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Décisions

TPICE, 2e ch., 24 janvier 1995, n° T-5/93

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tremblay, Lucazeau, Kestenberg

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Briët, Kalogeropoulos, Barrington, Saggio

Avocat :

Me Fourgoux.

Comm. CE, du 12 nov. 1992

12 novembre 1992

FAITS A L'ORIGINE DU LITIGE

1 Entre 1979 et 1988, la Commission a été saisie, en application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), de nombreuses demandes de constatation d'infractions aux articles 85 et 86 du traité CEE mettant en cause la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (ci-après "SACEM"), qui est la société française de gestion des droits d'auteur en matière musicale. Ces demandes ont été introduites par des groupements d'exploitants de discothèques ainsi que par des exploitants individuels, parmi lesquels les trois requérants dans la présente affaire.

2 Il est constant entre les parties que les plaintes déposées par les requérants articulaient, en substance, les griefs suivants :

- les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents Etats membres se partageraient le marché par la conclusion de contrats de représentation réciproque, en vertu desquels il serait interdit aux sociétés de gestion de traiter directement avec les utilisateurs établis sur le territoire d'un autre Etat membre ;

- le taux de redevance de 8,25 % du chiffre d'affaires, imposé par la SACEM, serait excessif par rapport aux taux de redevances acquittées par les discothèques dans les autres Etats membres ; ce taux prétendument abusif et discriminatoire ne servirait pas à rémunérer les sociétés de gestion représentées, notamment les sociétés étrangères, mais profiterait exclusivement à la SACEM, qui reverserait à ses représentés des sommes dérisoires ;

- la SACEM refuserait de concéder l'utilisation de son seul répertoire étranger, tout utilisateur étant tenu d'acquérir l'intégralité du répertoire, tant français qu'étranger, de la société.

3 Suite aux plaintes dont elle avait été saisie, la Commission a procédé à des investigations, sous la forme de demandes de renseignements en application de l'article 11 du règlement n° 17.

4 L'instruction a été suspendue à la suite de la saisine de la Cour de justice, entre décembre 1987 et août 1988, sous forme de demandes de décisions à titre préjudiciel émanant des Cours d'appel d'Aix-en-Provence et de Poitiers et du Tribunal de grande instance de Poitiers, mettant notamment en cause, au regard des articles 85 et 86 du traité, le niveau des redevances perçues par la SACEM, la conclusion de conventions de représentation réciproque entre sociétés nationales de gestion de droits d'auteur et le caractère global, couvrant l'ensemble du répertoire, des contrats de représentation de la SACEM. Dans ses arrêts du 13 juillet 1989, Tournier (395-87, Rec. p. 2521, 2580), et Lucazeau e.a.(110-88, 241-88 et 242-88, Rec. p. 2811, 2834), la Cour a jugé, entre autres, d'une part, que "l'article 85 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il interdit toute pratique concertée entre sociétés nationales de gestion de droits d'auteur des Etats membres qui aurait pour objet ou pour effet que chaque société refuse l'accès direct à son répertoire aux utilisateurs établis dans un autre Etat membre" et, d'autre part, que "l'article 86 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'une société nationale de gestion de droits d'auteur se trouvant en position dominante sur une partie substantielle du Marché commun impose des conditions de transaction non équitables, lorsque les redevances qu'elle applique aux discothèques sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres Etats membres, dans la mesure où la comparaison des niveaux des tarifs a été effectuée sur une base homogène. Il en serait autrement si la société de droits d'auteur en question était en mesure de justifier une telle différence en se fondant sur des divergences objectives et pertinentes entre la gestion des droits d'auteur dans l'Etat membre concerné et celle dans les autres Etats membres".

5 A la suite de ces arrêts, la Commission a repris ses investigations, plus particulièrement en ce qui concerne les différences entre les niveaux de redevance pratiqués par les diverses sociétés de droits d'auteur dans la Communauté. En vue de mettre au point une base de comparaison homogène, elle a fait appel à cinq catégories types de discothèques fictives. Elle a ensuite adressé, en application de l'article 11 du règlement n° 17, des demandes de renseignements aux sociétés de gestion des droits d'auteur des différents Etats membres concernant les redevances qui seraient applicables à ces différentes discothèques fictives sur la base de leurs tarifs, tels qu'ils étaient en vigueur avant et après les arrêts de la Cour.

6 Les résultats de l'instruction menée par la Commission ont été consignés dans un rapport du 7 novembre 1991. Ce rapport rappelle d'abord les réponses données par la Cour dans ses deux arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités, et souligne les difficultés d'une comparaison des redevances perçues dans les différents Etats membres sur la base de catégories types de discothèques. Le rapport relève ensuite que, pour la période antérieure au 1er janvier 1990, les tarifs de la SACEM présentaient un écart sensible par rapport aux redevances réclamées par les autres sociétés de gestion de droits d'auteur, à l'exception de la société italienne. Le rapport exprime ensuite des doutes à l'encontre des deux explications avancées par la SACEM pour justifier cette différence, à savoir, d'une part, l'existence d'une tradition française de rémunérer les droits d'auteur à un niveau très élevé et, d'autre part, une grande rigueur dans le contrôle des œuvres jouées afin de déterminer les destinataires des redevances. Il ressort également du rapport que, pour la période postérieure au 1er janvier 1990, les redevances perçues en France et en Italie ont continué à être assez sensiblement supérieures à celles qui étaient appliquées dans les autres Etats membres. Le rapport examine enfin si la SACEM applique aux discothèques françaises des traitements différents susceptibles d'être visés par l'article 86 du traité.

7 Le 18 décembre 1991, les requérants ont adressé à la Commission une lettre de mise en demeure au titre de l'article 175 du traité CEE, l'invitant à prendre position sur leurs plaintes.

8 Le 20 janvier 1992, la Commission a adressé au Bureau européen des médias de l'industrie musicale (ci-après "BEMIM") une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"). La Commission considère que les requérants dans la présente affaire ont eu connaissance de cette lettre, soit en tant que membres du BEMIM, soit par l'intermédiaire de leur avocat qui était également le conseil du BEMIM, de sorte qu'elle n'a pas estimé nécessaire de leur envoyer des communications individuelles.

9 La Commission fait, entre autres, valoir, dans la partie "appréciation juridique" de sa lettre du 20 janvier 1992, que, "à son stade actuel, l'enquête ne permet pas d'établir que les conditions d'application de l'article 86 sont remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs actuellement pratiqués par la SACEM". La partie "conclusions" de la lettre du 20 janvier 1992 est rédigée comme suit :

"En conclusion, en application de l'article 6 du règlement de la Commission n° 99-63, j'ai l'honneur de vous informer par la présente lettre que la Commission, en application des principes de subsidiarité et de décentralisation, n'envisage pas, compte tenu du défaut d'intérêt communautaire résultant de l'effet essentiellement national des pratiques dénoncées dans votre plainte et du fait que plusieurs juridictions françaises en sont déjà saisies, de considérer que les éléments contenus dans votre plainte lui permettent de réserver à celle-ci une suite favorable.

