TPICE, 2e ch., 27 octobre 1994, n° T-34/92
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fiatagri UK (Ltd), New Holland Ford (Ltd)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cruz Vilaça
Juges :
MM. Briët, Barrington, Saggio, Biancarelli
Avocats :
Mes Siragusa, Scassellati-Sforzolini.
LE TRIBUNAL,
LES FAITS A L'ORIGINE DU RECOURS
1 L'Agricultural Engineers Association Limited (ci-après "AEA") est un groupement professionnel ouvert à tous les constructeurs ou importateurs de tracteurs agricoles opérant au Royaume-Uni. A la date des faits, elle comprenait environ 200 membres, dont notamment Case Europe Limited, John Deere Limited, Fiatagri UK Limited, Ford New Holland Limited, Massey-Ferguson (United Kingdom) Limited, Renault Agricultural Limited, Same-Lamborghini (UK) Limited, Watveare Limited. Les requérantes sont donc toutes deux membres de l'AEA.
a) La procédure administrative
2 Le 4 janvier 1988, l'AEA a notifié à la Commission en vue d'obtenir, à titre principal, une attestation négative et, à titre subsidiaire, une déclaration individuelle d'exemption, un accord concernant un système d'échange d'informations basé sur des données relatives aux immatriculations de tracteurs agricoles, détenues par le Ministère des Transports du Royaume-Uni, intitulé "UK Agricultural Tractor Registration Exchange" (ci-après "première notification"). Cet accord d'échange d'informations se substituait à un accord antérieur, datant de 1975 qui, quant à lui, n'avait pas été notifié à la Commission. Ce dernier accord avait été porté à la connaissance de celle-ci en 1984, à l'occasion d'investigations effectuées à la suite d'une plainte dont elle avait été saisie, pour entraves aux importations parallèles.
3 L'adhésion à l'accord notifié est ouverte à tous les fabricants ou importateurs de tracteurs agricoles au Royaume-Uni, qu'ils aient ou non la qualité d'adhérent à l'AEA. Celle-ci assure le secrétariat de l'accord Selon les requérantes, le nombre d'adhérents à l'accord a varié au cours de la période d'instruction de l'affaire, au gré des mouvements de restructuration qui ont affecté la profession à la date de la notification, huit constructeurs, dont les requérantes, participaient à l'accord. Les parties à cet accord sont les huit opérateurs économiques cités au point 1 ci-dessus, qui détiennent, selon la Commission, 87 à 88 % du marché des tracteurs au Royaume-Uni, plusieurs petits constructeurs se partageant le reste du marché.
4 Le 11 novembre 1988, la Commission a adressé une communication des griefs à l'AEA, à chacun des huit adhérents concernés par la première notification, ainsi qu'à Systematics International Group of Companies Limited (ci-après "SIL"), société de service informatique chargée du traitement et de l'exploitation des données contenues dans le formulaire V55 (voir, ci-après, point 6). Le 24 novembre 1988, les participants à l'accord ont décidé sa suspension. Selon les requérantes, l'accord a, ultérieurement, été remis en vigueur, mais sans diffusion d'informations permettant de connaître les ventes des concurrents, qu'elles soient nominatives ou agrégées. Au cours d'une audition devant la Commission, ils ont fait valoir, en se prévalant notamment d'une étude réalisée par le Pr Albach, membre du Berlin Science Center, que les informations transmises avaient une influence bénéfique sur la concurrence. Le 12 mars 1990, cinq membres de l'accord dont les requérantes ont notifié à la Commission un nouvel accord (ci-après "seconde notification") de diffusion d'informations, appelé "UK Tractor Registration Data System" (ci-après "Data System"), en s'engageant à ne pas appliquer le nouveau système avant d'avoir obtenu la réponse de la Commission à leur notification. Selon les requérantes, ce nouvel accord, d'une part, apporte une réduction sensible du nombre et de la fréquence des informations obtenues dans le cadre de l'accord et, d'autre part, supprime tous les éléments "institutionnels" qui avaient été contestés par la Commission, dans sa communication des griefs, précitée.
5 Par la décision 92-157-CEE, du 17 février 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31370 et 31446 ° UK Agricultural Tractor Registration Exchange, JO L 68, p 19, ci-après "Décision"), la Commission a :
- constaté que l'accord d'échange d'informations sur les immatriculations de tracteurs agricoles tombe sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité, "dans la mesure où il donne lieu à un échange d'informations permettant à chaque constructeur de connaître les ventes de chacun de ses concurrents, ainsi que les ventes et les importations réalisées par ses propres concessionnaires" (article 1er) ;
- rejeté la demande d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité (article 2) ;
- enjoint à l'AEA et aux membres de l'accord de mettre fin à l'infraction, si ce n'était déjà fait, et de s'abstenir à l'avenir de participer à tout accord ayant un objet ou un effet identique ou similaire (article 3).
b) Le contenu de l'accord et son contexte juridique
6 Pour être admis à circuler sur la voie publique au Royaume-Uni, tout véhicule doit, selon la loi nationale, être immatriculé auprès du Department of Transport. Un formulaire spécial, le formulaire administratif V55, doit être utilisé pour présenter la demande d'immatriculation du véhicule. En vertu d'un arrangement conclu avec le Ministère des Transports du Royaume-Uni, celui-ci transmet à la SIL certaines des informations recueillies par lui, à l'occasion de l'immatriculation des véhicules. Selon les requérantes, cet arrangement est identique à celui conclu avec les constructeurs et importateurs d'autres catégories de véhicules.
7 Les parties sont en désaccord sur un certain nombre de questions de fait concernant les informations figurant sur ce formulaire et leur utilisation. Ces désaccords peuvent être résumés ainsi.
8 Les requérantes insistent sur le fait que, compte tenu, d'une part, de l'origine administrative des informations diffusées aux membres de l'accord et, d'autre part, du fait que les stocks des revendeurs sont limités, il peut s'écouler un laps de temps significatif entre la date de la commande et celle de la livraison d'un tracteur, qui précède elle-même la mise en circulation du véhicule sur la voie publique et, par suite, la transmission des informations aux membres de l'accord. Il peut donc s'écouler un délai plus ou moins long entre la date de la vente et celle de l'immatriculation et, par suite, il n'y a pas, estiment les requérantes, de "photographie instantanée" du marché, de sorte que les informations recueillies ne revêtiraient qu'un caractère approximatif. La SIL exploiterait les informations figurant sur le formulaire administratif, après quoi celui-ci serait détruit, sans que les membres de l'accord en aient été les destinataires directs.
9 Les requérantes admettent que le formulaire V55 existe sous plusieurs formes, numérotées de V55/1 à V55/5. Cependant, elles soulignent que seul le formulaire V55/1 est "prérempli". En effet, les formulaires V55/2 et V55/4, qui n'étaient utilisés que par British Leyland, ne seraient plus utilisés, cependant que le formulaire V55/3, utilisé en cas de perte du formulaire V55/1, serait rempli à la main. Enfin, le formulaire V55/5 serait utilisé par les importateurs indépendants, ainsi qu'en cas de vente d'un véhicule d'occasion. En effet, il serait relativement fréquent qu'un tracteur soit immatriculé après avoir été utilisé exclusivement sur des terres privées, sans circuler sur la voie publique. Dans tous les cas, les adhérents ne pourraient accéder directement aux formulaires.
10 Selon la Commission, le formulaire existe essentiellement sous deux formes: d'une part, le formulaire V55/1 à V55/4, qui serait "prérempli" par les constructeurs et les importateurs exclusifs et utilisé par les concessionnaires pour l'immatriculation des véhicules qui leur sont livrés, et, d'autre part, le formulaire V55/5, qui serait utilisé pour les importations parallèles.
11 Selon la Commission, le formulaire contient les renseignements suivants, dans des conditions, contestées par les requérantes, sur un certain nombre de points:
- marque (constructeur) ;
- numéros de modèle, de série, de châssis, date d'immatriculation il ressort de la réunion tenue entre les parties et le juge rapporteur, organisée le 7 décembre 1993, que les informations relatives aux numéros de série (ou de châssis) sont enregistrées par la SIL Toutefois, dans le système issu de la première notification, ces informations ne sont plus diffusées aux membres de l'accord, dès lors qu'il est convenu, depuis le 1er septembre 1988, que la SIL cesse de faire parvenir aux membres de l'accord le formulaire d'immatriculation des véhicules. Selon les requérantes, les constructeurs auraient besoin de ces informations pour effectuer leurs campagnes de rappel et pour vérifier la validité des demandes de garantie qui leur sont présentées telle est, selon elles, la raison pour laquelle ces informations, dont la transmission aux adhérents est également prévue par le Data System, étaient transmises aux adhérents jusqu'en septembre 1988 ;
- concessionnaire initial et vendeur (code, nom, adresse et code postal): selon les requérantes, ces informations ne sont pas enregistrées par la SIL ;
- code postal complet du détenteur déclaré du véhicule: selon les requérantes, seuls les cinq premiers chiffres du code postal du détenteur déclaré sont enregistrés par la SIL, pour permettre l'identification de la circonscription postale, ce nombre étant lui-même parfois réduit à trois ou quatre chiffres lors de la réunion avec les parties organisée le 7 décembre 1993, la SIL a précisé que, si ce code postal ne figure pas sur le formulaire, elle utilise le code postal le plus proche de celui de l'utilisateur final, à savoir celui du concessionnaire vendeur. En l'absence de ce dernier code, elle utiliserait le code postal du concessionnaire initial ou, à défaut, le code postal du Local Vehicles Licensing Office (ci-après "LVLO") territorialement compétent A cette occasion, la SIL a précisé que toute information devait être rattachée à une circonscription postale, afin de permettre de définir les territoires de vente des concessionnaires ;
- nom et adresse du détenteur déclaré du véhicule: lors de la réunion avec les parties organisée le 7 décembre 1993, les requérantes, dont les dires ont été confirmés par la SIL, ont souligné que, si cette information peut éventuellement figurer sur la page 3 du formulaire V55, qui, seule, est transmise à la SIL, elle n'est, en tout cas, pas enregistrée par elle, de telle façon qu'elle n'est pas communiquée aux membres de l'accord.
12 Les parties s'accordent pour ventiler en trois catégories les informations transmises aux membres de l'accord par la SIL, mais elles définissent de façon différente ces trois catégories.
13 Selon les requérantes, les trois catégories d'informations qui leur sont transmises par la SIL sont les suivantes:
- les données du secteur économique: elles concernent les chiffres globaux relatifs à l'immatriculation des tracteurs vendus par toute la branche, classés selon l'époque, la puissance, le type de transmission et la circonscription postale du détenteur déclaré du véhicule ;
- les données d'identification: elles concernent les immatriculations des tracteurs vendus par chaque membre de l'accord, classées selon la date de vente, le modèle du tracteur et la circonscription postale du détenteur déclaré du véhicule ;
- les données propres, communiquées uniquement au membre de l'accord concerné: elles se rapportent aux ventes de tracteurs immatriculés effectuées par chacun des concessionnaires appartenant au réseau de distribution de ce membre, aux données appartenant aux deux catégories précédentes, avec une ventilation géographique correspondant aux territoires de vente des adhérents du réseau de distribution du membre concerné, aux analyses spécifiques, demandées par un membre donné, ainsi qu'aux chiffres relatifs aux immatriculations des tracteurs qu'il a vendus.
