15 % invoquée par la requérante ne s'appliquait qu'aux entreprises françaises et à l'Arbed (c'est-à-dire aux signataires du protocole). Cela ne signifierait pas que les entreprises "étrangères" n'étaient pas parties à la convention avec la profession française, dans la mesure où les "étrangers" étaient partie à la convention distincte visée dans le protocole. Il en irait de même pour le calcul des pénalités De plus, la Commission relève que la requérante a bien respecté l'accord puisque la moyenne des livraisons effectuées pour la période janvier-avril 1984 s'établit à 1,0025 % du marché, ce qui serait proche de son quota de 1,09 %.

38 Enfin, en ce qui concerne l'avis de la Commission française de la concurrence, la Commission fait observer que celle-ci ne disposait que du protocole d'accord, tandis qu'elle-même disposait d'autres documents lui permettant d'établir l'infraction. Au surplus, la Commission considère qu'elle ne saurait être liée par les conclusions des autorités nationales surtout à propos d'entreprises étrangères.

Appréciation du Tribunal

39 Le Tribunal constate que la Décision fait grief à la requérante d'avoir participé à l'ensemble des ententes conclues sur le marché français (point 51) qui ont été préparées durant la première moitié de l'année 1983 et ont débouché sur un protocole d'accord où sont regroupés les résultats de ces différentes négociations (point 60). Selon la Décision [point 60, sous c)], "la participation belge ressort du protocole d'accord lui-même", tandis que le quota attribué à FBC ressortirait de documents établissant des comparaisons mensuelles et cumulées entre les quotas et les livraisons réelles (point 62). La Décision relève que en mai et en juin 1984, les sociétés belges ont commencé à dépasser leurs quotas en chiffres cumulés (point 73) pour en conclure que FBC et les autres n'ont plus respecté les ententes après juin 1984 (point 76).

40 A titre liminaire, il y a lieu de relever que la Commission ne dispose d'aucune preuve de l'implication de FBC dans les discussions de l'année 1983. En effet, la requérante n'était pas présente à la réunion de Milan du 23 février 1983, au cours de laquelle ces discussions ont eu lieu (ann 27 et 29 cg, point 53 de la Décision). Par ailleurs, le télex de M Chopin de Janvry, représentant de Sacilor, du 24 mai 1983 relatif à une réunion du 19 mai (ann 30 cg, point 55 de la Décision) n'a pas été communiqué à la requérante et ne peut donc être retenu contre elle.

41 Il importe toutefois de vérifier si l'implication de FBC ne peut être déduite de documents postérieurs. A cet égard, il convient de relever que la Commission a produit deux types de documents pour établir la participation de FBC aux ententes de quotas conclues sur le marché français pour la période 1983-1984. Il s'agit, d'une part, d'un document intitulé "protocole d'accord'Treillis soudé'", daté du 14 octobre 1983, et, d'autre part, d'une série de tableaux reprenant pour les mois de janvier, février, mars, mai et juin 1984 les chiffres de vente des différents producteurs sur le marché français et leur part de ce marché et comparant ces chiffres par rapport à des "références".

42 Le Tribunal constate que les attendus du protocole d'accord insistent sur la nécessité de "limiter et réguler les importations belges, italiennes et allemandes (hors Tréfilarbed) en les fixant à 13,95 % de la consommation du marché, dans le cadre d'une convention établie entre ces producteurs et la profession française" et que ce chiffre correspond parfaitement à la "référence" attribuée dans les tableaux aux producteurs belges et italiens.

43 Cette correspondance parfaite prend un relief tout particulier à la lumière du fait que la requérante a été étroitement associée à l'élaboration de ces tableaux. En effet, Tréfilunion disposait, en janvier 1984, des chiffres des ventes mensuelles pour la requérante en France depuis juillet 1983, puisque ceux-ci sont repris dans le chiffre cumulé de ses ventes dans le tableau de janvier 1984 (ann 42 cg, points 62 et suivants de la Décision). Or, la requérante n'a pas contesté devant le Tribunal que les chiffres repris dans les tableaux correspondent à peu de chose près à ses ventes effectives et elle n'a avancé aucune explication valable quant aux raisons pour lesquelles elle aurait transmis ces chiffres à titre gracieux à l'ADETS, dont elle n'était pas membre à l'époque.

