CCE, 14 octobre 1994, n° 94-735
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Akzo Chemicals BV
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment ses articles 14 et 15, après avoir donné à l'entreprise intéressée, conformément aux dispositions de l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (2), l'occasion de faire connaître son point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit :
I. LES FAITS
(1) Par voie de décision du 22 septembre 1993 prise en application de l'article 14 paragraphe 3 du règlement n° 17, la Commission a ordonné à Akzo Chemicals BV de se soumettre à une vérification portant sur ses activités sur certains marchés du sel.
(2) Les articles de la décision du 22 septembre 1993 sont libellés comme suit :
"Article premier
Akzo Chemicals BV et... sont tenues de se soumettre à une vérification portant sur...
Akzo Chemicals BV et... doivent permettre aux agents de la Commission mandatés pour effectuer la vérification ainsi qu'aux fonctionnaires de l'Etat membre qui les assistent dans cette tâche, d'accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport pendant les heures de bureau normales. Ils doivent leur soumettre les livres et autres documents professionnels que ceux-ci demandent aux fins du contrôle et leur permettre de les contrôler sur place et d'en prendre copie ou extrait. Ils doivent en outre fournir immédiatement à ces agents et fonctionnaires toutes les explications orales qu'ils demandent en rapport avec l'objet de la vérification.
Article 2
Ces vérifications commencent le 6 octobre 1993.
Article 3
... et Akzo Chemicals BV, établies à NL-3818 Amersfoort, Stationsplein 4, et à NL-7554 RS Hengelo OV, Boortorenweg 20, sont destinataires de la présente décision.
Cette décision est signifiée à toute entreprise qui en est destinataire par la remise d'une copie certifiée conforme de celle-ci juste avant le début de la vérification, par les agents mandatés à cet effet par la Commission."
(3) Le 6 octobre 1993, peu après 9 h 30, les agents de la Commission mandatés à cet effet ont signifié ladite décision à Akzo Chemicals BV en en remettant des copies certifiées conformes simultanément au siège statutaire de Amersfoort et dans les bureaux de la succursale de Hengelo.
(4) Les agents de la Commission chargés de la vérification ont commencé à effectuer celle-ci immédiatement après la communication de la décision à Amersfoort et à Hengelo. L'entreprise n'avait pas été prévenue de cette vérification, afin de ménager l'effet de surprise devant garantir l'efficacité de l'opération.
(5) Peu après le début de la vérification dans les bureaux de la succursale d'Akzo Chemicals BV à Hengelo, les agents de la Commission ont pris connaissance d'un organigramme (Organization Chart). Ce document révélait l'existence à Arnhem d'une "direction de groupe" (Group Management) du "groupe chimique" (Chemicals Group) Akzo dont la "Business Unit Salt/West Europe" fait partie. Les agents de la Commission qui effectuaient la vérification à Hengelo y ont terminé leurs travaux vers 10 heures pour poursuivre la vérification à Arnhem.
(6) Le 6 octobre 1993 à 11 h 30, ils ont remis dans les bureaux du groupe Akzo à Arnhem une copie certifiée conforme de la décision du 22 septembre 1993 à M. Vogelaar qui, d'après l'organigramme précité, est membre de la "direction de groupe" du "groupe chimique" Akzo. M. Vogelaar était assisté de deux membres du service juridique d'Akzo NV. Les agents de la Commission ont demandé aux représentants du groupe Akzo de leur donner accès au bureau de M. Kent, qui figure également dans cet organigramme comme membre de la "direction de groupe" du groupe chimique Akzo, responsable des services commerciaux, afin d'effectuer la vérification. Cette demande a été rejetée, les intéressés déclarant à cet égard : "le mandat de vérification ne s'étend pas à une enquête en vertu de la décision... (de la Commission du 22 septembre 1993) auprès d'Akzo NV à Arnhem où cette demande a été faite". A la suite de ce refus, les agents de la Commission ont demandé s'il y avait des bureaux d'Akzo Chemicals NV à Arnhem. En réponse à cette question générale, l'un des deux membres du service juridique d'Akzo NV a déclaré "qu'il n'y avait pas de bureaux d'Akzo Chemicals BV à Arnhem". Cette déclaration, dont il a été dressé procès-verbal, a été faite en présence de M. Vogelaar, dont il s'est révélé par la suite qu'il était directeur statutaire d'Akzo Chemicals BV. Se fondant sur cette information, les inspecteurs ont renoncé à ce moment-là à demander l'accès à d'autres locaux à Arnhem, et notamment au bureau de M. Vogelaar lui-même.
