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Décisions

TPICE, 2e ch., 24 janvier 1995, n° T-74/92

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ladbroke Racing (GmbH)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Deutscher Sportverlag Kurt Stoof GmbH & Co.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Briët, Kalogeropoulos, Barrington, Biancarelli

Avocats :

Mes Lever, Vajda, Kon, Michaeli, Zinsmeiste.

TPICE n° T-74/92

24 janvier 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

FAITS A L'ORIGINE DU LITIGE.

La plainte et la procédure devant la Commission

1 La requérante, Ladbroke Racing (Deutschland) GmbH (ci-après "Ladbroke"), société de droit allemand établie à Mayence (Allemagne), appartient au groupe Ladbroke Group plc, qui, en dehors du Royaume-Uni où il a son siège, opère, par l'intermédiaire de ses filiales, dans d'autres pays de la Communauté, en matière de prise de paris sur les courses de chevaux. A cet effet, Ladbroke Group possède Ladbroke Racing International BV, société de droit néerlandais, qui a, elle-même, deux filiales en Allemagne, afin de développer les activités du groupe dans ce pays. Il s'agit de la requérante, qui dispose, depuis le 26 octobre 1989, d'une licence d'agence de prise de paris en Rhénanie-Palatinat, expirant le 31 décembre 1993, et de Ladbroke Racing Deutschland Ost GmbH, qui dispose, depuis le 24 septembre 1990, d'une licence d'agence sur le territoire de l'ancienne zone de Berlin-Est.

2 En septembre 1989, Ladbroke a demandé le droit de retransmettre des images télévisées et des commentaires sonores sur les courses hippiques françaises au Deutscher Sportverlag Kurt Stoof GmbH & Co. (ci-après "DSV"), société de droit allemand détentrice de ces droits de retransmission pour le territoire des Länder de la République fédérale d'Allemagne dans les frontières antérieures à la réunification, y compris l'ancienne zone de Berlin-Ouest, ainsi que sur le territoire de l'Autriche.

3 Ces droits avaient été concédés au DSV par contrat, conclu le 25 août 1989, entre ce dernier et le Pari mutuel international (ci-après "PMI"), société anonyme de droit français ayant pour objet de valoriser hors de France les images et informations télévisées sur les courses de chevaux organisées en France. Le PMI, pour sa part, détenait ces droits en vertu d'un contrat conclu, le 12 janvier 1990, avec effet au 1er août 1989, avec le Pari mutuel urbain (ci-après "PMU"), groupement d'intérêt économique émanant des dix sociétés de courses françaises les plus importantes et seules autorisées à prendre des paris hors hippodrome (pari mutuel) sur les courses de chevaux qu'elles organisent. Enfin, le PMU, dont la mission consiste dans l'établissement des programmes des courses hippiques organisées par les sociétés susmentionnées, dans la totalisation des paris pris sur ces courses et dans le calcul des rapports gagnants, s'était vu concéder, par ces sociétés, détentrices des droits de propriété intellectuelle sur ces images et commentaires, par contrat du 9 janvier 1990, avec effet au 1er août 1989, le droit de commercialiser à l'étranger les images télévisées et les commentaires sonores sur ces courses.

4 La demande susmentionnée de Ladbroke au DSV s'est heurtée, en octobre 1989, au refus du DSV, au motif que le contrat qui liait ce dernier au PMI lui interdisait de retransmettre les images télévisées et les commentaires sonores des courses françaises à plus de 100 agences de paris en Allemagne et en Autriche, sauf renégociation de ce contrat. En outre, le DSV a fait valoir que ce contrat ne l'autorisait qu'à servir les agences de paris hippiques fonctionnant déjà à la date de la conclusion du contrat et non les agences de paris créées après cette date, comme c'était le cas des agences de paris Ladbroke.

5 C'est dans ces circonstances que, le 24 novembre 1989, Ladbroke a introduit une plainte devant la Commission, dirigée contre le PMU, le PMI et le DSV, pour infraction aux articles 85 et 86 du traité CEE. Cette plainte a été complétée, d'une part, par une lettre de Ladbroke, en date du 31 juillet 1990, insistant sur la violation alléguée de l'article 86 du traité et, d'autre part, par une demande de mesures conservatoires, introduite le 23 août 1990.

6 Dans sa plainte, Ladbroke a exposé que le marché des paris sur les courses hippiques en Allemagne, qui réalise un chiffre d'affaires d'environ 150 millions de DM, est tributaire de deux facteurs : en premier lieu, l'importance des courses françaises pour les parieurs allemands (36 millions de DM de paris engagés en Allemagne sur les courses françaises), par rapport aux courses hippiques organisées dans d'autres pays ; en second lieu, la vive concurrence des agences de paris sur le marché auxiliaire de la retransmission vidéographique et sonore des images télévisées de courses hippiques, afin de pouvoir en retransmettre les images et les commentaires sonores à leur clientèle.

7 Il en résulterait que le refus du DSV de lui fournir les images et les commentaires des courses françaises, vu l'absence, en Allemagne, de possibilité de substitution pour ce produit, aurait placé Ladbroke dans une position désavantageuse, en termes de concurrence, par rapport aux autres agences de paris disposant des images télévisées et des commentaire sonores sur les courses hippiques françaises.

8 S'agissant de l'infraction alléguée à l'article 85 du traité, Ladbroke a fait valoir que ces restrictions quantitatives et qualitatives, imposées sans raison objective, constituent une distorsion et une restriction de concurrence et empêchent l'accord conclu entre le PMI et le DSV de bénéficier d'une exemption sur le fondement de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

9 Quant à l'infraction alléguée à l'article 86 du traité, Ladbroke a soutenu, en substance, que le refus de fournir ses agences en images et en commentaires des courses françaises doit être examiné au regard de quatre éléments : en premier lieu, la position dominante du PMU/PMI sur le marché de la retransmission du son et des images sur les courses hippiques françaises et la position dominante conjointe du PMI et du DSV sur le marché de ces images en Allemagne ; en deuxième lieu, l'importance de la demande du produit concerné en Allemagne et l'état de dépendance des agences allemandes de paris désireuses de fournir ce produit, en l'absence d'un produit de substitution ; en troisième lieu, l'absence de justification objective du refus de fournir ses agences, qui aurait eu comme but unique de restreindre la concurrence ; en quatrième lieu, enfin, l'affectation sensible du commerce entre Etats membres en raison de l'importance économique du PMU/PMI et du DSV sur leurs territoires respectifs.