Elle transmettra aux autorités judiciaires et administratives françaises qui lui en ont fait la demande une copie du rapport établi par ses services en matière de comparaison des taux de redevance dans la Communauté et de discriminations entre les utilisateurs sur le marché français."

10 Le 20 mars 1992, le conseil des requérants a présenté des observations en réponse à la communication du 20 janvier 1992, dans lesquelles il a demandé la poursuite de l'enquête par la Commission et l'envoi d'une communication des griefs.

11 Les requérants ont été informés du rejet définitif de leurs plaintes par une lettre du 12 novembre 1992 du membre de la Commission en charge des questions de concurrence.

12 Les points 1 à 3 de cette lettre rappellent les correspondances échangées entre la Commission et les plaignants et le point 4 explique que la lettre contient la décision définitive de la Commission. Le point 5 indique que la Commission n'entend pas donner suite aux plaintes pour les raisons déjà exposées dans sa lettre du 20 janvier 1992.

13 Aux points 6 à 13 de sa lettre, la Commission répond aux principaux arguments avancés par les requérants dans leurs observations en réponse à la lettre du 20 janvier 1992, précitée. Après avoir réaffirmé que l'affaire ne présente pas d'importance particulière pour le fonctionnement du Marché commun et qu'il n'y a donc pas d'intérêt communautaire suffisant à poursuivre l'enquête, la Commission rappelle, en se référant, notamment, à l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission (T-24-90, Rec. p. II-2223, point 88, ci-après "Automec II"), que la saisine de juridictions nationales constitue une circonstance qui peut être prise en considération pour justifier une décision de classement. Pour répondre à l'argument des requérants selon lequel sa prise de position constituerait un recours inapproprié au principe de subsidiarité, la Commission souligne qu'il ne s'agit pas d'abandonner toute action publique, mais simplement de décider, parmi les autorités compétentes en la matière, celles qui sont les mieux en mesure de résoudre les questions en cause. Elle rappelle que seules les juridictions nationales sont compétentes pour accorder des dommages et intérêts et qu'elle leur a fourni, dans le rapport du 7 novembre 1991, les informations nécessaires pour pouvoir procéder à la comparaison des tarifs des différentes sociétés nationales de gestion de droits d'auteur. A cet égard, elle estime que l'utilisation de ce rapport comme moyen de preuve par les juges nationaux n'est pas restreinte par son obligation de respecter le secret professionnel, puisque les demandes qu'elle a envoyées aux différentes sociétés nationales de gestion de droits d'auteur avaient pour objet non pas le niveau des tarifs en vigueur, qui sont, par leur nature, dans le domaine public, mais la comparaison du résultat pratique de l'application de ces tarifs à cinq types de discothèques. Répondant ensuite aux critiques formulées par les requérants au sujet de l'absence de prise de position de sa part pour la période antérieure au 1er janvier 1990, la Commission fait valoir qu'elle n'est pas tenue d'examiner si d'éventuelles infractions aux règles de la concurrence ont eu lieu dans le passé, dès lors que le but principal d'un tel examen serait de faciliter l'octroi de dommages et intérêts par les juridictions nationales. En réponse aux arguments avancés à propos de l'existence d'une entente entre les différentes sociétés nationales de gestion de droits d'auteur, elle fait valoir que, si l'existence de cette entente, dont elle n'a pu recueillir aucun indice sérieux, ne peut être exclue, il apparaît, en revanche, que l'on ne peut lui attribuer des effets précis en matière de tarifs, dont certains ont baissé et d'autres monté pendant la période postérieure aux arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités. S'agissant, enfin, des observations faites par les requérants quant à l'existence d'une entente entre la SACEM et certains syndicats d'exploitants de discothèques, la Commission estime que, si une telle entente existait, elle n'aurait pu produire d'effets qu'à l'intérieur du territoire français.

14 Au point 14 de la décision, la Commission informe les requérants de ce que la demande qu'ils avaient introduite, au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, est "rejetée et renvoyée aux juridictions nationales".

Procédure contentieuse et conclusions des parties

15 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 janvier 1993, les requérants ont introduit le présent recours.

16 Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 20 mai 1993, le Syndicat des exploitants de lieux de loisirs (SELL) a été admis à intervenir au soutien des conclusions des requérants.

17 La procédure écrite a suivi un cours normal et a été clôturée le 4 août 1993.

18 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Sur demande du Tribunal, la partie défenderesse a produit certains documents et a répondu à certaines questions écrites.

19 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal à l'audience publique du 18 mai 1994.

20 Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision de la Commission en date du 12 novembre 1992 ;

- condamner la Commission aux dépens.

21 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner les parties requérantes aux dépens.

22 La partie intervenante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision de la Commission.

Sur le fond

23 Les requérants invoquent, en substance, quatre moyens à l'appui de leur recours. Le premier moyen est tiré d'une violation de l'article 190 du traité CE en ce que la décision litigieuse ne serait pas suffisamment motivée. Dans leur deuxième moyen, les requérants font valoir que la décision litigieuse comporte une erreur de droit et plusieurs erreurs manifestes d'appréciation. Le troisième moyen est tiré d'une violation de divers principes généraux du droit communautaire. Le quatrième moyen est tiré d'un détournement de pouvoir.

24 Dans ses observations écrites, la partie intervenante a fait valoir qu'elle fait siens tous les arguments que les requérants ont invoqué à l'appui de leur recours.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 190 du traité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

25 Les requérants dénoncent l'absence de motivation de la décision litigieuse pour autant qu'elle rejette le grief tiré de l'existence d'une concertation entre les sociétés de gestion collective de droits d'auteur des différents Etats membres. Pour autant que la décision rejette les autres griefs articulés dans leurs plaintes, les requérants estiment que les motifs invoqués sont contradictoires. A cet égard, les requérants font valoir que l'appréciation portée par la Commission dans sa communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 du 20 janvier 1992 (ci-après "lettre article 6"), selon laquelle "à son stade actuel, l'enquête ne permet pas d'établir que les conditions d'application de l'article 86 sont remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs actuellement pratiqués par la SACEM", est en contradiction, d'une part, avec les termes de la décision litigieuse qui, se référant à ladite lettre, indiquent que la Commission n'entend prendre aucune position sur les points de droit qui avaient été soulevés et, d'autre part, avec le contenu d'une lettre du 17 décembre 1992, adressée à la SACEM, dans laquelle la Commission a fait valoir qu'"elle désire... laisser aux juridictions nationales auxquelles la plainte est renvoyée leur liberté d'appréciation la plus totale". Il existerait également une contradiction au point 9 de la décision litigieuse entre, d'une part, l'affirmation de la Commission selon laquelle elle aurait effectué une comparaison des tarifs pratiqués par les différentes sociétés de gestion de la Communauté et, d'autre part, l'affirmation selon laquelle les demandes de renseignements adressées à ces sociétés avaient pour objet non pas le niveau des tarifs eux-mêmes, mais le résultat pratique de leur application sur la base d'une comparaison entre cinq exemples de discothèques types.

26 La Commission rétorque que la décision litigieuse est suffisamment motivée pour permettre aux intéressés de défendre leurs droits et au Tribunal d'exercer son contrôle et respecte, dès lors, les exigences posées à cet égard par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1-89, Rec. p. II-867). De plus, elle rappelle qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal qu'elle n'est pas obligée de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent à l'appui de leur demande et qu'il lui suffit d'exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, et arrêt du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44-90, Rec. p. II-1).

