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Décisions

TPICE, 2e ch., 24 janvier 1995, n° T-114/92

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bureau européen des médias de l'industrie musicale

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Briët, Kalogeropoulos, Barrington, Saggio

Avocat :

Me Gautreau.

Comm. CE, du 20 oct. 1992

20 octobre 1992

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

FAITS A L'ORIGINE DU LITIGE

1 Le 4 février 1986, le requérant, qui regroupe un certain nombre d'exploitants de discothèques, a saisi la Commission, en application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), d'une demande tendant à la constatation d'infractions aux articles 85 et 86 du traité CEE de la part de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (ci-après "SACEM"), qui est la société française de gestion des droits d'auteur en matière musicale. La Commission a été saisie de nombreuses plaintes similaires entre 1979 et 1988.

2 La plainte déposée par le requérant articulait, en substance, les griefs suivants :

- les sociétés de gestion de droits d'auteur en matière musicale des différents Etats membres se partageraient le marché par la conclusion de contrats de représentation réciproque, en vertu desquels il serait interdit aux sociétés d'auteurs de traiter directement avec les utilisateurs établis sur le territoire d'un autre Etat membre ;

- le taux de redevance de 8,25 % du chiffre d'affaires, imposé par la SACEM, serait excessif par rapport aux taux des redevances acquittées par les discothèques dans les autres Etats membres ; ce taux prétendument abusif et discriminatoire ne servirait pas à rémunérer les sociétés de gestion représentées, notamment les sociétés étrangères, mais profiterait exclusivement à la SACEM, qui reverserait à ses représentés des sommes dérisoires ;

- la SACEM refuserait de concéder l'utilisation de son seul répertoire étranger, tout utilisateur étant tenu d'acquérir l'intégralité du répertoire, tant français qu'étranger, de la société.

3 Suite aux plaintes dont elle avait été saisie, la Commission a procédé à des investigations, sous la forme de demandes de renseignements en application de l'article 11 du règlement n° 17.

4 L'instruction a été suspendue à la suite de la saisine de la Cour de justice, entre décembre 1987 et août 1988, sous forme de demandes de décisions à titre préjudiciel émanant des Cours d'appel d'Aix-en-Provence et de Poitiers et du Tribunal de grande instance de Poitiers, mettant notamment en cause, au regard des articles 85 et 86 du traité, le niveau des redevances perçues par la SACEM, la conclusion de conventions de représentation réciproque entre sociétés nationales de gestion de droits d'auteur et le caractère global, couvrant l'ensemble du répertoire, des contrats de représentation conclus entre la SACEM et les discothèques françaises. Dans ses arrêts du 13 juillet 1989, Tournier (395-87, Rec. p. 2521, 2580), et Lucazeau e.a. (110-88, 241-88 et 242-88, Rec. p. 2811, 2834), la Cour a jugé, entre autres, d'une part, que "l'article 85 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il interdit toute pratique concertée entre sociétés nationales de gestion de droits d'auteur des Etats membres qui aurait pour objet ou pour effet que chaque société refuse l'accès direct à son répertoire aux utilisateurs établis dans un autre Etat membre" et, d'autre part, que "l'article 86 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'une société nationale de gestion de droits d'auteur se trouvant en position dominante sur une partie substantielle du Marché commun impose des conditions de transaction non équitables, lorsque les redevances qu'elle applique aux discothèques sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres Etats membres, dans la mesure où la comparaison des niveaux des tarifs a été effectuée sur une base homogène. Il en serait autrement si la société de droits d'auteur en question était en mesure de justifier une telle différence en se fondant sur des divergences objectives et pertinentes entre la gestion des droits d'auteur dans l'Etat membre concerné et celle dans les autres Etats membres".

5 A la suite de ces arrêts, la Commission a repris ses investigations, plus particulièrement en ce qui concerne les différences entre les niveaux de redevance pratiqués par les diverses sociétés de gestion de droits d'auteur dans la Communauté. En vue de mettre au point une base de comparaison homogène, elle a fait appel à cinq catégories types de discothèques fictives. Elle a ensuite adressé, en application de l'article 11 du règlement n° 17, des demandes de renseignements aux sociétés de gestion de droits d'auteur des différents Etats membres concernant les redevances qui seraient applicables à ces différents types de discothèques sur la base de leurs tarifs, tels qu'ils étaient en vigueur avant et après les arrêts de la Cour.

6 Les résultats de l'instruction menée par la Commission ont été consignés dans un rapport daté du 7 novembre 1991. Ce rapport rappelle d'abord les solutions données par la Cour dans ses deux arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités, et souligne les difficultés d'une comparaison des redevances perçues dans les différents Etats membres sur la base de catégories types de discothèques. Le rapport relève ensuite que, pour la période antérieure au 1er janvier 1990, les tarifs de la SACEM présentaient un écart sensible par rapport aux redevances réclamées par les autres sociétés de gestion de droits d'auteur, à l'exception de la société italienne. Le rapport exprime des doutes à l'encontre des deux explications avancées par la SACEM pour justifier cette différence, à savoir, d'une part, l'existence d'une tradition française de rémunérer les droits d'auteur à un niveau très élevé et, d'autre part, une grande rigueur dans le contrôle des œuvres jouées afin de déterminer les destinataires des redevances. Il ressort également du rapport que, pour la période postérieure au 1er janvier 1990, les redevances perçues en France et en Italie ont continué à être assez sensiblement supérieures à celles qui étaient appliquées dans les autres Etats membres. Le rapport examine enfin si la SACEM applique aux discothèques françaises des traitements différents, susceptibles de relever de l'article 86 du traité, et constate l'existence de différences dans les taux de redevance pratiqués et dans les conditions mises à l'octroi d'abattements.

7 Le 18 décembre 1991, le requérant a adressé à la Commission une lettre de mise en demeure au titre de l'article 175 du traité CEE, l'invitant à prendre position sur sa plainte.

8 Le 20 janvier 1992, la Commission a adressé au requérant une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"), l'informant qu'elle avait l'intention de rejeter sa plainte. Une copie du rapport du 7 novembre 1991 a été jointe à cette communication.

9 La Commission fait, entre autres, valoir, dans la partie "appréciation juridique" de sa lettre du 20 janvier 1992, que, "à son stade actuel, l'enquête ne permet pas d'établir que les conditions d'application de l'article 86 sont remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs actuellement pratiqués par la SACEM". La partie "conclusions" de la lettre du 20 janvier 1992 est rédigée comme suit :

"En conclusion, en application de l'article 6 du règlement de la Commission n° 99-63, j'ai l'honneur de vous informer par la présente lettre que la Commission, en application des principes de subsidiarité et de décentralisation, n'envisage pas, compte tenu du défaut d'intérêt communautaire résultant de l'effet essentiellement national des pratiques dénoncées dans votre plainte et du fait que plusieurs juridictions françaises en sont déjà saisies, de considérer que les éléments contenus dans votre plainte lui permettent de réserver à celle-ci une suite favorable.

Elle transmettra aux autorités judiciaires et administratives françaises qui lui en ont fait la demande une copie du rapport établi par ses services en matière de comparaison des taux de redevance dans la Communauté et de discriminations entre les utilisateurs sur le marché français."

10 Le 20 mars 1992, le requérant a présenté ses observations en réponse à la communication du 20 janvier 1992. Il a demandé la poursuite de l'enquête par la Commission et l'envoi d'une communication des griefs à la SACEM.

11 Le requérant a été informé du rejet définitif de sa plainte par une lettre du 20 octobre 1992 du membre de la Commission en charge des questions de concurrence.