44 A ces éléments, il convient d'ajouter le fait que les chiffres de vente de la requérante figurent sous la rubrique "total contractants" et qu'ils sont comparés, en termes absolus et en termes de part de marché, avec des chiffres figurant dans la colonne intitulée "références".

45 Ces éléments sont enfin corroborés par le fait qu'il ressort d'un télex du 13 avril 1984 que la requérante a été conviée à une réunion pour le 15 mai 1984, dont l'objet était "d'établir un bilan de notre coopération, faire un tour d'horizon du marché européen et construire, à partir du constat de celui-ci, un calendrier des hausses dont les valeurs restent à établir et l'interpénétration des marchés" (ann 47 cg, point 67 de la Décision).

46 S'agissant de l'avis de la Commission française de la concurrence, le Tribunal ne saurait retenir l'argument de la requérante. En premier lieu, comme l'a souligné la Commission à juste titre, elle pouvait arriver à ses propres conclusions, en fonction des preuves dont elle disposait, qui n'étaient pas nécessairement les mêmes que celles dont disposait la Commission française de la concurrence en second lieu, la Commission ne saurait être liée par les conclusions des autorités nationales, surtout lorsqu'il s'agit d'entreprises étrangères.

47 Au vu de tout ce qui précède, le Tribunal estime que c'est à bon droit que la Commission a conclu que la requérante avait participé aux ententes de quotas relatives au marché français jusqu'en juin 1984.

48 Il y a donc lieu de rejeter le grief de la requérante.

II ° Sur le marché du Benelux

49 La Décision fait grief à la requérante d'avoir participé à des ententes concernant le marché du Benelux et comportant notamment, d'une part, des ententes sur les quotas et, d'autre part, des ententes sur les prix.

A ° Les ententes sur les quotas

Acte attaqué

50 La Décision [points 78, sous b), et 171] fait grief à la requérante d'avoir participé à des ententes entre les producteurs allemands, d'une part, et les producteurs du Benelux ("club de Breda"), d'autre part, consistant en l'application de restrictions quantitatives aux exportations allemandes vers la Belgique et les Pays-Bas ainsi qu'en la communication des chiffres d'exportation de certains producteurs allemands au groupe belgo-néerlandais.

Arguments des parties

51 La requérante soutient qu'il ne saurait lui être fait grief d'avoir participé à des "ententes sur les quotas entre producteurs allemands et producteurs du Benelux". Elle relève que le télex de M Mueller, de BStG, du 15 décembre 1983 [ann 65 (b) cg, point 92 de la Décision] formule des reproches à son égard au motif qu'elle vendait des quantités importantes en Allemagne. Elle fait observer que la thèse de la Commission repose sur l'hypothèse que les entreprises belges et allemandes s'étaient mises d'accord pour rester chacune dans les limites de leur marché et pour limiter leurs exportations. Or, la Commission elle-même aurait reconnu que TFE n'a pas participé à un accord de quotas sur le marché allemand, ce qui serait d'ailleurs corroboré par le fait que TFE a augmenté ses exportations en Allemagne. N'ayant pas participé à un tel accord, la requérante se demande comment elle aurait pu obtenir des producteurs allemands qu'ils limitent leurs exportations vers le Benelux.

52 La Commission, dans son mémoire en défense, expose ce qui suit: "Il est exact, comme le dit la requérante, que la Commission n'a pas retenu à son encontre de participation à une entente de quotas, que ce soit sur le marché du Benelux ou sur le marché allemand". Lors de l'audience et en réponse à une question du Tribunal, la Commission a confirmé cette position La Commission a expliqué que, dans sa requête, la requérante avait parlé des ententes sur le marché du Benelux, mais nullement évoqué le problème des restrictions quantitatives aux exportations de l'Allemagne vers le Benelux. Elle a précisé qu'il y avait eu un accord global entre le "club de Breda" et les producteurs allemands au moment de la constitution du cartel de crise structurelle allemand. Cet accord avait pour objet d'assurer une absence de perturbations réciproques ainsi que, d'une part, le respect des prix du cartel allemand et, d'autre part, la surveillance des quantités réciproques. La Commission a également confirmé qu'elle n'avait pas reproché à la requérante d'avoir participé à l'accord des restrictions quantitatives vers l'Allemagne, parce qu'elle n'en avait pas la preuve.

