CJCE, 5e ch., 17 janvier 1995, n° C-360/92 P
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Publishers Association, Clé - The Irish Book Publishers Association, Booksellers Association of Great Britain and Ireland
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Pentos (plc), Pentos Retailing Group (Ltd)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Rodríguez Iglesias (rapporteur, faisant fonction de président de chambre)
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Moitinho de Almeida, Edward
Avocats :
Mes Lever, Pelling, Thompson, Griffith, Cooke, Heron, Quigley, Nathanson, Falkner.
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 septembre 1992, la Publishers Association (ci-après la "PA") a, en vertu de l'article 49 du statut CEE de la Cour de justice, formé pourvoi contre l'arrêt du 9 juillet 1992, Publishers Association/Commission (T-66-89, Rec. p. II-1995, ci-après l'"arrêt entrepris"), par lequel le Tribunal de première instance a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision 89-44-CEE de la Commission, du 12 décembre 1988, concernant une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/27.393 et IV/27.394, Publishers Association - Net Book Agreements - JO 1989, L. 22, p. 12, ci-après la "décision").
2. Les faits du litige sont décrits par l'arrêt entrepris dans les termes suivants:
"2. Les accords faisant l'objet de la décision attaquée sont au nombre de deux et ont été conclus dans le cadre de la Publishers Association ... qui représente la grande majorité (70 à 80 %) des éditeurs établis au Royaume- Uni. Les éditeurs parties au premier des deux accords sont les membres de la PA, tandis que ceux qui sont parties au deuxième accord ne sont pas membres de celle-ci. Selon la PA, ses membres ne sont pas tenus d'adhérer à l'accord.
3. L'accord conclu entre les membres de la PA et l'accord conclu entre non-membres contiennent, en substance, les mêmes dispositions. La seule différence qui existe entre eux concerne le mécanisme d'exécution prévu.
Le contenu des accords 'Net Book Agreements'
4. Les accords, conclus en 1957 sous le titre 'Net Book Agreements' ... prévoient des conditions types uniformes pour la vente des livres à prix imposé, dits 'net books'. Aux termes de ces conditions types de vente, il est, en principe, interdit de vendre, d'offrir à la vente ou de permettre qu'un livre à prix imposé soit vendu au public à un prix inférieur au prix net imposé par l'éditeur. Les exceptions à cette interdiction (livres en stock et de seconde main) sont expressément réglées par les conditions types de vente, qui permettent, en outre, de vendre un livre à prix imposé avec remise aux bibliothèques, aux dépositaires non professionnels (book agents) et aux gros acheteurs, lorsque ceux-ci bénéficient d'une autorisation accordée préalablement à cet effet par l'association. Le montant de la remise et les conditions de son octroi sont fixés par ladite autorisation.
5. Ces conditions sont applicables à toutes les ventes au public effectuées au Royaume-Uni ou en Irlande par un grossiste ou un détaillant, lorsque l'éditeur assurant la publication ou la distribution du livre en cause choisit de commercialiser celui-ci à un prix imposé de détail. Par contre, les conditions types de vente ne s'appliquent pas aux ventes directes d'un éditeur à un client non commerçant.
6. Par ailleurs, les accords prévoient un mécanisme d'exécution. Les entreprises concernées ont désigné le conseil de la PA en qualité d'agent pour recueillir les informations concernant les ruptures de contrats commises par les libraires et, de manière générale, toute violation des conditions de commercialisation auxquelles sont soumis les 'net books' ...
7. En application de la lettre iv) des accords, le conseil de l'association a établi une réglementation qui autorise, sous forme de formules types, les libraires à accorder des remises aux bibliothèques, aux dépositaires non professionnels (book agents) et aux gros acheteurs. L'autorisation est accordée spécifiquement à chaque bibliothèque, dépositaire non professionnel ou gros acheteur concerné.
...
