CJCE, 5e ch., 15 décembre 1994, n° C-250/92
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gottrup-KIim Grovvareforeninger
Défendeur :
Dansk Landbrugs Grovvareselskab (AmbA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
(faisant fonction de président de chambre) : M. Rodríguez Iglesias
Avocat général :
M. Tesauro.
Juges :
MM. Moitinho de Almeida, Edward
LA COUR,
1. Par ordonnance du 20 mars 1991 et décision du 10 avril 1992, parvenues à la Cour le 1er juin 1992, l'OEstre Landsret a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, des questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 85 et 86 du traité CEE et du règlement n° 26 du Conseil, du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles (JO 1962, 30, p. 993).
2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant trente-sept associations en participation locales, spécialisées dans la distribution de produits de base pour l'agriculture (ci-après les "parties requérantes"), à la Dansk Landbrugs Grovvareselskab AmbA (société coopérative de distribution des produits de base pour l'agriculture danoise, ci-après la "DLG"). Les parties requérantes au principal sont toutes membres de la Landsforeningen af den lokale andel, dénommée avant 1991 la Landsforeningen af Andels Grovvareforeninger (Union nationale des associations coopératives spécialisées dans la distribution de produits de base pour l'agriculture, ci-après la "LAG"). Le litige au principal a pour objet la légalité et les conséquences économiques d'une modification statutaire effectuée par la DLG, qui a abouti à l'exclusion des parties requérantes.
3. La DLG est une société coopérative à responsabilité limitée existant dans sa forme actuelle depuis 1969. Elle a pour objet de fournir à ses membres, aux plus bas prix, des produits de base pour l'agriculture, y compris les engrais et les produits phytosanitaires. De plus, elle offre à ses membres certains services, notamment dans les domaines financier et de l'assurance, elle se charge de négocier les meilleurs prix pour la production de ses membres et elle leur offre l'accès à des moyens logistiques ainsi que des facilités en matière de recherche. Ses membres sont établis sur l'ensemble du territoire danois.
4. Il existe quatre catégories de membres composant la DLG : les catégories A, B, C et D. Les membres B sont des associations locales ou autres sociétés coopératives, dont l'objet est le négoce et/ou la production des marchandises figurant dans la gamme de produits offerte par la DLG. Les parties requérantes, avant leur exclusion, comptaient parmi ces membres B et jouissaient, du fait de leur appartenance à cette catégorie, de certains droits de participer à la direction de la DLG.
5. La LAG a été créée en 1975 par les membres B de la DLG. Au cours des années 80, en raison d'un certain mécontentement quant aux prix pratiqués par la DLG à la vente d'engrais et de produits phytosanitaires, certains des membres B ont commencé à se livrer, de leur propre initiative, à des opérations d'importation de ces produits. Une coopération s'est alors développée entre eux au sein de la LAG.
6. Le 9 juin 1988, la DLG a modifié ses statuts malgré l'opposition des représentants des membres B, en raison de la concurrence croissante que lui faisait la LAG.
7. L'article 7 de ces statuts a été modifié comme suit :
"1. S'agissant des membres B et D, l'appartenance ou toute autre forme de participation à des associations, sociétés ou autres formes de coopération organisée se trouvant en situation de concurrence avec la présente société dans le domaine du commerce de gros, au regard de l'achat et de la vente d'engrais et de produits phytosanitaires, doit être considérée, avec effet au 1er janvier 1989, comme incompatible avec l'appartenance à DLG. Aux membres B et D qui le souhaiteraient, la société offrira ses services en qualité d'intermédiaire pour ce qui est de l'achat d'engrais et de produits phytosanitaires.
2. Les membres qui avant l'adoption de la présente disposition statutaire seraient membres d'associations ou y participeraient à un titre ou à un autre en contrariété des dispositions du paragraphe 1, doivent, au plus tard au 31 décembre 1988, soit cesser d'être membres ou de collaborer à des associations concurrentes, soit démissionner de DLG. Pour autant qu'un tel membre choisisse de démissionner de DLG, une notification écrite remise à la société avant le 15 décembre 1988 sera considérée comme suffisante au regard du préavis, en sorte que le membre démissionnaire aura droit au versement du capital coopératif par lui versé ainsi que de toute somme déposée sur le compte de prêt d'exploitation, sur une période de dix ans, conformément aux règles applicables aux membres légalement démissionnaires.