14 Selon la Commission, les trois catégories d'informations sont les suivantes:
- les données agrégées au niveau du secteur: ventes globales du secteur, avec ou sans ventilation par puissance et par type de transmission ces informations seraient disponibles en séries annuelles, trimestrielles, mensuelles ou hebdomadaires ;
- les données concernant les ventes de chaque membre: nombre d'unités vendues par chaque fabricant et part de marché de celui-ci, pour divers secteurs géographiques: Royaume-Uni dans son ensemble, région, comté, territoire concédé, identifié grâce aux circonscriptions postales dont chacun constitue l'agrégation ces informations seraient disponibles par périodes d'un mois, d'un trimestre ou d'un an (et, dans ce cas, pour les douze derniers mois, par année civile ou en glissement annuel) ;
- les données concernant les ventes des concessionnaires appartenant au réseau de distribution de chaque membre, notamment les importations et les exportations des concessionnaires sur leurs territoires respectifs. Il serait ainsi possible d'identifier les importations et les exportations entre les divers territoires des concessionnaires et de comparer ces activités de vente avec les ventes réalisées par les concessionnaires sur leur propre territoire. Ainsi qu'il ressortirait notamment des points 29, 30, 55 et 56 de la Décision, un constructeur, en déterminant ainsi la destination des ventes, pourrait, s'il le désire, réduire les activités de vente au détail des concessionnaires en dehors du territoire qui leur est concédé, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du Royaume-Uni. Au cours de la réunion avec les parties organisée le 7 décembre 1993, les requérantes ont soutenu qu'un constructeur donné pouvait seul, à l'exclusion de ses concurrents, comparer les ventes de ses propres concessionnaires et que, contrairement à ce que soutenait la Décision, le système d'échange d'informations ne permettait pas aux différents constructeurs de comparer les ventes des concessionnaires d'un réseau de distribution donné.
15 Les requérantes insistent sur le fait que ces informations, relatives aux "dealer import" et "dealer export", ne font pas partie de l'accord lui-même et ne sont communiquées aux membres de l'accord, par la SIL, que sur la base d'accords individuels conclus avec celle-ci. Ces données, qui ne pourraient plus être obtenues dans le cadre de l'accord faisant l'objet de la seconde notification, seraient relatives aux ventes effectuées par un concessionnaire à l'extérieur de son territoire ("dealer export") et aux ventes effectuées par les autres concessionnaires établis au Royaume-Uni sur le territoire d'un concessionnaire donné ("dealer import"). Elles ne concerneraient donc pas les exportations vers d'autres États membres ou les importations en provenance de tels États.
16 Selon la Commission, jusqu'en 1988, la SIL fournissait aux membres de l'accord des exemplaires du formulaire V55/5 qu'utilisent les importateurs indépendants. Depuis 1988, elle leur communiquerait uniquement les renseignements tirés de ce formulaire, lequel serait aujourd'hui détruit, après son exploitation par la SIL. La Commission soutient que ces documents d'immatriculation permettaient d'identifier les importations parallèles, essentiellement grâce au numéro de série du véhicule. S'agissant de cette dernière information, la Commission a précisé, lors de la réunion avec les parties organisée le 7 décembre 1993, qu'il convenait, selon elle, de distinguer entre les formulaires V55/1, 3 et 4, d'une part, et le formulaire V55/5, d'autre part. En effet, les formulaires V55/1, 3 et 4 seraient préremplis par le constructeur, de telle sorte que les informations relatives au numéro de série figurent sur le formulaire qui accompagne chaque véhicule et qu'il y a ainsi un contrôle parfait de la destination de ces tracteurs par les constructeurs. Au contraire, pour le formulaire V55/5, la SIL aurait, jusqu'en septembre 1988, transmis le formulaire aux adhérents, leur permettant ainsi de retracer l'origine d'un véhicule donné. Au cours de cette même réunion, la Commission a toutefois admis que, postérieurement au 1er septembre 1988, le système ne permettait pas aux constructeurs de surveiller les importations parallèles. A cette réunion, les requérantes ont, pour leur part, souligné que, même avant le 1er septembre 1988, il ne leur était pas possible de surveiller les importations parallèles, dès lors que le numéro de châssis du véhicule ne figurait pas systématiquement sur le formulaire V55/5.
LES CONCLUSIONS DES PARTIES
17 C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 mai 1992, les requérantes ont introduit le présent recours.
18 Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
"- ordonner la production du procès-verbal de la réunion du collège des commissaires lors de laquelle la décision C (92) 271 de la Commission, du 17 février 1992, relative à l'affaire n° IV-B-2-31370 et 31.446 (UK Agricultural Tractor Registration Exchange) a été adoptée, ainsi que le texte de la décision annexé à ce procès-verbal ordonner, en outre, la production des modifications apportées, par la Commission, au procès-verbal d'audition, avant sa transmission au comité consultatif ;
- déclarer la décision inexistante ou, à titre subsidiaire, déclarer le recours recevable et annuler la décision
- condamner la Commission aux dépens".
19 En réplique, les requérantes ont, en outre, demandé la jonction de l'affaire avec la requête T-35-92, introduite par John Deere Limited.
20 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
"- rejeter le recours comme non fondé ;
- rejeter la demande des requérantes tendant à obtenir la production du procès-verbal de la réunion du collège des commissaires au cours de laquelle a été adoptée la décision n 92/157/CEE de la Commission, du 17 février 1992, relative aux affaires n IV/B-2/31370 et 31446 (UK Agricultural Tractor Registration Exchange), ainsi que du texte de la décision annexé audit procès-verbal ;
- condamner les requérantes aux dépens".
21 Dans son mémoire en duplique, la Commission a fait connaître au Tribunal qu'elle ne s'opposait pas à la jonction de la présente affaire avec la requête T-35-92, introduite par John Deere Limited, aux fins de la procédure orale, sous réserve que les deux affaires fassent l'objet d'un arrêt distinct. A l'issue de la procédure écrite, le président de la deuxième chambre du Tribunal a, par ordonnance du 28 octobre 1993, prononcé la jonction, aux fins de la procédure orale, de la présente affaire avec la requête T-35-92, John Deere Limited/Commission, sous réserve que soit assurée la confidentialité, à l'égard des requérantes dans la présente espèce, de certaines parties de la requête T-35-92 et de certaines des annexes à cette requête.
22 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale, sans ordonner de mesures d'instruction préalables. Il a toutefois invité les parties à répondre à certaines questions écrites et à produire certains documents. Les parties requérantes et la partie défenderesse ont répondu à ces questions le 2 décembre 1993. En outre, les parties, ainsi que la SIL, ont été invitées à participer à une réunion avec le juge rapporteur, dans les conditions prévues à l'article 64 du règlement de procédure. Cette réunion s'est tenue le 7 décembre 1993. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal, lors de l'audience publique du 16 mars 1994. Au cours de l'audience publique, M. Hodges, représentant la SIL, a été entendu en qualité de témoin, dans les conditions prévues aux articles 68 et suivants du règlement de procédure.
MOYENS ET ARGUMENTS DES PARTIES
23 Les requérantes font valoir que la Décision:
- est intervenue selon une procédure irrégulière ;
- méconnaît la portée de l'obligation de motivation ;
- repose sur une définition erronée du produit et du marché pertinent ;
- est entachée d'inexactitudes de fait dans l'examen des informations notifiées ;
- procède d'une erreur de droit dans l'interprétation de l'article 85, paragraphe 1, du traité ;
- écarte à tort l'application à l'espèce de l'article 85, paragraphe 3, du traité.
Sur le moyen tiré de ce que la Décision a été adoptée selon une procédure irrégulière
24 Les requérantes soutiennent, en premier lieu, aux fins d'étayer leurs conclusions tendant à la constatation de l'inexistence de la Décision, qu'il convient de s'assurer que le règlement intérieur de la Commission a bien été respecté et, en second lieu, que celle-ci a unilatéralement apporté certaines modifications au procès-verbal de l'audition.
En ce qui concerne la première branche du moyen, tirée de la violation du règlement intérieur de la Commission
25 Les requérantes estiment que, au vu du texte de la Décision, tel qu'il leur a été notifié, elles ont des raisons de douter que les formalités prévues à l'article 12 du règlement intérieur 63-41-CEE de la Commission, du 9 janvier 1963 (JO 1963, 17, p 181), maintenu provisoirement en vigueur par l'article 1er de la décision 67-426-CEE de la Commission, du 6 juillet 1967 (JO 1967, 147, p 1), modifié en dernier lieu par la décision 86-61-CEE, Euratom, CECA de la Commission, du 8 janvier 1986 (JO L. 72, p 34), alors en vigueur, ont été, en l'espèce, respectées. En conséquence, les requérantes demandent au Tribunal d'ordonner les mesures d'instruction permettant de vérifier que la procédure a été correctement suivie et, en cas de doute, de déclarer la Décision inexistante (arrêt du Tribunal du 27 février 1992, BASF e.a./Commission, T-79-89, T-84-89, T-85-89, T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-98-89, T-102-89 et T-104-89, Rec. p. II-315).
26 La Commission estime que les circonstances de l'affaire sont très différentes de celles à l'origine de l'arrêt BASF e.a./Commission, précité. En l'espèce, le Tribunal n'aurait aucune raison d'ordonner la production du procès-verbal de la réunion du collège des commissaires et les requérantes ne seraient pas en droit de formuler une telle demande.
27 Le Tribunal estime que, en l'absence de tout indice de nature à mettre en cause sa validité, la Décision, objet du présent recours, telle que notifiée aux parties requérantes, doit bénéficier de la présomption de validité qui s'attache aux actes communautaires. Faute pour les requérantes de produire le moindre indice de nature à mettre en cause cette présomption, il n'appartient pas au Tribunal d'ordonner les mesures d'instruction sollicitées. S'agissant, de plus, de la régularité de la procédure d'adoption de la copie de la Décision et de sa notification, le Tribunal estime que, à supposer établis les vices affectant cette copie ou la régularité de sa notification aux entreprises, ceux-ci seraient, en tout état de cause, sans influence sur la légalité ou, a fortiori, sur l'existence de la Décision et seraient seulement de nature à affecter le point de départ du délai de recours contentieux courant à son encontre. Au surplus, ainsi qu'il ressort des termes mêmes du présent recours, les parties requérantes ont été, en l'espèce, en mesure de prendre pleinement connaissance de la Décision et de faire valoir la plénitude de leurs droits procéduraux. En l'espèce, les requérantes ont, en effet, été destinataires d'une copie de la Décision, certifiée conforme par le secrétaire général de la Commission. En l'absence de tout indice sérieux de nature à mettre en doute sa régularité, une telle copie fait foi (arrêt de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Chemical Iberica e.a./Commission, 97-87 à 99-87, Rec. p. 3165, point 59, et arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43-92, Rec. p. II-0000, points 24 et 25). Au vu de l'ensemble de ces circonstances, la première branche du moyen doit donc être écartée.