12. Le 'Code of Allowances', publié par la PA sous forme de mémorandum, reflète la pratique commerciale générale suivie en matière de réductions accordées sur les livres à prix imposé. Les réductions, les nouvelles éditions, les éditions bon marché et les invendus font habituellement l'objet d'un communiqué préalable de l'éditeur dans la presse spécialisée. Des réductions ou d'autres avantages, en espèce ou en nature, sont fréquemment accordés en fonction du temps de stockage. Le code n'est appliqué que sur le marché intérieur.
13. Les éditions destinées aux clubs de livres font l'objet de règles spéciales (' Book Club Regulations'), qui s'appliquent aux opérations concernant les clubs de livres effectuées sur le territoire du Royaume-Uni. Selon celles-ci, les éditeurs ne peuvent octroyer de droits spéciaux qu'aux clubs de livres inscrits auprès de l'association, après signature et acceptation de la réglementation en cause. Cette dernière contient, notamment, des dispositions concernant l'appartenance aux clubs de livres, détermine les conditions que ces clubs doivent remplir pour proposer et vendre des livres et prévoit certaines restrictions de publicité. Le stock excédentaire d'une publication ne peut être soldé par un club de livres qu'avec l'accord de l'éditeur qui a octroyé la licence. Selon la PA, la réglementation concernant les clubs de livres s'applique exclusivement au Royaume-Uni.
14. Depuis 1955, la PA permet l'organisation d'une vente nationale annuelle de livres. Celle-ci donne l'occasion aux libraires et aux éditeurs, dans les limites et les conditions fixées par la PA, de vendre à un prix inférieur au prix imposé des livres difficiles à écouler et de financer ainsi le renouvellement de leur stock.
15. Enfin, l'association publie un annuaire des libraires (' Directory of Booksellers'), mis à jour tous les deux mois, dans lequel figurent les libraires qui remplissent certaines exigences et qui se sont engagés à respecter les conditions types de vente des livres à prix imposé.
...
Les données statistiques établies
17. D'après les éléments figurant dans la décision attaquée et qui ne sont pas contestés par la PA, l'industrie de l'édition britannique est l'une des principales du monde et de la Communauté. Les principales données chiffrées du marché s'établissent environ comme suit: le nombre des publications nouvelles s'élève à 40 000 par an, dont 80 % sont éditées par les membres de la PA; 65 % des livres publiés sont vendus sur le marché britannique, le restant étant exporté; 25 % des exportations sont destinées à d'autres États membres, 4,5 % allant en Irlande. En ce qui concerne les importations dans ce pays, il est à relever que 80 % proviennent du Royaume-Uni et que ces importations représentent plus de 50 % du total des ventes de livres.
18. Il n'est pas contesté, non plus, entre les parties qu'environ 75 % des livres vendus au Royaume-Uni ou exportés par les éditeurs britanniques en Irlande sont commercialisés comme livres à prix imposé.
L' appréciation de la juridiction nationale sur la validité du NBA
19. La Restrictive Practices Court (autorité compétente au Royaume-Uni en matière de concurrence) a procédé à plusieurs reprises à l'examen de la validité du NBA au regard de la législation britannique et s'est prononcée favorablement à son égard, pour la première fois en 1962. Ladite juridiction a en effet jugé, à propos de l'accord conclu entre les membres de la PA, que: i) la suppression du NBA priverait le public de bénéfices ou d'avantages particuliers, car elle entraînerait une hausse des prix, une réduction du nombre de librairies disposant de stocks et une diminution du nombre et de la variété des titres publiés; ii) le public ne subirait aucun préjudice sensible du fait du maintien du NBA par comparaison aux inconvénients qui résulteraient de sa suppression, et iii) en conséquence, le NBA ne serait pas contraire à l'intérêt public.
20. En 1964, la Restrictive Practices Court a estimé, dans le cadre d'une procédure simplifiée ('summary proceeding'), que l'accord conclu entre les 'non-membres' n'était pas contraire à l'intérêt public, et ce pour les mêmes raisons que celles indiquées dans sa décision de 1962.
21. En 1968, la validité du NBA a été de nouveau examinée par la Restrictive Practices Court, au regard des nouvelles dispositions du Resale Prices Act 1964. La Court, en suivant le même raisonnement que dans sa décision de 1962, a accordé une exemption de l'interdiction générale de fixation de prix édictée par le Resale Prices Act 1964."