Toute infraction à la disposition introduite sous le paragraphe 1, constatée après la date d'entrée en vigueur de cette disposition au 1er janvier 1989, entraîne l'exclusion de DLG que l'appartenance ou la coopération contraire au statut ait eu lieu avant ou après le 1er janvier 1989. Dans une telle situation, le membre démissionnaire percevra, dans l'hypothèse la plus favorable, à savoir pour autant qu'il n'ait pas été décidé de prononcer la confiscation totale ou partielle de ses avoirs, le capital coopératif par lui versé ainsi que les sommes figurant éventuellement au compte de prêt d'exploitation, par tranches égales, sur une période de dix ans, dont le premier terme sera versé avant la fin du premier exercice comptable suivant l'exclusion.
4. Les règles plus sévères applicables aux membres B et D de DLG entrent en vigueur, ainsi qu'il a été indiqué, au 1er janvier 1989, qui constitue en même temps la date de début de la nouvelle période sociétaire pour les membres B et D. Les nouvelles dispositions ne sont pas destinées à faire obstacle à ce qu'un membre B ou D achète en gros des produits de base pour l'agriculture par l'entremise de fournisseurs (agents courtiers et entreprises de commercialisation de produits de base au Danemark et à l'étranger) autres que la société, dès lors que de tels achats de remplacement ne se font pas sous la forme d'une appartenance organisée ou d'une participation organisée dans d'autres associations etc. contrairement aux dispositions du paragraphe 1."
8. Dans le même temps, les règles relatives à la désaffiliation et à la démission ont été modifiées de manière que l'appartenance à la DLG soit désormais d'une durée de cinq ans au lieu de dix ans.
9. Par la suite, il a été décidé que, s'il s'avérait nécessaire d'exclure les membres B, ces derniers seraient considérés comme des membres légalement démissionnaires. Cela aurait pour conséquence qu'ils obtiendraient le remboursement, sur une période de dix ans, de leur capital coopératif enregistré, constitué de l'éventuel apport initial et de la partie des excédents déclarés ultérieurement non distribuée, mais pas d'une quote-part du capital indivis, c'est-à-dire d'une part au prorata de la totalité du capital propre de la DLG, déduction faite du capital coopératif.
10. La DLG a soumis cette modification des statuts à la Commission, par lettre du 29 décembre 1988, afin d'obtenir l'attestation négative prévue par l'article 2 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), ou, subsidiairement, une déclaration d'inapplicabilité des règles de concurrence en vertu de l'article 4 dudit règlement.
11. Dans cette notification, la DLG a exposé comme suit les objectifs de sa modification statutaire:
"Le but de la modification statutaire précitée est de faire front aux quelques très gros producteurs multinationaux d'engrais et de produits phytosanitaires en vue d'obtenir des prix d'achat moins élevés pour les agriculteurs danois et, accessoirement, d'empêcher que des représentants de concurrents participent aux organes dirigeants de la société (comité et bureau exécutif) au sein desquels on traite de secrets d'entreprise".
12. Un certain nombre de membres B ont refusé de se soumettre à la modification statutaire, de sorte que, à compter du mois de mars 1989, trente-sept associations locales membres B ont été exclues de la DLG.
13. La Commission n'a pas encore donné réponse à la lettre de notification de la DLG du 29 décembre 1988.
14. Au cours de l'année 1989, la modification statutaire de la DLG a été examinée par le Monopoltilsynet (office de contrôle des monopoles danois) ainsi que par le Monopolraad (conseil danois des monopoles), autorités nationales en matière de concurrence. Ni l'un ni l'autre n'a relevé d'infraction à la réglementation nationale de la concurrence. Dans leur examen, ils n'ont pas pris en considération les articles 85 et 86 du traité.
15. Le 1er décembre 1989, les membres B exclus de la DLG ont introduit une action contre cette société devant l'OEstre Landsret, afin que soient prononcées l'annulation de la modification statutaire, une interdiction pour la DLG d'appliquer les nouveaux articles des statuts, et la condamnation de la partie défenderesse au paiement d'un montant total de 200 000 000 DKR et d'une indemnité de dédommagement du préjudice subi et des inconvénients résultant des exclusions, ainsi que d'intérêts sur les montants précités. A l'appui de leurs arguments, les parties requérantes au principal font valoir notamment que la modification statutaire de la DLG, en fermant le marché danois à toute une série de fournisseurs étrangers, est contraire aux articles 85 et 86 du traité.