10 Ladbroke demandait ainsi à la Commission d'ordonner au PMI directement ou, par son intermédiaire, au DSV de lui fournir les images et les commentaires télévisés des courses hippiques françaises et d'enquêter, conformément aux articles 11 et 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), afin d'établir une restriction éventuelle de la concurrence et de s'assurer que les droits de propriété intellectuelle sur les courses hippiques françaises étaient exploités sur une base non discriminatoire.

Le traitement de la plainte sur la base de l'article 85 du traité

11 La Commission a décidé, le 20 décembre 1990, d'engager la procédure d'instruction de la plainte, en ce qu'elle concernait la violation alléguée de l'article 85 du traité, et a adressé, le 21 décembre 1990, au PMU et au PMI et, le 18 janvier 1991, au DSV, une communication des griefs, aux termes de laquelle elle estimait que l'accord conclu entre eux relevait du champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, sans pouvoir bénéficier d'une déclaration individuelle d'inapplicabilité de ces dispositions, au titre du paragraphe 3 du même article (ci-après "exemption"), dès lors que cet accord ne lui avait pas été notifié, conformément à l'article 4 du règlement n° 17.

12 Le PMU et le PMI ont répondu à cette communication des griefs le 15 février 1991, et le DSV le 27 mars 1991. Le 17 avril 1991 a eu lieu une audition devant la Commission.

13 Le 15 février 1991, le PMI et le DSV ont également notifié à la Commission un nouveau contrat, conclu entre eux le 4 décembre 1990, avec effet au 1er juillet 1990, afin de pouvoir bénéficier d'une décision de la Commission constatant qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure (ci-après "attestation négative") ou d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

14 A la suite de cette notification, la Commission, le 22 janvier 1992, a adressé au PMU, au PMI, ainsi qu'au DSV une nouvelle communication des griefs, au motif que certaines clauses du nouveau contrat conclu par le PMI et le DSV étaient incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure, d'une part, où les cocontractants du DSV en Allemagne, auxquels ce dernier rétrocéderait le droit de retransmission des images télévisées et des commentaires sonores des courses hippiques françaises, seraient choisis en application de critères imprécis, relatifs à leur moralité, et où, d'autre part, une triple obligation leur serait faite de reconnaître les droits de propriété intellectuelle des sociétés de courses françaises et du PMI dans tous les pays et pas seulement en Allemagne, de fournir certains renseignements de nature confidentielle et de garantir le respect des contrats par la société-mère et le groupe auquel ils appartenaient.

15 A la suite de cette nouvelle communication des griefs le PMI et le DSV ont procédé à la suppression ou à la modification des clauses de leurs contrats incriminées par la Commission. Celle-ci, dans une communication adoptée sur le fondement de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, publiée le 24 septembre 1992 (JO C 246 p. 3), s'est déclarée disposée à adopter une position favorable à l'égard de l'accord notifié et a invité les tiers intéressés à présenter leurs observations.

16 Par lettre du 22 octobre 1992, Ladbroke a présenté ses observations à la Commission. Dans ces observations, Ladbroke marque son désaccord avec la position favorable que la Commission se propose d'adopter à l'égard du nouveau contrat conclu entre le PMU-PMI et le DSV, en soutenant que ce contrat ne comporte aucun élément justifiant une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Selon Ladbroke, cette exemption ne pourrait être accordée sans que la Commission vérifie auparavant si les parties à l'accord avaient un comportement contraire aux dispositions de l'article 86 du traité.

Le traitement de la plainte sur la base de l'article 86 du traité

17 S'agissant de la partie de sa plainte fondée sur l'article 86 du traité, Ladbroke a, après l'introduction de celle-ci, invité la Commission, par lettres des 31 juillet 1990, 23 août 1990, 5 décembre 1990, 4 février 1991, 25 septembre 1991 et 6 mars 1992, à prendre position à l'égard de l'application de cette disposition à son cas concret. A la suite de la lettre, précitée, de Ladbroke, du 5 décembre 1990, les services de la Commission, ainsi qu'il ressort de la lettre, également précitée, de Ladbroke du 25 septembre 1991, lui ont fait savoir oralement que, bien qu'il n'avait pas été décidé de rejeter la partie de sa plainte fondée sur l'article 86, ces services ne voyaient cependant pas l'utilité d'agir sur la base de cette disposition du traité, dès lors qu'une solution au problème de concurrence faisant l'objet de sa plainte, dans le cadre des dispositions de l'article 85 du traité, serait parfaitement efficace. Par lettre du 4 février 1992, à laquelle elle s'est référée également dans une lettre ultérieure en date du 5 juin 1992, Ladbroke a demandé formellement à la Commission de lui faire savoir, par une communication adoptée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"), et dans un délai de deux mois, les raisons de son abstention d'agir, ainsi qu'elle l'avait invitée à le faire, sur la base de l'article 86 du traité.