12 Les points 1 à 3 de cette lettre rappellent les correspondances échangées entre la Commission et le plaignant et le point 4 précise que la lettre contient la décision définitive de la Commission. Le point 5 indique que la Commission n'entend pas donner suite à la plainte pour les raisons déjà exposées dans sa lettre du 20 janvier 1992.

13 Aux points 6 à 13 de sa lettre, la Commission répond aux principaux arguments avancés par le requérant dans ses observations en réponse à la lettre du 20 janvier 1992. Après avoir réaffirmé que l'affaire ne présente pas d'importance particulière pour le fonctionnement du Marché commun et qu'il n'y a donc pas d'intérêt communautaire suffisant à poursuivre l'enquête, la Commission rappelle, en se référant, notamment, à l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission (T-24-90, Rec. p. II-2223, point 88, ci-après "Automec II"), que la saisine de juridictions nationales constitue une circonstance qui peut être prise en considération pour justifier une décision de classement. En réponse à l'argument du requérant selon lequel sa prise de position constituerait un recours inapproprié au principe de subsidiarité, la Commission souligne qu'il ne s'agit pas d'abandonner toute action publique, mais simplement de décider, parmi les autorités compétentes en la matière, celles qui sont les mieux en mesure de résoudre les questions en cause. Elle rappelle que seules les juridictions nationales sont compétentes pour accorder des dommages et intérêts et qu'elle leur a fourni, dans le rapport du 7 novembre 1991, les informations nécessaires pour pouvoir procéder à la comparaison des tarifs des différentes sociétés nationales de gestion de droits d'auteur. A cet égard, elle estime que l'utilisation de ce rapport comme moyen de preuve par les juges nationaux n'est pas restreinte par son obligation de respecter le secret professionnel, puisque les demandes qu'elle a envoyées aux différentes sociétés nationales de gestion de droits d'auteur avaient pour objet non pas le niveau des tarifs en vigueur, qui sont, par leur nature, dans le domaine public, mais la comparaison du résultat pratique de l'application de ces tarifs à cinq types de discothèques. Répondant ensuite aux critiques formulées par le requérant au sujet de l'absence de prise de position de sa part pour la période antérieure au 1er janvier 1990, la Commission fait valoir qu'elle n'est pas tenue d'examiner si d'éventuelles infractions aux règles de la concurrence ont eu lieu dans le passé, dès lors que le but principal d'un tel examen serait de faciliter l'octroi de dommages et intérêts par les juridictions nationales. En réponse aux arguments avancés à propos de l'existence d'une entente entre les différentes sociétés nationales de gestion de droits d'auteur, elle fait valoir que, si l'existence de cette entente, dont elle n'a pu recueillir aucun indice sérieux, ne peut être exclue, il apparaît, en revanche, que l'on ne peut lui attribuer des effets précis en matière de tarifs, dont certains ont baissé et d'autres monté pendant la période postérieure aux arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités. S'agissant, enfin, des observations du requérant quant à l'existence d'une entente entre la SACEM et certains syndicats d'exploitants de discothèques, la Commission estime que, si une telle entente existait, elle n'aurait pu produire d'effets qu'à l'intérieur du territoire français.

14 Au point 14 de la décision, la Commission informe le requérant de ce que la demande qu'il avait introduite, au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, est "rejetée et renvoyée aux juridictions nationales".

Procédure contentieuse et conclusions des parties

15 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 décembre 1992, le requérant a introduit le présent recours.

16 La procédure écrite a suivi un cours normal et a été clôturée le 16 juin 1993.

17 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Sur demande du Tribunal, la partie défenderesse a produit certains documents et a répondu à certaines questions écrites.

18 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal à l'audience publique du 18 mai 1994.

19 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- dire et juger :

- le requérant bien fondé à obtenir l'annulation de la décision de la Commission en date du 20 octobre 1992, en ce qu'elle a omis de statuer sur les éléments de fait recueillis dans son rapport d'enquête du 7 novembre 1991, au regard des principes découlant des articles 85 et 86 du traité, tels qu'interprétés par les arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités ;

- que les pratiques contractuelles de la SACEM résultent du cloisonnement intégral des marchés nationaux existant en matière de concession du droit d'auteur en matière musicale ;

- que l'intérêt communautaire, découlant des directives résultant des arrêts de la Cour, nécessite que soient examinées les conventions de représentation réciproque liant l'ensemble des sociétés de gestion collective de droits d'auteur en Europe et les contrats de mise à la disposition des entreprises de diffusion musicale de tout ou partie des répertoires protégés dont elles demandent l'utilisation aux fins de communication à leur clientèle ; que les services de la Commission devront à cette fin rédiger un rapport permettant d'aboutir à des conventions types garantissant les intérêts des titulaires de droits d'auteur et ceux des entreprises qui exploitent les œuvres, tout en assurant le libre accès des discothèques françaises à la société de gestion collective de leur choix ;

- décharger le requérant des frais et dépens qui seraient susceptibles de lui incomber en cas d'irrecevabilité ou de mal-fondé de son recours.

20 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner la partie requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

21 La Commission s'interroge, en premier lieu, sur l'intérêt à agir du requérant au motif que l'effet dommageable qui pourrait résulter de la décision litigieuse se produirait non dans le chef du requérant, qui est une association d'entreprises, mais dans le chef de ses membres, les exploitants de discothèques.

22 En second lieu et sans préjuger de la question de l'intérêt à agir, la Commission estime que le recours n'est recevable que dans la mesure où il vise à l'annulation de la décision de rejet de la plainte. Se référant à l'arrêt de la Cour du 24 juin 1986, AKZO/Commission (53-85, Rec. p. 1965), et à l'arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, Rendo e.a./Commission (T-16-91, Rec. p. II-2417), la Commission soutient que le juge communautaire n'a pas compétence pour adresser des injonctions dans le cadre d'un contrôle de légalité fondé sur l'article 173 du traité CE et que, dès lors, les conclusions tendant à ce que le Tribunal ordonne à la Commission de rédiger un rapport "permettant d'aboutir à des conventions types garantissant les intérêts des titulaires de droits d'auteur et ceux des entreprises qui exploitent les œuvres, tout en assurant le libre accès des discothèques françaises à la société de gestion collective de leur choix", sont irrecevables.

23 S'agissant du premier moyen d'irrecevabilité, le requérant estime que la Commission ne saurait se prévaloir d'une telle analyse, compte tenu du fait qu'elle l'a considéré, tout au long de la procédure administrative, comme le mandataire de l'ensemble de ses adhérents dans leurs rapports avec la SACEM. Le requérant ajoute qu'il a, tout comme les autres syndicats d'exploitants de discothèques, vocation à être titulaire d'un protocole d'accord conclu avec la SACEM et que, dès lors, il a un intérêt direct à ce que les différents tarifs pratiqués par la SACEM soient exempts de critiques au regard de l'article 86.

24 S'agissant du second moyen d'irrecevabilité, le requérant rétorque que le Tribunal, en demandant à la Commission de rédiger le rapport concerné, ne ferait que vérifier l'existence de l'intérêt communautaire de sa plainte. Il ne s'agirait pas d'une injonction adressée à la Commission, mais d'une modalité d'application de l'arrêt.

Appréciation du Tribunal

Sur l'intérêt à agir du requérant

25 Il convient de rappeler que, le 4 février 1986, le requérant, qui est une association regroupant un certain nombre d'exploitants de discothèques, a saisi la Commission d'une demande de constatation d'infraction aux articles 85 et 86 du traité, en application de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17. Aux termes de cette disposition, "les personnes physiques et morales qui font valoir un intérêt légitime" sont habilitées à présenter une telle demande.