16. Par ordonnance du 20 mars 1991, l'OEstre Landsret, estimant nécessaire qu'il soit statué en cours d'instance sur l'interprétation des articles 85 et 86 du traité, a décidé de renvoyer l' affaire devant la Cour.
17. Le 10 avril 1992, il a ordonné le renvoi de l'affaire devant la Cour et lui a posé les questions préjudicielles suivantes:
"Question 1
L'article 85, paragraphe 1, du traité doit-il être interprété en ce sens que l'interdiction prévue par cette disposition à l'encontre de certains types de comportement anti-concurrentiel trouve également à s'appliquer dans le cas d'une association commerciale en participation A, créée en 1969, et qui procède, en 1988, à une modification de ses statuts en vue d'exclure de ladite association commerciale d'autres entreprises ou groupements, pour autant qu'ils fassent partie d'associations, sociétés ou autres formes de coopération organisée se trouvant en situation de concurrence avec l'association commerciale A dans le domaine du commerce de gros, au regard de l'achat et de la vente d'engrais et de produits phytosanitaires, étant entendu qu'au moment de la modification statutaire cette réforme avait en point de mire un groupement d'achat B regroupant certains des membres de l'association commerciale en participation?
Question 2
La circonstance que la modification des statuts visait en outre à ce qu'il soit mis fin à une situation dans laquelle des personnes siégeant dans les organes de direction de l'association A (comité et bureau exécutif) soient en même temps membres du bureau au sein du groupement d'achat concurrent B ou participent à un autre titre à la direction, ou exerce de facto une influence sur celle-ci, en sorte qu'il y avait un risque que des secrets d'entreprise de A soient détournés au profit de B, risque lié au fait que les intéressés avaient eu connaissance et/ou étaient destinés à prendre connaissance desdits secrets, revêt-elle de l'importance aux fins de la réponse à apporter à la question n°1?
Question 3
Idem, le fait que la modification statutaire ait été mise en œuvre en dépit des protestations de certains membres ayant voté contre la clause d'exclusion insérée dans les statuts en cause, en raison, d'une part, de ce que cette disposition aurait pour effet d'empêcher les membres dont s'agit de l'entreprise A de procéder à des achats organisés " en dehors de A " d'engrais et de produits phytosanitaires et de ce qu'ils estimaient, d'autre part, qu'en achetant par l'intermédiaire de B ils obtiendraient des prix moins élevés ou de meilleures conditions de vente que ce que A pouvait leur proposer?
Question 4
Idem, le fait que les entreprises ou associations exclues ont, du fait de l'exclusion, été assimilées à des membres légalement démissionnaires, de sorte que :
a) d'une part, ils n'ont pas droit à une quote-part du capital indivis (une part au prorata de la totalité du capital propre de A, déduction faite du capital coopératif), mais se voient en revanche reverser leur capital coopératif enregistré, soit environ 37 000 000 DKR, sur une période de dix ans, et
b) d'autre part, il n'y a pas eu confiscation du capital coopératif, ce qu'il aurait été possible de faire au titre des dispositions combinées de l'article 8, paragraphe 4, et de l'article 7, paragraphe 3, des statuts?
Question 5
Idem, la circonstance qu'il s'est avéré par la suite que les membres exclus, agissant dans le cadre de B, ont été en mesure, dans le secteur des engrais et des produits phytosanitaires, de poursuivre leur activité sur le marché danois des produits de base pour l'agriculture où ils détiennent globalement en 1990 une part de marché analogue au chiffre d'affaires de l'entreprise A?
Question 6
Idem, le fait que le litige actuellement pendant devant l'OEstre Landsret, opposant les membres exclus, demandeurs, à la défenderesse A, a trait à la question de savoir si les entreprises exclues ont droit à une part du patrimoine indivis de A (voir question 4) et que les entreprises requérantes n'ont pas déposé de conclusions tendant à leur réintégration, en qualité de membres, au sein de l'entreprise A?