18 Enfin, à la suite d'une autre lettre de Ladbroke, en date du 27 mai 1992 ainsi que de la lettre, précitée, du 5 juin 1992, invitant la Commission, d'une part, à prendre position sur la plainte à l'égard de l'article 86 et, d'autre part, à appliquer aussi bien l'article 86 que l'article 85 du traité, au refus persistant du DSV de servir l'agence de paris Ladbroke sur le territoire de l'ancienne zone de Berlin-Est, la Commission a adressé à Ladbroke une lettre, en date du 19 juin 1992, exprimant des doutes sur la possibilité d'incriminer, que ce soit sur la base de l'article 85 ou sur celle de l'article 86 du traité, le refus de fournir son agence de paris opérant sur le territoire de l'ancienne zone de Berlin-Est, dès lors que ce territoire n'était pas couvert par le contrat conclu entre le PMI et le DSV, ainsi que l'aurait, du reste, constaté un jugement rendu le même jour par le Landgericht de Berlin.

19 Le 26 juin 1992, Ladbroke a adressé à la Commission une mise en demeure, au sens de l'article 175 du traité CEE, l'invitant à définir sa position sur sa plainte du 24 novembre 1989 et sur la demande formulée dans sa lettre précitée, du 4 février 1992, soit par une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, soit par une décision susceptible de recours, conformément à l'article 173 du traité CEE. Cette mise en demeure est restée sans réponse.

Procédure

20 C'est dans ces circonstances que, le 22 septembre 1992, Ladbroke a introduit le présent recours.

21 Par mémoire déposé le 21 octobre 1992, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité, au titre de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure.

22 Le 12 janvier 1993, la requérante a déposé ses observations sur l'exception d'irrecevabilité et, par lettre du même jour, elle a demandé au Tribunal, en cas de jonction de l'exception d'irrecevabilité au fond, de considérer la procédure écrite comme clôturée, au motif que la partie défenderesse aurait déjà présenté sa défense au fond dans son mémoire soulevant l'exception d'irrecevabilité. Par mémoire du 27 janvier 1993, la Commission s'est opposée à cette demande.

23 Par ordonnance du 13 mai 1993, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé de joindre l'exception d'irrecevabilité au fond.

24 Le 15 février 1993, le DSV a demandé à être admis à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse. Par ordonnance du 13 mai 1993, le Tribunal (deuxième chambre) a admis le DSV à intervenir au litige. Ce dernier a déposé son mémoire en intervention le 29 juillet 1993.

25 Par lettre du 6 septembre 1993, Ladbroke a renoncé à déposer un mémoire en réplique, de telle sorte que la Commission n'a pas déposé, de son côté, de mémoire en duplique.

26 Invitées, par lettre du Tribunal du 9 décembre 1993, à présenter leurs observations sur le mémoire en intervention du DSV, les parties ont fait savoir qu'elles n'avaient pas d'observations à présenter.

27 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans mesures d'instruction préalables. Toutefois, il a invité les parties à répondre à certaines questions écrites, auxquelles il a été répondu dans les délais impartis.

28 A l'audience publique du 9 juin 1994, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal.

Conclusions des parties

29 La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer que, en s'abstenant de prendre position dans les deux mois après la mise en demeure contenue dans sa lettre du 26 juin 1992, en ce qui concerne :

i) sa plainte, d'une façon générale, et

ii) sa demande adressée dans une lettre du 4 février 1992, visant à obtenir une communication de la Commission, au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63,

la Commission a commis une violation de l'article 175 du traité ;

- en outre ou à titre subsidiaire, annuler la décision implicite de la Commission rejetant sa plainte ;

- enjoindre à la Commission de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'ordonnance du Tribunal dans le délai d'un mois à dater de cette ordonnance ;

- condamner la Commission aux dépens et, en particulier, si la Commission prend des mesures rendant la présente requête sans objet aux yeux du Tribunal, ordonner que les dépens soient payés à titre d'indemnité.

30 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter la requête comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme sans objet à compter de la date de publication de la communication au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, ou, à titre encore plus subsidiaire, comme dénuée de fondement ;

- condamner la requérante aux dépens de l'instance.

31 La partie intervenante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens, y compris les dépens de la partie intervenante.

Sur les conclusions du recours au titre de l'article 175 du traité

32 Le Tribunal estime que, compte tenu des moyens et arguments des parties et du traitement réservé par la Commission à la plainte de la requérante, il convient tout d'abord d'examiner le recours en tant qu'il concerne l'omission d'agir de la Commission alléguée par la requérante, d'une part, au titre de l'article 85 du traité et, d'autre part, au titre de l'article 86 du traité.

Sur les conclusions concernant l'abstention d'agir de la Commission au titre de l'article 85 du traité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

33 La Commission soutient que ces conclusions sont irrecevables du fait que, par sa communication publiée le 24 septembre 1992, au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, elle a pris position sur le problème de concurrence soulevé dans la plainte, ainsi que sur la lettre, en date du 4 février 1992, par laquelle la requérante l'a invitée à lui adresser une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, de la même façon qu'elle aurait pu le faire par une lettre au titre de cette dernière disposition (arrêts de la Cour du 18 octobre 1979, Gema/Commission, 125-78, Rec. p. 3173 ; arrêts du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64-89, Rec. p. II-367, ci-après "Automec I", et du 18 septembre 1992, Asia Motor France e.a./Commission, T-28-90, Rec. p. II-2285 ; ordonnance du Tribunal du 13 mars 1993, Ladbroke/Commission, T-86-92, non publiée au Recueil). En outre, cette prise de position serait intervenue dans un délai de deux mois à partir de la mise en demeure du 26 juin 1992, étant donné que la décision même de procéder à la publication de cette communication aurait été prise le 18 août 1992. Enfin, selon la Commission, les conclusions auraient, en tout état de cause, perdu leur objet à la date de la publication de la communication au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, soit le 24 septembre 1992.

34 Quant au fond, la Commission soutient que le fait d'avoir engagé la procédure d'instruction de la plainte et, en particulier, d'avoir adressé deux communications des griefs au PMU-PMI et au DSV, ainsi que d'avoir publié une communication, au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, démontre qu'elle n'a pas violé les dispositions de l'article 175, premier alinéa, du traité, lues en combinaison avec celles de l'article 6 du règlement n° 99-63. Elle estime, en effet, qu'elle n'est tenue d'agir sur la base de cette dernière disposition que dans le seul cas où elle a l'intention de rejeter une plainte présentée en application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, et non pas lorsque, comme en l'espèce, elle décide de donner suite à une plainte en engageant une procédure, au sens de l'article 9, paragraphe 3, de ce règlement, afin de résoudre le problème de concurrence soulevé par le plaignant.

