TPICE, 1re ch., 9 novembre 1994, n° T-46/92
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
The Scottish Football Association
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schintgen
Juges :
MM. Garcia-Valdecasas, Kirschner, Vesterdorf, Lenaerts
Avocats :
Mes Forrester, Bell.
LE TRIBUNAL
FAITS ET PROCEDURE
1 La requérante est une société de droit écossais, constituée sous la forme d'une société limitée par garantie et composée principalement de clubs et d'organismes de football, qui a pour mission de promouvoir le football en Ecosse et de représenter les intérêts des clubs écossais à tous les niveaux.
2 Le 5 décembre 1991, la Commission a envoyé à la requérante une lettre fondée sur l'article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"). Dans cette lettre, qui reproduisait les passages pertinents de l'article en cause ainsi que des extraits de l'article 15 du règlement n° 17, la Commission, renvoyant à une plainte déposée par The European Sports Network (ci-après "TESN"), s'inquiétait de ce que la requérante semblait avoir l'intention d'empêcher TESN de retransmettre des matchs de football argentins en Ecosse. La requérante aurait apparemment contacté l'association argentine de football à cet égard, conformément à l'article 47 des statuts de la Federation of International Football Associations (ci-après "FIFA"), qui autoriserait le comité exécutif de la FIFA à établir un nouveau système de règles régissant la télédiffusion internationale de matchs de football. Suivant les informations dont disposait la Commission, ce nouveau régime n'aurait pas encore été établi. La base juridique de la démarche de la requérante auprès de l'association argentine de football ne serait donc pas claire. La requérante était, dès lors, invitée - "afin que l'enquête en la matière puisse être faite en pleine connaissance des faits et dans leur contexte économique correct" - à répondre aux questions suivantes :
"1) Quel était, le cas échéant, le fondement juridique de votre démarche auprès de l'association argentine de football ?
2) Existe-t-il des accords entre les associations nationales membres de la FIFA concernant la transmission des matchs de football d'un pays à l'autre, dans l'attente de l'adoption d'une nouvelle réglementation par le comité exécutif conformément à l'article 47 des statuts de la FIFA ?
3) Existe-t-il des instructions de la FIFA, de son comité exécutif ou de toute autre autorité juridique ou exécutive portant sur l'application de l'article 47, ou de l'ancien article 37, à l'égard de ces retransmissions, dans l'attente de l'adoption d'une nouvelle réglementation ?
4) Veuillez fournir copie de votre correspondance avec l'association argentine de football concernant la télédiffusion de matchs de football argentins par TESN."
Le délai pour répondre à ces questions était fixé à quatre semaines. A cet égard, la Commission renvoyait à l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17.
3 Le 14 janvier 1992, la requérante a répondu comme suit :
"...
C'est avec une certaine surprise que nous avons reçu votre demande. Il est bien reconnu en Ecosse ainsi que dans d'autres pays, que la télédiffusion de matchs de football peut avoir des effets négatifs sur le nombre des spectateurs de football "réel". Il est de notre devoir de promouvoir et d'encourager le football en tant que sport aussi bien au niveau des spectateurs qu'au niveau de la pratique. La télévision constitue un excellent moyen de promotion et de soutien de ce sport, mais, utilisée au moment inopportun, elle est également susceptible de lui nuire, notamment en réduisant le nombre des personnes qui assisteraient normalement à un match de football.
C'est pourquoi l'association ne craint pas de dire qu'elle suit, et continuera de suivre, une politique consistant à assurer un certain contrôle sur la télédiffusion en Ecosse de matchs de football lorsque ceux-ci seraient susceptibles de nuire aux intérêts généraux du football écossais...
Partout dans le monde, les préoccupations des associations de football sont les mêmes. C'est pourquoi nous nous consultons régulièrement, à titre de courtoisie, dans le cadre des institutions internationales régissant le football, afin d'éviter des interférences entre football télévisé et football "réel". Nous n'estimons pas devoir nous justifier sur le plan juridique lorsque nous écrivons à une autre association de football pour lui rappeler notre intérêt mutuel à tenir la balance entre les avantages et les inconvénients de la retransmission télévisée de matchs étrangers.
Nous n'avons pas connaissance de la date à laquelle la FIFA mènera à bien la révision projetée de ses règles sur ce point.
A vrai dire, nous ne comprenons ni pourquoi M. Baron est aussi nerveux à ce sujet, ni pourquoi la Commission est intervenue d'une manière si péremptoire.