En ce qui concerne la seconde branche du moyen, tirée des irrégularités dont serait entaché le procès-verbal de l'audition
28 Les requérantes soulignent que la correspondance de la Commission du 14 octobre 1991, les informant des modifications apportées au procès-verbal de l'audition, a été adressée aux entreprises elles-mêmes et non à leur conseil. Elles soutiennent que, postérieurement à la notification de la Décision, il leur est apparu que la Commission avait apporté des modifications unilatérales au procès-verbal de l'audition, avant sa transmission au comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes. Elles demandent au Tribunal de prendre les mesures d'instruction nécessaires, afin de vérifier si les modifications apportées au procès-verbal ont altéré leurs arguments.
29 La Commission estime que l'argument des requérantes, selon lequel elles n'auraient pas été avisées des modifications apportées au procès-verbal, manque en fait. Elle renvoie, à cet égard, à une correspondance adressée aux requérantes le 14 octobre 1991 De toute façon, estime la Commission, ces modifications n'altèrent pas le sens des déclarations des parties, lors de l'audition.
30 Le Tribunal constate, d'une part, que, en réponse à l'argumentation de la Commission, selon laquelle les modifications alléguées, portées au procès-verbal de l'audition des requérantes par la Commission, ont, contrairement à ce que soutiennent les entreprises, été portées à leur connaissance par lettre de la Commission en date du 14 octobre 1991, celles-ci se sont bornées à répliquer que cette lettre avait été adressée directement aux entreprises et non à leur conseil. Cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause la validité de l'information ainsi portée à la connaissance des entreprises. Le Tribunal observe, d'autre part, que les entreprises, ainsi dûment informées des modifications apportées au procès-verbal, ne soutiennent pas que ces modifications altéreraient le sens de leurs déclarations et n'allèguent même pas que ces modifications vicient la régularité de l'avis émis par le comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes. En conséquence, et selon une jurisprudence bien établie, la seconde branche du moyen doit également être rejetée, sans qu'il y ait besoin d'ordonner des mesures d'instruction à cet égard (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, Buchler/Commission, 44-69, Rec. p. 733, point 17, du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48-69, Rec. p. 619, point 31, du 10 juillet 1980, Distillers Company/Commission, 30-78, Rec. p. 2229 arrêts du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2-89, Rec. p. II-1087, point 45, du 17 décembre 1991, BASF/Commission, T-4-89, Rec. p. II-1523, point 47, Enichem Anic/Commission, T-6-89, Rec. p. II-1623, point 47, du 10 mars 1992, Hüls/Commission, T-9-89, Rec. p0 II-499, point 79, Solvay/Commission, T-12-89, Rec. p. II-907, point 67, et Chemie Linz/Commission, T-15-89, Rec. p. II-1275, point 76).
31 Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être écarté, en ses deux branches, et que, par voie de conséquence, les conclusions tendant à la constatation de l'inexistence de la Décision doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin pour le Tribunal d'ordonner la production des documents sollicités par les requérantes.
Sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la Décision
32 Les requérantes soutiennent, d'une part, que la Décision ne serait pas suffisamment motivée et, d'autre part, que les motifs de la Décision ne suffiraient pas à en justifier le dispositif, dont le sens ne serait pas clair.
En ce qui concerne la première branche du moyen, tirée de ce que la Commission n'a pas suffisamment pris en compte l'argumentation des requérantes
33 Les requérantes font valoir, en premier lieu, que le fait, pour la Commission, de n'avoir pas suffisamment pris en considération leurs arguments équivaut à un défaut de motivation. Une bonne illustration de cette insuffisance de motivation serait constituée par le fait que la Commission a fixé à dix unités le seuil des ventes réalisées par un membre de l'accord, sur le territoire d'un concessionnaire donné, en-deçà duquel les informations agrégées ne pourraient être diffusées, chiffre qui serait trop élevé et ne tiendrait pas compte de la réalité du marché, extrêmement atomisé. De même, le choix de l'année comme période de référence ne serait-il pas admissible. A ce sujet, le point 61 de la Décision serait d'ailleurs si confus que les membres de l'accord n'auraient pu en dégager une interprétation commune. Les entreprises soutiennent, en deuxième lieu, qu'à l'exception d'une note de bas de page, la Décision ne se prononce pas sur le Data System, ce qui équivaudrait à une absence de motivation de la Décision au regard de ce dernier système. En troisième lieu, les requérantes estiment que la Décision ne tient pas compte de ce que la plupart des droits nationaux admettent la transmission aux constructeurs d'informations relatives aux immatriculations. En quatrième et dernier lieu, elles soutiennent que, dans l'arrêt dit "Papiers peints de Belgique", la Cour a jugé que la Commission a l'obligation de développer son raisonnement de manière explicite, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, la décision "va sensiblement plus loin que les décisions précédentes" (arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73-74, Rec. p. 1491, point 33). En l'espèce, la Commission aurait clairement manqué à cette obligation.
34 La Commission rappelle que, dans sa pratique décisionnelle, il existe de nombreuses décisions relatives à des échanges d'informations. Ces décisions ne pourraient être écartées, en tant que précédents à la présente affaire, au seul motif qu'elles ne concerneraient pas des biens durables. De même, l'affirmation des requérantes, selon laquelle la Décision serait la première à concerner un échange d'informations relatif à des ventes passées, serait-elle inexacte. La Commission ajoute qu'en tout état de cause la Décision est suffisamment motivée, de telle sorte que l'argument tiré de la méconnaissance des principes posés par l'arrêt Papiers peints de Belgique, précité, devrait être écarté. La Décision n'irait pas plus loin que les principes antérieurement posés, mais se bornerait à faire application de ces principes, dans le cas particulier du marché considéré. Elle serait donc suffisamment motivée, au sens de l'arrêt Papiers peints de Belgique. En particulier, la Décision exposerait clairement que les restrictions de concurrence résultant de l'échange d'informations ne sont pas indispensables et que, dès lors que l'une des conditions posées par l'article 85, paragraphe 3, du traité n'est pas satisfaite, la Commission pouvait rejeter la demande d'exemption, sans examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429).
35 Le Tribunal constate que la Commission, qui, aux points 33 et 65 de la Décision, a, d'une part, constaté la contrariété du Data System avec les termes de l'article 85, paragraphe 1, du traité, au motif que ce système d'échange d'informations reproduisait, mutatis mutandis, le système antérieur, et, d'autre part, constaté la contrariété de l'échange d'informations avec l'article 85, paragraphe 3, du traité, au motif que les restrictions de concurrence n'étaient pas indispensables, a motivé à suffisance de droit sa Décision sur ce point, indépendamment de toute appréciation, à ce stade de l'examen de l'affaire, quant au bien-fondé de ces motifs. Quant à l'argument tiré de la méconnaissance des principes posés par la Cour dans l'arrêt Papiers peints de Belgique, précité, le Tribunal rappelle que, selon les termes de cet arrêt, si la Commission peut motiver de façon relativement sommaire une décision qui s'inscrit dans le cadre d'une jurisprudence bien établie, en revanche l'obligation de motivation imposée à la Commission devient plus étendue, dès lors que la décision qu'elle adopte va "sensiblement plus loin" que l'état de la jurisprudence existant à la date de la décision (points 31 et suivants). En l'espèce, le Tribunal estime que, comme le soutient à juste titre la Commission et ainsi qu'il sera exposé plus avant dans les motifs du présent arrêt (voir ci-après le point 90), la Décision se borne à faire application, à un marché particulier, celui des tracteurs agricoles au Royaume-Uni, des principes posés par la pratique décisionnelle antérieure de la Commission. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de procéder, à cet égard, à l'analyse des différents ordres juridiques des États membres, les requérantes ne sont pas fondées à se prévaloir de la méconnaissance, par la Commission, des principes sus-rappelés, posés par la Cour dans son arrêt Papiers peints de Belgique, précité.
En ce qui concerne la seconde branche du moyen, tirée de l'imprécision du dispositif de la Décision
36 Les requérantes soutiennent que la portée du dispositif de la Décision ne ressort pas clairement de ses motifs, en méconnaissance de la jurisprudence (arrêt Consten et Grundig/Commission, précité). Les articles 1er et 2 du dispositif de la Décision, non seulement reposeraient sur des erreurs de fait et de droit, mais également ne trouveraient pas de support dans les motifs de la Décision, de telle sorte que ses destinataires auraient été placés dans l'impossibilité de s'y conformer. En outre, l'article 2 du dispositif, relatif à l'appréciation de l'accord au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité serait inconciliable avec les décisions antérieures de la Commission. En effet, le respect du principe de proportionnalité ferait obligation à la Commission, lorsque, comme en l'espèce, elle identifie dans un accord des stipulations qui ne peuvent faire l'objet d'une exemption, d'accorder le bénéfice de l'exemption, sous réserve de l'abandon de ces stipulations. Enfin, l'étendue de l'obligation imposée aux requérantes, par l'article 3 du dispositif de la Décision, de s'abstenir de participer à un accord ayant un objet identique ou similaire à celui de l'échange d'informations en cause, n'aurait pu être déterminée avec précision. L'absence de clarté du dispositif de la Décision serait telle que l'AEA aurait été contrainte de procéder à une nouvelle notification.
37 La Commission estime que la référence à l'arrêt Consten et Grundig/Commission, précité, n'est pas pertinente. En l'espèce, c'est bien l'accord d'échange d'informations qui serait, en lui-même, anticoncurrentiel, et non pas telle ou telle de ses stipulations. En précisant à quelles conditions elle n'aurait pas d'objections à présenter à l'encontre de l'accord d'échange d'informations, la Commission aurait correctement satisfait à l'exigence requise par l'arrêt Consten et Grundig/Commission, précité, en vertu duquel la Commission, lorsqu'elle ne mentionne pas, dans le dispositif de sa Décision, quels éléments d'un accord tombent sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité doit justifier, dans les motifs, les raisons pour lesquelles elle estime que ces éléments ne sont pas séparables de l'ensemble de l'accord. En se référant au principe d'interprétation d'un dispositif, tel qu'énoncé par la Cour dans l'arrêt du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663), la Commission estime que le dispositif de la Décision est clair, au regard notamment de son point 61.