26 Quant à l'intérêt à agir du requérant contre la décision de rejet de sa plainte, il y a lieu de rappeler qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal que les personnes physiques et morales, qui sont habilitées à introduire une demande au titre de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17, disposent d'une voie de recours destinée à protéger leurs intérêts légitimes s'il n'est pas fait droit, en tout ou en partie, à leur plainte(arrêts de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26-76, Rec. p. 1875, point 13, du 11 octobre 1983, Demo-Studio Schmidt/Commission, 210-81, Rec. p. 3045, point 14, et arrêt du Tribunal du 18 mai 1994, BEUC et NCC/Commission, T-37-92, Rec. p. II-285, point 36).

27 Il s'ensuit que, si, en l'espèce, le requérant avait un intérêt légitime à introduire auprès de la Commission une demande au titre de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17, il doit être considéré comme ayant un intérêt suffisant à agir à l'encontre de la décision de la Commission rejetant sa demande.

28 A cet égard, le Tribunal estime qu'une association d'entreprises peut faire valoir un intérêt légitime à introduire une plainte, même si elle n'est pas directement concernée, en tant qu'entreprise opérant sur le marché en cause, par le comportement dénoncé, à condition toutefois, d'une part, qu'elle ait le droit de représenter les intérêts de ses membres et, d'autre part, que le comportement dénoncé soit susceptible de léser les intérêts de ceux-ci. D'ailleurs, la possibilité pour les associations d'entreprises de déposer des plaintes dans lesquelles elles assurent la défense commune des intérêts de leurs membres présente certains avantages procéduraux pour la Commission, dans la mesure où elle réduit le risque pour celle-ci de devoir accueillir, chaque fois, un grand nombre de plaintes individuelles mettant en cause le même comportement.

29 Dans la présente affaire, le Tribunal constate, d'une part, que le requérant, selon ses statuts, a, entre autres, pour objet de "promouvoir la création de l'art musical par sa pénétration dans le public" (article II). Ses statuts prévoient explicitement (article III, point 7) qu'il "représente les intérêts de ses membres, que ce soit près des pouvoirs publics, du gouvernement, que pour ester en justice". Le Tribunal constate, d'autre part, qu'il ressort du dossier que les comportements dénoncés dans la plainte du requérant sont tous de nature à léser les intérêts des discothèques membres du requérant.

30 Dans ces conditions, le Tribunal estime que le requérant avait un intérêt légitime à introduire auprès de la Commission une demande au titre de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17. Dès lors et conformément à la jurisprudence précitée, le requérant a un intérêt à agir à l'encontre de la décision de la Commission rejetant sa demande.

Sur la recevabilité des diverses conclusions de la requête

31 Le Tribunal constate que, dans ses conclusions, le requérant demande, tout d'abord l'annulation de la décision de la Commission contenue dans sa lettre du 20 octobre 1992. Le requérant invite, ensuite, le Tribunal à procéder à différentes constatations d'ordre général et à enjoindre à la Commission de rédiger un nouveau rapport.

32 Quant aux conclusions tendant à l'annulation de la décision contenue dans la lettre du 20 octobre 1992, il y a lieu de relever que, dans cette lettre, la Commission a rejeté la plainte du requérant, après avoir pris connaissance des observations qu'il avait présentées suite à l'envoi d'une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63. Il s'agit d'une décision définitive, s'inscrivant dans la troisième phase de la procédure d'instruction des plaintes, telle qu'analysée par le Tribunal dans son arrêt du 10 juillet 1990, Automec/Commission (T-64-89, Rec. p. II-367, point 47, ci-après "Automec I"), et susceptible de faire l'objet d'un recours.

33 Quant aux autres chefs de conclusions, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d'un recours en annulation fondé sur l'article 173 du traité, la compétence du juge communautaire est limitée au contrôle de la légalité de l'acte attaqué. Si le recours est fondé, le juge déclare, en vertu de l'article 174 du traité CE, nul et non avenu l'acte contesté. En vertu de l'article 176 du traité CE, il appartient à l'institution dont émane l'acte annulé - et non au juge communautaire - de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt.

34 Il s'ensuit que les conclusions tendant à ce que le Tribunal procède à certaines constatations d'ordre général et adresse une injonction à la Commission sont irrecevables, du fait qu'elles excèdent la compétence conférée au Tribunal dans le cadre d'un recours en annulation.

35 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le recours n'est recevable que dans la mesure où il vise à l'annulation de la décision de la Commission du 20 octobre 1992, rejetant la plainte du requérant. Il y a lieu de rejeter le recours comme irrecevable pour le surplus.

Sur le fond

36 Le requérant invoque, en substance, trois moyens à l'appui de son recours. Le premier est tiré d'une violation de l'article 190 du traité CE, en ce que la décision litigieuse ne serait pas suffisamment motivée. Le deuxième moyen est pris d'une violation de l'article 3 du règlement n° 17, en ce que la Commission aurait omis de qualifier les pratiques tarifaires de la SACEM décrites dans son rapport du 7 novembre 1991. Dans le troisième moyen, le requérant fait valoir que la décision litigieuse comporte une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation de nature à entraîner sa nullité.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 190 du traité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

37 En premier lieu, le requérant fait valoir que la Commission ne s'est pas prononcée sur le grief relatif aux contrats de représentation réciproque conclus entre les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents Etats membres, qui auraient pour effet d'empêcher les discothèques françaises d'avoir un accès direct au répertoire des sociétés de gestion des autres Etats membres. Ainsi, la Commission, qui, selon le requérant, se serait saisie uniquement des problèmes touchant à l'article 86 du traité, n'aurait pas suffisamment motivé le rejet de sa demande, pour autant qu'elle avait trait à la violation de l'article 85 du traité. Il fait également valoir qu'il existe actuellement une entente entre les différentes sociétés nationales de gestion de droits d'auteur réunies au sein du Groupement européen des sociétés d'auteurs et de compositeurs (ci-après "GESAC") pour augmenter les tarifs dans différents Etats membres, en vue d'éliminer toute différence significative entre les tarifs des droits d'auteur au niveau européen.

38 En second lieu, le requérant fait valoir que la Commission a également omis d'examiner le grief tiré d'un traitement discriminatoire des discothèques par la SACEM. Bien que la SACEM ait modifié la structure de ses tarifs suite aux arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités, la discrimination persisterait. Le requérant fait valoir que la SACEM facture actuellement un tarif égal à 6,05 % de leurs recettes aux discothèques membres du requérant, alors que des discothèques membres de syndicats privilégiés acquitteraient un tarif égale à 4,63 % de leurs recettes.

39 La Commission rétorque qu'elle s'est livrée à un examen approprié et diligent des plaintes, conformément aux principes posés par le Tribunal dans son arrêt Automec II. Elle estime que la décision est suffisamment motivée pour permettre aux intéressés de défendre leurs droits et au Tribunal d'exercer son contrôle et respecte, dès lors, les exigences posées à cet égard par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1-89, Rec. p. II-867). En outre, elle rappelle qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal qu'elle n'est pas obligée de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent à l'appui de leur demande et qu'il lui suffit d'exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, et arrêt du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44-90, Rec. p. II-1).

40 Pour ce qui est de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité et, notamment, de l'impossibilité pour les discothèques françaises d'avoir un accès direct aux répertoires des sociétés de gestion de droits d'auteur des autres Etats membres, la Commission estime que, en l'absence d'indices sérieux d'infraction, on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir eu recours à des mesures d'instruction. En ce qui concerne les différences de traitement prétendument pratiquées par la SACEM dans l'octroi du tarif préférentiel et de certains abattements, la Commission relève que cette question a été discutée dans le rapport du 7 novembre 1991, qui doit être lu conjointement avec la décision litigieuse.