(7) Les agents de la Commission ont ensuite quitté Arnhem pour rejoindre leurs collègues qui effectuaient la vérification dans les locaux commerciaux d'Akzo Chemicals BV à Amersfoort.
(8) Le lendemain, l'enquête s'est poursuivie à Amersfoort. Des représentants d'Akzo Chemicals BV ont fait savoir aux inspecteurs que M. Vogelaar était directeur statutaire de cette société. A la lumière de cette information, les inspecteurs ont demandé de pouvoir accéder au bureau de M. Vogelaar afin d'effectuer la vérification. Ils se sont adressés à cet effet à Amersfoort, à M. Bierman, "général Manager Business Unit Salt / West Europe" et fondé de pouvoir d'Akzo Chemicals BV, et à ce titre, le représentant le plus haut placé de l'entreprise présent sur les lieux. M. Bierman n'a pas donné suite à cette demande ; il a déclaré ce qui suit : "Je ne peux pas vous donner accès au bureau de M. Vogelaar. M. Vogelaar n'a pas de bureau à Amersfoort."
(9) La vérification à Amersfoort s'est terminée le jour même.
(10) Par décision du 15 octobre 1993, la Commission a infligé à Akzo Chemicals BV une astreinte pour contraindre cette entreprise à se soumettre à la vérification qu'elle avait ordonnée par décision du 22 septembre 1993 et à laisser celle-ci s'opérer dans les bureaux de son dirigeant. Le 19 octobre 1993, les agents de la Commission chargés de poursuivre la vérification ont signifié à Akzo Chemicals BV la décision infligeant l'astreinte. Une copie certifiée conforme de cette décision a été remise à son siège statutaire d'Amersfoort à M. Oosterholt, membre du service juridique de cette entreprise. Les agents de la Commission ont demandé à M. Oosterholt de leur donner accès au bureau de M. Vogelaar, dirigeant de Akzo Chemicals BV, afin d'effectuer la vérification. M. Oosterholt a d'abord confirmé que M. Vogelaar n'avait pas de bureau à Amersfoort, mais a déclaré aussi qu'il veillerait à ce que la vérification puisse être effectuée dans le bureau de M. Vogelaar. Il a indiqué que ce bureau était situé à Arnhem. Les agents de la Commission se sont alors rendus dans cette ville où ils ont pu accéder au bureau de M. Vogelaar, les représentants de l'entreprise émettant toutefois des protestations expresses et réservant tous ses droits.
(11) Les agents de la Commission ont effectué la vérification au bureau de M. Vogelaar le même jour. Dans la suite de la présente procédure, Akzo Chemicals BV a souligné que les membres indiqués de la "direction de groupe", à savoir MM. Kent et Vogelaar, exerçaient leurs activités au service d'Akzo Nederland BV pour les besoins respectivement l'assistance du conseil d'administration d'Akzo NV. Les inspecteurs ont également eu accès, bien qu'en soulevant des protestations, au bureau de M. Kent. Le 20 octobre 1994, les inspecteurs ont eu un entretien avec le membre du conseil d'administration d'Akzo NV responsable du "groupe chimique", au cours duquel celui-ci a expliqué la nouvelle structure d'organisation du groupe Akzo.
II. APPRÉCIATION JURIDIQUE
1. L'article 14 du règlement n° 17
(12) Aux termes de l'article 14 du règlement n° 17, dans l'accomplissement des tâches qui lui sont assignées par l'article 89 et par les prescriptions arrêtées en vertu de l'article 87 du traité, la Commission peut procéder à toutes les vérifications nécessaires auprès des entreprises. A cet effet, les agents mandatés par la Commission sont investis des pouvoirs ci-après :
a) contrôler les livres et autres documents professionnels ;
b) prendre copie ou extrait des livres et documents professionnels ;
c) demander sur place des explications orales ;
d) accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises.
(13) Aux termes de l'article 14 paragraphe 3 du règlement n° 17, les entreprises sont tenues de se soumettre aux vérifications que la Commission a ordonnées par voie de décision.
(14) Akzo Chemicals BV ne s'est pas soumise à la vérification que la Commission a ordonnée par sa décision du 22 septembre 1993 susmentionnée, parce que :
a) le 6 octobre 1993, cette entreprise a fourni un renseignement oral inexact selon lequel il n'y avait pas de bureau d'Akzo Chemicals BV à Arnhem (voir considérant 6) ;
b) le 7 octobre 1993, elle n'a pas donné suite à la demande qui lui était faite de donner accès au bureau de M. Vogelaar aux fins de la vérification (voir considérant 8).