Question 7
Idem, la circonstance que les statuts de A autorisent les membres à procéder à des achats d'engrais et de produits phytosanitaires en dehors de l'entreprise A, pour peu que cela s'opère sous une forme différente de celle d'un consortium organisé, autrement dit, soit chaque membre agissant séparément, soit plusieurs membres en association, mais dans ce cas uniquement sous forme d'un achat groupé, spécifique, concernant un lot donné ou une cargaison donnée?
Question 8
Idem, le fait que la clause statutaire est agencée de manière à offrir la possibilité d'une forme de coopération gérée par A, portant sur l'achat d'engrais et de produits phytosanitaires, de telle manière qu'en faisant office à cet égard d'intermédiaire A renonce à faire des bénéfices sur ces marchandises?
Question 9
Idem, le fait qu'après la modification des statuts et l'exclusion, des non-membres de l'association A " entre autres ceux qui avaient été exclus " ont eu la possibilité d'acheter auprès de A l'ensemble de la gamme de produits vendue par A, y compris les engrais et les produits phytosanitaires, aux conditions de gros normalement appliquées dans la branche?
Question 10
Idem, le fait que la modification des statuts soit limitée en sorte de n'englober que les engrais et les produits phytosanitaires, lesquels, à l'époque de la modification des statuts, entraient dans le chiffre d'affaires global de A à hauteur des proportions indiquées en préambule aux présentes questions?
Question 11
Idem, le fait que des informations exhaustives aient été portées à la connaissance de l'OEstre Landsret sur les caractéristiques des produits en cause, notamment l'existence de produits de substitution, ainsi que des informations sur les produits, chiffre d'affaires, et parts de marché de A et de B, ainsi que des entreprises concurrentes de A et de B?
Question 12
Doit-on présumer que les engrais et/ou produits phytosanitaires relèvent du règlement n° 26 du Conseil, du 4 avril 1962 voir par exemple, la directive 91-414-CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO L. 230, p. 1), laquelle renvoie en particulier à l'article 43 du traité?
Question 13
La condition visée à l'article 85, paragraphe 1, et à l'article 86 du traité, impliquant que les échanges intra-communautaires doivent être affectés, doit-elle être considérée comme remplie si les achats d'engrais et de produits phytosanitaires effectués, par l'intermédiaire de B, par les membres exclus émanaient au moment de la modification des statuts dont s'agit, en partie directement de producteurs situés en dehors du territoire de la Communauté?
Question 14
Comment y a-t-il lieu de comprendre et d'appliquer par rapport aux situations exposées dans les questions qui précèdent, les dispositions dérogatoires de l'article 85, paragraphe 3, du traité, s'il est établi que la modification des statuts résultant de l'amendement de l'article 7 a été notifiée à la Commission en vue d'obtenir une attestation négative conformément à l'article 2 du règlement n° 17 ou, subsidiairement, en vue d'une déclaration d'inapplicabilité en vertu de l'article 4 de ce même règlement?
Question 15
Y-a-t-il lieu d'interpréter l'article 86 du traité en ce sens qu'une modification des statuts telle que celle évoquée dans la question 1 peut impliquer une infraction auxdites dispositions dès lors que l'entreprise A détient, au moment de la modification des statuts, les parts de marché indiquées en introduction, dans le secteur des engrais et des produits phytosanitaires?
Question 16
Le fait qu'au moment de la modification des statuts, A était enregistrée comme une société unique dominante au registre du danske Monopoltilsynet (office de contrôle des monopoles) revêt-il de l'importance aux fins de l'application de l'article 86 du traité, étant entendu que cette inscription a cessé le 1er janvier 1990, en liaison avec l'instauration, à partir de cette même date, au Danemark de la nouvelle loi sur la concurrence, et que l'inscription de A n'a pas été remplacée par un nouvel enregistrement au titre de cette loi?
Question 17
Idem, le fait que Det danske Monopolraad (le conseil danois des monopoles) a fait savoir, le 22 février 1989, qu'eu égard aux circonstances évoquées dans la question 2, il n'y avait pas lieu d'intervenir en ce qui concerne la modification des statuts de A?"
18. Dans son ordonnance de renvoi, l'OEstre Landsret tient pour établi que la DLG entendait essentiellement inciter tous les membres B à cesser d'acheter des engrais et des produits phytosanitaires en dehors de la DLG, de manière que, au sein du secteur coopératif danois, on ne trouve plus qu'une seule grande société qui procéderait à l'achat de ces produits de base pour le compte des agriculteurs danois.