35 La requérante soutient, quant à la recevabilité des conclusions sous examen, que la communication au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, ne constitue pas une prise de position et que de toute façon elle ne lui a pas été notifiée dans le délai de deux mois suivant la mise en demeure, mais publiée, le 24 septembre 1992, après l'introduction du recours.

36 Quant au fond, la requérante invoque son droit, en sa qualité de plaignant, d'exiger que la Commission prenne position sur sa plainte et, si nécessaire, qu'elle adopte une décision susceptible de recours (arrêt de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26-76, Rec. p. 1875, 1902 ; conclusions de l'avocat général M. Mancini sous l'arrêt de la Cour du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142-84 et 156-84, Rec. p. 4487, 4545, 4551 et 4552 ; conclusions de M. le juge Edward faisant fonction d'avocat général sous les arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24-90, Rec. p. II-2223, II-2226, ci-après "Automec II" et Asia Motor France e.a./Commission, précité, point 19). Elle soutient que la Commission a ainsi violé le traité en méconnaissant l'obligation, résultant pour elle de l'article 6 du règlement n° 99-63, de lui adresser, en sa qualité de plaignant, au sens de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, un acte, autre qu'une recommandation ou un avis, dans lequel seraient indiqués les motifs de son refus de faire droit à sa plainte et de lui fixer un délai pour présenter ses observations.

37 La partie intervenante soutient que les conclusions sous examen sont irrecevables parce que la communication publiée au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 constitue une prise de position de la Commission au sens de l'article 175, deuxième alinéa, du traité et que, ayant été adoptée le 18 août 1992, elle est intervenue dans les deux mois suivant la mise en demeure du 26 juin 1992.

38 La partie intervenante ne présente pas d'observations quant au fond.

Appréciation du Tribunal

39 Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que le recours en carence ouvert par l'article 175 du traité est subordonné à l'existence d'une obligation d'agir pesant sur l'institution concernée, de telle façon que l'abstention alléguée soit contraire au traité.

40 A cet égard, il convient de constater qu'en matière de concurrence, lorsque la Commission est saisie d'une plainte au titre de l'article 3 du règlement n° 17, pour violation des dispositions des articles 85 ou 86 du traité, elle est tenue, en application des dispositions des règlements n° 17 et n° 99-63, d'examiner attentivement les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par le plaignant, afin de décider si elle doit engager la procédure en constatation d'infraction, ou si elle doit rejeter la plainte ou, enfin, procéder au classement de celle-ci (voir arrêt Automec I, précité).

41 Le Tribunal constate, en premier lieu, qu'il n'est pas contesté qu'à la suite de la plainte de Ladbroke du 24 novembre 1989, introduite au titre de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17, la Commission a décidé, le 20 décembre 1990, d'engager une procédure, au sens de l'article 9, paragraphe 3, de ce règlement, et qu'elle a adressé, par lettre du 21 décembre 1990, une communication des griefs au PMU/PMI ainsi que, par lettre du 18 janvier 1991, au DSV, au motif que l'accord initialement conclu le 25 août 1989, entre le PMI et le DSV, concédant à ce dernier le droit de retransmission des images télévisées et des commentaires sonores sur les courses hippiques françaises sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne dans les frontières antérieures à la réunification, y compris l'ancienne zone de Berlin-Ouest, ainsi que sur le territoire de l'Autriche, contenait des clauses contraires aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

42 Le Tribunal relève, en deuxième lieu, que, durant la procédure en constatation d'infraction ainsi ouverte par la Commission, et lorsqu'ils ont présenté, les 15 février et 27 mars 1991, respectivement, leurs réponses à la communication des griefs du 21 décembre 1990, le PMI et le DSV ont également notifié, à la Commission, le 15 février 1991, un nouveau contrat conclu entre eux le 4 décembre 1990, avec effet au 1er juillet 1990, faisant suite au contrat initial du 25 août 1989 ayant pris fin le 30 juin 1990, dans le but d'obtenir de la Commission soit une attestation négative soit une exemption, au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Il est constant que, suite à cette notification, la Commission a adressé au PMI et au DSV, le 22 janvier 1992, une nouvelle communication des griefs, aux motifs que le nouveau contrat ainsi notifié contenait des clauses contraires aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, et que les conditions de l'application des dispositions de l'article 85, paragraphe 3, n'étaient pas remplies.

43 Le Tribunal relève, en troisième lieu, qu'il n'est pas contesté que, suite à cette seconde communication des griefs du 22 janvier 1992, les parties à l'accord ont procédé à des modifications de ses clauses, afin de les rendre conformes aux dispositions de l'article 85 du traité, en tenant compte de la communication des griefs précitée, ce qui, selon la Commission, justifiait de sa part l'adoption d'une attitude favorable à l'égard de l'accord, ainsi qu'il ressort de la communication publiée le 24 septembre 1992, au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17.

44 Il en résulte que, lorsque la requérante a adressé, le 26 juin 1992, à la Commission une mise en demeure, au sens de l'article 175 du traité, l'invitant à prendre position sur sa plainte, la Commission avait déjà entamé et poursuivait la procédure d'instruction de l'infraction à l'article 85 du traitéet que, compte tenu de l'état d'instruction de l'affaire à cette date, elle n'était raisonnablement pas en mesure d'envoyer à la requérante une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, alors surtout qu'elle n'avait pas l'intention de rejeter sa plainte. A plus forte raison, la Commission n'était-elle pas en mesure de prendre position sur la plainte au moyen d'une décision rejetant définitivement celle-ci, dès lors qu'entre la date de la seconde communication des griefs, soit le 22 janvier 1992, et la date de la mise en demeure, soit le 26 juin 1992, il ne s'était écoulé qu'environ cinq mois, ce qui, en l'espèce, ne constituait pas un délai suffisant pour permettre d'activer l'instruction de la plainte et pour autoriser la Commission, au vu de ses résultats, à prendre position sur la plainte de la requérante par un acte de nature à mettre fin à la carence alléguée.

