TPICE, 2e ch., 27 octobre 1994, n° T-32/93
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ladbroke Racing Ltd
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cruz Vilaça
Juges :
MM. Briët, Kalogeropoulos, Barrington, Biancarelli
Avocats :
MM. Lever, Vajda, Kon
LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),
Faits et procédure
1 La requérante, Ladbroke Racing Limited (ci-après "Ladbroke"), est une société de droit anglais, contrôlée par Ladbroke Group plc, dont l'une des activités est la fourniture et l'organisation de services de paris sur les courses hippiques, activité qu'elle exerce par l'intermédiaire de succursales et de filiales au Royaume-Uni et dans d'autres pays de la Communauté européenne.
2 Le 24 novembre 1989, Ladbroke, agissant en son propre nom et au nom de ses filiales et associés en matière de prises de paris sur les courses de chevaux, a saisi la Commission d'une plainte dirigée contre : a) la République française ; b) les dix principales sociétés de courses en France, seules autorisées, selon la législation française en vigueur, à organiser des paris mutuels hors hippodrome sur les courses de chevaux, les autres sociétés de courses n'étant autorisées à prendre que des paris dans l'hippodrome sur les courses de chevaux qu'elles organisent, (article 4 de la loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux) ; c) le Pari mutuel urbain (ci-après "PMU"), groupement d'intérêt économique composé des dix principales sociétés de courses en France (article 21 du décret n° 83-878, du 4 octobre 1983, relatif aux sociétés de courses de chevaux et au pari mutuel), créé pour gérer, sous forme d'entreprise commune, les droits de ces sociétés à l'organisation de paris mutuels hors hippodrome et chargé, à titre exclusif, de la gestion des droits des principales sociétés de courses, selon le système imposé depuis 1974 par la législation française (article 13 du décret n° 74-954, du 14 novembre 1974, relatif aux sociétés de courses de chevaux). Cette exclusivité est protégée par l'interdiction, pour d'autres personnes que le PMU, d'engager ou de prendre des paris (article 8 de l'arrêté interministériel du 13 septembre 1985, portant règlement du Pari mutuel urbain) et s'étend aux paris pris hors de France sur les courses organisées en France, ainsi qu'aux paris pris en France sur des courses organisées à l'étranger, lesquels ne peuvent, également, être engagés que par les sociétés autorisées et/ou le PMU (article 15, paragraphe III, de la loi n° 64-1279 du 23 décembre 1964 portant loi de finances pour 1965, et article 21 du décret n° 83-878, du 4 octobre 1983, précité).
3 Dans la mesure où sa plainte était dirigée contre le PMU et ses sociétés membres, Ladbroke a demandé à la Commission, sur la base de l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), d'une part, de déclarer que certains accords passés par les sociétés susmentionnées entre elles et avec le PMU, ayant pour objet, en premier lieu, d'octroyer à ce dernier des droits exclusifs sur les paris hors hippodrome sur les courses organisées ou contrôlées par lesdites sociétés, en deuxième lieu, d'appuyer une demande d'aide d'État en faveur du PMU et, en troisième lieu, de permettre à ce dernier d'étendre ses activités à des États membres autres que la France, étaient interdits par l'article 85, paragraphe 1, du traité et, d'autre part, d'ordonner qu'il soit mis fin à cette infraction.
4 En outre, Ladbroke demandait à la Commission, d'une part, de déclarer que le comportement du PMU et des sociétés principales de courses en France, en ce qui concernait l'octroi au premier des droits exclusifs de prendre des paris hors hippodrome ainsi que l'obtention par lui d'une aide d'État illégale et l'utilisation des avantages procurés par cette aide pour affronter la concurrence, était, en raison d'une position dominante collective sur le marché concerné, interdit par l'article 86 du traité et, d'autre part, d'ordonner qu'il soit mis fin à cette infraction et que le PMU rembourse l'aide d'État illégale dont il avait bénéficié, majorée d'intérêts au taux du marché.