Appréciation du Tribunal

53 Le Tribunal constate qu'au cours de la procédure devant le Tribunal la Commission a indiqué qu'"elle n'a pas retenu à l'encontre de la requérante sa participation à une entente sur les quotas sur le marché Benelux ou allemand".

54 Or, force est de relever que la Décision a bien fait grief à la requérante d'avoir participé à une telle entente (point 171) et que, dans sa requête, la requérante s'est défendue contre ce grief.

55 Il faut en conclure que la Commission n'a plus maintenu ce grief lors de la procédure devant le Tribunal.

56 En tout état de cause, il y a lieu de relever que le télex du 15 décembre 1983, mentionné au point 171 de la Décision, ne peut être considéré comme la preuve de la participation de la requérante à l'entente en question. Rien dans le télex ne permet d'arriver à cette conclusion, celui-ci tendant plutôt à prouver le contraire, puisqu'il fait état d'une concertation étroite avec Boël/Trébos et non avec la requérante et reproche à celle-ci d'augmenter ses exportations vers l'Allemagne.

57 Pour ces motifs, il y a lieu d'accueillir le grief de la requérante et d'annuler la Décision en ce qu'elle constate que la requérante a participé à des ententes ayant pour objet de limiter les exportations allemandes vers le Benelux.

B ° Les ententes sur les prix

Acte attaqué

58 La Décision [points 78, sous a) et b), 163 et 168] fait grief à la requérante d'avoir participé à des ententes sur les prix entre les principaux producteurs vendant sur le marché du Benelux, y compris les producteurs "non Benelux", et à des ententes entre les producteurs allemands qui exportent vers le Benelux et les autres producteurs vendant dans le Benelux sur le respect des prix fixés pour le marché du Benelux. Selon la Décision, ces ententes ont été arrêtées lors de réunions qui ont eu lieu à Breda et à Bunnik (Pays-Bas) entre août 1982 et novembre 1985, réunions auxquelles ont participé (point 168 de la Décision) au moins Thibodraad, Tréfilarbed, Boël/Trébos, FBC, Van Merksteijn, ZND, Tréfilunion et, parmi les producteurs allemands, au moins, BStG. La Décision se base sur de nombreux télex envoyés à Tréfilunion par son agent pour le Benelux Ces télex contiennent des données précises sur chaque réunion [date, lieu, participants, absents, objet (discussion de la situation du marché, propositions et décisions concernant les prix), fixation de la date et du lieu de la prochaine réunion].

Arguments des parties

59 La requérante reconnaît avoir participé aux réunions de Breda et de Bunnik mais soutient que ces réunions n'avaient pas un objet anticoncurrentiel et que, par conséquent, sa participation ne constituait pas une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

60 Selon la requérante, les réunions avaient pour seul objet un échange d'informations entre les participants pour déterminer le niveau de prix idéal du treillis soudé. Un tel échange d'informations ne serait pas de nature à affecter la concurrence parce que les informations discutées étaient déjà disponibles pour chacun des participants, qui pouvait en tirer individuellement les mêmes conclusions que celles tirées lors des réunions. En effet, les prix du produit de base, le fil machine, et ceux du produit directement concurrent, le rond à béton, seraient connus puisque ces deux produits, relevant du traité CECA, sont soumis à la publicité des barèmes imposée par l'article 60 de ce traité. Même en l'absence de tout échange d'informations, le prix idéal du treillis soudé pourrait ainsi être déterminé individuellement par les producteurs.

61 La requérante ajoute que les prix discutés au cours des réunions n'étaient pas obligatoires, sont toujours restés indicatifs et n'ont jamais été appliqués.