27 La Commission ne décèle aucune contradiction entre les termes de sa "lettre article 6" et la décision de rejet définitif des plaintes. A cet égard, elle fait valoir que la constatation faite dans la "lettre article 6" ne saurait valoir prise de position de sa part sur la qualification des comportements litigieux de la SACEM et que, en tout état de cause, la décision litigieuse, n'est pas fondée sur l'inexistence d'une infraction mais sur d'autres motifs.

28 En ce qui concerne la prétendue contradiction entre la décision litigieuse et d'autres courriers de la Commission, celle-ci répond que l'existence de discordances entre la motivation d'une décision et d'éventuelles prises de position incorporées dans d'autres actes ne saurait affecter la validité de la décision au regard de l'article 190 du traité, dès lors qu'il est établi que les motifs de la décision ne sont ni contradictoires entre eux ni en contradiction avec le dispositif.

Appréciation du Tribunal

29 Il ressort d'une jurisprudence constante que la motivation d'une décision faisant grief doit permettre, d'une part, à son destinataire de connaître les justifications de la mesure prise, afin de faire valoir, le cas échéant, ses droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée et, d'autre part, au juge communautaire d'exercer son contrôle (arrêts du Tribunal La Cinq/Commission, précité, point 42, et du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission, T-7-92, Rec. p. II-669, point 30). A cet égard, la Commission n'est pas obligée, dans la motivation des décisions qu'elle est amenée à prendre pour assurer l'application des règles de concurrence, de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent à l'appui de leur demande, mais il suffit qu'elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision (arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, Cassella/Commission, 55-69, Rec. p. 887, point 22, Hoechst/Commission, 56-69, Rec. p. 927, point 22, et VBVB et VBBB/Commission, précité, point 22 ; arrêts du Tribunal La Cinq/Commission, précité, point 41, et Asia Motor France e.a./Commission, précité, point 31).

30 Il convient de rappeler que les plaintes déposées par les requérants articulaient, en substance, trois griefs. Le premier dénonçait un prétendu partage du marché - et le cloisonnement total du marché qui en résulterait - entre les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents Etats membres par la conclusion de contrats de représentation réciproque. Compte tenu du fait que les restrictions à la concurrence mises en cause dans ce grief résulteraient de l'existence d'un accord entre entreprises, le Tribunal estime que, à défaut de toute indication contraire, il doit être considéré comme étant fondé sur une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Les deuxième et troisième griefs avaient trait, respectivement, au caractère excessif et discriminatoire du taux de redevance imposé par la SACEM et au refus de cette dernière de concéder aux discothèques françaises l'utilisation du seul répertoire étranger. Le Tribunal estime que ces deux derniers griefs doivent être considérés comme étant fondés, en l'absence de toute indication que les pratiques mises en cause résulteraient d'un quelconque accord ou pratique concertée, sur une violation de l'article 86 du traité.

31 Dans une première branche de leur moyen, les requérants font valoir que la décision litigieuse n'est pas suffisamment motivée pour autant qu'elle rejette le grief tiré de l'existence d'une concertation entre les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents Etats membres en violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

32 Le Tribunal constate d'abord que la lettre du 12 novembre 1992 a rejeté les plaintes des requérants dans leur intégralité. Le point 14 de la décision litigieuse dispose en effet, sans opérer une quelconque distinction entre les griefs tirés d'une violation de l'article 85 et de l'article 86 que, "pour les raisons exposées ci-dessus, je vous informe que la demande que vous avez soumise à la Commission conformément à l'article 3, paragraphe 2 du règlement n° 17-62 est rejetée et renvoyée aux juridictions nationales".

33 Il convient de remarquer que la décision du 12 novembre 1992 fonde essentiellement le rejet des plaintes sur les motifs qui avaient été indiqués dans la "lettre article 6". Le point 5 de la décision litigieuse dispose en effet : "La Commission estime, pour les raisons exposées dans sa lettre du 20 janvier 1992, qu'il n'y a pas de motifs suffisants pour donner suite à votre demande de constatation d'infraction. Les observations présentées par le BEMIM et par vous-même en date du 20 mars 1992 ne contiennent en effet pas de nouveaux éléments de fait ou de droit qui soient de nature à modifier le jugement porté et les conclusions exposées par la Commission dans sa lettre du 20 janvier 1992."

34 Le Tribunal estime, dès lors, que, pour vérifier si la décision litigieuse est suffisamment motivée, il y a lieu de tenir compte à la fois des motifs mentionnés dans la lettre du 12 novembre 1992 et de ceux mentionnés dans la "lettre article 6".

35 Le Tribunal constate que tant la "lettre article 6" de la Commission que le rapport du 7 novembre 1991, qui a été joint à cette lettre, ne contiennent aucun indice de nature à démontrer que la Commission a examiné le grief des requérants tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, mais démontrent, au contraire, que la Commission a uniquement examiné les griefs relatifs à une violation de l'article 86. Dans sa "lettre article 6", la Commission explique, en effet, que "ses investigations ont porté plus particulièrement sur la comparaison du niveau des redevances dans la CEE" (point I, E). Elle constate que, "à son stade actuel, l'enquête ne permet pas d'établir que les conditions d'application de l'article 86 sont remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs actuellement pratiqués par la SACEM" (point II). Dans la partie "conclusions" de sa "lettre article 6", la Commission indique qu'elle envisage de rejeter les plaintes, "compte tenu du défaut d'intérêt communautaire résultant de l'effet essentiellement national des pratiques dénoncées dans votre plainte et du fait que plusieurs juridictions françaises en sont déjà saisies" (point III). L'effet essentiellement national découle, selon la Commission, du fait que "les effets des abus allégués ne sont ressentis pour l'essentiel que sur le territoire d'un seul Etat membre, voire une partie de ce territoire" (point II). De même, le rapport de la Commission, qui a été joint à la "lettre article 6" et qui est intitulé "Applicabilité de l'article 86 CEE au système de redevances appliqué par la SACEM aux discothèques françaises", ne traite nullement du grief tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, par les différentes sociétés nationales de gestion de droits d'auteur.

36 Dans sa lettre du 12 novembre 1992, la Commission réitère, au point 6 de cette lettre, la constatation, déjà faite dans sa "lettre article 6", selon laquelle "le centre de gravité de l'infraction alléguée se situe en France, que ses effets dans les autres Etats membres ne peuvent être que très limités, que par conséquent cette affaire ne présente pas une importance particulière pour le fonctionnement du Marché commun et que dès lors l'intérêt communautaire n'exige pas que la Commission se saisisse de ces plaintes mais commande qu'elles soient renvoyées devant les tribunaux nationaux et les autorités administratives françaises". Pour justifier le renvoi aux juridictions nationales, elle se réfère au point 7 de la décision, aux conclusions de M. le juge Edward faisant fonction d'avocat général dans les affaires Automec II et Asia Motor France e.a./Commission, précitées, et à l'arrêt Automec II. Elle examine ensuite les remarques faites par les requérants suite à la communication de sa "lettre article 6" et conclut qu'elles ne sont pas de nature à infirmer la constatation faite au point 6 de la décision litigieuse (points 8 à 13).