19. Quelques données économiques sur la situation des marchés concernés ont été fournies dans l'ordonnance de renvoi, les observations soumises à la Cour et les réponses écrites aux questions posées par la Cour à la DLG et aux parties requérantes. Il en ressort qu'en 1988, lors de la modification de ses statuts, la DLG détenait environ 36 % du marché danois des engrais, tandis qu' environ 23 % étaient détenus par Korn & Foderstof Kompagniet A/S (société anonyme), environ 14 % par Superfos A/S (société anonyme) et environ 10 % par la LAG. De plus, la DLG détenait environ 32 % du marché danois des produits phytosanitaires. A la suite de leur exclusion, les parties requérantes ont réussi, au sein de la LAG, à concurrencer fortement la DLG sur le marché danois des produits de base pour l'agriculture, de sorte que, en 1990, elles ont détenu une part de marché analogue à celle de la DLG. Il ressort également de ces données économiques que la consommation d'engrais au Danemark est assurée à hauteur d'environ 60 % par des importations; les engrais importés proviennent tant des États membres que des pays tiers. La consommation de produits phytosanitaires au Danemark est assurée quant à elle presque exclusivement par des importations.
20. Les dix-sept questions posées par la juridiction de renvoi peuvent être groupées en cinq volets principaux, qu'il convient de traiter dans l'ordre suivant : champ d'application de la dérogation aux règles de concurrence communautaire prévue par l'article 42 du traité et le règlement n 26, précité (question 12); notion de restriction de la concurrence prévue à l'article 85, paragraphe 1, du traité (questions 1 à 11); notion d'abus de position dominante prévue à l'article 86 du traité (questions 15 à 17); notion d'affectation des échanges intra-communautaires au sens de l'article 85, paragraphe 1, et de l'article 86 du traité (question 13); compétence du juge national dans le cas où une demande d'attestation négative ou de déclaration d'inapplicabilité est actuellement pendante devant la Commission (question 14).
Sur l'applicabilité du règlement n° 26
21. Par le premier volet de ses questions, la juridiction de renvoi vise à savoir si les engrais et les produits phytosanitaires relèvent du champ d'application de la dérogation aux règles de concurrence prévue par l'article 42 du traité et par le règlement n° 26, précité.
22. Aux termes de l'article 42 du traité, les dispositions du chapitre relatif aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Conseil. L'article 38, paragraphe 3, du traité dispose que les produits qui sont soumis aux dispositions des articles 39 à 46 inclus du traité sont énumérés à la liste qui fait l'objet de l'annexe II du traité. Il ajoute que le Conseil pouvait, dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur du traité, ajouter d'autres produits à cette liste.
23. Selon une jurisprudence constante (voir notamment arrêts de la Cour du 25 mars 1981, dit "de la présure", Cooeperatieve Stremsel- en Kleurselfabriek/Commission, 61-80, Rec. p. 851, point 21, et du tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61-89, Rec. p. II-1931, points 36 et 37), c'est en conformité avec ces dispositions du traité que le champ d'application du règlement n° 26 a été limité, en son article 1er, à la production et au commerce des produits énumérés à l'annexe II du traité. On ne saurait donc appliquer ce règlement au commerce d'un produit qui ne relève pas de cette annexe, même s'il constitue une matière auxiliaire à la production d'un autre produit qui relève, quant à lui, de cette annexe. Pour que le règlement soit applicable aux engrais et aux produits phytosanitaires, il faudrait ainsi que ces produits relèvent, eux-mêmes, de l'annexe II du traité, ce qui n'est pas le cas.
24. Il s'ensuit que l'application du règlement n° 26 est exclue en l'espèce et que les articles 85 et 86 du traité sont pleinement applicables.
25. Cette conclusion n'est pas remise en cause par le fait que la directive 91-414, précitée, a été adoptée en particulier sur la base de l'article 43 du traité.
26. En effet, il suffit de relever que l'article 42 est une disposition dérogatoire, dont le domaine d'application, comme celui du règlement n° 26, ne saurait être implicitement élargi par l'adoption de mesures fondées sur l'article 43 du traité, disposition qui confère au Conseil le pouvoir d'adopter des actes en vue de la mise en œuvre de la politique agricole commune.