62 La Commission expose que les réunions allaient bien au-delà d'un échange d'informations, comme le montrent leurs comptes rendus, dont de larges extraits sont repris aux points 84 à 111 de la Décision. Elles étaient, selon la Commission, consacrées à la fixation périodique de prix minimaux Le fait que ces prix n'ont pas toujours été effectivement respectés serait sans conséquence sur la qualification de ces réunions. Il s'agirait bien d'une entente de prix, interdite comme telle par l'article 85 du traité en raison de son objet.

63 La Commission relève que l'objet du prétendu échange d'informations pratiqué lors de ces réunions, tel qu'il a été indiqué par la requérante, correspond précisément à ce que la Cour a considéré comme interdit par l'article 85 du traité, c'est-à-dire: "éliminer par avance l'incertitude relative au comportement futur de leurs concurrents" (arrêt du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec p 1663).

64 La Commission fait valoir, enfin, que s'il est vrai que la marge de concurrence sur le prix du treillis soudé était limitée, il n'en reste pas moins qu'elle existait, qu'elle n'était pas négligeable et qu'elle ne pouvait être faussée par des ententes entre entreprises.

Appréciation du Tribunal

65 Le Tribunal considère qu'il ressort clairement des nombreux documents cités aux points 84 à 112 de la Décision que les réunions auxquelles a participé la requérante avaient un objet anticoncurrentiel.

66 En effet, contrairement à ce que soutient la requérante, il n'est pas exact que les réunions qui se sont déroulées à Breda et à Bunnik aient eu comme seul objet un échange d'informations entre les participants pour déterminer le niveau de prix idéal pour les treillis soudés. Au contraire, les comptes rendus de ces réunions, reproduits dans de nombreux télex envoyés à Tréfilunion par son agent pour le Benelux (points 84 à 111 de la Décision), démontrent d'une façon évidente que les réunions ont eu comme objet, entre autres, des discussions sur la situation du marché ainsi que des propositions et des décisions concernant les prix des différents types de treillis soudés, prix qui avaient le caractère de prix minimaux devant être respectés.

67 Le fait que les prix aient ou n'aient pas été respectés ou que le prix des treillis soudés soit influencé par le prix du fil machine et du produit concurrent, le rond à béton, n'infirme pas l'objet anticoncurrentiel de ces réunions. En effet, d'une part, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, dès lors qu'il apparaît, comme c'est le cas des accords constatés par la Décision, que ceux-ci ont eu pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun(arrêt de la Cour du 11 janvier 1990, Sandoz Prodotti Farmaceutici/Commission, C-277-87, Rec. p. I-45). D'autre part, s'il est vrai, comme le relève la requérante, que le prix du treillis soudé dépend largement de celui du fil machine, il n'en résulte pas pour autant que toute possibilité de concurrence efficace dans ce domaine ait été exclue. Il restait, en effet, aux producteurs une marge suffisante pour permettre une concurrence effective sur le marché. Par conséquent, les ententes ont pu avoir un effet sensible sur la concurrence (arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, points 133 et 153).

68 En ce qui concerne l'affectation du commerce entre États membres, il y a lieu de rappeler que l'article 85, paragraphe 1, du traité n'exige pas que les restrictions de concurrence constatées aient effectivement affecté sensiblement les échanges entre États membres, mais requiert uniquement qu'il soit établi qu'elles aient été de nature à avoir un tel effet(arrêt de la Cour du 1er février 1978, Miller/Commission, 19-77, Rec. p. 131, point 15).

69 En l'espèce, force est de constater que les restrictions de concurrence constatées étaient susceptibles de détourner les courants commerciaux de l'orientation qu'ils auraient autrement connue (arrêt Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 172). Les ententes avaient, en effet, pour objet de cloisonner les marchés et de permettre une augmentation artificielle des prix sur chacun de ces marchés.

70 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la requérante, qui ne conteste pas le fait d'avoir assisté au moins à une vingtaine de réunions et qui y a participé sans se distancier publiquement de leur contenu, a adhéré aux accords et, de ce fait, a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité.