37 Le Tribunal estime que le point 6 de la lettre du 12 novembre 1992, qui contient les motifs essentiels du rejet définitif des plaintes, ne peut raisonnablement avoir trait au grief des requérants relatif à l'existence d'une entente entre les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents Etats membres. En effet, c'est uniquement à la lumière des griefs tirés, dans les plaintes, d'une violation de l'article 86 du traité CE - notamment le caractère abusif et discriminatoire du niveau des redevances imposées par la SACEM et le refus de la SACEM de donner accès à son seul répertoire étranger - qu'une signification raisonnable peut être attribuée à la constatation de la Commission que le centre de gravité de l'infraction se situe en France.

38 Le Tribunal constate, ensuite, que les seuls points de la décision litigieuse qui ont trait à des griefs tirés d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité sont les points 12 et 13, qui sont libellés comme suit :

"12. En ce qui concerne l'entente que (le conseil des requérants dénonce) à la page 12 de (sa) lettre du 20.3.1992 et qui existerait entre la SACEM et les autres sociétés d'auteurs de la Communauté, la Commission constate que, si l'existence de cette entente, dont elle n'a pu recueillir aucun indice sérieux, ou à tout le moins d'une pratique concertée entre toutes ces sociétés, notamment au sein du GESAC, ne peut être exclue, il apparaît par contre que l'on ne peut lui attribuer des effets précis en matière de tarifs, dont certains ont baissé et d'autres monté pendant la période postérieure aux arrêts de la C. J. du 13. 7. 1989, et qui surtout continuent, comme tous les plaignants le soulignent avec insistance, à connaître des écarts sensibles les uns par rapport aux autres. Toutefois, si des preuves formelles de l'existence et des effets de cette entente lui étaient apportées, la Commission serait toute disposée à les prendre en considération.

13. En ce qui concerne l'entente qui existerait entre la SACEM et certains syndicats de discothécaires, qui est dénoncée à la page 13 de (la) lettre (du conseil des requérants) du 20.3.1992, la Commission considère qu'elle n'a pu produire d'effets qu'à l'intérieur du territoire français au profit de certains discothécaires et aux dépens d'autres, et que dès lors, compte tenu des principes de coopération et de répartition des tâches entre la Commission et les Etats membres, c'est aux autorités nationales qu'il appartient de statuer à son égard, d'autant que, s'il est exact que la Commission partage avec ces autorités la compétence d'appliquer les règles de concurrence communautaires, ce sont ces autorités seules qui disposent du droit d'allouer des dommages et intérêts. En outre, la Commission tient à le rappeler, une éventuelle prise de position de sa part au sujet de cette entente ne pourrait en aucun cas limiter la liberté d'appréciation des juges nationaux."

39 Le Tribunal estime que les points 12 et 13 de la décision litigieuse contiennent les motifs du rejet de deux griefs formulés par les requérants dans leurs observations sur la "lettre article 6". Ces griefs avaient trait à l'existence d'une prétendue entente, d'une part, entre les sociétés nationales de gestion de droits d'auteur représentées au sein du GESAC, en vue d'uniformiser leurs redevances au taux le plus élevé possible, et, d'autre part, entre la SACEM et certains syndicats français de discothécaires. Le Tribunal estime que les points 12 et 13 de la décision litigieuse ne contiennent toutefois aucune motivation du rejet des plaintes des requérants pour autant qu'elles dénoncent un cloisonnement du marché.

40 Dans ces conditions, la motivation de la décision litigieuse ne permet pas aux requérants de connaître les justifications du rejet de leurs plaintes, pour autant que celles-ci avaient trait à un cloisonnement du marché résultant des contrats de représentation réciproque conclus entre les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents Etats membres. Il s'ensuit que, sur ce point, la Commission n'a pas respecté l'obligation, que lui imposait l'article 190 du traité, de motiver sa décision. Dès lors, la première branche du présent moyen est fondée.

41 Dans la deuxième branche de leur moyen, les requérants font valoir que la décision litigieuse est motivée d'une manière contradictoire pour autant qu'elle rejette les autres griefs de la plainte.

42 A cet égard, le Tribunal estime qu'une contradiction dans la motivation d'une décision constitue une violation de l'obligation qui découle de l'article 190 du traité, de nature à affecter la validité de l'acte en cause s'il est établi que, en raison de cette contradiction, le destinataire de l'acte n'est pas en mesure de connaître les motifs réels de la décision, en tout ou en partie, et que, de ce fait, le dispositif de l'acte est, en tout ou en partie, dépourvu de tout support juridique (voir notamment l'arrêt de la Cour du 7 juillet 1981, Rewe, 158-80, Rec. p. 1805, point 26).

43 Le Tribunal rappelle que, pour vérifier si la décision litigieuse est suffisamment motivée, il convient de tenir compte à la fois des motifs mentionnés dans la lettre du 12 novembre 1992 et de ceux mentionnés dans la "lettre article 6".

44 Quant à la question de savoir s'il existe, comme le prétendent les requérants, des contradictions entre les motifs de la "lettre article 6" et ceux de la décision litigieuse, le Tribunal constate qu'il ressort de la partie "conclusions" de la "lettre article 6" (voir, ci-dessus, point 9) que la Commission envisageait de rejeter les plaintes dont elle était saisie au seul motif que celles-ci ne présentaient pas un intérêt communautaire suffisant, ce défaut d'intérêt communautaire résultant de l'effet essentiellement national des pratiques dénoncées, d'une part, et du fait que plusieurs juridictions françaises étaient saisies des questions en cause, d'autre part. La constatation faite dans la "lettre article 6" que, "à son stade actuel, l'enquête ne permet pas d'établir que les conditions d'application de l'article 86 sont remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs actuellement pratiqués par la SACEM", ne constitue, dès lors, pas un motif sur lequel la décision de rejeter les plaintes est fondée.

45 De même, il ressort de la lettre du 12 novembre 1992, dont le contenu est résumé ci-dessus aux points 12 à 14, que la décision définitive de rejeter les plaintes a également été fondée sur le seul motif d'un défaut d'intérêt communautaire suffisant à poursuivre l'examen de l'affaire découlant, d'une part, du caractère limité des effets que les infractions alléguées seraient susceptibles de produire dans les autres Etats membres et, d'autre part, du fait que plusieurs juridictions nationales ainsi que le Conseil de la concurrence français étaient saisis d'affaires soulevant les mêmes questions que celles soulevées dans les plaintes.

46 Il résulte de ce qui précède qu'il n'existe aucune contradiction entre la motivation donnée dans la "lettre article 6" et celle donnée dans la décision litigieuse afin de justifier le rejet des plaintes.