Appréciation du Tribunal

41 Il ressort d'une jurisprudence constante que la motivation d'une décision faisant grief doit permettre, d'une part, à son destinataire de connaître les justifications de la mesure prise, afin de faire valoir, le cas échéant, ses droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée et, d'autre part, au juge communautaire d'exercer son contrôle(arrêts du Tribunal La Cinq/Commission, précité, point 42, et du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission, T-7-92, Rec. p. II-669, point 30). A cet égard, la Commission n'est pas obligée, dans la motivation des décisions qu'elle est amenée à prendre pour assurer l'application des règles de concurrence, de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent à l'appui de leur demande, mais il suffit qu'elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision (arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, Cassella/Commission, 55-69, Rec. p. 887, point 22, Hoechst/Commission, 56-69, Rec. p. 927, point 22, et VBVB et VBBB/Commission, précité, point 22 ; arrêts du Tribunal La Cinq/Commission, précité, point 41, et Asia Motor France e.a./Commission, précité, point 31).

42 Il convient de rappeler que la plainte déposée par le requérant articulait, en substance, trois griefs. Le premier dénonçait un prétendu partage du marché - et le cloisonnement total qui en résulterait - entre les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents Etats membres par la conclusion de contrats de représentation réciproque. Compte tenu du fait que les restrictions à la concurrence mises en cause dans ce grief résulteraient de l'existence d'un accord entre entreprises, le Tribunal estime que, à défaut de toute indication contraire, il doit être considéré comme étant fondé sur une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Les deuxième et troisième griefs avaient trait, respectivement, au caractère excessif et discriminatoire du taux de redevance imposé par la SACEM et au refus de cette dernière de concéder aux discothèques françaises l'utilisation du seul répertoire étranger. Le Tribunal estime que ces deux derniers griefs doivent être considérés comme étant fondés, en l'absence de toute indication que les pratiques mises en cause résulteraient d'un quelconque accord ou pratique concertée, sur une violation de l'article 86 du traité.

43 Le Tribunal constate d'abord que la lettre du 20 octobre 1992 a rejeté la plainte du requérant dans son intégralité. Le point 14 de la décision litigieuse dispose en effet, sans opérer une quelconque distinction entre les griefs tirés d'une violation de l'article 85 et de l'article 86 que, "pour les raisons exposées ci-dessus, je vous informe que la demande que vous avez soumise à la Commission conformément à l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17-62 est rejetée et renvoyée aux juridictions nationales".

44 Il convient de remarquer que la décision du 20 octobre 1992 fonde essentiellement le rejet de la plainte sur les motifs qui avaient été indiqués dans la communication qu'elle a adressée au requérant, au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, le 20 janvier 1992 (ci-après "lettre article 6"). Le point 5 de la décision litigieuse dispose en effet : "La Commission estime, pour les raisons exposées dans sa lettre du 20 janvier 1992, qu'il n'y a pas de motifs suffisants pour donner suite à votre demande de constatation d'infraction. Les observations présentées par vous-même en date du 20 mars 1992 ne contiennent en effet pas de nouveaux éléments de fait ou de droit qui soient de nature à modifier le jugement porté et les conclusions exposées par la Commission dans sa lettre du 20 janvier 1992."

45 Le Tribunal estime, dès lors, que, pour vérifier si la décision litigieuse est suffisamment motivée, il y a lieu de tenir compte à la fois des motifs mentionnés dans la lettre du 20 octobre 1992 et de ceux mentionnés dans la "lettre article 6".

46 Dans une première branche de son moyen, le requérant fait valoir que la décision litigieuse n'est pas suffisamment motivée pour autant qu'elle rejette le premier grief articulé dans sa plainte, relatif au cloisonnement du marché qui résulterait d'une entente entre les différentes sociétés nationales de gestion de droits d'auteur en violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

47 Le Tribunal constate que tant la "lettre article 6" de la Commission que le rapport du 7 novembre 1991, qui a été joint à cette lettre, ne contiennent, ainsi que le soutient le requérant, aucun indice de nature à démontrer que la Commission a examiné le grief du requérant tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, mais démontrent, au contraire, que la Commission a uniquement examiné les griefs relatifs à une violation de l'article 86. Dans sa "lettre article 6", la Commission explique, en effet, que ses "investigations ont porté plus particulièrement sur la comparaison du niveau des redevances dans la CEE" (point I, E). Elle constate que, "à son stade actuel, l'enquête ne permet pas d'établir que les conditions d'application de l'article 86 sont remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs actuellement pratiqués par la SACEM" (point II). Dans la partie "conclusions" de sa "lettre article 6", la Commission indique qu'elle envisage de rejeter la plainte, "compte tenu du défaut d'intérêt communautaire résultant de l'effet essentiellement national des pratiques dénoncées dans votre plainte et du fait que plusieurs juridictions françaises en sont déjà saisies" (point III). L'effet essentiellement national découle, selon la Commission, du fait que "les effets des abus allégués ne sont ressentis pour l'essentiel que sur le territoire d'un seul Etat membre, voire une partie de ce territoire" (point II). De même, le rapport de la Commission, qui a été joint à la "lettre article 6" et qui est intitulé "Applicabilité de l'article 86 CEE au système de redevances appliqué par la SACEM aux discothèques françaises", ne traite nullement du grief tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, par les différentes sociétés nationales de gestion de droits d'auteur.

48 Dans sa lettre du 20 octobre 1992, la Commission réitère, au point 6 de cette lettre, la constatation, déjà faite dans sa "lettre article 6", selon laquelle "le centre de gravité de l'infraction alléguée se situe en France, que ses effets dans les autres Etats membres ne peuvent être que très limités, que par conséquent cette affaire ne présente pas une importance particulière pour le fonctionnement du Marché commun et que dès lors l'intérêt communautaire n'exige pas que la Commission se saisisse de ces plaintes mais commande qu'elles soient renvoyées devant les tribunaux nationaux et les autorités administratives françaises". Pour justifier le renvoi aux juridictions nationales, elle se réfère au point 7 de la décision, aux conclusions de M. le juge Edward faisant fonction d'avocat général dans les affaires Automec II et Asia Motor France e.a./Commission, précitées, et à l'arrêt Automec II. Elle examine ensuite les remarques faites par le requérant suite à la communication de sa "lettre article 6", avant de conclure qu'elles ne sont pas de nature à infirmer la constatation faite au point 6 de la décision litigieuse (points 8 à 13).

49 Le Tribunal estime que le point 6 de la lettre du 20 octobre 1992, qui contient les motifs essentiels du rejet définitif de la plainte, ne peut raisonnablement avoir trait au grief du requérant relatif à l'existence d'une entente entre les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents Etats membres. En effet, c'est uniquement à la lumière des griefs tirés, dans la plainte, d'une violation de l'article 86 du traité - notamment le caractère abusif et discriminatoire du niveau des redevances imposées par la SACEM et le refus de la SACEM de donner accès à son seul répertoire étranger - qu'une signification raisonnable peut être attribuée à la constatation de la Commission selon laquelle le centre de gravité de l'infraction se situe en France.

50 Le Tribunal constate, ensuite, que les seuls points de la décision litigieuse qui ont trait au grief tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité sont les points 12 et 13, qui sont libellés comme suit :

"12. En ce qui concerne l'entente que (le conseil du requérant dénonce) à la page 12 de sa lettre du 20. 3. 1992 et qui existerait entre la SACEM et les autres sociétés d'auteurs de la Communauté, la Commission constate que, si l'existence de cette entente, dont elle n'a pu recueillir aucun indice sérieux, ou à tout le moins d'une pratique concertée entre toutes ces sociétés, notamment au sein du GESAC, ne peut être exclue, il apparaît par contre que l'on ne peut lui attribuer des effets précis en matière de tarifs, dont certains ont baissé et d'autres monté pendant la période postérieure aux arrêts de la C.J. du 13.7.1989, et qui surtout continuent, comme tous les plaignants le soulignent avec insistance, à connaître des écarts sensibles les uns par rapport aux autres. Toutefois, si des preuves formelles de l'existence et des effets de cette entente lui étaient apportées, la Commission serait toute disposée à les prendre en considération.