27. Il y a lieu dès lors de répondre au premier volet des questions posées que les engrais et les produits phytosanitaires ne relèvent pas du champ d'application de la dérogation aux règles de concurrence prévue par l'article 42 du traité et par le règlement n° 26.
Sur la restriction de la concurrence
28. Par le deuxième volet de ses questions, la juridiction de renvoi vise à savoir si une disposition statutaire d'une association coopérative d'achat, qui a pour effet d'interdire à ses membres de faire partie d'autres formes de coopération organisée se trouvant en concurrence directe avec elle, tombe sous l'interdiction prévue par l'article 85, paragraphe 1, du traité.
29. Les parties requérantes au principal prétendent qu'une telle modification statutaire aurait eu pour objet ou effet de restreindre la concurrence en ce que le but poursuivi était de mettre fin aux activités d'achat des membres B au sein de la LAG, concurrente de la DLG, et d'acquérir ainsi une position dominante sur les marchés concernés.
30. Une association coopérative d'achat est une union volontaire de personnes créée afin de poursuivre des objectifs commerciaux communs.
31. La compatibilité des statuts d'une telle association avec les règles communautaires de concurrence ne peut être appréciée de façon abstraite. Elle est fonction des clauses statutaires particulières de l'association et des conditions économiques sur les marchés concernés.
32. Sur un marché où le prix des produits varie en fonction du volume des commandes, les opérations des associations coopératives d'achat peuvent, en fonction du nombre de leurs membres, constituer un contrepoids important à la puissance contractuelle des gros producteurs et facilitent une concurrence plus efficace.
33. Or, le fait que certains des membres de deux associations coopératives d'achat concurrentes appartiennent à la fois à l'une et à l'autre aurait pour effet d'affaiblir la capacité de chacune de ces associations de poursuivre ses objectifs pour le bénéfice de ses autres membres, notamment dans le cas où les membres concernés sont eux-mêmes, comme en l'espèce, des associations coopératives comptant un grand nombre de membres individuels.
34. Il en résulte qu'une telle double appartenance mettrait en péril à la fois le bon fonctionnement de la coopérative et sa puissance contractuelle vis-à-vis des producteurs. Une interdiction de double appartenance ne constitue donc pas nécessairement une restriction de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, et peut même produire des effets positifs sur la concurrence.
35. Toutefois, il y a lieu d'admettre qu'une disposition statutaire d'une association coopérative d'achat, qui limite la possibilité pour ses membres de faire partie d'autres formes de coopération concurrentes, et qui, de cette façon, les décourage de s'approvisionner ailleurs, peut produire certains effets négatifs sur la concurrence. Il s'ensuit que, pour échapper à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité, les restrictions imposées aux membres par les statuts des associations coopératives d'achat doivent être limitées à ce qui est nécessaire afin d'assurer le bon fonctionnement de la coopérative et de soutenir sa puissance contractuelle vis-à-vis des producteurs.
36. C'est à la lumière des considérations qui précèdent qu'il y a lieu d'apprécier les circonstances particulières de l'espèce au principal visées dans les questions posées par la juridiction de renvoi. De plus, il y a lieu de vérifier que les sanctions prévues pour l'inobservation des dispositions statutaires ne sont pas disproportionnées par rapport à l'objectif qu'elles visent et que la période minimale d'affiliation n'est pas déraisonnable.
37. Il convient tout d'abord de relever que la modification statutaire de la DLG est limitée pour n'englober que les engrais et les produits phytosanitaires, seuls produits de base pour lesquels il existe un lien direct entre le volume des achats et le prix.
38. Ensuite, même après la modification statutaire de la DLG et l'exclusion des parties requérantes, il est possible aux "non-membres" de cette société, les parties requérantes incluses, d'acheter auprès d'elle toute la gamme de produits qu'elle vend, y compris les engrais et les produits phytosanitaires, aux mêmes conditions commerciales et aux mêmes prix que les membres, sauf que les "non-membres" n'ont évidemment pas le droit de percevoir une ristourne annuelle sur le montant des transactions opérées.