47 Quant à l'argument tiré de ce que l'affirmation figurant au point 9 de la décision litigieuse, selon laquelle la Commission n'a pas comparé le niveau des tarifs eux-mêmes, serait en contradiction avec une autre déclaration faite par la Commission au même point, le Tribunal estime, au vu de l'analyse effectuée ci-dessus, qu'une éventuelle contradiction dans les considérations développées par la Commission à propos du niveau des tarifs appliqués par la SACEM ne serait, en tout état de cause, pas de nature à ôter au dispositif de la décision litigieuse, basé sur le seul motif d'un défaut d'intérêt communautaire suffisant, son support juridique. Dès lors, en admettant même que la prétendue contradiction soit établie, elle n'affecterait pas la validité de la décision litigieuse.

48 Il s'ensuit que la seconde branche du présent moyen doit être rejetée.

49 Il résulte de tout ce qui précède que la décision litigieuse doit être annulée pour autant qu'elle rejette le grief des requérants pris d'un cloisonnement du marché, résultant de l'existence d'une prétendue entente entre la SACEM et les sociétés de gestion de droits d'auteurs des autres Etats membres, ayant pour effet d'empêcher les discothèques françaises d'avoir un accès direct au répertoire de ces sociétés.

Sur le moyen tiré d'une erreur de droit et d'erreurs manifestes d'appréciation

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

50 Les requérants estiment que la décision litigieuse comporte une erreur de droit et des erreurs manifestes d'appréciation de nature à entraîner sa nullité.

51 En premier lieu, les requérants estiment que la Commission a commis une erreur de droit en rejetant leurs plaintes pour défaut d'intérêt communautaire. A cet égard, ils font valoir que, selon l'arrêt Automec II, précité, la Commission n'est en droit de tenir compte de l'intérêt communautaire que présente l'affaire que pour déterminer la priorité avec laquelle la plainte doit être traitée par ses services et non pour justifier le rejet de celle-ci.

52 En deuxième lieu, les requérants estiment que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en invoquant le principe de subsidiarité pour justifier le renvoi des plaintes devant les juridictions nationales, alors qu'elle avait en sa possession tous les éléments lui permettant de qualifier les pratiques dénoncées dans les plaintes.

53 En troisième lieu, les requérants, qui estiment, en ce qui concerne leur grief tiré d'un partage du marché et du cloisonnement total en résultant, que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation lorsqu'elle a affirmé, au point 6 de la décision litigieuse, que les infractions alléguées concernent principalement la France et n'ont que des effets très limités dans les autres Etats membres, font valoir que la Commission a, en tout état de cause, commis une erreur manifeste d'appréciation en évaluant l'intérêt communautaire de l'affaire. Ils estiment que, en l'espèce, la Commission n'était pas en droit, pour procéder à cette évaluation, de se fonder sur le fait que plusieurs juridictions nationales étaient saisies des questions de droit qui étaient soulevées dans leurs plaintes. Ils soulignent, à cet égard, que, dans l'affaire Automec II, il existait une procédure nationale unique opposant les parties en cause et font valoir que, en l'absence d'une telle unicité de procédure dans la présente affaire, c'est à tort que la Commission s'est livrée à une comparaison entre l'affaire Automec II et la présente affaire. Au surplus, et en tout état de cause, le renvoi aux juridictions nationales ne serait pas justifiable, en l'espèce, du fait qu'il résulterait de plusieurs arrêts et jugements rendus par ces juridictions que celles-ci ne sont pas en mesure d'assurer une application correcte et uniforme des dispositions du traité en matière de concurrence. Les requérants mettent également en cause le fait que, dans le rapport qu'elle a préparé pour les juridictions nationales, la Commission, en vue de comparer les tarifs applicables dans les différents Etats membres, s'est référée exclusivement à des discothèques fictives.

54 La Commission conteste l'interprétation de l'arrêt Automec II, précité, retenue par les requérants. Elle estime qu'il ressort clairement de cet arrêt qu'elle est en droit de rejeter une plainte pour défaut d'intérêt communautaire.

55 La Commission rejette également l'argument selon lequel elle ne saurait tenir compte de la saisine de juridictions nationales, comme critère pertinent dans l'évaluation de l'intérêt communautaire à poursuivre une affaire, que lorsqu'il existe une procédure nationale unique opposant les parties en cause. Quant à la prétendue incapacité des juridictions françaises à traiter ce contentieux, la Commission rappelle qu'elle ne dispose d'aucune compétence exclusive pour l'application des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité, dispositions qui engendrent directement des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder. Pour elle, le risque de discordances dans l'application de ces articles du traité entre les jurisprudences des tribunaux est inhérent à cette faculté, pour les particuliers, de se prévaloir de ces dispositions devant les juridictions nationales. Elle ajoute qu'il appartient aux juridictions supérieures des Etats membres d'assurer l'unité et la cohérence de la jurisprudence relative aux dispositions en cause, si nécessaire en saisissant la Cour de justice de questions préjudicielles au titre de l'article 177 du traité CE.

56 Dans la mesure où les requérants contestent le bien-fondé de la méthode retenue pour effectuer la comparaison de tarifs, la Commission rétorque qu'elle a longuement justifié ce choix de méthode dans son rapport, que la Cour l'a implicitement acceptée dans ses arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités, et que les requérants ont eux-mêmes admis que le rapport conduisait à la reconnaissance des infractions alléguées.

Appréciation du Tribunal

57 Le Tribunal rappelle que l'examen du premier moyen, tiré d'un défaut de motivation, a fait ressortir que la décision litigieuse doit être annulée pour autant qu'elle rejette le grief des requérants pris d'un cloisonnement du marché. Il s'ensuit que la branche du présent moyen, tirée d'une erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise la Commission en évaluant les effets du prétendu cloisonnement du marché, est devenue inopérante.

58 Il résulte également de ce qui précède que le présent moyen doit être examiné uniquement par rapport aux griefs tirés, dans les plaintes, d'une violation de l'article 86 du traité, à savoir le caractère prétendument excessif et discriminatoire du taux de redevances imposées par la SACEM et le prétendu refus de la SACEM de concéder l'utilisation du seul répertoire étranger aux discothèques françaises.

59 Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal que les articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité produisent des effets directs dans les relations entre particuliers et engendrent directement des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder (arrêts de la Cour du 30 janvier 1974, BRT, 127-73, Rec. p. 51, point 16, du 10 juillet 1980, Lauder, 37-79, Rec. p. 2481, point 13, du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I-935, point 45 ; arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 42). Au vu de cette compétence partagée entre la Commission et les juridictions nationales et de la protection qui en résulte pour les justiciables devant les juridictions nationales, il a été jugé, dans une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, que l'article 3 du règlement n° 17 ne confère pas à l'auteur d'une demande présentée en vertu dudit article le droit d'obtenir une décision de la Commission, au sens de l'article 189 du traité CE, quant à l'existence ou non d'une infraction à l'article 85 et/ou à l'article 86 du traité (arrêt de la Cour du 18 octobre 1979, GEMA/Commission, 125-78, Rec. p. 3173, point 17 ; arrêts du Tribunal du 18 novembre 1992, Rendo e.a./Commission, T-16-91, Rec. p. II-2417, point 98, et Automec II, précité, points 75 et 76). Il n'en va autrement que si l'objet de la plainte relève des compétences exclusives de la Commission, comme le retrait d'une exemption accordée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité (arrêts Automec II, précité, point 75, Rendo e.a./Commission, précité, point 99).