38 Le Tribunal rappelle que, dans l'affaire Consten et Grundig/Commission, précitée, la Cour a jugé, s'agissant de l'interprétation de l'article 85, paragraphe 2, du traité, que la nullité du contrat, prévue par ces dispositions, doit être limitée à celles des stipulations du contrat qui présentent un caractère anticoncurrentiel, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans tous les cas où ces stipulations sont séparables du reste du contrat. Selon, en effet, la jurisprudence invoquée, c'est seulement lorsque l'unité du contrat est telle que les stipulations anticoncurrentielles ne peuvent en être isolées que le contrat doit, dans son ensemble, être déclaré contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité. A cette occasion, la Cour a précisé que, dans cette dernière hypothèse, il appartient à la Commission "de préciser, dans les motifs, les raisons pour lesquelle ces éléments ne lui apparaissent pas séparables de l'ensemble de l'accord" (arrêt Consten et Grundig/Commission, précité, p. 498). Dans ces conditions, le Tribunal estime que l'argumentation des requérantes, sur ce point, n'est pas fondée. En effet, d'une part, il ressort clairement des termes de la Décision que, ainsi d'ailleurs que le soutient la Commission, c'est bien le système d'échange d'informations, dans son ensemble qui, en l'espèce, est réputé présenter un caractère anticoncurrentiel et non pas la communication entre entreprises de telle ou telle information ponctuelle, intervenue dans le cadre d'un accord d'échange d'informations entre entreprises. D'autre part, le Tribunal estime qu'en tout état de cause la jurisprudence de la Cour relative à l'interprétation de l'article 85, paragraphe 2, du traité telle que consacrée par l'arrêt Consten et Grundig/Commission, précité, n'est pas transposable purement et simplement, dans le cas de l'examen d'une demande d'exemption, effectuée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, dès lors que, dans cette dernière hypothèse, il appartient à la Commission, pour répondre à la demande dont elle est saisie par les entreprises à l'origine de la notification soumise à son appréciation, de se déterminer par rapport au contrat tel qu'il lui a été notifié, sauf à obtenir des parties, au cours de l'instruction de l'affaire, tel ou tel aménagement du contrat tel que notifié.
39 Quant à l'allégation tirée d'une difficulté d'interprétation de l'article 3 du dispositif de la Décision, selon lequel les entreprises doivent s'abstenir de participer à tout système d'échange d'informations ayant un objet identique ou similaire à l'accord à l'origine de la demande d'exemption, le Tribunal estime que cet article est purement déclaratif. En effet, l'article 85, paragraphe 1, du traité énonce une interdiction de principe à l'égard des accords qui présentent un caractère anticoncurrentiel. Cette disposition d'ordre public s'impose donc aux entreprises requérantes, indépendamment de toute injonction de la Commission sur ce point, dès lors du moins que, comme elle l'a fait en l'espèce, aux points 16 et 61 des motifs de la Décision, ainsi qu'à l'article 1er de son dispositif, précité, la Commission met les entreprises, lesquelles ont droit à la sécurité juridique de leurs transactions, à même de connaître dans quelle mesure le système d'échange d'informations auquel elles participent est licite. A cet égard, il ressort, en particulier, du point 50 des motifs de la Décision, lequel n'est nullement contradictoire avec les termes du dispositif, que la connaissance des ventes des concurrents, à des fins "historiques" ne serait pas illicite. Au total, dans l'hypothèse où la Commission entendrait interdire un autre système d'échange d'informations auquel participeraient les requérantes, elle pourrait directement se fonder sur l'article 85, paragraphe 1, du traité, indépendamment de l'article 3 du dispositif de la Décision. Comme le soutient la Commission, le dispositif de la Décision, lu à la lumière de ses motifs, notamment les points 16 et 61, est donc clair. La seconde branche du moyen doit donc être écartée.
40 Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de ce que la Décision reposerait sur une définition erronée du produit en cause et du marché pertinent
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
41 Selon les requérantes, le passage de la Décision consacré à la description des faits est entaché d'erreurs concernant la description du produit et l'analyse du marché. Ces erreurs de fait affecteraient la légalité de la Décision, dès lors qu'elles concerneraient les bases mêmes sur lesquelles la Commission fonde son appréciation juridique.
42 Les requérantes estiment que la Décision ne contient aucune description du produit et s'efforce de donner du marché l'image d'un marché concentré, alors qu'il s'agit d'un marché ouvert et soumis à la concurrence. Du côté de la demande, tout d'abord, la Décision ignorerait les caractéristiques du marché et tirerait des conclusions erronées de cette constatation. S'agissant d'un marché de remplacement, seules la diversification et l'innovation permettraient de stimuler la demande, de telle sorte que l'absence de connaissance détaillée de cette demande exposerait les constructeurs à des risques en matière d'investissement. Du côté de l'offre, la Décision donnerait une idée inexacte du marché. En effet, les quatre premiers constructeurs, dont les parts de marché seraient évolutives, détiendraient moins de 50 % du marché communautaire, seraient confrontés à d'importants mouvements de restructuration et se heurteraient à une vive concurrence. Les parts de marché des principaux offreurs auraient chuté de manière dramatique, tandis que celles des autres concurrents se seraient accrues L'identité de ces firmes aurait varié, de telle sorte que les entreprises qui sont en position de "leader" ne seraient pas les mêmes que celles qui occupaient cette place lors de la création du système d'échange d'informations. L'affirmation de la Commission, selon laquelle il existerait de fortes barrières à l'entrée sur le marché, serait inexacte. Au total, l'accord, loin de rigidifier le marché, contribuerait à sa transparence.
43 En ce qui concerne l'analyse du produit, les requérantes contestent l'affirmation de la Décision, selon laquelle les différents types de produit seraient largement substituables. Elles soutiennent que l'accord ne classait pas seulement les tracteurs d'après leur puissance et leur type de transmission, mais également, et de manière plus significative, d'après leur modèle. A cet égard, les requérantes estiment que la pratique sanctionnée par la Commission l'est indépendamment de toute analyse effective des conditions de fonctionnement du marché, de telle sorte que la Commission aurait constaté une infraction "per se", en violation tant de la jurisprudence de la Cour que de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et de sa doctrine, telle qu'exposée dans plusieurs "communications" ou dans ses rapports annuels sur la politique de concurrence.
44 S'agissant, enfin, de la définition géographique du marché, les requérantes estiment que la référence au champ d'application de la législation nationale en cause est une méthode plutôt sommaire de délimitation géographique du marché. A l'occasion du rachat de Ford New Holland Limited par Fiat, la Commission aurait, dans sa décision de compatibilité du 8 février 1991, arrêtée au titre de l'article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (version révisée publiée au JO 1990, L. 257, p 13), adopté une attitude contraire à celle retenue en l'espèce, en laissant entendre que les marchés nationaux pourraient ne plus exister à l'intérieur de la Communauté. Or, la définition du marché de référence revêtirait d'autant plus d'importance, en l'espèce, que la Décision aurait admis l'existence de fortes positions détenues par les principaux constructeurs et de barrières à l'entrée, deux notions qui ne seraient pas pertinentes si le caractère national du marché de référence n'était pas établi. De fait, certains éléments donneraient à penser que le marché est sinon mondial, du moins européen.
45 Selon la Commission, la divergence entre les parties repose essentiellement sur la nature du marché des tracteurs au Royaume-Uni et sur les conséquences qu'il convient d'en tirer, au regard du droit communautaire de la concurrence. De l'avis de la défenderesse, il s'agit d'un marché étroit, fortement concentré, qui présente de fortes barrières à l'entrée. La Commission rappelle qu'elle n'est pas tenue de répondre à l'ensemble des circonstances de fait invoquées par les entreprises et qu'elle a pu maintenir sa position, exprimée dès la communication des griefs, dès lors qu'elle a examiné l'ensemble des éléments de preuve fournis par les requérantes (conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn sous l'arrêt de la Cour du 21 février 1984, Hasselblad/Commission, 86-82, Rec. p. 883, ). En outre, la Commission estime inexacte l'affirmation des requérantes, selon laquelle elle n'aurait effectué aucune analyse du produit.
46 La Commission fait encore valoir que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, elle a bien analysé le marché, mais pour tirer de cette analyse des conclusions différentes de celles des requérantes S'agissant de l'analyse par produit, elle rejette les critères de différenciation proposés par les requérantes. Elle n'accepte pas davantage l'analyse du marché, suggérée par ces dernières, selon laquelle il s'agirait d'un marché ouvert. Le marché serait essentiellement un marché de renouvellement, caractérisé par une concurrence imparfaite, de type oligopolistique et dominé par cinq entreprises, sur lequel la fidélité à la marque serait importante. L'offre concernerait des produits substituables. La Commission ne conteste pas que le tracteur est un produit "hétérogène", mais elle diverge des requérantes quant à la portée de cette disparité. Si l'offre est relativement diversifiée, cette diversification devrait être appréciée compte tenu de la nature de la demande. La circonstance que les parts de marché respectives de chacun des principaux concurrents ont évolué ne s'expliquerait pas nécessairement par l'intensité de la concurrence sur le marché en cause.
47 L'argument des requérantes, selon lequel les offreurs développent leurs investissements en vue de s'adapter à une demande stagnante, ne correspondrait pas à la réalité d'un marché dont le taux de concentration s'accroîtrait. De même, la Commission réfute l'analyse des requérantes, selon laquelle elle aurait, à tort, décrit le marché de référence comme un marché fermé et présentant de fortes barrières à l'entrée. En effet, selon la Commission, un marché sur lequel les quatre principaux constructeurs occupent une part prépondérante et sur lequel il existe un écart important entre cette part et celles détenues par les autres opérateurs est un marché qui présente de fortes barrières à l'entrée.
48 S'agissant, enfin, de la définition géographique du marché de référence, la Commission estime avoir, à bon droit, limité celui-ci au marché du Royaume-Uni, dès lors que le système d'informations en cause trouverait son origine dans la collecte des informations recueillies au moyen d'un formulaire administratif dont l'usage est exclusivement limité au territoire du Royaume-Uni. Enfin, la Commission estime que, compte tenu de la fidélité à la marque, l'élasticité de la demande par rapport aux prix est faible. Le système d'échange d'informations permettrait donc aux membres de l'accord de maintenir un niveau général de prix élevé au Royaume-Uni.
Appréciation du Tribunal
° Quant au marché de produit
49 Il convient de rappeler que l'article 85 du traité prohibe les ententes à objet ou à effet anticoncurrentiel En l'espèce, il n'est pas allégué que le système d'échange d'informations en cause aurait un objet anticoncurrentiel. Dans ces conditions, il ne peut être incriminé, le cas échéant, qu'au titre de ses effets sur le marché (voir, a contrario, l'arrêt Consten et Grundig/Commission, précité). Dans cette hypothèse, il convient, selon une jurisprudence constante, d'apprécier les effets anticoncurrentiels éventuels de l'accord, par référence au jeu de la concurrence tel qu'il se produirait effectivement "à défaut de l'accord litigieux" (arrêt de la Cour du 30 juin 1966, Société technique minière, 56-65, Rec. p. 337).
50 Le Tribunal estime que, pour répondre à la question de savoir si la Commission a, dans la Décision, tenu compte, en l'espèce, des caractéristiques propres au marché considéré, il y a lieu d'apprécier, d'une part, le bien-fondé de la définition du marché de produit, et, d'autre part, l'exactitude des caractéristiques de fonctionnement du marché, telles que retenues par la Décision.