13. En ce qui concerne l'entente qui existerait entre la SACEM et certains syndicats de discothécaires, qui est dénoncée à la page 13 de la lettre (du conseil du requérant) du 20.3.1992, la Commission considère qu'elle n'a pu produire d'effets qu'à l'intérieur du territoire français au profit de certains discothécaires et aux dépens d'autres, et que dès lors, compte tenu des principes de coopération et de répartition des tâches entre la Commission et les Etats membres, c'est aux autorités nationales qu'il appartient de statuer à son égard, d'autant que, s'il est exact que la Commission partage avec ces autorités la compétence d'appliquer les règles de concurrence communautaires, ce sont ces autorités seules qui disposent du droit d'allouer des dommages et intérêts. En outre, la Commission tient à le rappeler, une éventuelle prise de position de sa part au sujet de cette entente ne pourrait en aucun cas limiter la liberté d'appréciation des juges nationaux."

51 Le Tribunal estime que les points 12 et 13 de la décision litigieuse contiennent les motifs du rejet de deux autres griefs, formulés par le requérant non dans la plainte, mais dans ses observations sur la "lettre article 6". Ces griefs avaient trait à l'existence d'une prétendue entente, d'une part, entre les sociétés nationales de gestion de droits d'auteur représentées au sein du GESAC, en vue d'uniformiser leurs redevances au taux le plus élevé possible, et, d'autre part, entre la SACEM et certains syndicats français d'exploitants de discothèques. Le Tribunal estime que les points 12 et 13 de la décision litigieuse ne contiennent, en revanche, aucune motivation du rejet de la plainte du requérant pour autant qu'elle dénonce un cloisonnement du marché.

52 Dans ces conditions, la motivation de la décision litigieuse ne permet pas au requérant de connaître les justifications du rejet de sa plainte, pour autant que celle-ci avait trait à un prétendu cloisonnement du marché résultant des contrats de représentation réciproque conclus entre les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents Etats membres. Il s'ensuit que, sur ce point, la Commission n'a pas respecté l'obligation, que lui imposait l'article 190 du traité, de motiver sa décision. Dès lors, la première branche du présent moyen est fondée.

53 Le requérant fait valoir, dans une seconde branche du même moyen, que la Commission a également omis d'examiner le grief tiré d'un traitement discriminatoire des discothèques par la SACEM.

54 A cet égard, le Tribunal constate que le rapport du 7 novembre 1991, joint à la "lettre article 6" et faisant partie intégrante de celle-ci, analyse non seulement le niveau des tarifs pratiqués par la SACEM, par rapport aux tarifs pratiqués par les autres sociétés de gestion des droits d'auteurs, mais aussi, d'une manière extensive, les différences de traitement pratiquées vis-à-vis des discothèques par la SACEM dans l'octroi du tarif préférentiel et des abattements protocolaires. Dans ces circonstances, le requérant ne saurait prétendre que la Commission a omis d'examiner son grief tiré d'un traitement discriminatoire des discothèques par la SACEM.

55 Le Tribunal constate, de plus, que la décision litigieuse rejette explicitement les griefs de la plainte ayant trait à l'article 86 - dont fait partie le grief tiré d'un traitement discriminatoire des discothèques par la SACEM - pour défaut d'intérêt communautaire.

56 Il s'ensuit que la décision litigieuse est suffisamment motivée pour autant qu'elle rejette le grief tiré du caractère prétendument discriminatoire des redevances imposées par la SACEM. Dès lors, la seconde branche du moyen doit être rejetée.

57 Il résulte de tout ce qui précède que la décision litigieuse doit être annulée pour autant qu'elle rejette le grief du requérant pris d'un cloisonnement du marché, résultant de l'existence d'une prétendue entente entre la SACEM et les sociétés de gestion de droits d'auteur des autres Etats membres, ayant pour effet d'empêcher les discothèques françaises d'avoir un accès direct au répertoire de ces sociétés.

Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 3 du règlement n° 17

Argumentation des parties

58 Le requérant fait valoir que la Commission a omis de qualifier les pratiques tarifaires de la SACEM, telles qu'elles ressortent de son rapport d'enquête du 7 novembre 1991, et que cette omission est illégale du fait qu'il résulterait de la lecture des arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités, que ces pratiques tarifaires relèvent de l'application immédiate de l'article 86 du traité.

59 Le requérant fait remarquer, de plus, que la constatation faite par la Commission dans sa "lettre article 6", selon laquelle "à son stade actuel, l'enquête ne permet pas d'établir que les conditions d'application de l'article 86 sont remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs actuellement pratiqués par la SACEM", a induit les juridictions nationales en erreur. En omettant de qualifier les pratiques tarifaires en cause, la Commission a, selon le requérant, sciemment contribué au maintien d'une confusion dans le chef des tribunaux français, qui auraient souvent considéré le rejet de la plainte du requérant par la Commission comme une approbation par cette dernière des tarifs de la SACEM. Pour étayer sa thèse, le requérant a versé au dossier plusieurs décisions des juridictions françaises qui ont interprété en ce sens la constatation, précitée, faite dans la "lettre article 6" de la Commission. Le requérant estime que la Commission, en tant que gardienne de l'ordre juridique communautaire, ne pouvait rester passive devant les interprétations erronées données à sa lettre par des juridictions nationales.

60 La Commission fait valoir qu'elle a préféré, à l'issue de son enquête, laisser aux autorités françaises le soin d'en tirer elles-mêmes, sur le fondement des observations figurant dans son rapport, les conclusions qui en découlaient dans les litiges pendants devant elles. Elle rappelle qu'elle ne dispose d'aucune compétence exclusive pour l'application des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité, dispositions qui engendrent directement des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder. Selon la Commission, le risque de discordances dans l'application de ces articles du traité entre les jurisprudences des tribunaux est inhérent à cette faculté, pour les particuliers, de se prévaloir de ces dispositions devant les juridictions nationales. Elle ajoute qu'il appartient aux juridictions supérieures des Etats membres d'assurer l'unité et la cohérence de la jurisprudence relative aux dispositions en cause, si nécessaire en saisissant la Cour de justice de questions préjudicielles au titre de l'article 177 du traité CE. Quant à la non-qualification des pratiques tarifaires, la Commission fait valoir que l'application de l'article 86 par les juridictions nationales ne saurait, comme semble le prétendre le requérant, être limitée à tirer les conséquences de qualifications juridiques préalablement établies par la Commission pour la résolution des litiges pendants devant elles. Selon la Commission, il appartient, au contraire, à ces juridictions, en leur qualité de juges communautaires de droit commun, de déterminer elles-mêmes si le comportement d'une entreprise en position dominante est constitutif d'un abus au sens de l'article 86 du traité (arrêt du 10 juillet 1990, Tetra Pak/Commission, T-51-89, Rec. p. II-309, au point 42).

61 Enfin, la Commission fait remarquer que le Conseil de la concurrence français a considéré, dans un avis de mai 1993, que les tarifs pratiqués par la SACEM, avant comme après leur baisse intervenue au 1er janvier 1990, sont sensiblement plus élevés que ceux pratiqués par les autres sociétés nationales de gestion de droits d'auteur au sens des arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités, sans que leur niveau soit justifié par des divergences objectives et pertinentes entre la gestion des droits d'auteur en France et dans les autres Etats membres.