3. A l'article 1er de la décision, la Commission a constaté que les deux accords, dénommés "Net Book Agreements" (ci-après les "NBA"), conclus dans le cadre de la PA, ainsi que des règles d'application et autres règles y relatives, constituaient une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE dans la mesure où ils s'appliquaient au commerce du livre entre États membres.
4. A l'article 2 de la même décision, la Commission a rejeté la demande d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE, introduite par la PA au motif que les restrictions imposées par les accords n'étaient pas indispensables pour atteindre les objectifs invoqués, à savoir éviter la réduction du nombre des libraires détenant des stocks, celle des ventes et des tirages et donc l'augmentation du prix des livres.
5. Elle a enfin enjoint à la PA, aux articles 3 et 4, de mettre fin à l'infraction et de lui soumettre, au préalable, pour approbation, un projet de communication à adresser aux éditeurs, aux libraires et aux clubs du livre pour les informer des conséquences de la décision pour le commerce du livre entre le Royaume-Uni et les autres États membres.
6. En 1989, la PA a formé un recours devant la Cour contre cette décision. Saisi d'une demande en référé, le président de la Cour a, par ordonnance du 13 juin 1989, sursis à l'exécution des articles 2 à 4 de la décision. Le Tribunal, auquel l'affaire a été renvoyée en novembre 1989 en application des nouvelles règles de compétence, a rejeté le recours dans l'arrêt entrepris.
7. En ce qui concerne la décision attaquée par la requérante, il ressort notamment de l'arrêt entrepris que:
"72. La décision, dans ses points 71 à 86, examine la question du caractère indispensable d'un système collectif de prix fixes dans le commerce des livres pour atteindre les objectifs allégués par l'association requérante. Tout en mentionnant les objectifs poursuivis par le système NBA, à savoir éviter la diminution des stocks qui entraînerait des tirages plus faibles, une hausse du prix des livres et la disparition des titres à faible tirage, la Commission s'abstient de prendre position sur la question de savoir si ceux-ci sont atteints en pratique et si le système de distribution est le mieux approprié pour atteindre ces objectifs dans le contexte national. Par contre, la décision souligne que, dans la présente affaire, il s'agit de se prononcer sur un système de fixation de prix qui, s'étendant aux exportations vers d'autres États membres, en particulier l'Irlande, aussi bien qu'aux importations et (ré)importations en provenance d'autres États membres, y compris l'Irlande, empêche la concurrence sur les prix résultant du commerce intra-communautaire (point 75). La décision précise que, afin d'atteindre les objectifs susmentionnés, la PA a instauré un système collectif imposant, pour un livre donné, un même prix à tous les libraires, de sorte qu'il n'y ait pas de concurrence en matière de prix pour un même titre (point 73, troisième alinéa). A ce stade, il ressort de la décision qu'elle renvoie à l'importance des restrictions prévues par le système NBA, telles qu'exposées aux points 50 à 59. Eu égard à la nature des restrictions prévues par le système NBA et à l'impact de celles-ci sur le commerce intra-communautaire, la décision considère que la PA doit démontrer que la réalisation des objectifs des accords exige un système collectif plutôt qu'un système individuel d'imposition verticale des prix (point 74)."
8. Dans le présent pourvoi, la PA demande l'annulation de la partie de l'arrêt du Tribunal qui rejette le moyen tiré d'une motivation erronée de l'article 2 de la décision, concernant le rejet de sa demande d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité (points 71 à 116 des motifs). En revanche, la partie de l'arrêt du Tribunal qui rejette le moyen tiré de l'absence de violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité n'est pas remise en cause.
9. Ainsi qu'il ressort de la réponse donnée par la PA à une question écrite posée par la Cour, l'objet du pourvoi concerne plus précisément la confirmation, par l'arrêt du Tribunal, des appréciations de la Commission quant au défaut de caractère indispensable des restrictions de concurrence découlant des NBA, des décisions de la PA concernant les remises accordées aux bibliothèques et aux dépositaires non professionnels et les remises de quantité, de la réglementation concernant les clubs du livre et des décisions concernant les conditions qui régissent la vente nationale annuelle de livres [article 1er, sous a), b), d) et e), de la décision].