Nous serons heureux de vous rencontrer à tout moment afin d'exposer nos vues sur le problème d'ensemble de l'opposition entre retransmission télévisée et match "réel", mais nous pensons sincèrement, en ce qui concerne la question argentine, que la Commission n'a pas à s'inquiéter d'une correspondance entre des associations fraternelles relative à la question de savoir quelle est la meilleure manière de servir le jeu..."
A défaut d'une réaction de la Commission, la requérante lui a écrit, le 11 mars 1992, afin de savoir si sa lettre du 14 janvier lui était parvenue.
4 Par la suite, la Commission a adressé à la requérante, par télécopie du 31 mars 1992, une décision datée du même jour - dont la notification formelle est intervenue quelques jours plus tard - relative à une procédure d'application de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17. Dans cette décision, elle invitait la requérante, sous peine d'une astreinte de 500 écus par jour, à lui fournir, dans un délai de deux semaines après la notification, les renseignements demandés dans la lettre du 5 décembre 1991 (articles 1 et 2 et annexe). L'article 3 de la décision indique qu'un recours est ouvert contre celle-ci devant le Tribunal, conformément aux articles 173 et 185 du traité. Dans les considérants de la décision, la Commission énonce l'objet de la plainte introduite par TESN (points 1 et 2), rappelle le but poursuivi par la demande de renseignements initiale et constate le caractère incomplet de la réponse donnée par la requérante le 14 janvier 1992 (point 3) ; elle rappelle la nécessité des renseignements demandés pour poursuivre son enquête (point 4) et précise le délai de réponse à la décision qu'elle tient pour approprié (point 6) ainsi que le montant de l'astreinte envisagée en cas de non-exécution (points 7 et 8).
5 En réponse à cette décision, la requérante a envoyé, le 15 avril 1992, une lettre, dans laquelle, après avoir souligné le fort sentiment d'injustice que lui inspirait le comportement de la Commission, qui n'avait répondu à aucune des deux lettres qu'elle lui avait adressées en janvier et en mars 1992, elle s'est prononcée, sur les quatre questions posées dans la décision, de la manière suivante :
1) Plusieurs bases juridiques pourraient être indiquées pour servir de fondement à la correspondance de la requérante avec une association de football homologue. La charte de la requérante lui confierait pour mission de promouvoir le football en Ecosse sous tous ses aspects ; écrire aux autres associations ferait partie de l'accomplissement de cette mission. La requérante aurait demandé à l'association argentine à être consultée, conformément à l'article 47 des statuts de la FIFA et à la pratique constante des associations de football du monde entier, avant que des matchs de football argentins ne soient retransmis en Ecosse. La correspondance jointe établirait clairement que la requérante n'a pas cherché à interdire la retransmission télévisée de matchs de football argentins en Ecosse.
2) Les règles de la FIFA relatives à l'utilisation et à la retransmission internationale de matchs de football télévisés seraient en cours de réexamen. En attendant que cette révision ait été achevée, la requérante (ainsi que d'autres associations nationales de football du monde entier) continuerait de respecter la convention passée, c'est-à-dire de consulter les associations homologues avant que cette retransmission télévisée n'ait lieu.
3) La requérante n'aurait connaissance d'aucune instruction de la FIFA, de son comité exécutif ou de toute autre autorité juridique ou exécutive portant sur l'application de l'article 47 (ou de l'ancien article 37) des statuts de la FIFA à l'égard de ces retransmissions.
4) En annexe à sa lettre, la requérante a joint copie des lettres adressées à l'association argentine.
Procédure et conclusions des parties
6 C'est dans ces conditions que la requérante a introduit le présent recours, qui a été enregistré au greffe du Tribunal le 10 juin 1992.
7 Après l'introduction du recours, la Commission a confirmé, par lettre adressée le 24 juin 1992 à la requérante, que les réponses données par la requérante dans sa lettre du 15 avril 1992 étaient suffisantes et fournissaient les informations demandées dans sa décision et que, en conséquence, la requérante avait pleinement exécuté cette dernière.
8 La procédure écrite a suivi un cours régulier, étant précisé que la Commission n'a pas déposé de duplique. Par mémoire déposé le 17 juillet 1992, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité, qui, par ordonnance du Tribunal (première chambre) du 28 octobre 1992, a été jointe au fond. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. A la demande de la requérante, une audience prévue pour le 13 octobre 1993 a été reportée.
9 La procédure orale s'est déroulée le 12 juillet 1994. Les représentants des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal.