45 Par conséquent, s'agissant de la prétendue infraction à l'article 85 du traité, la Commission ne pouvait pas, à la date du 26 juin 1992, être regardée comme s'étant abstenue d'agir, au sens de l'article 175 du traité. Par suite, la requérante n'était pas fondée à lui adresser, à cette date, une mise en demeure l'invitant à prendre position sur sa plainte et, par la suite, à introduire, le 22 septembre 1992, le présent recours, à l'issue du délai de deux mois prévu par l'article 175 du traité.

46 Il en résulte que, pour autant qu'il vise à faire constater une abstention de la Commission de prendre position sur la plainte de la requérante, dans la mesure où elle est fondée sur l'article 85 du traité, le recours doit être, en tout état de cause, rejeté comme non fondé, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur sa recevabilité. Toutefois, cette appréciation ne préjuge pas l'appréciation du Tribunal quant à la recevabilité de l'action en carence concernant l'omission d'agir de la Commission au titre de l'article 86 du traité, telle qu'alléguée par la requérante.

Sur les conclusions concernant l'abstention d'agir de la Commission au titre de l'article 86 du traité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

47 La requérante soutient que la communication publiée par la Commission le 24 septembre 1992, au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, n'a, en rien, concerné sa plainte pour autant que celle-ci était fondée sur l'article 86 du traité, ainsi qu'il ressort, d'une part, de l'absence de toute référence faite dans cette communication à cette disposition du traité et, d'autre part, de l'annonce de l'intention de la Commission d'accorder une exemption au contrat conclu entre le PMI et le DSV, sans avoir examiné sa plainte au titre de l'article 86 du traité. A cet égard, la requérante souligne que, dans la mesure où l'accord entre le PMI et le DSV devait être regardé comme ne couvrant pas le territoire de l'ancienne République démocratique allemande, l'article 85 ne pouvait pas constituer une base juridique suffisante pour remédier au refus du DSV de fournir en images et en commentaires sur les courses françaises son agence de paris située sur le territoire de l'ancienne zone de Berlin-Est.

48 La requérante considère, par ailleurs, que l'on ne saurait la regarder comme ayant admis que la procédure administrative de l'examen de sa plainte pouvait être limitée à la seule violation de l'article 85, au motif qu'elle a participé à cette procédure, étant donné que sa plainte était fondée aussi bien sur une violation de l'article 85 que de l'article 86 du traité. Elle rappelle qu'elle n'a jamais cessé d'invoquer cette dernière disposition du traité, ainsi qu'il ressort d'une série de lettres qu'elle a adressées à la Commission, après le dépôt de la plainte, en dates des 5 décembre 1990, 25 septembre 1991, 4 février 1992, 6 mars 1992 et 5 juin 1992.

49 Enfin, la requérante souligne que la Commission n'est pas fondée à soutenir qu'elle a pris position sur sa plainte, au titre de l'article 86 du traité, au moyen de la communication de l'article 19, paragraphe 3, en assimilant cette communication à une lettre, au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, sauf à admettre, contrairement à ce qu'elle soutient, qu'elle a ainsi rejeté sa plainte ou qu'elle a suffisamment manifesté son intention de rejeter celle-ci pour autant qu'elle était basée sur l'article 86 du traité. Selon Ladbroke, l'absence de précision quant à la portée de la position prétendument adoptée par la Commission, dans le cadre de sa communication au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, pourrait conduire à une absence de contrôle juridictionnel, dès lors que, même si cette communication peut valoir prise de position au sens de l'article 175 du traité, elle n'est pas susceptible d'un recours au titre de l'article 173 du traité et peut, éventuellement, conduire à l'envoi d'une simple "lettre administrative de classement", qui n'est pas, non plus, susceptible de recours.

50 La Commission considère que sa prise de position sur la plainte de Ladbroke, au moyen de la communication publiée le 24 septembre 1992, au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, vaut aussi bien pour la partie de la plainte fondée sur une violation de l'article 85 du traité que pour celle fondée sur une violation de l'article 86 du traité. A l'appui de cet argument, la Commission invoque la faculté dont elle dispose pour déterminer l'ordre de priorité du traitement des plaintes dont elle est saisie, en tenant compte de l'intérêt communautaire qui s'y attache (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec II, précité, et du 18 novembre 1992, Rendo e.a./Commission, T-16-91, Rec. p. II-2417). L'institution défenderesse soutient qu'elle doit disposer de la même faculté pour déterminer la base juridique la mieux adaptée pour résoudre un problème de concurrence, dans le cas où une plainte est fondée sur la méconnaissance alléguée de plusieurs dispositions du traité. Elle considère, ainsi, que, lorsqu'un plaignant se fonde à la fois sur l'article 85 et sur l'article 86 du traité, elle doit être regardée comme lui ayant donné satisfaction lorsqu'elle agit sur la base de l'une de ces deux dispositions seulement.