51 S'agissant, d'une part, de la définition du marché de produit, il y a lieu d'apprécier le degré de substituabilité du produit. A cet égard, le Tribunal estime que l'argument des requérantes, selon lequel la Décision fait abstraction de toute analyse du marché de produit, doit être écarté, dès lors qu'il ressort suffisamment de la Décision que celle-ci repose sur l'hypothèse que le marché pertinent est celui des tracteurs agricoles au Royaume-Uni Dès lors que, en outre, la participation au système d'échange d'informations en litige est seulement subordonnée à la qualité de constructeur ou d'importateur de tracteurs agricoles au Royaume-Uni, et non pas de telle ou telle catégorie de tracteurs agricoles, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la définition du marché de produit serait erronée et que les différents types de tracteurs agricoles ne seraient pas largement substituables. En effet, le Tribunal déduit de cette constatation que les entreprises définissent elles-mêmes leur position de concurrence, dans le cadre de l'accord, par rapport à la notion générale de tracteur agricole, telle que retenue par la Commission.
52 S'agissant, d'autre part, d'apprécier le caractère oligopolistique du marché de référence, les critiques des requérantes, dirigées contre l'analyse de la Commission, selon laquelle le marché est dominé par quatre entreprises qui représentent entre 75 et 80 % du marché, doivent être écartées, dès lors que le tableau retraçant l'évolution du marché, produit par les requérantes elles-mêmes, en annexe 10 à la requête, fait état d'une stabilité de la caractéristique principale de celui-ci, à savoir son caractère fortement oligopolistique. Il ressort, en effet, de ce document que la part de marché cumulée des quatre principaux offreurs s'établit à 82,4 % pour 1991 contre 82,3 % en 1979. Une lecture attentive de ce document révèle, de plus, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, une relative stabilité des positions individuelles des principaux opérateurs, si l'on excepte l'entreprise John Deere, dont la part de marché a doublé au cours de cette période. Toutefois, comme le souligne, à juste titre, la Commission, ce cas isolé de pénétration du marché, qui est le fait d'un constructeur américain puissant, ne suffit pas à infirmer les conclusions de la défenderesse, selon lesquelles le marché est caractérisé par une relative stabilité des positions des compétiteurs et par de fortes barrières à l'entrée.
53 Ces barrières tiennent notamment à la nécessité, pour un nouveau compétiteur, de disposer d'un réseau de distribution suffisamment dense. En outre, il ressort de l'instruction que, comme l'indique la Décision, en particulier aux points 35, 38 et 51, les importations au Royaume-Uni de tracteurs agricoles d'une puissance supérieure à 30 chevaux-vapeur sont limitées, ainsi que le confirment tant le rapport relatif au secteur de l'équipement agricole dans la Communauté européenne, versé aux débats par la Commission, en réponse à une question écrite posée par le Tribunal, que les informations communiquées par les requérantes elles-mêmes et qui montrent que les importations concernent des produits qui, pour une large part, ne sont pas substituables, dès lors que, sur les 3 862 véhicules neufs importés en 1991, selon les statistiques douanières, 2 212 ont une puissance inférieure à 25 kw. Enfin, cette analyse n'est pas remise en cause par l'examen de la structure de l'offre résiduelle, dont le caractère extrêmement atomisé renforce, au contraire de ce que soutiennent les requérantes, les positions occupées par les entreprises les plus importantes.
54 Au total, le Tribunal estime donc que c'est à juste titre que la Commission soutient que le marché de référence présente le caractère d'un oligopole fermé.
55 Il résulte de ce qui précède que les requérantes n'apportent pas d'indices sérieux, de nature à établir que la définition et l'analyse du fonctionnement du marché pertinent auxquelles la Commission a procédé, serait entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
- Quant au marché géographique
56 Le Tribunal estime que, sur le plan géographique, le marché de référence peut être défini comme la zone dans laquelle les conditions de concurrence, et notamment la demande des consommateurs, présentent des caractéristiques suffisamment homogènes (voir, par analogie, l'arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207, point 11). Dans ces conditions, il n'est pas exclu que, comme la Commission l'a retenu dans la décision, précitée, du 8 février 1991, le marché du tracteur agricole doive être qualifié de marché de dimension communautaire. Toutefois, à la supposer admise, cette solution, en tout état de cause, ne fait pas obstacle à ce que, dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, la pratique incriminée est géographiquement limitée au territoire de l'un des Etats membres, le marché en cause, sur lequel les effets de la pratique doivent être mesurés, soit défini comme un marché de dimension nationale. Dans cette hypothèse, en effet, ce sont les offreurs eux-mêmes qui, du seul fait de leur comportement, ont conféré à ce marché les caractéristiques d'un marché national.
57 Il résulte de ce qui précède que les requérantes n'ont pas établi l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation commise par la Commission quant à la définition et aux modalités de fonctionnement du marché de référence et que, par suite, le présent moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de ce que l'analyse des informations notifiées serait entachée d'erreurs de fait
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
58 Les requérantes estiment que, s'agissant de la description de l'accord et du Data System, il est inexact d'affirmer, comme le fait la Décision, que l'accord, tel que notifié en 1988, existe depuis 1975. En effet, le système notifié différerait du système antérieur. L'affirmation, figurant aux points 14 et 15 de la Décision, selon laquelle le formulaire V55 contient le nom du détenteur déclaré du véhicule et selon laquelle cette information est communiquée aux membres de l'accord, serait inexacte. Selon les requérantes, l'administration demande seulement aux concessionnaires d'indiquer le code postal du lieu de résidence de l'acheteur, sans que cette information permette au constructeur d'entrer en relation avec l'acheteur. Les requérantes soutiennent que, de fait, la SIL n'extrayait pas des formulaires V55, aux fins de traitement et d'envoi aux membres de l'accord, le code postal entier du détenteur déclaré du véhicule, mais se bornait à relever les chiffres de ce code, au nombre de quatre ou cinq, qui permettent de localiser le lieu d'immatriculation parmi les quelque 8 250 circonscriptions postales du Royaume-Uni.
59 Toutefois, contrairement aux indications figurant aux points 6 et 49 de la Décision, ce découpage ne révélerait aucune irrégularité. Les circonscriptions territoriales des concessions seraient déterminées, en toute indépendance, par chaque constructeur et connues de lui seul et de la SIL, à qui elles seraient communiquées aux fins d'établissement des informations statistiques. Les requérantes contestent la notion de "territoire de concessionnaire identifié par (un) code postal de cinq chiffres", qui, selon elles, laisserait entendre, à tort, que le territoire d'une concession coïncide avec les limites territoriales couvertes par un numéro du code postal. Elles contestent également l'allégation, contenue dans la Décision, selon laquelle les informations communiquées créent un système de transparence complète, dès lors que, dans un marché de produits hétérogènes, où la concurrence par les prix se combine avec une concurrence sur des éléments indépendants du prix, l'information sur des ventes passées ne peut créer qu'une transparence très imparfaite.
60 Les requérantes soulignent que les informations échangées concernent les immatriculations et non pas les ventes. Faute d'un échange d'informations sur les prix, la concurrence par les prix serait intacte et toute mesure de représailles serait impossible, en cas de rabais ou de remises. Au point 26 de la Décision, il y aurait lieu de rectifier l'analyse des informations communiquées aux membres sur les ventes effectuées par leurs propres concessionnaires, dès lors que les informations ainsi recueillies seraient utilisées dans le seul cadre des relations entre le constructeur et son concessionnaire et non comme un échange d'informations entre les différents constructeurs.
61 Concernant, enfin, le lien que la Décision tenterait d'établir entre le système d'échange d'informations et les restrictions aux importations parallèles, les membres de l'AEA concernés auraient établi que les informations qu'ils détenaient concernant ces importations ne provenaient pas du système d'échange d'informations en litige. Les requérantes estiment que c'est à tort que la Commission déclare que les changements résultant de la nouvelle notification ne seraient pas significatifs, dès lors que la Commission a omis de tenir compte du fait que, selon les données du nouveau système, l'information portant sur les ventes réalisées par un constructeur, par l'intermédiaire de ses propres concessionnaires, ne concernerait que les ventes effectuées par un concessionnaire sur son propre territoire. Elles soulignent que la liste des modifications apportées au système, à l'occasion de la seconde notification, telle qu'elle apparaît dans le mémoire en défense de la Commission, omet de prendre en compte le fait que l'information portant sur les données d'immatriculation concernant les membres individuels ne serait pas diffusée sur une base mensuelle, mais sur une base trimestrielle.
62 Selon la Commission, les requérantes contestent l'interprétation des informations notifiées quant à la durée de l'accord, quant à l'importance des codes postaux dans le fonctionnement de l'accord et, enfin, quant à la portée de la seconde notification.
63 S'agissant, en premier lieu, de la durée de l'accord, l'allégation des requérantes, selon laquelle l'accord n'existerait pas depuis 1975, serait nouvelle. Jusqu'au dépôt de la requête introductive d'instance, en effet, les requérantes n'auraient pas opéré de distinction entre l'accord notifié et le système d'échange d'informations existant antérieurement.
64 S'agissant, en deuxième lieu, de l'importance des codes postaux dans le fonctionnement de l'accord, la Décision, et notamment ses points 6 et 49, signifierait que la Commission a estimé que les membres de l'accord sont convenus d'un système d'organisation des territoires des concessionnaires qui, tout en laissant à chaque constructeur le soin de déterminer l'organisation de son réseau, a contribué à la précision et à la transparence des informations transmises. De même, c'est par référence à l'utilisation faite du code postal que devraient être compris les développements de la requête concernant le nom et l'adresse du détenteur déclaré du véhicule ; les allégations de la requête, sur ce point, seraient dépourvues de pertinence. L'accord, comme le Data System, procureraient ainsi un moyen de procéder à un échange de données sur une base unifiée. Ils permettraient à tous leurs membres de savoir que des informations équivalentes aux statistiques qui leur sont accessibles sont également accessibles aux autres membres de l'accord. Selon la Commission, ce système a pour effet de réduire l'incertitude entre les concurrents et de faire échec à la "concurrence cachée", telle que définie au point 37, premier alinéa, de la Décision.
65 S'agissant, en troisième lieu, de la portée de la seconde notification, la Commission estime que la Décision expose, au point 65, les raisons pour lesquelles elle a estimé que cette seconde notification ne présentait pas de différence significative par rapport à l'accord. La Commission estime que, comme le système qui a fait l'objet de la première notification, le Data System permet l'identification des ventes des concurrents, ainsi que l'identification des ventes effectuées par un concessionnaire en dehors du territoire qui lui est concédé. Sans contester que la seconde notification apporte certaines modifications positives par rapport à la première, la Commission estime qu'elle ne pouvait accorder à cette seconde notification le bénéfice de l'exemption prévue à l'article 85, paragraphe 3, du traité, dès lors que le système notifié maintenait le principe d'un échange mensuel d'informations, y compris des informations ventilées par modèle, permettant d'identifier les ventes et les parts de marché de chaque concurrent, selon une répartition géographique allant du niveau national ou régional au territoire de chaque concessionnaire et aux circonscriptions postales. En se référant au point 61, deuxième alinéa, de la Décision, la Commission soutient que les requérantes sont parfaitement informées du fait que, d'une part, elle estime qu'elles ne peuvent échanger d'informations au niveau des circonscriptions locales et que, d'autre part, l'échange d'informations au niveau des grandes zones géographiques ne peut que se référer à des périodes annuelles et concerner l'année précédant l'année de diffusion de l'information. En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission, en ce qui concerne les informations identifiant les volumes des ventes et les parts de marché des membres et concessionnaires pour des périodes mensuelles, se réfère aux paragraphes B et C de l'annexe 2 à la seconde notification.