10 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission ;
- annuler la décision que la Commission lui a adressée le 31 mars 1992 ;
- prendre toute autre mesure nécessaire à la bonne administration de la justice ;
- condamner la Commission aux dépens.
La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- déclarer le recours irrecevable ;
- le rejeter, à tout le moins, comme non fondé ;
- condamner la requérante aux dépens.
Sur la recevabilité
11 A l'appui de son exception d'irrecevabilité, la Commission soutient, en substance, que, dans les circonstances concrètes de l'espèce, la requérante ne justifie pas d'un intérêt à agir, étant donné qu'elle s'est conformée à la décision attaquée avant d'introduire son recours, sans jamais contester le droit de la Commission à demander les renseignements en cause. Par conséquent, une annulation de cette décision ne servirait plus à rien. Par ailleurs, la requérante n'aurait subi aucun préjudice substantiel du fait de la décision ; en effet, elle ne l'aurait pas attaquée avant de répondre, bien qu'elle ait été informée, à l'article 3, des voies de recours qui lui étaient ouvertes.
12 La requérante considère que, si un acte est illégal, il reste illégal que l'on s'y soumette ou non. Il ressortirait de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE qu'elle a bien un intérêt à contester une décision qui lui est spécialement adressée et qui la menace d'une astreinte, alors qu'une telle mesure ne s'imposait pas. La Commission ayant fait un usage abusif de son pouvoir de prendre des décisions, la requérante estime avoir un intérêt légitime à s'assurer qu'un tel abus ne se renouvelle pas. A l'audience, la requérante a ajouté que la décision attaquée est intervenue à une époque où des négociations sur la retransmission télévisée de matchs de football avaient été engagées au niveau européen entre la Commission et des associations nationales de football, négociations qui seraient toujours en cours ; par son recours, la requérante entendrait donc s'assurer contre le risque concret de se voir adresser, dans le cadre de ces négociations, d'autres décisions injustifiées du type de celle faisant l'objet du présent recours.
13 Dans ces circonstances, le Tribunal constate tout d'abord que les griefs purement procéduraux dirigés par la requérante contre la décision se limitent, en substance, à soutenir que le passage, par la Commission, de la première phase de son enquête - celle de la demande de renseignements "simple" - à la seconde phase - celle de la demande par voie de décision - a constitué une mesure excessive et prématurée. Toutefois, il y a lieu de constater que, ainsi qu'il ressort des articles 11, paragraphe 5, 15, paragraphe 1, sous b), et 16, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17, une entreprise ou une association d'entreprises, confrontée à une telle décision, encourt un risque de sanction plus élevé que dans l'hypothèse où elle est confrontée à une demande de renseignements "simple". En effet, elle peut être sanctionnée par une amende pour ne pas avoir fourni les renseignements demandés "dans le délai fixé" et peut se voir infliger une astreinte pour la contraindre à fournir les renseignements "de manière complète et exacte". Il s'ensuit que le seul fait pour la Commission de procéder à une demande de renseignements par voie de décision est de nature à affecter la situation juridique de l'intéressé, qui ne saurait dès lors être privé, même s'il est en principe disposé à répondre aux questions qui lui sont adressées, d'un intérêt légitime à éviter que la Commission passe prématurément, sans satisfaire aux critères de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17, à la phase de la décision.
14 L'intérêt à agir ainsi reconnu demeure même si la décision ordonnant de fournir des renseignements a déjà été exécutée par son destinataire au moment de l'introduction du recours en annulation, étant donné que celui-ci n'a pas d'effet suspensif. En outre, l'annulation d'une telle décision est susceptible, par elle-même, d'avoir des conséquences juridiques, notamment en obligeant la Commission à prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt du Tribunal et en évitant le renouvellement d'une telle pratique de la part de la Commission(voir les arrêts de la Cour du 24 juin 1986, Akzo Chemie/Commission, 53-85, Rec. p. 1965, point 21, et du 26 avril 1988, Apesco/Commission, 207-86, Rec. p. 2151, point 16). Cela est particulièrement vrai en l'espèce, étant donné que, ainsi qu'il a été relevé par les parties à l'audience, les négociations menées au niveau européen entre la Commission et les associations nationales de football sur la question de la retransmission télévisée de matchs de football sont toujours en cours. Ainsi la requérante doit-elle s'attendre à tout moment à être confrontée à de nouvelles demandes de renseignements de la part de la Commission. Elle conserve donc un intérêt légitime à voir préciser par le juge communautaire les conditions juridiques dans lesquelles la Commission a le pouvoir d'agir par voie de décision en la matière.