71 Dès lors, ce grief doit être rejeté.

III ° Sur le marché allemand

Acte attaqué

72 La Décision (point 147) fait grief à la requérante d'avoir participé à des ententes sur le marché allemand visant à faire respecter les prix en vigueur sur ce marché. La Décision affirme qu'à ces ententes ont participé, d'une part, Boël/Trébos et TFE/FBC et, d'autre part, BStG (points 153, 154 et 181 de la Décision).

Arguments des parties

73 La requérante nie avoir participé à un accord concernant le marché allemand. Elle admet certes qu'en 1985 elle vendait en Allemagne au prix du marché, c'est-à-dire celui résultant du cartel, mais elle soutient que la Commission ne saurait y voir une pratique concertée parce qu'elle n'avait aucun intérêt à vendre au-dessous des prix allemands du fait qu'elle fonctionnait à pleine capacité et ne pouvait donc espérer accroître ses ventes en baissant ses prix. De plus, elle aurait dû éviter tout risque de rétorsion de la part des producteurs et des autorités allemands. Celles-ci auraient, en effet, été autorisées, en vertu de la décision n°234-84-CECA de la Commission, du 31 janvier 1984, prorogeant le régime de surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L. 29, p. 1), à déposer plainte auprès de la Commission contre les exportateurs portant atteinte au flux traditionnel d'échanges.

74 Par ailleurs, la requérante conteste que le télex du 11 janvier 1984 de M. Peters, de Tréfilunion, à M Marie, également de Tréfilunion (ann 66 cg, points 95 et 153 de la Décision, constitue une preuve de sa participation à un accord de prix, puisqu'il en ressort que la réunion à laquelle il a trait n'a pas abouti à la conclusion d'un accord.

75 Quant à la note du 24 avril 1985 (ann 112 cg, point 153 de la Décision), la requérante fait observer qu'elle ne peut être considérée isolément, mais doit être examinée en rapport avec le télex du 17 avril 1985 (ann 111 cg, point 153 de la Décision). Selon la requérante, ce télex mettait en cause devant les dirigeants du groupe les capacités professionnelles des représentants commerciaux de FBC, au motif qu'ils ne vendaient pas au prix que le marché permettait. Or, la personne qui signe la note du 24 avril 1985, préoccupée de rétablir sa crédibilité en tant que vendeur, démentait le contenu du télex du 17 avril 1985 et affirmait qu'ils vendaient aux prix du marché.

76 La Commission rappelle que TFE/FBC a participé effectivement à des réunions où étaient présentes des entreprises allemandes et où ont été discutés les prix de vente sur le marché allemand.

77 S'agissant du télex du 11 janvier 1984, la Commission relève que ce document témoigne d'une concertation effective sur les prix pratiqués par les producteurs belges sur le marché allemand parce que ceux-ci ont argué de leur respect des prix du cartel sur le marché allemand pour se plaindre des prix pratiqués au Benelux par les producteurs allemands.

78 En ce qui concerne le télex du 17 avril 1985 et la note du 24 avril 1985, la Commission, rejetant l'explication de la requérante, expose qu'il est tout à fait anormal d'écrire à un concurrent pour lui dire qu'il suit une politique qui le mène à la ruine et qu'un tel comportement constitue une concertation interdite.

79 La Commission estime que, face à de telles preuves d'une concertation effective sur les prix, les efforts de la requérante pour expliquer les raisons pour lesquelles elle aurait eu telle ou telle attitude sur le marché sont inopérants pour démontrer l'absence d'infraction à l'article 85 du traité.

80 La Commission fait observer que les considérations développées par la requérante quant au risque de rétorsion ne sauraient être retenues puisque la décision n°234-84 du 31 janvier 1984, ne s'applique qu'à des produits relevant du traité CECA et que les treillis soudés relèvent du traité CEE.

81 En ce qui concerne les explications de la requérante selon lesquelles "elle n'avait aucun intérêt à vendre au-dessous des prix du cartel", la Commission considère qu'il ne s'agit pas là d'une explication convaincante parce que le fait de vendre moins cher est évidemment un moyen d'augmenter sa part de marché.