(15) Akzo Chemicals BV déclare que, dans sa décision du 22 septembre 1993, la Commission a limité la vérification à son siège statutaire d'Amersfoort et à sa succursale de Hengelo. Cette entreprise considère que cette limitation découle de l'article 3 de la décision qui ne mentionne que les établissements d'Amersfoort et de Hengelo.
(16) Cet argument d'Akzo Chemicals BV est dénué de tout fondement. La structure des articles de la décision du 22 septembre 1993 fait apparaître que la portée de la vérification et donc l'obligation de collaborer qui est faite à l'entreprise en cause sont déterminées par l'article 1er de cette décision. La portée de la vérification n'est pas limitée sur le plan géographique ; en particulier, la Commission a décidé qu'Akzo Chemicals BV devait permettre aux agents de la Commission d'accéder à tous ses locaux, terrains et moyens de transport. L'article 3 de la décision du 22 septembre 1993 indique, du reste, pour qui elle est obligatoire dans tous ses éléments, conformément à l'article 189 quatrième alinéa du traité. La décision du 22 septembre 1993 est expressément adressée à Akzo Chemicals BV. Si, dans ce contexte, ce sont tant le siège statutaire d'Akzo Chemicals BV d'Amersfoort que sa succursale de Hengelo qui sont mentionnés, c'est uniquement dans le but de désigner de la manière la plus précise possible l'entreprise destinataire de la décision.
(17) Bien que la Commission s'efforce, dans l'intérêt des droits de la défense des entreprises en cause, d'indiquer le plus exactement possible l'objet et le lieu de la vérification, le règlement n° 17 ne l'oblige pas à préciser dans la décision elle-même où elle va l'effectuer. Cette disposition s'explique, en particulier, dans le cas des grandes entreprises présentant une structure d'organisation complexe, où il est bien souvent impossible de vérifier à l'avance où se trouvent tous les locaux qui méritent d'être vérifiés. A cet égard, les inspecteurs de la Commission sont tributaires de la collaboration et des indications de l'entreprise en cause. Il reste toutefois loisible à la Commission de limiter la portée d'une vérification sur le plan géographique. Une telle limitation aurait dû se trouver à l'article 1er de la décision ; or, elle n'y figure manifestement pas dans le cas d'espèce.
(18) Akzo Chemicals BV affirme en outre que les bureaux de son dirigeant situés à Arnhem appartiennent à Akzo NV. L'entreprise considère qu'il en découle que :
a) le renseignement fourni oralement le 6 octobre 1993 selon lequel il n'y a pas de bureau d'Akzo Chemicals BV à Arnhem est exact ;
b) elle n'a pu donner accès au bureau de son dirigeant statutaire le 7 octobre 1993 parce que ce bureau appartient à une autre entreprise (Akzo NV).
(19) Akzo Chemicals BV ne précise pas le motif pour lequel elle considère que le bureau de M. Vogelaar "appartient" à Akzo NV (propriété, location). D'après la Commission, cette conception ne peut être retenue. Les bureaux sont des "locaux de l'entreprise" au sens de l'article 14 paragraphe 1 point d) du règlement n° 17 à partir du moment où ses activités y sont exercées. Il ne fait aucun doute que la fonction de dirigeant statutaire appartient à l'activité d'une entreprise. Par conséquent, le bureau de M. Vogelaar situé à Arnhem fait partie des locaux d'Akzo Chemicals BV dans lesquels les agents de la Commission étaient habilités à pénétrer afin d'effectuer la vérification, quels que soient les accords concernant ce bureau qui existeraient entre Akzo Chemicals BV et Akzo NV. La conception défendue par Akzo Chemicals BV pourrait avoir pour effet de permettre à des entreprises de se soustraire partiellement à une vérification en installant leur direction dans des locaux appartenant sur le plan du droit civil à une autre société. Elle restreindrait dans une mesure inadmissible l'obligation de collaboration des entreprises et, par conséquent, l'efficacité de vérification.
(20) Akzo Chemicals BV fait valoir enfin que le renseignement fourni oralement le 6 octobre 1993 selon lequel elle n'a pas de bureaux à Arnhem, a été fourni par un représentant d'Akzo NV et non par un de ses propres représentants. Or, le membre en question du service juridique d'Akzo NV était expressément désigné par cette dernière société pour participer aux discussions avec les agents de la Commission en vue de l'exécution de la décision de vérification visant Akzo Chemicals BV. Quel que soit le pouvoir de représentation formel de la personne qui a fourni le renseignement en question, celui-ci doit en tout état de cause être attribué à Akzo Chemicals BV parce qu'il a été fourni en présence de son dirigeant statutaire qui ne l'a pas démenti.