15 Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission doit être rejetée.
Sur le fond
16 A l'appui de son recours, la requérante invoque cinq moyens tirés, respectivement, d'une violation de l'obligation de motivation prévue à l'article 190 du traité CE, d'une violation des principes de proportionnalité, de bonne administration et de bonne foi, ainsi que de la méconnaissance de droits fondamentaux.
Quant au moyen tiré d'une motivation insuffisante de la décision attaquée
- Arguments des parties
17 La requérante prétend que, contrairement à l'article 190 du traité, la Commission n'a pas motivé la décision attaquée de manière suffisante, alors que son obligation de motivation était particulièrement importante dans le contexte de la présente affaire. En effet, la Commission aurait omis d'importants éléments de fait. En particulier, la décision passerait sous silence la lettre du 11 mars 1992, dans laquelle la requérante demandait à la Commission si elle avait reçu sa réponse initiale. Or, l'absence de cet élément dans la motivation de la décision donnerait à penser que la requérante s'était engagée intentionnellement dans une politique d'obstruction destinée à entraver les investigations de la Commission. Enfin, contrairement à ce qui est énoncé au point 8 de la décision, la requérante n'aurait pas "refusé", dans sa lettre du 14 janvier 1992, de fournir les renseignements requis : elle aurait répondu à une partie des questions et aurait suggéré de discuter de l'ensemble du problème.
18 La Commission fait valoir qu'elle a énoncé, aux points 1 à 4, 6 et 8 de la décision attaquée, les raisons principales qui l'ont amenée à l'adopter. En se référant à la plainte originale, la décision aurait invité à comparer les questions posées dans la lettre du 5 décembre 1991 aux réponses données dans la lettre du 14 janvier 1992. Il résulterait de cette comparaison que c'est à juste titre que la Commission a considéré la lettre du 14 janvier 1992 comme un refus de fournir de manière complète les renseignements requis.
- Appréciation du Tribunal
19 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 4 juin 1992, Consorgan/Commission, C-181-90, Rec. p. I 3557, point 14).
20 En l'espèce, il convient de constater que la décision attaquée est intervenue à la suite d'un échange de correspondance entre les parties et qu'elle reprend exactement la même demande de renseignements que celle qui avait fait l'objet de cette correspondance. Il ne saurait donc être soutenu que la décision ait pu avoir eu un caractère surprenant pour la requérante et qu'elle ait, par conséquent, nécessité une motivation particulièrement circonstanciée.
21 S'agissant ensuite des motifs invoqués par la Commission dans la décision attaquée, il y a lieu de rappeler que, après avoir résumé les faits à l'origine de sa lettre du 5 décembre 1991, par laquelle elle avait demandé à la requérante les renseignements en cause, la Commission a relevé, au point 3, que la lettre de réponse datée du 14 janvier 1992 "n'a pas fourni les renseignements requis de façon complète" ("failed to provide the information requested in complete form"). En outre, la Commission a indiqué, au point 4, que les renseignements demandés, en particulier la correspondance de la requérante avec l'association argentine de football, étaient nécessaires pour apprécier le comportement de la requérante au regard des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité CE. Or, il est constant entre les parties que cette correspondance n'a pas été produite en réponse à la demande de renseignements "simple" adressée à la requérante par la lettre sus-mentionnée du 5 décembre 1991. Dans ces circonstances, la Commission n'était pas tenue de motiver, d'une manière plus détaillée, le caractère incomplet des renseignements fournis.
22 Il convient d'ajouter que la requérante a apparemment été en mesure de comprendre la portée de la décision attaquée, étant donné qu'elle a fourni, dans le délai de deux semaines qui lui était imparti, une réponse que la Commission a jugée complète et satisfaisante.
23 Dans la mesure où la requérante reproche enfin à la Commission de n'avoir mentionné, dans la décision attaquée, ni son offre de dialogue ni sa demande de confirmer la réception de sa première lettre, ce grief doit être considéré comme inopérant. En effet, cette omission n'était de nature à entraver ni la compréhension par la requérante de la portée de la décision attaquée ni les moyens de défense qu'elle pouvait faire valoir à son encontre, ni enfin le contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal. La Commission n'était donc pas tenue de discuter ces éléments dans la motivation de la décision.
24 Par conséquent, le Tribunal estime que la décision attaquée doit être considérée comme suffisamment motivée, au sens de l'article 190 du traité, et que le moyen tiré d'une insuffisance de motivation doit être rejeté.