10. En revanche, le pourvoi ne concerne pas la réglementation dite "Code of Allowances" et la décision de la PA concernant les conditions requises pour que les libraires figurent dans le "Directory of Booksellers" [article 1er, sous c) et f), de la décision], pratiques auxquelles, déjà lors de la procédure écrite devant le Tribunal, la PA avait expressément manifesté son intention de renoncer.
11. Par acte déposé au greffe de la Cour le 30 novembre 1992, les sociétés Pentos plc, entreprise exerçant l'activité de libraire, et Pentos Retailing Group Ltd, une de ses filiales, ont demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission. Par actes déposés au greffe de la Cour, respectivement les 16 et 18 décembre 1992, Clé - The Irish Book Publishers Association (ci-après "Clé"), association d'éditeurs irlandais, et Booksellers Association of Great Britain and Ireland (ci-après "Booksellers Association"), association de libraires du Royaume-Uni et d'Irlande, ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la PA. Par ordonnances du 8 mars 1993, la Cour a admis ces interventions.
Les moyens au pourvoi
12. Par un premier moyen, la PA, soutenue par Clé et Booksellers Association, soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant, au point 72, la thèse de la Commission selon laquelle la PA a instauré un "système collectif" imposant, pour un livre donné, un même prix à tous les libraires, alors que les NBA permettent à chaque éditeur d'imposer individuellement des prix de vente. Selon la PA, les seuls éléments collectifs du système résident dans le fait que ces accords habilitent la PA à communiquer des conditions types à tous les libraires du Royaume-Uni et d'Irlande, qu'ils mettent les libraires en mesure de gérer leur entreprise de manière rationnelle, qu'ils prévoient des exceptions communes au prix imposé et, enfin, qu'ils permettent à la PA de surveiller l'application des conditions types.
13. Par un deuxième moyen, la PA fait valoir que le Tribunal, aux points 85 à 87 de l'arrêt entrepris, a commis une erreur en ne constatant pas que la référence de la Commission à sa décision 82-123-CEE, du 25 novembre 1981, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/428 - VBBB/VBVB, JO 1982, L. 54, p. 36, et arrêt du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, ci-après l'"affaire des livres en langue néerlandaise"), était dénuée de pertinence en raison des différences avec les accords en cause dans la présente affaire.
14. En outre, la PA considère que la thèse de la Commission, exposée au point 87 de l'arrêt, selon laquelle cette référence n'avait d'intérêt qu'en tant que rappel d'un principe général en vertu duquel les avantages d'un système à l'intérieur d'un marché national ne rendent pas indispensable son application au commerce des livres entre États membres, était tout aussi dénuée de pertinence. l'argument principal de la PA aurait en effet toujours été , non pas que, comme l'imposition collective des prix de vente était bénéfique au marché interne, elle était par là même indispensable au commerce entre États membres, mais que les NBA étaient indispensables pour permettre aux lecteurs irlandais de bénéficier des mêmes avantages que le public britannique. Selon la PA, cette erreur de droit aurait dû être censurée par le Tribunal.
15. Par un troisième moyen, la PA fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant le point de vue de la Commission selon lequel les NBA n'étaient pas indispensables pour atteindre les objectifs poursuivis sans prendre position sur le point de savoir si ceux-ci étaient réellement atteints ou non. Pour vérifier le caractère indispensable de l'accord, le Tribunal aurait dû d'abord déterminer les objectifs des NBA, puis examiner si et, le cas échéant, dans quelle mesure, les NBA les atteignaient réellement et, enfin, s'il était possible de les atteindre par un moyen moins restrictif de la concurrence.