2. L'article 15 du règlement n° 17
(21) Aux termes de l'article 15 paragraphe 1 point c) du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises des amendes d'un montant de 100 à 5 000 écus lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles ne se soumettent pas aux vérifications ordonnées par voie de décision prises en application de l'article 14 paragraphe 3 dudit règlement.
(22) Akzo Chemicals BV ne s'est pas soumise totalement à la vérification ordonnée par la Commission par voie de décision du 22 septembre 1993 (voir considérant 14).
(23) Sur la question de savoir si Akzo Chemicals BV s'est soustraité à la vérification de propos délibéré ou par négligence, l'entreprise en question fait observer notamment que la vérification dans les bureaux de son dirigeant pose des problèmes juridiques complexes, et qu'il n'y aurait donc pas faute. En outre, Akzo Chemicals BV a bien souligné dans sa réponse à la communication des griefs que la décision n'était pas adressée à Akzo NV et que, en outre, les inspecteurs n'avaient pas demandé expressément le premier jour de la vérification à pouvoir inspecter le bureau de M. Vogelaar.
(24) La Commission estime qu'on ne peut déduire de ces circonstances qu'Akzo Chemicals BV n'est pas responsable du refus partiel de l'entreprise de se soumettre à la vérification. Cette entreprise savait que son dirigeant avait son bureau à Arnhem. Akzo Chemicals BV aurait donc dû comprendre que ce bureau fait partie des locaux de l'entreprise et que la vérification devait donc s'étendre à celui-ci. La déclaration, inexacte dans cette optique, selon laquelle "il n'y a pas de bureau d'Akzo Chemicals BV à Arnhem" et le refus d'assurer, à partir de l'établissement d'Amersfoort, l'accès au bureau de son dirigeant signifient qu'Akzo Chemicals BV s'est soustraité à tout le moins par négligence à la vérification.
(25) Il y a donc lieu d'infliger une amende à Akzo Chemicals BV. Le comportement de cette entreprise a compromis l'exécution des tâches confiées à la Commission par l'article 89 du traité et par les prescriptions arrêtées en vertu de l'article 87 du traité. L'efficacité de la vérification ordonnée par la Commission par décision du 22 septembre 1993 dépendait en particulier de l'effet de surprise découlant du fait que l'entreprise n'avait pas été prévenue de la vérification. Akzo Chemicals BV a porté atteinte à cet effet de surprise qui vise à empêcher la destruction ou la disparition de preuves éventuelles ; en cela, elle a compromis l'efficacité de la vérification. Eu égard aux graves conséquences qui s'en suivent pour l'enquête de la Commission, il convient de fixer l'amende à 5 000 écus,
A ARRÊTE LA PRÉSENTE DÉCISION :
Article premier
Une amende de 5 000 (cinq mille) écus est infligée à Akzo Chemicals BV pour le motif que cette entreprise ne s'est pas soumise totalement à la vérification ordonnée par la Commission par décision du 22 septembre 1993 prise en application de l'article 14 paragraphe 3 du règlement n° 17, vérification lors de laquelle, au moins par négligence :
a) elle a fourni un renseignement oral inexact le 6 octobre 1993
et
b) elle n'a pas donné suite à la demande qui lui était faite de donner accès au bureau de son dirigeant statutaire le 7 octobre 1993.
Article 2
L'amende infligée à l'article 1er sera payée dans un délai de trois mois suivant la date de notification de la présente décision, en écus, au compte de la Commission des Communautés européennes n° 310-0933000-43, Banque Bruxelles-Lambert, agence européenne, rond-point Robert Schuman 5, B-1040 Bruxelles.
Le montant de cette amende porte intérêt de plein droit à compter de l'expiration du délai précité, au taux appliqué par l'Institut monétaire européen à ses opérations en écus le premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision a été adoptée, majoré de trois points et demi, soit 9,25 %.
Article 3
Akzo Chemicals BV ayant son siège statutaire à Amersfoort, adresse : Stationsplein 4, NL-3818 LE Amersfoort,
est destinataire de la présente décision.
La présente décision forme titre exécutoire conformément à l'article 192 du traité CE.
Notes :
(1) JO n°13 du 21/02/1962, p. 204/62
(2) JO n°127 du 20/08/1963, p. 2268/63