39. Enfin, les statuts de la DLG autorisent ses membres à acheter des engrais et des produits phytosanitaires sans son intervention, à condition que ces opérations se fassent sous une forme différente de celle d'un consortium organisé. Dans ce contexte, chaque membre agit séparément ou en association, mais, dans ce dernier cas, uniquement sous forme d'un achat groupé et spécifique d'un lot donné ou d'une cargaison donnée.
40. Au vu de ces éléments, il n'apparaît pas que des restrictions statutaires comme celles imposées aux membres de la DLG vont au-delà de ce qui est nécessaire afin d'assurer le bon fonctionnement de la coopérative et de soutenir sa puissance contractuelle vis-à-vis des producteurs.
41. Quant aux sanctions imposées aux parties requérantes, du fait de leur exclusion pour violation des règles statutaires de la DLG, il n'apparaît pas qu'elles soient disproportionnées, la DLG ayant assimilé les parties requérantes aux membres ayant exercé leur droit de retrait.
42. En ce qui concerne la période d'affiliation, celle-ci a été réduite de dix à cinq ans, ce qui ne paraît pas déraisonnable.
43. En fin de compte, il est significatif que, à la suite de leur exclusion, les parties requérantes ont réussi, au sein de la LAG, à concurrencer fortement la DLG, de sorte que, en 1990, elles ont détenu une part de marché analogue à celle de la DLG.
44. Les autres éléments mentionnés dans le deuxième volet des questions posées par la juridiction de renvoi ne sont pas de nature à affecter l'analyse du problème.
45. Il y a donc lieu de répondre au deuxième volet des questions posées par la juridiction de renvoi qu'une disposition statutaire d'une association coopérative d'achat, interdisant à ses membres de faire partie d'autres formes de coopération organisée en concurrence directe avec elle, ne tombe pas sous l'interdiction prévue par l'article 85, paragraphe 1, du traité, dès lors que ladite disposition statutaire est limitée à ce qui est nécessaire afin d'assurer le bon fonctionnement de la coopérative et de soutenir sa puissance contractuelle vis-à-vis des producteurs.
Sur l'abus de position dominante
46. Par le troisième volet de ses questions, la juridiction de renvoi vise à savoir si une disposition statutaire d'une association coopérative d'achat, ayant pour effet d'interdire à ses membres de faire partie d'autres formes de coopération organisée se trouvant en concurrence directe avec elle, peut constituer un abus de position dominante contraire à l'article 86 du traité.
47. Pour ce qui concerne la notion de position dominante, il y a lieu de rappeler qu'une jurisprudence constante la définit comme une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui donnant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et, finalement, des consommateurs. L'existence d'une position dominante résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants (voir notamment arrêts de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27-76, Rec. p. 207, points 65 et 66, et du tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30-89, Rec. p. II-1439, point 90).
48. Il est exact que, dans certains cas, le fait qu'une entreprise détienne une part de marché importante peut être considéré comme un fort indice de l'existence d'une position dominante. Selon la juridiction de renvoi, lors de la modification statutaire intervenue en 1988, la DLG détenait environ 36 % du marché danois des engrais et 32 % du marché danois des produits phytosanitaires. S'il n'est pas exclu qu'une entreprise détenant de telles parts de marché soit considérée, eu égard à la force et au nombre de ses concurrents, comme étant dans une position dominante, de telles parts de marché ne sauraient constituer à elles seules la preuve déterminante de l'existence d'une position dominante.
49. Pour ce qui concerne la notion d'abus de position dominante, il y a lieu de constater d'abord que la création ou le renforcement d'une position dominante n'est pas en soi contraire à l'article 86 du traité.
50. Comme relevé ci-dessus (au point 32), les opérations des associations coopératives d'achat peuvent encourager une concurrence plus efficace sur certains marchés, si les conditions imposées aux membres sont limitées à ce qui est nécessaire afin d'assurer le bon fonctionnement de la coopérative et de soutenir sa puissance contractuelle vis-à-vis des producteurs.
51. Il n'apparaît pas que des restrictions statutaires, comme celles imposées en l'espèce au principal aux membres de la DLG, dépassent ces limites (voir points 36 à 42 ci-dessus).