16. Par un quatrième moyen, la PA reproche au Tribunal d'avoir fait une mauvaise interprétation de l'article 85, paragraphe 3, du traité, en estimant, au point 84, dernière phrase, de l'arrêt entrepris, que la PA, association regroupant des éditeurs établis au Royaume-Uni, n'était pas fondée, pour démontrer le caractère indispensable des NBA, à se prévaloir des éventuels effets négatifs que la suppression des NBA était susceptible de produire sur le marché irlandais.
17. Par un cinquième moyen, la PA soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en écartant, au même point 84 de l'arrêt, l'argument selon lequel le système des NBA s'écroulerait au cas où son champ d'application serait limité au marché national. La PA nie en effet avoir jamais avancé un tel argument.
18. Par un sixième moyen, la PA invoque différentes erreurs de droit que le Tribunal a commises quant aux jugements de la Restrictive Practices Court (ci-après la "RPC").
19. Tout d'abord, elle n'aurait jamais soutenu, comme le prétend le Tribunal au point 79, que la Commission et le Tribunal étaient liés par les constatations de la RPC concernant les effets positifs des NBA pour le marché interne du Royaume-Uni, mais aurait seulement entendu se prévaloir, à l'appui de sa demande d'exemption, des constatations et des éléments qui les étayaient.
20. Ensuite, le Tribunal aurait eu tort de considérer au même point que la Commission avait tenu suffisamment compte des conclusions de la RPC. Le point 43 de la décision de la Commission n'indiquerait pas en effet que celle-ci ait examiné les conclusions se trouvant dans ces décisions.
21. Enfin, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en se référant, au point 77 de l'arrêt, à l'affirmation de la PA selon laquelle les conclusions de la RPC constatant les avantages des NBA s'appliquaient tant au commerce intra-communautaire qu'aux ventes sur le territoire du Royaume-Uni des livres de la production nationale. La PA n'aurait jamais rien allégué de ce genre, mais aurait seulement fait valoir que ces avantages bénéficiaient tant au public irlandais qu'au public britannique.
22. Par un septième moyen, la PA fait valoir que c'est à tort que le Tribunal a procédé à un examen séparé de chacun des quatre arguments présentés par la PA à l'appui du caractère indispensable des NBA (points 96 à 115 de l'arrêt entrepris), alors que, selon elle, c'est l'effet cumulatif des problèmes évoqués dans ces argumentations qui rend inopérante l'imposition individuelle de prix de vente et donc indispensable un système, tel que celui des NBA, pour atteindre les objectifs poursuivis.
23. Dans un huitième moyen, la PA estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne constatant pas la contradiction entre la décision litigieuse et la communication de la Commission au Conseil du 27 novembre 1985 [Com(85)681 final], dans laquelle elle avait affirmé que la fixation du prix de vente des livres était une contribution positive aux fins de sauvegarder les librairies gérant un fonds important.
24. Il y a lieu de commencer par examiner le troisième moyen, qui occupe une place centrale dans l'argumentation développée à l'appui du pourvoi. Ce moyen doit par ailleurs être mis en rapport avec les quatrième et sixième moyens, qui mettent en cause l'analyse du Tribunal quant à la distinction entre les effets nationaux et les effets intra-communautaires des NBA.
25. En substance, ces moyens font grief au Tribunal de ne pas avoir pris en considération les conséquences de l'existence d'une zone linguistique unique donnant lieu à un seul marché du livre en Irlande et au Royaume-Uni. Cette omission aurait empêché le Tribunal de procéder à un contrôle suffisamment approfondi des appréciations de la Commission quant à l'absence de caractère indispensable des restrictions de concurrence résultant de l'application des NBA.
26. Au point 83 de l'arrêt entrepris, le Tribunal a tout d'abord considéré que "la preuve que les avantages intrinsèques du système NBA au niveau national s'étendent également aux échanges intra-communautaires pourrait éventuellement être utile dans le cas où le refus de la Commission d'accorder à la requérante le bénéfice de l'exemption sollicitée reposerait sur le fait que la condition tenant à la promotion du progrès technique ou économique n'était pas satisfaite. Or, il y a lieu de remarquer que cette dernière condition n'est pas en cause en l'espèce, puisque le motif de rejet de la demande de la PA a trait exclusivement au caractère indispensable des restrictions de concurrence résultant de l'application du NBA. Dès lors, l'examen des avantages du NBA sur le marché national, à les supposer établis, n'est pas nécessaire à l'appréciation par le Tribunal de la légalité de la décision de refus prise par la Commission".