5 Enfin, Ladbroke a demandé à la Commission, au titre de l'article 90 du traité, d'adopter une décision sur la base du paragraphe 3 de cet article, afin de mettre fin à la violation par la République française : a) des articles 3, sous f), 5, 52, 53, 85, 86 et 90, paragraphe 1, du traité CEE, en raison de l'édiction et du maintien de la législation précitée (voir, ci-dessus, point 2), dans la mesure où cette législation conférerait une base légale aux accords entre les sociétés de courses elles-mêmes, d'une part, et avec le PMU, d'autre part, accordant à ce dernier des droits exclusifs en matière de prises de paris hors hippodrome et interdit à quiconque d'engager ou de prendre, par d'autres intermédiaires que le PMU, des paris hors hippodrome sur les courses organisées en France ; b) des articles 3, sous f), 52, 53, 56, 62, 85, 86 et 90, paragraphe 1, du traité CEE, en raison de l'édiction et du maintien de la législation précitée (voir, ci-dessus, point 2) interdisant d'engager en France des paris sur des courses organisées hors de France, autrement que par l'intermédiaire des sociétés autorisées et/ou du PMU ; et c) des articles 90, paragraphe 1, 92 et 93 du traité CEE, en raison d'aides illégales accordées au PMU, dont la restitution devrait être ordonnée par une décision de la Commission adoptée au titre de l'article 90, paragraphes 1 et 3.
6 S'agissant, toutefois, des aides que la République française aurait illégalement accordées au PMU, Ladbroke avait déjà introduit, le 7 avril 1989, une autre plainte qui a fait l'objet d'une procédure distincte devant la Commission, au titre des articles 92 à 94 du traité CEE et qui a abouti à l'adoption, par la Commission, de la décision 93-625-CEE, du 22 septembre 1993, concernant plusieurs aides accordées par les autorités françaises au Pari mutuel urbain (PMU) et aux sociétés de courses (JO L 300, p. 15).
7 Par lettre du 11 août 1992, Ladbroke a mis en demeure la Commission, conformément à l'article 175 du traité CEE, de prendre, dans un délai de deux mois, position sur sa plainte du 24 novembre 1989. Elle demandait, plus particulièrement, à la Commission de lui adresser une lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"), au cas où elle estimerait qu'il n'y a pas de motifs suffisants pour faire droit à la plainte dont elle a été saisie au titre des articles 85 et 86 du traité, ou bien une lettre similaire à celle prévue par l'article 6 du règlement n° 99-63, au cas où elle estimerait qu'il n'y a pas de motifs suffisants pour faire droit à sa plainte, dans la mesure où celle-ci est fondée sur l'article 90, paragraphe 3, du traité. Enfin, dans l'hypothèse où la Commission désirerait éviter de suivre la procédure prévue par l'article 6 du règlement n° 99-63, Ladbroke l'invitait à prendre position sur sa plainte, au titre des articles 85, 86 et 90, paragraphe 3, par voie de décision motivée et susceptible de recours, conformément à l'article 173 du traité CEE.
8 Par lettre du 12 octobre 1992, le directeur général adjoint de la Direction Générale de la Concurrence a informé Ladbroke que ses services continuaient d'examiner activement la plainte, mais que, en raison de la complexité et des caractéristiques spécifiques du secteur en question, cet examen nécessitait un temps considérable. Il ajoutait que la plaignante serait informée le plus tôt possible des résultats.
9 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 21 décembre 1992, Ladbroke a introduit, en vertu de l'article 175 du traité, un recours tendant à faire constater la carence de la Commission, après avoir introduit, le 18 décembre 1992, un recours identique devant le Tribunal. Ces recours en carence ont été enregistrés, respectivement, sous les n° C-424-92 et T-110-92.
10 Par lettre du 9 février 1993, la Commission a informé la requérante, conformément à l'article 6 du règlement n° 99-63, qu'elle n'envisageait pas de réserver une suite favorable à sa plainte, pour autant qu'elle était fondée sur les articles 85 et 86 du traité et sur le règlement n° 17. Par la suite, elle a adopté une décision rejetant définitivement la plainte de Ladbroke au titre de ces dispositions. A l'encontre de cette décision, qui lui a été notifiée par lettre datée du 29 juillet 1993, Ladbroke a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 octobre 1993, introduit un recours en annulation, en vertu de l'article 173 du traité, enregistré sous le n° T-548-93.