Appréciation du Tribunal

82 Le Tribunal considère que c'est à bon droit que la Commission a utilisé, pour établir la participation de la requérante à l'entente de prix sur le marché allemand, le télex du 11 janvier 1984 de M. Peters à M. Marie (ann 66 cg, points 95 et 153 de la Décision), qui contient le compte rendu d'une réunion tenue à Breda le 5 janvier 1984, à laquelle ont assisté la requérante, Boël/Trébos, BStG, Tréfilarbed, Tréfilunion et d'autres entreprises néerlandaises. Ce télex précise ce qui suit: "Les participants habituels demandent aux représentants de BStG de ne plus perturber les marchés du Benelux par des exportations importantes et à très bas prix vers ces marchés. Les Allemands se défendent en expliquant que les Belges (Boël et plus récemment Frère-Bourgeois) exportent vers l'Allemagne des tonnages comparables Les Belges précisent que eux respectent les prix du marché allemand, que l'on doit parler de pourcentage de marché et non de tonnes. Rien de concret n'est décidé". Ce télex montre donc que, si les producteurs belges respectaient les prix du marché allemand, c'était en contrepartie d'une limitation des exportations de BStG vers le Benelux et d'un prix minimal pratiqué par celle-ci sur ce marché.

83 C'est également à bon droit que la Commission s'est référée au télex du 17 avril 1985 (ann 111 cg), adressé par l'association allemande Walzstahlvereinigung à Cockerill Sambre, pour corroborer son analyse Ce télex concerne les "livraisons belges de treillis soudé dans la République fédérale d'Allemagne". Il y est reproché à TFE, filiale de Cockerill Sambre, de ne pas respecter le niveau général des prix appliqués sur le marché allemand (810 DM par tonne) en offrant un prix de 770 DM par tonne Cockerill Sambre est priée d'attirer l'attention de sa filiale TFE "sur l'évolution positive des prix sur le marché allemand et de l'inciter à une meilleure discipline en matière de prix".

84 Quant au risque de rétorsion évoqué par la requérante, le Tribunal relève que, ainsi que la Commission l'a fait valoir à juste titre, la décision n°234-84, du 31 janvier 1984, ne s'applique qu'à des produits relevant du traité CECA Par conséquent, la requérante n'encourait aucun risque à vendre des treillis soudés au-dessous des prix du cartel.

85 Quant à l'affirmation selon laquelle elle n'aurait eu aucun intérêt à vendre au-dessous de ces prix eu égard au fait qu'elle produisait à pleine capacité, il y a lieu de souligner qu'un tel argument suppose, ce qui n'a pas été établi, que les prix du marché allemand aient été moins élevés que ceux pratiqués sur les autres marchés. En effet, la requérante aurait pu, si les prix du marché allemand étaient plus élevés que ceux pratiqués sur d'autres marchés et s'il n'y avait pas eu d'ententes, diminuer ses exportations vers d'autres États pour les réorienter vers le marché allemand.

86 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a participé à des ententes sur le marché allemand visant à faire respecter les prix en vigueur sur ce marché.

87 Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 15 du règlement n°17

I ° Sur l'absence d'individualisation des critères de détermination de la gravité des infractions

Arguments des parties

88 La requérante soutient, d'une part, qu'infligeant une amende unique pour trois infractions distinctes, la Commission l'a privée de la possibilité de juger le bien-fondé de la Décision en ce qui concerne la gravité et la durée des infractions. Elle ajoute que selon l'arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a. /Commission, (100-80 à 103-80, Rec. p. 1825), une amende unique se justifie lorsque les différentes infractions peuvent être considérées comme une seule violation, mais qu'une telle approche cesse d'être appropriée lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'un ensemble d'ententes différentes entre des participants différents eux aussi, comme la Décision elle-même l'expose dans son point 22. La requérante considère que la Commission a ainsi manqué à l'obligation de motivation qui lui incombe en vertu de l'article 190 du traité.