27. Ce raisonnement méconnaît la nécessité de vérifier dans quelle mesure, compte tenu de l'unité de la zone linguistique relevée ci-dessus, les objectifs poursuivis par les NBA, les restrictions de concurrence en résultant, ainsi que le rapport entre objectifs et restrictions devaient être appréciés de la même manière ou de manière différente selon que l'analyse portait sur le seul territoire britannique ou sur le marché communautaire.
28. Ensuite, au point 84 de l'arrêt entrepris, le Tribunal a jugé "que la PA, association regroupant des éditeurs établis au Royaume-Uni, n'est pas fondée à se prévaloir des éventuels effets négatifs qui pourraient survenir sur le marché irlandais, même si ce marché appartient à une zone linguistique commune".
29. Cette considération est entachée d'une erreur de droit. En effet, rien dans le texte ou dans l'esprit de l'article 85, paragraphe 3, du traité ne permet d'interpréter cette disposition en ce sens que la possibilité qui y est prévue de déclarer inapplicables les dispositions du paragraphe 1 à certains accords qui contribuent à améliorer la production ou la distribution de produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique soit subordonnée à la condition que ces effets bénéfiques se produisent uniquement sur le territoire de l'État membre ou des États membres dans lesquels les entreprises parties à l'accord sont établies et non pas sur le territoire d'autres États membres. Une telle interprétation est inconciliable avec les objectifs fondamentaux de la Communauté et avec les notions mêmes de Marché commun et de marché intérieur.
30. Enfin, s'agissant de la décision de la RPC, le Tribunal a remarqué au point 79 de l'arrêt entrepris que, "comme il ressort du point 43 de la décision, la Commission n'a pas ignoré la décision rendue par la juridiction britannique. Néanmoins, comme la Commission l'a fait observer à juste titre, la juridiction nationale, ayant d'ailleurs statué antérieurement à l'adhésion du Royaume-Uni et de l'Irlande aux Communautés européennes, ne s'est pas directement prononcée sur le caractère indispensable des restrictions de concurrence dans le Marché commun résultant du NBA. Dans la mesure où cette juridiction a indirectement abordé la question du commerce extérieur, elle a admis que la PA n'avait pas établi que la suppression du NBA provoquerait une réduction substantielle des exportations. Dès lors, il y a lieu de considérer que la décision n'est pas entachée d'une insuffisance de motivation du fait qu'elle n'a pas réfuté spécifiquement les constatations établies par la Restrictive Practices Court en 1962 ni les preuves produites par la partie requérante, tendant à démontrer que la situation sur le marché du livre n'a pas connu de modification substantielle depuis 1962. En tout état de cause, il convient de signaler que, comme la Cour l'a jugé dans son arrêt du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, précité, point 40, des pratiques judiciaires nationales, à supposer qu'elles soient communes à tous les États membres, ne sauraient s'imposer dans l'application des règles de concurrence du traité".
31. Ce raisonnement est entaché d'un défaut de motivation dans la mesure où il ne fait pas apparaître que le Tribunal a vérifié l'exactitude de l'allégation de la partie requérante résumée au point 77 de l'arrêt entrepris dans les termes suivants:
"La partie requérante fait valoir que la Commission, en vertu du principe de bonne administration, ne devait pas méconnaître les constatations de fait figurant dans la décision de la Restrictive Practices Court of the United Kingdom de 1962, bien qu'elle ne fût pas liée par ce jugement dans l'exercice de ses pouvoirs. A cet égard, la PA indique que la constatation, par la juridiction britannique, du caractère indispensable du NBA s'applique tant au commerce interétatique qu'aux ventes, sur le territoire national, des livres de la production nationale. Ces constatations de fait auxquelles avait procédé la juridiction nationale auraient conservé toute leur validité jusqu'à la date de la décision, tant pour le marché britannique que pour celui de l'Irlande. De même, la partie requérante prétend qu'elle a produit, devant la Commission, une importante série de preuves, établissant que la situation n'a pas connu de changements notables depuis que la Restrictive Practices Court a rendu sa décision..."