11 Par acte déposé au greffe de la Cour le 10 février 1993, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité, dans laquelle elle demandait à la Cour, d'une part, de se dessaisir en faveur du Tribunal, pour autant que le recours tendait à faire constater une carence de sa part au titre des règlements n° 17 et n° 99-63 et, d'autre part, de rejeter le recours comme irrecevable pour autant qu'il visait à faire constater une carence de sa part au titre de l'article 90 du traité.
12 Par ordonnance du 3 mai 1993, la Cour a renvoyé l'affaire C-424-92 devant le Tribunal, au motif que le recours relevait de la compétence de ce dernier. A la suite de ce renvoi et de l'enregistrement de l'affaire au greffe du Tribunal sous le n° T-32-93, Ladbroke, par lettre déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 1993, a déclaré se désister de son recours dans l'affaire T-110-92, qui a été radiée du registre du Tribunal, par ordonnance du président du 1er juillet 1993.
13 Par ordonnance du 14 juin 1993, le président de la deuxième chambre du Tribunal a fait droit à la demande présentée devant la Cour, le 19 avril 1993, par la République française d'être admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
14 Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 6 septembre 1993, la République française a présenté son mémoire en intervention, au soutien des conclusions de la Commission, tendant à l'irrecevabilité du recours. Le 7 octobre 1993, la requérante a présenté ses observations sur le mémoire en intervention.
15 Invitées par le Tribunal à prendre position sur la suite de la procédure, les parties, d'une part, ont admis que le présent recours est devenu sans objet pour autant qu'il vise à la constatation d'une carence de la Commission au titre des articles 85 et 86 du traité, après l'envoi par la Commission à la requérante, le 9 février 1993, d'une lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 et la notification à la requérante, par lettre datée du 29 juillet 1993, d'une décision rejetant la plainte, en tant qu'elle est fondée sur ces dispositions, et, d'autre part, que ce recours conserve son objet, pour autant qu'il vise à la constatation d'une carence de la Commission au titre de l'article 90 du traité.
16 Le Tribunal (deuxième chambre), sur rapport du juge rapporteur, a décidé, conformément à l'article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, d'ouvrir la procédure orale sur la recevabilité du recours, pour autant qu'il est fondé sur l'article 90 du traité, sans procéder à des mesures d'instruction préalables.
17 A l'audience du 13 avril 1994, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal.
Conclusions des parties sur la recevabilité du recours
18 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours comme irrecevable pour autant qu'il concerne l'article 90 du traité ;
- condamner la requérante aux dépens de l'instance.
19 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- déclarer le recours recevable pour autant qu'il concerne l'article 90 du traité ;
- condamner la Commission à rembourser les dépens afférents à l'exception d'irrecevabilité.
20 La partie intervenante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal de faire droit à l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission.
Sur l'objet du recours, pour autant qu'il vise à la constatation d'une carence au titre des articles 85 et 86 du traité
21 Le Tribunal relève que, postérieurement à l'introduction du recours, le 21 décembre 1992, la Commission a envoyé à la requérante une lettre, en date du 9 février 1993, au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, l'informant de son intention de rejeter sa plainte, pour autant qu'elle était fondée sur les articles 85 et 86 du traité, et que, le 29 juillet 1993, elle lui a notifié une décision définitive en ce sens. La Commission, qui a ainsi rejeté définitivement cette partie de la plainte de la requérante, après l'envoi de la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63, ne peut donc, en tout état de cause, être regardée comme s'étant abstenue de statuer à cet égard.