Appréciation du Tribunal
- Sur l'interprétation du point 14 de la Décision
66 A titre liminaire, le Tribunal observe que, lors de la réunion informelle avec les parties, organisée le 7 décembre 1993, la Commission a expressément admis que le point 15 de la Décision, selon lequel les informations visées au point 14 sont transmises aux membres de l'accord "sous la forme de rapports et d'analyses décrits ci-après", doit être interprété en ce sens que les informations enregistrées par la SIL sont communiquées aux membres de l'accord sous la forme de rapports et d'analyses décrits dans les paragraphes suivants de la Décision et ne signifie nullement que toutes les informations visées au point 14 sont transmises aux membres de l'accord, après leur exploitation par la SIL. Le Tribunal estime que cette interprétation, en admettant même qu'elle puisse être regardée comme une erreur de fait, n'est pas de nature à mettre en cause la légalité de la Décision, dès lors que les points 18, 37, 38, 40, 41, 45, 55 et 63 de la Décision ne sont, en tout état de cause, nullement affectés par cette erreur de fait. En effet, d'une part, le point 18 de la Décision est inclus dans l'appréciation en fait, alors que, d'autre part, contrairement à ce qu'elles ont soutenu, à l'occasion de la procédure orale, les requérantes n'établissent pas que la dernière phrase du point 37, la dernière phrase figurant sous le troisième tiret du point 38, la première phrase du point 40, la fin du membre de phrase figurant sous le deuxième tiret du point 41, la seconde phrase du point 45, le point 55, la dernière phrase du point 63, ainsi que la troisième phrase du point 65, seraient affectés par l'erreur de fait éventuellement commise par la Commission au point 14 de la Décision.
67 Plus précisément, l'affirmation, énoncée à la dernière phrase du point 37 de la Décision, selon laquelle "en l'occurrence, la situation est propice à ce type de neutralisation et donc de stabilisation des positions de chaque membre de l'oligopole, car aucune concurrence extérieure ne menace ceux-ci, hormis quelques importations parallèles, d'ailleurs surveillées elles aussi, comme on l'a expliqué plus haut", n'est pas entachée d'inexactitude, dès lors que, comme il a été dit précédemment (voir, ci-dessus, point 52), il est suffisamment établi que le marché des tracteurs agricoles au Royaume-Uni présente le caractère d'un oligopole fermé.
68 De même, la dernière phrase du troisième tiret du point 38 de la Décision, selon laquelle "ces informations peuvent être recueillies auprès des clients qui renseignent les concessionnaires sur les prix de leurs concurrents sur un territoire donné" se borne-t-elle à rendre compte d'une modalité probable de fonctionnement du marché, compte tenu de ses caractéristiques, telles que précédemment analysées, sans, en tout état de cause, établir de lien entre cette modalité de fonctionnement du marché et le système d'échange d'informations en litige.
69 Quant à la première phrase du point 40 de la Décision, qui précise que "en conséquence, les seules données difficiles à obtenir, mais qui sont très importantes, sur le marché britannique du tracteur, sont celles qui concernent le volume exact des ventes de chaque constructeur/concessionnaire et qui permettent de repérer immédiatement toute variation du volume des ventes et de la part de marché d'un membre de l'oligopole ou d'un concessionnaire au niveau local", les requérantes n'établissent nullement que, comme elles l'ont soutenu à l'occasion de la procédure orale, cette phrase entend viser, tout à la fois, les concessionnaires membres d'un réseau de distribution et les concessionnaires des réseaux de distribution des concurrents.
70 Quant à la fin du membre de phrase figurant sous le deuxième tiret du point 41, selon laquelle les informations recueillies permettent à chaque adhérent "de surveiller si les stratégies commerciales des concurrents, notamment en matière de prix, donnent des résultats et de quelle ampleur", il n'est pas contestable que, en permettant à chaque adhérent de situer sa position sur le marché par rapport à celle de la concurrence, le système d'échange d'informations en litige permet, du même coup, d'apprécier l'efficacité de la stratégie commerciale des concurrents.
71 La seconde phrase du point 45 affirme, quant à elle, que "la connaissance détaillée de la structure des ventes de tracteurs sur le marché britannique aide les membres à mieux défendre leur position contre les sociétés extérieures à l'accord". Or, ainsi qu'il sera établi ci-après (voir, point 91), il n'est guère douteux que le système d'échange d'informations donne un avantage concurrentiel aux membres de l'accord, sans qu'il soit nécessaire, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, qu'à cette fin ceux-ci disposent d'informations concernant les constructeurs et distributeurs qui ne sont pas membres de l'accord.
72 Le point 55 de la Décision concerne, comme la dernière phrase du point 63, les ventes réalisées sur le territoire de chacun des concessionnaires d'un adhérent. A cet égard, les requérantes, sans contester l'appréciation du système telle qu'elle figure aux points 55 et 63 de la Décision, se bornent à rappeler que le système d'échange d'informations tel que décrit est celui issu de la première notification et ne concerne pas le Data System. Dès lors que la Décision ne prétend nullement que le système tel que décrit aux points 55 et 63 de la Décision s'appliquerait également au Data System, les requérantes n'établissent nullement l'erreur alléguée.
73 Il résulte de ce qui précède que, comme il a été dit ci-dessus (voir point 66), les requérantes n'ont pas établi, contrairement à ce qu'elles prétendent, que les erreurs de fait éventuellement commises par la Commission au point 14 de la Décision seraient de nature à affecter la légalité de celle-ci.
- Sur les autres erreurs de fait alléguées
74 S'agissant, en premier lieu, du traitement, effectué par la SIL, des informations relatives au code postal du détenteur déclaré du véhicule immatriculé, il ressort des termes mêmes du point 14 de la Décision, lequel fait clairement référence à un code postal à cinq chiffres, que l'argument des requérantes, selon lequel la Commission a commis une erreur de fait en estimant que la SIL extrayait du formulaire V55 les sept chiffres du code postal du détenteur déclaré du véhicule immatriculé, manque en fait.
75 S'agissant, en deuxième lieu, de l'organisation des territoires de concession, les requérantes n'ont pas établi l'existence d'une ou de plusieurs erreurs de fait, dans l'appréciation de la Commission, selon laquelle ces territoires sont déterminés par référence aux circonscriptions postales, prises isolément ou par regroupement.
76 S'agissant, en troisième lieu, de l'argument des requérantes, selon lequel le dernier alinéa du point 26 de la Décision devrait être interprété comme signifiant que les constructeurs ont organisé un échange d'informations entre eux plutôt qu'un échange d'informations sur les relations entre un constructeur donné et ses concessionnaires, il y a lieu de constater qu'il manque en fait, dès lors que la Décision se borne à constater que l'analyse des ventes des concessionnaires "permet aux constructeurs d'identifier les concessionnaires ayant réalisé des ventes dans une circonscription postale donnée et de comparer ces ventes avec celles de l'ensemble du secteur dans cette circonscription".
77 S'agissant, en quatrième et dernier lieu, de l'argument selon lequel, dans l'analyse du Data System, la Commission a omis de tenir compte de ce que ce système retraçait, sur une base trimestrielle, les ventes réalisées par les concessionnaires d'un constructeur donné sur le territoire de concession de chaque concessionnaire, le Tribunal constate, au vu des paragraphes B et C de l'annexe 2 au formulaire de notification du Data System, que certaines informations relatives aux immatriculations de véhicules sont communiquées aux membres de l'accord sur une base mensuelle, cependant que d'autres, et notamment celles concernant les ventes réalisées par les concessionnaires respectifs sur leur territoire de vente, le sont sur une base trimestrielle. Dès lors, l'appréciation de la Commission, telle qu'elle figure au point 65 de la Décision, et selon laquelle le Data System "continue de fournir des données mensuelles sur le volume des ventes et les parts de marché des membres et des concessionnaires" n'est entachée d'aucune erreur de fait.
78 Il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé par les requérantes, tiré de ce que l'appréciation de la Commission serait entachée de certaines erreurs de fait, de nature à mettre en cause la légalité de la Décision, doit être écarté.
Sur le moyen tiré d'une application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
79 Les requérantes contestent la conclusion de la Commission, selon laquelle les informations révélant les ventes récentes effectuées par les concurrents restreignent inévitablement la concurrence, en éliminant la "concurrence cachée" et en renforçant les obstacles à l'accès au marché. Elles réfutent également l'affirmation de la Commission, selon laquelle les informations recueillies, concernant les ventes réalisées par leurs propres concessionnaires, mettraient les membres de l'accord en mesure d'entraver l'activité des concessionnaires et les importateurs parallèles.
80 Selon les requérantes, la Décision ne déclarerait pas expressément que l'accord a un objet anticoncurrentiel. Dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, un accord viserait à favoriser la concurrence, aux fins d'améliorer l'offre, il ne pourrait être incriminé à raison des effets qu'il produit qu'après une analyse précise de ces effets. Or, du point de vue de l'appréciation des effets de l'accord, les requérantes articulent deux griefs principaux. Elles font valoir, en premier lieu, que des erreurs de droit découlent logiquement des erreurs de fait commises par la Commission et, en second lieu, que l'analyse des effets d'un accord sur un marché oligopolistique est erronée.
81 Sur le premier point, les requérantes soutiennent, en substance, que les hypothèses sur lesquelles reposent les points 35 et suivants de la Décision, notamment les points 37, 40, 44 à 48, 49, 51 et 52, ainsi que les conclusions auxquelles celle-ci parvient aux points 56 et 57, sont totalement ou partiellement erronées. Les points 37 à 52 présenteraient des données discutables, voire inexactes, comme des vérités irréfutables. Ainsi, les points 44 à 48 seraient-ils révélateurs d'une contradiction dans la démarche de la Commission, dès lors que celle-ci ne pourrait simultanément admettre que l'accord est ouvert à tous et qu'il constitue une barrière à l'entrée sur le marché.