60 Quant à la première branche du présent moyen, tirée de ce que la Commission aurait commis une erreur de droit en rejetant la plainte sur la base d'un défaut d'intérêt communautaire, il convient de rappeler que, dans l'arrêt Automec II, précité, le Tribunal a précisé que la Commission est en droit d'accorder des degrés de priorité différents à l'examen des plaintes dont elle est saisie et qu'il est légitime qu'elle se réfère à l'intérêt communautaire que présente une affaire comme critère de priorité (points 83 à 85). Il ressort également du même arrêt, dans lequel le Tribunal s'est prononcé notamment sur la légalité d'une décision de classement, que la Commission peut rejeter une plainte pour défaut d'intérêt communautaire suffisant à poursuivre l'examen de l'affaire. Dès lors, cette branche du présent moyen doit être rejetée.

61 En ce qui concerne la deuxième branche du moyen, tirée du fait que la Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en invoquant le principe de subsidiarité pour justifier le renvoi de la plainte devant les juridictions nationales, le Tribunal constate qu'il ressort des points 6 à 8 de la décision litigieuse que la Commission a fondé le rejet des plaintes des requérants non sur le principe de subsidiarité, mais sur le seul motif d'un défaut d'intérêt communautaire suffisant. Dans ces conditions, le Tribunal estime que les requérants tentent, par la présente branche du moyen, de démontrer que la décision litigieuse est illégale du fait que la Commission, dans les circonstances de l'espèce, au lieu de renvoyer l'affaire devant les juridictions nationales, aurait dû prendre une décision constatant que les pratiques tarifaires de la SACEM constituaient une violation de l'article 86 du traité. Or, il résulte d'une jurisprudence constante, citée ci-dessus au point 59, que les requérants n'avaient pas le droit d'obtenir une telle décision de la Commission, même si cette dernière avait acquis la conviction que les pratiques concernées constituaient une infraction à l'article 86 du traité. Il s'ensuit que cette branche du moyen doit également être rejetée.

62 En ce qui concerne la troisième branche du moyen fondée sur une prétendue erreur de la Commission dans l'évaluation de l'intérêt communautaire en cause, il convient de rappeler que le Tribunal a précisé dans l'arrêt Automec II, précité, que, pour apprécier l'intérêt communautaire qu'il y a à poursuivre l'examen d'une affaire, la Commission doit tenir compte des circonstances du cas d'espèce et, notamment, des éléments de fait et de droit qui lui sont présentés dans la plainte dont elle est saisie. Il lui appartient, notamment, de mettre en balance l'importance de l'infraction alléguée pour le fonctionnement du Marché commun , la probabilité de pouvoir établir son existence et l'étendue des mesures d'instruction nécessaires en vue de remplir, dans les meilleures conditions, sa mission de veiller au respect des articles 85 et 86 (point 86). Le fait qu'un juge national ou une autorité nationale de la concurrence est déjà saisi de la question de la conformité d'une entente ou pratique avec les articles 85 ou 86 du traité est un élément qui peut être pris en compte par la Commission pour évaluer l'intérêt communautaire de l'affaire. Contrairement à ce qu'affirment les requérants, la faculté de tenir compte de la saisine de juridictions nationales, comme critère pertinent pour l'évaluation de l'intérêt communautaire à poursuivre l'examen d'une affaire, n'est pas limitée au seul cas où il existe une procédure nationale unique opposant le plaignant et la partie mise en cause dans la plainte.

63 Le Tribunal constate que la Commission, aux points 6 à 8 de la décision litigieuse, a fondé son appréciation quant à l'existence d'un intérêt communautaire insuffisant, d'une part, sur le caractère limité des effets que les infractions alléguées seraient susceptibles de produire dans les Etats membres autres que la France et, d'autre part, sur le fait que plusieurs juridictions nationales ainsi que le Conseil de la concurrence français étaient saisis d'affaires soulevant les mêmes questions que celles soulevées dans les plaintes.

64 Etant donné qu'il est constant, d'une part, que les requérants ne contestent pas l'effet essentiellement national des pratiques dénoncées dans leurs plaintes comme constituant des violations de l'article 86 du traité, et, d'autre part, que plusieurs juridictions françaises, dans des litiges opposant la SACEM et les requérants, ainsi que le Conseil de la concurrence français ont été saisis de la question de la conformité des mêmes pratiques avec les dispositions en matière de concurrence du traité, il y lieu de vérifier si, en l'espèce, la Commission, au vu de ces éléments factuels, n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation quant à l'intérêt communautaire à poursuivre l'examen de l'affaire.

65 Le Tribunal estime que, lorsque les effets des infractions alléguées dans une plainte ne sont ressentis, pour l'essentiel, que sur le territoire d'un Etat membre et lorsque des juridictions et des autorités administratives compétentes de cet Etat membre ont été saisies, dans des litiges opposant le plaignant et l'entité visée par la plainte, la Commission est en droit de rejeter la plainte pour défaut d'intérêt communautaire suffisant à poursuivre l'examen de l'affaire, à condition toutefois que les droits du plaignant puissent être sauvegardés d'une façon satisfaisante notamment par les juridictions nationales (arrêt Automec II, points 89 à 96).

66 Les requérants font valoir cependant que le renvoi aux juridictions nationales n'était pas justifiable, en l'espèce, du fait que les juridictions françaises, compte tenu de la complexité de l'affaire, ne seraient pas en mesure d'assurer une application correcte et uniforme des dispositions du traité en matière de concurrence.

67 A cet égard, le Tribunal estime, tout d'abord, que le fait que le juge national pourrait rencontrer des difficultés dans l'interprétation des articles 85 ou 86 du traité n'est pas, vu la possibilité offerte par l'article 177 du traité, un élément que la Commission est tenue de prendre en considération pour apprécier l'intérêt communautaire à poursuivre l'examen d'une affaire. Il convient d'ajouter que cette disposition du traité vise notamment à garantir l'application uniforme des dispositions du traité en disposant que les juridictions nationales, dont les décisions ne sont plus susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, sont tenues de poser une question préjudicielle à la Cour de justice lorsqu'une question est soulevée devant elles relative à l'interprétation des dispositions du traité.

68 Le Tribunal estime, en revanche, que les droits d'un plaignant ne sauraient être considérés comme étant suffisamment protégés devant le juge national si ce juge n'était, compte tenu de la complexité de l'affaire, raisonnablement pas en mesure de réunir les éléments factuels nécessaires pour déterminer si les pratiques dénoncées dans la plainte constituent une infraction aux articles 85 et/ou 86 du traité.

69 Dans le cas d'espèce, s'agissant du grief tiré du caractère prétendument abusif des redevances imposées par la SACEM, le Tribunal rappelle que la Commission a adressé aux sociétés de gestion des droits d'auteur des différents Etats membres, en application de l'article 11 du règlement n° 17, des demandes de renseignements et que, suite à cette instruction, elle a rédigé un rapport, daté du 7 novembre 1991, dans lequel elle a effectué une comparaison, sur une base homogène, des niveaux des redevances imposées par les sociétés de gestion des droits d'auteur concernées. Le Tribunal relève que les seules indications individuelles sur les sociétés de gestion des droits d'auteur des Etats membres qui ont été reprises dans le rapport, notamment le niveau des redevances imposées par ces sociétés, sont des informations qui se trouvent dans le domaine public. Dans ces conditions, le Tribunal estime qu'aucun élément du dossier ne fait apparaître que la communication de ce rapport aux juridictions nationales et l'utilisation de ce rapport par celles-ci seraient restreintes par des exigences tenant au respect des droits de la défense et du secret professionnel.