22 Dans ces conditions et ainsi qu'il est, par ailleurs, constant entre les parties, la Commission doit être considérée comme ayant, postérieurement à l'introduction du présent recours, pris position, au sens de l'article 175 du traité (voir arrêt de la Cour du 18 octobre 1979, GEMA/Commission, 125-78, Rec. p. 3173), conformément à la demande et à la mise en demeure que la requérante lui avait adressées le 24 décembre 1989 et le 11 août 1992. Il en résulte que, à compter du 9 février 1993, et, en tout état de cause, à la suite de la décision du 29 juillet 1993, le recours est devenu sans objet, pour autant qu'il concerne les articles 85 et 86 du traité en combinaison avec les dispositions des règlements n° 17 et n° 99-63. Par suite, il n'y a pas lieu, pour le Tribunal, de statuer à cet égard (voir l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Asia Motor France e.a./Commission, T-28-90, Rec. p. II-2285).
Sur la recevabilité du recours, pour autant qu'il vise à la constatation d'une carence au titre de l'article 90 du traité
Résumé des moyens et principaux arguments des parties
23 La Commission soutient que, étant donné que les particuliers ne sont pas recevables à introduire un recours en carence, lorsqu'elle s'abstient d'engager contre les États membres une procédure au titre de l'article 169 du traité CEE (arrêts de la Cour du 14 février 1989, Star Fruit/Commission, 247-87, Rec. p. 291, et du 17 mai 1990, Sonito e.a./Commission, C-87-89, Rec. p. I-1981 ; ordonnance de la Cour du 23 mai 1990, Asia Motor France/Commission, C-72-90, Rec. p. I-2181), ils doivent être également déclarés irrecevables à introduire un tel recours lorsqu'elle s'abstient d'agir à l'égard des États membres au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité. En outre, selon la Commission, un acte adopté au titre de cette disposition du traité a comme destinataire un État membre et, par ailleurs, ne peut concerner directement et individuellement des particuliers, de telle façon que ces derniers devraient, pour cette raison également, être déclarés irrecevables à intenter à son encontre un recours en carence.
24 La Commission considère que cette solution n'a pas pour effet de priver les particuliers de toute voie de recours, étant donné qu'ils disposent toujours de la possibilité d'invoquer l'article 90 du traité devant les juridictions nationales (arrêt de la Cour du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C-179-90, Rec. p. I-5889, point 23).
25 La partie intervenante souligne que les règlements n° 17 et n° 99-63, adoptés sur le fondement de l'article 87 du traité CEE, concernent uniquement les décisions adoptées en application des articles 85 et 86, et non pas les actes adoptés sur la base de l'article 90, paragraphe 3, du traité. Il en résulterait que la requérante, bien qu'en droit d'attendre une certaine réponse à sa demande, n'est pas fondée à exiger que lui soit adressée, au titre de l'article 90 du traité, une lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 ou une lettre comparable à celle-ci.
26 En outre, la partie intervenante souligne qu'en réalité la requérante ne se plaint pas de ce que la Commission ne lui a pas adressé une lettre comparable à celle prévue à l'article 6 du règlement n° 99-63, mais, plutôt, de ce que la Commission s'est abstenue d'adopter une décision à l'égard d'un État membre, en application de l'article 90 du traité, ce pour quoi elle dispose, d'ailleurs, d'un pouvoir discrétionnaire similaire à celui dont elle dispose dans le cadre de l'article 169 du traité. Par conséquent, étant donné que les décisions prises au titre de l'article 90, paragraphe 3, ont pour seuls destinataires les États membres et qu'un recours en carence n'est recevable que s'il émane du destinataire potentiel d'un acte juridique (ordonnance du Tribunal du 23 janvier 1991, Prodifarma/Commission, T-3-90, Rec. p. II-1, point 35), la requérante, qui n'a pas cette qualité de destinataire potentiel, ne serait, en tout état de cause, pas recevable à agir au titre de l'article 175, troisième alinéa, du traité.
27 La requérante soutient, en premier lieu, que l'abstention de la Commission de mettre en œuvre les pouvoirs qu'elle détient au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité doit être soumise à un contrôle juridictionnel, sous la forme d'un recours en carence pouvant être introduit par des particuliers.