51 La Commission explique que le choix de traiter la plainte de la requérante sur la base du seul article 85 du traité était, en l'espèce, justifié par la considération que le refus opposé à celle-ci par le DSV était motivé par le fait que ses engagements contractuels à l'égard du PMI-PMU ne lui permettaient pas de fournir à la plaignante des images et des commentaires sur les courses hippiques françaises. Par conséquent, selon la Commission, ce n'est que si ce problème de concurrence, examiné d'abord sur la base de l'article 85, perdurait, en raison d'un refus persistant du DSV de satisfaire la demande de Ladbroke, qu'une application de l'article 86 serait à envisager. A cet égard, la Commission précise d'ailleurs qu'elle n'a jamais rejeté la plainte au regard de cette dernière disposition du traité. Elle souligne que les faits de la présente affaire confirment le bien-fondé d'une telle position, dès lors que, à la suite de l'ouverture de la procédure en constatation d'infraction au titre de l'article 85 du traité et de l'envoi de la communication des griefs du 22 janvier 1992, qui ont conduit à la modification de l'accord notifié du 4 décembre 1990, le comportement anticoncurrentiel visé par la plainte de la requérante aurait cessé, ainsi qu'il résulterait, en outre, d'une lettre, en date du 27 mai 1993, par laquelle le DSV a proposé à la requérante de lui fournir les images et commentaires sur les courses hippiques françaises qu'elle demandait. La Commission ajoute que, après avoir été informée par ses services de cette façon de traiter sa plainte et ainsi qu'il ressortirait de la lettre que Ladbroke lui a adressée le 25 septembre 1991, cette dernière en a admis le bien-fondé et a participé activement à la procédure administrative de l'examen de sa plainte sur la base de l'article 85 du traité.

52 La partie intervenante considère que la prise de position de la Commission, au moyen de la communication publiée au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, vaut autant à l'égard de l'article 85 qu'à celui de l'article 86 du traité. Elle souligne que la décision de la Commission de ne pas appliquer l'article 86 et de résoudre le problème de concurrence allégué sur la seule base de l'article 85 du traité était justifiée, ainsi qu'il ressort du fait que, à la suite des modifications du contrat qui la liait au PMU-PMI, elle n'a plus refusé de fournir, dans les limites territoriales de la validité de ce contrat, en images et en commentaires sur les courses hippiques françaises, toutes les agences de paris, telle l'agence de paris de la requérante située sur le territoire du Land de Rhénanie-Palatinat.

53 A cet égard, la partie intervenante invoque une correspondance échangée avec la requérante, entre le 30 juin 1992 et le 23 juin 1993, dont la lettre précitée du 27 mai 1993, de laquelle il ressortirait qu'elle a effectivement offert de lui accorder une sous-licence sur les images et commentaires sur les courses françaises, à partir du 1er septembre 1993, date à laquelle, selon une lettre de Ladbroke en date du 25 mai 1993, l'agence de paris en Rhénanie-Palatinat devait commencer ses activités. La partie intervenante fait, toutefois, observer que la requérante, qui détenait une autorisation pour cette agence depuis le 26 octobre 1989, n'a pas ouvert celle-ci pendant une période de près de quatre ans, parce que son activité n'aurait pas été économiquement rentable. Elle ajoute que, si la requérante conserve cette autorisation, c'est pour pouvoir continuer les procédures intentées contre elle et contre d'autres parties, y compris la présente procédure, en abusant des instruments juridiques communautaires.

Appréciation du Tribunal

- Sur la recevabilité du recours

54 Le Tribunal relève que, dans sa plainte déposée le 24 novembre 1989, la requérante a mis en cause le comportement du PMU/PMI et du DSV, tant au regard des dispositions de l'article 85 du traité que de son article 86. Cette plainte était donc fondée, également, sur l'article 86 du traité, ainsi qu'il ressort, en outre, clairement des lettres précitées, adressées par la requérante à la Commission après le dépôt de sa plainte et, notamment, de la lettre en date du 4 février 1991, par laquelle elle a demandé formellement que la Commission définisse sa position sur sa plainte au regard de l'article 86 du traité.

55 Le Tribunal relève, en outre, que la procédure d'instruction de la plainte, engagée par la première comme par la seconde communication des griefs, ne l'a été que sur la seule base de l'article 85 du traité et non pas sur celle de l'article 86, ainsi que le demandait la requérante.

56 Il en résulte que le 26 juin 1992, date à laquelle la requérante a mis la Commission en demeure de prendre position sur sa plainte dans un délai de deux mois, conformément à l'article 175 du traité, ainsi qu'à la date de l'introduction du présent recours, le 22 septembre 1992, la Commission ne pouvait pas, à première vue, être regardée comme ayant pris position sur cette plainte, pour autant que celle-ci était fondée sur l'article 86 du traité, de sorte que le recours devrait en principe être déclaré recevable, pour autant que la requérante invoque une omission de la Commission d'agir au regard de cette disposition.

57 A cet égard, il convient cependant d'examiner l'argument de la Commission, selon lequel, disposant de la faculté de déterminer l'ordre de priorité de l'examen des plaintes, elle dispose, également, de la faculté de choisir la base juridique la plus appropriée à résoudre un problème de concurrence soulevé par un plaignant, de sorte que, ayant agi sur la base de l'article 85 du traité et obtenu, après deux communications successives des griefs, dont la seconde en date du 22 janvier 1992, la modification de l'accord conclu par le PMI et le DSV et sa conformité aux dispositions de l'article 85 du traité, et ayant ainsi fait disparaître les causes du comportement anticoncurrentiel visé par la plainte, la Commission devrait être, également, regardée comme ayant pris, implicitement, position sur la plainte de la requérante au regard de l'article 86 du traité.

58 S'agissant de l'argument ainsi soulevé par la Commission, le Tribunal rappelle, en premier lieu, d'une part, que, lorsque la Commission est saisie d'une plainte au titre de l'article 3 du règlement n° 17, elle n'est tenue ni de se prononcer par voie de décision constatant l'infraction alléguée, ni de mener, dans tous les cas, une instruction à cette fin et, d'autre part, qu'elle a la possibilité de déterminer le degré de priorité à accorder à une plainte dont elle est saisie en tenant compte de l'intérêt communautaire (arrêt Automec II, précité).