32. Des considérations qui précèdent, il résulte que l'arrêt entrepris est entaché de plusieurs erreurs de droit. Par conséquent, il doit être annulé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens au pourvoi.
33. Conformément à l'article 54, premier alinéa, seconde phrase, du statut CEE de la Cour de justice, celle-ci, en cas d'annulation de la décision du Tribunal, peut statuer définitivement sur le litige lorsqu'il est en état d'être jugé. Cette condition est en l'espèce remplie.
Sur le recours en annulation présenté devant le Tribunal et dirigé contre la décision de la Commission
34. Dans son recours en annulation, la PA a soulevé plusieurs moyens. Cependant, ainsi qu'il a été relevé au point 8 ci-dessus, la partie de l'arrêt du Tribunal rejetant le moyen tiré de l'absence de violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité n'est pas mise en cause par le pourvoi et est ainsi devenue définitive.
35. Il convient donc de statuer sur le moyen tiré d'une motivation erronée de l'article 2 de la décision, concernant le rejet de la demande d'exemption.
36. En premier lieu, la PA fait valoir que la motivation de la décision, en ce qui concerne l'analyse du caractère indispensable des restrictions de concurrence (points 71 à 86 de la décision), est fondée sur des éléments contredits par des preuves produites à l'appui de sa demande d'exemption. Parmi celles-ci, la PA fait référence notamment aux décisions de la RPC dont il résulterait, d'une part, que la fixation par les éditeurs de prix de vente au détail pour les "net books" ne pourrait pas subsister longtemps après la disparition des NBA (LR 3RP 246, 312), d'autre part, que la suppression des NBA entraînerait une diminution du nombre et de la qualité d'équipement des librairies disposant de stocks, une augmentation du prix des livres et une diminution du nombre des titres publiés (LR 3RP 246, 322).
37. En second lieu, la PA fait valoir que la décision est fondée sur une série d'erreurs de fait et de raisonnement, et plus particulièrement en ce qui concerne la référence faite, au point 75 de la décision, à l'affaire des livres en langue néerlandaise.
38. Les deux arguments de la PA visant, en substance, à prouver que la décision ne tient pas correctement compte de son argument concernant les effets négatifs que la décision produit sur le commerce intra-communautaire et en particulier sur le marché irlandais du livre, il y a lieu de les traiter ensemble.
39. En vertu de l'article 190 du traité CE, les décisions doivent être obligatoirement motivées. Conformément à une jurisprudence constante, même si la Commission n'est pas tenue de répondre à tous les points de fait et de droit invoqués par les entreprises qui demandent une décision d'exemption, la motivation de toute décision faisant grief doit permettre à la Cour d'exercer son contrôle sur la légalité et de faire connaître tant aux États membres qu'aux ressortissants intéressés les conditions dans lesquelles la Commission a fait application du traité.
40. En l'occurrence, les décisions de la RPC ont été apportées par la PA comme élément de preuve essentiel des effets bénéfiques allégués. Ses arguments, selon lesquels les constatations de la RPC en ce qui concerne les effets bénéfiques des NBA au Royaume-Uni étaient également pertinents pour apprécier les effets de ces accords en Irlande, paraissent sérieux compte tenu de l'unité de la zone linguistique.
41. Dans ces circonstances, la Commission aurait dû examiner les arguments que la PA a fait valoir sur la base des décisions de la RPC.
42. Or, il convient d'abord de relever que si, au point 43 de la décision, la Commission a mentionné les décisions rendues par la juridiction nationale, elle n'a fait que rappeler leur existence, sans discuter leur contenu.
43. Il y a lieu ensuite de constater que, au point 72 de la décision, dans lequel elle fait un résumé des arguments de la PA, la Commission a omis toute référence aux conclusions de la RPC ainsi qu'aux bénéfices des NBA sur le marché irlandais du livre.