70 Le Tribunal estime, au vu du dispositif des arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités, que les éléments factuels présentés dans le rapport du 7 novembre 1991, qui contient précisément une comparaison, sur une base homogène, des niveaux des redevances imposées par les sociétés de gestion des droits d'auteur dans les différents Etats membres, doivent permettre aux juridictions françaises de déterminer si le niveau des redevances imposées par la SACEM est tel qu'il constitue un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité.

71 Le Tribunal ne peut trouver, dans l'argumentation développée par les requérants des éléments de nature à mettre en doute le bien-fondé de la méthode choisie par la Commission pour effectuer la comparaison des tarifs. D'ailleurs, le Tribunal note que les requérants font valoir, à la page 8 de leur requête, que "le rapport (du 7 novembre 1991) constitue un élément capital du dossier car il démontre, sans aucune ambiguïté, l'abus de position dominante dont s'est rendue coupable et se rend coupable de façon continue la SACEM".

72 Quant au grief tiré du caractère discriminatoire que présenterait l'application de ces taux de redevances, le Tribunal rappelle que la Commission a également examiné, dans son rapport du 7 novembre 1991, les faits relatifs à ce grief, laissant aux juridictions nationales le soin de qualifier ces éléments factuels.

73 Enfin, quant au grief tiré du prétendu refus de la SACEM de concéder aux discothèques françaises l'utilisation du seul répertoire étranger, le Tribunal constate que les requérants n'ont avancé aucun argument concret de nature à mettre en doute la compétence des juridictions françaises à réunir les éléments factuels nécessaires pour déterminer si cette pratique de la SACEM - entreprise française ayant son siège social en France - constitue une infraction à l'article 86 du traité.

74 Le Tribunal estime, au vu de ce qui précède, que les requérants n'ont produit aucun élément concret dont il pourrait être déduit que leurs droits ne pourraient être sauvegardés d'une façon satisfaisante par les juridictions françaises. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, il était légitime de rejeter leurs plaintes pour défaut d'intérêt communautaire sur la base des seules constatations que le centre de gravité des infractions alléguées se situait en France et que les juridictions françaises avaient été saisies de l'affaire. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner, en l'espèce, le point de savoir si la saisine du Conseil de la concurrence français aurait été, en soi, un élément susceptible de justifier le rejet de la plainte par la Commission, la troisième branche du moyen, tirée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'évaluation de l'intérêt communautaire en cause, n'est pas, non plus, fondée.

75 Il résulte de tout ce qui précède que l'examen de la décision litigieuse par le Tribunal n'a révélé ni erreur de droit, ni erreurs manifestes d'appréciation. Il s'ensuit que le présent moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une violation de différents principes généraux de droit communautaire

76 Les requérants font valoir que, en renvoyant l'affaire devant les juridictions nationales après quatorze années d'enquête au cours desquelles la Commission n'a jamais évoqué la question d'un défaut d'intérêt communautaire suffisant, elle a porté atteinte au principe de protection de la confiance légitime. Ils font valoir, à cet égard, que, en agissant comme elle l'a fait, la Commission a fait naître dans leur chef une attente légitime qu'elle trancherait elle-même les questions de droit soulevées dans leurs plaintes.

77 Les requérants font également valoir que la décision litigieuse porte atteinte au principe de la protection de la sécurité juridique, dans la mesure où, en laissant subsister une jurisprudence nationale divergente, elle porterait en elle la menace d'un désordre social tant au niveau législatif qu'au niveau des intérêts particuliers. De même, en refusant, dans de telles circonstances, d'adopter une décision sur l'existence d'une infraction, la Commission aurait négligé la nécessité d'une application uniforme du droit communautaire et manqué à son devoir de coopération loyale avec les juridictions nationales. Ils ajoutent que la Commission n'a également pas respecté le principe de bonne administration, tel qu'il a été défini par l'arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission (96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82, et 110-82, Rec. p. 3369), du fait qu'elle n'aurait pas examiné plusieurs documents produits par les parties pendant toutes ces années d'instruction.

78 Le Tribunal rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante que, en dehors des domaines où la Commission dispose d'une compétence exclusive, les règlements n° 17 et n° 99-63 ne confèrent pas aux parties plaignantes le droit d'obtenir une décision au sens de l'article 189 du traité quant à l'existence ou non d'une infraction à l'article 85 et/ou à l'article 86 du traité (arrêts GEMA/Commission, précité, point 17, Rendo e.a./Commission, précité, point 98, et Automec II, précité, points 75 et 76).

79 En ce qui concerne la prétendue violation du principe de protection de la confiance légitime, il résulte de cette jurisprudence que les requérants étaient censés savoir, au moment du dépôt de leur plainte, qu'ils n'avaient aucun droit d'obtenir une décision de la part de la Commission constatant que les pratiques de la SACEM qu'ils dénoncaient constituaient une violation des articles 85 et/ou 86 du traité. Le Tribunal constate également que les requérants n'ont avancé aucun élément concret de nature à démontrer que la Commission, au cours de la procédure administrative, leur aurait donné des raisons de croire qu'elle adopterait une telle décision. En particulier, le Tribunal estime que la longueur de l'enquête n'est pas, en soi, de nature à avoir fait naître une telle confiance.

80 Il s'ensuit que l'argument tiré d'une violation du principe de la protection de la confiance légitime doit être rejeté.

81 En ce qui concerne l'argument tiré du fait que la Commission, au vu des divergences de la jurisprudence nationale quant à l'applicabilité des articles 85 et 86 aux pratiques de la SACEM, aurait violé le principe de la protection de la sécurité juridique et son devoir de coopération loyale avec les juridictions nationales en refusant d'adopter une décision, le Tribunal estime que cette argumentation revient à imposer à la Commission l'obligation d'adopter, même en dehors des domaines où elle dispose d'une compétence exclusive, une décision sur l'existence de prétendues infractions afin d'assurer l'uniformité des jurisprudences nationales dans l'application du droit communautaire de la concurrence. Or, cet argument est non seulement contraire à la jurisprudence constante précitée au point 78, selon laquelle la Commission n'est pas obligée d'adopter une décision sur l'existence ou non des infractions alléguées dans une plainte, mais est également fondé sur une conception erronée du partage des responsabilités entre la Commission et les juridictions nationales. Il appartient en effet en premier lieu aux juridictions nationales, qui, à cette fin, peuvent saisir la Cour de justice de questions préjudicielles au titre de l'article 177 du traité, d'assurer une application uniforme du droit communautaire.