52. Il y a donc lieu de répondre au troisième volet des questions posées par la juridiction de renvoi que, même si une association coopérative d'achat détient une position dominante sur un marché concerné, une modification statutaire interdisant à ses membres de faire partie d'autres formes de coopération organisée en concurrence directe avec elle ne constitue pas un abus de position dominante contraire à l'article 86 du traité, dès lors que cette disposition statutaire est limitée à ce qui est nécessaire afin d'assurer le bon fonctionnement de la coopérative et de soutenir sa puissance contractuelle vis-à-vis des producteurs.
Sur l'affectation des échanges intra-communautaires
53. Par le quatrième volet de ses questions, la juridiction de renvoi vise à savoir si les échanges intra-communautaires sont affectés, au sens des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité, puisque les opérations d'achat de produits de base sont, en partie, conclues directement avec des producteurs établis dans des pays tiers.
54. Il résulte d'une jurisprudence constante qu'un accord entre entreprises, pour être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États (voir arrêt du 11 juillet 1985, Remia/Commission, 42-84, Rec. p. 2545, point 22). Ainsi, l'affectation des échanges intra-communautaires résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants.
55. Or, il incombe à la juridiction nationale d'entreprendre, le cas échéant, selon les critères établis par la jurisprudence précitée, l'analyse économique nécessaire. Mais, compte tenu des réponses données aux questions précédentes, une telle analyse ne paraît pas nécessaire en l'espèce au principal.
56. Il y a lieu dès lors de répondre au quatrième volet des questions que les échanges intra-communautaires peuvent être affectés, au sens des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité, même si les produits de base concernés par une disposition statutaire sont en partie importés de pays tiers.
Sur la compétence du juge national
57. Par le cinquième et dernier volet de ses questions, la juridiction de renvoi vise à savoir quelle est la compétence du juge national dans le cas où un accord a été notifié à la Commission en vue d'obtenir une attestation négative ou une déclaration d'inapplicabilité en vertu du règlement n°17, précité.
58. Il y a lieu de rappeler que, si les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, ne sont manifestement pas réunies et s'il n'existe, en conséquence, guère de risque que la Commission se prononce différemment, le juge national peut poursuivre la procédure pour statuer sur le contrat litigieux(voir arrêt du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I-935, point 50).
59. Or, dans le cas de l'espèce au principal, la Commission a indiqué, en réponse à une question que lui a posée la Cour, qu'elle considère que la modification statutaire de la DLG ne relève pas de l'interdiction énoncée à l'article 85, paragraphe 1, du traité.
60. Il y a lieu dès lors de répondre au cinquième volet des questions que le juge national est compétent pour statuer sur la légalité d'un accord notifié à la Commission s' il considère que les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité ne sont manifestement pas réunies.
Sur les dépens
61. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, LA COUR (cinquième chambre), statuant sur les questions à elle soumises par l'OEstre Landsret, par ordonnance du 20 mars 1991 et décision du 10 avril 1992, dit pour droit : 1) Les engrais et les produits phytosanitaires ne relèvent pas du champ d'application de la dérogation aux règles de concurrence prévue par l'article 42 du traité CEE et par le règlement n° 26 du Conseil, du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles. 2) Une disposition statutaire d'une association coopérative d'achat, interdisant à ses membres de faire partie d'autres formes de coopération organisée en concurrence directe avec elle, ne tombe pas sous l'interdiction prévue par l'article 85, paragraphe 1, du traité, dès lors que ladite disposition statutaire est limitée à ce qui est nécessaire afin d'assurer le bon fonctionnement de la coopérative et de soutenir sa puissance contractuelle vis-à-vis des producteurs. 3) Même si une association coopérative d'achat détient une position dominante sur un marché concerné, une modification statutaire interdisant à ses membres de faire partie d'autres formes de coopération organisée en concurrence directe avec elle ne constitue pas un abus de position dominante contraire à l'article 86 du traité, dès lors que cette disposition statutaire est limitée à ce qui est nécessaire afin d'assurer le bon fonctionnement de la coopérative et de soutenir sa puissance contractuelle vis-à-vis des producteurs. 4) Les échanges intra-communautaires peuvent être affectés, au sens des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité, même si les produits de base concernés par une disposition statutaire sont en partie importés de pays tiers. 5) Le juge national est compétent pour statuer sur la légalité d'un accord notifié à la Commission des Communautés européennes s'il considère que les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité ne sont manifestement pas réunies.