89 Elle soutient, d'autre part, que la Décision n'a pas tenu compte des caractéristiques spécifiques du comportement de chacune des entreprises concernées et, plus particulièrement, de celui de la requérante. L'article 1er de la Décision ferait un amalgame entre l'ensemble des infractions sans même distinguer la nature particulière, la durée et les caractéristiques spécifiques de la participation de chaque entreprise. Plus spécifiquement, elle expose que la Commission n'a pas précisé la durée de sa participation aux ententes sur le marché français en 1983-1984 ni à celles sur le marché allemand. Enfin, la requérante fait observer que le simple fait de se voir imposer une amende représentant un pourcentage de son chiffre d'affaires pour le produit concerné inférieur à celui retenu pour les autres entreprises ne suffit pas à démontrer que l'ensemble des circonstances atténuantes existant dans son chef ont été prises en considération.

90 La Commission rétorque qu'elle n'a pas infligé une amende unique pour trois infractions distinctes, parce qu'il ne s'agit pas d'ententes distinctes, mais, comme elle l'a exposé au point 22 de la Décision, d'un ensemble d'ententes qui, par leur conjonction, ont eu pour effet de réglementer une partie substantielle du Marché commun. En effet, les entreprises auraient simultanément participé à plusieurs ententes sur des marchés géographiques partiels distincts, si bien que le résultat, à un moment donné, aurait été un cloisonnement de l'ensemble du marché de la Communauté. C'est ainsi qu'en 1984, TFE/FBC aurait participé à la fois à une entente sur le marché français, à une entente sur le marché du Benelux et à une entente sur le marché allemand. La Commission souligne que la référence à l'arrêt Musique diffusion française e.a./Commission n'est d'aucun secours à la thèse de la requérante puisque la Cour a statué dans cette affaire "sans qu'il y ait lieu de prendre position sur l'existence éventuelle de principes juridiques communautaires concernant le cumul d'amendes encourues au titre de plusieurs infractions séparées".

91 La Commission fait valoir qu'elle a bien indiqué pour chaque infraction quelles étaient la durée et la gravité retenues. En ce qui concerne la durée, la Commission rappelle qu'elle a clairement exposé dans la Décision la durée de la participation de la requérante aux diverses ententes. La Commission ajoute qu'elle a parfaitement tenu compte des circonstances spécifiques du comportement de la requérante aux points 200 et suivants de la Décision. C'est pour cela que, en tenant compte de tous ces facteurs, elle a infligé à la requérante une amende se montant à 2,5 % du chiffre d'affaires réalisé sur le marché en cause (treillis soudés dans la "Communauté à six"), alors que pour certains autres participants à l'entente, le pourcentage retenu s'est élevé à 3, 3,15 et même 3,6 %.

Appréciation du Tribunal

92 Le Tribunal relève qu'il est de jurisprudence constante que la Commission peut imposer une amende unique pour différentes infractions(voir à cet égard les arrêts de la Cour Suiker Unie e.a./Commission, précité, du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27-76, Rec. p. 207, et Musique diffusion française e.a./Commission, précité), qu'il en est d'autant plus ainsi lorsque, comme en l'espèce, les infractions constatées par la Décision ont eu pour objet le même type d'agissements sur différents marchés, notamment la fixation de prix et de quotas et l'échange d'informations, et que les participants à ces infractions ont été dans une large mesure les mêmes entreprises. A cet égard, on ne peut ignorer que la requérante a participé à des ententes sur plusieurs marchés, comme le marché français et celui du Benelux.

93 Il y a lieu de souligner, en outre, que le fait d'imposer une amende unique n'a pas privé la requérante de la possibilité de juger si la Commission avait correctement apprécié la gravité et la durée des infractions. En effet, la requérante procède à une lecture de la Décision qui isole artificiellement une partie de celle-ci, alors que, la Décision constituant un tout, chacune de ses parties doit être lue à la lumière des autres. Or, le Tribunal considère que la Décision, prise dans son ensemble, a fourni à la requérante les indications nécessaires pour connaître les différentes infractions qui lui ont été reprochées ainsi que les circonstances spécifiques de son comportement et, plus particulièrement, les éléments concernant la durée de sa participation aux différentes infractions.