82 Il s'ensuit que cet argument doit également être rejeté.

83 En ce qui concerne la prétendue violation du principe de bonne administration, le Tribunal estime que cet argument, tel qu'il a été formulé par les requérants, ne permet pas au Tribunal de déterminer avec suffisamment de précision la nature et l'objet du grief que les requérants reprochent à la Commission. En particulier, le Tribunal ne peut pas identifier les documents que la Commission aurait omis de prendre en considération ou les raisons pour lesquelles cette omission constituerait une violation du principe de bonne administration. Il en résulte que cet argument doit également être rejeté.

84 Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré d'une violation de différents principes généraux de droit communautaire doit être rejeté.

Sur le moyen tiré d'un détournement de pouvoir

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

85 Les requérants estiment que la Commission, de la façon dont elle s'est occupée de leurs plaintes, s'est rendue coupable d'un détournement de pouvoir. Ils mettent en cause, sur le plan de la procédure, la longueur de l'instruction et le caractère insuffisant des mesures d'enquête entreprises. Ils estiment que la Commission a tardé délibérément à adopter une décision pour entretenir l'incertitude quant au caractère anticoncurrentiel des pratiques de la SACEM. Les requérants font également valoir que la Commission disposait d'éléments de preuve suffisants pour qualifier les pratiques de la SACEM sous l'angle des articles 85 et 86 du traité, mais que, suite à des pressions politiques, elle a décidé de ne pas le faire. En vue de démontrer l'existence de telles pressions, les requérants attirent l'attention du Tribunal sur certaines déclarations faites par un fonctionnaire de la direction générale Marché intérieur (DG III) ainsi que par un représentant de la SACEM lors d'une conférence sur le droit d'auteur qui a eu lieu à Madrid les 16 et 17 mars 1992.

86 La Commission rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, une allégation de détournement de pouvoir ne saurait être prise en considération que si le requérant avance des indices objectifs, pertinents et concordants, susceptibles de faire apparaître son existence. Dans la présente affaire, la Commission estime que les requérants n'ont présenté que des allégations vagues et n'ont avancé aucune circonstance concrète qui permettrait d'inférer que le but qu'elle a réellement poursuivi en rejetant les plaintes a été d'éviter l'application des règles de concurrence à la SACEM. En outre, le grief imputé à la Commission ne correspondrait guère à son comportement tout au long de son instruction et à ses prises de position à l'occasion des différentes affaires préjudicielles précitées.

Appréciation du Tribunal

87 Il convient de rappeler qu'il ressort d'une jurisprudence constante qu'une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (arrêts de la Cour du 21 juin 1984, Lux/Cour des comptes, 69-83, Rec. p. 2447, point 30, du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C-331-88, Rec. p. I-4023, point 24 ; arrêt du Tribunal du 9 février 1994, Lacruz Bassols/Cour de justice, T-109-92, RecFP p. II-105, point 52).

88 Le Tribunal estime que les éléments apportés par les requérants ne sont pas de nature à soutenir la conclusion que la Commission aurait commis un détournement de pouvoir.

89 En ce qui concerne, en particulier, la durée de la procédure, le Tribunal observe qu'il ressort du point 1 de la décision litigieuse, que les plaintes des requérants n'ont pas été déposées avant 1986. En outre, il n'est pas contesté que ces plaintes soulevaient des questions de droit communautaire nouvelles et que la Commission a interrompu son instruction pour attendre le prononcé, le 13 juillet 1989, des arrêts Tournier et Lucazeau e.a., suite à la saisine de la Cour de justice de questions préjudicielles en décembre 1987 et en août 1988. Suite au prononcé de ces arrêts la Commission a tenté de mettre au point une base de comparaison homogène en matière de tarifs et, à cet effet, a adressé des demandes de renseignements aux différentes sociétés d'auteurs. Elle a ensuite établi son rapport, le 7 novembre 1991, envoyé la "lettre article 6", le 20 janvier 1992, et adopté la décision litigieuse, le 12 novembre 1992.

90 Compte tenu de la nouveauté des questions de droit soulevées par les plaintes et de leur connexité avec les questions préjudicielles posées dans les affaires Tournier et Lucazeau e.a., précitées, le Tribunal estime qu'il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir interrompu son instruction des plaintes dans l'attente des arrêts de la Cour de justice dans ces affaires. De plus, le Tribunal considère que le délai qui s'est écoulé, d'une part, entre le prononcé de ces arrêts, le 13 juillet 1989, et d'autre part, l'établissement du rapport, le 7 novembre 1991, et l'adoption de la décision litigieuse, le 12 novembre 1992, n'est nullement de nature à justifier la conclusion que la Commission aurait délibérément retardé l'examen des plaintes dans le but d'entretenir l'incertitude sur le caractère prétendument anticoncurrentiel du comportement de la SACEM. Il convient d'ajouter, à cet égard, que le rapport du 7 novembre 1991 a précisément été établi par la Commission afin de permettre aux juridictions nationales d'apprécier la conformité des pratiques tarifaires de la SACEM avec l'article 86 du traité.

91 Les requérants tentent, de plus, en vue de démontrer l'existence d'un détournement de pouvoir, de tirer argument du caractère prétendument insuffisant des mesures d'enquête entreprises. Le Tribunal constate, toutefois, que cet argument est contredit par un autre argument invoqué par les requérants, selon lequel la Commission disposait d'éléments de preuve suffisants - ce qui implique nécessairement que des mesures d'instruction supplémentaires ne s'imposaient plus - pour qualifier les pratiques de la SACEM sous l'angle des articles 85 et 86 du traité, mais n'aurait pas procédé à cette qualification uniquement à cause de pressions politiques. En tout état de cause, le Tribunal rappelle que la Commission, lorsqu'elle est saisie d'une plainte au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, n'est obligée ni de mener une investigation complète dans tous les cas, ni d'adopter une décision quant à l'existence de l'infraction alléguée (arrêt Automec II, précité, points 75 à 85).

92 Enfin, les requérants, à l'appui de leur argument selon lequel la décision aurait été le résultat de pressions politiques exercées sur la Commission, attirent l'attention du Tribunal sur certains extraits du compte rendu d'une conférence sur le droit d'auteur qui s'est déroulée à Madrid les 16 et 17 mars 1992 (annexe 21 à la requête). Ces extraits concernent, en particulier, un commentaire fait par un fonctionnaire de la Commission affecté à la DG III sur la "lettre article 6" et des observations d'un représentant de la SACEM sur la politique menée par la DG III en matière de droit d'auteur. Le Tribunal ne peut trouver dans ces extraits les indices nécessaires permettant d'inférer l'existence d'un détournement de pouvoir.

93 Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré d'un détournement de pouvoir doit être rejeté.

Sur les dépens

94 Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le requérant et la Commission ayant succombé sur un ou plusieurs chefs, il y a lieu de déclarer que la Commission supportera ses propres dépens et la moitié des dépens de la requérante. En ce qui concerne la partie intervenante, il y a lieu de déclarer qu'elle supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1) La décision de la Commission du 12 novembre 1992 est annulée pour autant qu'elle rejette le grief des requérants pris du cloisonnement du marché résultant de l'existence d'une prétendue entente entre la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique et les sociétés de gestion de droits d'auteur des autres Etats membres.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens de la partie requérante. La partie requérante supportera l'autre moitié de ses dépens. La partie intervenante supportera ses propres dépens.