Appréciation du Tribunal

62 Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal que les articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité produisent des effets directs dans les relations entre particuliers et engendrent directement des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder (arrêts de la Cour du 30 janvier 1974, BRT, 127-73, Rec. p. 51, point 16, du 10 juillet 1980, Lauder, 37-79, Rec. p. 2481, point 13, du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I-935, point 45 ; arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 42). Au vu de cette compétence partagée entre la Commission et les juridictions nationales et de la protection qui en résulte pour les justiciables devant les juridictions nationales, il a été jugé, dans une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, que l'article 3 du règlement n° 17 ne confère pas à l'auteur d'une demande présentée en vertu dudit article le droit d'obtenir une décision de la Commission, au sens de l'article 189 du traité CE, quant à l'existence ou non d'une infraction à l'article 85 et/ou à l'article 86 du traité(arrêt de la Cour du 18 octobre 1979, GEMA/Commission, 125-78, Rec. p. 3173, point 17 ; arrêts Rendo e.a./Commission, précité, point 98, et Automec II, précité, points 75 et 76). Il n'en va autrement que si l'objet de la plainte relève des compétences exclusives de la Commission, comme le retrait d'une exemption accordée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité (arrêts Automec II, précité, point 75, et Rendo e.a./Commission, précité, point 99).

63 Le Tribunal estime que le requérant, par le présent moyen, tente de démontrer que la décision litigieuse est illégale du fait que la Commission, dans les circonstances de l'espèce, aurait dû prendre une décision constatant que les pratiques tarifaires de la SACEM constituaient une violation de l'article 86 du traité. Or, il résulte de la jurisprudence précitée que le requérant n'avait pas le droit d'obtenir une telle décision de la Commission, même si celle-ci avait acquis la conviction que les pratiques concernées constituaient une infraction à l'article 86 du traité.

64 Le fait que plusieurs juridictions nationales auraient été induites en erreur par une constatation contenue dans la "lettre article 6" de la Commission - laquelle n'a, d'ailleurs, ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt Automec I, précité, point 46), que le caractère d'un acte préparatoire et ne contient qu'une appréciation provisoire des faits dénoncés - n'est pas de nature à affecter ce pouvoir discrétionnaire de la Commission.

65 De plus, à supposer même que l'appréciation faite par la Commission dans une "lettre article 6" comporte une erreur de droit, le Tribunal estime qu'une telle circonstance ne saurait affecter la position des justiciables devant les juridictions nationales. D'une part, au vu de la compétence partagée entre la Commission et les juridictions nationales pour l'application des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité (arrêts Delimitis, précité, points 44 et 45, et Automec II, précité, point 90), les juridictions nationales ne sont pas liées par une appréciation portée par la Commission sur l'éventuelle applicabilité de ces dispositions à un accord ou à une pratique concertée. D'autre part, dans le cas où une appréciation faite par la Commission soulèverait un doute dans le chef d'une juridiction nationale quant à l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, et/ou de l'article 86, la juridiction dispose de la faculté de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle, conformément à l'article 177 du traité.

66 Il résulte de ce qui précède que ce moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

67 Le requérant estime que la décision litigieuse comporte une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation de nature à entraîner sa nullité.

68 En premier lieu, le requérant fait valoir que l'affirmation de la Commission, figurant dans sa "lettre article 6", selon laquelle "l'enquête ne permet pas d'établir que les conditions de l'article 86 sont remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs actuellement pratiqués par la SACEM", comporte une erreur de droit. Le requérant fait observer que la Commission a maintenu cette position dans sa décision du 20 octobre 1992. D'une part, il résulterait clairement du rapport du 7 novembre 1991 que les tarifs pratiqués antérieurement et postérieurement à 1990 par la SACEM sont sensiblement plus élevés que ceux pratiqués dans les autres Etats membres. Le requérant estime que, à la lumière des arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités, la Commission aurait dû constater que les conditions d'application de l'article 86 du traité étaient remplies à l'égard de la SACEM. D'autre part, le requérant estime qu'il ressort du rapport d'enquête de la Commission que la SACEM applique des pratiques tarifaires discriminatoires, également interdites par l'article 86 du traité.

69 En second lieu, le requérant estime que l'appréciation par la Commission de l'intérêt communautaire doit être considérée comme manifestement erronée. Il fait valoir qu'il s'agit, dans le cas d'espèce, contrairement à l'affaire Automec II, précitée, d'une affaire qui a été instruite par la Commission. Dans ces circonstances, le requérant estime que la Commission ne pouvait plus se fonder sur un défaut d'intérêt communautaire pour rejeter sa plainte. Il ajoute que la seule lecture des arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités, suffit à établir que l'intérêt communautaire est concerné soit par le comportement autonome d'une société nationale de gestion de droits d'auteur, soit par le comportement symétrique des autres sociétés de gestion implantées en Europe. De plus, le requérant estime que le renvoi aux juridictions nationales n'était pas justifiable en l'espèce, du fait que les magistrats français, à la différence des fonctionnaires de la Commission, n'auraient pas les compétences nécessaires pour poursuivre une enquête ayant des implications dans tous les Etats membres de la Communauté.

70 S'agissant de la première branche du présent moyen, la Commission rétorque qu'elle n'a pas fondé son rejet de la plainte sur l'inexistence d'une infraction dans le chef de la SACEM, mais sur le défaut d'intérêt communautaire et sur le fait que plusieurs juridictions françaises avaient été saisies d'affaires analogues. Elle ajoute que la phrase litigieuse dans sa "lettre article 6" ne saurait valoir prise de position de sa part sur la qualification à donner aux comportements de la SACEM et fait observer que la partie "conclusions" de la lettre ne se réfère qu'au seul défaut d'intérêt communautaire et au fait que plusieurs juridictions françaises avaient été saisies d'affaires analogues pour justifier le rejet de la plainte et le renvoi aux juridictions nationales. La Commission fait observer qu'un tel renvoi n'aurait, en tout état de cause, pas eu de sens si elle avait définitivement conclu à l'absence d'abus.

71 Quant à la seconde branche du présent moyen, la Commission fait remarquer que sa faculté, dans les limites de l'arrêt Automec II, précité, de rejeter une plainte pour défaut d'intérêt communautaire ne peut s'exercer, par définition, que dans les hypothèses où les règles de concurrence du traité sont d'application, puisque, dans le cas contraire, elle ne serait pas compétente pour agir. Elle estime qu'une présomption d'infraction ne lui interdit pas de rejeter la plainte pour défaut d'intérêt communautaire et de renvoyer l'affaire aux juridictions nationales. Elle ajoute que, si les comportements incriminés de la SACEM présentent un caractère communautaire, en tant qu'ils sont susceptibles de relever des règles de concurrence du traité, cette constatation n'affecte pas la faculté, pour elle, de rejeter la plainte pour défaut d'intérêt communautaire. La Commission soutient que le centre de gravité de l'infraction alléguée se situe pour l'essentiel en France, ce qui relativiserait l'intérêt communautaire que présente l'affaire. La Commission fait également observer qu'admettre qu'elle puisse rejeter une plainte sans instruction préalable et lui reprocher, en l'espèce, de ne pas avoir adopté de décision constatant une infraction, sous prétexte qu'elle a conduit une longue enquête, constitue une interprétation paradoxale de l'arrêt Automec II, précité. La Commission rejette ensuite l'argumentation selon laquelle les juridictions nationales ne seraient pas en mesure d'apprécier les faits du litige sous l'angle des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité. Elle estime, au contraire, que le rapport qu'elle a établi permet davantage aux juridictions nationales de remplir le rôle qui résulte, pour elles, du caractère directement applicable de ces dispositions.