28 A cet égard, elle souligne que l'article 90, paragraphe 3, du traité fait partie des règles de concurrence applicables aux entreprises, ainsi qu'il ressort de l'arrêt de la Cour du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission (C-48-90 et C-66-90, Rec. p. I-565, point 22), selon lequel cette disposition doit être replacée dans le cadre de l'article 90 dans son ensemble et de la mission conférée à la Commission par les articles 85 à 93 du traité. Les décisions adoptées sur la base de l'article 90, paragraphe 3, bien qu'adressées formellement à un État membre, auraient donc pour objet d'assurer le respect d'une certaine égalité, du point de vue des conditions de concurrence, entre le régime juridique auquel sont soumises les entreprises visées à cet article et le régime applicable aux autres entreprises. Par conséquent, une demande adressée à la Commission, tendant à ce qu'il soit mis fin à une violation de l'article 90, paragraphe 1, du traité, devrait être assimilée à une demande tendant à ce qu'il soit mis fin à la violation des règles de concurrence applicables aux entreprises, de telle sorte que son traitement par la Commission devrait être soumis au même contrôle juridictionnel que celui prévu dans le cadre des décisions d'application des articles 85 et 86 du traité.
29 En outre, la requérante souligne que les prérogatives dont la Commission dispose, en vertu de l'article 90, paragraphe 3, du traité, sont différentes de celles qui sont les siennes dans le cadre de l'article 169. L'article 90, paragraphe 3, ainsi qu'il ressortirait du reste de son libellé, donnerait à la Commission le pouvoir de prendre des mesures contraignantes (arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité, point 25), comme en matière de concurrence, tandis que l'article 169 ne lui conférerait que le pouvoir d'émettre des avis motivés et d'engager des recours contre les États membres (arrêt de la Cour du 1er mars 1966, Luetticke e.a./Commission, 48-65, Rec. p. 27, 39). L'existence d'un tel pouvoir de décision dans le chef de la Commission, au titre de l'article 90 du traité, aurait comme conséquence que celle-ci devrait être soumise à un contrôle juridictionnel au cas où elle reste inactive, du moment qu'elle est soumise à un tel contrôle, au titre de l'article 173 du traité, quand elle adopte une décision qui ne répond pas totalement aux griefs d'une plainte introduite devant elle (arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169-84, Rec. p. 391) ou qui porte refus d'agir (arrêts de la Cour du 4 octobre 1983, FEDIOL/Commission, 191-82, Rec. p. 2913, et du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142-84 et 156-84, Rec. p. 4487).
30 Enfin, la requérante fait observer que le fait que l'article 90 du traité peut être invoqué devant les juridictions nationales n'implique pas que la Commission n'est pas tenue de traiter une plainte fondée sur cette disposition, dans la mesure où les règles de concurrence applicables aux entreprises sont aussi d'effet direct, sans que cela ait pour effet d'exclure l'obligation de la Commission de traiter les plaintes invoquant leur violation, lorsqu'elles émanent de personnes ayant un intérêt légitime (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24-90, Rec. p. II-2223).
31 En second lieu, s'agissant de son intérêt à agir, la requérante, tout en reconnaissant qu'elle ne peut être le destinataire formel d'un acte adopté sur la base de l'article 90, paragraphe 3, du traité, rappelle que la Commission est pourtant soumise à un contrôle juridictionnel pour ce qui est de son traitement des plaintes émanant de tiers affectés, dans leur position concurrentielle, par une violation des règles du traité relatives à la concurrence.
32 En outre, la requérante soutient qu'elle serait directement et individuellement concernée par une décision qui serait adressée à la République française, au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité, compte tenu, d'une part, de sa qualité de concurrent direct du PMU dans un certain nombre de zones hors de France et, d'autre part, du fait qu'elle souhaite le concurrencer également en France. Elle rappelle que, de toute façon, elle serait recevable à agir, au titre de l'article 173 du traité, si la Commission adoptait une décision inappropriée ou entachée d'un vice, compte tenu de l'affectation substantielle de sa situation concurrentielle résultant du comportement du gouvernement concerné (arrêt Cofaz e.a./Commission, précité), ou si la Commission l'informait de sa décision de ne pas agir (arrêts FEDIOL/Commission et BAT et Reynolds/Commission, précités).