82 Sur le second point, les requérantes, qui s'appuient notamment sur les rapports d'expertises établis par le Pr Albach, visés au point 4 du présent arrêt, font valoir que, si la Commission soutient que, sur un marché oligopolistique, un accord tel que celui en cause étoufferait nécessairement la concurrence, tel ne serait pas, de toutes façons, la caractéristique du marché des tracteurs agricoles au Royaume-Uni. En tout état de cause, même en admettant le caractère oligopolistique du marché, les études économiques mettraient en évidence le caractère sommaire de l'analyse effectuée par la Commission. Les requérantes estiment, dès lors, que la Commission tend à accréditer la thèse d'une infraction "per se", mais n'a pas, dans les faits, établi l'existence d'une altération suffisamment sensible de la concurrence, résultant des effets potentiels de l'accord. Pour ce faire, la Commission aurait dû apprécier l'accord par référence à la concurrence qui existerait en son absence. A défaut, elle se bornerait à constater une infraction "per se". Or, l'application d'une règle de prohibition "per se" ne trouverait aucun fondement dans la jurisprudence. Les requérantes soutiennent que l'échange d'informations litigieux, loin de restreindre la concurrence, l'avive. Dès lors que, comme en l'espèce, l'accès à l'information échangée serait ouvert à tout concurrent, le système d'échange d'informations deviendrait un outil de concurrence.
83 La Décision ne pourrait s'appuyer sur aucun précédent, tant en ce qui concerne la méthode d'analyse que les principes juridiques appliqués. Bien plus, l'examen des précédents contredirait l'analyse du système d'échange d'informations effectuée par la Commission dans la présente affaire. Les requérantes se prévalent, à cet égard, du Septième Rapport sur la politique de concurrence, publié en 1978. En l'espèce, la Commission n'aurait pas respecté la norme qu'elle s'est imposée à elle-même.
84 Les requérantes soutiennent encore que les accords d'échange d'informations qui, à ce jour, ont été condamnés par la Commission portaient sur des échanges d'informations concernant soit les prix, soit des produits homogènes. Une seule décision de la Commission aurait concerné un échange d'informations portant sur des biens durables, en l'occurrence précisément des tracteurs. Il s'agirait de la décision 83-361-CEE, du 13 juillet 1983, relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité CEE (affaire n° IV-30.174 - Vimpoltu, JO L. 200, p. 44). Mais, dans cette affaire, le comportement des opérateurs, qui avaient échangé des informations portant sur les prix, s'apparentait à celui des membres d'un cartel. De plus, la Commission ne pourrait se prévaloir de sa décision 87-69-CEE, du 15 décembre 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/-1.458 - X-Open Group, JO L. 35, p. 36), dans laquelle, d'une part, elle aurait donné une définition extensive des effets potentiels sur la concurrence résultant de l'échange d'informations, allant au-delà de l'acception retenue par la Cour, et, d'autre part, elle aurait précisément exempté l'échange d'informations. La Cour, quant à elle, n'aurait jamais eu à examiner une affaire concernant exclusivement des échanges d'informations. Quant à l'affirmation de la Commission, selon laquelle la question de savoir si le produit en cause est un produit homogène ou, au contraire, différencié ne serait pas pertinente, elle contredirait directement la théorie économique. Il faudrait donc en déduire que les autres aspects de cette décision ne sont pas, quant à eux, pertinents en l'espèce. En résumé, les requérantes soutiennent que non seulement la Décision ne s'appuie sur aucun précédent, mais encore que l'examen, dans leur contexte, des affaires ayant fait l'objet d'une décision contredit directement la solution arrêtée en l'espèce.
85 Selon la Commission, la démarche suivie par elle à l'égard du système d'échange d'informations en cause sera t précisément celle préconisée dans le Septième Rapport sur la politique de concurrence. Elle n'aurait pas, à l'occasion de l'examen de la présente affaire, édicté de prohibition "per se" à l'égard des systèmes d'échange d'informations. En se référant notamment au point 51 de la Décision, la Commission souligne que les requérantes ne sauraient nier que la Décision contient une analyse précise des conditions de fonctionnement du marché, qu'elles contestent par ailleurs. L'argument selon lequel la Décision ne mentionnerait pas clairement que l'accord avait un objet anticoncurrentiel reposerait sur le postulat que cet accord favorise la concurrence. Or, rien ne permettrait une telle affirmation. La Commission estime donc qu'aucun élément n'est de nature à conduire le Tribunal à constater une erreur manifeste ou un détournement de pouvoir. La thèse des requérantes, selon laquelle la Commission ne pourrait enquêter sur les effets anticoncurrentiels d'un accord que pour autant qu'elle a établi que celui-ci a un objet anticoncurrentiel, serait en contradiction avec la jurisprudence de la Cour et la pratique décisionnelle de la Commission. Selon l'arrêt de la Cour du 1er février 1978, Miller/Commission (19-77, Rec. p. 131), la Commission devrait, pour démontrer l'existence, sur la concurrence, d'effets virtuels résultant de l'accord, établir que l'accord est de nature à produire de tels effets, ce qui serait établi par la Décision, aux points 43 et 51, quatrième alinéa. La thèse des requérantes ignorerait que, lorsqu'elle envisage d'accorder une attestation négative ou une décision individuelle d'exemption, la Commission doit tenir compte également des effets potentiellement négatifs de l'accord sur la concurrence future. En l'espèce, la Commission aurait refusé de valider, sur un marché oligopolistique, caractérisé, de ce fait, par une concurrence imparfaite, les restrictions de concurrence résultant du système d'échange d'informations entre les principaux opérateurs économiques.
Appréciation du Tribunal
86 Le Tribunal constate que, selon la Décision, l'analyse de l'impact de l'échange d'informations sur la concurrence sur le marché des tracteurs agricoles au Royaume-Uni est effectuée, exclusivement du point de vue des effets de l'accord, aux points 35 à 56 des motifs. Il est procédé à cette analyse selon un double critère distinctif. En premier lieu, la Décision distingue entre les effets anticoncurrentiels résultant de la diffusion des données propres à chaque concurrent (points 35 à 52), d'une part, et les effets anticoncurrentiels résultant de la diffusion des données concernant les affaires réalisées par les concessionnaires de chaque membre (points 53 à 56), d'autre part. En second lieu, à l'intérieur de l'analyse des effets résultant de la diffusion des ventes réalisées par chaque concurrent, la Décision distingue entre l'effet négatif sur la "concurrence cachée" (points 37 à 43), d'une part, et les effets négatifs quant à l'accès au marché, ainsi opposés aux constructeurs non-membres de l'accord (points 44 à 48), d'autre part.
87 S'agissant, tout d'abord, de l'effet anticoncurrentiel résultant de la diffusion des "ventes" de chaque concurrent, la Décision (points 35 à 43) expose, en premier lieu, que le système d'échange d'informations assure une transparence complète entre les offreurs quant aux conditions de fonctionnement du marché. Compte tenu des caractéristiques du marché, telles que précédemment exposées (voir, ci-dessus, points 52 et 53), cette transparence ruinerait ce qui subsiste de "concurrence cachée" entre les opérateurs et réduirait à néant toute marge d'incertitude quant au caractère prévisible du comportement des concurrents. La Décision expose, en second lieu, que le système d'échange d'informations instaure une discrimination radicale, quant aux conditions d'accès au marché, entre les adhérents, qui disposent d'une information leur permettant de prévoir le comportement de leurs concurrents, et les opérateurs non-membres de l'accord, qui, non seulement sont dans l'incertitude quant au comportement de leurs concurrents, mais encore voient leur comportement immédiatement révélé à leurs principaux concurrents le jour où, décidant de combattre le handicap précédemment analysé, ils adhèrent au système.
88 S'agissant, ensuite, de l'effet anticoncurrentiel résultant de la diffusion des "ventes" des concessionnaires, la Décision (points 53 à 56) expose, d'une part, que le système d'échange d'informations peut révéler les ventes des différents concurrents au niveau de chaque territoire de concession. La Décision expose, en effet, que, en deçà d'un certain seuil, les ventes réalisées sur le territoire d'un concessionnaire donné sont susceptibles de permettre d'identifier avec précision chacune des transactions dont il s'agit. La Décision estime à dix unités, pour une période et un produit donnés, le seuil en-deçà duquel l'individualisation des informations est possible et permet l'identification de chacune des ventes (point 54). D'autre part, selon la Décision, le système permet, par la connaissance qu'il donne des ventes réalisées par la concurrence sur le territoire d'un concessionnaire, ainsi que celle des ventes réalisées par un concessionnaire à l'extérieur de son territoire, de surveiller l'activité des concessionnaires et d'identifier les importations et les exportations, et donc de surveiller les "importations parallèles" (point 55). Cette situation serait de nature à limiter la concurrence à l'intérieur de la marque, avec les effets négatifs qui pourraient en résulter sur les prix.
89 S'agissant, en premier lieu, des contestations de fait soulevées par les requérantes et de leur éventuelle incidence sur la qualification juridique à laquelle procède la Décision, le Tribunal rappelle que, comme il l'a jugé précédemment (voir, ci-dessus, points 66 à 78), les requérantes n'établissent pas, contrairement à ce qu'elles soutiennent, que les erreurs de fait éventuellement commises par la Commission sont de nature à affecter la légalité de la Décision.
90 S'agissant, en deuxième lieu, de la contrariété, alléguée par les requérantes, entre la Décision et la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, le Tribunal estime qu'en tout état de cause la Décision ne révèle aucune contradiction avec la pratique décisionnelle antérieure de la Commission. En effet, les décisions de la Commission invoquées concernent soit des échanges d'informations qui portent sur des informations différentes de celles en cause dans la présente espèce, soit des marchés dont les caractéristiques et les modalités de fonctionnement sont, par nature, différentes de celles du marché de référence. De même, les requérantes n'établissent-elles pas que la Commission aurait, par la Décision, méconnu certains des principes qu'elle se serait engagée à respecter, à l'occasion notamment du Septième Rapport annuel sur la politique de concurrence. Ainsi qu'il a déjà été dit (voir, ci-dessus, point 35), il en résulte que la Décision est, au regard de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, suffisamment motivée et que les requérantes ne sauraient soutenir que la Décision méconnaît les principes posés par la Cour dans l'arrêt Papiers peints de Belgique, précité.
91 Le Tribunal relève, toutefois, que, comme le soutiennent les requérantes, la Décision est la première par laquelle la Commission prohibe un système d'échange d'informations qui, sans concerner directement les prix, n'est pas non plus le support d'un autre mécanisme anticoncurrentiel. A cet égard, le Tribunal estime que, en principe, comme le soutiennent certes, à juste titre, les requérantes, la transparence entre les opérateurs économiques est, sur un marché véritablement concurrentiel, de nature à concourir à l'intensification de la concurrence entre les offreurs, dès lors que, dans une telle hypothèse, la circonstance qu'un opérateur économique tienne compte des informations dont il dispose pour adapter son comportement sur le marché n'est pas de nature, compte tenu du caractère atomisé de l'offre, à atténuer ou à supprimer, pour les autres opérateurs économiques, toute incertitude quant au caractère prévisible des comportements de ses concurrents. Le Tribunal estime, en revanche, que, comme le soutient cette fois la Commission, la généralisation, entre les principaux offreurs, d'un échange d'informations précises et selon une périodicité rapprochée, concernant l'identification des véhicules immatriculés et le lieu de leur immatriculation, est de nature, sur un marché oligopolistique fortement concentré, tel le marché en cause (voir, ci-dessus, point 52), et où, par suite, la concurrence est déjà fortement atténuée et l'échange d'informations facilité, à altérer sensiblement la concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques.En effet, dans une telle hypothèse, la mise en commun régulière et rapprochée des informations relatives au fonctionnement du marché a pour effet de révéler périodiquement, à l'ensemble des concurrents, les positions sur le marché et les stratégies des différents concurrents.