Appréciation du Tribunal

72 Il convient de remarquer que, lorsque la Commission rejette, pour défaut d'intérêt communautaire, une demande de constatation d'infraction au titre de l'article 3 du règlement n° 17, le contrôle de légalité auquel le Tribunal doit procéder vise à vérifier si la décision litigieuse ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, n'est entachée d'aucune erreur de droit, non plus que d'aucune erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir (arrêt Automec II, précité, point 80).

73 Le Tribunal rappelle que l'examen du premier moyen, tiré d'un défaut de motivation, a fait ressortir que la décision litigieuse doit être annulée pour autant qu'elle rejette le grief du requérant pris d'un cloisonnement du marché. Dès lors, il convient d'examiner le présent moyen uniquement par rapport aux deux autres griefs articlés dans la plainte, à savoir le caractère prétendument excessif et discriminatoire du taux de redevances imposées par la SACEM et le prétendu refus de la SACEM de concéder aux discothèques françaises l'utilisation du seul répertoire étranger.

74 Quant à la première branche du présent moyen, tirée d'une prétendue erreur de droit dont serait entachée la décision de la Commission, il convient de rappeler que, dans sa "lettre article 6", la Commission avait constaté que, "à son stade actuel, l'enquête ne permet pas d'établir que les conditions d'application de l'article 86 sont remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs actuellement pratiqués par la SACEM" et que, dans la décision litigieuse, la Commission a maintenu "le jugement porté et les conclusions exposées" dans sa "lettre article 6" (point 5 de la décision litigieuse).

75 En vue d'apprécier la légalité de la décision litigieuse, il y a dès lors lieu de rechercher si la constatation faite dans la "lettre article 6", et reprise d'une manière implicite au point 5 de la décision litigieuse, constitue un support nécessaire de la conclusion de rejeter la plainte du requérant et de renvoyer l'affaire aux juridictions nationales (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 17 septembre 1992, NBV et NVB/Commission, T-138-89, Rec. p. II-2181, point 31).

76 Il ressort des conclusions de la "lettre article 6" (voir, ci-dessus, point 9) que la Commission envisageait le rejet de la plainte du requérant aux motifs que l'affaire dont elle avait été saisie ne présentait pas un intérêt communautaire suffisant et que ce défaut d'intérêt communautaire résultait de "l'effet essentiellement national des pratiques dénoncées" et que "plusieurs juridictions françaises en sont déjà saisies". Dans ces conditions, le Tribunal estime que la "lettre article 6" ne s'est pas fondée sur une absence d'infraction à l'article 86 pour justifier le rejet de la plainte.

77 De même, dans la lettre du 20 octobre 1992, la Commission n'a pas rejeté la plainte du requérant après avoir constaté qu'il n'y avait pas eu d'infraction aux règles de concurrence du traité, mais a justifié le rejet définitif de celle-ci, au point 6 de la décision litigieuse, aux motifs que "le centre de gravité de l'infraction alléguée se situe en France, que ses effets dans les autres Etats membres ne peuvent être que très limités, que par conséquent cette affaire ne présente pas une importance particulière pour le fonctionnement du Marché commun et que dès lors l'intérêt communautaire n'exige pas que la Commission se saisisse de ces plaintes mais commande qu'elles soient renvoyées devant les tribunaux nationaux et les autorités administratives françaises". Ainsi, au point 8 de la décision litigieuse, la Commission fait valoir que, "comme le centre de gravité du dossier se situe manifestement en France... et comme il existe une autorité nationale compétente, désormais en possession, grâce au travail de la Commission, des informations nécessaires à la comparaison exigée par la CJCE, tout indique que c'est bien à cette autorité qu'il incombe de poursuivre l'action publique s'il y a lieu de le faire. En outre, dans le cas présent, de nombreuses juridictions françaises sont d'ores et déjà saisies des plaintes du BEMIM et des discothèques qui se sont jointes à cette plainte. Certaines de ces juridictions ont déjà statué à leur sujet. Dès lors, il apparaît que la Commission n'est pas tenue d'instruire elle-même ces plaintes au fond ni a fortiori de les traiter en priorité, d'autant qu'il existe en France, la Commission vient de le rappeler, une autorité administrative habilitée à statuer à leur sujet. Il s'agit dès lors dans le présent cas d'une application classique du principe de subsidiarité, qui se traduit non par une sorte de carence des autorités communautaires mais par un simple transfert de compétence vers le niveau national".

78 Il résulte de ce qui précède que la conclusion de la Commission, selon laquelle l'affaire ne revêtait pas un intérêt communautaire suffisant, conclusion qui constituait le seul motif du rejet de la plainte, n'était nullement fondée sur une absence d'infraction à l'article 86 du traité. Dès lors, même si la Commission avait commis une erreur de droit, comme le prétend le requérant, en considérant que, "à son stade actuel, l'enquête ne permet pas d'établir que les conditions d'application de l'article 86 sont remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs actuellement pratiqués par la SACEM", la légalité de la décision litigieuse n'en serait pas affectée.

79 Il s'ensuit que la première branche du présent moyen est inopérante et doit, dès lors, être rejetée.

80 Quant à la seconde branche du moyen, tirée de ce que la décision litigieuse serait fondée sur une erreur manifeste d'appréciation, il convient de rappeler qu'il résulte des principes développés par le Tribunal dans l'arrêt Automec II, précité, que la Commission est en droit de rejeter une plainte lorsqu'elle constate que l'affaire ne présente pas un intérêt communautaire suffisant à justifier la poursuite de l'examen de l'affaire (point 85). Dans cette affaire, le Tribunal a précisé que, pour apprécier l'intérêt communautaire qu'il y a à poursuivre l'examen d'une affaire, la Commission doit tenir compte des circonstances du cas d'espèce et, notamment, des éléments de fait et de droit qui lui sont présentés dans la plainte dont elle est saisie. Il lui appartient, notamment, de mettre en balance l'importance de l'infraction alléguée pour le fonctionnement du Marché commun, la probabilité de pouvoir établir son existence et l'étendue des mesures d'instruction nécessaires en vue de remplir, dans les meilleures conditions, sa mission de veiller au respect des articles 85 et 86 (point 86). Le fait qu'un juge national ou une autorité nationale de la concurrence est déjà saisi de la question de la conformité d'une entente ou pratique avec les articles 85 ou 86 du traité est un élément qui peut être pris en compte par la Commission pour évaluer l'intérêt communautaire de l'affaire.

81 Il est vrai, comme le fait observer le requérant, que, dans l'affaire Automec II, précitée, la Commission avait rejeté la plainte pour défaut d'intérêt communautaire sans avoir procédé à des mesures d'instruction. Le Tribunal estime toutefois que la Commission peut prendre une décision de classement d'une plainte pour défaut d'intérêt communautaire suffisant, non seulement avant d'avoir entamé une instruction de l'affaire, mais également après avoir pris des mesures d'instruction, si elle est amenée à cette constatation à ce stade de la procédure. En conclure autrement reviendrait à obliger la Commission, du moment où elle a entrepris des mesures d'instruction suite au dépôt d'une demande présentée en vertu de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, à prendre une décision quant à l'existence ou non d'une infraction à l'article 85 et/ou 86 du traité. Or, une telle interprétation serait non seulement contraire au texte même de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, selon lequel la Commission "peut" adopter une décision quant à l'existence de l'infraction alléguée, mais irait, de plus, à l'encontre d'une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, précitée au point 62 ci-dessus, suivant laquelle l'auteur d'une plainte n'a pas le droit d'obtenir une décision de la Commission au sens de l'article 189 du traité.

82 Il ressort, en l'espèce, des points 6 et 8 de la décision litigieuse que la Commission a conclu, après instruction, qu'il n'y avait pas un intérêt suffisant à poursuivre l'affaire, du fait que le centre de gravité de l'infraction alléguée se situait en France et que plusieurs juridictions françaises et le Conseil de la concurrence français étaient déjà saisis d'affaires analogues.