59 Le Tribunal rappelle, en second lieu, que, au titre des obligations qui lui incombent dans le cadre de l'examen d'une plainte, la Commission doit, cependant, compte tenu des garanties procédurales prévues aux articles 3 du règlement n° 17 et 6 du règlement n° 99-63, d'une part, examiner, auparavant, attentivement les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par le plaignant, en vue d'apprécier si ces éléments font apparaître un comportement contraire aux règles de la concurrence et, d'autre part, motiver toute décision qu'elle adopte à cet égard, de manière à permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle de la légalité de la décision.

60 Il en résulte que, si la Commission disposait, en l'espèce, de la faculté de décider d'ouvrir et de poursuivre l'instruction de l'affaire sur la seule base de l'article 85 du traité, et non pas au titre de l'article 86 du traité, dès lors que l'intérêt communautaire paraissait lui dicter un tel traitement de la plainte, elle devait, cependant, d'une part, examiner auparavant, dans le cadre de la première phase consécutive au dépôt de la plainte (voir arrêt Automec I, précité), les éléments de fait et de droit concernant l'application éventuelle de l'article 86 du traité, ainsi que le lui demandait la requérante, et, d'autre part, après avoir éventuellement conclu au caractère injustifié ou superflu d'une instruction de la plainte sur cette base, informer la requérante de sa décision, en exposant ses motifs, de façon à permettre le contrôle de la légalité de celle-ci.

61 Le Tribunal constate que, en l'espèce, la Commission n'a adressé à la requérante, à aucun moment, ni une décision motivée en ce sens, ni une communication provisoire au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63. Or, compte tenu du délai qui s'est écoulé entre le moment du dépôt de la plainte et celui de la date de réception de la lettre de mise en demeure adressée à la Commission, l'invitant à prendre position sur la plainte, la requérante était en droit d'obtenir de la part de la Commission, à tout le moins, une communication provisoire au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 (arrêt Asia Motor France e.a./Commission, précité) ou une telle décision.

62 Il en résulte que, en admettant même que la Commission a entamé et conclu l'examen de la plainte au titre de l'article 86 du traité, afin de décider, au vu des éléments de fait et de droit que la requérante lui avait soumis, si l'intérêt communautaire justifiait ou non une instruction de la plainte sur cette base, hypothèse qui, en tout état de cause, est contredite par l'affirmation de la Commission, selon laquelle elle poursuivait l'examen de la plainte au titre de l'article 86 et qu'elle avait l'intention d'intervenir à ce titre si le problème de concurrence dont elle était saisie n'était pas résolu sur la base de l'article 85 du traité, à la date à laquelle la requérante a mis la Commission en demeure d'agir au titre de l'article 86 du traité, la défenderesse ne pouvait être regardée comme ayant pris position sur la plainte de la requérante, pour autant que celle-ci était fondée sur l'article 86 du traité.

63 La Commission, s'étant abstenue de répondre à la mise en demeure dont elle a, ainsi, été régulièrement saisie par la requérante, il en résulte qu'à la date de son introduction, le 22 septembre 1992, le présent recours, visant à faire constater l'omission de la Commission de prendre position sur la plainte de la requérante, pour autant que celle-ci était fondée sur l'article 86, remplissait les conditions de recevabilité prévues à l'article 175 du traité et, par voie de conséquence, doit être déclaré recevable.

64 Il convient, cependant, d'examiner, en outre, si, ainsi que le soutient la Commission, le recours n'a pas perdu son objet, soit à la suite de la publication, le 24 septembre 1992, de la communication au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, soit en raison de la cessation effective du comportement anticoncurrentiel dénoncé par la requérante dans sa plainte.

65 S'agissant, en premier lieu, de la communication publiée le 24 septembre 1992, le Tribunal relève, d'une part, que la Commission se limite, dans celle-ci, à constater la conformité, au regard des dispositions de l'article 85 du traité, du contrat du 4 décembre 1990 conclu entre le PMI et le DSV, à la suite des modifications apportées en vue de se conformer à la communication des griefs du 22 janvier 1992, et à déclarer qu'elle envisage d'adopter une position favorable à l'égard de cet accord et, d'autre part, que cette communication, bien que portée à la connaissance de la requérante, a été publiée, conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, à l'adresse des tiers intéressés, afin que ces derniers présentent leurs observations éventuelles à la Commission. Par conséquent, cette communication ne peut être considérée, ni en la forme, ni quant au fond comme valant prise de position de la Commission à l'égard de la requérante sur la plainte de celle-ci, du 24 novembre 1989, pour autant que la base légale de cette plainte était l'article 86 du traité.

66 S'agissant, en second lieu, de la question de savoir si le recours n'a pas perdu son objet, en raison du fait que le comportement anticoncurrentiel visé par la plainte de la requérante aurait effectivement cessé, ainsi qu'il résulterait de la lettre que lui a adressée le DSV, le 27 mai 1993, lui faisant savoir qu'il offrait de lui fournir des images et commentaires sur les courses hippiques françaises, le Tribunal estime que, en admettant même, contrairement à ce qui a été déjà constaté (voir supra, point 55), que l'intervention de la Commission au titre de l'article 85, par le moyen de la communication des griefs du 22 janvier 1992, pouvait comporter implicitement une prise de position au regard de l'article 86, et à supposer qu'à la date de cette communication des griefs, les effets escomptés de celle-ci, c'est-à-dire la cessation du comportement anticoncurrentiel incriminé, étaient acquis, le présent recours en carence ne peut être regardé comme ayant perdu son objet.

67 En effet, la disparition alléguée du comportement anticoncurrentiel, faisant l'objet de la plainte de la requérante, ne pouvait que constituer une modification de la situation de fait initialement portée, par le plaignant, à la connaissance de la Commission. Une telle modification pouvait, tout au plus, conduire celle-ci soit à adopter une décision de classement de la plainte, soit à décider un rejet de celle-ci, dans la mesure où elle était fondée sur une violation alléguée de l'article 86 du traité, sans pour autant dispenser la Commission d'une prise de position sur la plainte de la requérante, dans le respect des garanties procédurales prévues à l'article 3 du règlement n° 17 et à l'article 6 du règlement n° 99-63. S'étant ainsi abstenue d'agir à l'égard de la requérante, dans le respect de ces dispositions, la Commission ne peut pas être regardée comme ayant pris position sur la plainte, au titre de l'article 86 du traité, du seul fait que le comportement anticoncurrentiel dénoncé au titre de cette disposition aurait cessé à la suite de son intervention.