92 Cette appréciation n'est pas susceptible d'être remise en cause au motif qu'il ressort de l'instruction, et notamment des précisions fournies par la SIL et admises par la Commission, que, depuis le 1er septembre 1988, les membres de l'accord ne reçoivent plus qu'une fois par an une vue d'ensemble du marché, par marque et par modèle, les informations diffusées à chaque adhérent au système, entre deux séries annuelles, ne concernant que la position d'un constructeur donné sur l'ensemble du marché. En effet, la mise à disposition de l'ensemble des offreurs d'une telle information, d'une part, suppose un accord, au moins tacite, entre les opérateurs économiques pour définir, par référence au système du code postal en vigueur au Royaume-Uni, les limites des territoires de vente des concessionnaires, ainsi qu'un cadre institutionnel permettant, par l'intermédiaire de l'association professionnelle à laquelle ils adhèrent, l'échange d'informations entre les opérateurs et, d'autre part, compte tenu de sa périodicité et de son caractère systématique, rend d'autant plus prévisible, pour un opérateur donné, le comportement de ses concurrents, en atténuant ainsi ou en supprimant le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché, qui, en l'absence d'un tel échange d'informations, eût subsisté. De surcroît, la Commission soutient à juste titre, aux points 44 à 48 de la Décision, que, quelle que soit la décision adoptée par un opérateur souhaitant pénétrer sur le marché des tracteurs agricoles au Royaume-Uni, que celui-ci adhère ou non à l'accord, ce dernier est nécessairement pénalisant à son encontre, indépendamment de la question de savoir si, compte tenu de son coût modique et des règles d'adhésion, le système d'échange d'informations est, dans son principe, ouvert à tous. Ou bien, en effet, l'opérateur économique dont il s'agit n'adhère pas à l'accord d'échange d'informations et, contrairement à ses concurrents, il se prive alors des informations échangées et de la connaissance du marché ; ou bien, il décide d'adhérer à l'accord et sa stratégie commerciale est alors immédiatement révélée à l'ensemble des concurrents, au travers des informations qu'ils reçoivent.
93 De ce qui précède, il résulte que les requérantes ne sont fondées à soutenir ni que l'accord d'échange d'informations litigieux serait de nature à intensifier la concurrence sur le marché, ni que la Commission n'aurait pas établi à suffisance de droit le caractère anticoncurrentiel de l'accord litigieux.A cet égard, la circonstance que la partie défenderesse ne serait pas en mesure d'établir l'existence d'un effet réel sur le marché, qui aurait pu notamment résulter de ce que la mise en œuvre de l'accord a été suspendue à compter du 24 novembre 1988, est sans influence sur la solution du litige, dès lors que l'article 85, paragraphe 1, du traité prohibe tant les effets anticoncurrentiels réels que les effets purement potentiels, pour peu que ceux-ci soient suffisamment sensibles, comme en l'espèce, compte tenu des caractéristiques du marché, telles que précédemment rappelées (voir, ci-dessus, point 52). Dans ces conditions, il n'est, en tout état de cause, pas nécessaire pour le Tribunal de trancher la question de savoir si c'est à juste titre que la Commission soutient que, lors de l'audition, plusieurs entreprises ont laissé entendre que la suspension de la mise en œuvre de l'accord avait sensiblement modifié leur capacité à prévoir l'évolution du marché. De plus, la Commission soutient à juste titre, aux points 55 et 56 de la Décision, que, au moins jusqu'au 1er septembre 1988, date à laquelle la SIL a cessé de renvoyer aux entreprises un exemplaire du formulaire V55/5, le système d'échange d'informations litigieux permettait de surveiller les importations parallèles de tracteurs agricoles au Royaume-Uni, au moyen de l'identification du numéro de châssis du véhicule, préalablement porté sur le formulaire par le constructeur. Enfin, l'analyse des effets anticoncurrentiels de l'accord n'est pas remise en cause par le contenu de la seconde notification, à laquelle il a été procédé le 12 mars 1990, dès lors que, comme il est soutenu au point 65 de la Décision et ainsi d' ailleurs qu'il ressort des informations figurant à l'annexe 2 du formulaire de notification, le nouveau système "continue de fournir des données mensuelles sur le volume des ventes et les parts de marché des membres et des concessionnaires, ainsi que des informations détaillées comme le numéro de châssis et la date d'immatriculation de chaque unité vendue. Ces deux derniers renseignements permettent, à l'instar du formulaire V55/5, d'identifier l'origine et la destination de tous les tracteurs".
94 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité doit être rejeté.
Sur le moyen tiré du caractère erroné du refus d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
95 Les requérantes soutiennent qu'elles ont fourni à la Commission des preuves détaillées des avantages de l'accord. Au point 60, la Décision reconnaîtrait que les membres utilisent les informations recueillies aux fins d'intensifier la concurrence, en particulier en vue d'une amélioration de la distribution des produits, sans toutefois pouvoir compenser les restrictions de concurrence qui résulteraient de l'accord. Elles ajoutent que la raison principale qui aurait conduit la Commission à adopter une attitude négative à l'égard de l'accord d'échange d'informations serait que celui-ci permettait de déceler immédiatement les actions des concurrents, ainsi que de surveiller les importations parallèles et les ventes des concessionnaires, en dehors de leur territoire. Or, le Data System n'offrirait pas à ses membres un tel pouvoir de contrôle, car il prévoirait le gel, pendant une période de trois mois, des données d'identification.
96 Les requérantes font encore valoir que, selon elles, le nouveau système justifie, en tout état de cause, une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, dès lors que les informations diffusées sur les ventes de leurs propres concessionnaires ne permettraient plus aux membres de l'accord d'identifier et de localiser les ventes effectuées par les concessionnaires en dehors de leur territoire. En outre, dans le Data System, la SIL ne transmettrait plus aux membres de l'accord les formulaires V55. L'information transmise serait désormais limitée au numéro de châssis du véhicule et à la date de son immatriculation.
97 La Commission soutient que l'argumentation des requérantes repose sur une interprétation erronée de la Décision. Elle conteste avoir accepté l'idée selon laquelle l'échange d'informations exercerait une influence positive sur la concurrence. Rien ne permettrait de conclure que l'appréciation de la Commission, qui a estimé que l'une des quatre conditions énoncées à l'article 85, paragraphe 3, n'est pas remplie, serait manifestement erronée. Dès lors, ce serait à juste titre qu'elle aurait rejeté la demande d'exemption. Cette appréciation ne serait pas remise en cause par la seconde notification, qui n'apporterait que des modifications mineures au système d'échange d'informations, de telle sorte que l'appréciation effectuée à l'occasion de la première notification demeurerait valable, dans le cadre de l'examen de la seconde notification.
98 Selon la Commission, lorsque la "voluntary statistical section" (partie statistique non obligatoire) du formulaire V55 est remplie, elle comporte le nom et l'adresse du titulaire de l'immatriculation. Dans le cadre du Data System, la SIL extrairait des formulaires V55, et transmettrait aux membres de l'accord, des informations détaillées concernant les numéros de châssis et la date d'immatriculation des tracteurs vendus. La Commission est d'avis que ces informations permettent aux membres de l'accord d'identifier l'origine et la destination de chaque tracteur vendu. De plus, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ces informations ne seraient pas indispensables pour l'examen des garanties ou des demandes de primes, ainsi qu'il ressortirait des points 59 à 65 de la Décision. En effet, l'examen des demandes de primes ou de garanties n'impliquerait nullement que les fabricants participent à un système d'échange d'informations avec les concurrents et chaque fabricant pourrait, à titre individuel, définir et appliquer une méthode appropriée de vérification de ces demandes.
Appréciation du Tribunal
99 A titre liminaire, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, les quatre conditions posées par l'article 85, paragraphe 3, pour qu'un accord régulièrement notifié à la Commission bénéficie d'une décision individuelle d'exemption, sont cumulatives, de telle sorte que si l'une d'entre elles fait défaut, la Commission peut légalement rejeter la demande dont elle est saisie. Le Tribunal rappelle, en outre, qu'il appartient, en premier lieu, aux entreprises qui notifient un accord en vue d'obtenir de la Commission une décision individuelle d'exemption de fournir à celle-ci les éléments de preuve de nature à établir que l'accord remplit les conditions posées par l'article 85, paragraphe 3, du traité (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19 ; arrêt du Tribunal du 9 juillet 1992, Publishers Association/Commission, T-66-89, Rec. p. II-1995). En l'espèce, la Décision retient que les restrictions de concurrence résultant de l'échange d'informations ne présentent pas un caractère indispensable, dès lors que "les données relatives à chaque société, d'une part, et celles relatives à l'ensemble du secteur, d'autre part, sont suffisantes pour opérer sur le marché des tracteurs agricoles" au Royaume-Uni. Cette constatation, effectuée au point 62 de la Décision à propos de la première notification, est, au point 65, reprise à propos de la seconde notification. Or, le Tribunal estime que c'est à juste titre que la Commission retient que les observations développées à l'égard de la première notification valent, mutatis mutandis, à l'égard de la seconde, dès lors que, ainsi qu'il a été précédemment rappelé, le Data System "continue de fournir des données mensuelles sur le volume des ventes et les parts de marché des membres et des concessionnaires". Comme il ressort de la réunion avec les parties organisée le 7 décembre 1993, la Commission a ainsi entendu soutenir qu'il n'est pas indispensable de disposer d'informations individualisant, selon une périodicité rapprochée, les ventes des concurrents pour atteindre les objectifs allégués. Les requérantes, qui se bornent à soutenir que les informations recueillies sont nécessaires pour assurer le service après-vente ou de garantie, n'établissent pas que les restrictions de concurrence résultant du système d'échange d'informations, telles qu'analysées précédemment (voir, ci-dessus, point 91), sont indispensables, notamment au regard des objectifs qu'elles allèguent. Il est clair, en effet, que le service après-vente ou de garantie peut être parfaitement assuré, en l'absence de tout système d'échange d'informations du type de celui en cause. Dès lors, le système d'échange d'informations, tel qu'il ressort tant de la première que de la seconde notification, en date du 12 mars 1990, ne satisfait pas aux conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité.
100 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que c'est à tort que la Commission a rejeté la demande individuelle d'exemption dont elle était saisie doit être écarté et que, par suite, le recours doit lui-même être rejeté.
Sur les dépens
101 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé en leurs conclusions, il y a lieu de les condamner à supporter solidairement les dépens de l'instance.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Les requérantes sont condamnées solidairement aux dépens.