83 Quant à l'effet essentiellement national des pratiques dénoncées, à savoir le caractère prétendument excessif et discriminatoire du taux de redevances imposées par la SACEM et le prétendu refus de la SACEM de concéder aux discothèques françaises l'utilisation du seul répertoire étranger, le Tribunal estime que le fait qu'un comportement ou une pratique soit susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, au sens de l'article 86 du traité, n'empêche pas en soi que les effets de ce comportement puissent se ressentir essentiellement sur le territoire d'un seul Etat membre. En l'espèce, il ressort des éléments du dossier que seules les discothèques françaises ont été victimes du prétendu comportement abusif de la SACEM et que les effets des pratiques dénoncées, pour autant qu'elles étaient de nature à affecter le commerce entre Etat membres, n'ont été ressentis que dans les régions frontalières. En tout état de cause, le Tribunal constate que le requérant, qui a explicitement fait valoir dans sa plainte que les pratiques de la SACEM ont créé "une discrimination, notamment pour les discothèques se trouvant de chaque côté de la frontière française et d'un autre Etat membre (Belgique, Luxembourg, Allemagne, Italie)", n'a apporté aucun élément de nature à démontrer que la Commission aurait commis une erreur de fait en considérant que "le centre de gravité de l'infraction alléguée se situe en France".

84 Par ailleurs, le Tribunal relève qu'il est constant que plusieurs juridictions françaises, dans des litiges opposant la SACEM et certains membres du requérant, ainsi que le Conseil de la concurrence français ont été saisis de la question de la conformité des pratiques dénoncées dans la plainte avec les articles 85 et 86 du traité.

85 Il y a donc lieu de vérifier si, en l'espèce, la Commission, au vu de ces éléments factuels, n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation quant à l'intérêt communautaire à poursuivre l'examen de l'affaire.

86 Le Tribunal estime que, lorsque les effets des infractions alléguées dans une plainte ne sont ressentis, pour l'essentiel, que sur le territoire d'un Etat membre et lorsque des juridictions et des autorités administratives compétentes de cet Etat membre ont été saisies, dans des litiges opposant le plaignant - ou certains de ses membres dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, le plaignant est une association d'entreprises - et l'entité visée par la plainte, la Commission est en droit de rejeter la plainte pour défaut d'intérêt communautaire suffisant à poursuivre l'examen de l'affaire, à condition toutefois que les droits du plaignant ou de ses membres puissent être sauvegardés d'une façon satisfaisante, notamment par les juridictions nationales(arrêt Automec II, points 89 à 96).

87 Le requérant estime que le renvoi aux juridictions nationales n'était pas justifiable, en l'espèce, du fait que les juges français n'auraient pas les compétences nécessaires pour poursuivre une enquête d'une telle envergure.

88 A cet égard, le Tribunal estime, tout d'abord, que le fait que le juge national pourrait rencontrer des difficultés dans l'interprétation des articles 85 ou 86 du traité n'est pas, vu la possibilité offerte par l'article 177 du traité, un élément que la Commission est tenue de prendre en considération pour apprécier l'intérêt communautaire à poursuivre l'examen d'une affaire. Il convient d'ajouter que cette disposition du traité vise notamment à garantir l'application uniforme des dispositions du traité en disposant que les juridictions nationales, dont les décisions ne sont plus susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, sont tenues de poser une question préjudicielle à la Cour de justice lorsqu'une question est soulevée devant elles relative à l'interprétation des dispositions du traité. Le Tribunal estime, en revanche, que les droits d'un plaignant ne sauraient être considérés comme étant suffisamment protégés devant le juge national si ce juge n'était, compte tenu de la complexité de l'affaire, raisonnablement pas en mesure de réunir les éléments factuels nécessaires pour déterminer si les pratiques dénoncées dans la plainte constituent une infraction auxdites dispositions du traité.

89 Dans le cas d'espèce, s'agissant du grief tiré du caractère prétendument abusif du taux des redevances imposées par la SACEM, le Tribunal rappelle que la Commission a adressé aux sociétés de gestion des droits d'auteur des différents Etats membres, en application de l'article 11 du règlement n° 17, des demandes de renseignements et que, suite à cette instruction, elle a rédigé un rapport, daté du 7 novembre 1991, dans lequel elle a effectué une comparaison, sur une base homogène, des niveaux des redevances imposées par les sociétés de gestion des droits d'auteur concernées. Le Tribunal relève que les seules indications individuelles sur les sociétés de gestion des droits d'auteur des Etats membres qui ont été reprises dans le rapport, notamment le niveau des redevances imposées par ces sociétés, sont des informations qui se trouvent dans le domaine public. Dans ces conditions, le Tribunal estime qu'aucun élément du dossier ne fait apparaître que la communication de ce rapport aux juridictions nationales et l'utilisation de ce rapport par celles-ci seraient restreintes par des exigences tenant au respect des droits de la défense et du secret professionnel.

90 Le Tribunal estime, au vu du dispositif des arrêts Tournier et Lucazeau e.a., précités, que les éléments factuels présentés dans le rapport du 7 novembre 1991, qui contient précisément une comparaison, sur une base homogène, des niveaux des redevances imposées par les sociétés de gestion de droits d'auteur dans les différents Etats membres, doivent permettre aux juridictions françaises de déterminer si le niveau des redevances imposées par la SACEM est tel qu'il constitue un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité.

91 Quant au grief tiré du caractère discriminatoire que présenterait l'application de ces taux de redevance, le Tribunal rappelle que la Commission a également examiné, dans son rapport du 7 novembre 1991, les faits relatifs à ce grief, laissant aux juridictions nationales le soin de qualifier ces éléments factuels.

92 Enfin, quant au grief tiré du prétendu refus de la SACEM de concéder aux discothèques françaises l'utilisation du seul répertoire étranger, le Tribunal constate que le requérant n'a avancé aucun argument concret de nature à mettre en doute la compétence des juridictions françaises à réunir les éléments factuels nécessaires pour déterminer si cette pratique de la SACEM - entreprise française ayant son siège social en France - constitue une infraction à l'article 86 du traité.

93 Le Tribunal estime, au vu de ce qui précède, que le requérant n'a produit aucun élément concret dont pourrait être déduit que ses droits et les droits de ses membres ne puissent être sauvegardés d'une façon satisfaisante par les juridictions françaises. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, il était légitime de rejeter la plainte du requérant pour défaut d'intérêt communautaire sur la base des seules constatations que le centre de gravité des infractions alléguées se situait en France et que les juridictions françaises avaient été saisies de l'affaire. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner, en l'espèce, le point de savoir si la saisine du Conseil de la concurrence français de l'affaire aurait été, en soi, un élément susceptible de justifier le rejet de la plainte par la Commission, la seconde branche du moyen doit être écartée.

94 Il résulte de tout ce qui précède que l'examen de la décision litigieuse par le Tribunal n'a révélé ni erreur de droit ni erreur manifeste d'appréciation. Il s'ensuit que le présent moyen doit être rejeté.

Sur les dépens

95 Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le requérant et la Commission ayant succombé sur un ou plusieurs chefs, il y a lieu de déclarer que la Commission supportera ses propres dépens et la moitié des dépens de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1) La décision de la Commission du 20 octobre 1992 est annulée pour autant qu'elle rejette le grief du requérant pris d'un cloisonnement du marché résultant de l'existence d'une prétendue entente entre la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique et les sociétés de gestion de droits d'auteur des autres Etats membres.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens de la partie requérante. La partie requérante supportera l'autre moitié de ses dépens.