33 Enfin, la requérante souligne que, dans la présente affaire, elle a, entre autres, mis en demeure la Commission soit d'adopter une décision rejetant sa plainte, soit de lui adresser une lettre similaire à celle prévue par l'article 6 du règlement n° 99-63. Il en résulterait qu'elle doit être considérée comme destinataire potentiel d'un acte juridique et qu'elle était en droit de s'attendre à une réponse à sa plainte de la part de la Commission.
Appréciation du Tribunal
34 Fondé sur l'article 175, troisième alinéa, du traité, le présent recours a pour objet de faire constater que la Commission a omis, en violation du traité, de prendre position, soit par décision motivée, susceptible de recours au titre de l'article 173 du traité, soit par une lettre similaire à celle prévue par l'article 6 du règlement n° 99-63, sur la plainte de la requérante du 24 novembre 1989, l'invitant à adopter, à l'encontre de la République française, une décision fondée sur l'article 90, paragraphe 3, du traité .
35 Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que le recours en carence ouvert par l'article 175 du traité est subordonné à l'existence d'une obligation d'agir pesant sur l'institution concernée, de telle façon que l'abstention alléguée soit contraire au traité.Il y a donc lieu d'examiner quelles sont les obligations de la Commission au titre de l'article 90 du traité, tel qu'il a été interprété par la Cour (voir l'arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité), notamment au titre de son paragraphe 3.
36 A cet égard, il convient de constater que l'article 90, paragraphe 3, du traité confère à la Commission la mission de veiller au respect, par les États membres, des obligations qui s'imposent à eux, en ce qui concerne les entreprises visées à l'article 90, paragraphe 1, et l'investit expressément du pouvoir d'intervenir, en tant que de besoin, à cet effet, dans les conditions et par les instruments juridiques qui y sont prévus.
37 Ainsi qu'il ressort des dispositions du paragraphe 3 de l'article 90 et de l'économie de l'ensemble des dispositions de cet article, le pouvoir de surveillance dont dispose la Commission à l'égard des États membres responsables d'une atteinte portée aux règles du traité, notamment à celles relatives à la concurrence (arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité, point 32), implique nécessairement la mise en œuvre d'un large pouvoir d'appréciation de la part de cette institution. Ce pouvoir d'appréciation est d'autant plus large, en ce qui concerne notamment le respect des règles de concurrence par les États membres, que, d'une part, la Commission est, selon le paragraphe 2 de l'article 90, invitée, dans l'exercice de ce pouvoir, à tenir compte des exigences inhérentes à la mission particulière des entreprises concernées et que, d'autre part, les autorités des États membres, de leur côté, peuvent disposer, dans certains cas, d'un pouvoir d'appréciation tout aussi large pour réglementer certaines matières, tel le marché des jeux sur lequel opère la requérante, afin de déterminer les exigences que comporte la protection des joueurs et de l'ordre social, compte tenu des particularités socio-culturelles de chaque État membre, ainsi que la Cour l'a récemment reconnu dans son arrêt du 24 mars 1994, Schindler (C-275-92, Rec. p. I-1039, point 61).
38 Par conséquent, l'exercice du pouvoir d'appréciation de la compatibilité des mesures étatiques avec les règles du traité, conféré par l'article 90, paragraphe 3, du traité, n'est pas assorti d'une obligation d'intervention de la part de la Commission, susceptible d'être invoquée aux fins de faire constater une carence éventuelle de celle-ci.
39 La requérante n'est donc pas recevable à soutenir que, en ayant omis d'adopter à l'égard de la République française une décision au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité, ainsi qu'elle y a été invitée par sa demande du 24 novembre 1989 et par sa mise en demeure du 11 août 1992, la Commission s'est abstenue, en violation du traité, de prendre position et que cette abstention constitue ainsi une abstention d'agir au sens de l'article 175.