Quant au moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité
- Arguments des parties
25 La requérante appuie ce moyen, en substance, sur l'affirmation que, dans les circonstances factuelles de l'espèce, la Commission a agi de façon disproportionnée et excessive par rapport au comportement de la requérante lorsqu'elle l'a menacée, par voie de décision, d'une astreinte, alors qu'elle aurait pu atteindre son objectif en lui demandant simplement, le cas échéant par téléphone, de compléter les réponses qu'elle avait déjà données dans sa lettre du 14 janvier 1992. Or, le respect du principe de proportionnalité serait particulièrement important dans des affaires où sont impliquées des sanctions, ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 29 novembre 1956, Fédération charbonnière de Belgique/Haute Autorité (8-55, Rec. p. 199).
26 La requérante souligne que la question décisive en l'espèce est celle de savoir si un particulier qui s'efforce de répondre à une demande de renseignements, mais dont la réponse n'est prétendument pas satisfaisante, peut être menacé de pénalités financières. La requérante est disposée à l'admettre dans le cas d'un refus délibéré de coopérer, visant à faire obstruction. Cependant, une telle mesure ne devrait pas pouvoir être prise dans le cas où un particulier s'est efforcé de satisfaire à une demande de renseignements, a offert de rencontrer les fonctionnaires compétents afin de débattre du problème concerné, a adressé une seconde lettre à la Commission et, loin de recevoir une réponse, s'est heurté au silence de la Commission.
27 La Commission répond que même une comparaison très superficielle des questions posées dans sa lettre du 5 décembre 1991 et des réponses données dans la lettre de la requérante du 14 janvier 1992 fait ressortir que celle-ci a ignoré plus ou moins les deuxième et troisième questions et a laissé entendre, quant aux autres, que la "question argentine" ne regardait pas la Commission, tandis que l'offre de discuter de généralités ne portait pas sur les questions concrètes posées à la requérante. La Commission en déduit que c'est à juste titre qu'elle a estimé que sa demande de renseignements initiale s'était heurtée à un refus. Face à un tel refus et compte tenu du fait que l'article 11 du règlement n° 17 ne prévoit qu'une procédure en deux phases, c'est en toute légalité et en conformité avec le principe de proportionnalité qu'elle est passée directement à la seconde phase, celle de la demande de renseignements par voie de décision.
28 A l'audience, la Commission a ajouté qu'elle avait des responsabilités vis-à-vis de l'entreprise TESN, qui avait déposé une plainte et qui aurait pu intenter une procédure en carence. La requérante a, pour sa part, expressément reconnu que les deux délais fixés par la Commission dans la lettre du 5 décembre 1991 et dans l'article 1er de la décision attaquée étaient suffisants pour apporter une réponse aux questions posées.
- Appréciation du Tribunal
29 Il y a lieu de préciser, tout d'abord, que le moyen soulevé par la requérante ne concerne pas la légalité interne de la demande de renseignements, qui lui a été adressée, la requérante ne contestant pas le pouvoir de la Commission de lui poser les quatre questions en cause. Son seul grief consiste à prétendre que c'est de façon prématurée et excessive que la Commission a adopté la décision la menaçant d'une astreinte, au lieu de poursuivre une correspondance informelle avec elle.
30 En ce qui concerne ensuite la question de savoir si la Commission, en adoptant, dans les circonstances de l'espèce, la décision attaquée, a fait une application correcte de l'article 11 du règlement n° 17, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, ledit article prévoit, pour l'exercice par la Commission de son pouvoir de demander les renseignements qu'elle juge nécessaires, une procédure en deux phases, dont la seconde, comportant l'adoption par la Commission d'une décision qui précise les renseignements demandés, ne peut être engagée que si la première phase, caractérisée par l'envoi d'une demande de renseignements, a été tentée sans succès (voir l'arrêt du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136-79, Rec. p. 2033, point 10).
31 Pour ce qui est du point de savoir par quels moyens la Commission doit "tenter la première phase" de la procédure d'enquête préalable, il y a lieu de noter que la Cour a jugé que le règlement n° 17 a doté la Commission de larges pouvoirs d'enquête et a imposé aux particuliers concernés l'obligation de collaborer activement aux mesures d'investigation, obligation qui implique qu'ils tiennent à la disposition de la Commission tous les éléments d'information relatifs à l'objet de l'enquête (arrêt du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374-87, Rec. p. 3283, points 22 et 27). Par conséquent, l'argument de la requérante selon lequel la décision attaquée n'aurait été justifiée qu'en cas d'obstruction manifeste, de sa part, à la mission de la Commission doit être rejeté.En raison de l'obligation de collaboration active imposée aux particuliers concernés au cours de la procédure d'enquête préalable, une réaction passive peut justifier, à elle seule, l'adoption d'une décision formelle au titre de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17.