68 Il résulte de ce qui précède que le présent recours, pour autant qu'il concerne une abstention d'agir de la Commission au titre de l'article 86 du traité, ne peut pas être considéré comme ayant perdu son objet et qu'il convient de statuer au fond.

- Sur le fond

69 Le Tribunal constate que, saisie, le 24 novembre 1989, de la plainte de la requérante au titre de l'article 86 du traité, et mise en demeure, conformément à l'article 175 du traité, de prendre position sur cette plainte, la Commission a omis d'adresser à la requérante un acte autre qu'une recommandation ou un avis, dans la mesure où elle s'est abstenue soit d'engager la procédure en constatation d'infraction, pour violation de l'article 86 du traité, en vue de l'adoption d'une décision constatant une telle infraction, soit de rejeter la plainte, après avoir envoyé à la requérante une lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, soit encore de procéder au classement de cette plainte pour absence d'intérêt communautaire, par décision dûment motivée.

70 Il convient, par conséquent, de déclarer le recours fondé pour autant que l'omission alléguée de la Commission concerne l'article 86 du traité.

Sur les conclusions du recours au titre de l'article 173 du traité

71 Pour autant que le recours en annulation doit être considéré comme dirigé contre la décision implicite par laquelle la Commission aurait rejeté la plainte de la requérante, au titre de l'article 86 du traité, le Tribunal considère que, dès lors que, comme il vient d'être dit, le recours en carence est déclaré recevable et fondé, il n'y a plus lieu de statuer sur ces conclusions subsidiaires de la requérante, lesquelles ont perdu leur objet.

72 Pour autant que les conclusions subsidiaires en annulation doivent être considérées comme dirigées contre la prise de position de la Commission sur la plainte de la requérante, au titre de l'article 85 du traité, le Tribunal estime que, si la Commission ne peut être regardée comme étant restée inactive, au sens de l'article 175 du traité, en raison du fait qu'à la date de la mise en demeure, le 26 juin 1992, ainsi qu'à la date de l'introduction du recours, le 22 septembre 1992, elle avait engagé et poursuivait la procédure d'examen de la plainte, une telle prise de position, résultant de la communication des griefs du 22 janvier 1992, ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation (voir l'arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, Rec. p. 2639, point 21, et l'arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-10-92, T-11-92, T-12-92 et T-15-92, Rec. p. II-2667, point 34). Le Tribunal estime, enfin, qu'il en est de même, en tout état de cause, de la communication à laquelle la Commission a procédé au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, publiée, postérieurement à l'introduction du recours, le 24 septembre 1992.

73 Les conclusions subsidiaires en annulation doivent, dès lors, être, en tout état de cause, rejetées comme irrecevables, dans la mesure où elles concernent l'article 85 du traité.

Sur les conclusions tendant à ce que le Tribunal adresse une injonction à la Commission

74 La requérante conclut à ce que le Tribunal enjoigne à la Commission de prendre les mesures nécessaires pour se conformer, dans le délai d'un mois, à l'arrêt à intervenir, à l'issue de la présente procédure, sur le recours dont il est saisi.

75 A cet égard, le Tribunal rappelle qu'il ne lui appartient pas d'adresser des injonctions aux institutions ou de se substituer à ces dernières (voir l'arrêt du Tribunal du 11 juillet 1991, Von Hoessle/Cour des comptes, T-19-90, Rec. p. II-615, point 30). Il en est ainsi tout particulièrement, dans le cadre du contrôle de légalité, lequel implique qu'il incombe à l'administration concernée de prendre les mesures que comporte l'exécution d'un arrêt rendu, aussi bien dans le cadre d'un recours en annulation (voir arrêt de la Cour du 24 juin 1986, Akzo/Commission, 53-85, Rec. p. 1965, et l'arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43-92, non encore publié au Recueil, point 181) que dans le cadre d'un recours en carence (voir les ordonnances du Tribunal du 29 novembre 1993, Koelman/Commission, T-56-92, Rec. p. II-1267, et du 27 avril 1994, J/Commission, T-5-94, Rec. p. II-391).

76 Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requérante, sous examen, doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur les dépens

77 Selon l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens. Selon l'article 87, paragraphe 6, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens.

78 En application de ces dispositions combinées, dans les circonstances de l'espèce, les parties ayant succombé l'une et l'autre partiellement en leurs moyens, le Tribunal estime, d'une part, qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supportera ses propres dépens, ainsi que les trois quarts des dépens de la requérante et, d'autre part, qu'il y a lieu de décider que la partie intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

déclare et arrête :

1) La Commission s'est abstenue, en violation du traité CEE, de prendre position sur la plainte de la requérante (IV-33.375 - Ladbroke GmbH/PMU-PMI-DSV), dans la mesure où cette plainte était fondée sur l'article 86 du traité.

2) Le recours, pour autant qu'il est fondé sur l'article 175 du traité, est rejeté pour le surplus.

3) Il n'y a pas lieu de statuer sur le recours fondé sur l'article 173 du traité, pour autant qu'il concerne l'article 86 du traité.

4) Pour autant que le recours en annulation concerne l'article 85 du traité, il est rejeté comme irrecevable.

5) Les conclusions tendant à ce que le Tribunal adresse une injonction à la Commission sont rejetées comme irrecevables.

6) La Commission supportera ses propres dépens, ainsi que les trois quarts des dépens de la requérante.

7) La partie intervenante supportera ses propres dépens.