40 Par ailleurs et à supposer même que la Commission ait été tenue d'adopter à l'égard de la République française un acte au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité, cet acte ne serait adressé qu'à cet État membre. La requérante ne saurait donc prétendre qu'elle se trouve dans la situation précise du destinataire potentiel d'un acte juridique que la Commission serait obligée de prendre à son égard, comme l'exige l'article 175, paragraphe 3, du traité (voir l'arrêt de la Cour du 10 juin 1982, Lord Bethell/Commission, 246-81, Rec. p. 2277, 2291, et l'ordonnance de la Cour du 30 mars 1990, Emrich/Commission, C-371-89, Rec. p. I-1555, points 5 et 6, de même que les ordonnances Asia Motor France/Commission, précitée, points 10 à 12, et Prodifarma/Commission, précitée, points 35 à 37).
41 La requérante ne saurait, non plus, prétendre qu'elle serait directement et individuellement concernée par l'acte que la Commission a prétendument omis d'adopter. A cet égard, il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que les tiers qui, par hypothèse, n'ont pas la qualité de destinataire d'une décision, ne peuvent être considérés comme étant concernés individuellement par cette décision que si celle-ci les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle de son destinataire(voir, notamment, les arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197, du 14 juillet 1983, Spijker/Commission, 231-82, Rec. p. 2559, et du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219). Il convient de rappeler, ensuite, que la seule circonstance qu'un acte est susceptible d'exercer une influence sur les rapports de concurrence existants sur un marché ne saurait suffire pour que tout opérateur économique sur ce marché puisse être considéré comme directement et individuellement concerné par cet acte, en l'absence de circonstances spécifiques lui permettant de prétendre que celui-ci se répercute sur sa position d'opérateur économique (arrêt de la Cour du 10 décembre 1969, Eridania e.a./Commission, 10-68 et 18-68, Rec. p. 459 ; arrêts du Tribunal du 28 octobre 1993, Zunis Holding e.a./Commission, T-83-92, Rec. p. II-1169, point 34, et du 24 mars 1994, Air France/Commission, T-3-93, Rec. p. II-121, point 82).
42 Or, afin de démontrer qu'elle serait individuellement concernée par l'acte que la Commission a prétendument omis d'adopter, la requérante n'invoque que sa seule qualité d'opérateur économique se trouvant en concurrence directe avec le PMU dans un certain nombre de zones hors de France et souhaitant également le concurrencer en France. Par conséquent, l'acte que la Commission a prétendument omis d'adopter au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité ne pourrait concerner la requérante qu'en sa seule qualité d'opérateur sur le marché des prises de paris sur les courses de chevaux, au même titre que tout autre opérateur se trouvant dans la même situation, ce qui, au vu de la jurisprudence précitée, n'est pas de nature à lui permettre de soutenir que cet acte, une fois adopté, la concernerait individuellement.
43 Il convient, enfin, d'ajouter que la requérante n'est pas davantage fondée à prétendre être suffisamment individualisée, par rapport aux autres opérateurs présents sur le marché en cause, aux motifs, en premier lieu, qu'elle a demandé à la Commission d'adopter l'acte dont l'omission est alléguée et, en deuxième lieu, qu'elle a pu participer à la procédure de l'examen mené, dans cette affaire, par la Commission, en application de l'article 90 du traité, et, en troisième lieu, qu'elle serait recevable à exiger que la Commission prenne position sur sa demande, sinon par une décision susceptible de recours, du moins par une lettre comparable à celle visée à l'article 6 du règlement n° 99-63. En effet, d'une part, faute pour les règlements n° 17 et n° 99-63, ou toute autre disposition similaire, de trouver application dans le cadre de la mise en œuvre des pouvoirs que la Commission tient des dispositions de l'article 90, un opérateur économique ne saurait prétendre aux droits procéduraux accordés aux intéressés par ces règlements. D'autre part, il résulte de la jurisprudence de la Cour que la seule participation à une enquête, effectuée par la Commission, n'est pas nécessairement de nature à rendre un intéressé recevable à attaquer la décision adoptée à la suite de cette enquête, dès lors que cette décision, elle-même, par sa nature et par ses effets, ne le concerne pas individuellement (voir les ordonnances de la Cour du 8 juillet 1987, Sermes/Commission, 279-86, Rec. p. 3109, point 19, et Pedersen/Commission, 301-86, Rec. p. 3123).