32 C'est à la lumière de ces considérations qu'il faut donc examiner les réponses que la requérante a données dans sa lettre du 14 janvier 1992 à la demande de renseignements du 5 décembre 1991. A cet égard, le Tribunal constate que, en réponse à la première question, la requérante a indiqué qu'elle n'avait pas à justifier d'une base juridique pour écrire à l'association argentine de football et que, en réponse à la deuxième question, elle a indiqué qu'elle ne disposait pas des informations demandées. Au lieu de répondre à la troisième question, elle a offert de donner des explications générales orales ; la correspondance échangée entre la requérante et l'association argentine de football, dont la production avait été demandée sous forme de quatrième question, n'a pas été fournie du tout par la requérante. Le Tribunal estime que ces réponses ne sauraient être considérées comme l'expression d'une collaboration active de la part de la requérante.
33 Au surplus, la requérante a déclaré qu'elle pensait "sincèrement, en ce qui concerne la question argentine, que la Commission n'a pas à s'inquiéter d'une correspondance entre des associations fraternelles..." ("we honestly think that as to the Argentinian matter, the Commission need not be troubled about an exchange of correspondance between two fraternal associations..."). Cette remarque s'analyse objectivement en un refus poli, mais explicite, de coopérer avec la Commission en la matière. Dans ces conditions spécifiques, la Commission n'était tenue ni de poursuivre une correspondance informelle prolongée ni d'engager un dialogue oral avec la requérante, qui n'avait fourni qu'une partie des renseignements requis. Elle avait le droit de passer à la seconde phase de la procédure d'enquête préalable, celle de la demande de renseignements par voie de décision, sans que cette démarche puisse être considérée comme excessive.
34 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que la Commission a fait une application correcte de l'article 11 du règlement n° 17 et que le moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité doit, dès lors, être rejeté.
Quant au moyen tiré d'une violation du principe de bonne administration
- Arguments des parties
35 La requérante, se référant aux arrêts de la Cour du 19 octobre 1983, Lucchini/Commission (179-82, Rec. p. 3083), et du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission (96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369), fait valoir qu'elle ne pouvait pas prévoir que sa lettre du 14 janvier 1992 ne correspondait pas à la demande de la Commission. Etant donné l'absence de réaction de la Commission, qui n'a même pas répondu à sa lettre du 11 mars 1992, la décision attaquée n'aurait pas dû être adoptée.
36 La Commission conteste la pertinence de la jurisprudence citée par la requérante.
- Appréciation du Tribunal
37 Il ressort des considérations qui précèdent que la lettre de la requérante du 14 janvier 1992 ne contenait pas toutes les informations que la Commission jugeait nécessaires pour son enquête. La requérante, en indiquant que la Commission ne devait pas "s'inquiéter" de la correspondance demandée, devait s'attendre à ce qu'une telle réponse puisse être, du point de vue de la Commission, considérée comme insuffisante. La simple demande du 11 mars 1992 de confirmer l'acceptation de la première lettre du 14 janvier 1992 n'infirme pas cette constatation du Tribunal. Par conséquent, la requérante devait s'attendre à l'adoption d'une décision au titre de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17. Le principe de bonne administration n'a donc pas été violé.
Quant aux moyens tirés d'une violation du principe de bonne foi et de la méconnaissance de droits fondamentaux
38 La requérante estime que, par son comportement prétendument arbitraire, la Commission a violé son obligation de respecter le principe de bonne foi. Or, le Tribunal a déjà constaté que la requérante n'avait pas activement coopéré avec la Commission lors de la première phase de la procédure d'enquête. Par conséquent, la requérante n'a pas établi une bonne foi que la Commission aurait pu violer. Ces considérations valent également pour le moyen tiré de la méconnaissance de droits fondamentaux, à l'appui duquel la requérante prétend que la Commission, en lui refusant une chance équitable de répondre à sa demande de renseignements "simple", n'aurait pas donné de réelles chances de succès à la première phase de la procédure d'enquête préalable.
39 Dès lors, ces moyens qui, d'ailleurs, apparaissent comme une simple répétition ne sauraient non plus être retenus.
40 Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
41 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La partie requérante est condamnée aux dépens.