94 Par ailleurs, le Tribunal relève que la requérante ne fournit pas d'indices pour soutenir que, eu égard à la durée et à la gravité particulière des infractions constatées à son encontre, la Décision n'aurait pas pris en considération l'ensemble des circonstances atténuantes existant en son chef par rapport aux autres entreprises pénalisées dans la Décision. Au contraire, il y a lieu de rappeler que, dans les réponses écrites aux questions posées par le Tribunal, la Commission a indiqué que la requérante avait bénéficié d'une circonstance atténuante du fait que sa participation aux infractions s'est limitée aux activités qui l'intéressaient.

95 Il s'ensuit que le grief de la requérante doit être rejeté dans la mesure où sa portée dépasse celle du premier moyen.

II ° Sur l'erreur quant au choix du chiffre d'affaires retenu comme base pour la détermination du montant de l'amende

Arguments des parties

96 La requérante conteste le fait que la Commission ait retenu son chiffre d'affaires pour le treillis soudé comme base du calcul de l'amende qu'elle lui a infligée. En effet, une part significative de son chiffre d'affaires serait réalisée par la vente de treillis sur devis, qui, par leur nature même, ne sauraient faire l'objet d'une entente et n'auraient donc pas dû être pris en compte dans son chiffre d'affaires relatif aux produits ayant fait l'objet des ententes. En ne tenant pas compte de cet élément, la Commission aurait commis une erreur d'appréciation par rapport aux amendes infligées aux autres entreprises.

97 La Commission répond qu'elle n'a retenu que le chiffre d'affaires se rapportant aux treillis soudés, et ce alors même que selon la jurisprudence de la Cour (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, précité, et du 8 février 1990, Tipp-Ex/Commission, C-279-87, Rec. p. I-261, point 39), elle pouvait prendre en compte le chiffre d'affaires total de l'entreprise. Ayant choisi de ne retenir que le chiffre d'affaires relatif au produit en cause, la Commission n'avait pas à en exclure la part relative aux treillis sur devis. En effet, ces derniers, même s'ils constituent bien un sous-marché à l'intérieur du marché des treillis soudés, ne constituent néanmoins pas un marché distinct (point 3 de la Décision).

Appréciation du Tribunal

98 Le Tribunal constate que c'est à bon droit que la Décision a fixé le montant de l'amende infligée à la requérante en prenant en considération le chiffre d'affaires de la requérante pour l'ensemble des treillis soudés, y compris ceux sur devis, dans la mesure où ce chiffre est de nature à donner une indication de l'ampleur de l'infraction(arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 121). En effet, il ne saurait être contesté que l'infraction devait avoir et a eu une incidence sur les prix des treillis soudés sur devis, lesquels n'appartiennent pas à un marché distinct de celui des autres treillis soudés.

99 Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté.

100 Eu égard au fait que la Commission n'a pas établi à suffisance de droit la participation de la requérante à une entente ayant pour objet une limitation des exportations allemandes vers le Benelux, le Tribunal considère, au titre de sa compétence de pleine juridiction, que le montant de l'amende de 315 000 écus infligé à la requérante doit être réduit d'un cinquième et fixé à 252 000 écus.

Sur les dépens

101 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens Toutefois, selon le paragraphe 3 du même article, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement en un ou plusieurs chefs. Le recours ayant été partiellement accueilli et les parties ayant l'une et l'autre conclu à la condamnation de l'autre aux dépens, le Tribunal estime qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la requérante supportera ses propres dépens ainsi que trois cinquièmes des dépens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1) L'article 1er de la décision 89-515-CEE de la Commission, du 2 août 1989, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31553 ° Treillis soudés), pour autant qu'il retient contre la requérante la participation à une entente ayant pour objet une limitation des exportations allemandes vers le Benelux, est annulé.

2) Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 3 de cette décision est fixé à 252 000 écus.

3) Le recours est rejeté pour le surplus.

4) La requérante supportera ses propres dépens et trois cinquièmes des dépens de la Commission.

5) La Commission supportera deux cinquièmes de ses propres dépens.