44 Enfin, et en tout état de cause, la requérante n'est pas recevable à exiger une intervention de la Commission, au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité, dans la mesure où il revient à cette dernière d'apprécier, au vu des formes diverses des entreprises publiques dans les différents États membres et de la diversité et de la complexité de leurs relations avec les pouvoirs publics(arrêt de la Cour du 6 juillet 1982, France, Italie et Royaume-Uni/Commission, 188-80, 189-80 et 190-80, Rec. p. 2545), s'il convient d'intervenir non pas par voie de décisions adressées à un ou plusieurs États membres, mais par la voie de directives. A travers ces dernières, la Commission peut, en effet, édicter des règles générales, afin de préciser les obligations résultant du traité et s'imposant aux États membres en ce qui concerne les entreprises visées au paragraphe 1 de cet article(voir les arrêts de la Cour du 19 mars 1991, dit "Télécom", France/Commission, C-202-88, Rec. p. I-1223, et Pays-Bas e.a./Commission, précité, point 26) et de déterminer des critères communs pour tous les États membres, ainsi que pour toutes les entreprises en cause (arrêt Télécom, précité). De telles règles peuvent être édictées sur la base des éléments dont dispose la Commission, entre autres, par le moyen d'études des marchés concernés, comme en l'espèce où il est constant entre les parties que la Commission a mené, en 1990-1992, une étude des législations nationales régissant le marché des jeux.
45 Par conséquent, les particuliers ne peuvent pas mettre en demeure la Commission d'agir au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité, dans la mesure où une telle intervention peut se traduire, selon le cas, par l'adoption d'une décision ou par celle d'une directive, acte normatif de portée générale adressé aux États membres et dont les particuliers ne peuvent pas exiger l'adoption(arrêts de la Cour du 15 janvier 1974, Holtz et Willemsen/Conseil, 134-73, Rec. p. 1, du 28 mars 1979, Granaria/Conseil et Commission, 90-78, Rec. p. 1081, et du 26 avril 1988, Asteris e.a. et Grèce/Commission, 97-86, 193-86, 99-86 et 215-86, Rec. p. 2181 ; ordonnance de la Cour du 11 juillet 1979, Producteurs de vins de table et de vins de pays/Commission, 60-79, Rec. p. 2429).
46 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté comme irrecevable, en tant qu'il est fondé sur l'article 90 du traité.
Sur les dépens
47 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Aux termes du paragraphe 6 du même article, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens.
48 La requérante ayant succombé en ses conclusions et moyens concernant la recevabilité du recours, pour autant qu'il vise à la constatation d'une carence au titre de l'article 90 du traité, et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.
49 Toutefois, pour autant que le recours vise à la constatation d'une carence au titre des articles 85 et 86 du traité en combinaison avec les dispositions des règlements n° 17 et n° 99-63, conclusions au sujet desquelles le Tribunal a constaté qu'il n'y avait pas lieu à statuer, il convient de rappeler que le litige n'a perdu son objet qu'en raison de la prise de position tardive de la Commission sur la plainte de la requérante, postérieurement à l'introduction du recours.
50 Par suite, en l'espèce, le Tribunal estime qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que chaque partie supportera ses propres dépens.
51 Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, la partie intervenante supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre),
déclare et arrête :
1) Il n'y a pas lieu de statuer sur le recours, dans la mesure où il vise à faire constater une carence de la Commission en ce qu'elle aurait omis de prendre position sur la plainte dont l'avait saisie la requérante, pour violation des dispositions des articles 85 et 86 du traité CEE, en combinaison avec celles des règlements n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité, et n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil.
2) Le recours est rejeté comme irrecevable pour le surplus.
3) Chaque partie supportera ses propres dépens.
4) La partie intervenante supportera ses propres dépens.