44. La décision de la Commission ne contient ainsi aucune explication justifiant les raisons pour lesquelles les conclusions de la RPC et les documents fournis par la PA au soutien de sa thèse seraient dépourvus de pertinence. Il s'ensuit que, eu égard à l'existence d'une zone linguistique commune constituée par le marché britannique et irlandais, la Commission n'a pas suffisamment motivé sa décision sur ce point.
45. Au point 75 de la décision, la Commission fait référence à l'application des NBA aux exportations vers d'autres États membres, en particulier l'Irlande. Le point 75 de la décision énonce ce qui suit:
"... La Commission doit traiter ici d'un système de fixation des prix qui s'étend aux exportations vers d'autres États membres, en particulier l'Irlande, aussi bien qu'aux importations et réimportations d'autres États membres, y compris l'Irlande. Le système tel qu'actuellement appliqué empêche la concurrence sur les prix résultant du commerce entre États membres, au niveau de la distribution. La Commission a déjà déclaré dans sa décision 82-123-CEE, dans l'affaire nº IV/428 - VBBB/VBVB, que, dans le but de réaliser une amélioration de la publication et de la distribution des livres en question, un mécanisme de respect collectif des prix de vente qui entraîne des restrictions de concurrence dans le commerce entre États membres telles que celles contenues dans les accords en question n'est pas indispensable."
46. Il convient cependant de relever que, dans l'affaire des livres en langue néerlandaise, l'accord litigieux comportait notamment l'obligation pour tout éditeur de fixer, pour chacune de ses publications, un prix de vente au consommateur qui devait être respecté jusqu'à la vente au détail et instaurait un système d'agrément des éditeurs et libraires, qui empêchait ainsi toute concurrence avec des éditeurs et libraires non agréés.
47. Le système conçu par les associations d'éditeurs et des libraires flamands et néerlandais était donc différent de celui mis en place par les NBA, décrit par le Tribunal aux points 4 et 5 de l'arrêt entrepris, et reproduit ci-dessus au point 2. En effet, les NBA sont des accords qui prévoient des conditions types uniformes pour la vente des livres à prix imposé applicables uniquement lorsque l'éditeur choisit de commercialiser un livre comme un "net book".
48. Il y a donc lieu de constater que cette référence à l'affaire des livres en langue néerlandaise est manifestement inappropriée et constitue par là même une erreur de motivation.
49. Il convient dès lors d'annuler l'article 2 de la décision et, par voie de conséquence, ses articles 3 et 4, pour violation des formes substantielles au sens de l'article 173 du traité CEE, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par la PA.
Sur les dépens
50. Aux termes de l'article 122 du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, applicable à la procédure des pourvois en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, la totalité des dépens exposés, tant dans la procédure devant le Tribunal que dans celle devant la Cour, par la partie demanderesse au pourvoi, ainsi que ceux exposés devant la Cour, relatifs à l'intervention de Clé - The Irish Book Publishers Association et Booksellers Association of Great Britain and Ireland.
51. En vertu de l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, la Cour peut décider qu'une partie intervenante, autre que les États membres et les institutions, supportera ses propres dépens. Dans ces conditions, les parties intervenantes Pentos plc et Pentos Retailing Group Ltd supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) l'arrêt du Tribunal de première instance rendu le 9 juillet 1992 dans l'affaire T-66-89 est annulé.
2) Les articles 2, 3 et 4 de la décision 89-44-CEE de la Commission, du 12 décembre 1988, concernant une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/27.393 et IV/27.394, Publishers Association - Net Book Agreements), sont annulés.
3) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que la totalité des dépens exposés, tant dans la procédure devant le Tribunal que dans celle devant la Cour, par la partie demanderesse au pourvoi, ainsi que ceux exposés devant la Cour relatifs à l'intervention de Clé - The Irish Book Publishers Association et Booksellers Association of Great Britain and Ireland.
4) Pentos plc et Pentos Retailing Group Ltd supporteront leurs propres dépens.